Thème 5 histoire – Les Français et la République Chapitre 1 – La République, trois républiques La France a connu un régime républicain de 1792 à 1804 et de 1848 à 1852. Mais ce n’est que dans les années 1880 que la République s’installe durablement au fur et à mesure de l’enracinement de la culture républicaine, c’est-à-dire du processus d’adhésion de la majorité des Français et des forces politiques au régime républicain. La crise des années 1930 fragilise cependant la IIIe République, qui s’effondre avec la défaite de 1940. Les forces politiques issues de la Résistance sont à l’origine de la IVe République en 1946 mais ce régime, fragilisé par son instabilité ministérielle, s’effondre en 1958. De Gaulle instaure alors une Ve République conforme à ses vues. I) L’enracinement de la culture républicaine (les décennies 1880 et 1890) La IIIe République est proclamée le 4 septembre 1870 par Léon Gambetta suite à la capitulation de Napoléon III contre la Prusse. Mais les élections législatives organisées en 1871 donnent la victoire aux monarchistes qui ont axé leur campagne sur la paix alors que les Républicains voulaient reprendre la guerre. De 1873 à 1876, le Président Mac-Mahon mène une politique favorable à la restauration de la monarchie, qui échoue cependant en raison de la division des monarchistes. Dans le même temps, les républicains parviennent, pour les législatives de 1876, à séduire les paysans et les classes moyennes. Mac-Mahon doit nommer un Président du Conseil républicain et lorsqu’en 1879 le Sénat devient républicain à son tour, il démissionne. Les Républicains peuvent désormais s’employer à renforcer le régime en mettant en avant un certain nombre de valeurs et de symboles. Comment la culture républicaine s’est-elle enracinée dans les années 1880 et comment a-t-elle surmonté les remises en cause des années 1890 ? 1) Comment la République s'enracine-t-elle dans les années 1880 ? a) Par l’affirmation du caractère démocratique du régime Transparent institutions 1875. Les institutions adoptées en 1875 établissent un régime démocratique (élection au suffrage universel direct des députés et au suffrage indirect des sénateurs et du Président de la République) et parlementaire (gouvernement responsable de sa politique devant le Parlement qui peut le renverser). Cependant, ces institutions portent la marque du compromis qu’il a fallu trouver avec les monarchistes : pour donner à Mac-Mahon la possibilité de contrôler le régime, ils imposèrent que le Président soit élu pour 7 ans et puisse dissoudre la Chambre des Députés. Mais en 1879, le Président républicain Jules Grévy déclare renoncer au droit de dissolution pour affirmer le caractère parlementaire du régime, un engagement tenu par tous ses successeurs. Et en 1884, une réforme constitutionnelle affirme que « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision ». Les républicains attachent aussi beaucoup d’importance aux symboles, empruntés surtout à la Révolution : le drapeau tricolore est bien sûr conservé, la Marseillaise devient l'hymne national en 1879. Marianne, coiffée du bonnet phrygien, est désormais présente dans chaque mairie, sur les pièces de monnaie… Elle personnifie à la fois la République et la liberté. La devise « Liberté, Egalité, Fraternité » est empruntée à la IIe République. Le 14 juillet devenu fête nationale en 1880 est le temps fort de cette culture républicaine. A mesure que les opposants à la République, monarchistes et bonapartistes, reculent dans la composition de la Chambre des Députés, plusieurs familles républicaines s’individualisent. Les deux principales sont les modérés ou opportunistes et les radicaux (Programmes modérés et radicaux) : - les modérés, du centre-droit, s’appuient sur l’électorat paysan et bourgeois plutôt conservateur donc ils sont souhaitent des réformes modérées et progressives. Leurs leaders dans les années 1880 sont Léon Gambetta puis Jules Ferry. Ils sont majoritaires à la Chambre des Députés de 1876 à 1902. - les radicaux, du centre-gauche, dont le leader est Georges Clemenceau, souhaitent des réformes rapides et fortes pour rendre la République plus démocratique, plus laïque et plus sociale. Ils gouverneront à partir de 1902. Modérés et radicaux partagent cependant l’idée que la République doit garantir les libertés. Ainsi, les libertés de presse, d’affichage et de réunion sont élargies en 1881. En 1884, les syndicats sont autorisés et les maires sont élus dans l’idée que la démocratie doit s’exercer d’abord à l’échelon local pour s’enraciner. Ils s’entendent aussi sur l’importance de l’école pour consolider le régime. b) Par l'école républicaine Jules Ferry fait voter deux lois scolaires : celle de 1881 rend gratuite l’école primaire publique ; celle de 1882 la rend obligatoire pour tous les enfants de 6 à 13 ans et laïque (l’instruction religieuse disparaît des programmes, les instituteurs sont obligatoirement laïcs en 1886). (Tableau lois scolaires) Depuis 1833, chaque commune devait avoir une école pour les garçons et depuis 1850 une pour les filles. Mais ces écoles n’étaient ni gratuites (sauf exception) ni obligatoires, si bien qu’en 1875, 20 % des Français et 30 % des Françaises étaient illettrés. Grâce aux lois Ferry, l’analphabétisme disparaît peu à peu mais au-delà de l’instruction, l’école de la IIIe République a d’autres objectifs (programme de 1882) : - faire des Français : jusqu’alors, l’usage du Français était loin d’être généralisé dans les régions rurales et périphériques. Au nom de l’unité de la République, les langues régionales, qualifiées de « patois », sont interdites à l’école. L’histoire et la géographie sont chargées de remplacer les cultures locales par une culture nationale : il est en effet essentiel que les enfants apprennent à « aimer » la France car ils doivent être prêts pour la « revanche » après la défaite de 1870. - faire des Républicains : l’histoire doit montrer que la République remplace avantageusement les régimes précédents, qu’elle incarne le « Progrès ». Elle est complétée par des cours d’instruction civique qui enseignent les valeurs du régime. - inculquer la notion de « mérite » : les leçons de morale enseignaient qu’en République, avec de l’instruction, de la discipline, du travail, de l’épargne, en bref du « mérite », il était possible à chacun de s’élever dans la société, alors qu’auparavant il fallait des conditions de naissance (sous l’Ancien Régime) ou de richesse (sous la monarchie constitutionnelle). Le fait que tout Français puisse, s’il le méritait, décrocher le certificat d’études à la fin de sa scolarité primaire était censé illustrer cette égalité des chances, même si l’accès aux études secondaires reste limité à une élite vu que les établissements sont rares et payants. A partir des années 1880, l'école contribue donc fortement à la naissance d'une culture républicaine, notamment dans le monde paysan qui se rallie encore plus volontiers au régime après le vote en 1892 de lois protectionnistes. Cela n'empêche pas l'éclatement de crises politiques dans les années 1880-1890. 2) Quelles crises ont menacé la République de 1886 à 1899 ? a) Des poussées d'antiparlementarisme L’antiparlementarisme est une remise en cause du système parlementaire considéré comme néfaste. Il apparaît à la fin des années 1880 lorsque la Grande Dépression provoque un mécontentement social et favorise l’instabilité ministérielle, perçue par certains comme un signe d’inefficacité gouvernementale et comme un facteur aggravant de la crise. La première manifestation de l’antiparlementarisme est la crise boulangiste (1886-1889). Le général Boulanger, nommé ministre de la Guerre en 1886, se rend populaire par des discours revanchards contre l’Allemagne. Il finit par provoquer un grave incident diplomatique qui lui coûte sa place de ministre. Mais cette éviction le pousse à jouer sa propre carte, avec succès : il est élu député dans tous les départements où ont lieu des élections suite à une démission ou un décès. Son programme se fonde sur le rejet du parlementarisme au profit d’un exécutif fort et d’une consultation directe du peuple par référendum : il a ainsi le soutien des bonapartistes dont il s’inspire, des monarchistes qui le soutiennent dans l’espoir qu’il renverse la République, et même de socialistes déçus par la lenteur des réformes sociales. En 1889, ses partisans le poussent à organiser un coup d'Etat mais il est finalement contraint à l’exil par le gouvernement qui le fait accuser de complot contre la sûreté de l'Etat. Le boulangisme s’éteint alors mais a révélé la facilité avec laquelle l’opinion pouvait basculer du côté de l’antiparlementarisme. Une deuxième forme d’antiparlementarisme se développe dans les années 1890 avec le courant anarchiste. (Affiche anarchiste). Comme les communistes, les anarchistes sont favorables à la suppression de la propriété privée mais ils rejettent également toute forme d'autorité étatique. Ils considèrent que les parlementaires, de tous les partis, ne font que défendre les intérêts de la bourgeoisie et du capital. Ils appellent à l'action violente contre l'Etat et organisent plusieurs attentats, notamment en 1893 (bombe à la Chambre des députés) et 1894 (assassinat du Président de la République Sadi Carnot). Cela entraîne l'adoption de lois appelées par les anarchistes « lois scélérates » car elles les visent en particulier (lutte contre la propagande anarchiste, arrestations préventives). Elles les poussent en tout cas à abandonner le terrorisme et à se fondre dans le syndicalisme révolutionnaire (naissance de la CGT en 1895). Mais la crise la plus grave éclate en 1898 : c’est l’Affaire Dreyfus. b) L'Affaire Dreyfus (1898-1899) Le capitaine Alfred Dreyfus, issu d'une famille juive d’Alsace, est condamné en 1894 au bagne à perpétuité pour avoir transmis des secrets militaires à l'Allemagne. « L'Affaire » éclate en 1898 lorsque le véritable coupable est démasqué mais aussitôt acquitté, un scandale révélé par Emile Zola dans son article « J'accuse ». La France se divise alors entre « dreyfusards » (convaincus de l'innocence de Dreyfus, ils réclament la révision de son procès) et « antidreyfusards » (convaincus de sa culpabilité, ils refusent la révision de son procès). Fiche : L'Affaire Dreyfus 1) Les antidreyfusards refusent la révision du procès pour préserver l'honneur de l'armée en ne revenant pas sur un jugement qu'elle a prononcé. A leurs yeux, cela est justifié par la raison d'Etat, c’est-à-dire l’idée que les intérêts nationaux (ici le prestige de l’armée qu’il ne faut pas risquer d’amoindrir avant que la France ait pris sa « revanche ») peuvent l'emporter sur les droits de l’homme. Surtout, les antidreyfusards sont antisémites et donc convaincus de la culpabilité du juif Dreyfus. 2) Les dreyfusards réclament la révision du procès au nom de la vérité, de la justice, de la liberté. Ils estiment que dans une démocratie le respect des droits de l’homme passe avant tout. 3) Au cours de l’Affaire, les gouvernements ont d’abord été antidreyfusards : mise à l’écart du chef des renseignements qui a découvert l’erreur judiciaire ; acquittement du véritable coupable ; procès et condamnation de Zola pour diffamation. Mais c’est le camp dreyfusard qui l’emporte en février 1899 : la mort du président de la République Félix Faure, antidreyfusard, permet l’élection d’Emile Loubet, dreyfusard. Il appelle à la Présidence du Conseil le modéré dreyfusard Pierre Waldeck-Rousseau, qui forme un gouvernement de « défense républicaine », c’est-à-dire constitué de ministres de différents partis mais tous dreyfusards. Ce nouveau gouvernement demande la révision du procès. 4) Ce deuxième procès se termine par une nouvelle condamnation de Dreyfus : en effet, il est de nouveau jugé par un tribunal militaire qui ne veut pas renier la décision de 1894 mais accorde des « circonstances atténuantes », manière de reconnaître que Dreyfus n’est pas coupable. En tout cas, cela ouvre la voie à une grâce présidentielle qui intervient quelques jours plus tard. Les autorités ont donc recherché un compromis entre les deux camps, qui réussit effectivement à calmer l’opinion. 5) L'Affaire Dreyfus a entraîné une recomposition du paysage politique français. Ainsi, les modérés se sont divisés entre une aile gauche dreyfusarde et une aile droite antidreyfusarde. Les partis de gauche ont désormais en commun la défense des droits de l’homme et reçoivent le soutien de nombreux intellectuels comme Zola. Les partis de droite sont au contraire attachés à la défense de la grandeur nationale et de l’armée. De plus, l’Affaire Dreyfus a donné naissance à une extrême-droite nationaliste et antisémite, constituée de ligues comme l’Action française. Malgré des remises en cause à sa gauche et à sa droite, la République apparaît solidement implantée au lendemain de l’Affaire Dreyfus, qui a favorisé l’arrivée au pouvoir des radicaux. Ceux-ci mènent à bien un projet qui leur tient à cœur, d’autant plus que de nombreuses personnalités catholiques ont pris position dans le camp antidreyfusard : la séparation de l’Eglise et de l’Etat, dernière étape de la politique laïque et anticléricale entreprise par les modérés dans les années 1880. II) Les combats de la Résistance (contre l’occupant nazi et le régime de Vichy) et la refondation républicaine Face à la débâcle de l’armée française en mai-juin 1940, le gouvernement se divise. Certains, comme le sous-secrétaire d’Etat à la guerre Charles de Gaulle, pensent qu’il faut continuer le combat en se repliant sur l’empire colonial. D’autres pensent qu’il faut demander l’armistice, comme le maréchal Pétain, le « héros de Verdun » âgé de 84 ans, qui avait été nommé vice-président du Conseil en mai pour rassurer les Français. Cette division est fatale au gouvernement Reynaud qui démissionne le 16 juin 1940. Pour lui succéder, le Président de la République choisit Pétain. Celui-ci annonce aux Français qu’il faut cesser le combat, ce que dénonce De Gaulle depuis Londres où il s’est exilé. Mais si un certain nombre de Français entendent son appel, la grande majorité fait confiance à Pétain, qui va diriger la France jusqu’en 1944. Quelles sont les caractéristiques du régime fondé par Pétain, et quel rôle la Résistance a-t-elle joué dans le rétablissement de la République ? 1) « L’Etat français » de Pétain ou « régime de Vichy » (1940-1944) a) L’effondrement de la IIIe République L’armistice signé le 22 juin 1940 fixe des conditions très dures (Carte France en 1940). L'Alsace et la Moselle sont annexées à l'Allemagne et la France est coupée en deux par la ligne de démarcation : la moitié nord et la façade atlantique sont occupées par l’armée allemande qui se voit reconnaître l’autorité sur l’administration française ; la moitié sud est dite « libre », c’est-àdire sous l'autorité du gouvernement français qui s'installe à Vichy. Les soldats capturés restent prisonniers, les autres sont démobilisés et le matériel militaire livré à l’Allemagne. Dans ses discours, Pétain présente comme responsable de ce désastre non pas l’état-major, mais la IIIe République toute entière, ce qui correspond alors à une opinion très répandue y compris dans la classe politique. Avec son principal soutien Pierre Laval, ancien Président du Conseil passé du socialisme à la droite, il entreprend de fonder un nouveau régime. Le 10 juillet 1940, il demande au Parlement les pleins pouvoirs, ce qu’accepte la grande majorité des députés. Il annonce la fin de la IIIe République et la naissance de « l’Etat français ». Le nouveau régime est une dictature : le gouvernement, dont Pierre Laval devient le chef, n’est responsable que devant Pétain. Celui-ci exerce le pouvoir législatif jusqu’à la formation de nouvelles assemblées qui ne verront jamais le jour. Une intense propagande diffuse les valeurs du nouveau régime, celles de la « révolution nationale » censée « régénérer la France ». b) La Révolution nationale (Transparent affiche Révolution nationale). Quelle vision de la IIIe République est donnée ? La « démocratie », avec son « Parlement » dont les députés touchent des « pots-de-vin » entraîne le « désordre » et la «démagogie». Le Front populaire a favorisé la « paresse » et « l’esprit de jouissance » avec ses réformes sociales au détriment du travail et de l’esprit de défense (« antimilitarisme »). Le « capitalisme » et la « spéculation » sont générateurs « d’égoïsme ». Et la France est affaiblie par « l’anti-France » : communisme, franc-maçonnerie, Juifs, étrangers. La ruine de la France résulterait de la démocratie, synonyme de désordre, du Front Populaire qui aurait conduit les Français à la paresse, et de l’action de « l’anti-France » : les Juifs, les francsmaçons, les communistes et les étrangers. Il faut donc reconstruire la France autour de la devise « Travail, Famille, Patrie » : - le travail : grève et syndicats sont interdits. La propagande valorise le paysan et l’artisan qui symbolisent plus que l’ouvrier les valeurs de la « vraie France ». - la famille : d’après Pétain, la défaite s’explique aussi par la faiblesse démographique. Il adopte donc une politique nataliste fondée sur une vision traditionaliste de la femme : divorce interdit avant trois ans de mariage, avortement passible de la peine de mort. La propagande invite les femmes à rester au foyer, célèbre les familles nombreuses et instaure la fête des mères. - la patrie : dans l’esprit de Pétain, il s’agit d’abord d’une société hiérarchisée derrière son chef, qui fait l’objet d’un véritable culte. Mais la renaissance de la patrie suppose aussi, pour Pétain, d’écarter les boucs-émissaires de la défaite : les partis politiques sont dissous ; les francs-maçons sont exclus de la fonction publique ; 15 000 étrangers naturalisés depuis 1927 doivent reprendre leur nationalité d’origine ; surtout, une politique antisémite est mise en place en collaboration avec l’Allemagne. c) La collaboration Elle débute après l’entrevue de Montoire avec Hitler en octobre 1940. D’après Pétain, la collaboration devait réduire la dureté de l’occupation puisque la France se mettait au service de l’Allemagne. Et après la victoire du Reich, cette loyauté devait permettre à la France d’obtenir une place de choix dans le « nouvel ordre européen ». Sur le plan politique, la collaboration consiste à lutter contre les opposants au nazisme. Elle correspond à la lutte contre l’antiFrance et vise en particulier les Juifs. L’Etat français établit de sa propre initiative une politique discriminatoire avant de participer à la déportation sous les ordres des nazis. Les Juifs sont mis à l’écart avec le « statut des Juifs » du 3 octobre 1940 qui s’appuie sur les mêmes critères que les lois de Nuremberg et les exclut de nombreuses professions. En 1941 est décrétée l’aryanisation des entreprises appartenant à des Juifs. A partir de 1942, la police française procède aux rafles comme celle du Vél’d’Hiv à Paris en juillet 1942 : 13 000 Juifs sont parqués au Vélodrome d’Hiver et dans les camps de transit de région parisienne, d’où ils partent vers Auschwitz. Au total, 76 000 Juifs de France (1/4) ont été déportés. Sur le plan économique, la collaboration consiste à soutenir l’effort de guerre allemand. Les entreprises sont autorisées à vendre à l’Allemagne, ce que de nombreux patrons acceptent, soit par intérêt soit pour assurer la survie de leur entreprise. La France doit livrer à l’Allemagne une part importante de ses produits alimentaires et énergétiques, ce qui entraîne des pénuries. Le gouvernement français répond également aux besoins de main d’œuvre du Reich, d’abord par une campagne de propagande qui permet de recruter 240 000 ouvriers, puis en 1943 par le STO qui impose à tous les jeunes hommes de 20 à 23 ans de partir travailler dans les usines allemandes (650 000 ouvriers). On estime que 2 % des Français ont été des « collabos », soutenant les nazis par intérêt ou par conviction ; à l’opposé, 2 % se sont engagés dans la Résistance. L’immense majorité des Français s’est donc montrée attentiste, soutenant rarement la collaboration mais continuant pour beaucoup à faire confiance au héros de Verdun. La Résistance, malgré ses faibles effectifs, n’en a pas moins joué un rôle majeur tant pour la libération du territoire que pour la survie de l’idéal républicain. 2) La Résistance (1940-1944) a) Naissance et développement de la Résistance L’appel lancé par de Gaulle à la BBC le 18 juin 1940 est considéré comme l’acte fondateur de la Résistance. Il dénonce l’armistice et invite à continuer le combat aux côtés des Alliés. La Résistance consiste donc à lutter à la fois contre l’occupation et contre la collaboration. Elle naît à l’été 1940 sous deux formes : - la Résistance extérieure ou « France libre » ou « Forces Françaises Libres » (FFL) dirigées par De Gaulle. Les 7000 premiers FFL font partie des 100 000 soldats évacués de Dunkerque vers l’Angleterre en mai 1940. Leur effectif atteindra 260 000 hommes suite au ralliement des troupes stationnées dans les colonies. - La Résistance intérieure dont les effectifs augmentent peu à peu. En 1941, l’entrée en guerre de l’URSS aux côtés des Alliés pousse les communistes à rejoindre la Résistance. En 1942, les premières rafles antisémites accélèrent l’entrée en Résistance de nombreux Juifs, ainsi que de Français indignés par ces persécutions. En 1943, l’instauration du STO pousse de nombreux jeunes hommes à « prendre le maquis », c'est-à-dire à se réfugier et à se regrouper dans des régions difficiles d’accès. b) L’action de la Résistance Les FFL participent aux combats aux côtés des Alliés, notamment aux débarquements d’Italie en 1943 et de Provence en 1944, ainsi qu’aux combats de la Libération : c’est la 2e DB du général Leclerc qui entre en premier dans Paris le 24 août 1944. Les FFL participent enfin à l’invasion de l’Allemagne en 1945. L’action de la Résistance intérieure fut longtemps limitée par sa division car les résistants venaient d’horizons politiques divers : les communistes et les socialistes étaient majoritaires mais il y avait également des hommes de droite. C’est par l’intermédiaire de Jean Moulin, préfet révoqué par Vichy qui rejoint Londres en 1941, que De Gaulle parvient à unir peu à peu les différents mouvements. En 1943, Jean Moulin réunit clandestinement leurs délégués en un Conseil National de la Résistance (CNR) qui adopte un programme commun. Cette coordination rend plus efficaces les actions entreprises par les mouvements, réseaux et maquis : - les mouvements cherchent à mobiliser la population par des tracts puis des journaux clandestins comme « Libération ». - les réseaux mènent des actions de nature militaire : missions de renseignement pour les bombardements et les débarquements alliés, sabotage de lignes téléphoniques, de routes et de voies ferrées, filières d’évasion pour les pilotes anglais ou les résistants. - au moment de la Libération, les maquisards à qui des avions alliés parachutent des armes mènent des actions de guérilla et libèrent le Sud-Ouest par leurs propres moyens. 3) La refondation républicaine (1944-1946) a) Le rétablissement de l’ordre républicain à la Libération Le régime de Vichy s’effondre le 20 août 1944, lorsqu’un commando SS emmène Pétain pour le protéger en Allemagne. C’est désormais De Gaulle, qui a fondé le GPRF en mars 1944, qui a autorité sur la France libérée. Cette transition politique n’était pas évidente aux yeux des Américains qui envisageaient de placer la France sous administration militaire le temps de renouveler son personnel politique et administratif. Mais De Gaulle parvient, avec l’appui de Churchill, à faire prévaloir une vision différente, résumée dans son discours du 25 août 1944 : (Discours du 25 août 1944) il affirme que Paris s’est « libéré par son peuple avec le concours de la France tout entière ». C’est le début du mythe résistancialiste selon lequel les Français étaient presque tous résistants, vision remise en cause seulement dans les années 1970. La première décision du GPRF est de déclarer « nulles et sans effet » les lois promulguées par le régime de Vichy. Les libertés sont rétablies et le droit de vote est accordé aux Françaises. Des commissaires de la République sont nommés dans chaque région pour remplacer les préfets de Vichy. L’Etat organise également l’épuration, c’est-à-dire le processus visant à punir les collaborateurs. A l’été 1944, celle-ci a d’abord été spontanée : des tribunaux improvisés s’en prennent à des collaborateurs et à des femmes accusées de relations avec l’occupant ; ils subissent des châtiments humiliants (femmes tondues), des exécutions sommaires. L’Etat cherche donc à la remplacer par une épuration légale, menée par des cours de justice spéciales. Pétain est ainsi condamné à mort en 1945 puis sa peine est commuée en détention à vie, Laval est exécuté ; 125 000 Français sont jugés, 38 000 sont emprisonnés et 767 exécutés. b) De grandes réformes économiques et sociales Conformément au programme du CNR adopté en mars 1944, le GPRF lance de grandes réformes. La nécessité de reconstruire le pays justifie des mesures dirigistes, c’est-à-dire que l’Etat intervient dans l’économie : d’une part avec le plan (planification non pas impérative comme en URSS mais seulement indicative pour définir les objectifs à atteindre en 5 ans) ; d’autre part avec des nationalisations dans les secteurs-clés de l’économie (énergie, transports, banques, assurances). Les Résistants s’accordaient également sur la nécessité d’un Etatprovidence. C’est pourquoi le GPRF crée en 1945 la Sécurité sociale qui prend en charge l’assurance maladie, les allocations familiales, les accidents du travail et généralise le système de retraites. Le Préambule de la Constitution de 1946 reconnaît l’intangibilité de ces droits sociaux, de même que l’égalité des droits entre hommes et femmes, et réaffirme les libertés de 1789 remises en cause par le régime de Vichy. Mais si le principe d’un régime démocratique et social fait consensus au lendemain de la guerre, le choix des institutions est beaucoup plus difficile. c) La naissance de la IVe République En 1945, le GPRF consulte les Français par référendum sur les institutions : 96 % refusent le retour à la IIIe République et se prononcent pour la désignation d’une Assemblée constituante. Le résultat de ces élections témoigne de la recomposition des forces politiques puisque les partis qui se sont engagés dans la résistance dominent largement : le PCF (communistes), la SFIO (socialistes) et le MRP (parti de centre-droit né en 1944). Les partis de droite trop impliqués dans le régime de Vichy sont marginalisés. La majorité des députés est favorable à un pouvoir législatif fort pour éviter tout risque de pouvoir personnel et autoritaire. De Gaulle est au contraire favorable à un régime où le Président de la République aurait un rôle prééminent comme arbitre et garant de l’intérêt national. Ce désaccord le conduit à démissionner en janvier 1946. Un premier projet de Constitution instaurant un régime d’assemblée (pouvoir exécutif soumis à une assemblée unique) est rejeté par référendum. Un nouveau projet, instaurant un régime parlementaire à deux assemblées plus conforme aux aspirations du centre et de la droite, est adopté avec 53 % de oui en octobre 1946. La IVe République est née mais ses institutions sont très proches de la IIIe République (schémas IIIe/IVe) et, comme le craignait De Gaulle, elle ne parvient pas à éviter l’instabilité ministérielle : entre 1946 et 1958, 23 gouvernements se succèdent. En effet, les députés sont élus au scrutin proportionnel (nombre d’élus selon le nombre de voix obtenues) qui permet certes une représentation fidèle de l’opinion mais entraîne la multiplication des petits partis qui doivent s’allier pour former une majorité à l’Assemblée. Mais ce type de majorité est instable car les sujets de désaccord sont nombreux entre les partis et les retournements d’alliances sont fréquents. La Résistance, outre la lutte contre l’occupant, a donc joué un rôle majeur dans la survie de l’idéal républicain remis en cause par Vichy. Cependant, la IVe République, confrontée aux crises de la guerre froide et de la décolonisation, souffrira tout au long de son existence de l’instabilité gouvernementale. La guerre d’Algérie provoquera sa chute. III) 1958-1962, une nouvelle République La IVe République née en 1946 avait été conçue de manière à ce que les députés exercent un contrôle sur le pouvoir exécutif pour éviter tout pouvoir personnel. Mais ce régime parlementaire, où tous les partis sont représentés grâce au scrutin proportionnel, a souffert tout au long de son existence d’une forte instabilité ministérielle, qui culmine dans le contexte de la guerre d’Algérie. Le général De Gaulle, qui avait démissionné en 1946 pour exprimer son désaccord avec les nouvelles institutions, revient alors au pouvoir en 1958 et établit la Ve République. En quoi ce régime marque-t-il une rupture avec les précédentes républiques et comment la pratique gaullienne du pouvoir l’influence-t-elle ? 1) Le retour au pouvoir de De Gaulle [voir la sous-partie du même titre dans le cours sur la décolonisation] Charles De Gaulle (1890-1970) avait déjà dirigé la France, en tant que chef du GPRF issu de la Résistance, d’août 1944 à janvier 1946 : il avait alors démissionné car il s’opposait au projet de Constitution de la IVe République. Il fonda un parti pour fédérer les opposants à la nouvelle République, mais faute de succès, se retira de la vie politique en 1953. Le 15 mai 1958, répondant aux évènements d’Algérie qu’il suit de près, De Gaulle se déclare « prêt à assumer les pouvoirs de la République », en rappelant son passé de résistant et de républicain car il apparaît d’abord comme le complice des insurgés. Mais l’image du « sauveur », seul capable de rétablir la situation, finit par rallier une part croissante d’hommes politiques malgré l’opposition de la gauche qui dénonce un coup de force. Il reçoit notamment le soutien du Président de la République René Coty : le 29 mai, celui-ci l’appelle officiellement à former un gouvernement. De Gaulle accepte, à condition de pouvoir réformer la Constitution selon ses volontés. Le 1er juin, l’Assemblée nationale l’investit en tant que Président du Conseil et lui vote les pleins pouvoirs pour élaborer une nouvelle Constitution. La Ve République naît officiellement le 28 septembre 1958 lorsque les Français acceptent la nouvelle Constitution par référendum. De Gaulle est élu Président de la République par le Parlement le 21 décembre 1958. 2) Les institutions de 1958 La Constitution de la Ve République est conforme à la conception gaullienne du pouvoir : un pouvoir exécutif renforcé par rapport au pouvoir législatif. Fiche « La Constitution de la Ve République » 1) La Ve République présente pourtant des éléments de continuité avec la IVe République. Le Président de la République est toujours élu pour 7 ans au suffrage indirect par de « grands électeurs ». Il désigne le chef du gouvernement, lequel doit avoir le soutien de l’Assemblée au risque d’être renversé. Le pouvoir législatif est composé de deux chambres, l’Assemblée nationale élue au suffrage direct et le Sénat élu au suffrage indirect. 2) Mais sous la Ve République, le pouvoir du Président de la République est considérablement renforcé : il peut dissoudre l’Assemblée plus facilement et consulter directement les Français par référendum. Par l’article 49-3, son gouvernement peut imposer l’adoption d’une loi sans vote et par l’article 16 le Président peut prendre les pleins pouvoirs en cas de crise grave. 3) L’instabilité ministérielle qui caractérisait la IVe République est évitée grâce à deux mesures : pour renverser le gouvernement, l’Assemblée doit voter une motion de censure à la majorité absolue des députés et non plus à la majorité simple comme sous la IVe République. Or le gouvernement dispose généralement d’une majorité plus solide que sous la IVe République car les députés ne sont plus élus au scrutin proportionnel (qui facilitait la représentation des petits partis) mais au scrutin uninominal majoritaire à deux tours qui favorise les grands partis. 4) La Ve République est donc un régime semi-présidentiel : c’est un régime parlementaire puisque le gouvernement peut être renversé par le Parlement mais le Président dispose de pouvoirs étendus, qui en fait la « clé de voûte des institutions ». 3) La pratique gaullienne du pouvoir Non seulement le Président dispose de pouvoirs plus étendus que dans les républiques précédentes, mais De Gaulle s’emploie à établir un lien direct avec les Français. Conscient de l’importance des médias depuis son appel à la BBC en 1940, il s’adresse régulièrement aux Français à l’occasion de conférences radiotélévisées, soigneusement mises en scène : il y apparaît sur une estrade, avec son gouvernement et les journalistes en dessous de lui. Elles valent à De Gaulle le surnom de « monarque républicain ». Ses talents d’orateur font merveille. Le contact avec les Français est également entretenu par de nombreux « bains de foule » en province. Enfin, du point de vue institutionnel, De Gaulle n’hésite pas à contourner le Parlement pour demander l’avis des Français par référendum, en particulier sur sa politique algérienne. En 1962, De Gaulle achève la mise en place d’un régime à sa mesure après avoir réchappé à un attentat de l’OAS. Il explique aux Français que sa mort pourrait fragiliser la Ve République car son successeur n’aurait pas forcément la même popularité que lui ; pour y remédier, il faudrait donc, selon lui, que le Président soit élu au suffrage universel direct pour que sa légitimité s’appuie sur la souveraineté populaire. Mais cette proposition de réforme se heurte à l’opposition de l’Assemblée, qui renverse le gouvernement par une motion de censure (la seule adoptée à ce jour). De Gaulle réagit en dissolvant l’Assemblée et en organisant un référendum, qui donne 62 % de oui en faveur de la réforme. La réforme de 1962 peut donc être considérée comme « le commencement absolu de la Ve République » dans la mesure où elle marque définitivement la rupture avec les IIIe et IVe Républiques : elle favorise en effet la personnalisation de la vie politique et renforce la bipolarisation, c’est-à-dire le fait que dominent deux grands partis, l’un à droite et l’autre à gauche, vu que leurs candidats sont généralement les seuls à pouvoir se maintenir au second tour des élections.