La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 2 - vol. III - avril 2000 67
n quelques semaines, les médecins et les malades ont
été submergés d’informations contradictoires au
sujet du dépistage du cancer du côlon. Les informa-
tions auparavant réservées essentiellement au corps médical
atteignent maintenant le grand public, quelquefois en premier
lieu, mettant les médecins dans des situations difficiles quand ils
doivent répondre aux questions de leurs patients.
QUELLES SONT LES PRINCIPALES INFORMATIONS
DE CES DERNIÈRES SEMAINES ?
•Dans le cadre de la lutte contre le cancer, Madame la
Secrétaire d’État à la Santé souhaite étudier les conditions de
mise en œuvre du dépistage du cancer colorectal sans plus de
précisions sur les moyens à mettre en œuvre et les dates. Parions
sur la mise sur pied prochaine d’une nouvelle commission (la
huitième depuis 15 ans !).
•Un communiqué de la Société Française de Radiologie (SFR)
précise que celle-ci “ne s’associe pas à la campagne actuelle-
ment menée pour généraliser la coloscopie virtuelle pour le
dépistage des polypes du côlon”. Cette campagne avait cepen-
dant dû être discrète, ayant échappé à la plupart d’entre nous !
La coloscopie virtuelle venait par ailleurs de gagner ses lettres
de noblesse par la publication d’un article scientifique important
dans le New England Journal of Medicine. Dans une série de
100 patients à risque de cancer colique, la coloscopie virtuelle
et la coloscopie classique avaient la même efficacité pour détec-
ter des polypes de plus de 6 mm de diamètre (Fenlon H.M. et
coll. New Engl J Med ; 341 : 1496-503). Les avantages de la
coloscopie virtuelle sont bien sûr son coût réduit et son absence
de risque, ses inconvénients étant la nécessité ultérieure d’une
coloscopie pour la thérapeutique en cas de découverte d’un
polype et, mais de façon momentanée, son accessibilité réduite.
•On apprend ensuite qu’une société scientifique américaine
recommande l’utilisation du lavement baryté en double contraste
(LBDC) pour le dépistage du cancer colorectal. On peut
d’ailleurs noter que la coloscopie virtuelle n’est qu’une version
modernisée du lavement baryté en double contraste. Le LBDC
a cependant l’inconvénient d’impliquer davantage le radiologue
pour sa réalisation et de demander une bonne technique radio-
logique pour dégager les différents segments coliques !
•Enfin, la SNFGE constatant que, plus de deux ans après la
conférence de consensus sur le cancer du côlon, rien n’a bougé
(comme le soulignait récemment J.P. Bader dans cette revue
sous le titre “Palinodies”. La Lettre de L’Hépato-Gastroentéro-
logue. 1999 ; 5 : 180-3) a décidé d’intervenir plus énergiquement
par le biais d’une campagne de presse (conférence de presse,
mercredi 15 mars 2000) visant à interpeller le Secrétariat d’État
à la Santé. La SNFGE a pris position pour un dépistage généra-
lisé du cancer colorectal chez les 12 millions de personnes âgées
de 50 à 74 ans, par le test Hémoccult II®. Il s’agit en effet de la
seule méthode dont il est prouvé qu’elle est capable de réduire
la mortalité par cancer colo-rectal de 15 à 20 %. Ce dépistage
pour être efficace doit porter sur plus de 50 % des sujets concer-
nés, être organisé sur la base d’un cahier des charges avec une
évaluation du fonctionnement. Le test Hémoccult II®doit être
réalisé tous les deux ans (ce qui fait 12 tests en perspective pour
les personnes de 50 ans !). On peut noter que la SNFGE se
démarque nettement des conclusions du jury de la conférence de
consensus organisée par ses soins, puisque le jury recomman-
dait de mettre en place initialement ce dépistage “dans des
départements aptes à respecter un cahier des charges précis, et
de préférence là où il existe un registre du cancer”.
Il est clair qu’une course de vitesse est maintenant engagée
entre Hémoccult II®et coloscopie virtuelle. À noter qu’une
étude multicentrique prospective comparant vidéocoloscopie et
coloscopie virtuelle doit démarrer après l’été, grâce à un partena-
riat Société Française d’Endoscopie Digestive et Société
Française de Radiologie (La lettre de la SFED, n° 9, mars 2000,
p. 3), qui conduira peut-être la SFR à réviser sa position actuelle !
Dans l’hypothèse où le Secrétariat d’État à la Santé donnerait
son feu vert au dépistage par Hémoccult II®,nul doute que sa
mise sur pied à l’échelon de la France dans les conditions sou-
haitées (cahier des charges précis et évaluation rigoureuse)
représente un travail colossal, du fait de l’implication indispen-
sable des généralistes. Ceux-ci doivent être formés (et rémuné-
rés !) à convaincre des patients ne se plaignant d’aucun trouble
digestif à faire des examens de selles tous les deux ans. Par
ailleurs, si J. Faivre et son équipe ont bien montré qu’un dépis-
tage par Hémoccult®était possible en Côte-d’Or, grâce à l’im-
plication d’une équipe convaincue et convaincante, qu’en sera-
t-il dans les grandes villes et notamment à Paris où la pratique
de la médecine générale apparaît très différente de ce qu’elle est
en Côte-d’Or ? N’oublions pas que plus de la moitié de la popu-
lation visée habite dans des grandes agglomérations !
ÉDITORIAL
Dépistage du cancer colorectal
Pour accorder les instruments, il faut un chef d’orchestre
●
M.A. Bigard
E
2/67. EDITO 26/08/02 14:36 Page 67