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savy@u-pec.fr
Les villes portuaires en Chine
Michel Savy, professeur à l'Université Paris Est
(École d'Urbanisme de Paris et École des Ponts-ParisTech)
codirecteur du Centre franco-chinois Ville & Territoire
Article paru dans la revue PCM, n° 861/862 janvier/février 2014.
Le développement économique de la Chine pendant les 35 dernières années est, il est banal
de le répéter, un des faits marquants de l'évolution économique et sociale à l'échelle mondiale. Il a
revêtu des caractéristiques territoriales particulièrement accentuées, notamment le rôle prééminent
de quelques villes portuaires majeures. Les deux termes, ville et port, se trouvent ici étroitement liés.
Ce n'est pas la première fois dans l'histoire, si l'on se rappelle la notion d'économie-monde de
Fernand Braudel, dont les pôles dominants furent successivement Gênes, Venise, Amsterdam,
Londres ou New-York, toutes villes portuaires. Dans la globalisation multipolaire actuelle, Canton
et Shanghai, voire Pékin, s'inscriraient ainsi dans cette lignée, mais leur trajectoire est-elle
durable ?
1. Un développement économique spatialement très contrasté
La croissance contemporaine chinoise s'est, dans un premier temps du moins, appuyée sur la
frange littorale d'un territoire national immense allant jusqu'au cœur montagneux de l'Asie. C'est dans
la bande côtière que se trouvent la plus forte densité de population et le taux le plus élevé
d'urbanisation ainsi qu'une large part de la main d'œuvre industrielle. Le mouvement d'ouverture aux
investissements internationaux et de libéralisation des marchés déclenché en 1978 a eu pour forme
spatiale emblématique quatre zones économiques spéciales, toutes situées sur la côte, à commencer par
celle de Shenzhen qui fit d'un village de pêcheurs une ville de 10 millions d'habitants à ce jour. Cette
localisation littorale était d'autant plus pertinente que, d'une part, leurs activités devaient
s'approvisionner de matières premières largement importées et, d'autre part, avoir pour débouché le
marché extérieur prioritaire plutôt que le marché intérieur. La Chine est ainsi devenue l'"atelier du
monde" dans la globalisation.
La forte inégalité du développement sur le territoire, entre la côte et l'intérieur du pays, eut
pour conséquence de forts déplacements de main d'œuvre, légaux et illégaux, allant des bassins de
main d'œuvre disponible vers les zones d'emploi. La "main d'œuvre flottante" des mingong échappant
à la contrainte de résidence du hukou (que l'on traduit couramment par "passeport intérieur") serait de
l'ordre de 260 millions de personnes selon le recensement de 2010. Elle fournit à la croissance une
force de travail particulièrement bon marché, sans couverture sociale, éloignée de sa famille et
exploitable à merci.
Toutefois, l'inversion de tendance est désormais un objectif stratégique du gouvernement
chinois, qu'il s'agisse de l'instauration d'un système élargi de sécurité sociale ou du rééquilibrage
spatial des activités économiques.
2. La croissance des villes portuaires chinoises
La croissance du trafic des ports chinois fut nécessairement à l'échelle de cette croissance de la
production et des échanges. Les investissements en infrastructures furent considérables, au point
qu'au-delà des effets de la crise économique en cours on décèle un risque de surcapacité ou, du fait
d'une concurrence mal régulée entre villes, d'équipements mal localisés et sous-utilisés. Quoi qu'il en
soit, sur les dix premiers ports mondiaux en termes de tonnage traité sept sont aujourd'hui chinois. Le
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premier est Shanghai (600 millions de tonnes en 2011), auquel on peut ajouter son proche voisin de
Ningbo (350 millions de tonnes). Pour mémoire, le trafic de Marseille était de 88 millions de tonnes en
2011. Sur les dix premiers ports mondiaux en nombre de conteneurs, six sont chinois. Le premier est,
ici aussi, Shanghai (32 millions de conteneurs EVP [équivalent vingt pieds] en 2011), tandis que
Ningbo en traitait 15 millions. Le trafic du Havre était de 2 millions d'EVP pour la même période.
L'ensemble des ports chinois connut cette expansion et on peut les regrouper en trois
ensembles majeurs : au Sud, la rivière des Perles (Hong-Kong, Canton, Shenzhen) ; le delta du Yangzi
(Shanghai, Ningbo) ; au Nord le golfe de la Mer Jaune (Tianjin, Qinhuangdao, Dalian) sans omettre
des ports intermédiaires importants comme Qingdao. Tout un chapelet jalonne le littoral, de nombreux
ports secondaires relayant les grands ports à travers le feedering. Ce cabotage maritime est d'un
volume triple du trafic international et assure une part notoire de l'ensemble des transports intérieurs
chinois de fret.
Ce développement portuaire ne fut pourtant qu'une composante d'un développement urbain
bien plus large. Pour citer encore Shanghai, la création du nouveau port de Yangshan en pleine baie de
Hangzhou et relau rivage par le pont de Donghai de 32 km est venue relayer la saturation du port
historique de Waigaoqiao. Mais simultanément, outre l'aéroport international (où DHL installe un hub
pour le fret aérien), la péninsule Pudong est devenue une vaste zone d'urbanisation multipliant les
quartiers nouveaux, les zones de logistique, de commerce, d'industrie. Elle n'est elle-même qu'une part
de la métropole toutes les activités se développent en un système intégré : du transport et du
traitement des matières premières aux industries high tech, sans omettre l'immense gamme des
services, le négoce, l'industrie financière, les médias, la recherche et l'université, etc.
Le dynamisme de la métropole et a fortiori de la ville mondiale, sa capacité à polariser un
espace de plus en plus large, implique précisément le caractère intersectoriel de son développement.
Sans oublier que, outre l'économique, la métropole est un lieu de pouvoir politique, scientifique et
culturel, même dans les systèmes institutionnels dont elle ne serait pas le lieu central.
On sait que, parmi les attributs des villes mondiales, la fonction portuaire apparaît comme
presque nécessaire, Paris et Moscou étant parmi les rares exceptions. En tout cas, les plus grandes
villes chinoises, à rayonnement mondial, sont des villes portuaires : Canton, Shanghai et même Pékin
qui, naguère réputé continentale, a désormais son port avec la ville de Tianjin, distante de 130 km et
accessible par TGV, qui compte 13 millions d'habitants et traite 460 millions de tonnes et 12 millions
de conteneurs maritimes par an.
3. De la côte vers l'intérieur ?
Ce modèle a-t-il atteint ses limites ? La croissance des métropoles ne va pas sans
contradictions. La population de la Rivière des Perles atteint 60 millions d'habitants, celle de Shanghai
23 millions, celle de Pékin 20 millions. Riche en externalités positives de toutes sortes (effets
d'agglomération, économies d'échelle pour les équipements et services collectifs, etc.) la croissance
urbaine engendre aussi des dés-économies d'échelle, une baisse de la productivité sociale par
l'allongement des distances et des temps de déplacement malg le développement des transports
collectifs, une élévation dangereuse de la congestion et de la pollution (rapportée par les médias
chinois eux-mêmes). Ce modèle de développement n'est pas très soutenable…
La hausse des prix de l'immobilier pèse sur les revenus, tout en laissant craindre l'éclatement
d'une bulle spéculative. La hausse des salaires, profitable à la main d'œuvre locale, affaiblit la
compétitivité des productions fondées sur le coût du travail qui tendent déjà à se déplacer vers des
régions chinoises de l'intérieur ou vers d'autres pays d'Asie (Vietnam, Indonésie, Bengladesh, etc.).
Loin de s'y opposer à la redistribution géographique de la croissance vers les régions de
l'intérieur, les autorités politiques centrales veulent maintenant la systématiser. Les raisons politiques
s'ajoutent aux raisons économiques pour réduire les écarts de développement et de revenus entre
provinces. Cette stratégie rappelle, toutes proportions gardées, la politique de "décentralisation
industrielle" mise en œuvre durant les Trente glorieuses par les politiques d'aménagement du territoire
en France. Investissements et croissance touchent désormais Nankin, Wuhan, Chongqing, etc. On note
que ces trois villes sont de grands ports fluviaux sur le Yangzi, avec respectivement des trafics de 151,
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115 et 100 millions de tonnes de trafic en 2011. Ce sont aussi d'importants hubs multimodaux, pour les
voyageurs comme pour le fret.
Cette réorganisation spatiale nécessite en effet de puissants réseaux interrégionaux de
communication (transport de fret, de personnes, d'énergie, d'information), et les investissements en
infrastructures sont considérables. Un plan national de plates-formes logistiques est lancé, car le
système d'échanges doit faire de notoires progrès qualitatifs (le coût logistique représente quelque 18
% du PIB, et le pays se classe au 26ème rang mondial selon l'indice de performance logistique de la
Banque mondiale).
4. L'histoire continue…
Les grandes villes portuaires ne sont pas pour autant délaissées. Au contraire, elles accèdent
ainsi à un rôle élargi, devenant les têtes de réseau d'un développement maillé associant l'intérieur du
pays à la côte.
Tout récemment, le gouvernement chinois vient de créer une zone franche expérimentale où le
yuan serait convertible et les investissements étrangers moins contraints. C'est à nouveau une ville
portuaire, Shanghai, qui a été choisie pour cette implantation. Une nouvelle phase s'ouvre-t-elle ?
Références :
Savy Michel, WANG Hongyang, ZHAI Guofang (ed.), Territorial Evolution and Planning
Solution: Experiences from China and France, Paris, Atlantis Press, 2010.
LIU Xiaoming, Logistique et aménagement du territoire, comparaisons entre la France et la
Chine, thèse de doctorat de l’Université de Paris Est, 2012.
TANG Shuangshuang, L'aménagement du territoire en France pendant la période
d'urbanisation rapide (1945-1970) : évolution et effets, leçons pour les politiques
d'aménagement de la Chine, thèse de doctorat de l’Université de Paris Est, 2013.
Savy Michel, "Logistics and the City: the Key Issue of Freight Villages"(with LIU Xiaoming),
in Mackett R., May A., Kii M., Pan H. (ed.), Sustainable Transport for Chinese Cities,
London, Emerald, 2013.
Savy Michel and Burnham June, Freight Transport and the Modern Economy, London,
Routledge, 2013.
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