Avancées et recherches REVUE DE PRESSE Chefs de rubrique : D. Gourion

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L’Encéphale (2010) 36, 189-194
REVUE DE PRESSE
Chefs de rubrique : D. Gourion
Ph. Gorwood
Avancées et recherches
D. Gourion (1)
Vers une biologie de la résilience ?
ΔFosB in brain reward circuits mediates resilience
to stress and antidepressant responses. Vincent
Vialou et al.. Nature Neuroscience, Mai 2010.
CONTEXTE
La capacité de réagir à un facteur de stress
traumatique est différente en fonction des individus. Certains vont rapidement surmonter l’état
de stress réactionnel, d’autres seront amenés
à développer une psychopathologie plus ou
moins sévère, telle qu’une dépression ou un
stress post-traumatique. Cette capacité de faire
face à un événement stressant, ou résilience,
dépend de mécanismes d’adaptation agissant
à plusieurs niveaux, neurobiologiques, psychologiques et comportementaux. Dans la sphère
psychologique, les mécanismes de coping susceptibles d’améliorer les facultés de résilience
sont l’optimisme, la capacité de régulation émotionnelle, l’estime de soi, la patience et la détermination. Ces mécanismes de coping ont en
commun d’améliorer les comportements prosociaux adaptatifs. Ces traits sont sous-tendus
par des déterminants neurobiologiques parmi
lesquels le système de récompense cérébrale
tient une place prépondérante. Si plusieurs facteurs neurobiologiques de la vulnérabilité au
stress ont été identifiés chez l’homme (activation
de l’axe HPA, voies de signalisation sérotoniner-
giques et glutamatergiques, facteurs neurotrophiques et anti-apoptotiques, etc.) il demeure
impossible de déterminer s’ils sont cause, conséquence ou corrélat de la réaction de réponse
biologique au stress. Ainsi, en dépit de l’abondante littérature sur les modèles de stress, on
en sait finalement relativement peu sur les mécanismes moléculaires de la résilience.
MÉTHODE
Parmi les modèles animaux actuels de
stress, les situations de défaite sociale représentent un paradigme intéressant pour l’étude des
mécanismes de la dépression et du PTSD. La
défaite sociale répétée induit des altérations physio-comportementales à long terme, comprenant l’évitement social, l’anhédonie et l’inhibition
anxieuse. La normalisation de ces comportements anormaux par l’administration chronique
d’antidépresseurs tend à valider ce modèle animal de stress. Dans cette étude, les auteurs se
sont intéressés à un facteur de transcription de
la famille de protéines Fos, nommé ΔFosB.
duire son effet psychopharmacologique et de
permettre la disparition des comportements
anormaux induits par la défaite sociale.
L’effet de ΔFosB passe par l’induction
d’une sous unité des récepteurs glutamatergiques (GluR2 AMPA). Cette induction diminue la réponse des neurones du noyau
accumbens au glutamate.
L’activité de ΔFosB dans ce circuit de
récompense joue donc un rôle protecteur fondamental face au stress social chronique. Il
protège l’animal de l’apparition de comportements d’allure dépressive. À l’inverse, lorsqu’il
y a déplétion de ΔFosB, les comportements
dépressifs émergent. Les antidépresseurs ont
pour effet de booster ΔFosB, qui pourrait représenter l’une de leurs cibles d’action privilégiées. Par ailleurs, dans une autre étude postmortem de cerveaux de patients déprimés, les
concentrations de ΔFosB dans cette structure
cérébrale sont plus basses que chez les sujets
décédés pour d’autres raisons.
COMMENTAIRE
RÉSULTATS
(1) CH Sainte-Anne, Paris.
Dans un modèle animal de stress social, les
auteurs ont montré que ΔFosB est un facteur
majeur de résilience au stress. L’induction de
ΔFosB dans le noyau accumbens de souris
(structure cérébrale centrale dans les mécanismes de récompense) permettrait une réponse
résiliente puissante dans une situation de stress
chronique de type défaite sociale. Ce même facteur était également indispensable pour permettre à un antidépresseur – la fluoxétine – de pro-
Si une concentration élevée de ΔFosB au sein
du noyau accumbens – système cérébral de
récompense – bloque l’apparition de comportements d’allure dépressive en réponse à une
situation de défaite sociale, ce facteur représente donc un médiateur probablement fondamental de la réponse au stress. Il semble
également impliqué dans d’autres études dans
la réponse à la récompense, qu’elle soit naturelle (nourriture, sexe, exercice) ou liée à l’utilisation de drogues. Ce facteur de transcription
190
joue donc un rôle de chef d’orchestre au sein
du système de récompense cérébral, en ayant
la possibilité, à l’intérieur même des neurones,
d’activer ou de désactiver des gènes conduisant à l’induction de protéines régulant l’activité neuronale. Parmi les cibles de ΔFosB, se
trouvent la sous unité GluR2 des récepteurs
glutamatergiques AMPA et la protéine de
matrice extracellulaire SC1, toutes deux impliquées dans la résilience au stress social. Les
récepteurs glutamatergiques modulent en particulier la valence et le relief affectif attribués aux
stimuli récompensants ou aversifs.
Globalement, les auteurs font l’hypothèse que
les concentrations de ΔFosB dans le noyau
accumbens sont un paramètre déterminant le
niveau de motivation de l’individu à orienter son
comportement vers la recherche de stimuli
récompensants, que ce soit dans le contexte
de la dépression ou de l’addiction.
La recherche de nouvelles molécules boostant
ΔFosB pourrait, selon les auteurs, permettre la
découverte de nouveaux agents pharmacologiques du traitement de la dépression et du
PTSD. Si ces perspectives enthousiasmantes
se concrétisent, elles pourraient ouvrir la voie
vers la découverte de nouvelles cibles biologiques impliquées à la fois dans la résilience au
stress, dans l’effet des antidépresseurs et dans
les troubles addictifs…
Personnalité et dépression :
quand et comment l’évaluer ?
State Effects of Major Depression on the Assessment of Personality and Personality Disorder.
Leslie C. Morey, Am J Psychiatry 2010 ; 167 :
528-535.
CONTEXTE
On considère classiquement que la validité
du diagnostic de personnalité pathologique
n’est pas valide durant l’épisode dépressif.
L’état prédominerait d’une certaine façon sur
le trait. Le meilleur argument pour cette hypothèse est représenté par le fait que certaines
études montrent que le traitement efficace de
la dépression entraîne des améliorations substantielles des traits de personnalité que la
dépression aurait rendu plus saillants. Mais on
peut également supposer que si l’antidépresseur agit sur l’humeur, il n’agit pas que sur elle
et peut s’avérer susceptible de modifier directement certains traits de personnalité.
MÉTHODE
Dans cette étude, les auteurs ont cherché à
savoir si la présence d’une dépression majeure
invalide le diagnostic de personnalité en majorant
temporairement certains traits. Pour cela, ils ont
évalué les modifications à long terme (6 ans) des
traits de personnalité chez plus de 500 sujets
souffrant de dépression, avec ou sans diagnostic comorbide de trouble de la personnalité ainsi
D. Gourion
que chez des patients non déprimés mais souffrant d’un trouble de la personnalité. Pour l’évaluation des troubles psychiatriques, les auteurs
ont choisi le SCID et pour celle du diagnostic de
trouble de la personnalité, un outil semi-standardisé (The Diagnostic Interview for DSM-IV Personality Disorders). Par ailleurs, pour l’évaluation
des traits de personnalité, ils ont utilisé le NEOPI-R, un modèle classique à cinq dimensions
(« OCEAN » pour Ouvert, Consciencieux, Extraverti, Agréable, Névrotique).
baseline diminuaient, dans la même proportion
le nombre d’items de personnalité pathologique
(fig. ci-dessous). Et la présence d’un état dépressif comorbide d’un trouble de la personnalité à
la baseline n’entraînait pas, lorsqu’il avait disparu
au cours du temps, d’amélioration ou de modification sensible de la personnalité.
RÉSULTATS
Cet outil permettait d’obtenir une fidélité
interjuge correcte (kappa compris entre 0.58 et
1.0) et une bonne stabilité test-retest (kappa entre
0,69 et 0,74). La fidélité globale pour le nombre
de critères de diagnostic de trouble de la personnalité était de 0,95 sur le follow-up de 6 ans.
Après six ans d’évolution, la stabilité des
traits de personnalité entre les différents groupes
était similaire. Les patients souffrant d’un trouble
de la personnalité avec ou sans dépression à la
TABLEAU I. — Comparison of Symptomatic, Functional, and Personality Stability in Patients
With Personality Disorder, Major Depression, or Both at Baseline Evaluation.
Revue de presse
191
TABLEAU II. — Personality Change in Patients With Comorbid Personality and Major
Depression Whose Depression Did or Did Not Remit Over 6 Yearsa.
TABLEAU II. — Predictors of Increased
Depressive Symptoms.
RÉSULTATS
En ce qui concerne les modifications des
dimensions de personnalité, les changements
les plus importants étaient observés sur la
dimension névrotique (neuroticism) dont le
score diminuait très sensiblement dans tous
les groupes de patients. Autre argument contre l’idée d’un biais de la dépression sur la personnalité, les changements dimensionnels
globaux aux cinq dimensions de personnalité
ne différaient pas entre les groupes cliniques
entre la baseline et le suivi à 6 ans.
L’internat représente une période à haut
risque de dépression : les jeunes médecins
doivent notamment faire face à de nouvelles
responsabilités, à une charge de travail considérable, à la déprivation de sommeil et à la
gestion de situations extrêmes.
Alors que les études transversales montrent que la prévalence de la dépression est
élevée dans cette population (7 %-49 % en
fonction des études et des outils utilisés), il
n’existe pas jusqu’à maintenant d’étude de
suivi longitudinal bien menée.
CONCLUSIONS
Les auteurs concluent que le diagnostic
comorbide de dépression et de personnalité
pathologique durant l’épisode dépressif
n’affecte pas la validité à long terme du diagnostic de personnalité pathologique. En
d’autres termes, les patients avaient tendance
à maintenir leur trouble de la personnalité en
dépit de la guérison de leur dépression.
COMMENTAIRE
Cette étude aborde la question fondamentale
de l’interaction entre trait et état en psychiatrie.
En pratique, nous demeurons généralement
prudents quant à la validité du diagnostic de
personnalité pathologique, du fait de l’hétérogénéité des évaluations entre cliniciens et de
la fragilité de la stabilité au cours du temps. À
tel point que étant donné que nous utilisons
peu l’axe II du DSM, le groupe de travail du
DSM-V propose une refonte complète et un
abord plus dimensionnel de la personnalité
normale et pathologique.
Cette étude tend donc à balayer l’idée répandue
selon laquelle on ne doit pas évaluer la personnalité
durant une dépression majeure.
Qu’est ce qui déprime
les internes ?
A Prospective Cohort Study Investigating Factors Associated With Depression During Medical
Internship.
Srijan Sen, Arch Gen Psychiatry. Mai 2010 ; 67 (6).
MÉTHODE
Les auteurs ont suivi une cohorte de plus
de 700 internes de différentes spécialités sur
une période de 14 mois afin d’analyser les différents facteurs de risque susceptibles d’augmenter le risque de dépression majeure dans
cette population. La caractérisation d’un marqueur génétique de vulnérabilité pour la
dépression (SLC6A4 situé dans le gène
codant le transporteur de la sérotonine) ajoutait une dimension biologique particulièrement intéressante à l’étude, s’inscrivant directement dans le contexte des nouveaux
modèles d’interaction gène x environnement
de la maladie.
TABLEAU I. — Sample Demographic
Characteristics.
Dans cette étude, les auteurs mettaient en
évidence un taux de dépression élevé avec
25 % des internes présentant les critères de
screening d’un épisode au cours de la période
de suivi, alors que ce taux était de 4 % avant le
début de l’internat. Dans la majorité des cas, cet
épisode était d’intensité modérée.
Les facteurs de risque prédictifs en baseline étaient multiples : sexe féminin, environnement familial difficile, dimension de neuroticisme élevée et antécédents personnels de
dépression. Ni la spécialité médicale choisie ni
l’âge n’étaient associés au risque de dépression. Par contre, la survenue d’erreurs médicale était associée au risque de dépression ;
le caractère longitudinal de l’étude permettait
de montrer que le sens de la flèche était bidirectionnel (l’état dépressif augmentait le risque
d’erreurs médicales, et à l’inverse, après ajustement sur le niveau symptomatique dépressif
en baseline, la survenue d’une erreur médicale
augmentait le risque d’épisode). Par ailleurs,
la charge de travail en nombre d’heures augmentait significativement le risque de dépression (mais pas l’inverse dans ce cas).
En ce qui concerne les résultats génétiques, les sujets porteurs d’au moins une copie
peu fonctionnelle du transporteur de la sérotonine avaient un risque sur-représenté de
dépression (environ 45 % d’excès de risque).
COMMENTAIRE
Le PHQ-9 utilisé dans cette étude est un simple
auto-questionnaire permettant d’obtenir un
screening et non un diagnostic avéré d’épisode
dépressif. L’évaluation des erreurs médicales
était également subjective, car faite par un
autoquestionnaire. Ceci représente un biais
supplémentaire dans la mesure où il existe un
biais de sur-remémoration des événements
liés à des émotions négatives durant la dépression. Les internes les plus déprimés sont donc
probablement ceux qui ont eu tendance à plus
rapporter des événements médicaux qui ne
représentaient pas forcément de réelles
erreurs de leur part.
192
P. Gorwood
Clinique et thérapeutique
Ph. Gorwood (1)
IMAO et TCC dans la phobie
sociale : une association gagnante
A placebo-controlled trial of phenelzine, cognitive behavioral group therapy, and their combination for social anxiety disorder.
Arch Gen Psychiatry. 2010 Mar ; 67 (3) : 286-95.
Blanco C, Heimberg RG, Schneier FR, Fresco
DM, Chen H, Turk CL, Vermes D, Erwin BA, Schmidt AB, Juster HR, Campeas R, Liebowitz MR.
de se mettre en situation d’évaluer l’effet spécifique sur le trouble phobie sociale, et non les
troubles fréquemment comorbides.
RÉSULTATS
CONTEXTE
La TCC et les antidépresseurs sont les plus
efficaces des stratégies thérapeutiques dans la
phobie sociale. Néanmoins, au maximum deuxtiers des patients sont considérés comme des
répondeurs, dont la moitié seulement finit en
rémission. De fait, une majorité de patients conserve des symptômes résiduels après le traitement. Il existe donc encore de réels progrès à
effectuer dans le traitement de la phobie sociale.
Les quelques études d’association (en général
psychothérapies et IRS) ne montraient pas
d’intérêt majeur à associer ces approches.
Selon la CGI, les répondeurs sont de 33 %
pour le placebo, de 47 % pour la TCC, de 53 %
pour les IMAO… et de 72 % pour l’association.
Si l’on se focalise sur la rémission selon la
CGI-amélioration (cotée 1) à 12 semaines (qui
a l’avantage d’avoir un faible effet placebo, puisque inférieur à 10 %…), la TCC semble apporter
bien peu d’avantages (du même registre que le
placebo), et la phénelzyne ne permet d’accéder
qu’à un bien faible taux de 20 % de rémission.
Par contre, l’association des deux permet
d’obtenir un taux de rémission autour de 50 %,
ce qui est très différent des deux techniques isolées (taille d’effet, d = 0.91, donc élevée).
L’aspect bénéfique de l’association est encore
plus parlant pour la rémission selon l’hétéroévaluation de l’anxiété sociale de Liebowitz.
Étant donné la complexité d’un traitement
par IMAO, l’évaluation des effets indésirables
MÉTHODE
L’étude proposée a de nombreux avantages. Tout d’abord, ce sont les IMAO qui sont
testés, puisque cette famille d’antidépresseurs
a donné les meilleurs résultats au niveau pharmacologique. Ensuite, les deux approches
sont bien évaluées de manière individuelle et
parallèle, sur 12 semaines, permettant d’avoir
une vraie conclusion sur un potentiel aspect
synergique de l’association testée. Enfin, avec
plus de 160 patients inclus (venant de deux
centres universitaires, de New York et Philadelphie) et un bras placebo, la méthode est
prometteuse en réelle conclusion, évitant le
sempiternel « ces résultats doivent être répliqués sur un plus gros échantillon »… En ne
recrutant que des sujets sans autre trouble
anxieux « trop patent », et en excluant les
sujets ayant eu un épisode dépressif majeur
dans les 6 derniers mois, les auteurs essaient
(1) Hôpital Louis Mourier, Colombes.
constitue une partie essentielle de cette
étude. De fait, les IMAO sont associés à des
effets indésirables bien supérieurs en fréquence (étourdissement, bouche sèche,
constipation…). De manière assez intrigante,
avoir les deux traitements associés était associé à plus d’insomnie et moins d’effets indésirables de type constipation et anorgasmie.
CONCLUSIONS
Résultats donc très significatifs, et fortement en faveur de l’association IMAO-TCC. Il
est vraisemblable qu’une telle synergie
d’action s’explique par des effets facilitateurs
d’une technique sur l’autre. Ainsi, la phénelzyne pourrait réduire le niveau d’anxiété et
donc faciliter les situations d’exposition aux
situations sociales anxiogènes, ce qui va faciliter les chances d’effets de la TCC. Réciproquement, les sujets exposés à ces situations
difficiles les vivent probablement de manière
moins anxieuse et douloureuse, plus alors à
même d’analyser leurs schémas cognitifs et
d’utiliser les techniques proposées par la TCC.
Pas d’explication donnée par les auteurs
sur la particularité des effets indésirables quand
les IMAO sont associés à la TCC… On peut
envisager que certains des effets indésirables
ont été intégrés dans la prise en charge des
TCC (repérage, évaluation, attribution), ce qui
pourrait en réduire la portée.
COMMENTAIRE
TABLEAU I. — Significant Differences in
Adverse Effects by Treatment Group.
Il n’est certes pas sûr que nous devions prescrire des IMAO à tous nos patients souffrant de
phobie sociale, en association avec la TCC. Il
n’est par contre pas possible de ne pas tenir
compte de cette belle étude dans l’arsenal thérapeutique que nous avons à disposition pour
ce type de pathologie. Lorsqu’un traitement a
été inefficace, lorsque les traitements précédents ont été efficaces mais incomplètement,
enfin lorsque la rémission a toujours été incomplète et insatisfaisante, il est clair que cette
association fournit une possibilité bien intéressante.
Revue de presse
193
Le retour des antidépresseurs
dans l’alcoolo-dépendance
A Double-Blind, Placebo-Controlled Trial Combining Sertraline and Naltrexone for Treating CoOccurring Depression and Alcohol Dependence.
Am J Psychiatry. 2010 Mar 15. Epub ahead of print.
Pettinati HM, Oslin DW, Kampman KM, Dundon
WD, Xie H, Gallis TL, Dackis CA, O’Brien CP.
CONTEXTE
Les antidépresseurs ont mauvaise presse
dans l’alcoolo-dépendance, pour plusieurs
bonnes raisons. Leur efficacité est non
démontrée pour aider à l’abstinence, et leur
effet direct sur la dépression semble absent
tant que le patient n’est pas sevré (le sevrage
résolvant les troubles de l’humeur dans une
très large proportion de cas). De plus leur tolérance est souvent médiocre chez des patients
parfois hépatopathiques. Enfin, leur prescription pourrait renforcer l’idée que l’alcoolodépendance s’explique par la dépression (« je
bois parce que je n’ai pas le moral »), ce qui
n’est clairement pas un message que l’on
cherche à renforcer en alcoologie.
L’équipe d’O’Brian se remet néanmoins à
la tâche, cherchant cette fois, si les effets d’un
antidépresseur (Sertraline) ne pourraient pas
tout de même être utiles chez des patients
alcoolo-dépendants déprimés, mais à partir du
moment où était co-prescrit un traitement
d’aide au maintien de l’abstinence (Naltrexone).
MÉTHODE
70 sujets ont été inclus, tous souffrant
d’alcoolo-dépendance et de dépression (critère DSM et Hamilton supérieur à 10). Les
sujets ne pouvaient être abstinents au moment
de rentrer dans l’étude (consommation au
moins un jour sur deux durant les 3 derniers
mois). Seuls 12 verres par semaine étaient
requis, mais la moyenne était de 120 grammes
d’alcool par jour. Le protocole de 3 mois et
demi proposait, par groupe de 40, soit du placebo, soit de la Naltrexone (jusqu’à 100 mg),
soit de la Sertraline (jusqu’à 200 mg), soit
l’association des deux.
De manière assez étonnante, le protocole
ne s’organisait pas à partir d’un sevrage
structuré, quoiqu’il s’agissait d’un objectif initial, apparaissant dans les critères de recrutement des patients pour cette étude
(annonce dans les journaux).
Écrit plus discrètement dans l’article, tous
les patients ont été pris en charge par TCC
en individuel, ciblant les problèmes d’alcool
et de dépression, réduisant l’applicabilité des
résultats pour la consultation libérale étant
donné la faible disponibilité des TCC formées
à l’alcoologie.
RÉSULTATS
On peut utiliser de nombreux paramètres
pour mesurer l’effet d’une prise en charge de
l’alcoolo-dépendance. Un de ces critères est
le délai avant la première consommation avec
perte de contrôle. Pour ce paramètre, les
résultats sont particulièrement frappants puisque Naltrexone ou Sertraline ne sont pas plus
efficaces que le placebo pour reculer ce critère
de rechute, alors que l’association de ces
deux traitements est bien plus efficace.
Il est souvent plus difficile de montrer un
effet sur le taux d’abstinence totale, mais
après 100 jours de traitement, plus de la moitié des patients traités par l’association ont
atteint cet objectif, contre 20 % pour à peu
près tous les autres groupes.
De manière particulièrement intéressante,
les différents traitements ne démontrent pas de
différence d’efficacité sur l’humeur, l’ensemble
des patients s’améliorant de manière très
importante dans les quatre groupes (dernier
schéma). L’effet serait tout de même un peu
plus important pour le groupe traité par l’association. Les effets indésirables sont rares (un
cas sur 4), leur fréquence étant plutôt plus faible
pour l’association Sertraline et Naltrexone.
CONCLUSIONS
Le résultat est pour le moins frappant. La
prise en charge (alcoologie, TCC et réunion de
groupe) améliore franchement les chances
d’abstinence, ce qui améliore clairement le
moral de ces sujets déprimés et dépendants
de l’alcool. Par contre, dans le cadre de cette
prise en charge déjà étayée, l’ajout isolé de
Naltrexone, jusqu’à 100 mg, ou de Sertraline,
jusqu’à 200 mg, n’augmente pas les chances
de succès. Seul un groupe allonge franchement le délai d’apparition de la rechute, cons-
194
titué des sujets traités par ces deux traitements en association.
COMMENTAIRE
Si l’impact sur la dépression est modeste, pourquoi un antidépresseur, comme la Sertraline,
associé à un traitement d’aide au maintien de
l’abstinence, comme la Naltrexone, augmentet-il l’efficacité de la prise en charge de patients
alcoolo-dépendants déprimés ? Cette question
doit prendre en compte l’effet fortement antidépresseur de l’abstinence, qui laisse peu de possibilité pour repérer un effet pharmacologique
(manque de puissance statistique, puisque tous
les patients du protocole s’améliorent). L’interaction pharmacologique semble peu probable
ici (potentialisant les effets de l’une des deux
molécules) vu les doses élevées prescrites. Il est
plutôt vraisemblable que les patients traités par
l’association aient une amélioration thymique différente, probablement plus stable et complète,
ce qui pourrait réduire anxiété et tristesse, renforcer motivation et fonctionnement psychique,
facilitant ainsi l’utilisation de ressources psychiques bien utiles dans la lutte contre la rechute.
Dans le traitement
de la schizophrénie,
n’oubliez pas l’aspirine !
Adjuvent aspirin therapy reduces symptoms of
schizophrenia Spectrum disorders : results from a
randomized, double-blind, placebo-controlled trial.
J Clin Psychiatry, 2010 ; 71 (5) : 520-527.
Laan W, Grobbee D, Selten JP, Heijnen C, Kahn
R, Burger H.
CONTEXTE
La recherche de nouveaux traitements
dans la schizophrénie bat son plein, cherchant
à ouvrir les nouvelles approches au-delà des
bloquants des récepteurs dopaminergiques.
P. Gorwood
Mais avant de partir vers d’hypothétiques voies de neurotransmetteurs, qu’elles soient Glutamatergiques ou Gabaergiques,
pourquoi ne pas faire simple ? La
schizophrénie est une pathologie
d’origine complexe et mal
connue, mais l’existence d’une
dimension inflammatoire est
assez bien démontrée, ne seraitce qu’en accord avec les hypothèses virales ou parasitaires
durant la grossesse. Les prostaglandines font de plus partie de la
cascade d’activation des neurones glutamatergiques et inhibent la recapture
du glutamate par les astrocytes. Quelques études ont testé l’effet de l’inhibiteur du COX-2,
avec des résultats encourageants. L’aspirine
antagonise aussi cet enzyme, mais possède,
elle, des effets cardioprotecteurs bien plus
intéressants, c’est donc cet anti-inflammatoire
qu’a voulu testé l’équipe de René Khan.
l’indice d’inflammation le plus élevé (c’est-àdire ayant le moins de production naturelle de
cytokines, molécule clé de la lutte contre
l’inflammation). Dans ce sous-groupe de sujets
aux anomalies les plus fortes du processus
inflammatoire, l’aspirine était associée à une
baisse de 8 points de la PANSS.
MÉTHODE
Les sujets, recrutés à Utrecht, devaient
être symptomatiques (PANSS supérieur à 60),
non chroniques (moins de 5 ans d’ancienneté
de la maladie) et sans traitement récent ni contre-indication pour l’aspirine. Dans l’étude (en
double aveugle, et de manière randomisée),
tous les patients ont continué leur antipsychotique habituel (essentiellement Olanzapine,
Risperdal ou Clozapine) et ont aussi reçu un
pansement gastrique, le pantoprazole (40 mg
par jour). Deux évaluations sont originales :
tout d’abord les fonctions cognitives (pour
évaluer si l’amélioration pouvait s’expliquer
par une action spécifique sur ces fonctions),
puis la fonction inflammatoire (dosage des
lymphocytes T, interleukines et IFN-γ), afin de
mesurer si le pré-requis (amélioration de
l’inflammation par l’aspirine) était bien vérifié.
CONCLUSIONS
L’aspirine améliore bien la schizophrénie
pour ses symptômes, mais modestement
(taille d’effet de 0.5), et en fait surtout chez les
sujets dont l’inflammation est la plus anormale. Les effets indésirables étaient le plus
souvent similaires entre les deux groupes,
mais on imagine que cela est expliqué en
bonne partie par l’association systématique
d’un pansement gastrique.
RÉSULTATS
Cinq points de plus étaient gagnés à la
PANSS totale dans le groupe traité par l’aspirine par rapport au groupe traité par le placebo
après 3 mois de traitement. Le détail des
PANSS positive, négative ou générale ne montrait aucun bénéfice spécifique. Qui plus est, les
fonctions cognitives n’ont pas été améliorées
par l’aspirine. L’aspirine remplissait bien sa
fonction anti-inflammatoire, mais ce qui est
surtout intéressant, est que l’effet sur la PANSS
était surtout présent chez les sujets ayant
TABLEAU II. — Change in the Positive and Negative Syndrome Scale (PANSS)
Scores From Baseline to Last Follow-Up According to Treatment Group and Estimates
of Treatment Efficacy.
COMMENTAIRE
Doit-on se mettre à la prescription systématique d’aspirine dans la schizophrénie ? Clairement non. Il ne s’agit en rien d’un traitement
anodin, cette étude, tout aussi séduisante soitelle, se base sur un petit effectif et une population hétérogène (notamment en ce qui concerne le type d’antipsychotiques associés), et
le rationnel scientifique est encore trop ténu.
Cette étude ouvre par contre des perspectives
bien intéressantes telle la considération de
l’inflammation comme nouvelle voie d’abord
des psychoses, telle la mesure du niveau
d’inflammation pour un sous-groupe de sujets,
ou encore telle l’approche pharmacologique
basée sur le rôle des agents de l’inflammation
dans la cascade de messagers activés par des
neurotransmetteurs clés…
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