INTERSPÉCIALITÉS
Diabète & Obésité • Février 2012 • vol. 7 • numéro 56 37
Lhistoire de la néphro-
pathie naturelle est la
même chez les diabé-
tiques de types 1 ou 2, sous réserve
que l’on soit à même de dater avec
précision le début du diabète de
type 2 et que la survie du patient
permette le déroulement de l’his-
toire nale
(Fig. 2)
(1).
L’ALBUMINURIE :
TERMINANT MAJEUR
DU RISQUE NAL,
ET DE SA RÉPONSE
AU TRAITEMENT
De nombreux travaux ont mon-
tré que le risque de gradation
de la fonction nale est lié à la
présence d’albumine en excès
dans les urines. Cette relation est
me quantitative : le risque de
gradation dans les 10 ans qui
suivent est plus élevé pour les pa-
* Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Hôpital Bichat, Service
de Diabétologie, Endocrinologie et Nutrition, Paris ; University
Denis Diderot, Paris 7 ; Inserm, U 695, Genetic determinants for
type 2 diabetes and its vascular complications, Xavier Bichat
School of Medicine, Paris
tients proinuriques que pour
les microalbuminuriques, et au
sein des protéinuriques, le niveau
de la proinurie est pronostique
(Fig. 3)
. Le le de la protéinurie
sous traitement est moins connu :
l’analyse des recueils urinaires réa-
lis 6 mois après le but de l’in-
tervention dans l’étude RENAAL
(losartan chez des diatiques de
type 2 proinuriques) montre que
la protéinurie sous traitement est
aussi pronostique. Autrement dit,
il est possible de se faire une idée
de la protection que lon a éven-
tuellement conrée à notre pa-
tient en introduisant un bloqueur
du sysme rénine-angiotensine
en mesurant la protéinurie avant
et 6 mois après le but du traite-
ment. Selon les résultats de RE-
NAAL, une réduction de 50% de la
proinurie est associée à une ré-
duction de 50 % de l’incidence de
l’insusance rénale chronique sur
les 5 ans suivants. Inversement,
si la proinurie est stable ou aug-
mente, il faut changer de stragie
(association à d’autres traitements,
revoir les apports sodés alimen-
taires du patient en mesurant sa
natriurèse des 24 heures, sassu-
rer de la prise du traitement!). Au
passage, rappelons que le blocage
du système nine-angiotensine se
alise avec un IEC ou un sartan à
pleines doses : les essais conduits
avec des doses faibles ont montré
la vanité de cette stragie.
xxxxx
xxxxx
xxxxxx
xxxxx
150
100
50
0
0 5 10 15 20 25
5 000
1 000
200
20
541 2 3
Pre
Taux de ltration glomérulaire Albuminurie
Taux de ltration glomérulaire
(TFG) (mL/min)
Néphropathie diabétique
naissante
Années
Néphropathie diabétique
déclarée
Pathologie rénale
au stade terminal
Albuminurie (mg/24h)
Figure 1 - Histoire naturelle de la néphropathie diabétique selon Mogensen : l’élé-
vation de la filtration initiale s’inverse quand la microalbuminurie apparaît, puis la
protéinurie progresse et le débit de filtration glomérulaire décline.
L’histoire naturelle de la néphropathie diabétique est connue de tous, depuis
les travaux de Mogensen dans les années 1970 et 1980 : après la phase ini-
tiale d’hyperfiltration qui peut durer une dizaine d’années, voire indéfiniment,
certains patients vont développer une microalbuminurie, alors que leur filtra-
tion paraît se normaliser (Fig. 1). Ultérieurement, la microalbuminurie progresse,
la protéinurie s’installe, et la fonction rénale décline. L’élévation de la pression
au sein du glomérule, conséquence de la vasodilatation de l’artériole afférente,
elle-même induite par l’hyperglycémie chronique, est le primum movens de la
sclérose glomérulaire.
Introduction
Diabète, rein et risques
Lalbumine et au-de
Pr Ronan Roussel*
38Diabète & Obésité • Février 2012 • vol. 7 • numéro 56
INTERSPÉCIALITÉS
L’ALBUMINURIE :
TERMINANT
MAJEUR DU RISQUE
CARDIOVASCULAIRE,
ET DE SA RÉPONSE
AU TRAITEMENT
De façon similaire à ce que nous
rapportions ci-dessus pour le
risque d’insusance rénale dans
l’étude RENAAL, la mise en rela-
tion de la protéinurie et du risque
cardiovasculaire (le risque de pa-
thologies ischémiques type infarc-
tus du myocarde, mais aussi l’in-
susance cardiaque par exemple)
dans l’étude RENAAL, nous ap-
prend, d’une part, que la protéinu-
rie à l’inclusion est un facteur pro-
nostique indépendant et, d’autre
part, que la réponse au traitement
(jugée sur le niveau de protéinu-
rie à 6 mois) a aussi une valeur
pronostique indépendante. La
relation est un peu moins étroite
cependant pour le risque cardio-
vasculaire, une duction de 50 %
de la protéinurie se traduisant par
une diminution d’environ de 20 %
du risque d’évènements cardiovas-
culaires. La situation est donc très
parallèle entre risque rénal et car-
diovasculaire, suggérant que «les
racines du mal» sont communes.
LA PROINURIE
N’EST PAS TOUT
Le débit de filtration glomérulaire
est un facteur indépendant de
risque rénal, mais aussi du risque
cardiovasculaire.
Il y a deux ans, Perkins a collecté les
données individuelles de patients
diabétiques de type 1 de la Joslin
Clinic, à Boston, à partir de la mise
en évidence de la microalbumi-
nurie (2), afin de valider lhistoire
naturelle crite par Mogensen. Si
certains sujets suivaient en eet la
séquence installation de la protéi-
nurie/déclin progressif de la fonc-
tion rénale, ce n’était pas du tout
systématique
(Fig. 4)
. En faisant la
revue de la littérature, on réalise que
la probabilité pour un patient mi-
croalbuminurique de le rester ou de
régresser vers la normoalbuminurie
est me deux fois plus élevée que
le risque de devenir proinurique.
Mais ceci ne protège pas comp-
tement sa fonction rénale : en col-
ligeant de nombreuses études, de
type 1 comme de type 2, il apparaît
que la proportion des patients avec
une fonction nale moment
ale (débit de filtration esti
< 60 ml/min/1,73 m2) sans être
protéinurique est considérable, de
lordre de la moit des patients! Il
faut donc nous habituer à ce nou-
veau (au moins dans sa reconnais-
sance) diabétique phropathe :
linsusant rénal pauci-albumi-
nurique. Dire que les insusants
rénaux mos risquent plus de
devenir des insusants rénaux sé-
vères reve de la lapalissade. En
revanche, et l’on retrouve que les
facteurs de risque sont décidément
communs, on a moins conscience
que le débit deltration est aussi un
facteur de risque cardiovasculaire.
Certes, mais via l’hypertension ar-
térielle ? Pas seulement, sa valeur
pronostique est inpendante des
facteurs de risque classique, et sa va-
5 10 15 20 25
Années après le diagnostic du diabète
Prévalence de la protéinurie (%)
100
80
60
40
20
Type II
Type I
30
25
20
15
10
5
0
< 0,5 0,5-1,5 1,5-3,5 ≥ 3,5
HR relatif par rapport au taux le plus bas
de protéinurie dans le gourpe placebo
ESRD
Albuminurie au départ (g/g) Albuminurie à 6 mois (g/g)
Losartan
Placebo
30
25
20
15
10
5
0
< 0,5 0,5-1,5 1,5-3,5 ≥ 3,5
ESRD
Losartan
Placebo
Figure 2 - La prévalence de la protéinurie survient dans les mêmes proportions et sous
les mêmes délais, quel que soit le type de diabète.
Figure 3 - A gauche : le risque de survenue d’une insuffisance rénale terminale (ESRD,
End-Stage Renal Disease) est croissant avec la protéinurie à l’inclusion dans l’essai
de prévention secondaire de la néphropathie diabétique dans le diabète de type 2
RENAAL. A droite : le risque de survenue d’une insuffisance rénale terminale dans
RENAAL est également directement proportionnel à l’albuminurie à 6 mois. Autrement
dit, la réponse au traitement, jugée sur la protéinurie à 6 mois de l’initiation du traite-
ment, nous prédit le niveau de la protection conférée.
DIABÈTE, REIN ET RISQUES
Diabète & Obésité • Février 2012 • vol. 7 • numéro 56 39
leur pronostique compte à un ni-
veau voisin celle de la protéinurie : si
les deux se combinent, protéinurie
et insusance rénale, le risque de
dialyse explose, mais aussi le risque
cardiovasculaire
(Fig. 5)
.
QUELLE EST LA BASE
DE L’AUGMENTATION
DU RISQUE
CARDIOVASCULAIRE ?
On se souvient de l’hypothèse dite
de la Steno (en référence à la cli-
nique Steno au Danemark, centre
de recherche très actif en diabéto-
logie), formulant cette idée ainsi :
«le glomérule est une fenêtre sur
l’endothélium de tout l’arbre vas-
culaire». Parmi les déterminants
qui fondent à la fois les risques
vasculaire et rénal, certains sont
évidents, comme l’hypertension
artérielle, le tabac, l’âge, le dia-
bète, d’autres moins comme les
lipides, et enfin, certains restent
à découvrir. Une autre hypothèse
est, quau-delà des racines com-
munes, les maladies rénales et
cardiovasculaires établies s’entre-
tiennent l’une et l’autre mutuelle-
ment par leur physiopathologie :
hypertension artérielle exagérée
par la rétention hydrosodée qui
augmente la sourance vascu-
laire, réciproquement hypoper-
fusion rénale d’origine vasculaire
qui aggrave le déclin de la fonction
rénale, etc.
(Fig. 6)
. De telles inte-
ractions délétères ont été mises
en évidence de façon extrême en
2000 dans une étude de la coro-
naropathie latente (score de calci-
fication coronaire) chez de jeunes
insusants rénaux en dialyse
(enfants et très jeunes adultes,
peu suspects d’avoir accumulé les
facteurs de risque classiques de
longues années) : après quelques
années de dialyse, le risque coro-
narien augmentait considérable-
ment, atteignant des valeurs qui
indiquent formellement la réali-
sation d’une coronarographie ; de
fait, à l’issue de cette étude, cer-
tains de ces jeunes patients ont dû
être revascu larisés.
QUELLES
CONSÉQUENCES
PRATIQUES ?
Le paradigme du patient diabé-
tique néphropathe forcément
protéinurique, et éventuellement
insusant rénal doit évoluer : ce
patient est en fait soit protéinu-
rique, soit insusant rénal, ce qui
peut se combiner sans que cela soit
systématique. Ces deux caractéris-
tiques ajoutent indépendamment
au risque rénal et au risque car-
diovasculaire. Une conséquence
pratique est qu’il est d’autant plus
Temps (calendrier d’années)
Prot
Microalb
Normoalb
Taux d’excrétion
d’albumine (µg/min)
10 000
1 000
300
100
30
10
0
210
180
150
120
90
60
30
0
c
TFGMDRD
TFGMDRD
( )
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010
6
5
4
3
2
1
0
Hasard ratio
Macro
Micro
Normo TFG 90
TFG 60-89
TFG < 60
Décès cardiovasculaire
Albuminurie
de départ
TFG
au départ
5,9**
3,6**
2,9*
2,0*
1,0
(Ref)
1,2
2,5**
3,4**
1,9*
Figure 4 - Exemple d’évolution atypique”, mais en fait relativement fréquente de
l’albuminurie et de la filtration glomérulaire d’un diabétique de type 1 de la cohorte
de la Joslin Clinic.
Figure 5 - Risque de mort cardiovasculaire des patients diabétiques de type 2 de l’essai
ADVANCE en fonction du débit de filtration glomérulaire estimée et de l’albuminurie :
valeur indépendante de ces deux facteurs pronostiques.
40Diabète & Obésité • Février 2012 • vol. 7 • numéro 56
INTERSPÉCIALITÉS
pertinent de mettre en place les
mesures préventives (en particu-
lier le contle glycémique et ten-
sionnel, et le recours aux statines)
que le patient soit protéinurique,
ou insusant rénal, ou les deux :
le risque cardiovasculaire absolu
est très élevé, le nombre de sujets
à traiter pour éviter un évènement
sera faible. Que font les médecins
en pratique? Le registre REACH
a collecté, au milieu des années
2000, les traitements et les ni-
veaux de facteurs de risque de plus
de 65 000 patients à haut risque
cardiovasculaire, et les a classés
par stades de fonction rénale (3).
Le taux de couverture par statine
(tous ces patients étaient à haut
risque et relevaient d’une telle in-
dication) était respectivement de
75, 72, 67 et 61 % dans les groupes
de sujets ayant une filtration glo-
rulaire estie surieure à 90ml/
min, 60-90, 30-60 ou <30 n
Rétention hydrosodée, HTA, modications lipidiques,
Altérations du métabolisme phosphocalcique, calcications vasculaires, carence en vit D
Anémie par carence en EPO, hyperhomocystéinémie,
Dicultés de prise en charge des évènements,
clairance défaillante de facteurs humoraux ?
Age, tabac, HTA, Diabète, lipides
Atteinte vasculaire
Atteinte rénale
Bas débit, syndrome cardiorénal, iatrogénie,...
Figure 6 - Les maladies rénale et cardiovasculaire chez le diabétique : des racines com-
munes et des interactions délétères qui entretiennent un cercle vicieux d’aggravation
mutuelle.
Mots-clés : Diabète, Rein, Cœur,
Risque, Albuminurie
Retrouvez la bibliographie complète sur www.diabeteetobesite.org
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !