Cahier d’Éducation & Devenir - Numéro 20 - Décembre 2013

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Cahier d’Éducation & Devenir - Numéro 20 - Décembre 2013
Journée d’étude - PARIS 24 mai 2013
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Education & Devenir
N° SIRET 38010107100047
Code APE/NAF 913E
Siège social :
35 rue du Puits Fouquet - 76113
SAHURS
Présidente :
Marie-Claude Cortial
[email protected]
Secrétariat général :
Sylvain Ladent
Lycée des Remparts
1 rue du Rempart
13007 Marseille
[email protected]
Trésorier :
Jean-François Delporte
Lycée Les Bruyères
76300 Sotteville Lès Rouen
Site : http://
www.educationetdevenir.fr
Coordonnateur des Cahiers :
Bruno Siour
Responsable du Cahier N° 20
Bureau E&D
Problématique : Marie Claude Cortial, ..................................................................... p.03
Mise en page et graphisme :
José Fouque
Emancipation, sécularisation, laïcité. Joël ROMAN ............................... p. 05
L’enseignement d’éthique et culture religieuse au Québec
Mireille Estivalèzes ........................................................................................................................ p. 10
Introduction de la morale laïque à l’école, Pierre Tournemire ... p. 17
Eléments de bibliographie, Monique Rollin ..................................................... p. 25
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Problématique
Marie-Claude CORTIAL – Présidente d’Education et devenir
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ducation & Devenir et la ligue de l’enseignement ont privilégié ce thème, car il est
l’un des axes forts du projet de loi et au moment où aura lieu cette journée, le rapport demandé par Vincent Peillon sur l’enseignement de la morale laïque à l’école
aura été rendu public.
Par ailleurs, il nous semble opportun d’interroger des termes très utilisés au regard de l’évolution de notre société et de son école.
Il nous faut d’abord nous questionner sur les trois termes retenus : morale, éthique et laïcité.
Comme chacun le sait, morale et éthique sont similaires (l’un est d’origine latine, l’autre grecque). Mais on n’utilise pas l’un pour l’autre : lorsqu’on parle de morale on songe à l’ensemble
des principes inconditionnels qui justifient une action pour elle-même. On parlera plutôt d’éthique lorsqu’on évoque des règles pratiques d’action, en fonction d’un certain nombre de principes moraux (éthique médicale par exemple …), elle peut d’ailleurs varier selon les groupes
concernés. Dans nos sociétés actuelles, le terme de morale est délaissé, alors que celui d’éthique
a pris une place considérable.
Quant à la laïcité, quelle confusion dans les esprits ! L’introduction de la laïcité dans la République française a correspondu à un moment particulier de son histoire. Elle a pacifié les esprits et
permis la constitution de la citoyenneté française, mais dans les moments de tensions, elle est
très souvent instrumentalisée (loi sur le voile …) par les uns et les autres. Il n’empêche que cette
notion est fondamentale en France et doit garantir la neutralité des principes d’action et de jugement.
Qu’en est-il pour l’Ecole ?
Avec la transmission des connaissances qui s’effectue avec un effort de rationalisation et de mise
à distance pour les élèves, l’Ecole a pour mission première de développer la sociabilité et donc
de faire partager aux enfants et aux jeunes les valeurs de la République : celles de la citoyenneté
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démocratique. C’est une mission essentielle pour l’intégration sociale, culturelle et civique de
toutes et tous et pour le vivre ensemble. Il s’agit donc de trouver un cadre qui facilite la recherche du « commun » dans un contexte sociétal tout à fait nouveau (transformation des familles,
repères moraux pour les enfants puisés dans leur sphère familiale, population très diverse, montée du fait religieux, surdétermination du territoire pour la constitution des valeurs …). Autrement dit, il s’agit de trouver l’équilibre entre individu et « commun », faire émerger de la diversité une culture commune et faire en sorte que les principes de la République fassent lien avec les
valeurs personnelles.
La première exigence est que l’Ecole soit un lieu démocratique pour tous, adultes et enfants et
que les règles qui le gèrent soient élaborées dans la transparence. C’est à cette condition-là que
la réflexion sur le questionnement de cette journée de réflexion pourra être suivie d’effet.
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Emancipation, sécularisation, laïcité
Joël ROMAN, Philosophe
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otre conception de la laïcité prend appui sur un arrière fond de considérations philosophiques et de transformations sociales, politiques et historiques qui ont vu progressivement
le religieux cesser d’être le cadre de référence principal de la vie humaine. On peut qualifier de
sécularisation l’ensemble de ces transformations (1) . La notion de sécularisation évoque un horizon d’immanence des concepts politiques et moraux. Pour l’essentiel, le mot comporte deux
significations principales : a) un effacement progressif du religieux et b) une origine religieuse
(chrétienne) de concepts et d’une vision du monde qui a progressivement rompu les amarres
avec cette conception. C’est en ce sens qu’on a pu parler de « désenchantement du monde ». La
laïcité serait la traduction de cette conception dans l’ordre politico-social.
Il y a donc un rapport étroit entre la laïcité, concept juridico-philosophique et la sécularisation, au sens historico-sociologique du terme. Les deux choses offrent un cadre de pensée similaire, qui faut prendre au sérieux. Toutes deux présupposent un idéal qui est celui du rationalisme moderne, lequel dessine le portrait d’un individu libre comme étant un individu gouverné
par sa seule raison, qui s’oriente sur des idées ayant une portée universelle. De ce fait, la voie
privilégiée de l’émancipation passe par l’instruction, condition d’une émancipation intellectuelle
et culturelle, mais aussi d’une émancipation matérielle (qui suppose une certaine égalité), et
d’une émancipation des rôles traditionnels (par exemple des rôles traditionnels de sexe, d’où la
place que tient dans cette argumentation l’émancipation des femmes). La culture politique française a particulièrement développé des différents points, quoique de manière inégale (2).
Or cette conception se heurte à plusieurs difficultés, qui, sans remettre en cause la philosophie d’ensemble, conduisent à la nuancer fortement, sur trois points principaux au moins.
1. Elle suppose un individu générique abstrait (le citoyen de la conception française), universel et interchangeable. C’est le problème théorique de cette position, où le sujet est indiscernable des autres sujets, ce qui rend impossible de penser le pluralisme. Idéalement la société
n’est pas composée de plusieurs individus, qui différent par le sexe, l’âge, la couleur de peau, la
condition sociale ou les convictions religieuses, mais d’un même individu générique dupliqué
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autant de fois que nécessaire. Ces différences, au regard de la capacité commune d’être raisonnable, sont inessentielles. On pourrait dire qu’il s’agit de la transposition dans l’ordre politique
d’une forme de solipsisme théorique.
2. L’espace public est conçu sur le seul modèle d’un espace réciproque d’interlocution
(Habermas), sous-tendu par une communauté idéale normée par cette réciprocité et tendant à
la symétrie absolue. On vise par là une neutralisation de l’espace public conçu comme un espace
de déploiement des seuls concepts rationnels (qui échappent ainsi à l’histoire et à ses déterminations) aseptisé de toute épaisseur singulière. Il faut dans cet esprit purger l’espace public des
convictions singulières.
Contre cette conception, il est à la fois plus réaliste et nécessaire de penser l’espace public
comme espace de rencontre, qui n’est pas d’abord un espace de la parole potentiellement rationnelle, mais un espace du regard : voir et être visible, ce qui fait immédiatement apparaître
des différences : âge, sexe, couleur de peau, conditions sociales. Cela a deux conséquences importantes : d’abord il n’y a pas de préalable à la fréquentation de l’espace public, de droit
d’entrée à acquitter, sous la forme d’une mise en conformité préliminaire. Il est de droit composé par tous ceux qui le fréquentent de fait. Il s’ensuit, deuxième conséquence, que cet espace
public est nécessairement pluraliste, composé d’individus diversifiés. La première exigence qu’il
porte est celle d’une reconnaissance mutuelle et inconditionnelle du droit de chacun d’être là. La
démocratie est d’abord la traduction politique de cette exigence. Il est donc nécessaire de penser l’espace public comme un espace commun, l’espace du commun, comme un espace partagé
et à partager.
3. La question de la religion apparaît ainsi comme le principal impensé de cette théorie de
la sécularisation. Elle suppose que la religion est désormais caduque, et ne peut guère subsister
que comme une survivance d’un autre âge. Cette idée se fonde sur trois postulats que relève
Charles Taylor : « Un impensé puissant est en effet à l’œuvre *dans la théorie de la sécularisation] : celle-ci soutient que la religion doit nécessairement décliner soit (a) parce qu’elle est
fausse et que la science le démontre ; soit (b) parce qu’elle est de moins en moins importante
maintenant que nous avons des remèdes contre les parasites ; soit (c) parce que la religion est
fondée sur l’autorité et que les sociétés modernes accordent une importance croissante à l’autonomie individuelle ; soit à cause d’une combinaison des raisons précédentes. » (3). Reprenons
ces trois points un par un, dans l’ordre inverse où Taylor les présente.
Tout d’abord, le dernier argument. Certes la religion est fondée sur l’autorité et donc dis-
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cordante avec les aspirations démocratiques des sociétés contemporaines. Mais la critique de
l’autorité peut aussi se nourrir de références religieuses, comme lorsque l’on substitue à l’autorité des hommes celle de Dieu, donc celle de la parole de Dieu : chaque croyant doit alors faire un
travail d’interprétation. Cette critique de l’autorité a surtout été développée dans le protestantisme, mais on la trouve aussi dans l’islam et le catholicisme. La religion a ainsi pu fournir un cadre pour contester l’autorité d’un chef, en lui substituant l’autorité d’un texte, préparant ainsi le
terrain à notre conception de l’autorité impersonnelle de la loi. D’une manière générale, les
exemples ne manquent pas de la manière dont la religion a pu nourrir des formes d’autonomie
individuelle, et les historiens montrent par exemple comment la diffusion des ouvrages de piété,
à partir du XVIIème siècle, destinés à une lecture silencieuse et méditative, ont puissamment
contribué à faire émerger un espace d’intériorité qui est une des composantes de la subjectivité
individuelle moderne.
Examinons maintenant le deuxième argument : incontestablement, les raisons de la régression de la religion tiennent à un progrès matériel et moral qui est à la fois scientifique et
technique et repose sur les garanties que nous apportent les institutions. Nous sommes de ce
fait en partie soulagés des fardeaux de la vie, sans avoir besoin de recourir à des consolations
religieuses. Mais ces consolations sont-elles, ou étaient-elles le cœur de la religion ? Relisons la
célèbre citation de Marx sur « l’opium du peuple » : « La détresse religieuse est pour une part
l’expression de la détresse réelle, et pour une autre part la protestation contre la détresse réelle.
La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est
l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. (4) » Autrement
dit, la religion est aussi ce qui met en mouvement, et pas seulement ce qui console. Elle fournit
du sens, une perspective, une espérance. Là encore les exemples sont nombreux de courants
religieux qui ont porté des aspirations à la libération des opprimés.
Enfin, et c’est sans doute là l’argument le plus répandu dans les esprits qui se croient rationnels, la religion serait fausse. Mais c’est là s’adosser à une conception de la vérité scientifique ou historique étroitement restreinte qui renvoie davantage à un scientisme ou à un positivisme d’esprits forts qu’aux développements des sciences humaines au XXème siècle. En tant
que phénomène humain, les religions recèlent une part de vérité, qu’on pourrait appeler une
vérité anthropologique. On pourrait d’ailleurs montrer comment chacune des grandes religions
est sensible à une dimension particulière, incarne en quelque sorte un moment anthropologique. A titre d’exemple, et sans vouloir approfondir, il est clair que le christianisme a mis en lu-
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mière l’expérience du prochain, dont la parabole du bon samaritain représente sans doute l’un
des plus hautes expressions ; le judaïsme, tel que l’a remarquablement commenté Lévinas, nous
conduit à méditer sur la dimension de la loi ; et l’islam, par une attention soutenue à ce qui arrive, ce qui doit arriver, nous rappelle la non-maîtrise de l’être humain en regard de l’événement.
Cette vérité anthropologique des religions n’exige pas l’attitude de foi du croyant pour être dégagée, juste un accueil bienveillant aux histoires racontées par les religions au lieu d’un scepticisme soupçonneux.
A vrai dire, le principal péril que recèlent les religions réside dans leur incompatibilité mutuelle. Les religions sont exclusives et absolutistes, et peu enclines à accepter le pluralisme sauf à
verser dans un relativisme qui leur serait fatal. Elles menacent ainsi de toujours verser dans les
guerres de religion et la mise en péril de la paix civile. C’est pourquoi l’invention de la tolérance
est la grande invention des temps modernes, durement conquise par Bayle, Locke, Voltaire, et
requiert un pouvoir civil indépendant des religions. En ce sens elle est la matrice de la laïcité, qui
est une forme d’organisation du pluralisme religieux, c’est-à-dire d’organisation du vivre ensemble en situation de désaccord sur les fins dernières. Mais cela suppose que la laïcité sache rester
un cadre accueillant pour toutes les convictions, et ne se mue pas à son tour en un une conception du monde, dont le noyau convictionnel est exclusif des autres convictions. A cette condition
seulement, une morale laïque, ou plutôt une conception et une pratique laïques de la morale
(5), peut offrir un cadre compatible avec des morales substantiellement différentes, et non n’être qu’une morale parmi d’autres.
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NOTES
1.
La littérature sur la notion de sécularisation est considérable. Toutefois, dans une première approximation, on se
contera de cette définition, large et lâche. Pour une discussion plus approfondie de la notion de sécularisation, cf.
Charles Taylor, l’âge séculier, Le Seuil, 2011 ; Hans Blumenberg, La légitimité des temps modernes, Gallimard, 1999 ;
Jean-Claude Monod, La querelle de la sécularisation, de Hegel à Blumenberg, Vrin, 2002.
2.
En particulier, l’émancipation politique des femmes aura été particulièrement tardive en France, non pas en dé-
pit de l’universalisme de la conception française du citoyen, mais bien en raison de cet universalisme même : seule la
femme apparaissait comme un être sexué, donc moins universelle que l’homme. Ce qui explique aussi que le féminisme dominant en France ait été par la suite un féminisme universaliste, qui proclame que « les femmes sont des hom-
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mes comme les autres ». La parité, adoptée tardivement, est une concession à la persistance d’inégalités réelles, et
tend à contester ce féminisme universaliste.
3.
Charles Taylor, L’âge séculier, Le Seuil, 2011, p. 734.
4.
Marx, Introduction à la critique de la philosophie du droit de Hegel, cité par Pierre Tévanian, La haine de la reli-
gion, La Découverte, 2013, p. 22.
5.
Pour reprendre la manière dont les auteurs du rapport sur l’enseignement de la morale ont reformulé la mission
que leur avait confiée Vincent Peillon.
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L’enseignement d’éthique et culture religieuse au Québec
Mireille Estivalèzes - Université de Montréal
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ette communication est consacrée à la présentation du modèle original d’enseignement d’éthique et de culture religieuse mis en oeuvre au Québec depuis 2008.
Après une rapide mise en perspective historique et sociologique des débats ayant conduit à l’implantation de ce nouveau programme, seront présentés les principales orientations et les contenus de cet enseignement, mais aussi les défis qu’il rencontre, voire les résistances et les contestations dont il est l’objet.
Au préalable, il est nécessaire de préciser que le Canada, monarchie constitutionnelle,
est une fédération composée de dix provinces et de trois territoires, où l’éducation est une compétence de juridiction provinciale ; les ministères de l’éducation des gouvernements provinciaux
sont donc souverains en matière de politique éducative. Au Québec, c'est le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport du Québec (MELS) qui est responsable du système scolaire et élabore les programmes d’études.
Par ailleurs, contrairement à la France, le droit canadien ne comporte pas de référence
explicite à la laïcité, mais l’État y est neutre. Si l’on considère comme Jean Baubérot et Micheline
Milot que la laïcité se définit comme un « mode d’organisation politique visant la protection de
la liberté de conscience et l’égalité entre les citoyens (1) », quelles que soient leurs convictions
religieuses ou philosophiques, mode d’organisation qui utilise comme moyens la neutralité de
l’État et la séparation du politique et du religieux, on peut dire que le Canada est un pays laïque
de facto. Cependant, il faut signaler que le Québec est, depuis quelques années, traversé par des
débats politiques, sociaux et médiatiques très vifs sur la laïcité, il est ainsi actuellement question
d’élaborer une Charte de la laïcité qui concernerait, entre autres, la neutralité des agents du service public.
Le contexte historique et sociologique de la réflexion sur l’enseignement de la religion à l’école
Les Églises chrétiennes ont occupé une fonction éducative essentielle pendant plusieurs
siècles, du fait en particulier du caractère confessionnel de l’école et du rôle important accordé à
l’instruction religieuse. Tout l’enseignement est alors régi par des comités catholique et protes-
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tant, aussi bien en ce qui concerne l’élaboration des programmes d’études et le choix du matériel didactique, que la formation des maîtres.
Cependant, à partir des années 1960, se développe une réflexion sur la déconfessionnalisation du système scolaire, à laquelle est étroitement associé un projet d’enseignement non
confessionnel sur les religions. C’est à la même époque qu’est créé le ministère de l’Éducation,
initiative qui traduit une volonté de prise en charge de l’école par le politique, même si les Églises restent encore les partenaires privilégiés de l’État.
Mais il faut attendre la fin des années 1990 pour qu’un groupe de travail soit créé par la
ministre de l’Éducation sur la place de la religion à l’école. Son rapport, intitulé Laïcité et religions. Perspective nouvelle pour l’école québécoise, recommande à l’État de laïciser le système
scolaire public, par l’abolition des statuts confessionnels des écoles et la suppression de tout enseignement confessionnel, en se référant aux principes de l’égalité des individus et de la liberté
de conscience et de religion, mais aussi au nouveau contexte socioculturel québécois marqué
par une forte sécularisation et l’accroissement du pluralisme, culturel et religieux. Il propose
également de remplacer les enseignements religieux, catholique et protestant, par un enseignement culturel des religions obligatoire. Son but serait de « fournir aux élèves la formation nécessaire pour comprendre la place qu’occupent les religions et les courants de pensée séculière
dans la vie des individus et des groupes, au Québec et dans le monde ; contribuer à l’éducation à
la citoyenneté des élèves et les préparer à vivre dans une société marquée par le pluralisme
idéologique, culturel et religieux; aider les élèves à se situer d’une manière éclairée, réfléchie et
critique dans leur propre recherche de sens » (2). Cet enseignement se situe dans une « laïcité
ouverte » qui reconnaît la dimension spirituelle de la personne et le rôle positif que les religions
peuvent jouer dans la société et même dans l’éducation.
En juillet 2000, deux ans après la création des commissions scolaires linguistiques qui
permet de regrouper dorénavant les élèves sur la base linguistique plutôt que confessionnelle, le
projet de loi 118 prévoyant la déconfessionnalisation complète des structures éducatives gouvernementales et du système scolaire est adopté : « Toutes les écoles publiques du Québec perdent leur statut confessionnel et deviennent laïques, communes et ouvertes à tous les enfants
d’un territoire. »
En mai 2005, le processus de laïcisation de l’école est complété par l’annonce par le ministre de l’Éducation de la mise en place d’un nouveau programme d’éthique et de culture religieuse à la rentrée scolaire de 2008, obligatoire pour tous les élèves du primaire et du secondaire des réseaux publics et privés. Il remplace définitivement les enseignements confessionnels
catholique et protestant ainsi que l’enseignement de morale qui était jusque là proposé comme
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une alternative aux élèves qui ne souhaitaient pas suivre un cours de religion. Ce nouveau programme est présenté comme devant à la fois s’ancrer dans la culture québécoise (ses valeurs,
son architecture, son langage…) tout en prenant acte de la diversification croissante du paysage
religieux marquée par l’arrivée de nouveaux groupes religieux (islam, hindouisme, bouddhisme).
Il doit également respecter la liberté de conscience et de religion des élèves. Enfin, il vise
à favoriser le vivre-ensemble et la cohésion sociale. Il s’agit, pour les jeunes, d’« enrichir leur
culture générale, leur permettre de s’ouvrir aux autres avec tolérance et respect, les outiller
pour qu’ils puissent agir de façon responsable envers eux-mêmes et envers les autres et leur apprendre à vivre ensemble au sein d’un Québec démocratique et ouvert sur le monde… » (3).
Les contenus et les finalités de cet enseignement
Le programme ECR (Ethique et culture religieuse) est caractérisé par deux finalités de
nature philosophique et politique. Dans la lignée du philosophe canadien Charles Taylor, pour
qui il est nécessaire d’instaurer une politique de la « reconnaissance » afin que la dignité et l’authenticité des individus, qui sont porteurs d’une histoire et d’une culture singulières (englobant
les religions, mais aussi les langues, les valeurs, les coutumes, etc.) soient pleinement reconnues
(4), la première finalité est constituée par la reconnaissance de l’autre, « indissociable de la
connaissance de soi, elle est liée au principe selon lequel toutes les personnes sont égales en
valeur et en dignité » (5). La seconde finalité est celle de la poursuite du bien commun, qui
« renvoie à trois actions principales : la recherche de valeurs communes avec les autres ; la valorisation de projets qui favorisent le vivre-ensemble ; et la promotion des principes et des idéaux
démocratiques de la société québécoise » (6). S’exprime ici un projet politique qui cherche à
promouvoir l’appropriation par les jeunes d’une culture publique commune, définie comme « le
partage des repères fondamentaux qui sous-tendent la vie publique au Québec » que sont les
« règles de base de la sociabilité et de la vie en commun ainsi que les principes et valeurs inscrits
dans la Charte des droits et libertés de la personne » (7), le désir de construire un espace commun, au-delà des différences et des intérêts particuliers, et de rechercher des valeurs partagées
par tous, dans une volonté de concilier le soi, l’autre et le nous. Ces deux finalités ont pour but
de contribuer à la promotion d’un meilleur « vivre-ensemble », aussi bien maintenant, comme
élève dans l’espace de la classe, que plus tard, comme citoyen dans la société.
Dans la perspective de la pédagogie socioconstructiviste de l’école québécoise où les
élèves sont amenés à construire et à approfondir leurs savoirs, ceux-ci doivent développer trois
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grandes compétences : réfléchir sur des enjeux éthiques ; manifester une compréhension du
phénomène religieux ; pratiquer le dialogue.
La formation en éthique permet aux élèves d’examiner la signification de différentes
conduites humaines ainsi que les valeurs et les normes sur lesquelles ces conduites s’appuient,
de même que les valeurs à favoriser par les membres d’une société dans la perspective du bien
commun. Tout en cherchant à former des individus autonomes, capables d’exercer leur jugement critique, cette formation a aussi pour objectif de contribuer au dialogue et au vivreensemble dans une société pluraliste. Il ne s’agit donc pas d’inculquer une morale particulière, ni
de proposer ou d’imposer des règles morales.
Les questions éthiques sont abordées à partir de situations qui impliquent des tensions
ou des conflits de valeurs ou de normes. Elles peuvent concerner le partage de la richesse entre
les peuples ou bien la protection de l’environnement ou encore des thèmes universels comme le
bonheur, la liberté ou la justice. À partir de représentations différentes du monde et de l’être
humain, la réflexion sur des enjeux éthiques met en situation des opinions divergentes. Les élèves doivent alors être capables d’analyser les différents points de vue en présence, de déceler
les principaux repères d’ordre culturel, moral, religieux, scientifique ou social sur lesquels ces
points de vue s’appuient, d’évaluer les effets des options ou des actions possibles dans la situation éthique examinée.
La formation en culture religieuse vise, quant à elle, à permettre aux élèves de connaître
et de comprendre diverses expressions du religieux, à travers le temps et l’espace, en expliquant
leur signification et leur fonction, les univers socioculturels dans lesquels ces expressions s’enracinent et évoluent, que ce soit au Québec ou ailleurs dans le monde, et la façon dont elles sont
des réalités culturelles vivantes. La compétence « manifester une compréhension du phénomène religieux » permet donc de décoder et de comprendre les signes du religieux, selon une approche culturelle, en privilégiant la culture québécoise, marquée par le catholicisme et le protestantisme, sans oublier la part jouée par le judaïsme et les spiritualités des peuples autochtones
dans l’histoire du Québec. L’ouverture à la diversité religieuse se traduit par la prise en compte
de l’islam, de l’hindouisme et du bouddhisme. Les représentations séculières du monde et de
l’être humain, qui entendent définir le sens et la valeur de l’expérience humaine en dehors des
croyances et des adhésions religieuses, sont également abordées. Les récits, les rites et les règles
ou normes de vie constituent les principaux aspects examinés des religions.
Les élèves doivent donc être capables d’analyser des expressions du religieux, d’établir
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des liens entre ces expressions du religieux et leur environnement social et culturel, et enfin,
d’examiner une diversité de façons de penser, d’être et d’agir, aussi bien au sein d’une même
tradition, qu’entre religions et courants séculiers.
Enfin, la troisième compétence que les élèves développent dans le cadre du programme
d’éthique et culture religieuse est celle de la pratique du dialogue. En effet, ils doivent être capables de mener à bien une démarche réflexive afin d’organiser leur pensée, d’exprimer leur point
de vue en s’appuyant sur des raisons ou des arguments pertinents et cohérents, mais aussi d’être attentifs à celui des autres dans une dynamique d’interaction avec l’ensemble des élèves.
Pour cela, les élèves se familiarisent avec les différentes formes du dialogue, les moyens pour
élaborer son point de vue et interroger celui de l’autre, ainsi qu’avec les procédés susceptibles
d’entraver le dialogue afin d’être capable de les éviter dans les échanges et de favoriser ainsi un
dialogue serein et respectueux. Le but de la pratique du dialogue est de « développer chez les
élèves des aptitudes leur permettant de penser et d’agir de façon responsable par rapport à euxmêmes et à autrui, tout en tenant compte de l’effet de leurs actions sur le vivre-ensemble » (8).
Défis, résistances et contestations
La nouvelle posture professionnelle attendue des enseignants d’éthique et culture religieuse constitue certainement un défi important. En effet, si l’enseignant accompagne et guide
ses élèves aussi bien dans leur réflexion éthique que dans leur découverte et leur compréhension des phénomènes religieux, tout en respectant leur liberté de conscience et de religion, il
doit s’abstenir de donner son point de vue afin de ne pas influencer les élèves dans la construction de leur opinion ; il est tenu de « faire preuve d’un jugement professionnel empreint d’objectivité et d’impartialité » (9). Ce dernier point ne va pas sans susciter quelques interrogations,
voire même des résistances, certains s’interrogeant sur la possibilité de présenter les religions de
l’extérieur, sans prendre parti. Ce changement de posture est plus difficile pour des enseignants
déjà en activité, pour lesquels elles constitue une nouveauté, d’autant plus quand ils étaient,
auparavant, en charge d’un enseignement confessionnel. Une bonne formation tant sur les
contenus que sur les méthodes appropriées, en particulier en matière de culture religieuse, est
indispensable pour être à même de présenter, même succinctement, les différentes traditions
religieuses.
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Cependant, le programme ECR fait l’objet, depuis son implantation, d’un certain nombre
de critiques, voire de contestations, qu’on peut organiser autour de trois types d’arguments, et
qui témoignent surtout de résistances à un enseignement culturel des religions. Le premier argument, avancé principalement par des parents catholiques s’étant engagés dans une démarche
de contestation juridique, est double : d’une part, le cours ECR porte atteinte à leur liberté de
conscience et de religion, car il interfère dans leur capacité à transmettre leur foi à leurs enfants
en exposant ces derniers à la diversité religieuse, d’autre part, cet enseignement est relativiste,
tant sur le plan moral que religieux, puisqu’il ne favorise pas un point de vue en particulier. L’accusation d’atteinte à la liberté de conscience et de religion a été rejetée tant par le tribunal de
première instance que par la Cour suprême du Canada, cette dernière ayant même souligné
combien il était nécessaire d'apprendre aux jeunes à connaître et respecter la diversité des
convictions. Une seconde critique, émanant du Mouvement laïque québécois, considère au
contraire que le programme ECR fait l’apologie des religions, de façon plus ou moins déguisée
sous une pseudo-approche culturelle, et manipule ainsi les esprits des jeunes au risque de les
endoctriner. Enfin, une troisième critique juge que le programme ECR est un avatar du multiculturalisme canadien, conçu pour faire la promotion des accommodements raisonnables et du
pluralisme, au détriment de la culture nationale québécoise.
On voit donc combien le programme ECR bouleverse aussi bien des pratiques enseignantes que des représentations de l’éthique et de la religion et de la place que celles-ci devraient
occuper dans l’espace scolaire. Particulièrement ambitieux en termes de contenus et de finalités
philosophiques et politiques, et témoignant de grandes qualités intellectuelles, culturelles, éthiques et civiques, ce nouveau programme a besoin, comme tout changement éducatif, de temps
pour pouvoir s’implanter solidement et le cas échéant, être bonifié au fur et à mesure de l’usage
qui en sera fait.
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NOTES
Pour plus de détails, voir de Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre, Le programme d’éthique et culture religieuse. De
l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec, Presses de l’Université Laval, 2012.
1. Jean Baubérot et Micheline Milot, Laïcités sans frontières, Paris : Le Seuil, 2011, « Introduction » p. 7-8. Voir également le chapitre intitulé « Les principes fondamentaux de la laïcité », p. 75-81.
2. Jean-Pierre Proulx, Groupe de travail sur la place de la religion à l’école, Laïcité et religions. Perspective nouvelle
pour l’école québécoise, Gouvernement du Québec : Ministère de l’éducation, 1999, pp. 251-252.
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
3. Gouvernement du Québec, La mise en place d’un programme d’éthique et de culture religieuse. Une orientation
d’avenir pour tous les jeunes du Québec, Québec : Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005, p. 12.
4.
Voir Charles Taylor, Multiculturalisme. Différence et démocratie. Paris, Flammarion, 2001.
5. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Programme de formation de l’école québécoise. Éthique et culture
religieuse, Québec, Gouvernement du Québec, Mise à jour 2008, p. 500.
6.
Ibid.
7.
Ibid.
8.
Ibid., p. 8.
9.
Programme d’éthique et culture religieuse. op. cit., p. 25.
* * *
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
L’INTRODUCTION DE LA MORALE LAIQUE A L’ECOLE
Contribution de la ligue de l’enseignement suite à l’audition de ses représentants par la mission du Ministère de l’Education nationale le 3 décembre 2012
___________________________
L
a ligue de l’enseignement soutient l’initiative du Ministre de l’Education Nationale, Vincent
Peillon, d’enseigner la morale laïque à l’Ecole car il est urgent, comme il le dit, de « rebâtir du
commun ». La formule peut être contestée – on pourrait dire enseignement laïque de la morale
ou préférer le terme d’éthique – mais « la morale laïque » a l’avantage de renvoyer à une page
importante de notre histoire au moment où la République s’est pérennisée et a établi la démocratie.
Il ne s’agit pas pour autant d’une nostalgie envers la « Foi laïque » de Ferdinand Buisson car le
cadre dans lequel se pose la question de la recherche du commun est radicalement nouveau.
Une série d'évolutions contribuent, en effet, à fabriquer le contexte d'incertitude, de complexité
et d'instabilité justifiant la recherche des meilleures conditions pour vivre bien ensemble :
·
Dans une société brutale, connaissant les difficultés d’emploi et la précarisation, proposer un travail sur des exigences communes est une mesure positive pour les familles
voulant éviter les risques et tentations dangereuses encourus par leurs enfants ou pour
celles inquiètes des phénomènes d’incivilités et de violences. Mais, si la recherche d’une
morale se justifie ce n'est pas simplement au motif que le vivre ensemble est chahuté
par les incivilités, elle est aussi indispensable pour toutes les familles qui attendent de
l’école publique un rôle actif d’éducation civique.
·
L’extension du domaine des connaissances, de leur production et de leur diffusion, celui
des valeurs et des représentations, ainsi que celui des responsabilités humaines relativisent les institutions qui s'étaient vues confier la mission de distinguer et de transmettre
celles qui étaient considérées comme les plus légitimes. L’omni présence des sollicitations médiatiques et publicitaires conduit beaucoup de jeunes à céder au désir immédiat
sans référence à la demande ou aux choix différents des autres.
·
La diversification des constructions identitaires, des situations individuelles, des représentations, des références (la diversité des formes familiales et des conditions sociales,
la dimension multiculturelle de la France), entraîne trop souvent des oppositions à défaut de savoir inventer les conditions de leur compréhension réciproque et de leur commune contribution au « vivre ensemble ».
·
La multiplication des lieux de décisions politiques juridiques ou administratives repose la
question de l’articulation des convictions de chacun avec leur traduction politique, ainsi
que des lieux dans lesquels chacun peut individuellement ou collectivement faire l'expé-
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rience du pouvoir, de sa délégation comme de son exercice (en particulier par la multiplication des niveaux de la délibération et de la décision politiques, Europe, Nation, collectivités territoriales).
·
La « démocratie de consentement », nourrie de l'individualisme, amène à faire la preuve
constante du bien fondé d'une politique, d'une norme, d'une valeur, notamment en associant les personnes concernées au moment de leur élaboration (ce n'est pas juste parce c’est la loi, c’est la loi parce c’est juste).
Ces transformations obligent à repenser la dialectique entre individu et collectif, entre identités
et commun. Elles ont pour conséquence de repenser en permanence « la boussole éducative »
que les éducateurs, à l’Ecole, dans la famille, dans les associations et les institutions ont la mission de construire et les incite à coopérer dans l’élaboration des cadres de références cohérents.
Aussi, si nous sommes favorables à l’initiative du Ministre, des précautions doivent être prises.
Dans notre République la morale est forcément laïque, mais elle doit laisser ouvertes toutes les
réponses au sens que chacun donne à sa vie, non pas dans une perspective où tout se vaut, tout
est égal, mais dans la quête d’une société où chacun puisse vivre selon ses propres valeurs dans
le respect des autres. Si la République repose sur des principes, admis de tous, elle n’impose pas
que chacun renonce à ses valeurs. Ainsi, la morale laïque à enseigner n'est pas le produit d’un
combat, elle favorise l'ouverture d'un dialogue. Par conséquent, il ne s’agit pas de « faire la morale aux enfants » ou de les inciter à se conformer dans leur vie à une morale particulière, encore moins de se heurter à la sphère privée des familles ou aux morales convictionnelles. Cet enseignement doit relier des situations vécues avec des principes généraux. Aussi, le Ministère de l’Education nationale devra connaître et reconnaître les expériences déjà conduites par nombre
d’éducateurs et s'appuyer sur elles pour développer une mise en circulation et une réflexion
commune.
Besoin d’un enseignement de la morale à l’Ecole
Dans la mesure où la société laïque doit chercher sa cohésion dans des repères communs et
dans la reconnaissance simultanée de la diversité des cultures et de l’unité de la condition humaine, il est indispensable d’inventorier et d’approfondir les valeurs, les attitudes et comportements qu’un maximum de citoyens partage pour éviter que la vie sociale ne se dégrade en cynisme voire en déchainement de violence. Tel est le sens que revêt aujourd’hui la nécessité de
contribuer à forger un citoyen démocratique.
Cet aspect du nécessaire enseignement de la morale laïque est déjà présent de manière implicite
dans la réflexion sur les droits de l’homme, dans les cursus concernant la citoyenneté. Mais la
solidité de cette réflexion sera renforcée en s’adossant à une réflexion éthique. Il en va de même
de toute l’initiation à la citoyenneté qui sera d’autant mieux assumée qu’elle pourra s’appuyer
sur une culture éthique personnelle.
Cela implique une élucidation de la question des valeurs et une maitrise du vocabulaire. Elle passe notamment par des échanges, des dialogues, des lectures empruntées à la littérature et à la
philosophie, par des études de cas et des débats sur la base du rappel de quelques exigences :
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Quelques exigences :
·
L’Ecole ne peut seule résoudre les problèmes de société et on ne peut « faire la morale »
à l’école si les porteurs de la légitimité politique, sociale ou culturelle leur permettant
d’exprimer les principes qui fondent le pacte social ne prennent pas la précaution de
balayer devant leur porte. Pour autant, l’Ecole doit promouvoir une éducation à l’hospitalité et à l’accueil par la pratique qui suppose que toutes nos institutions se présentent
aux jeunes et à leurs familles en s’expliquant sur leurs finalités, leur organisation, leurs
règles, leur fonctionnement, leur volonté d’assurer l’égalité des droits…à l’éducation en
particulier et n’affirment plus, sans autre preuve que leurs discours, leur légitimité.
·
L’Ecole doit être exemplaire car elle ne peut enseigner l’accueil si elle n’est pas ellemême hospitalière, ce qui suppose de traquer en son sein tout ce qui contredit les principes républicains. Ainsi, la démocratie et la citoyenneté doivent être mises en œuvre
dans les établissements scolaires et le comportement des enseignants doit garantir que
soit assuré le respect de tous.
·
L’Ecole doit faire de l’éducation contre tous les préjugés une ligne de force commune ne
s’en tenant pas à l’apparence de valeurs partagées, à l’uniformisation médiatique des
goûts qui masquent de profondes disparités entre les croyances et les mentalités. L’Ecole doit explorer tous les aspects de la culture indispensable à une citoyenneté démocratique qui suppose de la considérer comme un lieu d’apprentissage de droits et d’obligations réciproques, de construction de la parole et de l’argumentation et de reconnaître
la personne de l’élève.
·
L’Ecole doit s’attacher à faire émerger dans les cultures particulières la part d’universel,
aussi petite soit-elle, qui donne la chance à tout individu de se relier et de se confronter
à l’Autre. Elle permet ainsi aux enfants et aux jeunes d’entrer dans des rapports de compréhension mutuelle et de coopération, et de s’inscrire dans une histoire et un projet.
Elle doit promouvoir une éducation à la diversité culturelle qui prend en compte la culture de chacun, celle des parents, celle de son environnement social et des médias, non
pour s’y complaire mais pour les élucider. Elle doit respecter la pluralité des conceptions
philosophiques et des croyances dans un cadre laïque, permettant aux personnes d’accepter de concéder de leur propre culture la part nécessaire pour vivre intelligemment
avec d’autres sans pour autant renoncer à l’essentiel.
·
L’Ecole doit organiser :
 l’éducation à l’épanouissement personnel, constitutif de l’estime de soi, de la
découverte et de l’usage de ses sens, de son corps, de ses sensibilités et visant
l’autonomie intellectuelle par le travail personnel et collectif,
 l’éducation à l’égalité hommes / femmes, comme valeur fondamentale et comme pratique, qui passe notamment par le rappel des combats qui ont été menés et le sont encore pour parvenir à cette fin,

l’éducation à la solidarité par l’ouverture au monde et aux autres, par la prise
en compte des injustices et de la détresse, par l’entrée dans la mémoire des
conquêtes démocratiques et sociales, rappelant qu’elles sont le fruit de l’engagement des générations qui se succèdent,
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

l’éducation à l’exercice de la citoyenneté, par l’éducation civique assumée par
toute l’équipe éducative de l’Ecole, par l’exemplarité du fonctionnement démocratique des institutions, dont l’Ecole et les associations, et par l’accès au droit.
·
L’enseignement de la morale à l'Ecole impose d’appréhender trois domaines souvent
confondus car cette confusion arrange beaucoup de monde, notamment les adultes :
 la civilité : comment connaître et utiliser les codes sociaux et habitudes dont la
société s'est dotée pour avoir des relations sociales apaisées ? Ce qui n'interdit
pas de vouloir en changer,
 le civisme : comment avoir conscience de son appartenance à la collectivité humaine, en particulier par le biais de la communauté nationale et aux responsabilités qu’impose cette appartenance ?
 la citoyenneté : comment exercer le pouvoir de fabriquer le « commun » dans la
cité et d’agir avec d’autres ?
·
Cet enseignement de la morale concerne naturellement les établissements privés. Tant
que perdure le dualisme scolaire au détriment d’une préparation commune de tous les
élèves à la coexistence non choisie qui est le défi quotidien que nous réserve la diversité
de notre société, il faut au moins que soient respectés les engagements fixés par la loi
Debré. En 1959, cette loi a justifié un financement public des établissements privés en
contrepartie de leur concours à la mission de l’Etat. De ce fait, il est essentiel de rappeler
que ces établissements privés sous contrat doivent respecter les devoirs et obligations
des Etablissements publics, répondre à un besoin scolaire reconnu et respecter la liberté
de conscience des enfants accueillis. La morale laïque doit donc y être enseignée dans
les mêmes conditions que dans l’enseignement public. Il ne serait pas acceptable, qu’au
nom « d’un caractère propre », soit développé un prosélytisme religieux dans l’enseignement.
Comment enseigner la morale à l’Ecole
L’Ecole est le lieu et le temps où s’apprend, par la raison, la critique des faits et la connaissance
des œuvres par l’art de la démonstration, de l’expérimentation scientifique et technique. Par ces
apprentissages qu’elle permet et par l’accès aux savoirs qu’elle construit, l’Ecole a pour mission
de favoriser la socialisation et donc de faire partager aux enfants et aux jeunes les valeurs de la
République : celles de la citoyenneté démocratique. C’est une mission essentielle à l’intégration
sociale, culturelle et civique de toutes et tous et afin de construire les conditions du vivre ensemble. La morale laïque ne s’élabore pas dans le confort d’un dogme partagé par des dévots, elle
trouve sa source et plonge ses racines au plus profond de la société et s’alimente et s’enrichit de
la décision des hommes de définir des principes dont le partage vise à faire que leur coexistence
ne se résume pas en une simple cohabitation. Il appartient donc à tous les citoyens de fonder
cette morale commune. C’est cette fondation plurielle qui s’épanouit dans la définition de valeurs partagées, la conquête des libertés, la promotion les solidarités collectives, qui lie progrès
scientifique et technique et progrès social, progrès et principe de précaution.
Il ne s'agit donc pas d'enseigner un contenu moral mais de prendre appui sur les principes ancrés
dans les déclarations de droit auxquelles renvoie le préambule de la Constitution de 1958, sans
rien ignorer de la teneur des textes déclaratoires européens ou de portée internationale. La refondation de l’Ecole et la volonté de redonner toute sa place à la pédagogie ouvrent des voies
nouvelles confortant un enseignement de la morale dont le contenu devra être précisé par le
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
futur Conseil National des Programmes dans le cadre de la réforme envisagée des programmes
sur la base de quelques orientations.
Quelques orientations :
·
Transmettre l’idéal laïque. Les stipulations juridiques, législatives, réglementaires ou résultant d’instructions ou de circulaires qui encadrent et déterminent les fonctions de
l'Éducation nationale indiquent que la mission des professeurs est d'instruire et de transmettre les valeurs de la République, notamment l'idéal laïque qui exclut toute discrimination de sexe, de culture ou de religion. La laïcité n'est pas la simple neutralité. Comme
l’écrivait Jean Jaurès, « la neutralité c'est une forme d'indifférence, il n'y a que le néant
qui soit neutre. Or, nous avons des valeurs. Il faut être capables de les défendre, de les
instruire, de les enseigner ». Aussi, la ligue de l’enseignement est d’accord avec la proposition du Ministre de l’Education nationale d’élaborer une charte de la laïcité dans les
établissements scolaires et donc d’écrire à destination des élèves un contenu de la laïcité et de la citoyenneté dans un langage compréhensible, avec des définitions simples. Il
faut construire un nouveau discours républicain porteur de sociabilité articulant droits et
devoirs. Une telle approche doit rendre compatible l’affirmation de l’égalité en droit et
en dignité des individus d’un côté avec, de l’autre, l’attention accordée aux singularités
ou aux différences. Il faut définir les contours d’un universalisme ouvert à la diversité, à
égale distance de l’universel abstrait et des tentations du relativisme organisé en système.
·
Faire de l’histoire de la condition humaine, de ses évolutions, des conquêtes qui ont permis ses progrès (libertés, protections collectives, solidarités,…) comme des abandons ou
évènements tragiques qui l’ont fait régresser, une ligne de force des enseignements et
un appui pour aborder l’importance des choix de vie et des comportements individuels
et collectifs. A partir du contexte social, il faut expliquer que la devise de la République
« Liberté, Egalité, Fraternité » est l’affirmation que ces valeurs doivent être vraies pour
que la République soit républicaine. Elles sont donc une construction permanente qui
s’enrichit des conquêtes nouvelles au gré des victoires que remportent les engagements
de ceux qui les partagent.
·
Intégrer cet enseignement dans une approche éducative plus large. Les enfants arrivent
à l’école avec des convictions, ils baignent dans les moyens modernes de communication
et ont à construire leur personnalité. A l’élève revêtu de l’uniforme de la raison universelle s’est substitué le jeune avec son sentiment singulier de lui même. Dès lors, l’Ecole
ne peut faire l’impasse sur la subjectivité, l’émotion, l’imagination, l’émancipation du
corps… On aurait tort de confondre ces attentes avec un enfermement individualiste,
mais on ne peut envisager une formation citoyenne sans les prendre en compte, sans
commencer par la reconnaissance des individus et des subjectivités dans une perspective émancipatrice. Le rationalisme laïque doit donc se réconcilier avec ces attentes qui
peuvent susciter des débats et exigent un minimum de distance critique. Pour cela l’enseignement de la morale doit concerner tous les âges et tous les enseignements. Elle
doit s'intégrer dans une approche éducative plus large incarnée par les projets éducatifs
de territoires. L’Ecole doit favoriser les échanges avec d’autres, la confrontation des
idées et des points de vue, à travers l’histoire, l’économie, la philosophie, l’enseignement du fait religieux ou l’éducation civique. Elle doit assurer la formation du sens critique et construire la capacité de prendre des décisions.
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·
Dégager des temps et des espaces. Pour ce faire, des cours spécifiques dispensés de façon « magistrale » ne sont pas la solution la plus appropriée, mais il est nécessaire en
revanche d’organiser des espaces de réflexion commune et des temps de présence obligatoire sur le temps scolaire. C'est l'affaire de tous les enseignants que d’organiser des
débats, d’aider à dégager le commun, l'universel, d’aborder les questions de société, de
se distancier par rapport aux évènements relatés par les médias, de s'ouvrir à l'ensemble
de la communauté éducative, dont les familles, de s’exprimer dans et hors temps scolaires pour que ce travail trouve sa cohérence dans tous les espaces et les temps du jeune.
Les adultes (enseignants, parents, animateurs) retrouveront ainsi du crédit auprès des
jeunes puisque participant à leurs côtés à cette construction sans porter des discours
formatés qu'ils ne suivent pas eux-mêmes. Si l’enseignement de la morale doit traverser
tous les temps, des moments sont à privilégier, notamment au collège, dans les Itinéraires de découverte, aux lycées en PPCP (projets pluridisciplinaires à caractère professionnel) et en TPE (travaux personnels encadrés), les heures de vie de classe et l'ECJS
(éducation civique, juridique et sociale) qu’il faut arrêter d’utiliser comme variable d’ajustement des disciplines et des cours non effectués. A l’école primaire on consacrera
des temps plus brefs mais réguliers ainsi que les pratiques coopératives à tous les niveaux, s'appuyant sur des situations vécues ou d'actualité de l'Ecole elle même, de son
territoire ou plus largement. Les activités périscolaires (culturelles et artistiques, sportives, solidaires, environnementales), la vie associative ou les classes de découverte …,
articulées au projet d’école ou d’établissements sont aussi des temps et des lieux
concourant utilement à un enseignement de la morale vécu à travers des pratiques collectives.
·
Elaborer le nécessaire référentiel pluridisciplinaire. La meilleure manière de garantir un
enseignement de la morale sans en faire une discipline spécifique est de promouvoir un
véritable référentiel. Dès les enseignements de l’école primaire puis pour chaque discipline dans le second degré, ce référentiel doit mettre la morale dans les lignes de force
que constitue l'apprentissage de la citoyenneté démocratique (y compris dans ses dimensions juridiques et de sciences sociales), l'histoire de la condition humaine (de ses
progrès comme de ses errements et régressions), et la reconnaissance de l'engagement
(ma liberté commence où commence celle des autres ... et non pas où elle finit ce que
l'Ecole s'est longtemps bornée à enseigner).
Cela suppose, pour l’Ecole primaire et le collège, dans la perspective de l’indispensable
refonte du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, que la question de la morale soit intégrée comme une dimension du projet d’école ou d’établissement, prise en charge par tous les enseignants sans exception et fasse l’objet d’une évaluation originale à chaque pallier retenu afin de faire le point sur les acquisitions. Si le
futur socle devait retenir à nouveau l’idée de piliers, pourquoi ne pas faire de l’éducation
à la citoyenneté démocratique et de la morale un de ses piliers ?
En continuité et en cohérence, toutes les disciplines du lycée dans les trois voies générales, technologiques et professionnelles doivent prendre en compte l’enseignement de la
morale, même si à ce niveau l’enseignement philosophique en permet l’approfondissement théorique et épistémologique. Cela suppose que tous les lycéens aient accès à cet
enseignement.
·
Promouvoir une pédagogie de l’implication. Dans tous les domaines et à tous les niveaux d’enseignement des démarches d’apprentissage reposant sur l’implication des
élèves et permettant ainsi de développer l’estime d’eux-mêmes, corrélative de l’estime
des autres et des cadres collectifs seront privilégiées.
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·
Mettre en place une évaluation adaptée. L’intégration de la morale dans les enseignements et pratiques de l'Ecole ne justifie pas une validation par les formes classiques d’évaluation, génératrices d’angoisse et inscrites dans la perspective d’une société libérale
avec la priorité donnée à la compétition entre les individus. Il n’y a pas de grille d’analyse
pour en mesurer l’efficience. Mais, s'il n'est pas possible d'évaluer la prise de conscience
civique et morale d'un individu (on ne peut pas dire à un élève : « tu as zéro en droits de
l'Homme »), il est possible d'évaluer la maîtrise de connaissances ou de définitions dont
la combinaison ou la confrontation donnent lieu à cette prise de conscience. L’évaluation doit donc être liée au référentiel pluridisciplinaire. Dans l’avenir, il sera possible d’évaluer également la capacité à réaliser des projets individuels et collectifs, à exercer des
responsabilités et à respecter ses engagements.
·
Transformer les collèges et les lycées en véritables « Maison des savoirs » sur leurs territoires. L’enseignement de la morale ne trouvera sa pleine légitimité que dans la transformation des établissements scolaires dont la mission ne peut être uniquement une fonction scolaire. C’est pourquoi, la ligue de l’enseignement propose leur transformation en
« Maison des savoirs » dont les missions, outre scolaires, seraient d’accueillir des activités de formation personnelle, citoyenne et professionnelle, des activités associatives
pour tous les habitants d’un territoire, de favoriser les pratiques intergénérationnelles,
les pratiques de solidarités locales, européennes et internationales et de produire de
l’information et des biens culturels et sociaux. Elles concrétiseraient ainsi la «dimension
indissociable du souci de soi et du souci des autres ». Elles seraient aussi l’occasion pour
les mouvements d’éducation populaire qui fondent leur action dans une relation particulière à l’Ecole de contribuer à l’indispensable éducation aux convictions dans un cadre
laïque : une démarche qui permet de construire, exprimer et mettre en débat les différents registres convictionnels sur lesquels les jeunes apprennent à construire leurs choix
et exprimer leurs idées.
Ainsi, une telle évolution des collèges et des lycées, conjuguant leur fonction scolaire
avec une dimension éducative pour les enfants et les jeunes et une ambition plus globale de formation humaine pour tous les âges, ’est une manière de mettre la morale, les
principes qui l’éclairent et les attitudes et choix qu’elle inspire, à l’épreuve du réel. C’est
une manière aussi de faire de la périphérie de l’Ecole et des activités qui l’irriguent, un
terrain particulier d’approche laïque de la morale afin qu’elle soit une responsabilité partagée de tous les éducateurs, dans le cadre formel de la scolarité, non formel des loisirs
éducatifs et informel de la famille et des activités entre pairs.
·
Jumeler les établissements scolaires avec les institutions publiques dans le cadre d'un
véritable travail culturel, de découverte (justice, sûreté, collectivités..) et dans le cadre
du Projet Educatif Territorial avec les services publics qui assurent l'accès aux biens communs et aux protections collectives (sécurité sociale, hôpitaux, transports publics, culture, maisons d'accueil du Handicap et des personnes âgées, services énergies, eau potable...)
·
Assurer l’indispensable formation des enseignants. Tout ce qui précède n’est possible
que si l’on repense la formation des enseignants. Elle ne doit pas être déconnectée de
celle des autres éducateurs. La formation professionnelle initiale et continue des enseignants devra permettre l’intervention de praticiens d’autres métiers de l’enfance, de la
jeunesse, de la justice, de la sécurité, de la culture, de la solidarité… Elle doit donner toute sa place, quelles que soient les disciplines enseignées et pour toutes les catégories
d’enseignants et d’éducateurs :
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
Aux finalités, à la capacité de développer des projets transversaux ou globaux.

A l’apprentissage du travail en équipe dans les établissements et du travail avec
les partenaires de l’Ecole.
En conclusion :
Nous vivons dans une société où « rebâtir du commun » est difficile, où les bouleversements
sont tels qu’on peut parler d’un changement de civilisation. Difficile, en effet, de désirer du commun quand la mondialisation étend le registre des valeurs et des références, quand les citoyens
ont une conscience plus grande des conséquences des progrès scientifiques et techniques,
quand les inégalités sociales s’étendent et que la pauvreté semble irréductible. Ces transformations obligent à repenser la dialectique entre individu et collectif, entre identités et commun et
exigent de repenser l’éducation à l’École, dans la famille, dans les associations et les institutions
qui doivent coopérer afin d’élaborer des cadres de références cohérents. Dans ce contexte,
transmettre les valeurs laïques est essentiel pour « faire société ensemble ». Mais cela suppose
que personne ne puisse ressentir la laïcité comme une pensée qui exclut, porteuse d’interdits,
mais qu’il soit, au contraire, clair pour tous qu’elle libère et offre des espaces de rencontres, de
dialogues, d'échanges et de débats favorisant les connaissances mutuelles d’où découlent des
règles librement consenties par l’ensemble, car réfléchies et construites collectivement. L’enseignement laïque de la morale permettra aussi que soit évitée la récupération de la laïcité par
ceux qui veulent l’instrumentaliser au service d’une vision racornie et christiano-centrée de l’identité nationale. Sur cette base, la ligue de l’enseignement est prête à s’engager et à apporter
son expérience.
Résolument laïque, la ligue de l’enseignement agit au quotidien pour faire vivre la citoyenneté en
favorisant l’accès de tous à l’éducation, à la culture, aux loisirs ou au sport. A travers la variété
de ses actions, l’éducation populaire permet en effet d’outiller chacun pour qu’il soit plus capable de comprendre le monde. Elle donne aussi à tous le goût du pouvoir collectif. A ce titre, elle
peut utilement contribuer à un enseignement de la morale qui se construit autour des questionnements que nous renvoie une société fracturée, multiple, traversée de revendications de reconnaissances et de tentations à l’irrédentisme culturel et cultuel, au sein de laquelle la question
sociale voisine la question laïque. Cet enseignement doit accepter de se déprendre des commodités universalistes qui nourrissent les nostalgies mais aussi des paresses identitaires qui fracturent les logiques de sociabilité. La morale laïque est moins faite pour être sue que pour être pratiquée au travers de véritables débats, c’est-à-dire d’échanges nécessairement non conclusifs
afin de promouvoir une morale qui soit à l’opposé de l’imposition d’une vérité unique mais qui
recherche des convergences fondées sur une écoute et un respect réciproques. « Au fracas des
arbres que l'on abat, préférons le silence des forêts qui poussent, la laïcité en sera le terreau fertile ! ».
*
*
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Eléments de bibliographie
Joël ROMAN
Joël Roman est rédacteur en chef de la revue Esprit et directeur de la collection "Pluriel". Agrégé
de philosophie, il est cofondateur du think tank Sauvons l’Europe.
Une morale laïque ? De la « leçon de morale » à l’examen des dilemmes moraux. Revue Esprit
Octobre 2012 - http://www.esprit.presse.fr/archive/review/article.php
la Revue ESPRIT propose d’autres analyses pour aborder les questions de l’enseignement de la
morale.
Guy COQ
Un retour de la morale à l’école. Revue Esprit, Juillet 2012
Jean-Louis SCHLEGEL
La laïcité irritée par la visibilité des religions. Revue Esprit, Mai 2011
Jean BAUBÉROT et Micheline MILOT
Les nouvelles donnes de la laïcité (entretien). Revue Esprit, Février 2011
Patrick CABANEL
Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Toulouse-Le Mirail
Histoire des religions et de la laïcité dans la France contemporaine (catholicisme, protestantisme,
judaïsme, laïcité)
Entre religions et laïcité : La voie française : XIXe-XXIe siècles. 20 septembre 2007.
Le Dieu de la République : Aux sources protestantes de la laïcité, 1860-1900. 15 mai 2003
Les mots de la laïcité. 9 décembre 2004.
IERS. Site source - http://www.iesr.ephe.sorbonne.fr/index3107.html
Enseigner le fait religieux. SCEREN - Bibliographie et bon de commande (SCEREN)
Mireille ESTIVALÈZES, Professeure agrégée, Université de Montréal Département de didactique
Les religions dans l’enseignement laïque. Site ressource :
http://www.ceetum.umontreal.ca/fr/membres/reguliers/fiche/membre/mireille.estivalezes/
Patrick LOOBUYCK, Correspondant de l'IESR en Belgique, a étudié les sciences des religions à l’Université catholique de Leuven et l’éthique à l’Université Ghent. Professeur au Centre Pieter Gil-
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lis de l'Université d’Antwerp (Anvers) et professeur invité à l'Université de Ghent. Ses recherches
portent sur le libéralisme, les rapports Églises et États, la religion dans la sphère publique, l'éducation religieuse, le multiculturalisme,
Publications E&D
http://www.educationetdevenir.fr/
Éthique et déontologie dans les métiers de l’éducation. Colloque2003.
Responsabiliser les élèves.
Apprendre et vivre la démocratie à l’école 1991
La déontologie dans l’Education nationale
La loi et l’école 1996
La ligue de l’enseignement
L’enseignement laïque de la morale : un pas essentiel de franchi . 26 avril 2013
http://www.laligue.org/lenseignement-laique-de-la-morale-pas-essentiel-de-franchi/
Les Cahiers pédagogiques
La laïcité à l’école aujourd’hui. N°431 - février 2005
http://www.cahiers-pedagogiques.com/No431-La-laicite-a-l-ecole-aujourd,1401
Débattre en classe . N°401 - - février 2002
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Esprit critique es-tu là ? N°386 - - septembre 2000
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Les Cahiers d’Éducation & Devenir - Numéro 20 – Décembre 2013
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