
28 | La Lettre du Sénologue • n° 41 - juillet-août-septembre 2008
Progestatifs et cancer du sein
DOSSIER THÉMATIQUE
n’entraînait pas de hausse significative du risque
dans la population générale, le recours à celle-ci
pourrait être envisagé chez une femme après cancer
du sein “dans les cas où les avantages liés ou non
à la contraception l’emportent sur quelque hausse
potentielle inconnue que ce soit du risque de récur-
rence” (5). À côté de ces extrapolations dont il est
difficile d’apprécier la pertinence, compte tenu des
données fondamentales précitées, il pourrait être
argué qu’une légère augmentation potentielle du
risque est négligeable par rapport à l’importance
du risque déjà établi lié à l’antécédent néoplasique
mammaire personnel. En appliquant ce raisonne-
ment à la contraception injectable trimestrielle par
AMPR, la directive commune canadienne souligne
tout à la fois que les femmes ayant présenté un
cancer du sein sont peu enclines à courir quelque
risque complémentaire que ce soit et que de fortes
doses d’acétate de médroxyprogestérone ont fait la
preuve de leur efficacité dans le cadre du traitement
du cancer du sein métastatique hormonodépendant
de la femme ménopausée (5, 10). La recomman-
dation canadienne conclut donc que “le recours à
l’AMPR chez une survivante du cancer du sein peut
être envisagé dans les cas où les avantages liés ou
non à la contraception l’emportent sur quelque
hausse potentielle inconnue que ce soit du risque
de récurrence (III-C)”. Cette recommandation, avec
le même niveau de preuve, est appliquée à l’iden-
tique aux micropilules et au DIU LNG. Cette directive
commune précise qu’elle ne peut énoncer aucune
recommandation concernant les implants contra-
ceptifs car on ne dispose d’aucune donnée, ni dans
la population générale, ni chez les survivantes après
cancer du sein et ne mentionne pas la contraception
macroprogestative “à la française”.
Depuis la publication de ce consensus, deux nouvelles
études nous paraissent intéressantes à rapporter.
La première, randomisée, en double aveugle contre
placebo, est une étude pilote pour préciser les effets
de la tibolone (Livial®) sur l’étude de la prolifération
cellulaire, appréciée en particulier par la mesure de
l’expression du Ki-67, sur des prélèvements biopsiques
mammaires chez des femmes postménopausiques
présentant un cancer du sein de stade initial I/II,
récepteurs estrogéniques positifs (RE +). Rappelons
que la formule chimique de la tibolone, sans être
identique, présente une forte analogie avec celle
du lynestrénol. Cette étude, portant sur 46 cas et
49 contrôles, conclut que chez les patientes RE +,
2,5 mg de tibolone par jour pendant 14 jours n’ont
pas d’effet significatif sur la prolifération des cellules
tumorales mammaires (11). Malheureusement, et
une nouvelle fois, ces résultats séduisants sur des
marqueurs intermédiaires viennent d’être contredits
par l’essai clinique LIBERATE, dont les résultats ont
été présentés à l’occasion d’une communication
orale faite le 21 mai 2008 à Madrid. Dans cette
étude clinique multicentrique randomisée en double
aveugle comparant Livial® à un placebo chez plus de
3 000 femmes avec un antécédent récent de cancer
du sein, dont certaines sous TAM, le risque global
de récidive est significativement augmenté sous
traitement (RR = 1,40 ; p = 0,001) après un suivi
moyen de trois ans.
La seconde étude est celle de Trinh et al. (12), qui
est spécifiquement consacrée à l’utilisation du DIU
LNG chez des patientes atteintes d’un cancer du
sein. Il s’agit d’une étude rétrospective cas-contrôles
portant sur 79 patientes sous traitement versus 120
contrôles. Le critère principal est le pourcentage de
récidive. Si dans la population totale, il n’y a pas
de modification significative du risque de récidive
(21,5 % sous DIU LNG versus 16,6 % ; adjusted hazard
ratio [HR] : 1,86 ; IC
95
: 0,86-4), une analyse en
sous-groupes montre que les femmes sous DIU LNG
(n = 38) au moment du diagnostic de cancer et qui
ont continué à l’utiliser ont un risque augmenté de
récidive (HR : 3,39 ; IC
95
: 1,01-11,35 ; p = 0,048).
Les femmes chez qui le DIU LNG a été inséré après le
diagnostic et le traitement de cancer du sein (n = 41)
n’ont pas d’augmentation constatée de risque
(HR : 1,48 ; IC95 :0,62-3,49 ; p = 0,38). Annonçant
qu’une étude prospective est en cours d’initiation
en Belgique pour suivre les femmes atteintes d’un
cancer du sein avant la ménopause, qui compor-
tera des données sur l’utilisation des contraceptifs,
les auteurs restent cependant prudents dans leurs
conclusions, compte tenu des limites méthodolo-
giques de leur travail et en appellent à des études
complémentaires. Ils soulignent cependant le point
particulier des femmes non ménopausées qui ont
bénéficié d’une castration médicale et sont sous
inhibiteurs de l’aromatase. Dans ce cas, il est parti-
culièrement important d’enlever le DIU LNG car ces
patientes risquent dans ce contexte de présenter une
hypersensibilité hormonale, d’autant qu’une partie
au moins de l’effet prolifératif in vitro du LNG sur
les cellules malignes MCF-7 emprunte la voie des
RE (12). À l’inverse, les bases théoriques qui font
de ce DIU LNG un possible traitement préventif
des lésions endométriales sous TAM font qu’il est
probable qu’un certain nombre d’études soient en
cours, avec comme critère principal la pathologie
de l’endomètre, où sera pris en compte le risque de
récidive de cancer du sein.
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