L’Encéphale (2009) Supplément 1, S6–S9 j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e m - c o n s u l t e . c o m / p r o d u i t / e n c e p La schizophrénie de l’enfance D. Da Fonseca Service de Pédopsychiatrie, Hôpital Sainte Marguerite, 370, boulevard Sainte Marguerite, 13009 Marseille MOTS CLÉS Schizophrénie à début très précoce ; Enfant ; Diagnostic ; Diagnostic différentiel KEYWORDS Very early onset schizophrenia ; Child ; Diagnosis ; Differential diagnosis Résumé La schizophrénie à début très précoce est une forme qui débute avant l’âge de 12 ans. Les critères utilisés sont les mêmes que chez l’adulte, mais avec des particularités propres à l’enfant. Il s’agit d’un trouble psychopathologique particulièrement difficile à diagnostiquer avec une comorbidité importante. Le diagnostic différentiel est également délicat en particulier avec les troubles envahissants du développement. Il semble exister une réelle continuité entre la forme très précoce et la forme adulte. Mais la schizophrénie à début très précoce est une forme sévère dont le pronostic reste assez sombre. Son évolution dépend donc à la fois du dépistage précoce, de la qualité du diagnostic et de la rapidité des interventions pluridisciplinaires proposées. Abstract Very early onset schizophrenia is a form which begins before the age of 12. The criteria used are the same as in adults although there are specific features for children. This is a particularly difficult psychopathological disorder to diagnose and has considerable comorbidity. The differential diagnosis, particularly from invasive developmental disorders, is also difficult. There appears to be a true continuum between the very early form and the adult form although very early onset schizophrenia is a severe form of the disorder which carries a relatively poor prognosis. Its outcome depends both on early screening, the quality of diagnosis and on the speed of multidisciplinary interventions offered. Il existe 3 formes de schizophrénie : la forme la plus connue du jeune adulte, la forme à début précoce (EOS : Early Onset Schizophrenia), qui débute avant 16 ans et la forme à début très précoce débutant avant l’âge de 12 ans que nous allons developper (COS : Childhood Onset Schizophrenia ou VEOS : Very Early Onset Schizophrenia). Épidémiologie Les études épidémiologiques sur les schizophrénies qui débutent avant l’âge de 12 ans sont très rares. Non seule* Auteur correspondant. E-mail : [email protected] ConÁits d’intérêts : none. © L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés. ment pour des raisons méthodologiques, mais aussi pour des raisons historiques. Avant les années 70, les schizophrénies infantiles et les troubles autistiques étaient regroupés au sein du même cadre nosographique : les psychoses infantiles. Ce n’est que depuis les années 70 à la suite des travaux de Rutter [13] que les schizophrénies infantiles et les troubles envahissants du développement ont été considérés comme deux entités nosographiques indépendantes. Il s’agit d’une forme rare qui concernerait 1,5 à 2 cas pour 100 000. Certains auteurs considèrent que 1 % des schizophrénies débutent avant 10 ans. Au niveau du sexe ratio, La schizophrénie de l’enfance on retrouve une prédominance masculine signiÀcative avant 12 ans (2G/1F à 4.5G/1F). Ce sex ratio va s’équilibrer avec le temps pour atteindre 1/1 en Àn d’adolescence [10, 16]. Aspects généraux Comparons la schizophrénie à début très précoce (avant 12 ans) et la schizophrénie à début précoce (avant 16 ans). La première forme débute entre 6 et 8 ans alors que la deuxième débute à l’adolescence. Dans le premier cas, l’apparition des symptômes est insidieuse. En revanche, pour la forme précoce le début peut être assez brutal. Les signes négatifs semblent prédominants dans la forme très précoce. À l’inverse, les signes positifs prédominent dans la forme précoce. Quant au pronostic celui-ci semble plus réservé dans la forme très précoce [10]. Les critères diagnostiques utilisés chez l’enfant sont les mêmes que ceux utilisés chez l’adulte. Mais le diagnostic de schizophrénie infantile à début très précoce reste particulièrement difÀcile. En effet, l’observation du comportement du sujet est insufÀsante pour poser un diagnostic. L’analyse des troubles du cours de la pensée ou des éléments positifs repose essentiellement sur le discours de l’enfant ce qui peut poser quelques difÀcultés diagnostiques. Plus que tout autre trouble psychopathologique, le diagnostic de schizophrénie doit tenir compte du contexte culturel et religieux de l’enfant. Même si certains propos pourront apparaître bizarres au thérapeute, ils prennent alors peut-être tout leur sens dans le contexte culturel et religieux du patient. EnÀn, la symptomatologie dépend également de l’âge, du niveau cognitif et du niveau de langage de l’enfant. Ces aspects développementaux plutôt négligés dans les classiÀcations internationales sont pourtant importants à considérer avant de poser le diagnostic chez l’enfant. Diagnostic Dans la schizophrénie à début très précoce, les facteurs de risque périnataux semblent moins fréquents que pour les formes plus tardives. L’étude d’Ordonez et al. [8] ne retrouve pas plus de facteurs périnataux chez des sujets schizophrènes que chez les sujets contrôles sauf pour les vomissements pendant la grossesse qui semblent plus fréquents dans la population clinique. Ces auteurs [8] considèrent que dans la schizophrénie à début très précoce, les facteurs génétiques semblent jouer un rôle encore plus important que les facteurs de risque périnataux par rapport aux formes plus tardives. Cette héritabilité supérieure expliquerait la précocité et la sévérité de ces formes très précoces. En revanche, les troubles du développement sont plus fréquents dans la schizophrénie à début très précoce. On retrouve en effet, 60 % de troubles du développement dans les formes à début très précoce, 20 % dans les formes chez l’adolescent, et 10 % dans la schizophrénie prototypique. Au cours de la phase prodromique, qui correspond à l’année qui précède la phase aiguë, on retrouve divers signes cliniques assez peu spéciÀques : un retrait social, S7 une baisse des performances scolaires, une bizarrerie de comportement, des affects émoussés ou inappropriés, une irritabilité, une anxiété, des pensées étranges, des troubles de l’attention et une incurie [1, 6]. Généralement, les signes négatifs (émoussement affectif, alogie, perte de volonté) précédent les signes positifs. Les hallucinations apparaissent généralement après l’âge de 8 ans, avec dans 80 à 93 % des cas une majorité d’hallucinations auditivo-verbales. Il peut s’agir d’une voix négative qui commande : « Tu vas aller tuer ton copain, sinon c’est moi qui te tue » ou qui commente tous les faits et gestes du sujet. Bien évidemment, ces hallucinations ne sont pas critiquées et sont surtout incontrôlables, le sujet étant dans l’impossibilité de les faire apparaître et les faire disparaître comme il le désire. Les hallucinations visuelles sont présentes dans 30 à 50 % des cas avec des animaux ou des fantômes. Des hallucinations cénesthésiques sont également décrites [16]. Les idées délirantes apparaissent après l’âge de 9 ans et par déÀnition sont peu partagées par l’environnement. Elles concernent 40 à 60 % des cas, avec une perte d’identité : l’enfant se sent envahi par un esprit démoniaque, un animal, une autre personne, ou encore un objet. Les thèmes les plus fréquents sont des thèmes persécutifs, religieux et somatiques. Il convient de noter que ces idées délirantes peuvent être discontinues dans le temps, mais également dans l’espace. L’enfant peut présenter des signes positifs uniquement en famille et pas à l’école, ce qui peut compliquer le diagnostic. Cette symptomatologie positive va également varier et se complexiÀer avec l’âge et le QI du sujet. EnÀn comme dans la forme de l’adulte jeune, on retrouve dans la schizophrénie à début très précoce des signes de désorganisation. Les troubles du cours de la pensée qui débutent après 7 ans sont retrouvés dans 40 à 100 % des cas avec un discours illogique et un relâchement des associations. Ces symptômes sont probablement les plus spéciÀques de la pathologie schizophrénique. Comorbidité La schizophrénie à début très précoce est rarement isolée. Dans une étude récente [12], elle est associée au trouble déÀcitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité dans 84 % des cas. Les troubles du comportement à type d’opposition-provocation se retrouvent dans 43 % des cas. Les troubles anxieux et notamment le trouble anxiété de séparation est retrouvé dans un quart des cas de schizophrénie à début très précoce. Des troubles de l’humeur et un retard mental sont également associés respectivement dans 20 % et 30 % des cas. Globalement cette étude [12] retrouve une comorbidité dans 99 % des cas. Cette comorbidité systématique soulève naturellement beaucoup d’interrogations. S’agit-il de troubles distincts ? S’agit-il de signes prémorbides de la schizophrénie ? S’agit-il de la conséquence de la schizophrénie ? Ne doit-on pas remettre en cause le cadre nosographique utilisé pour le diagnostic de schizophrénie chez l’enfant ? EnÀn, pour le traitement cette comorbidité pose également quelques difÀcultés. Quel trouble doit-on S8 traiter en premier lieu ? Doit-on proposer aux patients plusieurs traitements ? Les questions restent, à l’heure actuelle, beaucoup plus nombreuses que les réponses. Le diagnostic différentiel Le diagnostic différentiel est également particulièrement difÀcile pour la schizophrénie à début très précoce. En effet, avant l’âge de 7 ans, certains enfants au développement tout à fait normal peuvent avoir une imagination intense ou des amis imaginaires. D’autres peuvent avoir du mal à faire la différence entre l’imagination, la Àction et la réalité. Les hallucinations peuvent aussi faire partie du développement normal de l’enfant sous forme de phénomènes hypnagogiques ou pendant des épisodes de Àèvre. Des hallucinations non psychotiques ont été récemment décrites en particulier dans les troubles anxieux de l’enfant [2]. EnÀn, la pensée de l’enfant avant l’âge de 7 ans peut être tout autant illogique chez l’enfant normal que chez l’enfant schizophrène. Selon Caplan [3], la pensée illogique n’est pas un critère intéressant pour différencier un enfant schizophrène d’un enfant sain avant l’âge de 7 ans. En revanche, après l’âge de 7 ans, le cours de la pensée devient beaucoup plus cohérent chez l’enfant au développement normal. Comment différencier la schizophrénie à début très précoce et le trouble envahissant du développement ? (TED) Si le trouble envahissant du développement est plus fréquent que la schizophrénie à début très précoce, il débute généralement avant l’âge de 3 ans alors que les premiers symptômes apparaissent plus tardivement dans la schizophrénie à début très précoce. Au niveau des signes cliniques, quelques confusions sont possibles. L’enfant présentant un trouble envahissant du développement peut présenter des idées persécutoires. Ces idées qui peuvent apparaître dans un premier temps délirantes ne sont que la conséquence de leurs difÀcultés sociales reccurentes. A contrario, les idées délirantes dans la schizophrénie obéissent à des mécanismes bien différents. Le trouble du cours de la pensée est peut-être le signe clinique qui permet le mieux de faire le diagnostic différentiel. Dans le trouble envahissant du développement le discours est cousu de Àl blanc en étant exclusivement centré sur les intérêts restreints sans dissociation ni relâchement des idées [4]. Dans la schizophrénie à début très précoce les QI sont généralement moyens faibles alors que pour les troubles envahissants du développement ils sont plutôt très bas, même si ces chiffres sont actuellement remis en question. Au niveau de l’évolution, celle-ci est plutôt cyclique dans la schizophrénie très précoce, et chronique dans les troubles envahissants du développement [10]. S’il est important de pouvoir différencier les troubles envahissants du développement et la schizophrénie très précoce, il semble que dans près d’un tiers des cas des symptômes de TED précèdent le diagnostic de schizophrénie [1]. De surcroît, certains enfants peuvent présenter les deux troubles à la fois. Cette comorbidité non négligeable signe probablement le caractère neurodeveloppmental des deux troubles. Elle soulève également la question de l’existence de facteurs de vulnérabilité communs [4, 15]. D. Da Fonseca Cependant, pour de nombreux auteurs, il n’y aurait pas plus de risques pour un enfant présentant un trouble envahissant du développement de développer une schizophrénie que dans la population générale [16]. Le diagnostic différentiel concerne également les dysharmonies d’évolution psychotique, les troubles bipolaires, les états de stress post traumatiques et les causes organiques. Évolution Il semble qu’il existe une réelle continuité entre la forme très précoce et la forme adulte. Mais l’évolution de la forme très précoce paraît plus péjorative avec seulement 8 % de rémission totale. Les chiffres varient aussi selon les études, mais on retrouve 56 à 80 % d’évolution médiocre chez l’enfant et un bon fonctionnement adaptatif seulement dans 20 % des cas [5, 11]. Les facteurs pronostics vont dépendre à la fois du niveau d’adaptation sociale et du niveau cognitif pendant la phase prodromique. Le mode d’apparition insidieux, l’âge précoce du début des troubles, la prédominance de signes négatifs sont autant de facteurs de mauvais pronostic. EnÀn, la durée de l’épisode aigu et le niveau de récupération après l’épisode aigu sont également des facteurs pronostics essentiels [11]. Neuro-imagerie Paradoxalement, dès le premier épisode de la schizophrénie à début très précoce et bien avant la mise en place du traitement, plusieurs anomalies neurologiques sont retrouvées : un élargissement des ventricules latéraux et une diminution du volume cérébral total de 10 % (cortex pariétal, temporal et frontal). Cette hypotrophie serait corrélée positivement aux signes négatifs, et négativement aux signes positifs [14, 15]. Dans une étude longitudinale (de 11 à 26 ans) récente, Nugent et al. [7] montrent que le volume de l’hippocampe reste globalement stable. En fait, cette étude démontre une perte du volume dans la partie postérieure et antérieure de l’hippocampe et à l’inverse une augmentation au niveau de la partie médiane. Il existe donc des modiÀcations neurales réelles qui apparaissent dès le début de la maladie et qui évoluent avec l’âge. Globalement, les différentes études ont mis en évidence des anomalies structurales et physiologiques proches de celles décrites chez l’adulte. Ces similitudes conÀrment probablement l’existence d’une continuité entre la forme très précoce et la forme typique de la schizophrénie. En revanche, ces anomalies semblent d’emblée plus sévères et moins stables dans la forme très précoce. En effet, l’élargissement des ventricules et la perte de masse globale, semblent évoluer pendant l’adolescence puis se stabiliser à l’âge adulte [e.g. 9]. Conclusion La schizophrénie à début très précoce est un trouble psychopathologique particulièrement difÀcile à diagnostiquer. Il s’agit d’une forme sévère dont le pronostic reste assez La schizophrénie de l’enfance sombre. Son évolution dépend donc à la fois du dépistage précoce, de la qualité du diagnostic et de la rapidité des interventions pluridisciplinaires proposées. EnÀn, la schizophrénie, plus peut-être que tout autre trouble, nous montre combien la collaboration entre la pédopsychiatrie et la psychiatrie est indispensable non seulement au niveau clinique, mais également au niveau de la recherche aÀn de mieux comprendre les différents processus étiopathogéniques de ce trouble bien complexe. Références [1] Alaghband-Rad J, Mckenna K, Gordon CT et al. Childhoodonset schizophrenia : the severity of premorbid course. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1995 ; 34 (10) : 1273-8. [2] Askenazy FL, Lestideau K, Meynadier A et al. Auditory hallucinations in pre-pubertal children. A one-year follow-up, preliminary findings. Eur Child Adolesc Psychiatry 2007 ; 16 (6) : 411-5. [3] Caplan R. Thought disorder in childhood. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1994 ; 33 (5) : 605-15. [4] Da Fonseca D, Viellard M, Fakra E et al. Schizophrenia or Asperger syndrome ? Presse Med. 2008 ; 37 (9) : 1268-73. [5] Fleischhaker C, Schulz E, Tepper K et al. 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