culture s cience

publicité
culture
science
.mag
ABéCédaire
de la crise
De A comme triple A à V comme Vocabulaire
la crise s’invite dans les laboratoires
Sommaire
4 CONFÉRENCE
Triple A. L’évaluation sur le divan
Le psychothérapeute et psychanalyste Roland Gori présentait à Nice
son dernier ouvrage, La Dignité de Penser (Les liens qui libèrent). Il y
revient sur «la religion des marchés».
7 ENTRETIEN
Banques
Afin de mieux comprendre comment fonctionnent les
établissements bancaires, CultureScience.mag a rencontré les spécialistes Eric Nasica
et Olivier Bruno.
11 ANALYSE
La crise de la Dette souveraine
par Albert Marouani
15 LIVRE
Le jeu de la Chine en Euro(pe)
Jean-Paul Guichard et Antoine Brunet publient La visée hégémonique de la Chine.,
nominé pour le prix du meilleur livre d’économie financière de l’année.
18 Idéologie en berne
Sandye Gloria-Palermo, chercheuse au GREDEG, publie en 2010 un article intitulé «Le néolibéralisme à l’épreuve des subprimes»
22 Les marqueurs de la Justice sociale
Collatérale à la crise, la «pauvreté» menace de faire de nouvelles victimes. Mais que signifie,
en 2012, ce terme, dans un pays développé comme la France?
25 Les Laboratoires enquêtent sur les agents rationnels
Confrontés aux imprévisibilités de l’agent économique parfait décrit dans les modèles mathématiques, des chercheurs se tournent vers l’expérimentation in vivo.
28 ENTRETIEN
Philosophie économique
Entretien avec Jean Robelin, professeur émérite de philosophie au Centre de Recherche en Histoire des Idées (CRHI).
32 REPÈRES
Les mécanismes de Régulation
par Dominique Torre
35 Villes en Transitions
Des expérimentations discrètes bousculent le modèle socio-économique
dominant.
Vocabulaire
Abraham Lioui décrypte une série
d’expressions «techniques» passées
dans le langage courant.
Directrice de la publication : Frédérique Vidal
Directeur scientifique : Pierre Coullet
Rédacteur en chef / Rédaction: Laurie Chiara
Crédit Photographique : Institut Culture Science Alhazen
Illustrateur : Matthieu Chiara
Maquette et mise en page papier : Guy Viens
Version pour le web : Laurie Chiara
Copyright : La reproduction des textes, illustrations,
partiellement ou dans leur totalité est interdite, sauf accord
préalable de la rédaction.
Tous au
rattrapage
Le casse-tête à débuté sur un curieux mot,
échappé des pages économiques pour se faufiler en «une» des 20 heures. Les «subprimes»,
comme des balles à blanc tirées d’un pistolet de
starter, ont sonné le départ d’une course longue
et technique. Depuis 2007, pour comprendre le
monde, il semblerait falloir toucher sa bille en
vocabulaire, avoir à son chevet un dictionnaire
d’économie.
Car après la crise des crédits à haut risque,
l’épineuse question de la titrisation, les reportages et autres documentaires se sont engouffrés dans les coulisses d’un univers largement
méconnu. Paisibles derrière leur poste, les
traders ont eu à orienter l’écran de leurs
ordinateurs face caméra. Défiance vis à vis des
banques, imbroglio des places financières, opacité des transactions, tout, soudain, surprend et
indigne.
Or, à peine familiarisés avec les métamorphoses
lexicales des créances individuelles, les spectateurs de la finance se trouvent confrontés
à un épineux débat sur la dette, la croissance
et la monnaie unique. La «crise» américaine
et ses sous-entendus ont traversé l’Atlantique
et ont pris d’assaut la tribune politique. À une
poignée de semaines de l’élection présidentielle
en France, les candidats au poste ne manquent
ainsi pas de plaider, à renfort de chiffres et de
graphiques «pédagogiques». Toutefois, occupés
à convaincre les spécialistes de l’économie du
bien fondé de leur programme, ils en oublieraient presque de se faire entendre
de leurs éventuels électeurs.
Ceci mériterait sans doute de s’interroger sur
la pertinence à maintenir les sciences économiques et sociales au rang de discipline optionnelle, et ce jusqu’au crépuscule du secondaire.
Elles ont sans doute, autant que les sciences
de la nature et du vivant, leur place dans un
socle commun de culture générale. Car elles
paraissent également indispensables pour comprendre le monde contemporain.
CultureScience.mag a donc choisi d’interroger
les chercheurs de l’Université Nice Sophia Antipolis sur onze mots et autant d’idées, évoqués
ces derniers mois aux heures de grande écoute.
Ces derniers se sont prêtés à l’exercice sans
chiffres et sans graphiques. En majeur partie des
économistes, mais pas seulement, ils éclairent
chacun à leur façon une crise définitivement
multidimensionnelle.
Laurie Chiara.
T
riple A
l’évaluation sur le divan
Avec son dernier ouvrage, La dignité de penser, le psychothérapeute et
psychanalyste marseillais Roland Gori s’élève contre « la religion du marché ».
L
e néon phosphorescent d’une enseigne
à trois lettres grésille, intermittent. L’armature métallique vacille, puis bascule.
La France a perdu un A et ses agents économiques tâtonnent dans une soudaine obscurité.
Le front tendu, les tempes humides, ils s’accordent
sur la cause, avec ses allures de lapin blanc, la dette
publique. Ils divergent sur le remède, croissance
ou austérité. Mais ce satané «A» et ses deux homologues rescapés, quasi oubliés, ont-ils seulement
du sens, une histoire, une réalité? Comment penser
cette blessure? Il suffirait, semble-t-il, de corriger
les erreurs, de rentrer dans les clous. En d’autres
termes, de se conformer aux exigences des marchés.
Ainsi, perdre un A, cela reviendrait grossièrement
à présenter un Indice de Masse Corporelle hors
normes. Les Pays se trouvent soumis à un diagnostique mathématique irréfutable associé à un jugement de valeur. Et s’ils veulent être heureux, acceptés, ils ont le choix des outils : diététique, sport,
pharmacopée, thérapie comportementale.
Or, d’après le psychothérapeute et psychanalyste
Roland Gori, cette situation révèle «de nouveaux
dispositifs de servitude», dans lesquels l’évaluation toute-puissante balaie l’inutile du champ des
compétences humaines.
Invité le 8 février dernier à présenter son dernier
ouvrage, La Dignité de Penser, à la Villa Arson
à Nice, cet universitaire marseillais a ainsi tenté
d’éclairer le public sur le glissement de notre civilisation vers le conformisme.
Selon lui, cette tendance repose sur des dispositifs
de néo évaluation. C’est-à-dire qu’il ne s’agirait
plus de donner de la valeur («bon, beau» ou «mauvais, laid»), mais de contraindre, grâce à la menace
de la dévalorisation. «Nous voilà donc en présence
d’un dispositif de gouvernance des populations et
des États, qui tend à se substituer à la pensée et au
débat démocratique», prévient Roland Gori.
culture des résultats,
civilisation des chiffres
Or cette «tyrannie de la gestion», «culture des
résultats», ou encore «civilisation des chiffres»,
se trouverait intimement liée au progrès technologique et numérique, ainsi détourné de ses
nobles applications. Nullement opposé à l’existence des accessoires et outils de dernière génération, le psychothérapeute nous met en garde
contre «la colonisation des esprits». Car selon
lui, l’homme a lui-même transféré «le centre de
pensée», du sujet vers la machine. Ainsi, l’information au sens technique, chiffré, se serait
substituée au savoir narratif, autrement dit à la
Roland Gori, invité de l’Éclat (Lieu
d’Expériences pour le Cinéma, les
Lettres, Arts et techonologies) à la
villa Arson, le 8 février 2012.
Son dernier ouvrage, La Dignité de
Penser, est paru aux éditions Les
liens qui Libèrent.
http://leclat.org
parole et à son substrat, la pensée. Notre civilisation, devenue «purement instrumentale, technique,
économique, rationnelle» n’en a plus que pour
la «production, le capital, l’exploitation de ressources». Le «rationalisme économique morbide»,
nous dit Roland Gori, fait religion. Il modélise des
conduites, façonne l’ensemble de nos relations, y
compris intimes.
‘‘La religion des marchés
chausse les pantoufles
qu’occupaient naguère les
dispositifs éthiques et de
valeur’’
Et après tout, pourquoi pas? Une machine idéalement pensée ne pourrait-elle pas, finalement, orienter, guider les «agents économiques» vers plus de
bien-être et d’harmonie? Le modèle de l’équilibre
des marchés ne prévoit-il pas justice et satisfaction pour tous? Le problème, c’est que le système
n’évalue que ce qui est évaluable... c’est-à-dire objectivable, transformable en langage machine. Or
selon le psychothérapeute marseillais, cela revient
à peu près à tenter de faire passer un chameau dans
un trou de serrure. «Tout ce qui de nos comportements sociaux, de nos relations intimes, de l’en-
semble de nos pratiques ne passe pas dans le canal
étroit de l’évaluation, n’existe pas».
En conséquence, seuls les éléments techniques,
les chiffres, créent de la valeur, soutiennent des
politiques. «À ceci près que les chiffres dépendent
étroitement des dispositifs qui les produisent et à
l’autre bout, de l’interprétation qu’on peut en faire.
Il n’y a pas de «vérité» des chiffres, pas de chiffre
«naturel» ou «évident»», souligne Roland Gori.
D’après lui, ce nouveau mécanisme de censure sociale révèle donc une crise d’autorité. «La religion
des marchés chausse les pantoufles qu’occupaient
naguère les dispositifs éthiques et de valeur», diagnostique le chercheur. Se faire obéir, maintenir
l’ordre bourgeois, passe par la transformation de
tout citoyen en consommateur, y compris de sa
propre existence. Or selon Roland Gori, ce parti
pris en dit long sur la nature de nos sociétés. Il en
veut pour preuve l’exemple de la Grèce Antique.
«Ce n’est pas par hasard que l’émergence de la
pensée rationnelle à Athènes, entre le VIe et le IVe
siècle, qui repose sur une conception d’intelligibilité du monde, de mesure, d’égalité, de proportionnalité, est apparue à un moment où les Grecs se
préoccupent de l’isonomia, c’est-à-dire de l’égalité entre eux», assure le psychanalyste. En regard de
cela, dans nos sociétés, l’engouement pour l’évaluation révèlerait un désintérêt pour l’innovation,
un rejet de la singularité.
B comme... Banques
La crise des subprimes a suscité un sentiment de défiance vis à vis
des banques. Afin de mieux comprendre comment fonctionnent ces
établissements, CultureScience.mag a rencontré le directeur et le responsable des études du Master Professionnalisé
Management Bancaire et Finance Internationale (MBFI).
Eric Nasica et Olivier Bruno sont maîtres de conférences en sciences
économiques et spécialistes d’économie bancaire.
CS.mag : Les banques commerciales s’apparentent-elles désormais à des entreprises
comme les autres, avec un chiffre d’affaires,
des salariés et des produits à vendre?
E.N : Ce sont des entreprises privées. Elles
présentent le même type de fonctionnement, en
particulier parce qu’elles ont à rendre des comptes
à des actionnaires. Elles se trouvent donc confrontées à une exigence de rentabilité. Nous pouvons
également établir un parallèle, y compris chez
les banques mutualistes, dans ce qu’il convient
d’appeler le «management» des ressources humaines. Des convergences se mettent en place sur
les systèmes de rémunération et d’incitation à la
vente de produits. Cette uniformisation se manifeste d’ailleurs dans les critères de recrutement
de nos étudiants, à la sortie du Master. La population moyenne des banquiers a ainsi tendance à se
standardiser avec l’arrivée des nouvelles générations sur le marché du travail. Le seul point où les
banques continuent de se distinguer des entreprises non financières serait peut-être celui de la
réglementation. Il y a ici une volonté d’encadrer
la prise de risques.
CS.mag : Comment cette surveillance se manifeste-t-elle?
O.B : Pour ainsi dire, elle se négocie auprès d’experts internationaux. Ceux-ci émettent des ana-
lyses auprès d’un organisme de recommandations,
dénué de pouvoir réglementaire et dont le siège se
situe en Suisse, à Bâle. Si un ensemble de banques
centrales, en concertation avec les banques commerciales, acceptent de suivre ces avis, ils donnent
lieu à des accords, dits accords de Bâle.
Ces préconisations ont pour ambition de cadrer la
prise de risque, le niveau des fonds propres, le ratio
des liquidités. Les accords de Bâle 3, engagés fin
2010, font suite à la crise des subprimes. Au coeur
de cette débâcle, les banques détenaient des actifs
impossibles à échanger contre du cash. Devenues
illiquides, nombre d’entre elles ont frôlé la faillite.
Les recommandations de Bâle incitent donc les
établissements à augmenter leur niveau de liquidités ainsi que leurs fonds propres, c’est-à-dire leur
capital, pour couvrir leurs pertes éventuelles. Or,
le capital coûte cher et il est beaucoup plus intéressant pour les banques de travailler avec l’argent
placé en dépôt. Les banques vont ainsi entamer des
négociations, avec leurs propres modèles à l’appui.
Elles argumenteront notamment que pour compenser leurs «pertes» elles devront réduire le montant
des crédits octroyés à l’économie. Cela aurait évidemment un impact sur la croissance.
CS.mag : Les banques privées peuvent-elles,
alors, servir l’intérêt public?
E.N : Il existe des filiales d’organismes publics
auxquelles on a, par exemple, assigné le rôle de financer des PME (Petites et Moyennes Entreprises)
innovantes. De plus, si un petit nombre de banques
se sont véritablement spécialisées dans la «niche»
que constitue l’économie solidaire, la plupart des
grands établissements proposent des fonds d’investissement socialement responsables.
O.B : Le micro-crédit, en tant qu’il contribue à sortir un certain nombre de personnes de la pauvreté,
peut également rentrer dans ce cadre. Il prend la
forme de prêts accordés à des individus sans emploi, sans qualification, sans garanties, de manière
à les aider à entreprendre des projets et à réintégrer
le système. Des banques acceptent alors parfois de
prêter à des associations, à des ONG (Organisations Non Gouvernementales), les sommes nécessaires aux micro-crédits. Bien sûr, cet affichage
pourra leur permettre ensuite de ramener à elle de
futurs clients.
CS.mag : Selon vous, l’idée d’une (re)nationalisation du secteur bancaire est-elle crédible et
intéressante?
E.N : Si nous considérons la stabilité financière et
la monnaie comme des biens publics, la (re)nationalisation a effectivement un sens. Maintenant,
en pratique, cela impliquerait pour l’Etat de racheter leurs parts aux actionnaires privés et donc…
d’aggraver encore davantage la dette publique.
Qui plus est, les expériences passées s’avèrent peu
convaincantes. Aujourd’hui, la logique internationale, concurrentielle, pousse à prendre des risques
pour améliorer la rentabilité et à ce jeu là, l’État ne
se montrera sans doute pas plus performant que les
établissements privés.
Les solutions qui semblent émerger vont plutôt
dans le sens d’une incitation gouvernementale à
assainir les pratiques, par exemple à pousser les
banques à augmenter leurs fonds propres. L’État
peut également rentrer dans le capital ponctuellement, avec des contreparties. Il ne serait pas un
actionnaire «classique» et aurait un droit de regard
sur les investissements. Mais actuellement, ces
processus n’ont absolument pas été initiés.
Il y a ensuite les projets des candidats à la présidentielle. Certains soutiennent l’idée de constituer des pôles publics bancaires, afin de favoriser
des investissements jugés «peu rentables». Une
autre option consisterait en une (re)nationalisation
temporaire (sur 3 ou 4 ans), le temps de redonner
confiance aux marchés. Puis l’État revendrait ses
parts avec une plus-value.
O.B : Toutefois cette piste, inspirée de la résolution
des crises en Suède et en Finlande en 1991, valait
en 2008, avant l’explosion du problème de la dette.
Maintenant, elle n’a plus de sens car elle serait trop
coûteuse. Reste, en revanche, un débat théorique
autour du fameux «aléa de moralité». Celui-ci
signifie que si les banques se sentent protégées par
l’Etat en cas de difficulté, elles seront incitées à
prendre plus de risque. On pourrait le résumer par
l’adage : privatisation des profits, nationalisation
des pertes. Il reflète une situation apparemment
inextricable. Les banques privées jouent gros et
risqué afin de maximiser les profits, mais en cas de
faillite, elles se tournent vers les gouvernements,
sans contrepartie. Les Etats-Unis, en ne secou-
rant pas la banque Lehman Brothers, ont tenté de
rompre avec ce schéma. Mais cela s’est soldé par
un désastre. Ainsi, aujourd’hui, la BCE prête en
permanence des montants énormes à des taux ridicules aux banques et pour l’instant, cet argent n’est
pas réinvesti dans l’économie.
CS.mag : Il a été question, également, de séparer les activités de service et celles de finance,
comme le prévoit l’Angleterre à l’horizon 2019.
Ceci présenterait-il un intérêt en France ?
O.B : Entre l’après-guerre et les années 80, les
banques se sont chargées presque exclusivement
de réaliser l’intermédiation entre les dépôts et le
financement de l’activité économique à long terme.
Elles prêtaient abondamment aux entreprises, aux
ménages, elles finançaient des projets échelonnés
sur 25 ou 30 ans. Survient ensuite une période de
déréglementation. Les banques se voient soumises
à la concurrence, entre elles et avec les places
boursières. En réaction, elles se tournent alors
vers les activités de marchés. La conséquence de
cela, c’est que actuellement, au regard de la gestion des comptes courants , des activités d’affaires
et d’investissements, le prêt représente une part
minoritaire dans le Produit Net Bancaire (PNB). Et
en cas de pertes sur les placements spéculatifs, les
banques vont combler la brèche avec leurs fonds
propres et accorder moins de crédits. Séparer les
activités pourrait donc théoriquement mettre fin à
ces vases communicants et en quelque sorte responsabiliser davantage les activités de marchés.
E.N : D’un autre côté, aux Etats-Unis, les banques
qui ont fait faillite ne mélangeaient pas les genres.
Elles étaient spécialisées dans l’activité de banque
d’investissement. Ainsi, en contrepartie de l’aide
de l’État, les rescapées doivent maintenant s’engager à augmenter leurs fonds propres et à s’ouvrir
aux activités de dépôts. Car, indépendamment des
conjonctures, cela garantit des bénéfices et permet
donc aux établissements de se constituer un coussin de sécurité.
Plutôt que de cloisonner les activités, la tendance
serait donc de limiter la partie «marchés» dans
l’exercice des banques «universelles».
CS.mag : Notre argent finance des activités dont
nous n’avons généralement pas idée et qui vont
peut-être même à l’encontre de nos convictions.
Qui fait «travailler» les placements et selon
quelles règles?
O.B : Tout dépend du placement, mais prenons le
cas de l’assurance vie. Le conseiller clientèle vend
le produit, puis l’investissement apparaît sur un
compte bancaire. Évidemment, l’argent remonte en
réalité jusqu’à la cellule placements de l’établissement, puis vers une assurance, adossée à la banque
(d’ailleurs il s’agit parfois d’une filiale). Dès lors,
vous pouvez détenir 100% de fonds en euros,
autrement dit de la dette publique européenne. Ou
bien, la banque, en accord avec l’assureur, gère
également des fonds communs de placements,
c’est-à-dire un portefeuille de titres, construit avec
des objectifs précis. Par exemple, celui d’investir
dans les grandes entreprises françaises. Vous pouvez alors choisir de répartir votre argent entre des
fonds en euros et ces dernières activités, plus diversifiées. Dans ce cas de figure, vous aurez éventuellement la possibilité d’intervenir directement sur la
répartition des unités de compte.
E.N : Nous le voyons bien, ces placements soulèvent la question de la transparence des opérations, vis à vis du client. À ce sujet, une directive
européenne contraint aujourd’hui les banques à
livrer des informations sur le niveau de risque,
mais pas sur les secteurs d’investissements et donc
pas sur leur aspect moral ou éthique.
La tendance serait donc de garder sous couvert du
secret bancaire les informations susceptibles de
nuire à l’image de la banque et à communiquer sur
des possibilités de placements sûrs, bien que faiblement rémunérés.
propos recueillis par laurie Chiara
L’analyse
Albert Marouani,
Professeur d’économie
La crise de la
dette souveraine
L
a dette publique de
certains pays européens défraie, depuis
plusieurs mois, la
chronique. Le risque avéré, pour
ces pays, de défaut de remboursement (plutôt de paiement du
service de la dette), a conduit
les agences de notation à dégrader leur note de crédibilité. Cette
sanction a contribué à renchérir
la pression sur les versements,
donc à aggraver encore le risque
de défaut et à faire peser par la
même occasion une menace de
contagion systémique de la crise
à toute l’Europe.
Le débat dans les média et dans
la sphère politique s’est focalisé
sur le déficit budgétaire (c’est-à-
dire à un niveau de recettes inférieur aux dépenses) à l’origine de
la dette publique. Les dépenses
publiques « inconsidérées » des
« Etats laxistes, enclins à tomber dans la démagogie et la
facilité », se trouvent stigmatisées. Pour aller encore plus loin
dans cette vision manichéenne,
l’idée a été avancée de lier les
mains des Etats dépensiers en
les obligeant à adopter un principe d’équilibre budgétaire plus
ou moins strict, érigé en « règle
d’or ». Cette règle serait encore
plus contraignante que celle de
Maastricht, alors même que très
peu de pays, dont l’Allemagne,
pays supposé le plus vertueux,
ne l’avaient respectée.
Au lieu d’encourager la bonne
gestion des finances publiques,
cette fausse « bonne idée » pourrait entraîner une régression des
politiques macroéconomiques
du « fine tuning » (peaufinage
conjoncturel) et du « policy
mix » (1) .
Rien ne justifie en effet que
le Trésor Public, composante
essentielle de tout système financier moderne, se prive par
principe du recours à l’emprunt pour financer ses investissements.
Par ailleurs, la dette publique
par émission de titres n’est pas
seulement un moyen de financer
des dépenses, elle est aussi un
instrument de politique monétaire. Elle permet en effet aux
autorités monétaires (La Banque
Centrale, notamment) de réguler
la masse monétaire en circulation dans l’économie nationale.
En agissant ainsi sur la liquidité,
la politique mise en œuvre peut
influer sur l’épargne, le crédit,
l’investissement, l’emploi et in
fine la croissance.
Bref, au-delà des idées simplistes
sur le caractère supposé nocif
par essence de la dette publique,
il convient plutôt d’orienter le
débat sur sa soutenabilité. Celleci doit être appréhendée non pas
seulement en termes de niveau,
mais aussi et surtout en termes
de structure (2).
C’est cette dimension qualitative et structurelle de la dette
publique qui permet de comprendre qu’un pays comme le
Japon, avec un taux d’endettement très important, de l’ordre
de 120% de son PIB, n’a pas
de difficulté majeure à gérer sa
dette, essentiellement libellée en
Yen et détenue par des citoyens
japonais. Ces derniers possèdent encore par ailleurs des
marges d’épargne importantes.
De même, la contrainte de remboursement et le risque de défaut ne sont pas de même nature
selon que l’on s’endette dans
sa propre monnaie ou dans une
autre monnaie, en général une
devise clé jouant le rôle de monnaie internationale (Dollar US,
Euro, Yen…). Les Etats-Unis,
endettés dans leur propre monnaie, créent de la monnaie pour
compenser leur dette publique
depuis de nombreuses années,
sans que cela ne pose de pro-
blèmes majeurs en termes d’inflation ou de compétitivité, ni
ne suscite d’inquiétude des marchés financiers et des agences de
notation.
Dès lors qu’un Etat souverain
présente des difficultés à rembourser le service de sa dette,
il importe de bien faire la part
entre ce qui peut relever d’un
problème conjoncturel et qui
peut se résoudre par rééchelonnement et refinancement, de ce
qui est plus gravement un problème structurel de solvabilité.
Dans ce dernier cas, on est véritablement en situation de crise et
se pose la question de la gestion
politique et financière.
On peut utilement faire un
parallèle entre la crise actuelle
de la dette publique des pays
développés de celle des pays en
développement des années 80.
Deux types d’actions ont alors
été entreprises.
Des actions internes, en termes
d’ajustement, ont visé la demande (réduction de la dépense
publique et de la demande privée par accroissement des recettes fiscales et pression sur les
salaires) ou/et l’offre (privatisations, désengagement de l’Etat,
politique de libéralisations commerciale et financière, etc.). De
ce point de vue, la situation ac-
(1) désigne l’« art » de combiner de manière optimale, en fonction de la position dans le cycle économique, la politique budgétaire et la politique monétaire
(2) maturité, durée, taux d’intérêt, nationalité des détenteurs des créances, répartition de l’épargne nationale, monnaie de référence de libellé de la dette, etc.
tuelle de la Grèce ressemble par
certains côtés à la situation des
Pays En voie de Développement
dans les années 80, contraints
par la Banque Mondiale et par le
FMI à pratiquer des programmes
d’ajustement structurel (les «
PAS »).
Des actions externes, consistant
à rééchelonner et à restructurer la dette en termes de durée,
d’échéances, de taux d’intérêt,
de refinancements. Sur ce plan,
on peut être frappé par l’absence
actuelle de solutions financières
innovantes, alors que dans les
années 80 on avait assisté à une
grande créativité financière, tant
dans le domaine de la mise en
oeuvre de nouveaux produits et
instruments financiers (« Debt
buy back », « debt equity swap
», « Exit bonds », etc.) que dans
celui de nouvelles techniques
financières (la technique des «
swaps » par exemple) et de nouveaux marchés (marchés gris de
la dette publique).
Ces innovations avaient permis aux banques créancières
des pays en développement
endettés, de surmonter cette
crise de solvabilité de la dette
publique.
Elles ont pu alors d’une part,
réaliser des profits sur la gestion de la dette sur le marché
gris et d’autre part, concéder
un moratoire (un délai) sur une
grande partie des titres de la
dette, parfois négociés avec des
décotes de 50% à 90% de leur
valeur faciale (3). Les banques
créancières des Etats endettés
étaient d’autant plus enclines à
pratiquer un moratoire qu’elles
comptaient déjà en large partie dans leur bilan des créances
douteuses.
Ces deux types de mesure (interne et externe) doivent être
compatibles entre elles et il
convient à cet égard de se souvenir que faute d’avoir su penser
cette articulation, les PAS ont
conduit à ce qui a été qualifié par
la suite de « décennie 80 perdue
pour le développement ».
(3) valeur indiquée sur le produit mis en vente
Il est clair qu’un ajustement «
par le bas », qui réduit le demande interne sans discernement et de manière brutale, peut
non seulement empêcher une
reprise économique conjoncturelle, mais peut aussi casser les
ressorts d’une croissance à long
terme.
Quelle réponse la théorie économique peut-elle apporter à
la gestion à court terme de la
crise de la dette souveraine ?
Celle-ci suppose, comme
expliqué précédemment, de traiter simultanément ou successi-
vement de deux types de problèmes :
Un problème de liquidité, pour
assurer à la fois la continuité du
paiement du service de la dette
et la poursuite d’une politique
d’investissement dans des biens
publics porteurs de croissance.
Un problème d’incitation, à la
fois vis-à-vis des pays endettés, pour les conduire à honorer
leurs échéances, mais aussi visà-vis des banques et de tous les
investisseurs et gestionnaires
de patrimoine sur les marchés
financiers, pour les inciter à prêter et à placer à nouveau.
Mais comment expliquer que les
deux parties aient un intérêt mutuel à s’entendre sur une réduction de la dette?
Quels sont donc les éléments
du calcul économique du débiteur qui lui permettent d’arbitrer
entre la répudiation ou le remboursement total ou partiel ?
En 1986, Eaton, Gerwovitz et
Stiglitz ont expliqué la crise
de la dette publique internationale des années 80 par l’intérêt
qu’avaient de nombreux pays en
développement à opter pour la
voie de la répudiation. En 1988,
les analyses se sont orientées
vers des explications en termes
d’aléa moral et de surendettement (P. Krugman).
Dans ces modèles, on examine
dans quelle mesure les charges
du service de la dette exercent
un effet d’incitation inverse
sur l’économie, tout comme un
impôt trop élevé peut conduire à
se détourner de l’investissement
productif (Sachs 1989).
On en est ainsi venu à démontrer qu’une réduction de la
dette peut être bénéfique pour
le créancier, car elle augmente
la probabilité du remboursement par le débiteur.
Aujourd’hui, la BCE a en partie
répondu au problème de liquidité de la Grèce sans s’attaquer
véritablement au problème de
solvabilité. Il est paradoxal de
constater que l’assurance qui est
donnée par l’UE aux banques,
aux fonds souverains et autres
créanciers, qu’ils seront payés
intégralement, n’incitent pas
ces derniers à pratiquer un moratoire. Car il apparaît de plus
en plus clairement qu’il faudra au plus tôt procéder à une
annulation partielle de la dette
publique accumulée, pour pouvoir à nouveau relancer par le
crédit la machine économique
de l’UE, et au-delà des USA et
de l’économie mondiale.
Une autre partie de la dette publique pourra être annulée par
création monétaire, d’autant
plus facilement que cette dette
est libellée en Euros.
Cette création monétaire, dans
le contexte déflationniste actuel
qui sévit en Europe, a peu de
chances de se traduire par une
forte inflation. Une forme douce
« d’euthanasie du rentier », pour
reprendre une expression bien
connue de Keynes, permet-
trait d’agir sur le partage de la
valeur ajoutée salaires-profits,
qui pourrait alors s’inverser en
faveur des salaires. Ceci permettra de relancer la consommation
et de favoriser par ce biais, les
investissements et l’emploi.
Au-delà d’une bonne gestion
financière à court terme de la
crise de la dette publique de
l’UE, il faudra s’attaquer très sérieusement aux questions structurelles, des inégalités de niveau
de développement, au sein des
pays de la zone Euro, et sans
doute aussi au-delà aux pays
du voisinage. Cette action stratégique doit inclure les hypothèses, sinon d’une unification,
du moins d’une coordination
forte, des politiques budgétaires
et fiscales. Ces politiques de régulation conjoncturelle doivent
s’intégrer dans le cadre de modèles de croissance incluant la
sphère financière et la dimension protection de l’environnement et développement durable.
Il n’y aura pas d’avenir de l’UE
et au-delà des pays du voisinage,
incluant les pays de l’Est et tout
le pourtour méditerranéen, sans
investissements massifs dans
l’économie de la connaissance
et dans l’innovation Δ.
Le jeu de la Chine
en Euro(pe)
Si la croissance des pays européens
mort la poussière et les contraint à
s’endetter, si la compétitivité manque,
«il faut regarder du côté du yuan»,
nous dit Jean-Paul Guichard, auteur
avec Antoine Brunet de
La visée hégémonique de la Chine.
→
Le livre
(1) La visée hégémonique de la
Chine. L’impérialisme économique.
Ed. L’Harmattan.
207p.
coll Questions
contemporaines.
Mention d’honneur
du 25e prix Turgot
du meilleur livre
d’économie financière de l’année.
U
ne catastrophe, à un moment, a tendance
à se résumer en un zapping d’images
émotionnellement chargées. Cinq ans
après les premiers jours «noirs» de la
bourse américaine, défilent ainsi, sur les écrans, des
jardins privatifs encombrés de meubles, des Indignés, des abris de fortune, des traders reconvertis
en tour operators de wall street, des usines abandonnées. La «crise», multiculturelle, transatlantique,
passe des mains des américains à celles des européens. La dette se substitue aux emprunts toxiques.
Or, sans absoudre ces mécanismes, deux auteurs,
Jean-Paul Guichard et Antoine Brunet, traitent,
dans un livre publié en février 2011 (1), ces sombres
coupables en leur qualité d’effets secondaires, de
contre-coups. Dans La visée hégémonique de la
Chine, l’un, économiste rattaché au GREDEG (2)
et l’autre, Président de la société AB Marchés, proposent en effet une lecture de la crise à plus grand
angle. Pour eux, dans un système de libre-échange
généralisé, le malaise est d’abord éminemment monétaire.
Car derrière les innovations financières douteuses, il
y a une panne de la consommation intérieure. Et au
verso de cela, les économistes pointent encore des
exportations en berne. Or, si la croissance des pays
dits «développés» mort la poussière et les contraint
à s’endetter, si la compétitivité manque sur le sol européen, «il faut regarder du côté du yuan», nous dit
Jean-Paul Guichard. Comme l’Angleterre à la fin du
18e siècle, puis les Etats-Unis et après eux le Japon,
les Chinois aspirent désormais à régner en maîtres
sur les échanges marchands.
l’industrie occidentale, la Chine exige en effet désormais d’obtenir aussi le transfert des technologies.
Ainsi, pour l’économiste du GREDEG, le terme de
délocalisation masque en fait ni plus ni moins un
phénomène de désinvestissement profond.
Les firmes industrielles privées apparaissent donc
peu enclines à présenter un sursaut de patriotisme,
susceptible de sauver les exportations d’un occident
économiquement sur le déclin. Malheureusement,
«un déficit du commerce extérieur va de pair avec
un déficit budgétaire record...», prévient Jean-Paul
Guichard. «Si celui-ci ne se rétablit pas, il est mathématiquement impossible d’assainir les comptes»,
prévient-il encore.
Crise de l’Euro(pe)
‘‘Les États ont laissé investir
dans la production matérielle
en Asie, convaincus que eux
garderaient les «cerveaux»!’’
Ils soutiennent pour cela une stratégie mercantiliste,
c’est-à-dire fondée sur le déséquilibre des échanges.
Or, pour mener à bien cette entreprise, il faudrait
idéalement combiner une monnaie très dévaluée à
un fort protectionnisme. Cela amène en effet les entreprises occidentales à pouvoir payer des ouvriers
avec une monnaie achetée à un prix imbattable. Mais
d’un autre côté, leur «hôte» favorise sur son terrain
le «produit chinois». Et si les pays dits «développés» ont soutenu cette réorganisation internationale
du travail, c’est, selon Jean-Paul Guichard, «portés
par une vision naïve, soit dit en passant fondée sur
le racisme».
«Les États ont laissé investir dans la production
matérielle en Asie, convaincus que eux garderaient les «cerveaux»!», souligne l’économiste. Or
aujourd’hui, l’Empire du Soleil Levant érige, dans
tous les domaines, des entreprises à vocation de
leadership. Pour accorder un marché aux géants de
Alors, faudrait-il dévaluer l’euro pour «affaiblir»
le yuan? La Banque Centrale Européenne a déjà
opéré des manipulations budgétaires. Elle a vendu
des euros contre d’autres devises afin de ramener
à la baisse le cours de la monnaie. «Nous sommes
encore au-dessus, mais nous estimons qu’un taux
de change à l’équilibre avoisinerait 1,15$ pour 1€.
Cela ne résoudrait pas tout, néanmoins ça allégerait
le déficit commercial de beaucoup de monde», assure le chercheur.
De nouveaux marchés pourraient par exemple se
créer, au moins à l’échelle du réseau européen... «
Cependant, le cas de la Chine révèle des tensions
dans la zone. La stratégie de l’Allemagne, par
exemple, avec un excédent commercial record,
une politique de bas salaires, repose à l’échelle de
l’Europe sur de forts déséquilibres. À un point qui
me paraît difficilement viable», annonce Jean-Paul
Guichard. Moins qu’une Europe à deux vitesses, y
aurait-il ainsi une tentation de percée hégémonique
au sein de l’Union?
Faut-il, sinon, considérer l’Euro(pe) comme un défi
insurmontable? Avec l’entrée dans la zone euro,
l’homogénéisation des échanges «à un contre un»,
des soupapes ont certes disparu pour les pays les
plus fragiles, toutefois l’économiste ne promeut pas
le grand retour en arrière. «La crise est grave; pour
certains pays, une sorite de la zone euro pourrait
s’imposer. Cependant, la réversibilité aurait un coût
et sans doute des effets destructeurs sur l’Union»,
explique-t-il.
Un nouvel Ordre Mondial
du Commerce
A contrario, procéder à du fédéralisme budgétaire,
c’est-à-dire demander aux uns de pallier les déficits
des autres, exacerberait les tensions. «Ce que l’Italie du Nord réalise pour l’Italie du Sud repose sur
une aspiration à la réunification, sur le partage d’une
langue. Cela ne peut pas se transposer à la Finlande
et à la Grèce», estime l’économiste.
Pour le chercheur, il faut incontestablement s’attaquer à la «dette folle», autrement qualifiée de
«noeud coulant pour l’Europe», mais via la reprise,
et pour cela il ne voit qu’une alternative. Les deux
auteurs préconisent une sortie, suivie d’une refonte,
de l’OMC. Car avec l’entrée formelle de la Chine
dans l’Organisation Mondiale du Commerce, les
pays occidentaux ont perdu toute possibilité d’instaurer des droits de douane pour les produits «made
in China» des entreprises multinationales.
«Il faudra quitter l’OMC qui est devenue, dans les
faits, une organisation au service de la Chine et
créer une nouvelle organisation internationale ayant
comme objectif le développement d’un commerce
mondial équilibré, conformément à ce qu’était la
préoccupation de J.M.Keynes à Bretton-Woods», indiquent Antoine Brunet et Jean-Paul Guichard
(p195). Sans quoi, «On va tous nous transformer en
gardiens de musées et en garçons de cafés», ironise
le chercheur du GREDEG.
(2) Groupe de Recherche en Droit, Economie et Gestion
de l’Université Nice Sophia Antipolis.
Idéologie en berne
Sandye Gloria-Palermo, chercheuse au GREDEG, publie en 2010 un article intitulé «Le néolibéralisme à l’épreuve des subprimes» (1). L’auteur y décrit les valeurs idéologiques dominantes
depuis la fin des années 70 jusqu’à la crise de 2007 et évoque alors plusieurs «après» possibles.
Car les crises, ces «cataclysmes», écrit-elle, se révèlent «propres à remettre en discussion des
normes sociales passées».
CS.mag : D’abord, comment
caractériseriez-vous les valeurs
néolibérales en vigueur au
moment de la crise?
S.G.P : Pour les résumer de façon
très synthétique, elles s’articulent
autour d’un crédo; le libre marché fonctionne et si nous ne nous
interposons pas, les valeurs économiques tendent vers un équilibre
propre à satisfaire tous les individus. Au contraire, l’intervention
est dommageable. La différence
avec la pensée keynésienne
d’après-guerre, c’est qu’on ne
revendique plus de savoir piloter
l’économie de façon très précise.
Il n’est plus question d’incursions
politiques visant, même, à corriger
des imperfections très ponctuelles.
C’est l’idée qui sous-tend les
modèles des principales institutions que sont le Fonds Monétaire
International ou les Banques
Centrales. Afin de se rapprocher
le plus possible d’une situation de
marchés «parfaits», ces modèles
(1) American Sociological Association, Volume XVI, Number 2,
Pages 266-282
poussent à la dérégulation.
leur cap...
CS.mag : Selon votre analyse, la
crise est financière à plusieurs
titres. Elle touche par exemple
ce que vous qualifiez de «gotha»
de la finance mondiale et elle
est portée par des produits
financiers aujourd’hui désignés
comme «toxiques». Toutefois,
si ces produits émergent à un
moment, n’est-ce pas aussi pour
pallier un défaut de commerce
extérieur, comme un symptôme
que le système est grippé?
CS.mag : Vous dites que la crise
surgit comme un cataclysme
propre à remettre en discussion
des normes passées. S’agit-il de
l’affaire des populations exposées ou de celle des intellectuels?
S.G.P : Tout à fait. L’aspect financier fait davantage figure d’étincelle. La cause profonde se trouve
dans une recherche constante de
rentabilité de la part des banques,
en même temps qu’elles se
heurtent à une faiblesse croissante
de la consommation, dans un
système tiré par la demande intérieure. Depuis le début des années
2000, on observe aux Etats-Unis
une véritable compression des
salaires réels.
Ceci conduit à déprimer la
demande. Or la façon dont l’économie tente de contourner ce
mécanisme repose sur le crédit.
Une politique de prêts à taux très
faibles permet en effet de recréer
du dynamisme. Donc en effet,
dans ce modèle, les banques
prennent le relai en cas de défaillance du système. Et cela fonctionne tant qu’elles maintiennent
S.G.P : Même chez les populations touchées, il y a peut-être là
l’occasion de mouvements antisystémiques importants. En Grèce,
aux Etats-Unis, c’est ce qu’il
semble s’organiser. Ensuite, à un
niveau plus académique, on se
heurte à une crise intellectuelle. Il
s’agirait là plutôt d’une révolution
scientifique au sens de Kuhn (2).
CS.mag : Vous constatez, en
2010, «le triomphe international
du réformisme». Vous citez la
remise en cause de l’efficience
du marché, la réhabilitation de
l’interventionnisme, la régulation-moralisation financière.
N’était-ce pas un peu optimiste?
S.G.P : Totalement. Mais je dis
dans l’article que l’intensité de
ces réformes, de ce renouveau
keynésien, de ce consensus vers,
dépend de l’intensité de la crise.
Or on est très vite revenu à des
anciennes recettes. Sauf aux EtatsUnis, qui continuent de prôner la
relance. Paul Krugman, Joseph
Stiglitz, Larry Summers ont beau
être issus du «main stream», ils
défendent becs et ongles que la
rigueur n’est pas la solution. Pour
eux, cela vaut ni plus ni moins
la saignée dans la pratique de la
médecine médiévale. Toutefois, à
l’échelle occidentale, leurs positions sont redevenues minoritaires.
La tendance est de se remettre
à la disposition de la discipline
des marchés. En France, le manifeste des économistes atterrés
irait certes à contre-sens, mais au
niveau européen le modèle allemand domine, avec sa rigueur et
ses exigences sur l’assainissement
des dépenses publiques. Un des
problèmes majeurs souligné par
les économistes atterrés, c’est que
des prêts sont bien émis, mais à
destination des banques. Dans un
second temps, celles-ci sont certes
sensées prêter aux États, mais leur
objectif étant d’abord de faire des
profits, cela donne lieu à des taux
quatre à six fois supérieurs à leur
valeur initiale.
CS.mag : Vous tracez dans votre
article les contours du «post-capitalisme financier». Il a certes
été question, au début de la
crise, de New Deal économique
et écologique, mais sans suite.
Comment expliquer la retombée
de ces ambitions fortes?
S.G.P : Là encore, des questions
de rentabilité de court terme
semblent prendre le pas sur les
précédentes annonces et sur l’inté-
(2) Thomas S. Kuhn La structure des révolutions scientifiques, 1962. Il y développe la thèse d’une science progressant de manière fondamentalement discontinue, c’est-à-dire non par accumulation mais par rupture.
rêt des générations futures. Modifier les processus productifs se
présente à court terme comme trop
coûteux, en tous cas dans environnement où la priorité semble
être l’assainissement des dépenses
publiques. D’un autre côté, des
engagements de politique industrielle doivent être pris car dans
ce domaine, si on laisse faire le
marché, la relance ne viendra pas.
en ce sens?
CS.mag : À défaut de changement majeur, il semble que
les modèles mathématiques
employés en économie suscitent
désormais un large scepticisme.
Le monde économique et financier saura-t-il se passer de ces
outils et la voie est-elle ouverte
S.G.P : Il s’agit en effet d’une
conséquence de la crise. Il existe
bel et bien une critique de l’usage
hyper intensif fait de l’outil
mathématique. Être un bon économiste aujourd’hui, c’est avant tout
devenu être un bon mathématicien.
Le terme même a changé. Avant
Au Portugal, les artistes lisboètes s’emparent des façades d’immeubles désertés pour livrer leur interprétation
de la crise internationale
transforment pour devenir des
«hypothèses objectives». Grâce
à ce malentendu, les modèles
peuvent tourner, alors même que
les conditions mathématiques
nécessaires au fonctionnement du
marché sont totalement irréalistes.
Il s’est installé un décalage de plus
en plus dur à éliminer, entre la
signification réelle des hypothèses
mathématiques et la complexité
des modèles. On ne sait plus ce
qu’ils veulent dire mais on considère qu’ils démontrent une vérité :
les marchés fonctionnent.
CS.mag : Les conditions seraient
donc propices à réhabiliter les
sciences humaines en économie?
La philosophie, la sociologie,
la psychologie par exemple
pourraient-elles apporter des
éléments de réinterprétation
intéressants?
on parlait d’économie politique
pour désigner notre discipline,
mais depuis la fin des années 70
on préfère parler d’economics en
anglais, de science économique en
français.
Ceci a d’ailleurs participé à la
diffusion des idées néolibérales.
Car l’introduction des mathématiques semble apporter de la
neutralité. Cela n’élimine pas
les jugements de valeur, mais
ça les masque, puisqu’on utilise
quand même les mathématiques
pour formaliser une théorie, donc
quelque chose d’enlacé dans des
jugements de valeurs. Toutefois,
grâce à ce processus, ceux-ci se
S.G.P : Il y a des traditions qui
vont dans ce sens, portées par
exemple par l’économie de courant institutionnaliste ou cette
autre, évolutionniste. Ces approches, déjà, préconisent l’usage
d’outils mathématiques de nature
différente. Elles invitent, afin de
rendre la réalité, à privilégier les
simulations numériques et l’apport
d’autres disciplines des sciences
humaines. Avec la simulation, la
notion d’explication diffère de
celle contenue dans les modèles
classiques. Dans un modèle standard, expliquer un phénomène
d’équilibre général, c’est démontrer qu’il existe. Tandis qu’avec
les simulations, expliquer un
phénomène c’est le construire. On
pose des équations, on rentre des
données, et on regarde si le phénomène émerge. Là, nous aurons
enfin explicité les processus à
l’origine des situations de marchés.
CS.mag : Deux ou trois ans
après cet article, quel regard
portez-vous sur l’évolution de la
situation?
S.G.P : ce qui me frappe vraiment beaucoup, c’est comment
les Etats-Unis, où est née la crise,
sont sur le point de se reprendre et
comment le coeur de la crise s’est
déplacé sur l’Europe, pour se focaliser sur les pays soit-disant coupables de «mauvaises pratiques».
Cela rappelle fortement l’époque
des politiques d’ajustements structurels, où le FMI accordait une
aide sous condition de réformes
très strictes. On dirait que la crise
aujourd’hui, c’est ça, le problème
de pays qui n’auraient pas su
maîtriser leurs dépenses. Or non,
elle ne vient pas de là. Les pays
se trouvent engagés à l’extrême
dans la logique du libre-échange,
et aujourd’hui ils sont soumis au
jugement des marchés touts-puissants. Pour se financer, les pays ne
peuvent pas recourir à la création
monétaire, ni à l’emprunt auprès
de la banque centrale. Le marché
décide. Or c’est de là , à mon avis,
que viennent toutes les tensions.
Le rôle de la Banque Centrale
mériterait sans doute d’être repensé, ne serait-ce que vis à vis du
pouvoir des banques privées.
Les marqueurs de
la Justice sociale
Collatérale à la crise, la «pauvreté»
menace de faire de nouvelles victimes. Mais que signifie, en 2012,
ce terme, dans un pays développé
comme la France?
‘‘
Travailleurs pauvres, grande précarité,
situation d’exclusion’’. Les mots claquent
sur fond de trottoirs sales et de ciel gris.
Repas de rue, intérieurs insalubres, nouveaux chômeurs défilent devant l’oeilleton médiatique. La crise économique et financière abandonne les quartiers d’affaires pour un bref détour
du côté des «classes populaires». La «pauvreté»
menace de frapper, à la manière d’un virus saisonnier. Mais que signifie, en 2012, ce mot, dans un
pays développé à l’image de la France? Question
d’approche. Traditionnellement, les études statistiques s’intéressent à des données faciles d’accès
et à fort potentiel de communication. «Elles analysent le pouvoir de consommation des individus,
leurs revenus, afin de déterminer un indice de pauvreté monétaire», explique Valérie Bérenger, chercheuse au GREDEG.
En résumé, la pauvreté aurait tendance à se concevoir comme une situation de privation, au regard
(1) la moitié des salariés d’une population donnée
gagnera plus que le salaire médian et l’autres moitié
gagnera moins. Il ne s’agit donc pas de la moyenne
de l’ensemble des salaires. Il s’élève à 1653€ nets
en France.
d’une «norme». Cette «ligne» symbolique réfère
par exemple au salaire médian d’une société (1) ou
à un «panier limite» de biens journaliers marchands
nécessaires aux personnes. «Le terme d’exclusion,
en revanche, renvoie davantage aux processus
susceptibles de conduire à la pauvreté», précise
l’économiste. Le concept, avancé en 1974 dans
les travaux du Français René Lenoir, fait d’ailleurs
référence aux «individus écartés des systèmes de
protection sociale». «L’exclusion se présente sous
une forme diffuse, car elle touche les relations inter individuelles. Elle amène ainsi à une réflexion
sur le fonctionnement même des Institutions», note
Valérie Bérenger.
l’Indice de Développement
Humain éclipse l’indicateur
monétaire
Déjà, ces subtilités témoignent de la possibilité
d’approcher la notion de pauvreté de façons plus
ou moins complexes et multidimensionnelles. Mais
une décennie et demie plus tard, l’Indien Amartya
Sen et le Pakistanais Mahbub Ul Haq, marquent
une véritable révolution en ce sens, avec l’invention de l’Indice de Développement Humain (2). Ils
incluent aux analyses classiques, en 1990, l’espérance de vie et le niveau d’études. Ils tentent ainsi
d’identifier les différentes situations susceptibles
d’entraver l’épanouissement individuel et collectif. Sous l’influence d’Amartya Sen, la pauvreté
s’enrichit de critères non comptables, pour considérer les problèmes de justice sociale, d’inégalités,
de possibilités de réalisation.
Reste, pour les chercheurs, à trouver les «bons»
marqueurs, les mieux à même de révéler tous les
visages de la pauvreté. Malheureusement, «l’arbitraire du choix, la limite des données disponibles,
la synthèse et la pondération des données, suscitent
bien des polémiques», convient Valérie Bérenger.
L’indicateur monétaire reste donc encore le plus
aisé à relayer dans le discours. Néanmoins, y compris au niveau européen, l’idée d’un repère plus
précis semble acquise. «Le rapport 2011 du Programme des nations unies pour le développement
présente un nouvel indice (3), où les pays sont classés selon le nombre de dimensions pour lesquelles
leurs habitants sont considérés comme pauvres»,
révèle l’économiste. Le Pnud publie en outre depuis 2010, un indice d’inégalité de genre (4) et un
IDH ajusté aux inégalités (5).
De l’impact de la croissance
sur les revenus des plus
pauvres
En attirant l’attention sur ces dimensions, y compris dans des pays très bien classés en terme de
revenu par tête, les économistes soulèvent ainsi
par la même occasion des insuffisances politiques.
Certains ont ainsi étudié, à la fin des années 90, les
vertus possibles de la croissance sur les pauvres.
«De leur point de vue, la corrélation entre le PIB et
les autres indicateurs va dépendre de l’impact de la
croissance sur le revenu bas, mais aussi sur les dé-
(2) IDH, aujourd’hui repris par le Pnud.
(3) IPM, pour Indice de Pauvreté Multidimensionnelle. http://hdr.undp.org/fr/statistiques/ipm/
(4) http://hdr.undp.org/fr/statistiques/iig/
(5) http://hdr.undp.org/fr/statistiques/idhi/
penses publiques, sur les priorités qu’accordent les
pouvoirs publics au développement des services
sociaux», explique la chercheuse du GREDEG. À
titre de comparaison, dans l’approche «classique»,
la croissance est sensée «ruisseler» spontanément
sur toutes les couches d’une société.
Une vision également contestée par Amartya
Sen. L’économiste indien développe ainsi une
«approche des capabilités». Il insiste sur l’importance de permettre la conversion des moyens en
accomplissements, en fonction d’un ensemble de
facteurs, personnels, sociaux, environnementaux.
«L’IDH pose le socle des opportunités de base
dont doivent disposer les individus, mais ensuite
se pose la question de ce qu’ils en font. La question
est de savoir, par exemple, s’ils peuvent utiliser
ce support pour exercer leur droit politique, pour
faire valoir leurs droits humains», insiste Valérie
Bérenger. Un sujet très actuel, au lendemain des
«printemps arabes», notamment chez les femmes.
«Les inégalités dans la répartition des pouvoirs et
des ressources, des rôles et de la prise en compte
du cycle de vie persistent, comme en témoigne le
concept de féminisation de la pauvreté», conclut
l’économiste.
Les Laboratoires
enquêtent sur
les agents rationnels
Confrontés aux imprévisibilités de l’agent économique parfait décrit dans les modèles mathématiques, des chercheurs se tournent vers l’expérimentation in vivo.
N
ul ne lui connaît de corps. Il est sans
attributs, bec ou ongles, ailes ou harpon. Il n’existe pas d’allégorie pour le
désigner. Il s’agit pourtant bien d’une
légende, nourrie d’une utopie. Homme-machine,
il est une figure indétrônée de l’économie de marchés. Mathématiciens et économistes ont bâti sa
réputation sur sa faculté à raisonner sans s’émouvoir, à toujours produire des réponses optimales
grâce à un calcul approprié. Tel est le portrait,
grossier, de «l’agent rationnel».
Maintenant, invitons-le à la table d’un jeu stratégique type Échecs et disons qu’il s’agit en fait
des marchés. D’après les théoriciens, les décisions de ce protagoniste idéal sont prévisibles.
Par exemple, dans le jeu de l’ultimatum, une personne reçoit une somme comme tombée du ciel.
Mais elle est tenue d’en proposer une partie, au
moins égale à 1€, à un autre agent. Ce dernier
peut accepter ou refuser une seule fois, auquel
cas tous deux repartent les poches vides.
Un calcul rapide et optimal, donc rationnel devrait conduire l’offrant à minimiser sa «perte» et
l’autre agent à accepter le deal, quel qu’il soit...
Pourtant, les observations réalisées dans la vraie
vie entachent de façon inattendue ce scénario
«idyllique». «Le fait est que les gens ne s’avèrent
pas toujours intéressés par leur seul bien être.
Ils ne se montrent pas indifférents aux autres»,
affirme Pierre Garrouste, professeur à l’Univer-
sité Nice Sophia Antipolis et chercheur au
GREDEG.
La rationalité mise à
l’épreuve in vivo
En effet, en dessous d’une certaine somme et
avec des variantes culturelles, la négociation a
plutôt tendance à échouer. «Même lorsque les
sommes mises en jeu atteignent des montants
proches, dans certains cas, de salaires mensuels,
si le partage semble trop «injuste», en général
moins de 25% du total, les candidats préfèrent
refuser», argumente le chercheur. En outre, le
«maître du jeu» semble spontanément anticiper
cela dans son offre, puisqu’il a tendance à proposer davantage que le minimum requis...
Ces résultats in vivo, en contradiction avec les
prévisions des jeux économiques (1), incitent
ainsi un courant de chercheurs à reconsidérer la
toute-puissance et les contours de la rationalité
des agents dans les modèles. Ils ont donc, afin
de poursuivre leurs investigations, entrepris de
monter des laboratoires d’économie expérimentale. Ces endroits, abrégés LEE, ne ressemblent
ni à une salle de Bourse, ni à un laboratoire de
neurosciences. Celui que Pierre Garrouste espère monter à l’Université Nice Sophia Antipolis pourrait en réalité s’ouvrir au public derrière
les larges baies vitrées d’une ancienne bibliothèque (2), dans le quartier Saint-Jean d’Angély.
Il balaie du doigt une centaine de mètres carrés,
actuellement en réhabilitation et amenés dans
les prochaines semaines à s’entourer d’activités,
parfois totalement étrangères à l’économie expérimentale. «Ici, nous mettrions une soixantaine
d’ordinateurs, à l’intérieur de boxes», racontet-il. C’est donc dans une ambiance d’open space
quadrillé de demi-cloisons, que des volontaires
en chaire et en os seront invités à «jouer» sur des
programmes maison.
«Dans nos jeux, il n’y a
pas d’intérêt à manipuler le
sujet»
Pour «faire vrai», il faudra alors simplement
s’assurer de la motivation de ces «agents» éphémères. «Les laboratoires d’économie expérimen-
(1) Le jeu de l’ultimatum et sa variante dite du dictateur sont issus de la théorie des jeux : Approche
inspirée du jeu d’échecs (d’où son nom), consistant à étudier les interactions stratégiques entre deux ou
plusieurs acteurs, chacun s’efforçant d’anticiper la réaction de l’autre et d’agir en conséquence. L’une des
illustrations les plus connues est le dilemme du prisonnier, qui montre qu’une coopération entre acteurs
aboutit dans certains cas à de meilleurs résultats qu’une concurrence.
D’après «l’économie de A à Z, le dictionnaire d’Alternatives Économiques en ligne».
http://www.alternatives-economiques.fr/Dictionnaire_fr_52_.html
(2) Il s’agit de l’ancienne bibliothèque universitaire de Saint-Jean d’Angély, à Nice.
tale prennent donc le parti de rémunérer les participants, pour les inciter d’abord à se présenter
puis pour les mettre en situation d’exécuter une
performance», revendique Pierre Garrouste. La
somme mise en jeu, plus que raisonnable, dépend
de la durée de jeu de chacun... et de ses décisions.
Enfin, pour les «figurants», reste le «show up»,
un forfait de quelques euros, garanti.
Mais à l’issue de ces tests, que faire des résultats? Faut-il annuler les modèles économiques,
les modifier? «Réintégrer ces éléments nouveaux
dans les anciens modèles pour les ajuster demeure assez compliqué. Il faut trouver quels paramètres introduire et/ou supprimer...», explique
Pierre Garrouste. «Une autre approche consiste
à essayer de comprendre quelles conditions sont
à l’origine des phénomènes observés. Là encore,
nous en sommes aux balbutiements», reconnaît
l’économiste.
Une autre question concerne l’originalité des
Laboratoires d’économie expérimentale. Car
si l’intitulé est nouveau, la démarche n’est pas
sans rappeler quelques grandes expériences de
psychologie sociale (3). «Ce n’est toutefois pas
la même chose. Nous testons bien des prises de
décision, mais nous donnons aux participants
toutes les informations, sans distorsion ni rétention. Dans nos jeux, il n’y a pas d’intérêt à manipuler le sujet», nuance Pierre Garrouste.
Perspectives
Néanmoins, les économistes s’ouvrent bel et
bien à des phénomènes habituellement réservés
à la psychologie, à la sociologie, ou aux neurosciences.
«À Bordeaux, des collègues travaillent sur les
émotions. Avant de lancer une partie d’ultima-
tum, ils soumettent les gens à un extrait soit de
film comique soit de film noir», raconte le chercheur du GREDEG. Ils ont ainsi pu mettre en
évidence le rôle de «l’état d’esprit» dans la façon
de procéder à des choix. «Par exemple, le seuil
de refus de l’offre diminue après avoir visionné
un extrait drôle», illustre-t-il.
«Nous pouvons aussi tester des attitudes face au
risque... Mais pour ce qui nous intéresse dans un
futur proche, ici à Nice, nous souhaitons travailler sur l’économie de l’attention», révèle Pierre
Garrouste. «À l’heure où le développement des
nouvelles technologies de l’information et de la
communication explose, l’attention portée à l’information devient paradoxalement une ressource
rare», précise-t-il.
Le chercheur espère, dans cette perspective, faire
fructifier les liens avec les psychologues et les
sociologues de l’Institut des Sciences Humaines
et Sociales de Nice (ISHSN), avec les spécialistes de la simulation et de l’informatique sophipolitains (Inria et i3S), mais également avec
le département des neurosciences de Marseille.
Des applications pédagogiques semblent enfin
possibles, pour renforcer la pratique des étudiants tout au long leur parcours universitaire.
«Nous avons envie d’aller dans ces sens, toutefois cela suppose déjà que le laboratoire soit
effectivement mis en place. Or à ce jour il nous
manque 30 000€...», sourit Pierre Garrouste.
Car le chercheur reste optimiste. Il considère notamment la possibilité de s’appuyer, au moins au
démarrage, sur le «Learning Centre» (4) prévu
sur les plans de l’ancienne bibliothèque de SaintJean d’Angély.
(3) En référence à l’expérience de Stanley Milgram, réalisée au début des années 60. Elle visait à évaluer
le degré d’obéissance d’un individu devant une autorité qu’il juge légitime et à analyser le processus de
soumission à l’autorité
(4) Conçus pour ouvrir plus l’université sur la société, pour renforcer le rôle pédagogique des bibliothèques et pour recréer du lien avec la recherche, ces aménagements modernes, en voie de
développement en France, s’articulent pour beaucoup autour des usages
des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.
‘‘la Philosophie ne peut pas ne pas
s’interroger sur le sens et sur la
rationalité des phénomènes
économiques’’
Entretien avec Jean Robelin, professeur émérite de philosophie au Centre de
Recherche en Histoire des Idées (CRHI) de l’Université Nice Sophia Antipolis.
CS.mag: Le terme «économie» a tendance
à susciter, chez les non spécialistes, des
représentations «froides», mathématiques,
déshumanisées.
Quels rapports entretient la philosophie
avec l’économie, actuellement et dans une
perspective historique ?
J.R: Actuellement, la philosophie ne peut pas
ne pas s’interroger sur le sens et sur la rationalité, des phénomènes économiques proprement dits, mais également de la science économique. Les crises contredisent la prétendue
rationalité de l’économie. Elles ne peuvent
plus apparaître comme des mécanismes
d’ajustement. Quant au sens, traditionnellement, il serait de dire que l’économie a pour
but d’optimiser les ressources rares. Évidemment, historiquement, cette représentation fait
débat. Chez Marx, par exemple, l’économie
doit plutôt permettre d’anticiper les besoins
sociaux.
Ensuite, la philosophie va examiner l’histoire des théories, la façon dont elles essaient
de saisir leur objet, dont elles n’y arrivent
souvent pas. Car il s’avère beaucoup plus
difficile, en économie, par exemple, qu’en
physique, de déterminer ce qui fait une théorie bien constituée. A la crise réelle répond la
crise théorique du paradigme dominant, dit
«marginaliste» (1). Ne fonctionne-t-il plus?
Reste-t-il quelque chose à sauver?
CS.mag: Le libéralisme est un concept philosophique qui ne se retrouve pas «tel quel»
dans le système économique. Pourquoi
et comment caractériser, avec des termes
empruntés à la philosophie, le modèle économique en vigueur?
J.R: D’abord, il faut séparer le libéralisme
politique, doctrine de la sûreté du citoyen
contre l’arbitraire du pouvoir, du libéralisme
économique, qui prêche pour une activité
économique autonome et non entravée par
l’Etat. Il y a eu des États, par exemple le Chili
de Pinochet, économiquement ultra- libéraux
et dictatoriaux. Friedrich Hayek (2), que nous
(1) Le courant néoclassique, auquel est assimilée la théorie marginaliste, s’attache à démontrer tout à la fois
la capacité du marché à obtenir des résultats optimum, et le caractère non exploiteur, équitable, de cette économie.
(2) Hayek a par exemple soutenu la politique de Margaret Thatcher, au pouvoir en Angleterre entre 1979 et
1990.
pouvons considérer comme le fondateur du néolibéralisme du 20e siècle, n’est pas un libéral politique, ni d’ailleurs un démocrate, si tant est que le
libéralisme politique s’identifie à la démocratie.
Aujourd’hui, on identifie le libéralisme économique à la dérégulation de l’économie, mise
en place depuis une trentaine d’années, dans le
sillage des néolibéraux de l’école de Chicago (3).
C’est faux. L’économie de marché capitaliste n’est
pas dérégulée. Car il existe bel et bien un contrôle,
qui se manifeste dans les mécanismes du capital
financier. Imposer un retour sur investissement
à deux chiffres, c’est une forme de régulation
massive de l’économie, qui implique une pression
énorme sur la force de travail, ce à quoi veille le
«management». L’économie ne se réduit pas à la
macro économie, c’est aussi la réalité des entreprises
CS.mag: les courants théoriques fixent chacun
à leur manière ce qui recouvre de la «valeur»
sur les marchés. Où en sommes-nous de cette
notion?
J.R: La valeur se trouve intimement liée à l’utilité.
Chez Marx, des caractères objectifs confèrent à
un objet la capacité de répondre à un besoin, que
celui-ci soit sérieux ou totalement fantaisiste.
En face, se dresse une théorie subjective de l’utilité. Celle-ci est définie, cette fois, comme le fait,
simplement, de répondre à un besoin. Le marché
se conçoit alors comme ce qui équilibre ce que
«l’autre» attend pour vous donner satisfaction et
ce que vous êtes prêt à sacrifier pour l’obtenir.
C’est vous qui fixez vos préférences, mais tout
ce que vous ne pouvez pas vous offrir, tout ce qui
n’est pas exprimé sur les marchés n’existe pas
économiquement.
Aujourd’hui, l’économiste André Orléan (4), par
exemple, propose d’ajouter à l’approche subjectiviste une dimension comparatiste. Il nous dit que
la valeur est aussi liée aux comparaisons que nous
faisons entre les diverses utilités. Il assouplit ainsi
au passage un autre dogme, celui de la théorie
mathématique de la décision. Selon ce principe,
largement attaqué, nos préférences seraient «ordonnées et transitives». En d’autres termes, nous
classerions nos besoins et en cas de non satisfaction du premier choix, nous nous reporterions
automatiquement sur le second, ainsi de suite.
Or dans une situation de totale incertitude vis
à vis des phénomènes économiques, avoir des
préférences ordonnées serait contre intuitif. Nous
sommes spontanément opportunistes, nous nous
saisissons de ce qui se présente.
CS.mag: La crise est aussi une crise de la
rationalité. Quels en sont les fondements? Les
théoriciens auraient-ils du doter les agents de
désirs, de jalousies, en somme de subjectivités?
J.R: Les économistes ont souvent tendance à
considérer la genèse des besoins comme relevant de la sociologie ou de la métaphysique, au
nom de l’agent économique rationnel, qui est une
abstraction. Mais l’économie de marché consiste
à fabriquer les besoins. Et le mythe de l’agent économique rationnel s’effondre avec celui de l’efficacité informationnelle des marchés. Il faut enfin
questionner la rationalité de la notion d’optimisation, qui suppose quelque chose qui n’est pas tant
impensé que dénié. C’est que la production va
de paire avec la destruction. De ce point de vue,
généraliser l’accumulation industrielle de l’Europe
n’est pas tenable. Marx aborde ce problème à travers l’idée de temps. D’après lui, le temps néces-
(3) Le fondateur de l’école monétariste de Chicago est le libéral Milton Friedman. Selon lui, le réduction du
rôle de l’Etat dans une économie de marchés s’avère le seul moyen d’atteindre la liberté politique et économique.
(4) L’Empire de la Valeur. Refonder l’économie, Le Seuil, 2011. 347p., 21 euros.
saire à se procurer une entité est aussi celui qu’il
faut pour compenser les destructions. Peut-être
qu’aujourd’hui, nous en sommes au point où nous
n’avons plus le temps.
CS.mag: Les agences de notation ont beaucoup
fait parler d’elles ces derniers mois. Comment
comprendre cet engouement pour l’évaluation?
Quel message les notes véhiculent-elles?
J.R: Il faut distinguer l’évaluation managériale de
celle des agences. Le management vise à imposer
les finalités économiques de l’entreprise comme
sens du travail et des comportements individuels
Il impose ainsi un conformisme intellectuel et
moral. Les agences évaluent des critères relativement objectifs (déficits, dettes). Mais leurs notes
révèlent un rapport de pouvoir, un changement de
hiérarchie établie entre les acteurs collectifs de
l’économie. Car avant les années 80, un dirigeant
d’une grande entreprise, par exemple, n’aurait pas
hésité à écarter un actionnaire mécontent. Aujourd’hui, le capital financier a pris la main sur le
capital industriel, sur les services et sur les États,
en concurrence face aux investissements. Les
agences témoignent ainsi d’une régulation forte et
avérée.
CS.mag: Pour en revenir au management que
vous décrivez, y a-t-il véritablement un intérêt
à encourager le conformisme, au détriment de
la créativité, de l’innovation?
J.R: Les tenants de ces théories se présentent
comme des agents de rationalisation. En réalité,
l’empilement de strates d’organisations qui se
surveillent mutuellement, la perte de temps à justifier ce qu’on fait au lieu de le faire, sont contre
productifs et humainement désastreux. L’évaluation est faite pour obliger le travailleur à se définir comme un «moi entrepreneurial», qui doit se
vendre et se rendre employable. Ensuite, comme
l’évaluation pousse à la concurrence, peut-elle
encourager la créativité? Cela paraît difficile, car
dans beaucoup de domaines, la rentabilité n’est
pas individuelle mais collective. Evaluer le mérite
individuel est alors largement arbitraire. Or, le
management casse les collectifs, avec des effets
psychologiquement déstructurants dont les suicides au travail sont l’indice. C’est pourquoi des
groupes ont spontanément tendance à se reformer,
par exemple en adoptant un vocabulaire propre,
identitaire, interne.
CS.mag: La crise s’est accompagnée d’un appel
à la moralisation financière. Cela sous-entend
de pouvoir parler, au sujet des pratiques de la
finance, de bien et de mal.
J.R: On nous dit, une fois de plus, qu’il y a des
excès, incarnés par exemple par l’affaire Madoff,
et des comportements «normaux», qui eux seraient
légitimes. Des économistes, y compris de renom,
analysent la crise en dénonçant moralement la
psychologie humaine : ce serait le triomphe de la
cupidité. Or les éditoriaux, les spécialistes annonçaient depuis longtemps les événements de 2007.
Mais personne n’a pris la responsabilité d’arrêter.
Ceci montre seulement que dans un contexte de
concurrence et ou les positions dominantes sur les
marchés ont tendance à s’auto renforcer, aucun
des acteurs ne peut se permettre d’abandonner le
terrain à l’adversaire. La rationalité des comportements apparemment aberrants, c’est la conquête
de cette position dominante.
CS.mag: Cet appel ne traduit-il pas, néanmoins, une réclamation en faveur d’un retour
des humanités, de la philosophie, de la politique?
J.R: La crise eppelle un retour massif de certaines
formes de politique (car la politique a toujours
été présente). N’est-il pas opportun, par exemple
d’imposer des biens publics mondiaux ou plus
simplement étatiques ? Pourrons-nous laisser
encore longtemps l’eau, les denrées de première
nécessité, être des objets de spéculation sur les
marchés? Le marché ne peut définir de bien
commun car les préférences (ou les biens) individuelles ne s’agrègent jamais à un niveau collectif.
Ce passage suppose toujours un schéma politique
étranger à la distribution des marchés.
CS.mag: Il serait tentant d’associer la notion de
crise à l’idée de rupture. Qu’en est-il?
J.R: Selon la définition traditionnelle de la crise,
elle consisterait en un déséquilibre, de l’offre et de
la demande, de la consommation et de la production etc. Il en découlerait, pas une rupture mais au
contraire un réajustement du marché. Or, depuis
une vingtaine d’années, nous ne vivons plus des
crises sectorielles mais une seule et même crise,
mouvante, en Argentine, en Asie, en Europe. Cette
crise est celle de la régulation de l’ensemble de
l’économie par le capital financier.
S’ajoute à cela une croyance un peu romantique
selon laquelle une crise amène en effet la rupture.
Marx l’évoque dans le livre I du Capital et il sait,
néanmoins, que cette idée n’est pas tenable. La
crise demeure le moment où le capital se renforce
au détriment de la classe ouvrière et aujourd’hui
des mouvements sociaux
propos recueillis par laurie Chiara
REPÈRES
Dominique Torre,
économiste (GREDEG)
Régulations
La crise a suggéré des défauts de régulation dans au moins trois secteurs :
bancaire, financier et monétaire. Pourtant, des «gendarmes» assignés à la
surveillance de ces trois «mondes» existent bel et bien.
Voici un résumé non exhaustif des principales instituions régulatrices mises en jeu,
de leurs rôles et de leurs limites.
L
de s’envoler et d’engendrer le défaut de paiement
e rôle du système financier consiste en
des emprunteurs. Appâtés par les marges prises sur
premier lieu à mobiliser l’épargne pour faces crédits immobiliers, les prêteurs se défaisaient du
voriser l’investissement. Selon les études
risque par l’achat d’actifs (2) jouant le rôle d’assuéconométriques (1), cet appareil, déveloprance et leur permettant théoriquement de prêter sans
pé et performant dans les économies développées,
fin.
favoriserait aussi la croissance des pays émergents
Les émetteurs de ces produits, d’autres banques, spéou en développement. Néanmoins, au-delà de la ficialisées dans les activités de marché, prenaient avec
nance « utile », se développe une finance au statut
leurs clients de gros risques contre de gros rendeplus discutable, dont l’objet est de garantir certains
ments. Quand les taux d’intérêt ont remonté, certains
risques, mais aussi de prendre des paris sur tout et
émetteurs parmi les plus puissants ont fait faillite,
n’importe quoi.
entrainant en 2007-2008 clients ou partenaires dans
Ainsi, l’activité financière des banques se trouve
leur chute…
aujourd’hui décuplée, avec l’émergence d’instruments innovants sophistiqués, chargés a priori de
maîtriser le risque si on les emploie en « couverture
La régulation des
». Mais elles incitent aussi, utilisées « à découvert
», à multiplier les « paris », avec de gros gains atétablissements financiers
tendus pour de faibles mises de fonds (c’est ce que
l’on appelle des effets de levier). La crise
Tous les pays organisent cette régulation à
dite des subprimes est largement due
leur manière, le plus souvent en déléà leur développement incontrôlé.
guant le contrôle de l’activité des inDes prêts immobiliers, accordés
termédiaires financiers (banques,
à des individus peu solvables,
assurances, fonds…) à une ou
(1) L’économétrie désigne l’enont été conclus avec des taux
plusieurs commissions, plus
semble des techniques destinées à
de départ historiquement
ou moins indépendantes de
mesurer des grandeurs économiques.
(2) Les actifs peuvent prendre la forme
bas, mais variables. Ceuxla Banque Centrale.
des
avoirs
en
banque,
de
créances
sur
des
ci étaient donc susceptibles
En France, l’Autorité de
tiers, de titres, de terrains, de droits de propriété, etc. Les actifs financiers désignent la
partie de l’actif composée de titres pouvant
être vendus sur un marché financier
(actions, obligations, titres divers).
Contrôle Prudentiel (ACP) réunit depuis janvier
2010 les autorités d’agrément et de contrôle de la
Banque et de l’Assurance.
Cette autorité administrative indépendante est présidée par le gouverneur de la Banque de France et
vice-présidée par une personne disposant d’une expérience en matière d’assurance. Son rôle consiste
notamment à veiller à «la préservation de la stabilité
du système financier et à la protection des clients,
assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes
soumises à son contrôle».
Ces instances se réfèrent le plus souvent aux normes
élaborées au niveau mondial par le comité de Bâle,
émanation de la Banque des Règlements Internationaux, (Bank of International Settlements). Ces
normes ont évolué dans le temps et prennent pour
principe que le bilan des banques doit fournir les
moyens de résister à la concrétisation de certains
risques. Or, les innovations financières, autrement
appelées « produits dérivés » apparaissent hors bilan.
Car, contrairement aux créances, elles n’apportent
pas de liquidité. Les normes de Bâle 1 et 2 ne leur
appliquent donc aucune règle contraignante.
Néanmoins, les normes prudentielles de Bâle 3
(établies en 2010) ont été pensées pour remédier à ce
défaut. Elles prévoient par exemple un ratio d’effet
de levier visant à contrôler les risques pris par les
banques. Toutefois, comme précédemment, chaque
régulateur national reste libre de s’en emparer ou pas
et d’appliquer des sanctions sévères ou symboliques
aux banques qui ne les respectent pas.
La régulation
des marchés
Les marchés financiers assurent l’essentiel du financement des moyennes et grosses entreprises et la
totalité du financement de la dette publique. Compte
tenu des masses énormes qu’ils concernent et du
nombre d’intermédiaires impliqués, ils doivent donc
être régulés. En France, c’est le rôle de l’Autorité
des Marchés financiers (AMF). Elle réalise des enquêtes et peut engager des actions en justice contre
un émetteur ou un intermédiaire.
En parallèle, les marchés connaissent depuis
quelques années des mutations importantes. Ainsi, la
directive européenne sur les Marchés d’Instruments
Financiers (MIF), en 2007, met fin au monopole
de Euronext comme plate-forme pour les échanges,
la cotation (attribution de la valeur des actions), la
création de liquidités etc. Les investisseurs gagnent
ainsi le choix de se tourner vers d’autres intermédiaires européens. Cette directive est sensée mettre
en concurrence les tarifs de courtage : elle incite les
plateformes à se différencier. Les ordres de transaction peuvent aller à la recherche des meilleures
possibilités d’exécution. Compte tenu de la diminution des marges d’intermédiation qu’elle engendre,
cette directive encourage à l’usage accru de produits
à levier, susceptibles d’améliorer la rentabilité d’une
activité d’intermédiation, au prix évidemment d’un
risque accru de perte.
La directive de 2007 autorise aussi ce que l’on
nomme les Dark Pool ou bourses noires : Ces espaces d’échanges se présentent comme un système
alternatif aux grandes bourses réglementées et aux
plateformes privées transparentes. Ils traitent de très
grosses transactions financières sans obligation pour
les clients de diffuser toutes les informations (possibilité d’anonymat, pas de publication des ordres
d’achat et de vente). L’autorisation d’exercer, pour
une Dark Pool, est en revanche indispensable et elle
est attribuée par le régulateur du pays d’implantation
(AMF). Leur développement et les incidences sur
la liquidité du marché et son efficacité implique la
surveillance de l’AMF.
La régulation monétaire
Chaque autorité monétaire, en général une Banque
Centrale ou son équivalent (la Réserve Fédérale aux
Etats-Unis), détient le pouvoir de gérer sa monnaie
comme elle l’entend. En Europe, la BCE a donc la
charge de l’Euro tant qu’aucun des pays partenaires
de la zone ne rompt l’accord qui le lie aux autres.
Le consortium des Etats membres nomme un gou-
verneur de la banque centrale (actuellement l’Italien
Mario Draghi), pour une durée de huit ans. Ce mandat, amené à durer plus longtemps que celui des présidents, lui assure théoriquement une certaine indépendance.
En pratique, cela permet des politiques assez différentes d’un continent à l’autre. La Banque de Chine
contrôle par exemple le cours du Yuan à loisir, alors
que les grands pays développés laissent leur devise
fluctuer au gré des transactions internationales. En
maintenant une monnaie « faible », la Chine favorise
ainsi ses exportations et décourage ses importations.
Dans des cas exceptionnels, les autorités monétaires
des grandes banques centrales peuvent aussi choisir
de se concerter pour intervenir sur le change, généralement toutes dans le même sens, dans l’intérêt
collectif. Mais traditionnellement, elles suivent des
objectifs « internes ». La BCE est une des plus attachée à la mission visant à maintenir l’inflation à un
niveau réduit.
D’autres, comme la FED américaine, créée en 1913,
sont plus pragmatiques. La FED vise à fournir au
pays « une monnaie suffisamment élastique pour
favoriser le développement des échanges ». Sa politique s’adapte donc à la conjoncture. Dans un esprit
voisin, la Banque du Japon maintient depuis des
années des taux d’intérêts à des niveaux quasi-nuls,
avec pour objectif de soutenir l’investissement, dans
un contexte de crise prolongée.
L’Euro, monnaie de réserve. Les pays cherchent à détenir dans leurs caisses des monnaies fortes, comme
l’euro ou le dollar. On parle alors de monnaie de
réserve. Ce statut permet d’emprunter presque sans
limites car il met les créditeurs en confiance. Ne craignant pas une dévaluation brutale de la monnaie, ils
recourent moins à des couvertures de change. La crise
grecque pourrait entacher cette croyance, toutefois
pour l’instant cela ne semble pas avoir d’incidence
très nette sur le cours de l’Euro. En revanche, cette
politique défavorise les exportations européennes sur
les marchés internationaux.
Le FMI n’est pas actuellement un régulateur en tant
que tel, mais une organisation internationale sensée
aider les États à sortir de situations de crise financière. En cas de difficultés liées le plus souvent à un
défaut potentiel ou avéré, le FMI envoie une mission
sur place, rééchelonne la dette voire l’efface en partie, mais propose en contrepartie un plan structurel
de nature à assainir la gestion des finances publiques.
Généralement, ces contreparties sont très lourdes et
entrainent dans un premier temps sacrifices et récession, avant que la croissance ne revienne, si le pays
a pu socialement supporter la « purge ». Dans le cas
de la Grèce, la présence du FMI, même discrète, a
jeté un doute sur la capacité de l’Europe à régler ellemême ses propres problèmes internes.
villes en Transitions
Des expérimentations discrètes bousculent le modèle socio-économique dominant.
Signes d’une transition en préparation ou artefacts sans incidence ?
C
aprice de bourgeois-bohèmes, délire de
colocataires post-adolescents, le potager
urbain passe volontiers pour une douce
excentricité. Préférer son balcon étroit avec
vue sur le bitume aux grandes surfaces surachalandées,
loger des lombrics entre le coin cuisine et la table
basse serait l’apanage de marginaux «écolos». Car
dans la vie courante, les provisions se font en un
sations sociales alternatives (2). «Comment assurer
des formes de subsistance et de sécurité existentielle
sans se cantonner à la logique du travail salarié»,
interroge-t-il. En guise de réponse, il «teste» sur la
papier les hypothèses d’une économie «soutenable».
Autrement dit, le politiste étudie les «signes» d’une
évolution vers des sociétés post-capitalistes et il met à
l’épreuve leur crédibilité.
«À mon sens, les nouvelles technologies ont contribué
à nous projeter dans une période transitoire. La question va être celle de leurs effets : libérateurs ou aliénants ?», illustre-t-il. En dépit de craintes affichées,
Yannick Rumpala n’exclut donc pas de voir les populations se saisir du potentiel de création et d’émancipation nouvellement disponible. Son attention se
concentre ainsi sur «des formes d’expérimentations à
bas bruit». Les systèmes de « troc temps », les sites
de récupération d’objets en ligne, comme la libre-diffusion des savoirs et les réseaux d’échange en « pairà-pair », témoignent « de tentatives de recréation de
communautés de partage, de l’émergence de modèles
de consommation collaborative», note le politiste.
clic ou sur quatre roues. Surtout, les citadins ont
abandonné depuis belle lurette l’idée saugrenue de
produire à domicile de quoi subvenir à leurs besoins.
Textile, électrique, garde-manger, pour tout cela, il y a
de gros prestataires. «Le système dominant transforme
ces dépendances en évidences. Il crée une logique,
des normes de consommation», explique Yannick
Rumpala (1), Maître de conférences en sciences
politiques à l’Université Nice Sophia Antipolis.
«Redonner de l’autonomie
à ceux qui s’en trouvent actuellement dépossédés»
Or, si à ces initiatives venait se mêler la libre transmission des savoir-faire, «les nouvelles technologies
seraient susceptibles de redonner de l’autonomie à
ceux qui s’en trouvent actuellement dépossédés»,
suggère le chercheur. Un projet français développé
en open source propose ainsi de concevoir une serre
urbaine montée sur un container recyclé (3). Conçu
répondre à des contraintes environnementales,
Expérimentations à bas bruit : pour
sanitaires et alimentaires, ce jardin partagé hors-sol
vers un post-capitalisme?
combine innovations technologiques et design. Dans
la même veine, le projet new-yorkais Public Farm
Dans le cadre de recherches en cours au sein de 1 réconcilie architecture et agriculture avec comme
l’ERMES (Equipe de Recherche sur les Mutations de slogan (détourné) : Sur les pavés, la ferme (4). Dans
l’Europe et de ses Sociétés), il s’intéresse toutefois à une vaste cour du quartier du Queens, à neuf mètres
des formes possibles de glissement vers des organi- au-dessus du bitume, des tubes en carton, agencés
comme les abords d’un cours d’eau, offrent aux
mains baladeuses fraises et épinards. Depuis cinq
ans, une cinquantaine de variétés de fruits et légumes
poussent ainsi en symbiose avec le MoMA (Museum
of Modern Art), grâce à une infrastructure à énergie
autonome.
Moins élégants mais aussi efficaces et surtout très
ambitieux, des tutoriels apparaissent également sur le
web. Avec, par exemple, le « Global Village Construction Set », L’idée est de proposer en open source le
matériel de base pour pouvoir installer et faire fonctionner une ferme. Du tracteur à la pompe à eau automatisée, les porteurs du projet commencent ainsi à offrir des notices tout en images pour les « fermiers des
villes ». Et pour les « moins ambitieux », il demeure
possible de transformer une vieille baignoire en installation aquaponique, c’est-à-dire de faire pousser des
plantes terrestres directement dans l’eau, en association avec l’élevage de poissons.
Les FabLabs : une alternative
aux circuits commerciaux traditionnels?
Or, ces perspectives de réappropriation des techniques
de production dépassent désormais l’agriculture,
au moins en théorie. «L’invention des imprimantes
3D (5), notamment si elles se développent sous une
forme portative, ouvrent des possibilités d’indépendance vis à vis des circuits commerciaux traditionnels», estime Yannick Rumpala. «Nous pourrions
alors imaginer des ateliers de quartiers, où des «personnes ressources» délivreraient soit une aide au bricolage soit des connaissances minimales», poursuit-il.
Un rôle que pourraient justement endosser des projets
inspirés des Fab Labs (6), un concept d’ateliers exporté depuis le MIT (Massachusetts Institute of Technology) au même titre que les imprimantes 3D...
Ces laboratoires locaux ont en effet été conçus «pour
rendre possible l’invention, en ouvrant aux individus
l’accès à des outils de fabrication numérique». Reste
à savoir si ces expérimentations à bas bruit en resteront là. Ces actions resteront-elles limitées à de petites
communautés ou s’agit-il des prémices d’une mutation profonde de nos sociétés? Yannick Rumpala ne
prétend pas détenir la réponse, néanmoins il a à l’esprit
l’exemple des «villes en transition» (7). «Construites
sur le principe de la résilience, elles cherchent à ménager le passage à un autre monde de la manière la
moins brutale possible», explique-t-il. Les populations locales y sont invitées «à créer un avenir plus
soutenable» devant la menace des crises écologiques,
énergétiques et économiques.
(1) http://yannickrumpala.wordpress.com/
(2) Précédents ouvrages :
Développement durable ou le gouvernement du changement total, Éditions Le Bord de l’eau, 2010
Régulation publique et environnement. Questions écologiques, réponses économiques,
Éditions L’Harmattan, 2003.
(3) http://20footurbanfarm.blogspot.com/p/la-ferme-aquaponique.html
(4) http://www.cityfarmer.info/2010/03/24/above-the-pavement-the-farm-forthcoming-june-2010/
http://www.domusweb.it/en/news/the-visionary-reloaded-new-scales-of-operation-in-the-age-of-information/
http://www.jessesuchoffdesign.com/thesis-journal/2011/1/30/workac-s-public-farm-1-above-the-pavement-the-farm.
html
(5) Apparues vers 2006/2007, ces imprimantes permettent de fabriquer des objets en trois dimensions. Leur principe
consiste à déposer de la matière couche par couche jusqu’à retrouver la forme du modèle préalablement numérisé (au
lieu d’utiliser une fraiseuse pour creuser ou tailler la matière).
(6) http://fablab.fr/projects/project/charte-des-fab-labs/
(7) http://villesentransition.net/
La «confiance», la «sensibilité» des marchés à une décision,
ces éléments se retrouvent-t-il dans les modèles économiques?
C’est très difficile à rendre. C’est pour cela que nous, chercheurs, n’avons pas la panacée. Qui plus est, la
psychologie des agents ne cesse de se modifier. À chaque renouvellement de génération, les perspectives se
transforment. Ces changements de psychologie et de philosophie empêchent largement d’avoir un modèle
universel et intemporel valable. Nous ne sommes pas dans la configuration d’une loi physique, naturelle,
immuable.
Les mathématiques sont très utiles, ils structurent, mais ils n’en demeurent pas moins un leurre. L’économie
et la finance ne sont pas une science exacte. D’ailleurs, jusqu’à présent, il n’a pas été prouvé que les transactions à haute fréquence (*) généraient des multi millions...
(*) l’exécution à grande vitesse de transactions financières faites par des algorithmes informatiques (donc par des machines).
Que traduisent les fluctuations du CAC40?
Le CAC40 est un anachronisme de la structure du marché financier. En effet, CAC est employé pour Compagnies des Agents de Change, et elles n’existent plus. Auparavant, elles avaient le monopole des échanges
de titres financiers et nous avons conservé le terme. L’idée est que quand une action est échangée sur une
bourse, il y a grossièrement deux phénomènes qui vont influencer son prix. Les premiers sont locaux à
l’action, par exemple un PDG évincé, une grève, le gain d’un marché. Il y a aussi des phénomènes macro.
Par exemple, pour savoir comment le marché a réagi à la nomination de Mario Draghi à la BCE, à l’élection
de Barack Obama aux Etats-Unis, on a besoin d’un indice capable de capter une tendance de fond générale.
C’est l’objectif des indices comme le CAC40.
Deux critères, essentiellement, permettent de les construire. D’abord la représentativité. On ne peut regarder une seule action sur laquelle se pratiquent très peu
d’échanges. On favorise donc plutôt de grosses entreprises qui favorisent un gros volume d’échanges. Le deu- Pourquoi parfois parle-t-on de
xième critère est la liquidité. S’il y a une grosse fréquence «points» et d’autres fois de
d’échanges sur l’entreprise, vous pouvez être sûr qu’un pourcentages?
changement dans le prix traduit une nouvelle qui vient de
tomber, et pas forcément un problème de liquidités, par Ce n’est que du vocabulaire. Un indice est par
exemple une personne qui a besoin d’argent et qui pour définition exprimé sous forme de points. Un
ça veut vendre à n’importe quel prix. Dans le CAC40, point de base étant égal à 0,01% , dire qu’un
on retient 40 actions répondant à ces critères. Enfin, pour indice a évolué de 1% ou de 100 points revient
s’assurer qu’une seule action ne puisse pas être à l’origine au même.
de tout un changement sur l’indice, on limite la proportion
Qu’est-ce qu’un «marché volatil»?
de l’action dans l’indice (10%).
C’est un marché sans direction bien définie,
dans lequel les prix vont dans tous les sens. Il y
a une différence d’opinion entre les gens et on
par Abraham Lioui
n’arrive pas à un consensus. Par conséquent, il
EDHEC Buisness School
vaut mieux faire attention sur ces marchés là.
Vocabulaire
EDHEC-Risk Institute
Que signifient les lettres attribuées
par les agences de notation?
Les entreprises, par exemple, sont obligées tous les trimestres de publier l’état de leurs comptes.
C’est-à-dire l’état de leurs actifs au sens propre, les machines, les voitures, mais également l’état de
leur activité. Qu’ont-elles vendu, produit, qu’est-ce que cela leur a coûté? Ces informations sont
rétrospectives, elles nous disent ce qui s’est déroulé dans le passé. Or ce qui importe aux prêteurs,
c’est le futur, la capacité de l’entreprise à rembourser dans l’avenir. Comme tout le monde n’est
pas capable de lire les documents et que ceux-ci ont augmenté avec le temps, à un moment, les
pouvoirs publics en particulier ont trouvé utile de favoriser la création d’Agences de Notation. Les
notes évaluent ainsi la capacité pour une entreprise de respecter ses engagements vis à vis de ses
créanciers. L’Agence projette l’activité de l’entreprise dans le futur en faisant abstraction de l’environnement économique, excepté des tendances profondes (par exemple une phase de récession
généralisée). En plus, elle prend en compte des éléments qualitatifs : la qualité du management, de
la détention des actifs de l’entreprise, etc. En fonction de cette combinaison, elle accorde une note.
Le triple A, la meilleure note, dit par exemple qu’une entreprise ne présente aucun problème, à
moyen et à long terme elle sera capable de faire face à ses engagements. C’est exactement la même
chose pour les produits financiers quand ils sont adossés à des dettes. Pour les dettes de l’Etat, sont
évaluées les capacités à générer de l’impôt, à entretenir la croissance, à détenir de bonne institutions, à assurer une bonne flexibilité du marché du travail.
L’Etat n’a pas imposé les Agences, en revanche il a fixé comme règle à un certain nombre d’institutions financières, comme les compagnies d’assurance ou les fonds de pension, de présenter un
minimum de dettes notées AAA dans leurs bilans. Par ricochet, si Renault ou EDF veulent que des
institutionnels viennent souscrire à leurs dettes (et c’est toujours mieux que vous et moi), ils feront tout pour obtenir la meilleure notation. Cela peut évidemment inciter à certains camouflage.
Par exemple, pour les prêts subprimes, la personne qui voulait émettre un tel produit allait voir
l’agence de notation, qui lui disait quoi faire pour avoir le triple A. Ils s’exécutaient et deux jours
après, ils défaillaient. Quand on mélange du conseil à l’expertise comptable, cela peut ainsi générer
des conflits d’intérêts. Mais, une des réformes récentes proposée par la Commission Européenne,
consiste à obliger les émetteurs de tels produits à changer régulièrement d’agence, tous les trois ans.
À quoi les marchés sont-ils
«sensibles»?
Le CAC40 présente un «seuil» à
3415 points.
Qu’est-ce que cela
signifie?
À des informations. En anglais, les marchés se traduisent forward looking. Ce
qui importe c’est l’avenir. Le passé ne compte pas. C’est pourquoi dès qu’une information apparaît, on essaie de savoir tout de suite quel peut être son impact,
quelle quantité d’argent elle peut générer (son cash flow) pour une entreprise.
Et tout de suite on essaie de l’incorporer dans le prix des actions. Par exemple,
le principal moteur de recherches sur le web ou la marque à la pomme ne possèdent pas réellement des actifs qui vaudraient des centaines de milliards de
dollars. Cette valorisation, parfois énorme, prend en compte les opportunités
de croissance pour des entreprises à l’avenir. Or, ça, seuls les marchés peuvent
le faire.
Dans l’approche chartiste,
on considère qu’il y a des
récurrences dans l’évolution
des prix. Une action ne peut ni monter ni descendre indéfiniment. Il y a des configurations qui annoncent ainsi une rupture, un passage au-delà d’une limite. Ce sera par exemple le seuil des 3415 points
pour le CAC40.
www.ics-unice.fr
L’Institut de Culture Scientifique de l’Université Nice Sophia Antipolis
Téléchargement