diabète, rein et risques

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Interspécialités
Diabète, rein et risques
L’albumine et au-delà
Pr Ronan Roussel*
aussi pronostique. Autrement dit,
il est possible de se faire une idée
de la protection que l’on a éventuellement conférée à notre patient en introduisant un bloqueur
du système rénine-angiotensine
en mesurant la protéinurie avant
et 6 mois après le début du traitement. Selon les résultats de RENAAL, une réduction de 50 % de la
protéinurie est associée à une réduction de 50 % de l’incidence de
l’insuffisance rénale chronique sur
les 5 ans suivants. Inversement,
si la protéinurie est stable ou augmente, il faut changer de stratégie
(association à d’autres traitements,
revoir les apports sodés alimentaires du patient en mesurant sa
natriurèse des 24 heures, s’assurer de la prise du traitement !). Au
passage, rappelons que le blocage
du système rénine-angiotensine se
réalise avec un IEC ou un sartan à
pleines doses : les essais conduits
avec des doses faibles ont montré
la vanité de cette stratégie.
Introduction
L’histoire naturelle de la néphropathie diabétique est connue de tous, depuis
les travaux de Mogensen dans les années 1970 et 1980 : après la phase initiale d’hyperfiltration qui peut durer une dizaine d’années, voire indéfiniment,
certains patients vont développer une microalbuminurie, alors que leur filtration paraît se normaliser (Fig. 1). Ultérieurement, la microalbuminurie progresse,
la protéinurie s’installe, et la fonction rénale décline. L’élévation de la pression
au sein du glomérule, conséquence de la vasodilatation de l’artériole afférente,
elle-même induite par l’hyperglycémie chronique, est le primum movens de la
sclérose glomérulaire.
De nombreux travaux ont montré que le risque de dégradation
de la fonction rénale est lié à la
présence d’albumine en excès
dans les urines. Cette relation est
même quantitative : le risque de
dégradation dans les 10 ans qui
suivent est plus élevé pour les pa-
Taux de filtration glomérulaire
Pre
1
Diabète & Obésité • Février 2012 • vol. 7 • numéro 56
Néphropathie diabétique
déclarée
Pathologie rénale
au stade terminal
3
4
5
5 000
150
1 000
100
200
50
20
0
0
* Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Hôpital Bichat, Service
de Diabétologie, Endocrinologie et Nutrition, Paris ; University
Denis Diderot, Paris 7 ; Inserm, U 695, Genetic determinants for
type 2 diabetes and its vascular complications, Xavier Bichat
School of Medicine, Paris
2
Albuminurie
Néphropathie diabétique
naissante
Albuminurie (mg/24h)
L’albuminurie :
déterminant majeur
du risque rénal,  
et de sa réponse  
au traitement
tients protéinuriques que pour
les microalbuminuriques, et au
sein des protéinuriques, le niveau
de la protéinurie est pronostique
(Fig. 3). Le rôle de la protéinurie
sous traitement est moins connu :
l’analyse des recueils urinaires réalisés 6 mois après le début de l’intervention dans l’étude RENAAL
(losartan chez des diabétiques de
type 2 protéinuriques) montre que
la protéinurie sous traitement est
Taux de filtration glomérulaire
(TFG) (mL/min)
L’
histoire de la néphropathie naturelle est la
même chez les diabétiques de types 1 ou 2, sous réserve
que l’on soit à même de dater avec
précision le début du diabète de
type 2 et que la survie du patient
permette le déroulement de l’histoire rénale (Fig. 2) (1).
5
10
15
Années
20
25
Figure 1 - Histoire naturelle de la néphropathie diabétique selon Mogensen : l’élévation de la filtration initiale s’inverse quand la microalbuminurie apparaît, puis la
protéinurie progresse et le débit de filtration glomérulaire décline.
37
De façon similaire à ce que nous
rapportions ci-dessus pour le
risque d’insuffisance rénale dans
l’étude RENAAL, la mise en relation de la protéinurie et du risque
cardiovasculaire (le risque de pathologies ischémiques type infarctus du myocarde, mais aussi l’insuffisance cardiaque par exemple)
dans l’étude RENAAL, nous apprend, d’une part, que la protéinurie à l’inclusion est un facteur pronostique indépendant et, d’autre
part, que la réponse au traitement
(jugée sur le niveau de protéinurie à 6 mois) a aussi une valeur
pronostique indépendante. La
relation est un peu moins étroite
cependant pour le risque cardiovasculaire, une réduction de 50 %
de la protéinurie se traduisant par
une diminution d’environ de 20 %
du risque d’évènements cardiovasculaires. La situation est donc très
parallèle entre risque rénal et cardiovasculaire, suggérant que « les
racines du mal » sont communes.
100
80
60
Type II
Type I
40
20
15
5
10
20
Années après le diagnostic du diabète
25
Figure 2 - La prévalence de la protéinurie survient dans les mêmes proportions et sous
les mêmes délais, quel que soit le type de diabète.
HR relatif par rapport au taux le plus bas
de protéinurie dans le gourpe placebo
L’albuminurie :
déterminant
majeur du risque
cardiovasculaire,  
et de sa réponse  
au traitement
Prévalence de la protéinurie (%)
Interspécialités
30
25
ESRD
20
15
15
10
10
5
5
< 0,5 0,5-1,5
Losartan
Placebo
25
20
0
ESRD
30
Losartan
Placebo
1,5-3,5
≥ 3,5
0
< 0,5 0,5-1,5
Albuminurie au départ (g/g)
1,5-3,5
≥ 3,5
Albuminurie à 6 mois (g/g)
Figure 3 - A gauche : le risque de survenue d’une insuffisance rénale terminale (ESRD,
End-Stage Renal Disease) est croissant avec la protéinurie à l’inclusion dans l’essai
de prévention secondaire de la néphropathie diabétique dans le diabète de type 2
RENAAL. A droite : le risque de survenue d’une insuffisance rénale terminale dans
RENAAL est également directement proportionnel à l’albuminurie à 6 mois. Autrement
La protéinurie  
n’est pas tout
Le débit de filtration glomérulaire
est un facteur indépendant de
risque rénal, mais aussi du risque
cardiovasculaire.
Il y a deux ans, Perkins a collecté les
données individuelles de patients
diabétiques de type 1 de la Joslin
Clinic, à Boston, à partir de la mise
en évidence de la microalbuminurie (2), afin de valider l’histoire
naturelle décrite par Mogensen. Si
certains sujets suivaient en effet la
séquence installation de la protéinurie/déclin progressif de la fonction rénale, ce n’était pas du tout
systématique (Fig. 4). En faisant la
revue de la littérature, on réalise que
38
dit, la réponse au traitement, jugée sur la protéinurie à 6 mois de l’initiation du traitement, nous prédit le niveau de la protection conférée.
la probabilité pour un patient microalbuminurique de le rester ou de
régresser vers la normoalbuminurie
est même deux fois plus élevée que
le risque de devenir protéinurique.
Mais ceci ne protège pas complètement sa fonction rénale : en colligeant de nombreuses études, de
type 1 comme de type 2, il apparaît
que la proportion des patients avec
une fonction rénale modérément
altérée (débit de filtration estimé
< 60 ml/min/1,73 m2) sans être
protéinurique est considérable, de
l’ordre de la moitié des patients ! Il
faut donc nous habituer à ce nou-
veau (au moins dans sa reconnaissance) diabétique néphropathe :
l’insuffisant rénal pauci-albuminurique. Dire que les insuffisants
rénaux modérés risquent plus de
devenir des insuffisants rénaux sévères relève de la lapalissade. En
revanche, et l’on retrouve que les
facteurs de risque sont décidément
communs, on a moins conscience
que le débit de filtration est aussi un
facteur de risque cardiovasculaire.
Certes, mais via l’hypertension artérielle ? Pas seulement, sa valeur
pronostique est indépendante des
facteurs de risque classique, et sa vaDiabète & Obésité • Février 2012 • vol. 7 • numéro 56
Diabète, rein et risques
On se souvient de l’hypothèse dite
de la Steno (en référence à la clinique Steno au Danemark, centre
de recherche très actif en diabétologie), formulant cette idée ainsi :
« le glomérule est une fenêtre sur
l’endothélium de tout l’arbre vasculaire ». Parmi les déterminants
qui fondent à la fois les risques
vasculaire et rénal, certains sont
évidents, comme l’hypertension
artérielle, le tabac, l’âge, le diabète, d’autres moins comme les
lipides, et enfin, certains restent
à découvrir. Une autre hypothèse
est, qu’au-delà des racines communes, les maladies rénales et
cardiovasculaires établies s’entretiennent l’une et l’autre mutuellement par leur physiopathologie :
hypertension artérielle exagérée
par la rétention hydrosodée qui
augmente la souffrance vasculaire, réciproquement hypoperfusion rénale d’origine vasculaire
qui aggrave le déclin de la fonction
rénale, etc. (Fig. 6). De telles interactions délétères ont été mises
en évidence de façon extrême en
2000 dans une étude de la coronaropathie latente (score de calcification coronaire) chez de jeunes
insuffisants rénaux en dialyse
(enfants et très jeunes adultes,
peu suspects d’avoir accumulé les
facteurs de risque classiques de
longues années) : après quelques
années de dialyse, le risque coronarien augmentait considérablement, atteignant des valeurs qui
indiquent formellement la réalisation d’une coronarographie ; de
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210
10 000
180
Prot
TFG MDRD ( )
150
1 000
300
120
TFG MDRD
Microalb
90
100
30
60
10
Normoalb
30
0
0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010
Temps (calendrier d’années)
Figure 4 - Exemple d’évolution “atypique”, mais en fait relativement fréquente de
l’albuminurie et de la filtration glomérulaire d’un diabétique de type 1 de la cohorte
de la Joslin Clinic.
Décès cardiovasculaire
5,9**
6
Hasard ratio
Quelle est la base
de l’augmentation
du risque
cardiovasculaire ?
c
Taux d’excrétion
d’albumine (µg/min)
leur pronostique complète à un niveau voisin celle de la protéinurie : si
les deux se combinent, protéinurie
et insuffisance rénale, le risque de
dialyse explose, mais aussi le risque
cardiovasculaire (Fig. 5).
5
3,6**
4
2,9*
3
2
3,4**
2,5**
1,9*
2,0*
1,2
1
0
1,0
(Ref)
Macro
TFG < 60
TFG 60-89
Micro
Albuminurie
de départ
Normo
TFG ≥ 90
TFG
au départ
Figure 5 - Risque de mort cardiovasculaire des patients diabétiques de type 2 de l’essai
ADVANCE en fonction du débit de filtration glomérulaire estimée et de l’albuminurie :
valeur indépendante de ces deux facteurs pronostiques.
fait, à l’issue de cette étude, certains de ces jeunes patients ont dû
être revascu­larisés.
Quelles
conséquences
pratiques ?
Le paradigme du patient diabétique néphropathe forcément
protéinurique, et éventuellement
insuffisant rénal doit évoluer : ce
patient est en fait soit protéinurique, soit insuffisant rénal, ce qui
peut se combiner sans que cela soit
systématique. Ces deux caractéristiques ajoutent indépendamment
au risque rénal et au risque cardiovasculaire. Une conséquence
pratique est qu’il est d’autant plus
39
Interspécialités
pertinent de mettre en place les
mesures préventives (en particulier le contrôle glycémique et tensionnel, et le recours aux statines)
que le patient soit protéinurique,
ou insuffisant rénal, ou les deux :
le risque cardiovasculaire absolu
est très élevé, le nombre de sujets
à traiter pour éviter un évènement
sera faible. Que font les médecins
en pratique ? Le registre REACH
a collecté, au milieu des années
2000, les traitements et les niveaux de facteurs de risque de plus
de 65 000 patients à haut risque
cardiovasculaire, et les a classés
par stades de fonction rénale (3).
Le taux de couverture par statine
(tous ces patients étaient à haut
risque et relevaient d’une telle indication) était respectivement de
75, 72, 67 et 61 % dans les groupes
Age, tabac, HTA, Diabète, lipides
Bas débit, syndrome cardiorénal, iatrogénie,...
Atteinte rénale
Atteinte vasculaire
Rétention hydrosodée, HTA, modifications lipidiques,
Altérations du métabolisme phosphocalcique, calcifications vasculaires, carence en vit D
Anémie par carence en EPO, hyperhomocystéinémie,
Difficultés de prise en charge des évènements,
clairance défaillante de facteurs humoraux ?
Figure 6 - Les maladies rénale et cardiovasculaire chez le diabétique : des racines communes et des interactions délétères qui entretiennent un cercle vicieux d’aggravation
mutuelle.
de sujets ayant une filtration glomérulaire estimée supérieure à 90 ml/
min, 60-90, 30-60 ou < 30…
n
Mots-clés : Diabète, Rein, Cœur,
Risque, Albuminurie
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