L’espace et le groupe modulaire de Teichmüller
Alexandre RAMOS PEON
Juin 2010
Table des matières
1 Topologie des surfaces 3
1.1 Homotopie de chemins et groupe fondamental . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.2 Généralités sur les surfaces . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.3 Courbesferméessimples ............................ 7
1.4 Classification de surfaces . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.5 Groupe fondamental de Sg,n .......................... 9
2 Le groupe modulaire 11
2.1 Dénitions.................................... 11
2.2 Propriétés des twists de Dehn . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
2.3 Exemplesimportants.............................. 18
2.4 Théorème de Dehn-Nielsen-Baer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
3 Géométrie hyperbolique 21
3.1 Leplanhyperbolique.............................. 21
3.2 Surfaces hyperboliques et leurs géodésiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
3.2.1 Géodésiques............................... 25
4 L’espace de Teichmüller 25
4.1 Définition de Teich(Sg)............................. 25
4.2 Décomposition topologique en pantalons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
4.3 Classification des pantalons hyperboliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
4.4 Coordonnées de Fenchel-Nielsen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
4.5 L’action de Mod(S)sur Teich(S)....................... 33
Introduction
Ce document, issu du stage de TER encadré par Frédéric Paulin, prétend donner un
aperçu du groupe modulaire de Teichmüller, prouver ou énoncer ses propriétés les plus
importantes, décrire l’espace de Teichmüller et montrer comment ce groupe agit sur cet
espace. Le quotient qui en résulte est un objet fondamental en mathématiques, qui para-
mètre (entre autres !) les classes d’isométrie de structures hyperboliques sur une surface S
donnée. L’objectif central se limite à comprendre les objets qui rentrent en jeu dans cette
construction.
1
Un coup d’oeil à la table des matières révèle aussitôt l’organisation de ce compte rendu.
Les chapitres 1 et 3 sont essentiellement des prérequis et à ce titre se permettent fréquem-
ment de renvoyer aux références, tandis que les chapitres pairs, qui portent sur le contenu
substantiel, contiendront plus souvent des démonstrations complètes et d’abondantes illus-
trations.
Le premier chapitre s’occupe de rappeller les définitions et notions plus importantes
sur les surfaces orientables, objet d’étude de ce travail, ainsi que les types de courbes
qui les habitent, puis esquisser la démonstration de leur classification et du calcul de leur
groupe fondamental. On introduit de suite le groupe modulaire de Teichmüller, Mod(S), qui
consiste des classes d’isotopie d’homéomorphismes de Spréservant l’orientation et fixant
S. Les “twists de Dehn” sont l’exemple type des éléments de Mod(S), consistant à faire
“tourner” une portion de la surface sur elle même, en la “tordant”1. Après démontrer leurs
propriétés les plus élémentaires, on calcule certains groupes modulaires. Dehn a montré
que ses twists engendrent Mod(S), ce qu’on ne montrera ici que pour S=T2, puis on
esquisse la démonstration technique du théorème de Denh-Nielsen-Baer, qui relie algèbre
et géométrie en affirmant que Mod(S)est un sous-groupe d’automorphismes extérieurs de
π1(S).
Qui dit Teichmüller dit géométrie hyperbolique, et donc le chapitre 3 est une exposition
éclair de l’espace hyperbolique avec ses deux modèles les plus communs, les propriétés de
ses géodésiques, et les surfaces hyperboliques. Outre la définition via isométrie locale, on
aura besoin de considérer les relevés d’arcs hyperboliques, d’où la nécessité de rappeller
la théorie des revêtements et son lien avec les polygones hyperboliques. On commence
le chapitre 4 par la définition de l’espace de Teichmüller, noté Teich(S), qui peut être
décrit comme l’ensemble de classes d’isomorphisme de structures hyperboliques marquées
sur la surface S. On verra précisément quelle est cette relation d’équivalence. L’objectif
est de montrer un théorème démontré par Fricke et Klein en 1897, qui affirme que pour
la surface fermée Sgde genre g2, Teich(Sg)est homéomorphe à R6g6. La stratégie
pour accomplir ceci est de montrer que l’on peut décomposer cette surface topologique en
“pantalons” par 3g3courbes géodésiques, que l’espace de Teichmüller d’un pantalon
est précisémment paramétré par les trois longueurs de ses composantes de bord, et que la
structure hyperbolique de Sgdépend de 3g3paramètres réels additionnels, correspondant
à “l’angle” par lequel on tourne les “jambes” du pantalon avant de les recoller entre eux.
Ceci reste très peu rigoureux et il est dans notre interêt de formaliser cette palabrerie. Pour
finir, on établit un lien entre Mod(S)et Teich(S)via une action naturelle de “changement
de marque”, qui est proprement discontinue (ce que l’on ne montrera pas); l’obstruction à
qu’elle soit libre dépend exclusivement de la torsion des éléments de Mod(S). Le quotient
n’est donc pas une variété ; il décrit les structures complexes (ou hyperboliques) sur Ssans
marquage : son étude correspond à un problème classique remontant a Riemann.
1. Le mot “torsion” étant déjà trop fréquent en mathématiques, on doit se résigner à suivre l’usage et
utiliser le mot anglais “twist”. Il peut être intéressant de savoir que Max Dehn utilisait le mot Schraubungen,
“application de vissage”
2
1 Topologie des surfaces
L’idée de cette section est de mettre en place les définitions, les outils algébriques et
les prérequis de topologie de surfaces, sur lesquelles porte le sujet de cet exposé. La réfé-
rence concernant les paragraphes 1, 3 et 5 est [Hat]. On admet les notions élémentaires de
topologie. S’agissant de notions de base, beaucoup de démonstrations ne sont pas données.
1.1 Homotopie de chemins et groupe fondamental
Soit Xun espace topologique. On appelle un chemin dans Xune application continue
f:IX, où Iest l’intervalle [0,1]. Une homotopie de chemins dans Xentre deux
chemins γ0et γ1est une application f:I×IXcontinue telle que f0=γ0, f1=γ1, et
que pour tout sI, si fs(t) = f(s, t), alors fs(0) = x0et fs(1) = x1.
Lorsque deux chemins sont reliés de cette façon, on dit qu’ils sont homotopes (à extrémités
fixées).
Il est très facile de voir que la relation “être homotope” est une relation d’équivalence.
On a aussi une notion de composition de chemins, qui correspond à la notion intuitive de
les mettre “bout à bout” : si f, g :IXsont tels que f(1) = g(0), on peut définir le
chemin composé
(f·g)(t) = (f(2t)si 0t1/2
g(2t1) si 1/2t1.
De plus, si f0(resp. g0) est homotope à f1(resp. g1) via fs(resp. gs), alors fs·gsest une
homotopie entre f0·g0et f1·g1. En particulier, on peut restreindre notre attention à des
lacets, c’est-à-dire aux applications telles que f(0) = f(1) ; on appelle f(0) le point base
du lacet.
Soit π1(X, x0)l’ensemble de classes d’homotopies [f]de lacets dans Xavec un même point
base x0. La proposition suivante, qui est élémentaire, justifie que l’on l’appelle le groupe
fondamental, ou le premier groupe d’homotopie (les groupes d’homotopie supérieurs sont
définis de façon similaire, avec [0,1]nau lieu de [0,1] comme espace base).
Proposition 1.1. L’ensemble π1(X, x0)est un groupe pour la loi [f][g]=[f·g].
Le choix du point base n’a en fait qu’une importance sommaire :
Proposition 1.2. Si x0et x1appartiennent à la même composante connexe par arcs de
X, alors les groupes π1(X, x0)et π1(X, x1)sont isomorphes.
Démonstration. Soit h:IXune application continue telle que h(0) = x0et h(1) =
x1; notons h(t)le chemin inverse : t7→ h(1 t). L’isomorphisme β:π1(X, x1)π1(X, x0)
est donné par β([f]) = [h·f·h]. Si ftest une homotopie entre des lacets d’origine x1,
alors h·ft·hest une homotopie entre des lacets d’origine x0, donc βest bien défini.
Comme β([f·g]) = [h·f·g·h] = [h·f·h·h·g·h] = β([f]) ·β([g]), l’application
βest un homomorphisme. L’application [g]7→ [h·g·h], notée β, est l’inverse de βcar
ββ([f]) = β([h·f·h]) = [h·h·f·h·h]=[f].
3
On dit qu’un espace Xest simplement connexe si Xest connexe par arcs et de plus
π1(X)=0. La proposition suivante justifie le terme :
Proposition 1.3. Un espace Xest simplement connexe si et seulement si pour chaque
paire de points x0, x1de X, il existe une unique classe d’homotopie de chemins reliant x0
àx1.
Démonstration. Soit Xsimplement connexe. L’existence de chemins est claire, il reste
à voir l’unicité. Si fet grelient x0àx1, et si π1(X) = 0 alors fest homotope à f·g·g,
qui est homotopie à gcar g·get f·gsont tous deux homotopes à des chemins constants.
Inversement, s’il n’y a qu’une classe d’homotopie entre les lacets d’origine x0, alors ils sont
tous homotopes au lacet constant.
Encore un résultat facile mais important :
Proposition 1.4. Les groupes π1(X×Y, (x0, y0)) et π1(X, x0)×π1(Y, y0)sont isomorphes.
Ceci résulte du fait qu’une application est continue si et seulement si chacune de ses
composantes l’est ; donc se donner un lacet dans X×Yrevient à se donner un lacet dans
Xet un lacet dans Y.
On note S1={(x, y)R2|x2+y2= 1}, qui est le cercle. Le théorème suivant, qui
est bien connu, a des conséquences topologiques importantes :
Théorème 1.5. Il existe un isomorphisme de groupes entre Zet π1(S1).
Soit φ:XYune application continue telle que φ(x0) = y0. Dans ce cas, on notera
φ: (X, x0)(Y, y0). Alors φinduit une application φ:π1(X, x0)π1(Y, y0)par [f]7→
[φf]. Cette application induite est bien définie, car une homotopie ftde lacets d’origine x0
donne une homotopie φftde lacets d’origine x1, et donc φ[f0] = [φf0]=[φf1] = φ[f1].
Cette application est de plus un homomorphisme, car φ(f·g) = (φf)·(φg), les deux
fonctions ayant même valeur φf(2t)pour 0t1/2et φg(2t1) pour t1/2. Comme
la composition d’applications est associative, on a (φψ)=φψet id=Id (c’est-à-
dire, que l’application id :XXinduit l’identité de groupes Id :π1(X)π1(X)). Si de
plus φest un homéomorphisme, alors φest un isomorphisme de groupes, d’inverse (φ1).
Dans un sens plus large, une homotopie (distinguer d’homotopie de chemins) est une
application continue h:I×XYet l’on note hs:XYl’application x7→ h(s, x)
pour tout sI. Une équivalence d’homotopie est une application f:XYtelle
qu’il existe g:YXavec fget gfhomotopes à l’identité ; on dit dans ce cas que X
et Yont le même type d’homotopie. Une rétraction de Xdans Aest une application
continue f:XXavec r(X) = Aet rA=id. Une rétraction par déformations de
Xsur Aest une homotopie entre l’identité de Xet une rétraction r:XA. Si AX
et BYet si une homotopie φt:XYvérifie φt(A)Bpour tout tI, on dit que
φtest une homotopie de paires φt: (X, A)(Y, B). Dans le cas où A=x0et B=y0,
on parle d’homotopies prévervant le point base.
4
Proposition 1.6. Si Xse rétracte sur A, alors i:π1(A, x0)π1(X, x0)induite par
l’inclusion est injective. Si Aest une rétraction par déformations, alors iest un isomor-
phisme.
Démonstration. Si r:XAest une rétraction, alors ri=id, donc ri=Id,
donc iest injective. Si rt:XXest une rétraction par déformations sur A,r0=id et
rtA=idA,r1(X)A, donc f:IXsur x0lacet, rtfdonne une homotopie entre f
est un lacet sur A, donc iest aussi surjective.
Observons de plus que si φt: (X, x0)(Y, y0)est une homotopie préservant le point
base, alors φ0=φ1car φ0([f]) = [φ0f]=[φ1f] = φ1([f]). Comme dernière propriété
des équivalences d’homotopies, on montre :
Proposition 1.7. Si φ: (X, x0)(Y, y0)est une équivalence d’homotopies, alors φ:
π1(X, x0)π1(Y, y0)est un isomorphisme.
Nous aurons besoin d’un lemme :
Lemme 1.8. Soient φs:XYune homotopie, x0X, et hle chemin s7→ φs(x0);
alors on a le diagramme commutatif suivant :
π1(X, x0)φ1//
φ0
''
P
P
P
P
P
P
P
P
P
P
Pπ1(Y, φ1(x0))
βh
π1(Y, φ0(x0))
Démonstration. Soit fun lacet en x0; il s’agit de montrer que φ0(f)et βh(φ1(f)) sont
homotopes en tant que lacets d’origine φ0(x0). Pour tout s[0,1], notons hsl’application
de [0,1] dans Ydéfinie par t7→ h(st). Alors la famille de chemins d’origine φ0(x0)donnant
l’homotopie est précisement s7→ hs·(φsf)·hs, car en s= 0 et s= 1 on a les chemins
φ0(f)et βh(φ1(f)) respectivement.
Démonstration (de la proposition).Par hypothèse, il existe une inverse homotopique
pour φ; soit ψ:YXun tel inverse. Considérons
π1(X, x0)φ//π1(Y, φ(x0)) ψ//π1(X, ψ φ(x0)) φ//π1(Y, φ ψφ(x0))
La composée des deux premières applications est un isomorphisme car ψφest homotope à
l’identité, donc ψφ=βhpour un certain h, par le lemme. En particulier φest injective,
car ψφest un isomorphisme. En raisonnant sur les deux dernières applications, on voit
que ψest injective. Donc les deux premières applications sont injectives, leur composition
est bijective, donc la première application, qui est φ, est aussi surjective.
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