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d’autres pour répondre à une souffrance psychique. C’est
la théorie de l’automédication. Mais on a évoqué aussi que
certains troubles psychiatriques entraînaient des troubles
du comportement menant à une exposition accrue aux toxi-
ques (la personnalité psychopathique en recherche de sen-
sations fortes cherche le produit ad hoc ; la désinhibition
et l’impulsivité du maniaque – ou de la personnalité limite –
favorisent la recherche du produit) : c’est la théorie de la
susceptibilité.
Aujourd’hui, l’approche causaliste est clairement aban-
donnée, au prot de la vision bio-psycho-sociale proposée par
Claude Olievenstein, rappelant que l’addiction est une ren-
contre entre un individu et un produit, dans un contexte
socioculturel donné. Il existe des facteurs communs environ-
nementaux (dysfonctionnements familiaux, faible étayage
parental, niveau socio-économique bas…) ou individuels
(génétiques par exemple, avec une héritabilité partagée
supérieure à 50 % pour l’abus de substance et la dépendance),
mais surtout il existe une vulnérabilité partagée dans la
genèse des troubles psychiatriques et addictologiques (rôle
du stress sur l’axe hypothalamo-hypophysaire et l’amygdale)
[6] : c’est la théorie de la vulnérabilité partagée.
Dépression et addictions :
approche par produit
L’épisode dépressif majeur est souvent associé à l’abus ou
la dépendance à des substances psychoactives. Dans l’étude
Sequential Treatment Alternative to Relieve Depression
(STAR*D), environ 1/3 des patients avaient ce double dia-
gnostic [7]. La population la plus touchée était surtout
jeune, masculine, célibataire ou divorcée.
Environ la moitié des patients déprimés avaient des
antécédents familiaux d’abus ou de dépendance à une
substance. Et pour ce groupe de patients, l’âge de début du
trouble dépressif était précoce, le poids de la maladie était
lourd, le risque suicidaire plus élevé, les complications et
autres comorbidités psychiatriques (troubles anxieux)
étaient plus nombreuses, ainsi que les conséquences socia-
les. Enn, l’évolution de la pathologie était plus longue
avec une plus grande résistance aux traitements, comparée
à celle des déprimés sans comorbidité addictive [8].
Dépression et alcool
La dépendance à l’alcool est liée à la dépression et au sui-
cide [9]. Toutefois, la prévalence de la dépression varie
selon le moment où elle est recherchée [1]. Avant le
sevrage, 80 % des patients présentent des symptômes
dépressifs et 1/3 une dépression majeure caractérisée. Il
s’agit de troubles induits qui peuvent être améliorés par le
sevrage. En effet, les dépressions sont le plus souvent
secondaires à la dépendance alcoolique, et même si la plu-
part des patients rationalisent leur consommation par la
tristesse et l’ennui, les études spéciques ne retrouvent
que rarement des conduites alcooliques authentiquement
secondaires [1]. Lorsqu’elles existent, ces formes d’alcoo-
lisme secondaire se retrouvent plus fréquemment chez la
femme [1].
Quoi qu’il en soit, même devant un trouble manifeste-
ment induit, il convient de rester prudent et de surveiller
les patients plusieurs semaines après le sevrage, toute per-
sistance d’un trouble dépressif au-delà de deux semaines
nécessitant un traitement spécique.
Une attention particulière doit être donnée aux idées
suicidaires qui sont majoritairement secondaires aux dis-
torsions psychoaffectives et cognitives dues à une consom-
mation massive d’alcool. Toutefois, malgré leur caractère
secondaire, elles doivent être considérées comme le symp-
tôme d’un risque vital. En effet, le risque suicidaire est
8 fois plus élevé chez les alcoolodépendants qu’en popula-
tion générale [1] et l’on sait combien l’abus d’alcool aug-
mente l’impulsivité et la gravité du geste. Au total, l’alcool
aggrave le tableau clinique de la dépression et intensie le
risque suicidaire [25].
Quant aux troubles bipolaires, leur impact clinique et
thérapeutique est considérable lorsqu’ils sont associés à
l’alcool. On sait aujourd’hui que les comorbidités addicti-
ves augmentent le nombre d’épisodes, les cycles rapides et
les états mixtes, les tentatives de suicide, le nombre d’hos-
pitalisation. Mais aussi qu’elles ralentissent la rémission,
diminuent la réponse aux traitements thymorégulateurs,
l’observance médicamenteuse et péjorent le pronostic psy-
chosocial [26].
Dépression et tabac
L’association entre dépression et dépendance au tabac est
bien connue [9]. On a retrouvé un risque augmenté de
dépression chez les tabagiques, un risque important d’aug-
mentation de la consommation de tabac avec la dépression,
et l’existence de facteurs génétiques [15] et neurobiologi-
ques communs prédisposant à la fois aux deux troubles [4].
Les liens sont forts, puisqu’il a été retrouvé une dépres-
sion chez 23,7 % des fumeurs actuels de tabac et chez
14,6 % des sujets ayant arrêté de fumer [27]. Par ailleurs,
61 % des fumeurs demandant une aide au sevrage ont déjà
présenté un épisode dépressif au cours de leur vie [10]. La
consommation de tabac est plus fréquente chez les hom-
mes [14], mais les femmes font plus de dépressions (actuelle
ou passée) que les hommes [18].
L’impact thérapeutique est loin d’être négligeable. En
effet, bien qu’il ait été rapporté que les antidépresseurs ou
la substitution nicotinique pouvaient jouer un rôle préven-
tif, l’arrêt du tabac peut augmenter le risque de dépres-
sion, surtout chez les patients qui ont déjà des antécédents
dépressifs [12]. Les hypothèses proposées sont la disparition
de l’effet antidépresseur de la nicotine, ou l’apparition de
symptômes dépressifs liés au syndrome de sevrage [3]. Il
convient de proposer un sevrage tabagique à tout patient
dépressif qui en fait la demande, mais la prise en charge
intégrée (psychiatrie et tabacologie) est recommandée dans
les guidelines. Il n’existe aucune contre-indication formelle,
ni de délai imposé suite à un épisode dépressif pour débuter
un sevrage. La combinaison des pharmacothérapies (substi-
tuts nicotiniques, bupropion, antidépresseurs) et des psy-
chothérapies (entretiens motivationnels, thérapies
comportementales) est préconisée [24].