dossier thématique Les adipocyt adipocytes tes auu ccœur œ ur ddee la l a physiopathologie p hysiopatt holl o g i e Tissu adipeux et cancer : une relation risquée Adipose tissue and cancer: a dangerous relationship Catherine Muller1,2, Philippe Valet1,3 » Outre les complications métaboliques et vasculaires, il est In addition to the metabolic and cardiovascular complications, it is now recognized that obesity increases the number of many cancers, including breast cancer, and also negatively affects the prognosis. maintenant reconnu que l’obésité favorise la survenue de nombreux cancers, dont le cancer du sein, et en affecte le pronostic. » Nous avons montré l’existence d’une interaction entre les cellules We have shown the existence of a bidirectional crosstalk between breast cancer cells and tumor-surrounding adipocytes promoting tumor cell survival, and more importantly their local and distant invasion capacities. tumorales et le tissu adipeux de proximité, favorisant la survie des cellules tumorales et, surtout, leur capacité à envahir les tissus localement et à distance. » Ces adipocytes modifiés par les cellules tumorales, ou cancer- The tumor-surrounding adipocytes, which are modified by tumor secretions, were named Cancer-Associated adipocytes (CAAs). CAAs stimulate tumor progression through their ability to secrete pro-inflammatory cytokines, extra-cellular matrix proteins or to liberate free fatty acids. associated adipocytes, agissent via leur capacité à sécréter des molécules pro-inflammatoires, des protéines de la matrice extracellulaire ou à libérer des acides gras. morphologiques et fonctionnelles qui pourraient favoriser localement la progression tumorale et expliquer le pronostic défavorable observé chez ces patients. » Enfin, le risque carcinologique du transfert de graisse utilisé en chirurgie reconstructrice dans le cancer du sein doit être discuté au regard de ces nouveaux éléments concernant les relations entre adipocytes et cancer. Highlights P o i nt s f o rt s » Dans l’obésité, le tissu adipeux présente des modifications Mots-clés : Micro-environnement – Adipocytes – Cancer – Obésité – Invasion. 1 Université de Toulouse, UPS, Toulouse. 2 Institut de pharmacologie et de biologie structurale, CNRS UMR 5089, Toulouse. 3 Inserm U1048, Toulouse. 258 L’obésité est un facteur de risque pour la survenue de cancers et affecte aussi leur pronostic Au cours des dernières décennies, l’obésité est devenue un problème de santé publique majeur dans les pays développés et en voie de développement. On peut parler, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), In obesity conditions, where adipose tissue exhibits both morphological and functional changes, the negative crosstalk established between breast cancer and adipocytes might be amplified and explains the poor prognosis observed in this subset of patients. Finally, the oncological risk of autologous fat transfer (or lipofilling) used in plastic surgery for correction of defect following breast cancer treatment needs to be addressed according to these new results regarding cancer adipocytes interaction. Keywords: Micro-environment – Adipocytes – Cancer – Obesity – Invasion. d’épidémie du siècle. En 2015, 3 milliards d’adultes dans le monde seront en surpoids, tandis que 700 millions seront obèses. Si les complications métaboliques et cardiovasculaires de l’obésité sont maintenant connues du grand public, le lien entre obésité et cancer reste, lui, largement ignoré. En 2003, une grande étude épidémiologique publiée par le New England Journal of Medicine a établi pour la première fois que, aux États-Unis, environ Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 8 - octobre 2013 Tissu adipeux et cancer : une relation risquée 14 % des décès par cancer chez l’homme et 20 % chez la femme seraient dus à l’obésité (1). Parmi les cancers les plus fréquemment concernés, on trouve des cancers digestifs (adénocarcinomes œsophagiens, cancers colorectaux et pancréatiques), des cancers gynécologiques (endomètre, sein après la ménopause) ainsi que les cancers du rein (1). Outre l’augmentation du nombre de cancers, il est rapidement apparu que l’obésité peut être dans certains cancers un facteur indépendant de mauvais pronostic. Les cancers concernés sont principalement le cancer du sein, indépendamment du statut ménopausique, ainsi que, probablement, le cancer de la prostate et le cancer du côlon, les données sur ces 2 dernières maladies restant encore débattues (2). L’obésité doit donc être considérée comme un facteur de risque évitable en cancérologie. Quels sont les mécanismes liant cancer et obésité ? Selon que l’on considère les étapes initiales (la carcinogenèse, représentée par l’augmentation du nombre de cancers) ou les étapes plus tardives (progression tumorale, avec aggravation du pronostic) du processus cancéreux, on voit apparaître des différences manifestes chez les sujets obèses. Ainsi, le pronostic du cancer du sein est affecté indépendamment du statut ménopausique, alors que le nombre de cancers du sein n’est augmenté que dans la période qui suit la ménopause, un effet “protecteur” de l’obésité ayant même été suggéré chez les femmes obèses en période d’activité génitale (1-4). Indépendamment aussi du stade de la tumeur et de son statut hormonal, les femmes obèses présentent une diminution de la survie globale, une diminution de la survie sans maladie ainsi qu’une augmentation des métastases (2-4). Pour le cancer de la prostate, on peut constater que, si leur nombre n’est pas augmenté, les tumeurs survenant chez les sujets obèses semblent plus agressives, avec une augmentation de la dissémination locale et à distance (2). Ces différences suggèrent que les mécanismes impliqués dans la stimulation par l’obésité de la carcinogenèse et de la progression tumorale pourraient ne pas être les mêmes. Concernant la progression tumorale, nous avons émis l’hypothèse que le tissu adipeux à proximité pourrait être très important pour “alimenter” l’agressivité des cancers. En effet, si l’on considère le cancer du sein, l’une de ses particularités est sa proximité avec le tissu adipeux, un contact physique s’établissant entre tissu adipeux et cancer dès que ce dernier devient invasif (figure). Cette proximité avec le tissu adipeux se retrouve au cours de l’histoire naturelle de nombreux cancers invasifs. C’est le cas du cancer de la prostate, qui va “rencontrer” la graisse périprostatique, du cancer du côlon, qui vient au contact de la graisse périviscérale, ou d’un ensemble de cancers (ovariens, digestifs) qui, en disséminant dans le péritoine, vont se localiser au niveau du tissu adipeux omental. Les adipocytes, des suspects idéaux Le cancer doit maintenant être considéré comme une maladie tissulaire, les cellules tumorales interagissant de façon dynamique avec de nombreuses cellules normales “activées” (fibroblastes, macrophages, lymphocytes, cellules endothéliales) comprises dans une matrice extracellulaire (MEC), cet ensemble constituant le stroma tumoral. Ainsi, en plus des altérations génétiques et épigénétiques survenant dans les cellules tumorales elles-mêmes, la progression tumorale a été récemment reconnue comme le produit d’une interaction permanente entre les cellules cancéreuses et le stroma (5, 6). Bien que cela soit largement ignoré des cancérologues, nous avons vu que le tissu adipeux est un composant indéniable du stroma de nombreux cancers. Parmi les cellules qui le composent, on retrouve majoritairement des adipocytes matures ainsi que, dans une fraction dite “stroma vasculaire”, d’autres cellules telles que des progéniteurs (Adipose Derived Stem Cells [ADSC] et préadipocytes), des fibroblastes, des macrophages, Figure. La proximité entre tissu adipeux et cellules tumorales, retrouvée dans les cancers du sein invasifs, conduit à des modifications spécifiques des adipocytes. Coupe histologique de cancer mammaire après coloration à l’hématoxyline et à l’éosine. Les astérisques indiquent des zones représentatives du front invasif où les adipocytes acquièrent un phénotype de “Cancer-Associated Adipocytes” (CAA). Les flèches indiquent le centre de la tumeur où les adipocytes ont disparu. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 8 - octobre 2013 259 dossier thématique des lymphocytes, des péricytes ainsi que des cellules endothéliales (7). L’adipocyte gère les fluctuations énergétiques induites par l’apport alimentaire ou les périodes de jeûne en stockant l’énergie sous forme de triglycérides ou en la libérant sous forme d’acides gras [8]. À côté de sa fonction de réservoir d’énergie, l’adipocyte est également une cellule endocrine active qui sécrète une grande variété de molécules (appelées adipokines), qui sont impliquées notamment dans la régulation de l’appétit et de la balance énergétique, le métabolisme lipidique, la sensibilité à l’insuline et la régulation de la pression artérielle (7). Ces fonctions des adipocytes en font d’excellents candidats susceptibles de modifier le comportement des tumeurs. En effet, parmi les sécrétions adipocytaires, on retrouve des facteurs de croissance, des chimiokines, des molécules proangiogéniques ou des molécules proinflammatoires (7), dont beaucoup ont déjà été impliquées dans la progression tumorale. De plus, la cellule tumorale a la particularité d’être très exigeante sur le plan énergétique pour sa croissance et sa dissémination (5). Ainsi, le dialogue sécrétoire et/ou métabolique entre adipocytes et cellules tumorales pourrait influencer la survie, la prolifération et le potentiel métastatique de ces dernières, et cet effet pourrait être exacerbé au cours de l’obésité, où les sécrétions adipocytaires sont altérées. Le tissu adipeux de l’obèse est aujourd’hui décrit comme étant dans un état d’inflammation “à bas bruit” avec, comme conséquence, la libération de molécules pro-inflammatoires (interleukines, TNF, etc.) qui ne peuvent qu’amplifier la réaction inflammatoire caractéristique de la lésion cancéreuse. L’étude du tissu adipeux péritumoral s’avère donc aujourd’hui d’une importance médicale majeure. De la suspicion à la mise en cause Ces constatations nous ont amenés à caractériser de façon extensive le tissu adipeux à proximité des tumeurs en utilisant le cancer du sein comme modèle d’étude. Pour réaliser ce projet, nous avons mis en place un système de coculture original entre des cellules tumorales et des adipocytes matures d’origine murine ou humaine, système où les 2 populations sont séparées par une membrane poreuse permettant le passage de facteurs solubles. Nos travaux nous ont permis de montrer que les adipocytes cultivés en présence de cellules tumorales présentent un phénotype modifié associant une délipidation, une diminution des marqueurs adipocytaires et un phénotype activé marqué par la surexpression de protéases (PAI1 [Plasminogen 260 Les adipocyt adipocytes tes auu ccœur œ ur ddee la l a physiopathologie p hysiopatt holl o g i e Activator Inhibitor 1], MMP11 [Matrix MetalloProtease 11]) et de cytokines inflammatoires. Nous avons nommé ces cellules “Cancer-Associated Adipocytes” [CAA] (3, 9). Ces résultats montrent que les adipocytes ne sont pas inertes vis-à-vis des sécrétions tumorales. En retour, les CAA favorisent spécifiquement l’invasion tumorale, comme nous l’avons montré in vitro et in vivo (modèles murins). Ainsi, des cellules tumorales mammaires “éduquées” par des adipocytes et injectées dans la queue d’une souris présentent une capacité à former des métastases pulmonaires très fortement augmentée (9). Fait majeur, nous avons confirmé la présence des CAA au front invasif des tumeurs mammaires humaines. À l’endroit où la tumeur rencontre le tissu adipeux, les adipocytes sont de petite taille et perdent leur contenu lipidique (figure, p. 259). Dans une série de 32 échantillons comparant les caractéristiques des adipocytes péritumoraux à celles des adipocytes normaux issus de mammoplasties de réduction, nous avons retrouvé une augmentation de l’IL-6 (interleukine 6) et des protéases PAI1 et MMP11 dans les CAA. De façon très intéressante, le niveau d’expression de l’IL-6 dans les CAA est corrélé à la taille des tumeurs et à l’envahissement ganglionnaire mais non à l’expression du RE (récepteur aux estrogènes), du type ou du grade de ces dernières (9). Dans notre modèle de coculture, le blocage par des anticorps spécifiques de l’IL-6 adipocytaire diminue l’effet pro-invasif des adipocytes, confirmant l’importance de l’inflammation dans le dialogue entre tissu adipeux et cancer. Outre l’inflammation, l’importance des protéines de la MEC ou de son remodelage a été soulignée par différentes équipes. Une des protéines de la matrice qui est fortement exprimée par les adipocytes péritumoraux et qui favorise la croissance des tumeurs mammaires in vivo est le collagène VI ou certains de ses fragments de clivage (10, 11). Dans le même sens, les CAA surexpriment aussi la MMP11 (ou stromélysine 3), qui appartient à la famille des métalloprotéases (12). L’expression de cette protéine de remodelage de la MEC par les CAA favorise la progression tumorale via sa capacité à cliver la MEC, étape importante pour l’invasion. Enfin, comme nous l’avons vu, les CAA se délipident et, au vu des fonctions physiologiques des adipocytes (qui libèrent lors de la lipolyse des acides gras qui sont transportés au foie, aux muscles et à d’autres tissus où ils sont soumis à une dégradation oxydative), il était légitime de penser que les acides gras ainsi libérés pourraient être transférés dans les cellules cancéreuses. Ce transfert de lipides a été montré dans le cancer de la prostate (13) et dans le cancer de l’ovaire disséminé à l’omentum (14) ainsi que dans le cancer du sein (Y.Y. Wang et al., Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 8 - octobre 2013 Tissu adipeux et cancer : une relation risquée données non publiées), les lipides s’accumulant dans les cellules cancéreuses sous forme de gouttelettes. Si, dans le cancer de l’ovaire, il a été montré que le transfert des lipides d’origine adipocytaire est important pour la croissance tumorale (14), le devenir précis dans les cellules tumorales de ces acides gras reste mal connu. Ils pourraient être utilisés comme constituants des membranes plasmiques, comme molécules de signalisation mais aussi comme source d’énergie pour les tumeurs. En effet, un ensemble de travaux récents montre que les tumeurs, outre le glucose, pourraient utiliser les acides gras comme substrat énergétique au travers de la β-oxydation des lipides qui a lieu dans la mitochondrie (15). Ces résultats suggèrent qu’il pourrait exister une véritable symbiose métabolique entre les adipocytes (donneurs d’énergie) et les cellules tumorales (receveuses). S’ils étaient confirmés, l’interaction délétère entre adipocytes et cancer pourrait être efficacement interrompue par l’inhibition du transfert de lipides mais surtout par l’inhibition de la β-oxydation des lipides, des molécules étant déjà connues pour exercer cet effet, comme l’étomoxir, qui présente malheureusement une hépatotoxicité chez l’homme qui empêche son utilisation clinique (15). Le dialogue paracrine entre adipocytes et cancer fait aussi intervenir d’autres adipokines importantes telles que la leptine et l’adiponectine (16). L’ensemble de nos résultats montre donc que les adipocytes sont des composants importants du microenvironnement tumoral et, surtout, souligne que ces derniers ne sont pas inertes vis-à-vis des sécrétions tumorales, puisqu’ils vont acquérir un phénotype spécifique de CAA. Ces CAA favorisent localement l’inflammation, la fibrose et potentiellement le métabolisme tumoral, tous ces événements concourant à favoriser l’agressivité tumorale et, en particulier, l’invasion locale et à distance (3, 4). Lors de l’extension de la tumeur et de l’implication du tissu adipeux, les adipocytes ne sont pas les seules cellules concernées. De très nombreux travaux soulignent aussi le rôle des ADSC, qui vont se “transformer”, sous l’effet des sécrétions tumorales, en fibroblastes activés et participer également à l’angiogenèse tumorale (4). Ainsi, les ADSC semblent aussi être des acteurs de la progression tumorale au moins in vitro et dans des modèles murins, et les études à ce sujet doivent être suivies de façon attentive eu égard à l’importance grandissante de ces cellules en thérapie cellulaire (4). Finalement, nous émettons l’hypothèse selon laquelle, lors de la progression tumorale, le tissu adipeux à proximité de la tumeur serait plus actif (mécanisme paracrine) que le tissu adipeux à distance (mécanisme endocrine). Cela pourrait être différent dans les étapes initiales de la cancérisation, où les mécanismes endocrines pourraient être prédominants. Ces mécanismes endocrines impliqués dans les étapes initiales du processus tumoral (et potentiellement dans la progression) incluent différentes grandes familles de molécules : l’insuline et l’IGF-1 (Insuline Growth Factor 1), les estrogènes (le tissu adipeux étant pourvu de la capacité d’aromatiser des androgènes), des adipokines (et, en particulier, la leptine et l’adiponectine) ainsi que des molécules pro-inflammatoires (1, 17). Conséquences cliniques L’ensemble de nos résultats ainsi que ceux de nos collègues soutiennent donc le concept innovant selon lequel les adipocytes participent à un cercle vicieux déclenché par les cellules tumorales, favorable à l’invasion tumorale, et qui pourrait être amplifié dans un contexte d’obésité (3, 4). Outre l’hypertrophie et l’hyperplasie adipocytaire, il est aujourd’hui admis que le tissu adipeux chez l’obèse présente un état d’inflammation dite de “bas bruit”, participant aux nombreux effets délétères de l’obésité. La présence de zones de nécrose adipocytaire entourées de macrophages (encore appelées Crown-Like Structures [CLS]) et celle de taux élevés de cytokines pro-inflammatoires sont des marqueurs couramment utilisés pour mettre en évidence cet état subinflammatoire du tissu adipeux viscéral chez le sujet obèse (7). De façon très intéressante, des études récentes ont montré, dans des modèles murins et chez l’homme, que le tissu adipeux mammaire des sujets obèses présente une hypertrophie adipocytaire, des CLS et une augmentation de la sécrétion de cytokines inflammatoires, ce qui n’était pas connu jusqu’alors (4). Ces travaux soulignent donc que ce tissu adipeux modifié à proximité des tumeurs est susceptible d’amplifier le dialogue délétère qui s’établit entre ces 2 composants. Chez la souris, l’augmentation de la progression tumorale mammaire dans des conditions d’obésité a été reproduite (4). Ces modèles offrent donc la possibilité de caractériser les mécanismes impliqués dans le rôle promoteur du tissu adipeux dans l’agressivité tumorale des sujets obèses. Enfin, la caractérisation du tissu adipeux entourant les tumeurs chez les sujets obèses en comparaison avec des sujets de poids normal est un objectif important qui, pour l’instant, n’a pas été rempli. Existe-t-il une augmentation encore plus importante de l’inflammation locale, de la fibrose ou de l’accumulation de lipides dans les cellules tumorales ? Ce sont des questions auxquelles nous devons répondre pour espérer développer des stratégies thérapeutiques innovantes et adaptées. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVII - n° 8 - octobre 2013 261 dossier Catherine Muller déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. thématique Le rôle des adipocytes dans la progression tumorale, notamment dans le cancer du sein, peut également avoir un impact dans l’utilisation de l’injection de tissu adipeux autologue dans des processus de chirurgie réparatrice après une mastectomie partielle ou totale. Cette technique, appelée lipotransfert ou lipofilling, permet de combler les défauts, notamment les irrégularités et le manque de volume, ou, plus rarement, de reconstruire entièrement un sein. La simplicité et les résultats esthétiques et plastiques de cette méthode suscitent un intérêt croissant (18). Cette technique, développée par S.R. Coleman et connue sous le nom de “technique de Coleman”, consiste à prélever du tissu adipeux sous-cutané, classiquement au niveau de l’abdomen ou des cuisses, et à le réinjecter, après une courte centrifugation, dans le parenchyme mammaire de la même patiente (18). Ainsi, si l’on considère les données obtenues dans les cancers du sein, la préparation administrée contient de nombreux types cellulaires présents dans le tissu adipeux, comme des adipocytes et des précurseurs adipocytaires, susceptibles de permettre la résurgence de cellules tumorales minoritaires qui pourraient entraîner une rechute. Le risque carcinologique de cette technique doit donc être évalué, d’autant plus qu’un article récent montre, chez la souris, que le matériel utilisé pour le lipotransfert peut, après une tumorectomie, favoriser l’apparition de métastases secondaires (4). Deux études rétrospectives avec groupe témoin ont été effectuées par l’Institut européen de Milan. Elles suggèrent que cette procédure serait globalement sans risque en dehors d’un sous-groupe de patientes ayant un cancer in situ, chez qui le risque de rechute Les adipocyt adipocytes tes auu ccœur œ ur ddee la l a physiopathologie p hysiopatt holl o g i e semble augmenté (18). Des études supplémentaires sur des échantillons plus importants doivent donc impérativement être réalisées afin de confirmer ou d’infirmer les risques de cette technique en termes de récidives locales des cancers du sein in situ traités par tumorectomie. Enfin, les améliorations constantes de cette technique, avec notamment l’apport de cellules souches adipocytaires, nécessitent aussi des investigations cliniques spécifiques si l’on s’en réfère à la potentielle dangerosité des cellules souches révélée par les études effectuées chez la souris. En conclusion, l’ensemble de nos travaux et ceux de nos collègues soulignent l’importance des adipocytes matures et de leurs précurseurs dans la progression tumorale du cancer du sein et, probablement, d’autres types de tumeurs. Ces travaux devraient permettre de mettre en évidence de nouveaux facteurs pronostiques et, surtout, de proposer de nouvelles cibles thérapeutiques, intéressant plus particulièrement les sujets obèses. L’augmentation attendue dans un proche avenir de l’incidence des cancers agressifs liés à l’obésité rend la connaissance de ce domaine indispensable afin d’élaborer des stratégies originales visant à prévenir et traiter cette maladie chez ce sous-groupe spécifique de patients. ■ R e m e r c i e m e nt s Les travaux effectués par nos équipes sont soutenus par l’Institut national du cancer (INCa PL 2006-035 et INCa PL 2010-214, Philippe Valet [PV] et Catherine Muller [CM]), la Ligue contre le cancer Midi-Pyrénées (comité du Lot, de la Haute-Garonne et du Gers, CM), la Fondation de France (PV et CM), l’Association pour la recherche sur les tumeurs prostatiques (ARTP) [CM] et l’université de Toulouse (appel d’offres du conseil scientifique 2009, CM). Références 1. Calle EE, Kaaks R. Overweight, obesity and cancer: epidemio- 8. Lafontan M, Langin D. Lipolysis and lipid mobilization in logical evidence and proposed mechanisms. Nat Rev Cancer 2004;4(8):579-91. human adipose tissue. 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