Médecine & enfance Rhinite chronique non allergique ORL M. François service ORL, hôpital Robert-Debré, Paris Les rhinites chroniques sont des atteintes chroniques et non mécaniques des tissus mous des fosses nasales. Chroniques signifie qu’elles évoluent depuis plus de douze semaines consécutives. Il est cependant habituel d’y inclure les formes intermittentes ou répétées comme la rhinite du nageur. Non mécaniques signifie que cela exclut les pathologies nasales malformatives ou tumorales, ainsi que les manifestations nasales de maladies systémiques comme la sarcoïdose ou le lymphome. Parmi ces rhinites chroniques, les plus fréquentes sont les rhinites allergiques, c’est-à-dire dues à une inflammation IgE-dépendante de la muqueuse nasale en réponse à l’exposition à des allergènes, en général aéroportés, auxquels le patient est sensibilisé. Les rhinites chroniques non allergiques sont à peu près quatre fois moins fréquentes [1, 2] et surtout moins connues. Or faire la distinction entre les deux est important, car la prise en charge est différente. En effet les antihistaminiques, l’éviction d’allergènes potentiels et la désensibilisation sont sans objet ou inefficaces en cas de rhinite non allergique [3]. SYMPTOMATOLOGIE Rubrique dirigée par M. François Le motif de consultation est l’obstruction nasale et la rhinorrhée chronique : « mon enfant est tout le temps enrhumé », ou les ronflements nocturnes : « il ronfle comme un homme (sic) » [4]. Ces symptômes sont très banalisés, tant par les parents que par les praticiens [2]. Mais leur chronicité peut avoir un impact négatif sur la santé, car la rhinite chronique favorise les rhinosinusites, et sur la qualité de vie [4], avec un retentissement sur le sommeil et la mémorisation. Les symptômes d’une rhinite chronique sont identiques que la rhinite soit d’origine allergique ou pas [5]. Cependant, le jeune âge du patient est en faveur d’une rhinite non allergique. Sur une série de plus de 300 enfants venus consulter pour rhinite chronique, l’âge médian de survenue des premiers symptômes était de trois ans pour les rhinites non allergiques versus cinq ans pour les rhinites allergiques [5] . L’existence de ronflements nocturnes, les antécédents de rhinosinusite et le tabagisme passif sont aussi en faveur d’une rhinite non allergique [1, 2, 6]. Inversement, l’existence d’un prurit nasal, d’éternuements ou de symptômes oculaires est en faveur d’une rhinite allergique (voir tableau). L’interrogatoire fera préciser si des circonstances déclenchant ou exacerbant avril 2013 page 112 les symptômes ont pu être repérées : pics de pollution aérienne, tabagisme passif, mais aussi empoussièrement, climatisation, absence d’aération des pièces où vit l’enfant, fréquentation d’une piscine, prise de certains médicaments [6-8]. L’examen clinique montre en général une respiration buccale. La langue est saburrale jusqu’à une heure avancée de la matinée. Il n’y a pas ou peu de buée sur un miroir ou un abaisse-langue métallique placés sous les narines de l’enfant. La rhinoscopie ne permet de voir que la tête des cornets inférieurs, qui sont congestifs et bouchent la vision du reste de la fosse nasale. Les sécrétions nasales translucides sont abondantes, donnant un aspect luisant et hypersecrétant à la muqueuse souvent pâle [9]. EXAMENS COMPLÉMENTAIRES Le diagnostic de rhinite chronique non allergique est en fait un diagnostic d’élimination : c’est la négativité des tests cutanés aux principaux aéro-allergènes et l’absence d’IgE spécifiques ou des taux sans signification clinique qui permettent d’éliminer une rhinite allergique [1-3, 9]. La cytologie nasale, réalisée dans certains laboratoires spécialisés, permet de différencier les rhinites à éosinophiles Médecine & enfance qu’en cas de rhinite allergique, mais devront être pris en compte dans le suivi de l’enfant [3, 4, 9]. L’examen par un ORL s’impose en cas de forme sévère ou résistant au traitement standard. L’ORL va faire une nasofibroscopie [9] pour rechercher une polypose nasale et une hypertrophie des végétations adénoïdes. En effet, les végétations adénoïdes sont plus souvent hypertrophiées chez les enfants qui ont une rhinite chronique non allergique que chez ceux qui ont une rhinite allergique [12]. suivantes avec une évaluation clinique (rhinorrhée, éternuements, congestion nasale) et rhinométrique (diminution du flux de 25 % à la rhinométrie acoustique ou de 40 % au PNEF, pour peak nasal expiratory flow rate). Si le test est positif, il s’agit d’intolérance et non d’allergie, car les tests cutanés sont toujours négatifs et il n’y a pas d’anticorps dus à l’aspirine ou aux autres anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Les réactions d’intolérance à l’aspirine et aux AINS découlent de l’inhibition de la cyclo-oxygénase 1 (COX-1), laquelle entraîne une production importante de leucotriènes cystéinés (LTC4, LTD4, LTE4) dont les effets sur la muqueuse nasale peuvent induire des symptômes de rhinite. Cela est montré par l’augmentation de ces médiateurs dans les sécrétions nasales lors d’une exposition à un AINS, par l’augmentation de l’expression des récepteurs aux leucotriènes sur les cellules inflammatoires de la muqueuse nasale [17] et par l’atténuation importante des réactions bronchiques et nasales provoquées par l’aspirine après traitement par des antileucotriènes [16]. LES RHINITES PAR INTOLÉRANCE À L’ASPIRINE RHINITE CHRONIQUE ET PISCINE Il est important d’individualiser cette rhinite car elle peut être la première manifestation d’une maladie grave : la maladie de Fernand Widal [13]. Celle-ci commence habituellement chez l’adulte jeune, mais des adolescents, en particulier des filles, peuvent être atteints précocement [14]. L’évolution se fait vers l’apparition d’un asthme puis d’une polypose nasosinusienne [15, 16]. Le diagnostic est posé sur l’anamnèse (histoire clinique évocatrice) et des tests de provocation/réintroduction [8]. Le test de provocation nasale n’est pas dangereux et peut être réalisé en ambulatoire. Après avoir vérifié que l’instillation nasale de sérum physiologique ne déclenche aucun symptôme, on instille dans chaque narine 8 mg d’une solution aqueuse de lysine salicylate (Aspégic®). Le patient est surveillé les deux heures La désinfection de l’eau des piscines se fait essentiellement au chlore. Le chlore libère dans l’eau de l’acide hypochlorique, biocide non sélectif qui oxyde toutes les substances organiques. Mais l’acide hypochlorique réagit avec les produits organiques (sueur, urine, produits cosmétiques), ce qui libère des chloramines et de l’acide haloacétique, qui sont irritants pour les muqueuses. Cela peut exacerber une rhinite allergique, mais aussi déclencher une rhinite inflammatoire non allergique par un mécanisme irritatif [7, 18, 19]. Ces symptômes apparaissent dans l’heure qui suit le bain en piscine et durent au moins douze heures. La cytologie nasale montre une rhinite à neutrophiles dans deux tiers des cas [7], plus rarement un NARES ou un NARESMA. Ce sont ces derniers qui ont les formes les plus sévères. Comparaison des symptômes chez des enfants souffrant de rhinite chronique allergique ou non allergique [5] Rhinorrhée Obstruction nasale Prurit nasal Eternuements Symptômes oculaires Ronflements Rhinosinusite Rhinite chronique allergique (n = 222) Rhinite chronique non allergique (n = 80) p 92,3 % 76,5 % 58,5 % 69,8 % 38,2 % 21,6 % 15,7 % 87,5 % 78,7 % 30 % 41,2 % 21,2 % 46,2 % 31,2 % 0,19 0,69 < 0,01 < 0,01 < 0,01 < 0,01 < 0,01 des autres rhinites inflammatoires [9, 10]. Cet examen est rarement demandé car son résultat ne change pas énormément la prise en charge. La cytologie nasale se fait à partir d’un frottis nasal effectué en consultation, sous contrôle de la vue, à la partie moyenne du cornet inférieur, avec une petite brosse (cela ne fait pas mal et ne fait pas saigner), ou par lavage du nez avec un quantité donnée d’un liquide qui est ré-aspiré, à distance de tout traitement corticoïde local [9]. Le frottis est séché à l’air puis coloré au May-GrünwaldGiesma avant d’être observé en microscopie optique. Sur un frottis normal, il n’y a que des cellules épithéliales et quelques neutrophiles [11]. Si les éosinophiles représentent plus de 20 % des cellules observées, il s’agit d’une rhinite chronique non allergique à éosinophiles (NARES) [10]. Le compte d’éosinophiles est d’autant plus élevé que la maladie est sévère. Si les mastocytes représentent plus de 10 % des cellules observées, il s’agit d’une rhinite chronique non allergique avec infiltration de la muqueuse nasale par des mastocytes (NARMA). Si plus de 50 % des cellules observées sont des polynucléaires neutrophiles, il s’agit d’une rhinite chronique non allergique avec infiltration de la muqueuse nasale par des polynucléaires neutrophiles (NARNE). Enfin, on parle de rhinite chronique non allergique à éosinophiles et mastocytes (NARESMA) s’il y a plus de 20 % d’éosinophiles et plus de 10 % de mastocytes [11]. Il est important de rechercher une comorbidité : l’hyperréactivité bronchique et l’asthme sont un peu moins courants avril 2013 page 113 Médecine & enfance PRISE EN CHARGE Les lavages de nez au sérum hypertonique sont efficaces sur l’obstruction nasale des rhinites non allergiques, comme des rhinites allergiques, mais leur durée d’action est faible, ce qui nécessite de répéter les instillations nasales [20]. Rappelons que les vasoconstricteurs, qu’ils soient systémiques ou nasaux, sont contre-indiqués chez l’enfant. Quant aux antihistaminiques, ils sont sans effet [10]. La corticothérapie est habituellement efficace. Une bonne réponse à ce traitement est d’ailleurs considérée comme un élément diagnostique [21, 22]. La préférence est donnée aux corticoïdes nasaux [6], même si les études cliniques sur ce traitement sont rares. L’administration par voie intranasale permet d’obtenir des concentrations locales élevées avec un risque minime d’effets indésirables systémiques [23]. Les effets anti-inflammatoires des glucocorticoïdes sont liés à l’inhibition de la synthèse des médiateurs de l’inflammation et, à un moindre degré, à un effet stimulant sur quelques protéines anti-inflammatoires [24]. Les glucocorticoïdes inhibent aussi la synthèse des chémokines, en particulier des chémokines impliquées dans le recruteRéférences [1] BACHERT C., VAN CAUWENBERGE P., OLBRECHT J., SCHOOR J. : « Prevalence, classification and perception of allergic and non allergic rhinitis in Belgium », Allergy, 2006 ; 61 : 693-8. [2] MOLGARRD E., THOMSEN F., LUND V. et al. : « Differences between allergic and nonallergic rhinitis in a large sample of adolescents and adults », Allergy, 2007 ; 62 : 1033-7. [3] SCADDING G.K., DURHAM S.R., MIRAKAN R. et al. : « BSACI guidelines for the management of allergic and non-allergic rhinitis », Clin. Exp. Allergy, 2008 ; 38 : 19-42. 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Pédiatr., 2012 ; 19 : 556-60. [9] SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’ORL : « Recommandations pour la ment des éosinophiles et des chémokines et cytokines impliquées dans le recrutement et la survie des basophiles et des mastocytes [9]. Une surveillance clinique et endoscopique est conseillée pour s’assurer de l’efficacité du traitement, mais aussi de l’absence d’évolution vers une polypose nasosinusienne. L’adénoïdectomie peut soulager un peu l’enfant en cas d’hypertrophie avérée. Les gestes sur les cornets, tels que cautérisation des cornets ou turbinectomie, doivent être proposés avec la plus grande prudence, car leur efficacité n’est pas assurée [9, 25]. Chez les enfants qui ont un asthme grave, les antileucotriènes peuvent améliorer la rhinite non allergique concomitante [6, 9]. Pour les enfants chez lesquels la fréquentation de la piscine entraîne systématiquement une rhinite, la solution est de porter un clip nasal plutôt que d’arrêter cette activité [7]. La prévention de la rhinite par intolérance à l’aspirine repose sur l’éviction de l’aspirine et des inhibiteurs de la COX-1 [8]. Les traitements antalgiques/anti-inflammatoires alternatifs sont : le paracétamol, mais à moins d’un gramme par jour ; les salicylés sans activité antiCOX, comme le salicylate de sodium, le salicylate de choline, le trisalicylate ; les AINS pratique clinique : prise en charge des rhinites chroniques », 17 février 2005, consultable sur le site www.orlfrance.org. [10] DI LORENZO G., MANSUETO P., PACOR M.L. et al. : « Clinical importance of eosinophil count in nasal fluid in patients with allergic and non-allergic rhinitis », Int. J. Immunopathol. Pharmacol., 2009 ; 22 : 1077-87. [11] GELARDI M., MASELLI DEL GIUDICE A., FIORELLA M.L. et al. : « Non-allergic rhinitis with eosinophils and mast cells constitutes a new severe nasal disorder », Int. J. Immunopathol. Pharmacol., 2008 ; 21 : 325-31. 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Les vasoconstricteurs sont contre-indiqués chez l’enfant. qui inhibent plus la COX-2 que la COX-1, par exemple le nimésulide, mais avec prudence et seulement après douze ans. L’accoutumance, en faisant prendre au patient des doses croissantes d’aspirine, de 0,125 mg jusqu’à une dose stable de l’ordre de 1,2 g/j, permet parfois d’obte첸 nir un état de tolérance. Conflit d’intérêts concernant cet article : invitée par les laboratoires Zambon comme orateur sur le thème « nez et sport ». ne-receptor expression on nasal mucosal inflammatory cells in aspirin-sensitive rhinosinusitis », N. Engl. J. Med., 2002 ; 347 : 1493-9. [18] Bernard A., Voisin C., Sardella A. : « Impact of chlorinated swimming pool attendance on the respiratory health of adolescents », Pediatrics, 2009 ; 124 : 1110-8. [19] FONT-RIBERA L., KOGEVINAS M., ZOCK J.P. et al. : « Swimming pool attendance and risk of asthma and allergic symptoms in children », Eur. Resp. J., 2009 ; 34 : 1304-10. 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