L’Encéphale (2009) 35, 394—399
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
MISE AU POINT
Durées d’hospitalisation des patients souffrant de
schizophrénie : implication des systèmes de soin et
conséquences médicoéconomiques
Schizophrenic patients’ length of stay: Mental health care implication and
medicoeconomic consequences
D. Capdeviellea,,b, J.-P. Boulengera,b, D. Villebrunb, K. Ritchieb
aService universitaire de psychiatrie adulte, hôpital La Colombière, centre hospitalier universitaire,
39, avenue Charles-Flahault, 34295 Montpellier cedex 5, France
bInserm U 888, Montpellier, France
Rec¸u le 31 d´
ecembre 2007 ; accepté le 24 novembre 2008
Disponible sur Internet le 1 avril 2009
MOTS CLÉS
Schizophrénie ;
Durée de séjour ;
Systèmes de soin ;
Désinstitutionalisation ;
Coût de santé
Résumé Une importante réduction du nombre de lits en psychiatrie a eu lieu depuis 30 ans
en Europe et dans les pays d’Amérique du Nord. Cette désinstitutionalisation s’est accom-
pagnée d’une diminution importante des durées de séjours hospitaliers parallèlement au
développement de soins en extrahospitalier avec la mise en place de suivi dans la commu-
nauté. L’organisation des systèmes de soin est une des variables impliquées dans la durée
d’hospitalisation. En effet, il apparaît que le risque de réadmission, qui peut être vu comme
un signe de rechute, est relativement indépendant du système de santé mais plus en lien avec
des variables cliniques dépendantes du patient. En revanche, la durée des hospitalisations est
plus affectée par les caractéristiques du système de santé et surtout les possibilités de soins
en extrahospitalier, le moment clé apparaissant être l’organisation de la sortie de l’hôpital.
L’une des raisons de cette diminution du nombre de lits était aussi de faire diminuer les coûts
liés à la prise en charge en intrahospitalier. Mais malgré cela, les coûts liés à la schizophrénie
semblent actuellement relativement stables, cela probablement en lien avec le développement
de programmes de suivi importants et soutenus dans la communauté.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
KEYWORDS
Schizophrenia;
Length of stay;
Deinstitutionalisation;
Summary A striking reduction in hospital beds can be seen as the defining characteristic
of mental health services in many western countries during the last 30 years. The politic
of shortening hospital stays for persons with psychosis has been questioned by a number of
authors. Studies of patients returning to the community compared to those remaining in insti-
tutions show not only better quality of life and larger friendship networks, but also reductions
in dependence on pharmacotherapies and lower mortality rates. An interesting comparison
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (D. Capdevielle).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009.
doi:10.1016/j.encep.2008.11.005
Durées d’hospitalisation des patients souffrant de schizophrénie 395
Mental health care;
Cost
between three contrasting mental care systems in Holland, Italy and Australia concluded not
surprisingly that hospital stays are shortest where community care is more developed, although
long term hospitalization will always be required for a small number of very severe patients.
The general conclusion was that shorter stays work best if and only if there is high quality
community care which comes into play immediately on discharge. The central issue appears to
be that the beneficial effects of short stays are modulated by conditions of discharge. That is,
in the absence of a planned discharge policy, patients appear to be better off staying longer, in
order that a structured rehabilitation plan may be put in place. The process of deinstitutiona-
lisation has been driven by a variety of forces. One is to reduce costs, since hospital inpatient
costs are very high. Generally, between one- and two-thirds of the total health care cost of
schizophrenia is for hospitalization, even in countries that have already substantially reduced
their inpatient provision. Recent years have seen a trend toward mental health services pro-
vided from community-based settings for defined catchment areas. The development of these
services has a heavy cost, with the opening of replacement accommodation and other com-
munity facilities and large teams. While few patients or clinicians would contest today that a
return to normal community life is preferable to institutionalization, the adoption of shorter
hospital stays was not an evidence-based policy and no adequate evaluation study was ever put
in place to predict the social, clinical and economic consequences of this widespread practice.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Introduction
Les patients souffrant de schizophrénie représenteraient
approximativement 1 % de la population adulte âgée de 18
à 55 ans. L’évolution de la maladie est souvent chronique
entraînant un retentissement social et professionnel très
péjoratif avec plus de personnes vivant seules, dans des
conditions précaires, sans emplois et avec de bas reve-
nus qu’en population générale [38]. Elle nécessite ainsi de
mettre en place des suivis lourds et rapprochés [20]. Le coût
de la schizophrénie a fait l’objet de plusieurs tentatives
d’évaluation. Aux États-Unis, le coût direct de la maladie
s’élevait en 1975 à 3962 millions de dollars US [10], puis
en 1995 à 18 625 millions de dollars US [40]. En Grande
Bretagne, les études réalisées estiment le coût direct à
396 millions de livres en 1990 [8] et à 810 millions de livres
en 1997 [14]. En France, en 1997, il est retrouvé un coût
direct de 13 347 millions de francs [30]. Cette augmenta-
tion des coûts au cours des 30 dernières années est une
des raisons pour laquelle en Europe et aux États-Unis, la
tendance générale des politiques de santé va vers une dimi-
nution des séjours hospitaliers de longue durée au profit
d’une stabilisation à court terme à l’hôpital suivie d’une
prise en charge sur le long terme en ambulatoire. La prise
en charge en hospitalisation des patients représente en
effet la majeure partie des coûts directs de la schizophré-
nie mais dans des proportions variables selon les pays, en
fonction de l’organisation des soins. En France, les coûts
liés à l’hospitalisation représentent 55 % des coûts directs
en 1992 [30], en Grande Bretagne 74 % en 1991 [7], aux
États-Unis 68 % en 1990 [29], mais seulement 16,5 % en Ita-
lie en 1995, pays où la diminution du nombre de lits a
été la plus importante [36]. Mais les conséquences orga-
nisationnelles et financières de ces changements doivent
maintenant être évaluées pour s’assurer du bien fondé de
ces prises en charge. Les conséquences cliniques de ces
diminutions des durées de séjours semblent aller vers une
amélioration de la qualité de vie des patients [17,28]. Les
études portant sur les taux de réadmissions après ces hospi-
talisations brèves sont en revanche contradictoires [1,2,19].
De nombreux facteurs, liés aux patients et aux traite-
ments, entreraient en compte dans les variations des durées
d’hospitalisation mais aussi des facteurs liés aux systèmes de
soin. L’objectif de cette revue de la littérature est de faire
le point sur l’implication des systèmes de soin dans la durée
de séjours des patients souffrant de schizophrénie ainsi que
sur les conséquences organisationnelles et économiques de
la diminution de celle-ci et donc de la mise en place des
programmes de désinstitutionalisation.
La première étape de cette revue de la littérature a
consisté à effectuer une recherche bibliographique sur la
base de données Pubmed. Une équation de recherche a été
construite en utilisant les mots clés du Medical Subject Hea-
dings (Mesh). Sur la période 1994—2004, 277 références ont
été obtenues. Suite à cette sélection, 117 références ont
été retenues auxquelles s’ajoutent celles d’articles cités
dans les études retrouvées. Une mise à jour effectuée en
mars 2006 a permis d’actualiser cette bibliographie en four-
nissant 92 nouvelles références.
Implication des systèmes de soin dans la durée
de séjour
Il a été montré que de nombreuses variables influencent
les durées de séjour des patients souffrant de schi-
zophrénie. En effet, les premiers articles sur le sujet
retrouvaient 22 variables différentes impliquées dans les
durées d’hospitalisation [23]. Au vu des données actuelles
de la littérature, il semble adéquat de séparer ces facteurs
en trois groupes :
les facteurs liés aux patients ;
les facteurs liés aux traitements ;
les facteurs liés aux systèmes de soin.
396 D. Capdevielle et al.
Ce sont ces facteurs liés aux systèmes de soin que nous
allons développer dans ce chapitre. Les facteurs liés aux
patients et aux traitements de part leur importance font
l’objet d’un autre article.
En effet, des disparités importantes existent au sein
même des pays et bien sûr entre les différents pays en
ce qui concerne le type des structures de soins existantes
que ce soit en intrahospitalier ou en extrahospitalier. Cer-
tains hôpitaux ont ainsi créé des unités de court séjour
destinées à recevoir les patients rec¸us aux urgences, ce
qui entraîne alors des différences dans les durées de séjour
par rapport à des unités ayant pour vocation d’accueillir
des patients sur un plus long terme [3]. L’organisation des
soins peut aussi être très différente entre des systèmes où
les hospitalisations sont basées sur des services d’urgence
et d’autres basées sur des hospitalisations programmées.
Il semble donc intéressant de s’intéresser à ce sujet des
durées d’hospitalisation au travers des ces différences dans
l’organisation des soins en intrahospitalier, mais aussi plus
particulièrement au travers des soins proposés au sortir
de l’hospitalisation [16]. Sytema et al. en 1996, 1999 et
2002 [33,35] ont comparé les systèmes de soins dans trois
régions de trois pays ayant développé depuis 30 ans des poli-
tiques de santé très différentes. Ces régions sont celles de
Groningen aux Pays-Bas, du sud de Vérone en Italie et de
Victoria en Australie. Les Pays-Bas ont un système de soin
orienté vers des prises en charge privilégiant des soins en
intrahospitalier avec un nombre de lits pour les soins psy-
chiatriques de 1,6 pour 1000 habitants dans la région de
Groningen (1,4/1000 en hôpital psychiatrique et 0,2/1000
en hôpital général). À l’opposé, l’Italie a connu une dimi-
nution drastique du nombre de lits avec un système de soin
tourné vers des prises en charge en extrahospitalier, dans la
communauté. La région du sud de Vérone bénéficie ainsi de
0,27 pour 1000 habitants lits pour la psychiatrie (0,07/1000
en hôpital psychiatrique et 0,2/1000 en hôpital général).
L’Australie a aussi vu une diminution importante de son
nombre de lits avec 0,27 lits pour 1000 habitants (0,16/1000
en hôpital psychiatrique et 0,11/1000 en hôpital général)
avec le développement de soins ambulatoires. Leurs résul-
tats montrent que les patients italiens et australiens ont
des durées d’hospitalisation significativement plus courtes
que les patients néerlandais. La durée d’hospitalisation dans
leurs articles est exprimée en «risque de sortie »et si celui-
ci est de 1 pour la région de Groningen, il est de 1,49 (IC 95
% : 1,41—1,57) pour celle de Victoria et de 2,18 (IC 95 % :
2,07—2,28) pour le sud de Vérone. Le nombre de jours moyen
d’hospitalisation par patient et par an est aussi significati-
vement différent entre la région de Groningen d’un coté
et celles du sud de Vérone et de Victoria de l’autre. Cette
durée est de 62 jours au Pays-Bas contre 19 jours en Aus-
tralie et six jours en Italie. En revanche, les auteurs ne
retrouvent pas de différence en ce qui concerne le risque
de réadmission entre la région de Groningen et celle du sud
de Vérone avec même un risque plus bas en ce qui concerne
la région de Victoria (0,45 ; 0,44 et 0,16 réadmissions par
patient et par an, respectivement). Mais ils retrouvent dans
chaque région qu’un plus faible taux de réadmissions est
associé à une durée plus longue de la dernière hospita-
lisation. Concernant l’utilisation des services de soins en
extrahospitalier et malgré des systèmes de soins différents,
les trois régions proposent les mêmes capacités de suivi dans
la communauté, Groningen ayant fait le choix de ne pas
diminuer le nombre de lits en intrahospitalier parallèlement
au développement des prises en charges en extrahospitalier.
Les néerlandais et les italiens ont sensiblement le même
nombre de jours en hôpital de jour par patient et par an
(15 et 17, respectivement), ainsi que des chiffres assez
proches en ce qui concerne les nombres de consultations par
patient et par an (dix et sept, respectivement). En revanche,
en Australie le nombre de jours en hôpital de jour est de trois
par patient et par an et le nombre de consultations est de
16 par patient et par an. Nous voyons donc que même si les
régions du sud de Vérone et de Victoria ont fait des choix
identiques en ce qui concerne la diminution du nombre de
lits, les politiques de santé diffèrent ensuite sur les soins
proposés en extrahospitalier.
Comme conclusion, les auteurs rapportent qu’ils
confirment grâce à ces études leur première hypothèse
qui était que la durée des hospitalisations est un facteur
dépendant des «philosophies »des politiques de santé
mises en place. En effet, un système orienté vers des prises
en charge en intrahospitalier utilisera ces lits et les durées
d’hospitalisation seront plus longues, ce que montrent
leurs résultats avec une durée d’hospitalisation supérieure
dans la région de Groningen. Leur seconde hypothèse était
que le risque de réadmission ne serait pas différent entre
les régions ce qu’ils confirment aussi partiellement en
montrant même une diminution de ce risque dans la région
de Victoria, probablement liée à la mise en place d’un suivi
intensif dans la communauté. Il apparaît donc au vu de
ces résultats que la désinstitutionalisation mise en place
avec un suivi dans la communauté intensif n’entraînerait
pas une augmentation du nombre de patients multipliant
les hospitalisations au cours d’une année. Ce problème des
patients «sortant—entrant »est souvent soulevé lorsqu’on
évoque la désinstitutionalisation, avec ses conséquences
négatives, que ce soit pour le patient ou sa famille. Il
se serait en fait surtout mis en place dans les endroits
où les systèmes de soin en extrahospitalier ont été peu
développés et avec peu de liaison entre l’intrahospitalier
et l’extrahospitalier [4]. En conclusion, il semble donc
que le risque de réadmission, qui peut être vu comme un
signe de rechute et ainsi peut être de qualité des soins,
soit relativement indépendant du système de santé mais
plus en lien avec des variables cliniques dépendantes du
patient et qu’ainsi les différents modes d’utilisation des
services de santé (hospitalisation longue, hospitalisation
brève, multiplication des hospitalisations...) résulteraient
probablement d’évolutions différentes des pathologies.
En revanche, la durée des hospitalisations apparaît plus
affectée par les caractéristiques du système de santé et
surtout les possibilités de soins en extrahospitalier. La
qualité de ce système de soin extrahospitalier semble
donc primordiale pour qu’un tel système orienté vers
les soins dans la communauté fonctionne. Le temps clé
dans ce type de prise en charge semble être le moment
immédiat après la sortie d’hospitalisation mettant en jeu la
capacité du système de soin de répondre très rapidement
à la demande et la qualité de cette réponse [33,34,35].
Ainsi Thompson et al. en 2003 se sont intéressés aux
relations entre durée d’hospitalisation, orientation vers
un soin en extrahospitalier et taux de réadmission. Dans
leur étude portant sur 1481 patients dont 61 % de patients
Durées d’hospitalisation des patients souffrant de schizophrénie 397
souffrant de schizophrénie, ils montrent qu’à six mois
il n’y a pas de relation entre durée d’hospitalisation et
taux de réadmission. En revanche, la durée de séjour
influe sur l’orientation vers un soin hors de l’hôpital. En
effet, plus la durée de l’hospitalisation est longue, plus le
patient sera à sa sortie adressé vers une prise en charge
extrahospitalière spécifique (hôpital de jour, programme de
suivi intensif). Le diagnostic influe aussi sur l’orientation
vers des soins ambulatoires et les patients souffrant de
schizophrénie sont ceux qui sont le plus adressés vers ce
type de soin. Or, dans leur travail, ils montrent qu’être
adressé en soin après une hospitalisation augmente le
taux de réadmission. La sévérité de la symptomatologie
présentée par ces patients peut expliquer ces résultats,
ainsi que les problèmes socioprofessionnels en découlant.
Les patients les plus gravement atteints seraient les plus
adressés vers un suivi ambulatoire intensif. Mais dans ce cas
précis l’augmentation du taux de réadmission peut alors
être vu comme un indicateur de bonne qualité des soins
plutôt que comme un signe négatif. En effet, une prise
en charge précoce de symptômes signes de rechute peut
permettre un rétablissement plus rapide et une meilleure
qualité de vie [27,37].
Enfin en 2000, une revue Cochrane a été réalisée por-
tant sur les durées d’hospitalisation des patients souffrant
d’une pathologie psychiatrique sévère. Cette méta-analyse
a permis de mettre en évidence que les hospitalisations
courtes n’entraînent pas d’augmentation du nombre de
réadmission, du nombre de perdus de vue et permettent
des sorties non retardées et de bonne qualité quand il
s’agit d’hospitalisations programmées et prévues pour être
courtes (moins de 28 jours) avec les patients [12]. Pour-
tant malgré ces résultats montrant l’importance de la
planification de la sortie, peu de données existent sur
l’importance d’organiser celle-ci. Si intuitivement nous
pensons qu’une sortie programmée, préparée et organi-
sée permet une meilleure suite et prise en charge les
études ont du mal à le démontrer, que ce soit en terme
de réadmission, de durée d’hospitalisation et de coût
[31].
Conséquences socioéconomiques de la
diminution des durées d’hospitalisation
La question de la durée des hospitalisations des patients
souffrant de schizophrénie rejoint assez clairement la ques-
tion de la diminution du nombre de lits dans les services
de psychiatrie et des programmes de désinstitutionalisa-
tion. Certains ont des données très pessimistes sur ces
deux derniers points. Ainsi, Munk-Jorgensen en 1999 rap-
porte les données suivantes provenant des registres danois.
Parallèlement à la désinstitutionalisation, c’est-à-dire à la
diminution du nombre de lits, ilyaeuuneaugmentation
de 100 % du taux de mortalité par suicide pour les patients
psychotiques et une augmentation exponentielle de 6,7 %
par an des actes criminels commis par des personnes pré-
sentant un trouble mental. De plus, les admissions pour
état aigu ont augmenté de 80 à 90 % alors que les temps
d’occupation des lits ont augmenté de 80 à 98,5 % ren-
dant difficile et problématique, voire impossible l’accueil
de patients pour des hospitalisations programmées et moins
urgentes. En revanche, il n’est pas retrouvé de diminu-
tion ni d’augmentation du taux de réadmission à un an
parmi les patients souffrant de schizophrénie [24]. En 1989,
Patrick et al. retrouvaient déjà des résultats assez inquié-
tants après une diminution importante du nombre de lits
dans un service de santé mentale londonien. En effet,
le seuil d’admission est devenu très haut, la morbidité
des patients hospitalisés était bien plus importante et les
conditions d’hospitalisation se sont dégradées rendant les
hospitalisations beaucoup plus difficiles à accepter pour
les patients [25]. Plusieurs auteurs se sont aussi intéressés
au taux de suicides dans les années suivant la désinsti-
tutionalisation. Par exemple, Currier en 2000 a étudié le
lien entre l’évolution du nombre de lits dans sept pays
(Australie, Danemark, Japon, Pays-Bas, Espagne, Suisse et
États-Unis) et le nombre de décès (incluant les suicides)
parmi les patients souffrant de troubles mentaux et d’abus
de substance entre 1960 et 1996. Il retrouve une aug-
mentation du taux de mortalité dans les six pays ayant
diminué leur nombre de lits (de 5,7 à 15,5/100 000 aux
États-Unis, de 3,4 à 19,4 en Australie) et une légère dimi-
nution de ce taux dans le pays ayant augmenté sont nombre
de lits, le Japon (de 3,4 à 2,8 pour 100 000) [6]. Ces don-
nées, alarmantes, sont présentées telles quelles en lien
avec la désinstitutionalisation, mais on peut penser que
de nombreux autres facteurs, notamment socioéconomiques
pendant cette même période, peuvent entrer en ligne de
compte dans ces chiffres. Car par ailleurs la majorité des
études ayant étudié la qualité de vie des patients souffrant
de schizophrénie après des expériences de désinstitutiona-
lisation montre une amélioration de celle-ci [11,17,28].Et
la revue Cochrane menée en 2000 montre que les patients
ayant de courtes durées d’hospitalisation ont plus de chance
d’avoir un emploi que les patients ayant de longue durée
d’hospitalisation [12]. Ces résultats qui peuvent apparaître
contradictoires soulignent donc la nécessité de poursuivre
les évaluations de ces pratiques et de leurs conséquences
sur les patients et leurs familles.
Enfin, comme nous l’avons abordé dans l’introduction,
la question de la durée d’hospitalisation rejoint bien sûr la
question du coût de celle-ci [5]. En 2004, Peiro et al. ont
fait une étude s’intéressant à ces sujets et cela de fac¸on
spécifique pour les patients souffrant de schizophrénie. Ils
retrouvent que le coût moyen d’une hospitalisation se situe
entre 2830,29 et 3624,95 euros en Espagne dont 94 % sont
des frais fixes, 3,4 % sont liés à des tests diagnostiques et
2,4 % au traitement. Ils retrouvent que comme prévu les
coûts varient en fonction des hôpitaux et des durées de
séjour. Ils mettent en évidence dans leur étude que la durée
de séjour est en relation avec l’âge, le diagnostic, mais
que ces deux facteurs n’expliquent qu’une petite part de
la variabilité. Il est aussi important de prendre en compte
des variables sociodémographiques, le statut économique et
éducationnel, et surtout les différentes pratiques au sein des
différents hôpitaux. Ces différences de pratiques seraient
vraiment essentielles à la compréhension des différences de
durées de séjour et de coût, bien plus que les diagnostics ou
les traitements [26]. En effet, la part des traitements dans
les coûts directs de la schizophrénie reste assez modeste
même si elle varie suivant les pays. En Grande Bretagne,
les traitements représentaient 5 % des coûts en 1990 [7]
et seulement 2 % en 1997 [9], aux Etats-Unis 2,3 % en 1990
398 D. Capdevielle et al.
[29], en France 5,6 % en 1992 [30], mais 61,8 % au Nigeria en
1995 [32]. Ainsi, dans les pays industrialisés, le coût relatif
des traitements reste faible et ce malgré le développement
des neuroleptiques de seconde génération pourtant bien
plus chers que les neuroleptiques de première génération
[15].
Il apparaît ainsi que malgré la désinstitutionalisation, le
coût de la schizophrénie soit continue d’augmenter, soit
reste assez stable suivant les pays. Les patients hospita-
lisés pour de longues durées (un an et plus) sont ceux
entraînant le plus de dépenses. Il s’agit le plus souvent
d’un groupe bien spécifique de patients présentant des schi-
zophrénies résistantes et ne pouvant vivre à l’extérieur
de l’hôpital. Par exemple, en Suède en 1995, Jonsson et
Walinder rapportent que le coût des patients souffrant
de schizophrénie résistante hospitalisés représentait 46 %
du coût total des patients hospitalisés pour schizophré-
nie [13]. Or ces patients représentent 25 % des patients
souffrant de schizophrénie. L’autre poste de dépense expli-
quant la persistance du coût élevé de cette pathologie
est bien sur le développement, indispensable, en paral-
lèle de la diminution du nombre de lits en intrahospitalier,
de structures alternatives à l’extérieur de l’hôpital per-
mettant, comme nous l’avons décrit, la continuité des
soins. Ces structures alternatives nécessitent ainsi le plus
souvent un personnel très présent permettant un étayage
important des patients au sein de la communauté et une
réactivité importante en cas de signes prémonitoires de
rechute [15]. Ainsi dans une étude comparant les coûts de
deux types de suivi pour des patients psychotiques dans
la communauté, l’un intensif (suivi à domicile important
avec prise en charge des épisodes aigus, haut niveau de
continuité des soins, lien avec le médecin généraliste, limi-
tation importante de l’utilisation des lits d’hospitalisation à
temps complet), l’autre plus standard (suivi par une équipe
de soin en santé mentale et utilisation des lits d’hôpital
comme partie intégrante du système de soin) a été menée
à Londres avec un suivi de 2,5 ans. Dans cette étude, le
coût du suivi intensif était de 2314 US$ plus élevé que
le suivi standard sur six mois, soit d’environ 70 %. Mais
les auteurs montraient aussi que sur la même période le
coût de la prise en charge des patients sortant de ces
programmes était bien plus élevé (de 3179 US$) [21]. Une
autre étude datant de 1994 a aussi évalué l’impact éco-
nomique de cette transition des soins de l’intrahospitalier
vers l’extrahospitalier. Il s’agit d’une étude randomisée
comparant un programme de soin dans la communauté (sup-
port à domicile orienté vers la résolution de problème)
à des prises en charge intrahospitalière pour des patients
âgés de 17 à 64 ans et souffrant de troubles psychiatriques
sévères. Les résultats montrent que le suivi dans la commu-
nauté est moins coûteux à moyens termes que le suivi en
intrahospitalier. Merson et al. en 1996 retrouvent des résul-
tats identiques [22]. Ces données sont brutes en terme de
coûts, mais mises en relation avec les études cliniques mon-
trant l’amélioration de la qualité de vie des patients elles
suggèrent que les soins par des équipes spécialisées dans
la communauté seraient plus coût-efficaces que les soins
en intrahospitalier. Néanmoins, ces données mériteraient
d’être confirmées par de réelles études évaluant le coût-
efficacité d’un type de prise en charge par rapport à un
autre.
Conclusion
Au cours de ces années de désinstitutionalisation, les études
montrent une amélioration de la qualité de vie des patients,
mais il existe peu de données sur la symptomatologie. Les
résultats concernant les taux de réadmission après des hos-
pitalisations sont assez contradictoires [11,18,19,28].Par
ailleurs, les données socioéconomiques continuent à mon-
trer le poids important de cette pathologie dans les systèmes
de santé. Le développement de suivi intensif dans la commu-
nauté ainsi que la recherche de nouveaux lieux et conditions
de vie pour les patients les plus gravement atteints res-
tent d’importantes questions encore très actuelles. En effet,
la question de l’organisation des soins juste à la sor-
tie de l’hospitalisation a montré son importance que ce
soit dans la qualité même de l’hospitalisation (hospitali-
sation planifiée avec un programme de soin) ou comme
indicateur des soins rec¸us à la sortie de l’hôpital. Cette
organisation des soins semble conditionner aussi les durées
d’hospitalisation.
Ainsi, il apparaît aujourd’hui que les soins hospitaliers
basés uniquement sur des hospitalisations longues ou répé-
tées ne correspondent plus à ce que les patients et leurs
proches attendent de notre système de soin et aux soins
qu’ils sont aussi en droit de recevoir. Au cours de ces 20
dernières années, le débat parfois âpre, entre les partisans
des prises en charge orientées vers l’hôpital et les partisans
des prises en charge dans la communauté a fait que ces
deux conceptions des soins ont souvent été opposées. Or il
apparaît maintenant que cette fausse dichotomie gagnerait
à être remplacée par de nouvelles modalités de prises en
charge incluant l’hôpital et les suivis dans la communauté
dans une étroite collaboration [39]. Il semble en effet,
évident que même dans un système très développé de soin
dans la communauté, des lits d’hospitalisation à temps
complet sont indispensables. L’utilisation de ces lits dépend
alors d’une interaction complexe entre leur nombre et la
demande de soin. La demande reflète ainsi les pratiques
médecins, les attentes de la société envers les soins aux
personnes souffrant de pathologie mentale et l’acceptation
par celle-ci de leur retour dans la communauté, mais aussi
l’épidémiologie locale des troubles ainsi que la disponibilité
et l’accessibilité d’autre formes de soins et d’accueil (foyer,
logement...). L’impact de ce dernier point a peu, voire
pas été étudié en lien avec les durées d’hospitalisation des
patients souffrant de schizophrénie. Pourtant notre pratique
clinique ne peut que refléter l’importance de celui-ci et des
conséquences parfois dramatiques qu’il peut avoir en terme
de longueur d’hospitalisation et donc de risque de désociali-
sation du patient. Il paraît donc important de poursuivre des
recherches sur le domaine des facteurs entrant en compte
dans les hospitalisations de nos patients et leurs consé-
quences sur les durées de celles-ci afin ensuite d’orienter
les modalités de prises en charge, voire les politiques de
santé.
Références
[1] Appleby L, Desai RA, Luchins DJ, et al. Length of stay and reci-
divism in schizophrenia: a study of public psychiatric hospital
patients. Am J Psychiatry 1993;150:72—6.
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