SUJET DE THÈSE : CRIBLAGES GENOMIQUE ET FONCTIONNEL DES CHAMPIGNONS FILAMENTEUX POUR COMPLEMENTATION DU SECRETOME DE TRICHODERMA REESEI Doctorant : Laëticia POIDEVIN Laboratoire d’accueil : IFP - Rueil 1 et 4, avenue de Bois-Préau 92852 RUEIL-MALMAISON Cedex Contact / Encadrant IFP : Senta BLANQUET Tél : 01 47 52 72 56 - Fax : 01 47 52 70 01 Email : [email protected] Directeurs de thèse : Marcel ASTHER Université de Provence RÉSUMÉ La production d'éthanol à partir de biomasse lignocellulosique implique un procédé onéreux à plusieurs étapes. En effet, il s'agit d'un substrat complexe et récalcitrant à la dégradation, car les parois végétales sont formées de nombreux polysaccharides, organisées en cellulose, hémicelluloses, pectines, plus ou moins substitués et imbriqués dans une matrice rigide de lignine. L’étape la plus coûteuse pour la mise en place d'un tel procédé est l’hydrolyse enzymatique de la lignocellulose en sucres fermentescibles. Trichoderma reesei est un champignon filamenteux capable de secréter des enzymes hydrolytiques en grande quantité, et il est l'espèce la plus étudiée pour la production industrielle de cellulases. Le séquençage récent du génome de T. reesei révèle qu'il ne possède que dix gènes codant pour des endoglucanases et des cellobiohydrolases, conférant à cet organisme le plus petit nombre de cellulases parmi les douze champignons dont le génome est actuellement disponible. T. reesei possède également le plus petit nombre de gènes codant pour des hémicellulases (16 gènes), pour des enzymes de dégradation de la pectine et pour des protéines contenant un CBM (motif de liaison à la cellulose). La capacité de dégradation des parois végétales de T. reesei réside donc principalement dans son aptitude à sécréter de grandes quantités d’enzymes. Mais ces enzymes sont peu diversifiées et ne présentent pas de capacité d’hydrolyse hors norme. En conséquence, le répertoire d’enzymes de dégradation de la biomasse lignocellulosique de T. reesei peut être augmenté. L’introduction dans son génome de gènes codant pour des enzymes dont l’efficacité d’hydrolyse est plus importante ou ayant des spécificités différentes est envisageable. Suivant ce raisonnement, deux types de criblages sont envisagés dans ce travail pour rechercher des enzymes pouvant complémenter le sécrétome de T. reesei : un criblage génomique et un criblage fonctionnel de la biodiversité fongique. Dans le premier axe, des enzymes spécifiques provenant d’autres champignons, et absentes du génome de T. reesei sont sélectionnées, et produites chez T. reesei ou la levure Pichia pastoris. Dans le deuxième axe, des sécrétomes de champignons sélectionnés sont produits sur molécules inductrices de cellulases et hémicellulases et le surnageant de culture ajouté au cocktail enzymatique de T. reesei. En cas d'une meilleure activité hydrolytique sur paille de blé, le surnageant est fractionné et la ou les protéines conférant une meilleure efficacité d'hydrolyse sont isolées. Concernant le premier axe, les recherches d'enzymes sont basées sur la base de données CAZy qui regroupe toutes les enzymes activent sur les carbohydrates. Ce système de classification est basé sur une corrélation entre structure tridimensionnelle et mécanisme catalytique. Une étude de génomique comparative, menée dans le cadre de cette thèse avec le Laboratoire de l'Architecture et Fonction des Macromolécules Biologiques (AFMB) de Marseille qui a créé et entretient cette base a permis de révéler des gènes candidats potentiellement intéressants pour une complémentation de T. reesei. Une première enzyme retenue est la cinnamoyl estérase de Piromyces equi, un champignon anaérobie du rumen. En effet, les hydrolases fongiques des champignons anaérobie ont fait l'objet de plusieurs études montrant souvent une meilleure activité spécifique que les hydrolases de T. reesei. Le génome de T. reesei ne présente aucun gène codant une cinnamoyl estérase, enzyme qui permet de libérer l’accès aux chaînes principales d’hémicellulose, en les décondensant. Par conséquence, cette enzyme "auxiliaire" constitue un candidat intéressant pour la complémentation du cocktail cellulolytique de T. reesei. Un gène synthétique codant pour la cinnamoyl estérase EstA de P. equi a été introduit dans T. reesei. Un transformant possédant une activité estérase a été sélectionné pour la caractérisation de l'enzyme. Dans les conditions testées, l'enzyme EstA recombinante montre une activité estérase 2 et 3 fois plus élevée sur son de maïs que la FaeA et la FaeB de Aspergillus niger, respectivement. Sur pulpe de betterave, substrat préféré de FaeB et riche en pectines, l'activité de EstA est tout de même 2 fois supérieure à celle de FaeB. La taille plus petite de EstA comparé à FaeB pourrait lui permettre une meilleure diffusion à l'intérieur du substrat. Néanmoins, quand EstA a été rajoutée au mélange enzymatique de T. reesei, aucune augmentation en glucose libéré à partir de la paille de blé micronisée n'a pu être constatée. Ce résultat peut être dû au fait que le pH optimal de EstA est peu compatible avec les conditions d'hydrolyse qui se déroule généralement autour de pH 5, où l'activité de EstA est deux fois moindre qu'à son optimum. Les caractéristiques biochimiques de EstA la prédispose plutôt pour l’étape d'un prétraitement enzymatique si celle-ci était retenue dans le procédé de fabrication du bioéthanol. Les études de génomique comparative ont mis en évidence l'intérêt des enzymes saccharolytiques d'un autre champignon : Podospora anserina. Cet ascomycète se développe sur des excréments d’herbivore et apparaît en dernier lieu, après la digestion des végétaux dans le rumen de l’animal puis le passage de plusieurs autres espèces fongiques. Il arrive donc probablement à se nourrir de substrats récalcitrants, les substances carbonées facilement accessibles ayant été consommées auparavant. De plus, l’analyse de son génome et notamment l’entrée des nouvelles séquences dans la base de données CAZy, a révélé une importante machinerie (hémi)cellulolytique. Ce champignon saprophyte se classe parmi les trois plus grands CAZomes (ensemble de gènes codant les CAZymes), de tous les génomes fongiques séquencés actuellement. Le choix des gènes à cloner repose sur des analyses bioinformatiques par Blast, en ciblant des gènes orthologues les plus éloignés de ceux de T. reesei afin d'apporter des activités complémentaires aux enzymes existantes. A titre d'exemple, T. reesei possède une seule endoglucanase de famille 45 avec une faible activité spécifique. Deux endoglucanases de P. anserina de famille 45 ont donc été choisies pour complémenter les enzymes de T. reesei. Des représentants de deux autres familles dont P. anserina possède plusieurs gènes et qui pourraient présenter une forte action synergique vont également être clonés. Les séquences codantes de tous ces gènes sont exprimées chez la levure P. pastoris qui est déjà validée comme outil de sécrétion des enzymes fongiques actives. Une fois les enzymes caractérisées, leur complémentation avec celles de T. reesei sera évaluée sur de la paille de blé. Dans le seconde axe de recherche, un criblage fonctionnel des enzymes secrétées par P. anserina sera réalisé au Laboratoire de biotechnologie des champignons filamenteux (INRA, Marseille). Différents substrats carbonés, tels que des monomères (xylose, lactose), des dimères (cellobiose, sophorose) des polymères (xylane) et des substrat naturels (pulpe de betterave) ont été sélectionnés pour produire les cellulases par ce champignon. Les surnageants produits vont prochainement être testés en complémentation de T. reesei pour l’hydrolyse de la paille de blé micronisée, à l'aide du robot Tecan Genesis Evo 50 (Tecan, France) utilisé pour ce criblage à haut débit. Les jus de culture complémentant T. reesei seront ensuite fractionnés par FPLC et un séquençage N-terminal des protéines conférant un gain d'hydrolyse permettra d'identifier le gène responsable. En conclusion, deux approches complémentaires sont explorées dans le cadre de cette thèse pour identifier des nouvelles activités enzymatiques pouvant améliorer le cocktail enzymatique de T. reesei. Basé sur ses caractéristiques génomiques et phénotypiques fort intéressantes, le champignon P. anserina a été sélectionné pour les criblages fonctionnel et génomique. Le clonage d'une dizaine de ses 48 cellulases putatives ainsi que le criblage fonctionnel de ses enzymes produites devraient permettre d'évaluer le potentiel de ses gènes à complémenter le panel d'enzymes cellulolytiques de T. reesei pour une hydrolyse enzymatique plus efficace.