L’espace et le groupe modulaire de Teichmüller Alexandre RAMOS PEON Juin 2010 Table des matières 1 Topologie des surfaces 1.1 Homotopie de chemins et groupe fondamental 1.2 Généralités sur les surfaces . . . . . . . . . . . 1.3 Courbes fermées simples . . . . . . . . . . . . 1.4 Classification de surfaces . . . . . . . . . . . . 1.5 Groupe fondamental de Sg,n . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 6 7 8 9 . . . . 11 11 15 18 19 3 Géométrie hyperbolique 3.1 Le plan hyperbolique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2 Surfaces hyperboliques et leurs géodésiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.1 Géodésiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 21 23 25 4 L’espace de Teichmüller 4.1 Définition de Teich(Sg ) . . . . . . . . . . . 4.2 Décomposition topologique en pantalons . 4.3 Classification des pantalons hyperboliques 4.4 Coordonnées de Fenchel-Nielsen . . . . . . 4.5 L’action de Mod(S) sur Teich(S) . . . . . 25 25 26 27 29 33 2 Le groupe modulaire 2.1 Définitions . . . . . . . . . . . . 2.2 Propriétés des twists de Dehn . 2.3 Exemples importants . . . . . . 2.4 Théorème de Dehn-Nielsen-Baer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Introduction Ce document, issu du stage de TER encadré par Frédéric Paulin, prétend donner un aperçu du groupe modulaire de Teichmüller, prouver ou énoncer ses propriétés les plus importantes, décrire l’espace de Teichmüller et montrer comment ce groupe agit sur cet espace. Le quotient qui en résulte est un objet fondamental en mathématiques, qui paramètre (entre autres !) les classes d’isométrie de structures hyperboliques sur une surface S donnée. L’objectif central se limite à comprendre les objets qui rentrent en jeu dans cette construction. 1 Un coup d’oeil à la table des matières révèle aussitôt l’organisation de ce compte rendu. Les chapitres 1 et 3 sont essentiellement des prérequis et à ce titre se permettent fréquemment de renvoyer aux références, tandis que les chapitres pairs, qui portent sur le contenu substantiel, contiendront plus souvent des démonstrations complètes et d’abondantes illustrations. Le premier chapitre s’occupe de rappeller les définitions et notions plus importantes sur les surfaces orientables, objet d’étude de ce travail, ainsi que les types de courbes qui les habitent, puis esquisser la démonstration de leur classification et du calcul de leur groupe fondamental. On introduit de suite le groupe modulaire de Teichmüller, Mod(S), qui consiste des classes d’isotopie d’homéomorphismes de S préservant l’orientation et fixant ∂S. Les “twists de Dehn” sont l’exemple type des éléments de Mod(S), consistant à faire “tourner” une portion de la surface sur elle même, en la “tordant” 1 . Après démontrer leurs propriétés les plus élémentaires, on calcule certains groupes modulaires. Dehn a montré que ses twists engendrent Mod(S), ce qu’on ne montrera ici que pour S = T 2 , puis on esquisse la démonstration technique du théorème de Denh-Nielsen-Baer, qui relie algèbre et géométrie en affirmant que Mod(S) est un sous-groupe d’automorphismes extérieurs de π1 (S). Qui dit Teichmüller dit géométrie hyperbolique, et donc le chapitre 3 est une exposition éclair de l’espace hyperbolique avec ses deux modèles les plus communs, les propriétés de ses géodésiques, et les surfaces hyperboliques. Outre la définition via isométrie locale, on aura besoin de considérer les relevés d’arcs hyperboliques, d’où la nécessité de rappeller la théorie des revêtements et son lien avec les polygones hyperboliques. On commence le chapitre 4 par la définition de l’espace de Teichmüller, noté Teich(S), qui peut être décrit comme l’ensemble de classes d’isomorphisme de structures hyperboliques marquées sur la surface S. On verra précisément quelle est cette relation d’équivalence. L’objectif est de montrer un théorème démontré par Fricke et Klein en 1897, qui affirme que pour la surface fermée Sg de genre g ≥ 2, Teich(Sg ) est homéomorphe à R6g−6 . La stratégie pour accomplir ceci est de montrer que l’on peut décomposer cette surface topologique en “pantalons” par 3g − 3 courbes géodésiques, que l’espace de Teichmüller d’un pantalon est précisémment paramétré par les trois longueurs de ses composantes de bord, et que la structure hyperbolique de Sg dépend de 3g−3 paramètres réels additionnels, correspondant à “l’angle” par lequel on tourne les “jambes” du pantalon avant de les recoller entre eux. Ceci reste très peu rigoureux et il est dans notre interêt de formaliser cette palabrerie. Pour finir, on établit un lien entre Mod(S) et Teich(S) via une action naturelle de “changement de marque”, qui est proprement discontinue (ce que l’on ne montrera pas) ; l’obstruction à qu’elle soit libre dépend exclusivement de la torsion des éléments de Mod(S). Le quotient n’est donc pas une variété ; il décrit les structures complexes (ou hyperboliques) sur S sans marquage : son étude correspond à un problème classique remontant a Riemann. 1. Le mot “torsion” étant déjà trop fréquent en mathématiques, on doit se résigner à suivre l’usage et utiliser le mot anglais “twist”. Il peut être intéressant de savoir que Max Dehn utilisait le mot Schraubungen, “application de vissage” 2 1 Topologie des surfaces L’idée de cette section est de mettre en place les définitions, les outils algébriques et les prérequis de topologie de surfaces, sur lesquelles porte le sujet de cet exposé. La référence concernant les paragraphes 1, 3 et 5 est [Hat]. On admet les notions élémentaires de topologie. S’agissant de notions de base, beaucoup de démonstrations ne sont pas données. 1.1 Homotopie de chemins et groupe fondamental Soit X un espace topologique. On appelle un chemin dans X une application continue f : I → X, où I est l’intervalle [0, 1]. Une homotopie de chemins dans X entre deux chemins γ0 et γ1 est une application f : I × I → X continue telle que f0 = γ0 , f1 = γ1 , et que pour tout s ∈ I, si fs (t) = f (s, t), alors fs (0) = x0 et fs (1) = x1 . Lorsque deux chemins sont reliés de cette façon, on dit qu’ils sont homotopes (à extrémités fixées). Il est très facile de voir que la relation “être homotope” est une relation d’équivalence. On a aussi une notion de composition de chemins, qui correspond à la notion intuitive de les mettre “bout à bout” : si f, g : I → X sont tels que f (1) = g(0), on peut définir le chemin composé ( f (2t) si 0 ≤ t ≤ 1/2 (f · g)(t) = g(2t − 1) si 1/2 ≤ t ≤ 1. De plus, si f0 (resp. g0 ) est homotope à f1 (resp. g1 ) via fs (resp. gs ), alors fs · gs est une homotopie entre f0 · g0 et f1 · g1 . En particulier, on peut restreindre notre attention à des lacets, c’est-à-dire aux applications telles que f (0) = f (1) ; on appelle f (0) le point base du lacet. Soit π1 (X, x0 ) l’ensemble de classes d’homotopies [f ] de lacets dans X avec un même point base x0 . La proposition suivante, qui est élémentaire, justifie que l’on l’appelle le groupe fondamental, ou le premier groupe d’homotopie (les groupes d’homotopie supérieurs sont définis de façon similaire, avec [0, 1]n au lieu de [0, 1] comme espace base). Proposition 1.1. L’ensemble π1 (X, x0 ) est un groupe pour la loi [f ][g] = [f · g]. Le choix du point base n’a en fait qu’une importance sommaire : Proposition 1.2. Si x0 et x1 appartiennent à la même composante connexe par arcs de X, alors les groupes π1 (X, x0 ) et π1 (X, x1 ) sont isomorphes. Démonstration. Soit h : I → X une application continue telle que h(0) = x0 et h(1) = x1 ; notons h(t) le chemin inverse : t 7→ h(1 − t). L’isomorphisme β : π1 (X, x1 ) → π1 (X, x0 ) est donné par β([f ]) = [h · f · h]. Si ft est une homotopie entre des lacets d’origine x1 , alors h · ft · h est une homotopie entre des lacets d’origine x0 , donc β est bien défini. Comme β([f · g]) = [h · f · g · h] = [h · f · h · h · g · h] = β([f ]) · β([g]), l’application β est un homomorphisme. L’application [g] 7→ [h · g · h], notée β, est l’inverse de β car ββ([f ]) = β([h · f · h]) = [h · h · f · h · h] = [f ]. 3 On dit qu’un espace X est simplement connexe si X est connexe par arcs et de plus π1 (X) = 0. La proposition suivante justifie le terme : Proposition 1.3. Un espace X est simplement connexe si et seulement si pour chaque paire de points x0 , x1 de X, il existe une unique classe d’homotopie de chemins reliant x0 à x1 . Démonstration. Soit X simplement connexe. L’existence de chemins est claire, il reste à voir l’unicité. Si f et g relient x0 à x1 , et si π1 (X) = 0 alors f est homotope à f · g · g, qui est homotopie à g car g · g et f · g sont tous deux homotopes à des chemins constants. Inversement, s’il n’y a qu’une classe d’homotopie entre les lacets d’origine x0 , alors ils sont tous homotopes au lacet constant. Encore un résultat facile mais important : Proposition 1.4. Les groupes π1 (X × Y, (x0 , y0 )) et π1 (X, x0 ) × π1 (Y, y0 ) sont isomorphes. Ceci résulte du fait qu’une application est continue si et seulement si chacune de ses composantes l’est ; donc se donner un lacet dans X × Y revient à se donner un lacet dans X et un lacet dans Y . On note S 1 = {(x, y) ∈ R2 | x2 + y 2 = 1}, qui est le cercle. Le théorème suivant, qui est bien connu, a des conséquences topologiques importantes : Théorème 1.5. Il existe un isomorphisme de groupes entre Z et π1 (S 1 ). Soit φ : X → Y une application continue telle que φ(x0 ) = y0 . Dans ce cas, on notera φ : (X, x0 ) → (Y, y0 ). Alors φ induit une application φ∗ : π1 (X, x0 ) → π1 (Y, y0 ) par [f ] 7→ [φ◦f ]. Cette application induite est bien définie, car une homotopie ft de lacets d’origine x0 donne une homotopie φ◦ft de lacets d’origine x1 , et donc φ∗ [f0 ] = [φ◦f0 ] = [φ◦f1 ] = φ∗ [f1 ]. Cette application est de plus un homomorphisme, car φ ◦ (f · g) = (φ ◦ f ) · (φ ◦ g), les deux fonctions ayant même valeur φ◦f (2t) pour 0 ≤ t ≤ 1/2 et φ◦g(2t−1) pour t ≥ 1/2. Comme la composition d’applications est associative, on a (φ ◦ ψ)∗ = φ∗ ◦ ψ∗ et id∗ = Id (c’est-àdire, que l’application id : X → X induit l’identité de groupes Id : π1 (X) → π1 (X)). Si de plus φ est un homéomorphisme, alors φ∗ est un isomorphisme de groupes, d’inverse (φ−1 )∗ . Dans un sens plus large, une homotopie (distinguer d’homotopie de chemins) est une application continue h : I × X → Y et l’on note hs : X → Y l’application x 7→ h(s, x) pour tout s ∈ I. Une équivalence d’homotopie est une application f : X → Y telle qu’il existe g : Y → X avec f ◦ g et g ◦ f homotopes à l’identité ; on dit dans ce cas que X et Y ont le même type d’homotopie. Une rétraction de X dans A est une application continue f : X → X avec r(X) = A et r A = id. Une rétraction par déformations de X sur A est une homotopie entre l’identité de X et une rétraction r : X → A. Si A ⊂ X et B ⊂ Y et si une homotopie φt : X → Y vérifie φt (A) ⊂ B pour tout t ∈ I, on dit que φt est une homotopie de paires φt : (X, A) → (Y, B). Dans le cas où A = x0 et B = y0 , on parle d’homotopies prévervant le point base. 4 Proposition 1.6. Si X se rétracte sur A, alors i∗ : π1 (A, x0 ) → π1 (X, x0 ) induite par l’inclusion est injective. Si A est une rétraction par déformations, alors i∗ est un isomorphisme. Démonstration. Si r : X → A est une rétraction, alors r ◦ i = id, donc r∗ ◦ i∗ = Id, donc i∗ est injective. Si rt : X → X est une rétraction par déformations sur A, r0 = id et rt A = idA , r1 (X) ⊂ A, donc ∀f : I → X sur x0 lacet, rt ◦ f donne une homotopie entre f est un lacet sur A, donc i∗ est aussi surjective. Observons de plus que si φt : (X, x0 ) → (Y, y0 ) est une homotopie préservant le point base, alors φ0∗ = φ1∗ car φ0∗ ([f ]) = [φ0 ◦ f ] = [φ1 ◦ f ] = φ1∗ ([f ]). Comme dernière propriété des équivalences d’homotopies, on montre : Proposition 1.7. Si φ : (X, x0 ) → (Y, y0 ) est une équivalence d’homotopies, alors φ∗ : π1 (X, x0 ) → π1 (Y, y0 ) est un isomorphisme. Nous aurons besoin d’un lemme : Lemme 1.8. Soient φs : X → Y une homotopie, x0 ∈ X, et h le chemin s 7→ φs (x0 ) ; alors on a le diagramme commutatif suivant : φ1∗ / π1 (Y, φ1 (x0 )) PPP PPφP0∗ βh PPP P' π1 (X, x0P) π1 (Y, φ0 (x0 )) Démonstration. Soit f un lacet en x0 ; il s’agit de montrer que φ0∗ (f ) et βh (φ1∗ (f )) sont homotopes en tant que lacets d’origine φ0 (x0 ). Pour tout s ∈ [0, 1], notons hs l’application de [0, 1] dans Y définie par t 7→ h(st). Alors la famille de chemins d’origine φ0 (x0 ) donnant l’homotopie est précisement s 7→ hs · (φs ◦ f ) · hs , car en s = 0 et s = 1 on a les chemins φ0∗ (f ) et βh (φ1∗ (f )) respectivement. Démonstration (de la proposition). Par hypothèse, il existe une inverse homotopique pour φ ; soit ψ : Y → X un tel inverse. Considérons π1 (X, x0 ) φ∗ / π1 (Y, φ(x0 )) ψ∗ / π1 (X, ψ ◦ φ(x0 )) φ∗ / π1 (Y, φ ◦ ψ ◦ φ(x0 )) La composée des deux premières applications est un isomorphisme car ψ ◦φ est homotope à l’identité, donc ψ∗ ◦φ∗ = βh pour un certain h, par le lemme. En particulier φ∗ est injective, car ψ∗ ◦ φ∗ est un isomorphisme. En raisonnant sur les deux dernières applications, on voit que ψ∗ est injective. Donc les deux premières applications sont injectives, leur composition est bijective, donc la première application, qui est φ∗ , est aussi surjective. 5 1.2 Généralités sur les surfaces Dans ce qui suit, nous appellerons surface toute varieté topologique de dimension deux. On rappelle qu’une varieté topologique de dimension n est un espace topologique X séparé, à base d’ouverts dénombrable, et localement homéomorphe à Rn . La définition de structure differentiable nécessite de la notion de carte et d’atlas : soit Uα une famille d’ouverts localement homéomorphes à Rn couvrant X ; on appelle cartes les homéomorphismes locaux fα : Uα → Vα et atlas l’ensemble de ces cartes. Les fonctions de transition fα ◦ fβ−1 sont continues dans le cas d’une variété topologique. On dit que deux atlas sont équivalents si la réunion en est un (i.e. si les fα ◦ gβ−1 sont continues) ; chaque atlas appartient à une unique classe d’équivalence, représentée par un atlas maximal. Une variété topologique munie d’un atlas maximal avec fonctions de transitions différentiables (ou de classe C ∞ ) sera appelée variété différentiable (ou C ∞ ). On peut étendre cette définition pour inclure les variétés à bord : on permetra que les cartes aient pour image un ouvert de Rn−1 × R+ . Dans ce cas, le bord forme une variété de dimension n − 1 que l’on note ∂X. On se propose maintenant d’énoncer des résultats classiques permettant “d’améliorer” le type de relation entre deux fonctions (homotopie à isotopie), entre deux espaces (homéomorphisme à difféomorphsime), etc. On dit que deux homéomorphismes f, g : X → Y sont isotopes s’ils sont homotopes par une homotopie qui est un homéomorphisme à chaque instant : pour tout s ∈ I, Hs : X → Y est un homéomorphisme. Un résultat de Munkres, démontré dans sa thèse [Mu1], nous sera très utile : Théorème 1.9. Deux surfaces différentiables homéomorphes sont difféomorphes. La proposition suivante nous permetra de définir le concept d’orientabilité. Proposition 1.10. Étant donné une surface X, il existe une structure différentiable de classe C ∞ sur X, unique à homéomorphisme près. L’unicité est assurée par le théorème précédent, et l’existence par le théorème 2.2 de [Rey]. On dit alors qu’une surface topologique X est orientable si elle l’est en tant que surface différentiable. Ceci veut dire que dans son atlas maximal, le jacobien des changements de cartes est strictement positif. On observe de plus qu’une orientation de X induit une orientation de ∂X. Dans cet exposé, toutes les surfaces seront considerées orientables, même si ce n’est pas toujours nécessaire ou si ce n’est pas explicitement indiqué. Pour une démonstration du théorème suivant, utile au chapitre 2, on pourra consulter le théorème 6.3 de [Eps] : Théorème 1.11. Soient S une surface connexe orientable compacte et f, g des homéomorphismes homotopes de S. Si f et g préservent l’orientation, alors f et g sont isotopes. En fait, si S n’est pas le disque fermé D ou l’anneau A (surface compacte homéomorphe à un disque fermé D privé d’un disque ouvert strictement contenu dans D), alors f et g sont isotopes même si l’on suppose qu’ils ne préservent pas l’orientation. 6 Finalement, prenons note du théorème suivant, qui a été démontré par Munkres dans [Mu2] : Théorème 1.12. Tout homéomorphisme d’une surface connexe S est isotope à un difféomorphisme. 1.3 Courbes fermées simples Soit S une surface orientée. On définit une courbe fermée simple comme l’image d’une application continue injective f : S 1 → S qui est injective (de façon équivalente, f : I → S, avec f (0) = f (1) et f injective dans ]0, 1[ ). On confondra parfois la courbe avec la fonction qui la définit. Deux courbes fermées simples sont isotopes s’il existe une homotopie H entre elles telle que ∀s ∈ I, Hs : S 1 → S soit une courbe fermée simple. On souligne que ce concept ne dépend pas de “points bases”. Si α et β sont deux courbes fermées simples, on définit le nombre d’intersection géometrique de α et β, noté i(α, β), comme le minimum des points d’intersection α0 ∩ β 0 , où α0 (resp. β 0 ) est homotope à α (resp. β). Dans le cas où α et β sont telles que α ∩ β est minimal, on dit qu’elles sont en position minimale. On note alors aussi i(a, b) ce nombre. Comme la surface est supposée orientée, deux courbes α et β se coupant transversalement en un point x définissent une orientation de S (cette notion dépend évidemment de l’ordre de la paire α, β). On peut donc définir î (a, b), le nombre d’intersection algébrique de deux courbes fermées simples orientées, comme la somme des indices des points d’intersection de a et b, où l’indice est +1 ou −1 selon que l’orientation de l’intersection coïncide ou non avec l’orientation de S. Le critère suivant, démontré au théorème 1.3 de [F-M], est très utile pour déterminer si deux courbes fermées simples données sont en position minimale : Proposition 1.13 (Critère du “bigone”). Deux courbes fermées simples et transverses sont en position minimale si et seulement s’il n’existe pas de disque bordé par deux arcs de ces courbes. On dit qu’un tel disque est un bigone. Une application immédiate de ce critère est que deux courbes s’interesectant exactement en un point sont en position minimale. Voici une autre application : Proposition 1.14. Deux courbes fermées simples sont homotopes si et seulement si elles sont isotopes. Démonstration. Soient α et β homotopes. Comme i(α, β) = 0, si elles ne sont pas disjointes, elles ne sont pas en position minimale, et on a alors un bigone, qui suggère une isotopie réduisant strictement le nombre d’intersection. On peut donc supposer que α et β sont disjointes. Mais α et β bordent des sous-surfaces. Au moins une de ces soussurfaces doit être un anneau (sinon, elles ne seraient pas homotopes). Cet anneau suggère à nouveau l’isotopie entre les deux courbes. 7 Corollaire 1.15. Si α et β sont isotopes comme courbes fermées simples via F : S 1 × I → S, alors il existe une isotopie H : S × I → S de la surface telle que H(x, 0) = x pour tout x ∈ S et H(F (s, 0), t) = F (s, t) . Ceci veut dire que l’on peut étendre l’isotopie à toute la surface. La démonstration formelle nécessite de notions qu’il ne convient pas de définir ici, mais l’idée est la suivante : on peut supposer (comme dans la démonstration de 1.14) que α et β sont disjointes et que les courbes bordent une sous-surface homéomorphe à un anneau. Il est possible de trouver un champ de vecteurs lisse à support dans un voisinage régulier de l’anneau, et on obtient H en l’étendant à S puis en l’intégrant. Voir par exemple [Hir], théorème 1.3 du chapitre 8. Il est aussi possible de considérer des arcs dans une surface S à bord. Un arc dans S est une application α : I → S telle que α−1 (∂S) = {0, 1}, et on dit qu’il est simple si l’application est injective sur ]0, 1[. La classe d’homotopie se définit naturellement en ne permettant que des arcs dans à chaque instant de l’homotopie, et on peut aussi parler d’homotopie d’arcs relativement au bord de S (si les extrémités restent fixes sur ∂S). La proposition 1.14 et son corolaire sont aussi valables pour les arcs, 1.4 Classification de surfaces Le théorème de classification des surfaces nous sera extrêmement utile dans ce qui suit. Une démonstration complète peut se trouver dans le premier chapitre de [Rey]. On donne ici les définitions pertinentes et une idée très sommaire de la démonstration. Celle-ci utilise le concept de “triangulations”, qui est intuitivement clair, mais que nous précisons de suite. Soit X une surface, notons T le triangle de R2 de sommets 0, 1, eiπ/3 ; un triangle est une injection continue T ,→ X, et on appelle encore son image triangle, avec trois arêtes et trois sommets (naturellement, les images des arêtes et sommets de T ). Une triangulation de X est la donnée d’un ensemble de triangles fi : T ,→ X dont les images recouvrent X et tels que pour tout p ∈ X on ait 1. si p n’est pas sur une arête, il appartient à un unique triangle fi (T ), qui est alors un voisinage de p ; 2. si p est sur une arête a mais non sur un sommet, il appartient exactement à deux triangles ti = fi (T ) et tj = fj (T ), tels que ti ∩ tj = a et ti ∪ tj est un voisinage de p ; 3. si p est un sommet, il appartient exactement à un nombre fini de triangles t1 , . . . , tk ; ceux-ci ont p pour sommet, leur réunion est un voisinage de p, et ti et ti+1 ont exactement une arête commune. Le théorème suivant, que nous admettons (voir par exemple théorème 2.1 de [Rey]), est fondamental : Théorème 1.16. Toute surface topologique connexe admet une triangulation. Si X est compacte, l’ensemble des triangles est fini. 8 Soient X, Y des surfaces disjointes, D1 ⊂ X, D2 ⊂ Y , où chaque Di est un disque fermé plongé, à bord homéomorphe à un cercle. Soient X 0 = X − D̊1 , Y 0 = Y − D̊2 , et f : ∂D1 → ∂D2 un homéomorphisme. Alors l’espace topologique noté X#Y et appelé F somme connexe de X et Y , est l’espace topologique quotient (X 0 Y 0 )/ ∼, où x ∼ y si f (x) = y. On peut maintenant énoncer le théorème principal : Théorème 1.17. Soit X une surface topologique orientable, compacte, connexe, et à bord (éventuellement vide). Alors X est homéomorphe à la somme connexe de g ≥ 0 tores, privée des intérieurs de n ≥ 0 disques fermés disjoints. Les valeurs de g et de n sont uniquement déterminées. On note Sg,n une telle surface, et pour simplifier, Sg la surface Sg,0 . On appelle g le genre de S, et n le nombre de composantes connexes de bord. Un dessin bien connu justifie le rapprochement de g avec le nombre “d’anses” ou de “trous”. L’idée de la démonstration est d’utiliser une triangulation, et montrer que toute surface orientable compacte est homéomorphe soit à la sphère S 2 , soit à un polygone à 4g côtés identifiés 2 à 2 de la manière suivante : on identifie un côté c avec le côté c−1 pris dans le sens opposé : la figure 1 explique cette notation. La surface est donc homéomorphe à l’espace quotient de ce polygone par la relation de recollement des arêtes. Tous les sommets s’identifient à un seul point. Les côtés ai , bi forment des cycles sur la surface X. Si on voit X comme un tore à trous, on peut regrouper ces cycles par 2 : pour chaque trou, un ai “tourne autour” et un bi “passe à travers”. a1 a2 b1 Figure 1 – Polygone à 4g cotés identifiés. Finalement, rappelons que la characteristique d’Euler d’une surface Sg,n est χ(Sg,n ) = 2 − 2g − n. 1.5 Groupe fondamental de Sg,n Pour décrire le groupe fondamental d’une surface, on a besoin d’introduire certaines notions algébriques. Soit S un ensemble. Le groupe libre engendré par S, noté L(S), 9 est l’ensemble des mots de longueur arbitraire finie s11 · · · skk , k ≥ 0, i ∈ {1, −1}, si ∈ S, où l’on suppose que les mots sont réduits (i.e., si si = si+1 , alors i = i+1 ). On définit une k 1 loi de composition par la concaténation avec réduction, d’inverse s− · · · s− 1 , et d’élément k neutre le “mot vide” (k = 0). Ceci est en effet un groupe (voir par exemple [Hat]) : Proposition 1.18. L’ensemble L(S) muni de cette loi de composition est un groupe. On observe que ce groupe est fortement non-abélien. Si S est de cardinal fini n, L(S) est appelé groupe libre à n générateurs. On définit maintenant le produit libre de deux groupes A et B : l’ensemble sous-jacent est celui des mots finis formés par des “lettres” qui sont des éléments alternativement dans A et B, et l’opération de groupe est la concaténation avec réduction comme on l’a définie plus haut ; on note A ? B le produit libre de A et B. Par exemple, le groupe libre à n générateurs est le produit libre de n copies de Z, mais on observe qu’en général le produit libre de groupes n’est pas un groupe libre. On aura besoin de ce théorème classique, dont la démonstration peut se trouver dans [Hat] (par exemple) : Théorème 1.19 (Théorème de van Kampen, version simplifiée). Soient X une surface et des ouverts A et B couvrant X tels que A, B et A ∩ B soient connexes par arcs. Soient x ∈ A ∩ B, i : A ,→ X, j : B ,→ X. Alors on a un isomorphisme de grooupe π1 (X, x) = (π1 (A, x) ? π1 (B, x))/N où N est le sous-groupe distingué engendré par les éléments du type i∗ [γ] · j∗−1 [γ], où γ est un lacet d’origine x dans A ∩ B. On peut maintenant énoncer et démontrer le théorème principal de cette section. Théorème 1.20. Soit x ∈ Sg,n . Alors on a un isomorphisme de groupes π1 (Sg,n , x) ∼ = ha1 , b1 , . . . , ag , bg , c1 , . . . , cn | [a1 , b1 ] · · · [ag , bg ]c1 · · · cn i. Observons que si n ≥ 1, on tire de la relation ci-dessus que c−1 n = g Y [ai , bi ] n−1 Y ci , i=1 i=1 et donc π1 (Sg,n , x) = L(2g + n − 1). Démonstration. Pour simplifier, on note X = Sg,n . D’après le théorème de classification des surfaces, X est homéomorphe au quotient d’un polygone P à 4g cotés identifiés, que l’on prive des intérieurs de n disques fermés disjoints ; on note ci le bord de ces disques et ai , bi les bords de P , comme sur la figure 2. S On a alors que le bord de la surface est ∂X = {ci }. Soit Q ∈ P̊ , A = X − ∂P , B = X − {Q} ; alors X = A ∪ B. Par van Kampen, comme π1 (A) = {0} et B se rétracte par déformations sur ∂X, on a π1 (X) = π1 (∂X)/N , où N est engendré par un lacet γ dans A ∩ B. Voir la figure 2, sur laquelle on représente γ avec des pointillés plus serrés. 10 Figure 2 – Lacets dans Sg,n . On voit que ∂X a le type d’homotopie d’un bouquet de 2g cercles et de n “segments”. Il est facile de voir que π1 (∂X) est le groupe libre à 2g + n générateurs : on décompose le bouquet B en prenant W1 = B − {x1 , . . . , x2g+n−1 } où chaque xi ∈ Ci (un cercle) avec xi 6= x, W2 = B − {x2g+n }, qui se rétractent sur C2g+n et C1 ∪ . . . ∪ C2g+n1 respectivement, et leur intersection à le type d’homotopie d’un point x. Donc π1 (B) = π1 (C2g+n ) ? π1 (C1 ∪ . . . ∪ C2g+n1 ) ∼ = Z ? · · · ? Z par une récurrence immédiate. Le générateur de π1 (A ∩ B), γ, −1 −1 −1 est bien a1 b1 a−1 1 b1 · · · ag bg ag bg · c1 · · · cn , qui est bien ce que l’on voulait. 2 Le groupe modulaire Le but de cette section est d’introduire le groupe modulaire de Teichmüller d’une surface S (toujours supposée compacte à bord éventuellement vide, connexe et orientable), et d’étudier ses propriétés. Les références principales sont [F-M] et [Iva]. 2.1 Définitions Soit S une surface, Homeo+ (S, ∂S) le groupe d’homéomorphismes préservant l’orientation et qui valent l’identité sur ∂S, et muni de la topologie de la convergence sur des compacts, qui es la même que la compacte-ouverte. Soit Homeo0 (S, ∂S) la composante connexe de l’identité dans Homeo+ (S, ∂S), c’est-à-dire le sous-groupe distingué des homéomorphismes de S qui sont isotopes à l’identité par une isotopie fixant le bord de S point par point. On définit le groupe modulaire de Teichmüller par Mod(S) = Homeo+ (S, ∂S)/ Homeo0 (S, ∂S) 11 Il est possible de faire des variations de cette définition, comme considérer des homéomorphismes qui ne préservent pas l’orientation, ou qui ne fixent pas ∂S, etc. Un premier exemple informel d’élément de Mod(S) est la classe de l’homéomorphisme φ d’ordre g de Sg , consistant à faire “tourner” la surface Sg (que l’on représente en forme d’étoile avec les trous sur les bras) par un angle de 2π/g. En considérant une courbe fermée simple non triviale autour d’un seul “trou”, on voit intuitivement que cet élément n’est pas trivial dans Mod(S). Nous allons considérer une classe importante d’homéomorphismes d’une surface. Pour cela, soit A = S 1 × [0, 1] un anneau, où les éléments de S 1 sont des réels modulo 2π, et T : A → A défini par T (θ, t) = (θ + 2πt, t). C’est un homéomorphisme préservant l’orientation fixant ∂A point à point : voir la figure 3. Soit α une courbe fermée simple sur Figure 3 – T : A → A, le paradigme du twist de Dehn. une S, N un voisinage fermé homéomorphe à A (on appelle un tel fermé un voisinage regulier), et φ : A → S un plongement préservant l’orientation qui a N pour image. Le twist de Dehn associé à α, noté Tα , est l’homéomorphisme Tα : S → S qui consiste à “appliquer” T à N : ( x si x ∈ /N Tα (x) = −1 φ ◦ T ◦ φ (x) si x ∈ N. On peut aussi penser à Tα de la façon suivante : couper S sur α, tourner un voisinage d’une des composantes connexes du bord ainsi formé par 2π vers la gauche, puis recoller. On observe en particulier que cette construction ne dépend pas de l’orientation de α, puisque “tourner à gauche” dépend uniquement de l’orientation de S et pas de celle de α. De plus, la classe d’isotopie de Tα ne dépend pas du choix de N , ni de la courbe α dans sa classe d’isotopie. Si a est la classe de α, nous noterons Ta ∈ Mod(S) l’élément ainsi défini, qui s’appelle le twist de Dehn associé à a. Avant d’aborder les propriétés importantes de ces twists de Dehn, on se rassure en observant que les Ta sont en effet intéressants : Proposition 2.1. Soit a la classe d’isotopie d’une courbe fermée simple non homotope à un point. Alors Ta est un élément non-trivial de Mod(S). Démonstration. La preuve est “par dessin”, en deux cas. Soit a = [α]. Soit α est telle que S − {α} n’est plus connexe, et dans ce cas on dit que α sépare S, soit S − {α} est 12 connexe, et alors α ne sépare pas S. Si α et β ne séparent pas S, alors il existe un homéomorphisme de S envoyant α sur β : en effet, si on coupe S par α, on obtient une surface Sα avec deux composantes de bord associées à α ; cette surface est homéomorphe à Sβ par le théorème de classification des surfaces, car elles ont toutes deux la même quantité de composantes de bord et le même genre ; de plus, quitte à le modifier sur un voisinage du bord, cet homéomorphisme se recolle en un homéomorphisme h de S tel que h(α) = β. Dans le cas où α et β séparent S et ont des compléments homéomorphes, alors il existe un homéomorphisme h : S → S tel que h(α) = β, et donc on dit qu’elles ont le même type topologique. Cette discussion justifie que l’on puisse se ramener à notre dessin favori (figure 4) pour faire la démonstration. Dans le premier cas, celui où α ne sépare pas, on choisit β avec i(α, β) = 1. En notant b la classe d’isotopie de β, on peut choisir un représentant de Ta (b) coupant β transversalement une seule fois ; par le critère du bigone, i(b, Ta (b)) = 1 et on en conclut que Ta (b) 6= b (car en général i(b, b) = 0). Figure 4 – Cas où a ne sépare pas S. Dans l’autre cas, on choisit les courbes fermées simples α et β comme sur la figure 5. Si a est la classe d’isotopie de α, il existe donc une classe b avec i(a, b) = 2, et on peut considérer la classe Ta (b). On a 4 intersections entre Tα (β) et β ; on veut appliquer le critère du bigone pour montrer que i(Tα (β), β) = 4, et donc Ta (b) 6= b. Pour cela, on voit que β partitionne Tα (β) en 4 arcs et vice-versa ; sur la même figure, on voit que pour chaque arc de Tα (β), il y a un arc de β avec les mêmes bouts ; ces 4 paires pourraient “potentiellement” former 4 bigones, mais en fait chaque courbe ne sépare pas, et donc ne peut pas border un bigone. Figure 5 – Cas où a sépare S. 13 La généralisation suivante nous sera utile : Proposition 2.2. Soient a et b deux classes de courbes fermées simples non homotopes à un point. Alors i(Tak (b), b) = |k|i(a, b)2 En particulier, les twists de Dehn sont d’ordre infini. Démonstration. On prend α et β des représentants en position minimale. On forme la courbe β 0 dans la classe de Ta (b), en décalant un peu β et la modifiant dans un voisinage de α, comme dans la figure 6, qui représente la situation pour k = 1 et i(a, b) = 3. On Figure 6 – Démonstration de la proposition 2.2. compte le nombre de fois que β et β 0 se rencontrent : pour chaque croisement entre α et β, β 0 croise β “i(a, b) fois”, et comme il y a i(a, b) telles rencontres, on a au total i(a, b)2 points de rencontre entre β et β 0 . Pour k ≥ 1, on refait le passage k fois, et ce chiffre devient |k|i(a, b)2 . Il suffit maintenant de montrer que β et β 0 sont en position minimale. On coupe β et β 0 aux points de β ∩ β 0 , et on note {βi } et {βi0 } les arcs fermés en résultant. Les bigones potentiels, c’est-à-dire les courbes fermées simples que l’on peut former avec un arc βi et un arc βi0 , sont de deux types : soit les deux points de rencontre ont la même orientation, comme pour la courbe γ1 du coté gauche de la figure 7, ou pas, comme pour γ2 . Dans le premier cas, on remarque que l’on n’est pas en présence d’un bigone, car dans un “vrai” bigone les orientations aux intersections sont opposées ; dans le deuxième cas, si γ2 formait un bigone, alors α et β aussi, contrairement à ce que l’on a supposé. Pour la deuxième partie de la proposition, il reste juste à observer qu’étant donnée α, il existe une courbe fermée simple β telle que i(α, β) ≥ 0. 14 Figure 7 – Position possible entre β et β 0 . 2.2 Propriétés des twists de Dehn Les propositions élémentaires qui suivent nous permettent de mieux comprendre le comportement des twists de Dehn et du groupe modulaire. On introduit une notation : l’ensemble des classes d’isotopie de courbes fermées simples non isotopes à une courbe constante s’écrira C (0) (S). Dans ce qui suit, a et b sont des éléments de C (0) (S). Proposition 2.3. Nous avons Ta = Tb si et seulement si a = b. Démonstration. On a déjà vérifié que les twists de Dehn sont bien définis modulo isotopie, ce qui prouve une direction. Supposons que Ta = Tb mais que a 6= b ; on définit une classe de courbes fermées simples selon deux cas. Si i(a, b) 6= 0, prendre c = a. Sinon, on peut vérifier trivialement (par cas, qui varient selon les propriétés de séparation de a et b) qu’il existe un c tel que i(a, c) = 0 mais i(b, c) 6= 0. Alors la proposition 2.2 implique que i(Ta (c), c) = i(a, c)2 = 0 6= i(b, c)2 = i(Tb (c), c) et donc Ta (c) 6= Tb (c). Proposition 2.4. Pour f ∈ Mod(S), on a a) Tf (a) = f ◦ Ta ◦ f −1 ; b) f commute avec Ta si et seulement si f (a) = a. Démonstration. La démonstration de a) est immédiate : Tf (a) ne dépend pas du plongement φ : S 1 × [0, 1] → S utilisé pour le construire, et f ◦ φ est un plongement pour la courbe fermée simple f (a). Pour b), les équivalences f Ta = Ta f ⇔ f Ta f −1 = Ta ⇔ Tf (a) = Ta ⇔ f (a) = a établissent le résultat. En outre, on sait qu’étant donnés a et b qui ne séparent pas, il existe h ∈ Mod(S) avec h(a) = b. Donc dans ce cas Ta est conjugué à Tb dans Mod(S). En fait ceci peut être généralisé à des twists associés à des courbes ayant le même type topologique (voir démonstration de 2.1). 15 Proposition 2.5. On a i(a, b) = 0 ⇔ Ta (b) = b ⇔ Ta Tb = Tb Ta . Démonstration. La deuxième relation est la proposition 2.4 b). Pour la première, l’implication ⇒ est évidente. Si Ta (b) = b, alors i(Ta (b), b) = 0 = i(a, b)2 , donc i(a, b) = 0. Proposition 2.6. Si i(a, b) = 1, alors Ta Tb Ta = Tb Ta Tb . Démonstration. Par la proposition 2.4 a), c’est équivalent à dire que TTa Tb (a) = Tb , et par 2.3, que Ta Tb (a) = b. Voir la figure 8. Figure 8 – Démonstration de la proposition 2.6. On vise maintenant le résultat suivant : Théorème 2.7. Soient a, b ∈ C (0) (S). Si i(a, b) ≥ 2, le groupe engendré par Ta et Tb est isomorphe à L(2), le groupe libre de rang 2. Pour ceci, on aura besoin de la version qui suit du “lemme du ping-pong” : Lemme 2.8. Soient G un groupe agissant sur un ensemble X, n ≥ 2, et g1 , . . . , gn ∈ G. On suppose qu’il existe des parties non vides X1 , . . . , Xn de X telles que gik (Xj ) ⊂ Xi pour tout k 6= 0 et tout i 6= j. Alors le groupe engendré par les gi est libre sur {g1 , . . . , gn }. Démonstration (du lemme). On doit montrer qu’un mot réduit non trivial en les gi n’est pas trivial dans G. Soit w = gie11 · · · giekk , ei ∈ Z, que l’on écrit sous forme réduite. Supposons d’abord n ≥ 3 ; soit j ∈ / {i1 , ik }, et x ∈ Xj . Alors w(x) ∈ Xi1 et donc w(x) 6= x, ce qui montre que w n’est pas trivial dans G. Dans le cas n = 2, on a deux possibilités : soit i1 = ik , et on pose x ∈ Xj où j 6= i1 et le même raisonnement est valable, soit i1 6= ik et on conjugue le mot w par la lettre gi1 ; on trouve alors gi1 wgi−1 = gi1 gie11 · · · giekk gi−1 ; 1 1 et en choisissant x ∈ Xik et appliquant le même raisonnement, on trouve que gi1 wgi−1 n’est 1 pas trivial, donc w non plus. 16 Nous avons besoin d’un autre lemme : la version suivante d’un résultat démontré dans [Thu] suffira : Lemme 2.9. Soient a, b, c ∈ C (0) (S). Alors on a i(c, b) ≥ |k|i(c, a)i(a, b) − i(Tak (c), b). Démonstration (du lemme). La preuve est similaire à celle de la proposition 2.2. On commence par prendre des représentants en position minimale. On note Γ0 la courbe Tα (γ) décallée, qui traverse une seule fois chaque intervalle de Tα (γ) ∩ γ. On vérifie en comptant que le cardinal de c ∩ Γ0 est bien i(c, Ta (c)). On observe que c ∩ Γ0 est l’image d’une application continue de i(c, a) exemplaires de S 1 . On a donc l’inégalité |b ∩ (c ∪ Γ0 )| ≥ i(c, a)i(a, b)|k| On peut aussi voir ceci sur la figure 6 : à chaque fois que l’on traverse la courbe a (α sur la figure), on traverse i(c, a) fois soit la courbe c (β sur la figure), soit la courbe Γ0 (β 0 sur la figure). Si b ne passe pas par les points d’intersection de c et de Γ0 , on a que le nombre de gauche se décompose en somme. On peut toujours s’arranger pour que i(Γ0 , b) = |Γ0 ∩ b| et i(c, b) = |c ∩ b| ce qui termine la démonstration. Avec tout ceci en main, on peut donner une démonstration du théorème 2.7 : Démonstration. Soient n ≥ 2, G le groupe engendré par g1 = Ta , g2 = Tb , et X l’ensemble C (0) (S). Le groupe G agit naturellement sur X. On pose X1 = {c ∈ X | i(c, b) > i(c, a), } X2 = {c ∈ X | i(c, b) < i(c, a).} Ces ensembles sont non-vides, car a ∈ X1 et b ∈ X2 . Montrons que Tak (X2 ) ⊂ X1 pour k 6= 0. Soit c ∈ X2 . Alors par le lemme 2.9, on a i(Tak (c), b) ≥ |k|i(c, a)i(a, b)−i(c, b) > |k|i(c, a)i(a, b)−i(c, a) = |k|i(c, a)(i(a, b)−1) ≥ i(c, a), la dernière inégalité ayant lieu car i(a, b) ≥ 2 et |k| ≥ 1. Mais on a aussi i(c, a) = i(Tak (c), Tak (a)) = i(Tak (c), a) ⇒ i(Tak (c), b) > i(Tak (c), a), ce qui veut dire que Tak (c) ∈ X1 . Par un argument symétrique, on a Tbk (X1 ) ⊂ X2 . Une application du “lemme du ping-pong” termine la démonstration du théorème 2.7. On a donc démontré dans ce paragraphe que si a 6= b et i(a, b) = 0, alors Ta Tb = Tb Ta , et donc hTa , Tb i ∼ = Z2 ; si i(a, b) = 1, alors on a la relation Ta Tb Ta = Tb Ta Tb , et si i(a, b) ≥ 2, il n’y a pas de relations et donc hTa , Tb i ∼ = L(2). 17 2.3 Exemples importants On se propose maintenant de montrer que Mod(T 2 ) est engendré par des twists de Dehn, et on procède par étapes. Nous allons d’abord calculer explicitement le groupe Mod(S) pour le disque, l’anneau, et finalement le tore. On commence par le disque ; ce résultat s’appelle le lemme d’Alexander : Proposition 2.10. Le groupe Mod(D2 ) est trivial. Démonstration. Soit φ un homéomorphisme de D2 qui vaut l’identité sur ∂D2 . On doit construire une isotopie de φ à l’identité qui à chaque étape soit l’identité sur le bord du disque. On pose ( x ) 0 ≤ |x| ≤ 1 − t (1 − t)φ( 1−t F (x, t) := x 1 − t ≤ |x| ≤ 1. L’application F vérifie bien les propriétés voulues. L’importance de ce lemme réside dans son utilité pour prouver que deux homéomorphismes sont égaux dans Mod(S) pour un S plus compliqué. Proposition 2.11. Soit A est l’anneau fermé S 1 × [0, 1]. Alors Mod(A) est isomorphe à Z. Démonstration. Nous allons donner l’isomorphisme explicitement. Soit δ un arc simple — un chemin orienté— qui relie les deux composantes connexes du bord. Pour f ∈ Mod(S), on choisit φ ∈ Homeo+ (A) tel que [φ] = f . Le chemin composé δ · φ(δ) représente un élément de π1 (A, p) ∼ = Z (cet isomorphisme dépend du choix de l’orientation de A), où p est le point de départ de δ. L’application f 7→ [δ · φ(δ)] est bien définie, et c’est un homomorphisme surjectif Mod(A) → π1 (A, p), car si a est le cercle S 1 × {1/2}, alors Tan est n. Pour l’injectivité, supposons que f s’envoie sur 0 : il existe alors une homotopie de φ(δ) sur δ, donc une isotopie (section reftop=dif.courbes), qui peut être étendue en une isotopie de A fixant ∂A (par le corollaire à 1.14). Donc, à isotopie près, φ est l’identité sur ∂A ∪ δ. Comme son complément est un disque, f est aussi un élément de Mod(D2 ), qui est forcément trivial. Donc f est trivial dans Mod(A), ce qui prouve l’injectivité. Proposition 2.12. Le morphisme σ : Mod(T 2 ) → SL(2, Z), donné par l’action sur π1 (T 2 ), est un isomorphisme. Démonstration. Soit f ∈ Mod(T 2 ). On note (1, 0) et (0, 1) les générateurs de π1 (T 2 ), qui correspondent à la longitude et au méridien. Si φ est un représentant de f , alors φ(1, 0) = (p, q), φ(0, 1) = (r, s) pour certains p, q, r, s ∈ Z, et on définit σ par p r q s σ(f ) = ! . On commence par voir que ceci est bien défini : des homéomorphismes isotopes induisent la même action sur π1 (T 2 ). Il faut voir que l’on tombe bien dans SL(2, Z). Ceci sera clair une 18 fois que l’on prouvera que det(σ(f )) =î((p, q), (r, s)), où î est le nombre d’intersection algébrique, car un homéomorphisme préservant l’orientation préserve î par définition. D’abord, observons que pour (p, q) = (1, 0), det(σ(f )) = s, et évidemment î((1, 0), (r, s)) = s car on compte le nombre de fois que l’on croise (1, 0). Pour (p, q) arbitraire, on considère M ∈ SL(2, Z) qui envoie (p, q) sur (1, 0), matrice qui induit un homéomorphisme préservant l’orientation de T 2 , donc qui préserve le déterminant (T 2 = R2 /Z2 ). On a donc bien que σ est bien défini. Pour voir la surjectivité, on prend M ∈ SL(2, Z), qui induit un φM ∈ Homeo(R2 ) laissant Z2 invariant, donc induit bien par passage au quotient un homéomorphisme de T 2 . On a clairement que σ(φM ) = M , en considérant l’action de φM sur les générateurs de π!1 (T 2 ) (projections de T 2 sur les axes de R2 ). Pour l’injectivité, sup1 0 posons σ(f ) = . Soit Φ un représentant de f . Si α et β sont des courbes fermées 0 1 simples associées à (1, 0) et (0, 1) de π1 (T 2 ), alors α et Φ(α) sont homotopes, ainsi que β et Φ(β). Par 1.14, on a en fait que α et Φ(α) sont isotopes par une isotopie qui peut s’étendre à T 2 : on peut donc supposer, à isotopie près, que Φ(α) = α. On peut de plus considérer Φ comme un représentant d’un f 0 ∈ Mod(A), où A est l’anneau obtenu en coupant et retirant α de T 2 . Alors β et Φ(β) sont des arcs de cet anneau qui sont homotopes, et donc f 0 est l’identité dans Mod(A), par la discution précédente de Mod(A) : ρ(f 0 ) = 0, où ρ est l’action f 0 7→ β · Φ(β). On en conclut donc que f est l’identité dans Mod(T 2 ). Max Dehn a démontré un théorème plus général : pour toute surface S, Mod(S) est engendré par une quantité finie de twists de Dehn le long de courbes fermées simples qui ne séparent pas. Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure ici de donner cette démonstration (voir[F-M] par exemple), mais le travail précédent permet de démontrer un cas particulier du théorème de Dehn : Théorème 2.13. Mod(T 2 ) est engendré par deux twists de Dehn. Démonstration. M od(T 2 ) ∼ = SL(2, Z), et cet isomorphisme de groupes dépend du choix de l’isomorphisme π1 (T 2 ) → Z2 ; si cet isomorphisme envoie les éléments représentés par la longitude et le méridien dans la base canonique de Z2 , alors les twists de Dehn!le long de ! 1 1 1 0 la longitude ou du méridien correspondent à des matrices et . D’autre 0 1 −1 1 ! 1 1 part, il est bien connu (voir par exemple 1.2.4 de [Ran]) que les matrices T = et 0 1 ! ! ! 0 −1 0 −1 1 0 S= engendrent SL(2, Z). Comme on a que = T −1 · · T, 1 0 1 0 −1 1 on en conclut que nos matrices engendrent SL(2, Z), ce qui permet de conclure. 2.4 Théorème de Dehn-Nielsen-Baer L’objectif de ce dernier paragraphe est d’énoncer et de donner l’idée de la démonstration du théorème de Dehn-Nielsen-Baer, qui affirme que Mod(S) est un sous-groupe d’indice 2 du groupe des automorphismes extérieurs du groupe fondamental de S. La démonstration 19 nécessitant de nombreux résultats de topologie de surfaces, nous nous contenterons d’une esquisse, en citant les théorèmes nécessaires pour une démonstration complète. On rappelle que pour un groupe G, si on note Aut(G) son groupe des automorphismes et Int(G) celui de ses automorphismes interieurs, i.e. ceux qui sont des conjugaisons par des éléments de G, alors on peut définir le groupe des automorphismes extérieurs de G comme le quotient Out(G) =Aut(G)/Int(G). On note Mod± (S) le groupe des classes d’isotopie d’homéomorphismes de S, préservant ou non l’orientation. Alors Mod(S) est un sous-groupe d’indice 2 de Mod± (S). Le théorème de Dehn-Nielsen-Baer affirme que pour g ≥ 1, qu’il y a un isomorphisme entre Mod± (S) et Out(π1 (S)). On décrit l’application : pour f ∈ Homeo(S) fixant un p ∈ S donné, il existe un automorphisme induit f∗ sur π1 (S, p). Si f est isotope à f 0 via des isotopies fixant p à chaque instant, alors f∗ = f∗0 . Réciproquement, si f et f 0 sont isotopes via una isotopie H(x, t) qui ne fixe pas p à tout moment, alors f∗ et f∗0 diffèrent par une conjugaison de la classe d’un lacet γ(t) = H(p, t). Ceci implique qu’étant donnée une classe φ = [f ], on ne peut pas associer un unique f∗ ∈ Aut(π1 (Sg , p)), mais plutôt un automorphisme extérieur φ∗ . On peut donc considérer une application Mod± (Sg ) → Out(π1 (Sg , p)) consistant à envoyer φ sur φ∗ . Le théorème de Dehn-Nielsen-Baer s’énonce donc comme suit. Théorème 2.14. Pour S une surface de genre g ≥ 1, l’application φ 7→ φ∗ est un isomorphisme entre Mod± (S) et Out(π1 (Sg )). Cette application est en plus un morphisme de groupes, car on a (f ◦ g)∗ = f∗ ◦ g∗ . Il faut voir que cette application est bijective. L’injectivité est triviale, grâce à la proposition suivante, que l’on trouve par exemple dans [Hat], proposition 1.B.9 : Proposition 2.15. Soient X un espace connexe, Y un espace connexe par arcs de groupe fondamental G admettant revêtement universel contractile, et un homomorphisme Φ : π1 (X, x0 ) → π1 (Y, y0 ). Alors il existe f : (X, x0 ) → (Y, y0 ) continue avec f∗ = Φ, et cette fonction est unique modulo homotopie fixant x0 . Comme g ≥ 1, la surface S a un revêtement universel qui est contractile (voir chapitre 3) ; elle vérifie donc les propriétés de l’espace Y de la proposition précédente. Un homéomorphisme qui induit l’homomorphisme identité est donc homotope à l’identité sur S, ce qui montre l’injectivité. Reste à montrer la surjectivité. Supposons que Φ représente une classe d’automorphisme extérieur de π1 (S) : la proposition précédente affirme que l’on a une application φ : Sg → Sg continue telle que φ∗ = Φ. La suite de la démonstration consiste à montrer que φ est en fait une équivalence d’homotopie, et finalement, que les équivalences d’homotopies sont homotopes à des homéomorphismes. La deuxième affirmation est le contenu du théorème 3.7 de [F-M], que l’on aurait pu inclure dans la section 1.2, et la première découle immédiatement du théorème de Whitehead (voir par exemple théorème 4.5 de [Hat]) : 20 Théorème 2.16 (Whitehead). Si une application f : X → Y entre des CW-complexes connexes induit un isomorphisme f∗ : πn (X) → πn (Y ) pour tout n, alors f est une équivalence d’homotopie. Ce qu’est exactement un CW-complexe n’est pas très important à ce stade : c’est intuitivement un espace obtenu en “recollant des cellules”, et ce qui est à retenir est que les surfaces sont de tels espaces. À nouveau, comme g ≥ 1, le revêtement universel de S est H2 et donc les conditions du théorèmes sont satisfaites : φ est en fait une équivalence d’homotopie, qui est donc homotope à un homéomorphisme, ce qui montre la surjectivité. 3 Géométrie hyperbolique Dans cette section, l’espace hyperbolique sera défini et on citera ses propriétés les plus utiles. Par la suite, on définira les surfaces hyperboliques comme des espaces localement isométriques à H, on fera un rapprochement avec la théorie des revêtements et cela nous donnera une définition alternative des surfaces hyperboliques. Afin de ne pas répéter, la référence pour les résultats de la première partie est [Kat] ; pour la partie algébrique, on pourra consulter [Hat]. 3.1 Le plan hyperbolique On dit que le plan hyperbolique (réel), ou plus précisement le modèle du demiplan de Poincaré du plan hyperbolique est le sous-ensemble du plan complexe C défini par H := {z = x + iy | y > 0}, muni de la longueur hyperbolique : une courbe γ : I → H de classe C 1 par morceaux a une longueur donnée par q Z 1 x0 (t)2 + y 0 (t)2 dt, y(t) 0 où γ(t) = (x(t), y(t)). La distance hyperbolique entre deux points est la borne inférieure des longueurs des courbes C 1 par morceaux les reliant. On peut vérifier facilement que ceci est une distance induisant la topologie usuelle sur H, ce qui donne une structure d’espace métrique à H. On veut maintenant étudier les isométries de H, c’est-à-dire les applications bijectives de H qui préservent les distances. On observe d’abord qu’elles sont forcément continues. On note, comme il est de coutume, SL(2, R) = { a b c d ! | a, b, c, d ∈ R, ad − bc = 1}, et PSL(2, R) := SL(2, R)/{±Id}. 21 Ceci permet d’écrire chaque élément de PSL(2, R) comme ±x ∈ SL(2R). On a un morphisme injectif défini de PSL(2, R) sur les homéomorphismes de H : a b c d ! 7−→ z 7→ az + b . cz + d Un calcul simple montre que cette action est en fait par isométries. On voudrait maintenant déterminer le groupe de toutes les isométries de H. Pour ceci, nous avons besoin de définir une géodésique entre deux points x0 , x1 ∈ H : c’est simplement le chemin le plus court, ou l’un des chemins les plus courts s’il en existe plusieurs, entre x0 et x1 . Il est classique que les géodésiques maximales de H sont les demi-cercles centrés sur l’axe réel ainsi que les demi-droites orthogonales à cet axe. Il s’en suit que deux points quelconques sont joignables par une unique géodésique, et que leur distance hyperbolique est la longueur du segment géodésique qui les joint. Finalement, quelques manipulations et calculs démontrent le théorème suivant : Théorème 3.1. Toutes les isométries de H sont du type z 7→ az + b avec ad − bc = 1 cz + d ou z 7→ az + b avec ad − bc = −1. cz + d Notons P S ∗ L(2, R) = S ∗ L(2, R)/{±Id}, où S ∗ L(2, R) est l’ensemble des matrices de déterminant ±1 ; alors on voit que P S ∗ L(2, R) contient P SL(2, R) comme sous-groupe d’indice 2. Toutes les transformations figurant dans l’énoncé du théorème forment un groupe, isomorphe à P S ∗ L(2, R). Comme P SL(2, Z) s’identifie à celles du premier type, qui est un sous-groupe d’indice 2 du groupe des isométries (noté Isom(H), correspondant aux isométries préservant l’orientation : on le note Isom+ (H). Considérons maintenant l’application (injective) f : H → H donnée par z 7→ z−i z+i z ∈ H, qui envoie H bijectivement sur le disque unité de C, D = {w = u + iv | u2 + v 2 < 1}. Ceci induit une métrique sur D, qui muni de cette métrique est appelé le modèle du disque (de Poincaré) du plan hyperbolique. Explicitement, d∗ (z, w) = d(f −1 (z), f −1 (w)) définit une distance dans D, et f est une isométrie entre (H, dhyp ) et (D, d∗ ), où dhyp est la distance hyperbolique définie plus haut. Dans ce modèle, les géodésiques maximales sont les diamètres et les segments de cercles euclidiens orthogonaux au bord du disque D, où l’on mesure les angles comme dans le plan euclidien. Ce modèle est parfois utile, comme on le verra par la suite. Les théorèmes suivants sont valables pour le plan hyperbolique, et l’on peut les prouver plus facilement dans le modèle du demi-plan : 22 Théorème 3.2. 1. Si γ est une géodésique et p est un point de H n’appartenant pas à γ, alors il existe une unique géodésique passant par p orthogonale à γ. 2. Il existe une unique géodésique passant par deux points donnés distincts. 3. Si a et b sont deux géodésiques à distance strictement positive, alors il existe une unique géodésique orthogonale à a et à b. Un domaine compact P ⊂ H est un polygone hyperbolique si son bord est une courbe fermée simple géodésique par morceaux. On verra dans le paragraphe qui suit pourquoi cette définition est importante. 3.2 Surfaces hyperboliques et leurs géodésiques On reprend la notation de la section 1.2. Une surface sera supposée orientable et à bord (éventuellement vide), et un atlas de coordonnées (U, φ) sera un sous-atlas d’une structure différentiable. Supposons S sans bord. On dit qu’un atlas A de S est hyperbolique si φ(U ) ⊂ H et si les changements de cartes sont des restrictions d’isométries de H, sur chacune des composantes connexes de leur domaine de définition. La définition pour les surfaces à bord est plus subtile, car elle doit tenir compte des “coins” et des “arêtes”, mais on peut se l’imaginer facilement (voir [Bus] pour les détails). Un atlas hyperbolique maximal de S s’appelle une structure hyperbolique sur S. Une surface munie d’une structure hyperbolique est appelée une surface hyperbolique : c’est essentiellement une surface localement isométrique à H. On rappelle une définition : si un groupe Γ agit par homéomorphismes sur un espace topologique X localement compact, de telle sorte que pout pour tout compact K de X, l’ensemble {γ ∈ Γ | γ · K ∩ K 6= ∅} soit fini, alors on dit que l’action est proprement discontinue. On dit aussi qu’elle est libre si elle agit sans points fixes, c’est-à-dire que γ · x = x implique γ = id. Le théorème suivant nous permettra d’établir un lien avec la théorie de revêtements (voir 1.2.4 de [Bus] par exemple pour une démonstration) : Théorème 3.3. Soient S une surface hyperbolique et Γ ⊂ Isom+ (S) un sous-groupe d’isométries, agissant de façon proprement discontinue et sans points fixes. Alors le quotient S/Γ admet une structure hyperbolique uniquement déterminée telle que la projection π : S → S/Γ soit une isométrie locale. Pour toute surface S, on peut former le revêtement universel de S, noté S̃ ; c’est un espace simplement connexe qui admet un homéomorphisme local π : S̃ → S appelé projection, avec la propriété que chaque point p ∈ S ait un voisinage Up tel que la restriction de π à chaque composante connexe de π −1 (Up ) soit un homéomorphisme sur Up . Les homéomorphismes g de S̃ vérifiant π ◦ g = π forment le groupe du revêtement que l’on note Aut(S̃). Comme π est un homéomorphisme local, le groupe Aut(S̃) agit discontinuement sur S̃. L’action est aussi libre. Ce groupe du revêtement a de plus la propriété que si 23 π(p) = π(q), pour p, q ∈ S̃, alors il existe un g ∈ Aut(S̃) tel que g(p) = q. Il s’en suit que S = S̃/Aut(S̃). Il existe un morphisme “presque canonique” i∗ : π1 (Sg , p) → Aut(S̃) défini comme suit : on choisit un p̃ ∈ S̃ au-dessus de p, c’est-à-dire π(p̃) = p. Chaque lacet γ d’origine p peut se relever au revêtement universel, et ce relèvement devient unique si l’on impose γ̃(0) = p̃. Soit q̃ le point terminal de γ̃, qui est au-dessus de p : on a donc un élément gγ ∈ Aut(S̃) tel que gγ (p̃) = q̃. Cet élément gγ est unique, car les éléments non-nuls de Aut(S̃) n’ont pas de points fixes. On peut prouver (classique) que gγ ne dépend que de la classe d’homotopie de γ, ce qui montre que l’application [γ] 7→ gγ est bien définie. Le lemme 3.6.3. de [Sep] montre qu’une courbe dans S̃ avec points terminaux z et gα (z) se projette sur une courbe fermée de S homotope à α, d’où l’on déduit que l’application i∗ : π1 (Sg , p) → Aut(S̃) [γ] 7→ gγ est bien un isomorphisme de groupes. Le résultat suivant est réelement ce qu’il nous sera utile de savoir sur les surfaces hyperboliques. C’est une conséquence du théorème d’uniformisation de Riemann qu’il n’est pas question de prouver ici ; on pourra consulter le théorème 3.6.1 de [Sep] et la discussion qui s’en suit. Théorème 3.4. Soit S̃ le revêtement universel d’une surface Sg de genre g ≥ 2. Alors l’intérieur de S̃ est H. Si S est sans bord, S̃ est H tout entier, et si S a des composantes de bord, S̃ est l’espace hyperbolique avec certains intervalles de son bord, correspondant aux composantes de bord. On peut donc interpréter les éléments de Aut(S̃) comme des isométries de H. On remarque aussi que dans le cas où Sg est à bord et g ≥ 2, Sg est revêtue par un polygone hyperbolique géodésique. D’après la discussion qui précède, toute surface Sg avec g ≥ 2 peut s’exprimer sous la forme Sg = H/Γ, où Γ est un un groupe qui agit discontinuement par isométries. D’après le théorème 3.3, tout quotient de ce type est une surface hyperbolique ; on peu donc définir de façon équivalente une surface hyperbolique comme un tel quotient. Finalement, d’après ce même théorème, il est naturel de définir l’équivalence entre deux telles surfaces par l’existence d’un isomorphisme de revêtements de Sg . Il est utile d’avoir les deux points de vues : ainsi, on pourra définir une structure hyperbolique sur une surface Sg en donnant une action par isométries de π1 (Sg ) sur H (i.e. en explicitant Γ), ou bien en posant une métrique, ou finalement (par la première définition) par recollement de surfaces hyperboliques données. 24 3.2.1 Géodésiques Le théorème 3.2 énoncé plus haut pour le plan hyperbolique peut se généraliser aux surfaces hyperboliques ; on pourra consulter le théorème 1.5.2. de [Bus] : Théorème 3.5. Soit S une surface hyperbolique et c : [a, b] → S une courbe avec a ∈ A, b ∈ B, où A et B sont des géodésiques fermées qui ne se rencontrent pas sur le bord de S. Dans la classe d’homotopie de c, avec extrémités dans A et B, il existe une unique géodésique γ qui rencontre A et B perpendiculairement aux extrémités. Finalement, on a dans [Bus], proposition 1.6.6, une démonstration du théorème suivant. Théorème 3.6. Soit S une surface hyperbolique compacte et c une courbe fermée non homotope a l’identité. Alors c est homotope à une unique géodésique γ, qui vérifie γ ⊂ ∂S ou bien γ ∩ ∂S = ∅ ; de plus si c est simple, alors γ est simple. Ce dernier résultat est aussi valable pour des arcs dans S. 4 L’espace de Teichmüller Cette dernière section introduit le deuxième objet principal étudié dans ce document. Il s’agit de définir précisemment l’espace de Teichmüller et prouver que l’application esquisée dans l’introduction est en effet une bijection. Pour ce faire, on montre d’abord comment décomposer une surface de genre g ≥ 2 en pantalons, puis on décrit l’espace des hexagones hyperboliques marqués, et finalement on explicite la bijection en question. Pour finir, on exhibera l’action naturelle du groupe modulaire de Teichmüller sur l’espace de Teichmüller, et on montrera pourquoi cette action n’est pas libre en général. 4.1 Définition de Teich(Sg ) Soit S = Sg , avec g ≥ 2, une surface fermée orientée de genre g. L’espace de Teichmüller de S, noté Teich(S), est l’ensemble des classes d’équivalence des paires (X, φ)/ ∼ où X est une surface hyperbolique orientée, φ : S → X est un homéomorphisme, et (X1 , φ1 ) ∼ (X2 , φ2 ) si et seulement si l’application I := φ2 ◦ φ−1 1 est homotope à une isométrie préservant l’orientation entre X1 et X2 , c’est-à-dire si le diagramme suivant commute “à homotopie près” : S } AA } }} }} } ~} φ1 X1 I AA φ2 AA AA / X2 L’application φ s’appelle la marque et S la surface modèle. L’espace de Teichmüller décrit donc les surfaces hyperboliques marquées homéomorphes à S. 25 Pour chaque [(X, φ)] ∈ Teich(S), on peut voir les classes d’isotopie de courbes fermées simples de X comme étant “indexées” par des éléments de C (0) (S). Ainsi, en abusant un peu de la notation, on peut associer à un point X de Teich(S) une application lX : C (0) (S) → R+ ; l’image d’une classe c est la longueur de l’unique géodésique dans la classe de φ(c), qui existe d’après le théorème 3.6. Si la surface hyperbolique est à bord, la définition de l’espace de Teichmüller ne change pas, sauf dans la définition de la relation d’équivalence : il faut demander que les homotopies soient libres, c’est-à-dire qu’elles ne fixent pas forcément le bord. 4.2 Décomposition topologique en pantalons Le début de la démonstration du théorème principal est de prouver que si P est un pantalon, c’est-à-dire la surface compacte homéomorphe à la sphère avec trois composantes de bord (ou encore le disque à deux trous), alors Teich(P ) est en bijection avec R3+ . Ceci est en fait un homéomorphisme, mais comme nous n’avons pas défini de topologie sur Teich(S), on montrera seulement qu’il s’agit d’une bijection. Les paires de pantalons sont en quelque sorte les “briques” avec lesquelles on assemble des surfaces, dans la mesure où toute surface compacte avec χ(S) < 0 se décompose en réunion de pantalons. Ceci nous permettra de calculer Teich(S) pour n’importe quelle surface de genre g ≥ 2. Plus précisement, on appelle décomposition en pantalons d’une surface S une collection maximale de classes d’isotopie distinctes de courbes fermées simples dans S. La surface obtenue en découpant S le long de ces courbes est une collection de paires de pantalons. On remarque qu’étant donnée une surface de genre g ≥ 2, cette décomposition n’est pas unique ; voir figure 9. Cependant, la proposition suivante montre que le nombre de courbes dans la décomposition, ainsi que le nombre de pantalons qu’elle détermine, est en effet unique. Figure 9 – Deux possibles décompositions différentes pour g = 2. Proposition 4.1. Toute surface S de genre g ≥ 2 se décompose avec 3g−3 courbes fermées simples en 2g − 2 pantalons. On remarque au passage que le nombre 2g − 2 est égal à −χ(S) si S n’a pas de composantes de bord ; il est également vrai que si S = Sg,n , alors on peut trouver une décomposition avec −χ(Sg,n ) pantalons. 26 Démonstration. On commence par constater que l’énoncé de la proposition est purement combinatoire. En effet, une décomposition en pantalons peut s’interpréter comme un graphe tripartite non orienté : chaque pantalon correspond à un sommet, chaque arête à une courbe fermée simple de la décomposition, et on place une arête entre deux sommets (non nécessairement distincts) si la courbe correspondante est sur les bords des deux pantalons correspondants. Le fait que le graphe soit tripartite veut simplement dire que le graphe est connexe et que de chaque sommet émanent exactement trois arêtes. Par exemple, les décompositions de la figure 9 correspondent aux graphes de la figure 10. Soit P une Figure 10 – Graphes correspondants aux décompositions de la figure 9. décomposition en pantalons pour S. Avec l’interpretation ci-dessus, en notant M le nombre de sommets et N le nombre d’arêtes, en comptant de deux façons différentes le nombre de “demi-arêtes”, on observe que 3M = 2N . D’autre part, soit L dans P une courbe fermée simple du système, n1 le nombre de composantes connexes de S − L, et g1 la somme des genres de ces composantes. Alors S − L a deux composantes de bord et on a g1 − n1 = (g − 1) − 1, En effet, considérons les deux cas possibles : si L sépare S, alors g1 = g et n1 = 2 ; si L ne sépare pas, alors g1 = g − 1 et n1 = 1. En itérant cette construction, après retirer la k-ième courbe on a soit gk = gk−1 et nk = nk−1 + 1, ou soit gk = gk−1 − 1 et nk = nk−1 , ce qui donne dans tous les cas gk − nk = gk−1 − nk−1 − 1 = gk−2 − nk−2 − 2 = · · · = (g − 1) − k. Le processus s’arrête lorsque k = N , le nombre de courbes de P, et donc gN − nN = (g − 1) − N. Comme les pantalons ont genre 0, on a gN = 0, et comme par définition nN = M , cette équation se réduit à 0 − M = (g − 1) − N . La relation 3M = 2N nous permet de conclure. 4.3 Classification des pantalons hyperboliques On commence par classifier les hexagones hyperboliques (à bord géodésique). On appelle hexagone marqué un hexagone hyperbolique dans le sens de la section 3, sur lequel on 27 a choisi un sommet distingué. Soit H l’ensemble des classes d’équivalence d’hexagones marqués, à angle droits, où l’équivalence est par isométries préservant l’orientation de H et préservant le sommet distingué. Pour la démonstration de la proposition suivante, on utilise fortement des propriétés de H, rappelées au théorème 3.2. Proposition 4.2. Il existe une bijection entre R3+ et H, définie par les longueurs de trois cotés non-adjacents, en commençant par le sommet marqué et parcourus dans l’ordre trigonométrique. Démonstration. Étant donnés l1 , l2 , l3 , on construit un hexagone marqué à angle droits, avec les longueurs des cotés préscrits par ces 3 réels positifs (d’où la surjectivité) ; on verra que les choix n’affectent pas la classe d’équivalence de l’hexagone avec la relation ci-dessus, ce qui prouvera l’unicité (d’où l’injectivité). On fixe le point privilégié sur i ∈ H ; la construction qui suit est illustrée sur la figure 11. Soit β la géodésique qui passe par l’origine et par i. Soit α l’unique géodésique à dis- l2 β l1 α γ l3 Figure 11 – Construction de l’hexagone. tance l1 de i (unique si l’on se fixe un côté de β). Soit B la portion de droite euclidienne {z | d(z, β) = l2 }, qui se situe du même côté de β que α (ceci est bien une droite euclidienne car z 7→ λz est une isométrie). Considérer γ, une géodésique tangente à B, telle que d(γ, α) = l3 , et soit x = B ∩ γ. Par construction, la distance de γ à β est l2 . L’hexagone formé par les segments géodésiques l1 , α, l3 , γ, l2 , β (comme sur la figure), avec i pour sommet distingué, est bien un élément de H. Le seul problème possible pour l’unicité est la construction de γ : il n’est pas immédiat qu’il existe une unique géodésique tangente à une droite donnée à une distance fixée d’une autre géodésique. 28 On se concentre sur la portion de la figure formée par B, α, et x = B ∩ γ. Étant donné le point de tangence x sur B, la géodésique γ(|x|) se construit en prenant pour centre (du cercle définissant la géodesique) l’intersection de la normale (euclidienne) à B par x et l’axe horizontal. Il est clair qu’il existe un unique x0 sur un côté donné de B tel que γ(|x0 |) est tangente aussi à α. Il suffit de montrer que la distance d(γ(|x|), α) croît de façon monotone lorsque |x| croît. Or, ceci est clair : si d(α, γ(|x|)) > 0, on a une portion de géodésique σ orthogonale aux deux géodésiques considerées, et γ(|x|+) se situe “à droite” de γ(|x|) : soit y = γ(|x|+)∩γ(|x|). Alors d(γ(|x|+), α) = (γ(|x|+), y)+d(y, α) > d(y, α) > d(γ(|x|), α), ce qui termine la démonstration. Un pantalon hyperbolique est obtenu de façon naturelle en recollant deux hexagones hyperboliques. Le théorème suivant formalise cette idée. Théorème 4.3. Soit P un pantalon de composantes de bord α1 , α2 , α3 . L’application Teich(P ) → R3+ définie par X 7→ (lX (α1 ), lX (α2 ), lX (α3 )) (1) est bijective. Démonstration. Compte tenu de la proposition précédente, il suffit de donner une bijection entre Teich(P ) et H. Soit (X, φ) ∈ Teich(P ). On note aussi αi les composantes du bord de X, sous la marque φ. Pour chaque paire de bords αi , αj , il existe une unique classe d’isotopie d’arcs les reliant ; soit δij = δji l’unique géodésique dans chaque classe, qui est en plus perpendiculaire aux S αi , αj . Les adhérences des composantes de X − δij sont deux hexagones hyperboliques à angle droit H1 , H2 , qui sont isométriques par la classification des hexagones, car ils ont tous deux des côtés de longueur δij . Soit H ⊂ H un hexagone droit marqué, image isométrique de l’hexagone marqué H1 , où l’image de δ13 ∩ α1 est la marque, et les images des bords αi sont dans l’ordre usuel(trigonométrique). La classe d’équivalence de H est un élément de H. Décrivons l’inverse. Soit H un hexagone droit marqué, représentant un élément de H. Soit H 0 sa réfléction sur le premier segment dans l’ordre inversé (horaire), à partir du point marqué. Notons les bords comme sur la figure 12, et formons un pantalon X en identifiant les δ12 et les δ23 . On prend pour marque n’importe quel φ : P → X qui envoie les bords α1 , α2 , α3 sur les bords de X marqués avec le même symbole. Ceci établit bien une inverse pour la première application, ce qui suffit pour conclure. 4.4 Coordonnées de Fenchel-Nielsen Soit S une surface de genre g ≥ 2. On a vu qu’on peut la décomposer avec 3g − 3 courbes (orientées) en pantalons, et si S est munie d’une structure hyperbolique, on peut s’arranger pour que ces courbes soient en fait des géodésiques de la surface ; on se retrouve donc avec 2g − 2 pantalons hyperboliques à angles droits, el les 3g − 3 longueurs 29 Figure 12 – L’inverse de l’application X 7→ (lX (α1 ), lX (α2 ), lX (α3 )) . de leurs composantes de bord déterminent de façon unique leur structure hyperbolique. Intuitivement, la structure hyperbolique de la surface sera déterminée si on se donne les “angles” 2 avec lesquels on “recolle” les pantalons entre eux. Il s’agit bien de twists de Dehn que l’on effectue le long de ces géodésiques. Ces “coordonnées” sont donc paramétrées par R3g−3 × R3g−3 ∼ = R6g−6 . Notre objectif est maintenant de formaliser ceci et de prouver le + théorème classique suivant, dut à Fricke et Klein vers 1897 : Théorème 4.4. Soit S une surface de genre g ≥ 2. Alors Teich(Sg ) est homéomorphe à R6g−6 . Comme nous n’avons pas défini de topologie sur Teich(S), on se limitera a prouver qu’il 3g−3 existe une bijection entre Teich(Sg ) et R+ × R3g−3 . Démonstration. On commence par fixer une décomposition de S en pantalons, que l’on note P = {c1 , . . . , c3g−3 }, où les ci sont orientées. On fixe un système de “coutures” de la façon suivante : on choisit deux points distincts sur chaque ci , et on construit sur chaque pantalon trois courbes simples disjointes reliant chaque point de ci avec un point de cj pour ci , cj dans le même pantalon et i 6= j. On se retrouve donc avec un ensemble fini de courbes fermées simples et disjointes sur S, noté Q, tel que la restriction de Q à un pantalon donné par P soit un ensemble de trois courbes disjointes reliant les composantes de bord. On appelle un tel ensemble Q un système de coutures, que l’on fixe pour le reste de cette démonstration. La paire (P, Q) est le “système de coordonnées”. (X, φ) ∈ Teich(S). Les coordonnées de Fenchel-Nielsen de X sont données par un point dans R3g−3 × R3g−3 ; les premières coordonnées sont les paramètres de longueur + et les dernières les paramètres de couture. Les premiers se définissent facilement par li := lX (ci ) i = 1, . . . , 3g − 3. 2. Si on oublie la marque, et on ne s’interesse qu’au type d’isométrie de la surface, alors ces angles ne varieront qu’entre 0 et 2π. 30 Pour définir les paramètres de couture θi , qui mesurent “l’angle du recollement par rapport aux coutures données”, on peut supposer que les φ(ci ) (que l’on note encore ci ) sont déjà les géodésiques dans leur classe d’isotopie. On introduit d’abord la notion d’angle de twist d’un arc β dans un pantalon hyperbolique reliant deux de ses composantes de bord orientées γ1 et γ2 : soit δ l’unique géodésique perpendiculaire à γ1 et à γ2 , N1 et N2 deux voisinages réguliers de γ1 et γ2 respectivement ; modifions β (par une isotopie fixant les extrémités) en un arc, toujours appelé β, qui coïncide avec δ en dehors de N1 ∪ N2 . Voir la figure 13 (où l’on ne représente pas les Ni ). Dans le revêtement universel de N1 , le relevé Figure 13 – Calcul de “l’angle de twist d’un arc”. de β est un arc, et l’angle de twist de β par rapport à γ1 est par définition le déplacement horizontal (pris avec signe) entre β̃ ∩ γ˜1 et β̃ ∩ ∂ Ñ1 (= δ̃ ∩ ∂ Ñ1 ). On remarque que cette définition ne dépend pas du choix des voisinages réguliers. Intuitivement, ce nombre mesure la distance sur γ1 entre l’arc donné et la géodésique qui lui correspond, en comptant “le nombre de tours”. L’observation cruciale à ce stade est que l’angle de twist est bien défini. Maintenant, le paramètre de couture θi est facile à définir. Soit bj une des coutures traversant ci (il y en a exactement deux). De chaque côté de ci il y a un pantalon dans lequel bi forme un arc. Soient t, t0 les angles de twist de ces arcs, respectivement du côté gauche et droit de ci , et on pose t − t0 θi = 2π . lX (ci ) Pour voir ce que ce nombre représente, considérons le revêtement d’un voisinage régulier N de ci ; la couture bj , une fois modifiée comme plus haut, relie les relevés de deux géodésiques 31 orthogonales δ˜i et δ˜i0 , perpendiculaires à c˜i : le nombre t − t0 est leur distance (avec un signe déterminé par l’orientation de ci ). Voir la figure 14. Il faut vérifier que θi ne dépend pas Figure 14 – θi est bien défini. de la couture choisie. Si on avait choisi l’autre couture Bj (non représentée sur la figure), le procédé de calcul pour l’angle de twist nous force à considérer les autres géodésiques orthogonales à ci de chaque côté, notées ∆i et ∆0i . Cependant, on a vu dans la démonstration du théorème 4.3 qu’un de nos pantalons est décomposé en deux hexagones hyperboliques (déterminés par δi et ∆i ) qui sont isométriques, donc la géodésique ci est coupée en deux parties d’égale longueur par les extrémités de ∆i et δi , et par conséquence chaque copie ˜i se situe au milieu de deux relevés de δi ; idem pour ∆0 . Comme les coutures sont de ∆ i ˜0 (non représentée sur la figure) relie ˜i à ∆ disjointes, une courbe reliant deux relevés ∆ i forcément deux relevés à distance t − t0 , d’où l’indépendance du choix de la couture. Pour montrer la bijectivité de l’application, on décrit son inverse. Soient 3g−3 (l1 , . . . , l3g−3 , θ1 , . . . , θ3g−3 ) ∈ R+ × R3g−3 des paramètres arbitraires ; on va construire un point (X, φ) ∈ Teich(S) aux coordonnées de Fenchel-Nielsen égales à ce (6g − 6)-uplet, par rapport au même système (P, Q). Pour chaque triplet de courbes {ci , cj , ck } qui appartiennent à un unique pantalon Pi,j,k , construire le pantalon hyperbolique Xi,j,k qui a des composantes de bord de longueur li , lj , lk , notées dm , qui ont une orientation induite par P. On se permet de choisir des ci , cj , ck non nécessairement distinctes, afin de considerer aussi les pantalons comme ceux de la figure 9. Par 4.2, il n’y a qu’une façon de construire les Xi,j,k . 32 Pour chaque Xi,j,k et pour chaque paire de composantes de bord, on construit l’unique géodésique les reliant ; on modifie cet arc sur un voisinage régulier du côté gauche de chaque dm (ou on ne le modifie pas si le côté gauche “n’existe pas”) comme suit : remplacer l’arc géodésique par un arc qui voyage sur dm une distance orientée de (θm /2π)lm . Le résultat est unique modulo isotopie fixant le bord de Xi,j,k . On construit finalement une application de la réunion disjointe des Xi,j,k sur X = S, en envoyant chaque Xi,j,k sur le pantalon Pi,j,k correspondant, chaque dm sur la courbe cm de P correspondante, et chacun des arcs que l’on vient de construire sur les morceaux de coutures préscrites par Q. En “poussant” la métrique, on obtient une métrique hyperbolique sur X, et si la marque φ : S → X est l’identité, le point [(X, φ)] est un élément de Teich(S) qui par construction a les coordonnées de Fenchel-Nielsen désirées. Ceci termine la démonstration. Pour finir, on remarque que si la surface S = Sg,n a n composantes de bord, la décomposition en pantalons a 3g − 3 + n courbes (sans compter les bords), et les coordonnées de Fenchel-Nielsen pour S sont 3g − 3 + 2n paramètres de longueur et 3g − 3 + n paramètres de couture. On obtient donc Teich(Sg,n ) = R6g−6+3n . 4.5 L’action de Mod(S) sur Teich(S) On décrit l’action naturelle de Mod(S) sur Teich(S). On n’arrivera pas à prouver que l’action est proprement discontinue, ce qui est vrai (voir chapitre 11 de [F-M] par exemple), mais on se contentera de montrer que le stabilisateur d’un élément est fini. L’action de Mod(S) sur Teich(S) correspond intuitivement à “changer la marque”. Formellement, pour f ∈ Mod(S), et ψ ∈ Homeo+ (S) un représentant de f , l’action est définie par f · [(X, φ)] = [(X, φ ◦ ψ −1 )]. Le choix de l’exposant −1 permet d’avoir une action bien définie à gauche, et on peut former le quotient topologique Teich(S)/ Mod(S), qui peut s’interpréter comme “l’espace des structures hyperboliques (non-marquées)” sur S : en effet, si [(X, φ)] et [(Y, ψ)] sont des points de Teich(S) avec X isométrique à Y via I : X → Y , en notant F la classe de ψ −1 ◦ I ◦ φ, on a ψ −1 ◦I◦φ /S ?? ~ ~ @@ ??ψ ~ −1 @@ ?? I ◦ψ ~ ? φ @ ~ ~ /Y X S@ @ I F · [(X, φ)] = [(X, φ ◦ (ψ −1 ◦ I ◦ φ)−1 )] = [(X, I −1 ◦ ψ)] = [(Y, ψ)] et donc Mod(S) identifie ces deux points de Teich(S). 33 Il découle des définitions que h · [(X, φ)] = [(X, φ)] si et seulement si φ ◦ ψ −1 ◦ φ−1 est isotope à une isométrie préservant l’orientation de X, où ψ est un représentant de h dans Mod(S). C’est-à-dire que si h ∈ Stab([(X, φ)]), alors on peut lui associer une isométrie de X. Inversement, si I ∈ Isom+ (X), on peut lui associer l’élément [φ−1 ◦ I −1 ◦ φ] ∈ M od(S), qui a la propriété d’être dans le stabilisateur de [(X, φ)], par ce qui précède. Comme les deux opérations sont naturellement inverses l’une de l’autre, et comme évidemment cette dernière association est un morphisme de groupes, on a démontré la proposition suivante : Proposition 4.5. Soit [(X, φ)] ∈ Teich(S). Alors les groupes Isom+ (X) et Stab([(X, φ)]) sont isomorphes. Le théorème suivant montre que le groupe des isométries d’une surface hyperbolique est fini, et donc un élément h ∈ Stab([(X, φ)]) est d’ordre fini dans Mod(S). On pourra en conclure que l’obstruction à que l’action soit libre est due entièrement à la torsion des éléments dans Mod(S). Théorème 4.6. Si X est une surface hyperbolique homéomorphe à Sg , avec g ≥ 2, toute isométrie isotope à l’identité est l’identité et Isom(X) est fini. Démonstration. Il suffira de montrer que Isom(X) est compact (dans la topologie de la convergence ponctuelle) 3 , puis que Isom(X) est discret, un discret compact étant fini. Mais le théorème d’Arzelà-Ascoli donne immédiatement la compacité, la condition d’équicontinuité étant automatiquement vérifiée pour des isométries. Il reste à montrer que Isom(X) est discret. On fait ceci en montrant que l’intersection de Isom(X) avec Homeo0 (X), la composante connexe de l’identité dans Homeo(X), est un seul point (l’application identité, évidemment). Fixons un système de géodesiques simples S = {α1 , . . . , αk } en position minimale comme sur la figure 15 ; un examen atentif de la Figure 15 – La décomposition S, ici pour g = 3. figure nous permet de constater que X − αi est une surface homéomorphe au disque. Soit φ une isométrie isotope à l’identité. L’action de φ sur C (0) (S) est triviale : par l’unicité des géodésiques dans une classe d’isotopie donnée, la géodésique gα de la classe α est invariante : φ(gα ) = gα . Comme chaque courbe en coupe une deuxième qui est elle aussi S 3. En fait, le groupe d’isométries de n’importe quel espace métrique compact est un espace topologique compact : voir 29.4 de algebra VI 34 invariante, en a qu’en fait φ fixe vaut l’identité sur le système de géodésiques αi . On peut S finir en observant que sur la cellule X − αi , φ est une isométrie fixant le bord, et comme une isométrie fixant le bord d’une surface doit être l’identité, on en conclut que φ vaut l’identité sur X tout entier. Références [Bus] Buser, P. Geometry and Spectra of Compact Riemann Surfaces. Progress in Mathematics, volume 106. Birkhäuser Verlag. 1992. [Eps] Epstein, D. Curves on 2−manifolds and isotopies. Acta Math., 115 : 83–107. 1966. [F-M] Farb, B. and Margalit, D. A primer on mapping class groups. 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