CAS CLINIQUE Mots-clés Syndrome néphrotique – Bévacizumab – Cancer du sein métastatique. Keywords Nephrotic syndrome – Bevacizumab – Metastatic breast cancer. Syndrome néphrotique secondaire au bévacizumab. Cas clinique, revue de la littérature et recommandations Nephrotic syndrome after bevacizumab. Case report, literature review and recommandations P. Beuzeboc 1, C. Daniel 1, J.L. Elguozi 2, V. Launay-Vacher 3 L es syndromes néphrotiques secondaires à un traitement par bévacizumab sont rares et réversibles. Les auteurs rapportent l’observation d’une femme ayant présenté un syndrome néphrotique lors d’un traitement à base de bévacizumab pour un cancer du sein métastatique. Ce cas clinique est l’occasion de faire une mise au point sur la physiopathologie et la gestion de la toxicité rénale des antiangiogéniques. O b s e r v a t i o n Mme C., née en octobre 1937, a été traitée en 1983 par tumorectomie, curage axillaire et radiothérapie pour un cancer du sein droit. En novembre 2007, la patiente a présenté une récidive locale et métastatique (métastases ganglionnaires axillaires et médiastinales, pulmonaires et osseuses). Le taux de CA 15,3 était élevé, à 285 UI/ml. Les microbiopsies au niveau du sein droit concluaient à un carcinome peu différencié SBR III, RO+ RP–, HER2–, avec un index mitotique élevé. La fibroscopie bronchique retrouvait un aspect inflammatoire au niveau des bronches lobaires inférieure droite, moyenne et inférieure gauche. Les biopsies bronchiques concluaient à une lymphangite d’origine mammaire. La patiente a comme antécédents médicaux un stripping gauche et une hypertension artérielle (HTA) traitée par l’association captopril-hydrochlorothiazide à raison d’un demi-comprimé par jour. 1 Département oncologie médicale, Institut Curie, Paris. 2 Service de néphrologie, hôpital Necker, Paris. 3 Service de néphrologie, hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris. 144 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 2 - février 2010 Une chimiothérapie par docétaxel 75 mg/m² (120 mg) associée à du bévacizumab 15 mg/kg (900 mg) tous les 21 jours est débutée le 1er décembre 2007. Lors de la mise en route du traitement, la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) isotopique était strictement normale, à 80 %. La tolérance a été correcte tant sur le plan tensionnel que sur le contrôle régulier de la protéinurie aux bandelettes urinaires. En mars 2008, après 6 cycles de docétaxelbévacizumab, le bilan d’évaluation a mis en évidence une bonne régression des lésions tumorales au niveau du sein, des ganglions et du poumon. Le traitement par bévacizumab est alors poursuivi, associé au létrozole et au clodronate. En juin 2008, la patiente consulte pour l’apparition depuis 15 jours d’œdèmes des membres inférieurs. Un traitement par bêtabloquant avait été initié peu de temps auparavant par son médecin traitant pour une hypertension artérielle mal contrôlée. L’examen clinique constate une prise de poids de 4 kg associée à une HTA (pression systolique à 18 mmHg). La NFS est normale, ainsi que la créatininémie (90 µmol/l) ; par contre, il existe une importante protéinurie, à 4,36 g par 24 heures. L’évaluation de la fonction rénale à l’aide de la formule aMDRD révèle une insuffisance rénale à 57 ml/­mn/1,73 m², soit une insuffisance rénale chronique de stade 3 suivant la classification internationale KDOQI-KDIGO. L’électrocardiogramme (ECG) est normal. Le bévacizumab est arrêté. La patiente est alors adressée en consultation de néphrologie pour prise en charge du syndrome néphrotique. Vu la persistance d’une HTA (199/102 mmHg) et d’une protéinurie à 4,4 g, un traitement par valsartan-hydrochlorothiazide est prescrit en remplacement du traitement antihypertenseur qui avait été antérieurement modifié (Renitec® plus Ecazide®) associé à un régime hyposodé. Les œdèmes disparaissent rapidement, la tension artérielle se normalise (125/70 mmHg). CAS CLINIQUE Sur le plan tumoral, la situation est contrôlée, avec disparition des lésions tumorales mammaires, ganglionnaires et pulmonaires, et une régression du CA 15,3 à 37 UI/ml. En février 2009, la protéinurie est en baisse, à 0,16 g/24 h. En octobre 2009, la patiente va toujours bien sur le plan tumoral (CA 15,3 à 24 UI/ml). La protéinurie est mesurée à 0,10 g/24 h et la créatininémie à 87 µmol/l. Par contre, le traitement antihypertenseur a de nouveau été modifié et remplacé par l’association bisoloprol-énalapril-hydrochlorothiazide. Tableau II. Incidence de la protéinurie sous bévacizumab. Méta-analyse de 7 études du bévacizumab en situation métastatique. Type de cancer Protéinurie (%) Contrôles Faible dose (3,5 et 7,5 mg/kg/ dose) Dose élevée (10 et 15 mg/kg/dose correspondant dose AMM) Cancer colorectal 11 23 28 Cancer colorectal 19 41 Cancer colorectal 21,7 26,5 2 21 D i s c u s s i o n CBNPC Sein 7,4 Le bévacizumab est un anticorps monoclonal humanisé anti-VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) de type IgG1. Cette molécule a une autorisation de mise sur le marché dans le traitement de première et de seconde ligne du cancer colorectal métastatique, dans le traitement de première ligne du cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) de type non épidermoïde métastatique, dans le traitement de première ligne du cancer du sein métastatique et dans le traitement du cancer du rein métastatique. La dose de bévacizumab utilisée est variable selon la localisation cancéreuse primitive traitée. Le bévacizumab étant utilisé de plus en plus couramment dans plusieurs localisations cancéreuses, ses effets secondaires sont de mieux en mieux connus. Le bévacizumab présente comme caractéristique commune avec les autres antiangiogéniques une toxicité vasculaire et rénale (1-3). Les incidences de l’HTA et de la protéinurie sous bévacizumab (4) sont résumées dans une analyse de 7 études contrôlées dans les tableaux I et II. L’hypertension artérielle est l’effet indésirable le plus fréquemment observé chez les patients traités par des anti-VEGF. Son incidence réelle n’est pas connue, car la pression artérielle est mesurée dans des conditions non optimales et est rapportée selon les critères usuels de la classification NCI-CTCAE et non ceux définissant l’HTA selon les recommandations de l’ensemble des sociétés savantes et instances de santé publique nationales et internationales (> 140 et/ou 90 mmHg ou utilisation d’un traitement antihypertenseur, quel que soit le chiffre de la pression artérielle). Rein 38 Mésothéliome 23 Tableau I. Incidence de l’HTA sous bévacizumab. Méta-analyse de 7 études du bévacizumab en situation métastatique. Type de cancer Protéinurie (%) Contrôles Faible dose Dose élevée (3,5 et 7,5 mg/kg/ (10 et 15 mg/kg/dose dose) correspondant dose AMM) Cancer colorectal 3 11 Cancer colorectal 5 32 Cancer colorectal 8,3 22,4 CBNPC 3,1 15,6 Sein 2,4 Rein 0 Mésothéliome 6 28 22,3 41 62,7 36 Parmi les complications rénales observées chez les patients recevant un anti-VEGF, la plus fréquente est la protéinurie. Le taux de survenue d’une protéinurie liée à l’administration du bévacizumab varie entre 21 et 64 % selon les études. Elle peut apparaître selon un délai variable après la mise sous traitement antiangiogénique. Elle est presque constamment associée à l’HTA. Cette protéinurie iatrogène est habituellement réversible à l’arrêt des anti-VEGF. La protéinurie est dépendante de la dose de bévacizumab. Le risque relatif de développer une protéinurie à une dose de 10 à 15 mg/kg est de 2,2 (IC95 : 1,6-2,9 ; p < 0,001). L’incidence de la protéinurie de grade 3 (> 3,5 g/j) varie de 1,0 à 6,5 % selon les études. Quels sont les mécanismes potentiels de la protéinurie ? Elle est le plus souvent simplement liée à une augmentation de la perméabilité vasculaire (figure 1), mais elle peut aussi signer une atteinte rénale. Enfin, il existe une association significative entre HTA et protéinurie. Dans le rein, le VEGF est produit par les podocytes et joue un rôle autocrine essentiel dans le fonctionnement de l’endothé- L’inhibition de la voie du VEGF entraîne des perturbations au niveau : – des podocytes – des cellules endothéliales des capillaires glomérulaires 17,6 23,5 2,7 42 35,9 28 PROTÉINURIE Membrane glomérulaire Figure 1. Mécanisme de la toxicité rénale des antiangiogéniques. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 2 - février 2010 | 145 CAS CLINIQUE lium fenestré des capillaires glomérulaires, via sa liaison avec ses récepteurs exprimés par la cellule endothéliale. L’invalidation du VEGF podocytaire chez la souris entraîne une protéinurie, une microangiopathie thrombotique et une HTA. La neutralisation du VEGF par des anticorps chez la souris induit une protéinurie associée à un détachement des cellules endothéliales de la membrane basale glomérulaire et une altération des diaphragmes de fente. Les autres complications rénales beaucoup plus rares observées chez les patients recevant des traitements antiangiogéniques sont le syndrome néphrotique (5), l’insuffisance rénale aiguë, des glomérulopathies prolifératives, une néphrite interstitielle (6) et une microangiopathie thrombotique (MAT). La MAT est définie par une hypertension artérielle sévère, une protéinurie (ou un syndrome néphrotique), une anémie et une thrombocytopénie. Des cas ont été décrits avec le bévacizumab (7). Il existe très peu de données publiées concernant les liens entre insuffisance rénale et antiangiogéniques. Les antiangiogéniques peuvent même être utilisés en cas d’insuffisance rénale. Des recommandations (8) concernant la gestion des effets vasculaires et rénaux des médicaments antiangiogéniques ont été rédigées par plusieurs sociétés savantes françaises (Société de néphrologie, Société française d’hypertension artérielle, Association pédagogique nationale des enseignants de thérapeutique et Fédération francophone de cancérologie digestive). Avant l’administration d’un traitement antiangiogénique (figure 2), le bilan initial doit comporter une mesure de la pression artérielle, Bandelette urinaire (BU) – clairance calculée (eDFG) eDFG ≥ 30 ml/mn et BU : 0 à 1+ eDFG ≥ 30 ml/mn et BU : 2+ ou 3+ eDFG < 30 ml/mn Quantification de la protéinurie : échantillon matinal (rapport en g/g créatinine urinaire) ou urines de 24 h (en g/j) 1 à 3 g/g ou 1 à 3 g/j < 1 g/g ou > 1 g/j Première dose administrée débutée sans avis Première dose administrée débutée, avis néphrologique demandé (ne doit pas retarder l’administration) < 1/g ou < 1 g/j Avis néphrologique obtenu avant administration première dose Figure 2. Recommandations de la Société de néphrologie. Avant de commencer un traitement par antiangiogénique. Débit de filtration glomérulaire (formule du aMDRD ou de Cockroft) eDFG ≥ 30 ml/mn eDFG < 30 ml/mn Bandelette urinaire (BU) BU : 0 à 1+ BU : 2+ ou 3+ Protéinurie : échantillon matinal (g/g créatinine urinaire) ou urines de 24 h (g/j) < 1 g/g ou > 1 g/j Continuer administration de l’AA Avis néphrologique Continuer obtenu avant prochaine administration administration de l’AA de l’AA 1 à 3 g/g ou 1 à 3 g/j Continuer administration de l’AA ; initier traitement par IEC ou ARA2 ; avis néphrologique souhaitable > 3 g/g ou > 3 g/j Avis néphrologique obtenu avant prochaine administration de l’AA Figure 3. Recommandations de la Société de néphrologie. Au cours du suivi du traitement par antiangiogénique. 146 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 2 - février 2010 Syndrome néphrotique (> 3 g/g ou > 3 g/j et albuminémie < 30 g/l) AA contre-indiqué CAS CLINIQUE la réalisation d’une bandelette urinaire à la recherche d’une protéinurie et d’une hématurie, l’évaluation de la fonction rénale (créatininémie et clairance calculée) et une évaluation cardiologique (ECG, échographie cardiaque souhaitable et avis cardiologique si nécessaire). Au cours du suivi (figure 3), en cas de protéinurie à la bandelette urinaire supérieure ou égale à 2 croix, une quantification de la protéinurie doit être effectuée sur un échantillon ou, à défaut, une analyse des urines des 24 heures. La présence d’une hématurie à la bandelette urinaire est souvent indicatrice de lésions glomérulaires lorsqu’elle est associée à une protéinurie. Quand la protéinurie est associée à une HTA, il faut traiter les deux en première intention en utilisant les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ou les antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II (sartans), qui présentent des propriétés sur la réduction de la protéinurie par un mécanisme d’action fonctionnel, spécifique (9). L’apparition d’un syndrome néphrotique sous traitement antiangiogénique constitue la seule indication d’arrêt du traitement. Dans ce cas, il faut en premier lieu arrêter le traitement antiangiogénique, ce qui peut suffire pour faire régresser la protéinurie et, en deuxième lieu, traiter par antihypertenseurs, de préférence IEC ou sartans, pour faire régresser la protéinurie. La reprise éventuelle d’un traitement antiangiogénique sera discutée après avis néphrologique. Il n’existe à ce jour aucune donnée sur les conséquences, bénéfiques ou délétères, d’un switch pour un autre médicament antiangiogénique. Étude Mars Le groupe français IRMA (insuffisance rénale et médications anticancéreuses) est le premier à avoir rapporté la prévalence élevée de l’insuffisance rénale chez les patients porteurs de tumeurs solides, le plus souvent sous-diagnostiquée, quel que soit le traitement utilisé (10). Ce groupe vient de commencer une étude française multicentrique prospective MARS (Management of Antiangiogenics’ Renovascular Safety) qui a pour objectif principal de décrire la prise en charge des effets rénovasculaires des médicaments antiangiogéniques et de valider les recommandations cliniques existantes. L’objectif secondaire de cette étude est d’évaluer les incidences respectives et la sévérité de ces effets rénovasculaires selon la drogue antiangiogénique utilisée et la pathologie traitée. ■ Références bibliographiques 1. Launay-Vacher V, Deray G. Hypertension and proteinuria: a class-effect of antiangiogenic therapies. Anticancer Drugs 2009;20(1):81-2. 2. Mourad JJ, des Guetz G, Debbabi H, Levy BI. Blood pressure rise following angiogenesis inhibition by bevacizumab. A crucial role for microcirculation. Ann Oncol 2008;19(5):927-34. 3. Yang JC, Haworth L, Sherry RM et al. A randomized trial of bevacizumab, an antivascular endothelial growth factor antibody, for metastatic renal cancer. N Engl J Med 2003;349(5):427-34. 4. Zhu X, Wu S, Dahut WL, Parikh CR. Risks of proteinuria and hypertension with bevacizumab, an antibody against vascular endothelial growth factor: systematic review and meta-analysis. Am J Kidney Dis 2007;49(2):186-93. 5. George BA, Zhou XJ, Toto R. Nephrotic syndrome after bevacizumab: case report and literature review. Am J Kidney Dis 2007;49(2):e23-9. 6. Barakat RK, Singh N, Lal R et al. Interstitial nephritis secondary to bevacizumab treatment in metastatic leiomyosarcoma. Ann Pharmacother 2007;41(4):707-10. 7. Frangié C, Lefaucheur C, Medioni J et al. Renal thrombotic microangiopathy caused by anti-VEGF-antibody treatment for metastatic renal-cell carcinoma. Lancet Oncol 2007;8(2):177-8. 8. Halimi JM, Azizi M, Bobrie G et al. Vascular and renal effects of anti-angiogenic therapy. Nephrol Ther 2008;4(7):602-15. 9. Van Heeckeren WJ, Ortiz J, Cooney MM, Remick SC. Hypertension, proteinuria, and antagonism of vascular endothelial growth factor signaling: clinical toxicity, therapeutic target, or novel biomarker? J Clin Oncol 2007;25(21):2993-5. 10. Launay-Vacher V, Spano JP, Janus N et al. Prevalence of renal insufficiency in cancer patients and implications for anticancer drug management: the Renal Insufficiency and Anticancer Medications (IRMA) study. Cancer 2007;110(6):1376-84. Agenda Colloque Reims, 18 juin 2010 ■ 1er colloque francophone sur les cancers du sein in situ Programme : Revue complète des aspects épidémiologiques, diagnostiques, anatomopathologiques et thérapeutiques – Actualisation des études rétrospectives et des essais randomisés – Facteurs de risque de rechute – Recommandations INCa-SFSPM Coordonnateur scientifique : Dr Bruno Cutuli (Polyclinique Courlancy) Tél. : 03 26 84 02 84 – Fax : 03 26 84 70 20 E-mail : [email protected] Organisation et inscription : Reims événements organisation : 12, bd du Général-Leclerc – 51722 Reims cedex Contact : Mme Sophie Fournal Tél. : 03 26 77 44 60 – Fax : 03 26 77 44 81 Inscription sur Internet à partir du 4 janvier 2010 : http://www.reims-evenements.fr La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 2 - février 2010 | 147