L’Encéphale (2008) 34, 477—482 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep CLINIQUE Tempéraments affectifs dans les troubles bipolaires et unipolaires : comparaison des profils tempéramentaux et relation avec les caractéristiques cliniques Affective temperaments in the bipolar and unipolar disorders: distinctive profiles and relationship with clinical features L. Gassab ∗, A. Mechri, M. Bacha, N. Gaddour, L. Gaha Laboratoire de recherche « Vulnérabilité aux psychoses », service de psychiatrie, CHU Fattouma Bourguiba de Monastir, 5000 Monastir, Tunisie Reçu le 12 janvier 2007 ; accepté le 17 août 2007 Disponible sur Internet le 26 décembre 2007 MOTS CLÉS Tempéraments affectifs ; Trouble bipolaire I ; Trouble bipolaire II ; Trouble unipolaire ; Trouble dépressif récurrent ∗ Résumé L’influence des tempéraments affectifs sur l’expression symptomatique et sur l’évolution des épisodes thymiques a été évoquée par plusieurs études. Les objectifs de cette étude étaient d’évaluer les tempéraments affectifs chez des patients suivis pour troubles bipolaires I, II et trouble dépressif récurrent et de rechercher les corrélations entre tempéraments affectifs et caractéristiques cliniques de ces troubles. Patients et méthodes. — Il s’agit d’une étude comparative portant sur 115 patients (59 hommes et 56 femmes) suivis pour troubles de l’humeur avec l’épisode le plus récent de type dépressif majeur, répartis en trois groupes selon les critères DSM-IV : trouble bipolaire I (BIP I, n = 31), trouble bipolaire II (BIP II, n = 18) et trouble dépressif récurrent (TDR, n = 66). L’évaluation des tempéraments a été réalisée avec les questionnaires des tempéraments affectifs d’Akiskal et Mallya. Résultats. — Le tempérament hyperthymique était plus représenté dans les groupes BIP I et II, comparés au groupe TDR (p < 10−3 ). Le tempérament dépressif était plus représenté dans le groupe TDR (p < 10−3 ). Le score du tempérament hyperthymique était associé aux caractéristiques psychotiques dans les groupes BIP I (p = 0,01) et BIP II (p = 0,008) et au caractère saisonnier Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Gassab). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2007. doi:10.1016/j.encep.2007.08.003 478 L. Gassab et al. des épisodes dans le groupe BIP II (p = 0,02). Le score du tempérament cyclothymique était associé aux caractéristiques psychotiques (p = 0,009) et saisonnières (p = 0,03) dans le groupe BIP II. Conclusion. — Les tempéraments hyperthymique et cyclothymique seraient associés aux troubles bipolaires. Leur association aux caractéristiques psychotiques et saisonnières pourrait renforcer leur intérêt dans la prédiction de la bipolarité. © L’Encéphale, Paris, 2007. KEYWORDS Affective temperaments; Bipolar I disorder; Bipolar II disorder; Unipolar disorder; Recurrent depressive disorder Summary Introduction. — Recent research postulated that temperaments represent the subclinical foundations of affective disorders, and an early clue for a recurrent, prebipolar disorder. Akiskal et al. operationalized five types of temperaments: depressive, hyperthymic, irritable, cyclothymic and anxious. The aims of this study were to compare the affective temperaments scores in patients with bipolar I, II and recurrent depression disorders and to explore the relation between temperaments scores and clinical features of those affective disorders. Methods. — This was a comparative cross-sectional study, concerning three groups: patients with bipolar I disorder (BIP I) (n = 31, 20 men and 11 women, mean age = 42.0 ± 10.1 years), patients with bipolar II disorder (BIP II) (n = 18, 11 men and seven women, mean age = 40.7 ± 10.8 years) and patients with recurrent depressive disorder (RDD) (n = 66, 28 men and 38 women, mean age = 45.0 ± 9.3 years). All patients were in remission of a major depressive episode. The affective temperaments were assessed by the Akiskal and Mallya Affective Temperament questionnaires. Results. — Hyperthymic temperament mean scores were higher in BIP I (10.8 ± 5.4) and BIP II (10.3 ± 5.5) groups compared to RDD group (5.5 ± 4.0) (p < 10−3 ). Depressive temperament mean score was significantly higher in RDD group (10.5 ± 4.3), compared to BIP I (7.3 ± 4.6) and BIP II (5.4 ± 2.9) groups (p < 10−3 ). Cyclothymic temperament mean score was higher in BIP II group (4.7 ± 5.8) compared to BIP I (3.3 ± 3.9) and RDD (2.5 ± 3.9) groups, but this difference was not significant (p = 0.08). No difference was found between the three groups concerning irritable temperament scores. Negative correlation was found between hyperthymic and depressive temperament scores in BIP I (r = −0.81, p < 0.001) and RDD (r = −0.73, p < 0.001) groups, but not in BIP II group. Concerning the clinical correlates with affective temperament scores, negative correlation was found between hyperthymic temperament score and number of depressive episodes in BIP II group (r = −0.53, p = 0.02). Hyperthymic temperament score was associated with psychotic features in the last depressive episode in BIP I (p = 0.01) and BIP II (p = 0.008) groups and seasonal features in BIP II group (p = 0.02). Moreover, cyclothymic temperament score was associated with psychotic (p = 0.009) and seasonal features (p = 0.03) in BIP II group. Conclusions. — Despite the small sample sizes for our study groups, we can conclude that hyperthymic and cyclothymic temperaments characterized bipolar disorders and are correlated with other markers of bipolarity such as psychotic and seasonal features. Thus, temperament assessment might become a useful tool to predict bipolarity in association with those markers. © L’Encéphale, Paris, 2007. Introduction La psychose maniacodépressive de Kraepelin a connu une évolution nosographique, avec la distinction des différents troubles bipolaires et unipolaires en fonction des arguments génétiques, épidémiologiques, cliniques et évolutifs [10]. Depuis de nombreux travaux ont porté sur la répartition typologique de ces troubles de l’humeur, ce qui rend compte de leur grande hétérogénéité, avec multiples formes symptomatiques des épisodes (manie dysphorique, hypomanie. . .) et différents modes évolutifs (virage, cycles rapides. . .) aboutissant au développement de la notion du spectre bipolaire [6]. Dans ce cadre, l’apport de l’évaluation des traits de personnalité et en particulier des tempéraments affectifs a été suggéré, pour tenter à démembrer l’hétérogénéité clinique et évolutive de ces troubles [17,28]. Les tempéraments affectifs constituent des traits prémorbides des épisodes affectifs majeurs, correspondent à un dérèglement subsyndromique et représentent la base constitutionnelle de la personnalité [6,16]. Il s’agit d’une notion ancienne évoquée par Kraepelin, qui a donné une place importante aux tempéraments affectifs dans la clinique des troubles de l’humeur. Cette notion a été reprise et rendue opérationnelle par Akiskal et Mallya [5], avec l’élaboration des critères standardisés pour l’évaluation des tempéraments hyperthymique, dépressif, cyclothymique et irritable. Une nouvelle version de ces critères a été récemment publiée [1]. Une autre approche pour l’étude des tempéraments affectifs a été développée par Cloninger et al. [14]. Il s’agit d’un modèle intégratif, reposant sur des arguments à la fois cliniques, neurobiologiques et génétiques. Ces différentes approches ont montré l’existence de tempéraments affectifs différents dans les troubles de l’humeur, considérés comme des marqueurs de vulnérabi- Tempéraments affectifs dans les troubles bipolaires et unipolaires : comparaison des profils lité d’origine probablement génétique. L’influence possible de ces tempéraments sur l’expression symptomatique (typologie des accès thymiques) et sur l’évolution des épisodes thymiques (virage, prédiction d’une évolution bipolaire) a été évoquée, pouvant conditionner la prise en charge thérapeutique [28]. Nos objectifs étaient d’évaluer les tempéraments affectifs (hyperthymique, dépressif, cyclothymique et irritable) chez des patients ayant présenté un épisode dépressif majeur rentrant dans le cadre des troubles bipolaires I, II ou du trouble dépressif récurrent, et de rechercher les corrélations entre tempéraments affectifs et caractéristiques cliniques de ces troubles. Patients et méthode Il s’agit d’une étude transversale et comparative menée durant le premier semestre 2003. Elle a porté sur des patients suivis à la consultation externe de psychiatrie du CHU de Monastir (Tunisie), pour troubles de l’humeur avec l’épisode le plus récent de type dépressif majeur selon les critères diagnostiques DSM-IV [8]. Les critères d’inclusion étaient un âge compris entre 18 et 70 ans, un dernier épisode dépressif majeur en rémission partielle ou complète, des antécédents d’au moins un épisode dépressif, maniaque ou hypomaniaque antérieur et un consentement libre. Les critères d’exclusion étaient un épisode dépressif isolé, une pathologie neurologique associée, un épisode dépressif du à une affection médicale générale ou induit par une substance, une absence de rémission de l’épisode dépressif le plus récent, un virage maniaque ou hypomaniaque et le refus de participation. Au total, nous avons recruté 115 patients (59 hommes et 56 femmes). L’âge moyen de l’échantillon total était de 44,0 ± 9,9 ans. Les patients étaient répartis en trois groupes : patients ayant un trouble bipolaire I (BIP I, n = 31), patients ayant un trouble bipolaire II (BIP II, n = 18) et patients ayant un trouble dépressif récurrent (TDR, n = 66) (Tableau 1). Tableau 1 479 Le recueil des données cliniques a été fait à partir des dossiers médicaux et en utilisant une fiche d’analyse clinique. Les variables étudiées étaient les données sociodémographiques (âge et sexe), les antécédents psychiatriques personnels (âge du premier épisode thymique, type du premier accès thymique, nombre des épisodes thymiques antérieurs) et les spécifications cliniques et évolutives du dernier épisode dépressif majeur (sévérité, caractéristiques psychotiques, mélancoliques, atypiques et saisonnières). L’évaluation des tempéraments a été réalisée par la passation au cours d’un entretien clinique, des questionnaires semi-structurés des tempéraments affectifs d’Akiskal et Mallya [5], après traduction et adaptation en arabe dialectal. La version utilisée était celle de Hantouche et Akiskal [21], comprenant deux hétéroquestionnaires évaluant les tempéraments hyperthymique et dépressif, chacun à 22 items, un questionnaire d’évaluation du tempérament cyclothymique à 21 items et un questionnaire d’évaluation du tempérament irritable à 20 items. Les quatre questionnaires ont été passés en hétéroévaluation par le même examinateur, pour faciliter le remplissage et limiter le temps de passation. La cohérence interne des questionnaires utilisés était satisfaisante avec des coefficients alpha de Cronbach entre 0,85 et 0,89. L’analyse statistique a été effectuée par le logiciel SPSS version 10,0. La comparaison des fréquences et scores des tempéraments affectifs entre les trois groupes a été réalisée respectivement par le test khi-carré et une Anova suivie du test de Tukey pour les comparaisons deux à deux. Pour l’analyse des rapports entre les scores des tempéraments affectifs et les variables cliniques, nous avons utilisé le test « t » de Student et le coefficient de corrélation de Pearson. Le seuil de significativité était fixé à 5 %. Résultats Fréquences et scores des tempéraments affectifs Le tempérament hyperthymique était significativement plus fréquent dans les groupes BIP I (64,5 %) et Bip II (55,6 %), Caractéristiques démographiques et cliniques des groupes BIP I, BIP II et TDR. Caractéristiques démographiques et cliniques BIP I (n = 31) BIP II (n = 18) TDR (n = 66) Âge moyen Extrêmes Sexe (H/F) Âge moyen au premier épisode thymique Durée moyenne d’évolution Nombre moyen d’épisodes thymiques antérieurs Sévérité du dernier épisode thymique (%) Moyenne Sévère sans caractéristiques psychotiques Sévère avec caractéristiques psychotiques Spécifications cliniques du dernier épisode (%) Caractéristiques mélancoliques Caractéristiques atypiques 42,0 ± 10,1 18—63 20/11 22,9 ± 6,0 19,1 ± 10,5 8,8 ± 3,2 40,7 ± 10,8 23—70 11/7 27,2 ± 7,6 13,4 ± 8,5 6,9 ± 3,7 44,5 ± 9,3 22—68 28/38 34,2 ± 10,1 11,7 ± 9,1 5,0 ± 2,9 51,6 29,0 19,3 61,1 16,7 22,2 60,6 31,8 7,6 22,6 25,8 11,1 38,9 10,0 6,1 19,3 27,8 13,6 Caractère saisonnier des épisodes (%) BIP I : trouble bipolaire I, BIP II : trouble bipolaire II, TDR : trouble dépressif récurrent. 480 Tableau 2 L. Gassab et al. Scores des tempéraments affectifs dans les groupes BIP I, BIP II et TDR. Score moyen ± DS BIP I n = 31 BIP II n = 18 TDR n = 66 Anova Test de Tukey (p) −3 10,8 ± 5,4 10,3 ± 5,5 5,5 ± 4,0 Tempérament dépressif 7,3 ± 4,6 5,4 ± 2,9 10,5 ± 4,3 F2,112 = 13,5 p < 10−3 Tempérament cyclothymique 3,3 ± 3,9 4,7 ± 5,8 2,5 ± 2,9 F2,112 = 2,5 p = 0,08 Tempérament irritable 4,4 ± 3,0 4,6 ± 3,4 4,1 ± 2,6 F2,112 = 0,3 p = 0,73 Tempérament hyperthymique F2,112 = 16,9 p < 10 BIP BIP BIP BIP BIP BIP BIP BIP BIP BIP BIP BIP I vs. BIP II = 0,92 I vs. TDR < 10−3 II vs. TDR = 0,001 I vs. BIP II = 0,28 I vs. TDR = 0,002 II vs. TDR < 10−3 I vs. BIP II = 0,42 I vs. TDR = 0,59 II vs. TDR = 0,07 I vs. BIP II = 0,99 I vs. TDR = 0,81 II vs. TDR = 0,80 BIP I : trouble bipolaire I, BIP II : trouble bipolaire II, TDR : trouble dépressif récurrent. comparés au groupe TDR (24,2 %) (2 = 16,4, df = 2, p < 10−3 ). Le score moyen du tempérament hyperthymique était significativement plus élevé dans les groupes BIP I (10,8 ± 5,4) et BIP II (10,3 ± 5,5) par rapport au groupe TDR (5,5 ± 4,0) (F2,112 = 16,9, p < 10−3 ). Le tempérament dépressif était significativement plus fréquent dans le groupe TDR (63,6 %) comparé aux groupes BIP I (22,5 %) et BIP II (22,2 %) (2 = 19,2, df = 2, p < 10−3 ). Le score moyen du tempérament dépressif était significativement plus élevé dans le groupe TDR (10,5 ± 4,3), comparé aux groupes BIP I (7,3 ± 4,6) et BIP II (5,4 ± 2,9) (F2,112 = 13,5, p < 10−3 ). Le score moyen du tempérament cyclothymique était plus élevé dans le groupe BIP II (4,7 ± 5,8), par rapport au groupe BIP I (3,3 ± 3,9) et surtout au groupe TDR (2,5 ± 3,9), mais sans différence significative (F2,112 = 2,5, p = 0,08). Le score moyen du tempérament irritable était comparable entre les trois groupes (Tableau 2). Il n’y avait pas une différence significative entre les hommes et les femmes, concernant les scores des tempéraments affectifs dans les trois groupes. Par ailleurs, le tempérament hyperthymique était négativement corrélé au tempérament dépressif, dans les groupes BIP I (r = −0,81, p < 0,001) et TDR (r = −0,73, p < 0,001). En revanche, cette corrélation n’était pas trouvée dans le groupe BIP II. Tempéraments affectifs et caractéristiques cliniques Âge du premier épisode thymique Il n’y avait pas de corrélation entre les scores des tempéraments hyperthymique, dépressif et cyclothymique et l’âge du premier épisode thymique dans les trois groupes. Toutefois, une corrélation positive a été constatée entre le score moyen du tempérament irritable et l’âge du premier épisode thymique dans les groupes BIP I (r = 0,34, p = 0,05) et BIP II (r = 0,53, p = 0,02). Nombre d’épisodes thymiques antérieurs Nous avons trouvé une corrélation négative entre le score de tempérament hyperthymique et le nombre d’épisodes dépressifs antérieurs dans le groupe BIP II (r = −0,53, p = 0,02). Caractéristiques du dernier épisode dépressif Le score moyen du tempérament hyperthymique était significativement plus élevé en présence des caractéristiques psychotiques lors du dernier épisode dépressif dans les groupes BIP I : 14,7 ± 1,5 versus 10,4 ± 5,5 (t = 3,12, p = 0,01) et BIP II : 12,0 ± 4,8 versus 4,2 ± 2,7 (t = 3,01, p = 0,008), et du caractère saisonnier des épisodes dans le groupe BIP II : 12,0 ± 4,7 versus 5,8 ± 5,4 (t = 2,4, p = 0,02). De même, le score moyen du tempérament cyclothymique était significativement plus élevé en présence de caractéristiques psychotiques : 11,0 ± 6,2 versus 2,9 ± 4,4 (t = 2,98, p = 0,009), et saisonnières : 9,2 ± 7,3 versus 3,0 ± 4,2 (t = 2,28, p = 0,03) dans le groupe BIP II. En revanche, il n’y avait pas de relation entre les tempéraments affectifs et les autres caractéristiques cliniques, telles que les caractéristiques mélancoliques et atypiques. Discussion Notre travail a permis d’évaluer les tempéraments affectifs chez des patients ayant un trouble bipolaire I, II ou un trouble dépressif récurrent, tous en rémission d’un épisode dépressif majeur. Une association était trouvée entre tempéraments hyperthymique et cyclothymique et troubles bipolaires et entre tempérament dépressif et trouble dépressif récurrent. Des corrélations ont été constatées entre tempéraments hyperthymique et cyclothymique et caractéristiques psychotiques et saisonnières chez les BIP I et II. Certaines limites de ce travail devraient être toutefois prises en considération. Elles sont liées à la taille réduite des groupes, au recueil rétrospectif des données et à l’hétérogénéité clinique et évolutive des patients (nombre et nature des épisodes antérieurs et durée d’évolution variables). L’inclusion des patients en rémission d’un dernier épisode dépressif majeur était conditionnée par un souci d’homogénéisation des groupes étudiés. Plusieurs auteurs relativisent néanmoins l’influence de l’épisode thymique sur le tempérament affectif [3,7,26]. La répartition des patients en BIP I, BIP II et TDR était basée sur les données des dossiers médicaux en appliquant les critères du DSM-IV. Nous n’avons pas procédé à l’évaluation systématique de l’hypomanie, ce qui pourrait entraîner une méconnaissance de la bipola- Tempéraments affectifs dans les troubles bipolaires et unipolaires : comparaison des profils rité de type II parmi les patients ayant un TDR. Par ailleurs, nous avons utilisé une version traduite, en cours de validation des questionnaires d’évaluation des tempéraments affectifs, ce qui pourrait comporter certains biais inhérents aux particularités socioculturelles de la population étudiée. Néanmoins, les questionnaires des tempéraments affectifs utilisés, ont montré des bonnes caractéristiques psychométriques de cohérence et d’homogénéité d’items dans leur version traduite en arabe dialectal. Nos résultats sont similaires à ceux publiés dans d’autres pays [1,9,23]. En accord avec les données de la littérature [1,4,11,18,25], les tempéraments hyperthymique et cyclothymique étaient associés aux troubles bipolaires I et II et le tempérament dépressif au trouble dépressif récurrent. Chez les bipolaires I, Henry et al. [22], ont rapporté un score moyen de tempérament hyperthymique de 11,6 ± 5,0, comparable à celui trouvé dans notre étude. Perugi et al. [26] ont trouvé que le tempérament hyperthymique était présent chez prés du tiers des patients et que cette fréquence était peu influencée par le type du dernier épisode thymique. Dans l’étude EPIDEP [7,18], le tempérament hyperthymique était présent chez 37 % dans le trouble bipolaire II contre 16 % dans le trouble dépressif récurrent. Dans la même étude, le score moyen de tempérament cyclothymique était significativement plus élevé chez les bipolaires II, comparés aux patients unipolaires [18]. En revanche dans notre étude, la différence au niveau du score de tempérament cyclothymique entre les bipolaires II et les unipolaires n’était pas significative. Cela pourrait être expliqué par la taille réduite du groupe BIP II, l’absence de dépistage systématique de l’hypomanie et à la passation en hétéroévaluation du questionnaire. Le tempérament dépressif avait une fréquence significativement plus élevée chez les unipolaires (57 %) par rapport aux bipolaires II (39 %) [18]. Chez les bipolaires I, la fréquence du tempérament dépressif était de 28 à 40 % selon la nature du dernier épisode thymique, mais cette différence n’était pas significative [26]. Ces constatations suggèrent que les tempéraments affectifs constituent une composante biologique innée de la personnalité, peu influencée par l’épisode thymique. Par ailleurs, une corrélation négative a été trouvée, dans notre étude, entre tempéraments hyperthymique et dépressif dans les groupes BIP I et TDR. Ce résultat rejoint les données de la littérature, soulignant le fait qu’un patient avec tempérament hyperthymique, ne pourrait pas avoir de traits de tempérament dépressif et l’inverse [22]. Toutefois, cette corrélation n’était pas établie chez les bipolaires II, ce qui est en faveur de l’intrication des différents traits tempéramentaux chez ces patients. Cette donnée a été soulignée dans l’étude EPIDEP [7,18]. Dans notre étude, une corrélation positive a été trouvée entre tempérament irritable et l’âge du premier épisode thymique dans les groupes BIP I et II. En revanche, chez les bipolaires I, Henry et al. [22] n’ont pas trouvé de corrélation entre tempéraments affectifs et âge du premier épisode thymique. Chez les bipolaires II, Akiskal et al. [2], ont montré l’existence d’une corrélation entre l’âge précoce du début et le tempérament cyclothymique. En effet, l’âge de début des symptômes thymiques, l’âge à la première consultation et à la première hospitalisation étaient significativement plus précoces chez les bipolaires II avec 481 tempérament cyclothymique. Chez les unipolaires, Cassano et al. [11], ont trouvé un âge à la première hospitalisation plus précoce chez les patients avec tempérament hyperthymique, pouvant prédire une évolution bipolaire. Les biais relatifs à la détermination de l’âge de début pourraient expliquer les divergences des résultats obtenus. Dans notre étude, le score de tempérament hyperthymique était négativement corrélé au nombre d’épisodes dépressifs dans le groupe BIP II. Un résultat comparable a été rapporté chez des bipolaires I [22], avec une corrélation négative entre tempérament hyperthymique et nombre d’épisodes thymiques et une corrélation positive entre tempérament dépressif et nombre d’épisodes dépressifs. Alors que, le nombre d’épisodes maniaques était corrélé positivement avec le tempérament hyperthymique et négativement avec le tempérament dépressif [22], chez les bipolaires II, le tempérament cyclothymique était corrélé au nombre d’épisodes thymiques et surtout dépressifs [2]. Ce tempérament est rarement associé aux épisodes maniaques typiques [19]. En effet, les tempéraments cyclothymique et dépressif sont plutôt corrélés aux manies dysphoriques chez les patients bipolaires. Concernant la sévérité des épisodes dépressifs, certains auteurs [20], ont montré que les patients avec tempérament cyclothymique font plus d’épisodes dépressifs sévères, alors que, Mendlowicz et al. [25], n’ont pas trouvé de corrélation entre tempéraments affectifs et sévérité du dernier épisode dépressif. Par ailleurs, nous avons mis en évidence une association entre les tempéraments hyperthymique et cyclothymique et les caractéristiques psychotiques chez les BIP I et II. D’autres auteurs [24] ont rapporté l’association du tempérament irritable aux caractéristiques psychotiques chez les patients bipolaires. Dell’Osso et al. [15], ont établi une corrélation inverse entre tempérament hyperthymique et caractéristiques psychotiques non congruentes à l’humeur chez les bipolaires I. L’association des caractéristiques psychotiques à une dysrégulation tempéramentale complexe comportant des traits cyclothymiques et irritables a été constatée chez les patients bipolaires [3]. Concernant les caractéristiques atypiques, plusieurs auteurs [2,27] ont constaté leur association au tempérament cyclothymique. Dans notre étude, les tempéraments hyperthymique et cyclothymique étaient corrélés au caractère saisonnier des épisodes chez les BIP II. En accord avec nos résultats, Akiskal et al. [2], ont trouvé une corrélation entre tempérament cyclothymique et caractère saisonnier des épisodes dépressifs, ce qui renforce l’intérêt de la saisonnalité des épisodes comme indicateur de bipolarité. Conclusion Nos résultats confrontés aux données de la littérature soulignent le rôle des tempéraments affectifs et en particulier hyperthymique et cyclothymique dans le diagnostic de la bipolarité, surtout en présence d’autres indicateurs de bipolarité tels que les caractéristiques psychotiques, atypiques ou saisonnières, aboutissant à l’élargissement du spectre bipolaire. Par ailleurs, plusieurs arguments plaident en faveur de l’existence des caractéristiques tempéramentales intri- 482 quées dans le trouble bipolaire II. Alors que, le tempérament dépressif serait plus spécifique du trouble dépressif récurrent. L’influence des tempéraments affectifs sur l’expression clinique et sur l’évolution des épisodes thymiques est bien établie. Enfin, ces tempéraments seraient l’expression phénotypique des facteurs génétiques prédisposants aux troubles de l’humeur et pourraient donc constituer des dimensions candidates pour la recherche des gènes de vulnérabilité [12,13]. L. Gassab et al. [13] [14] [15] Références [16] [1] Akiskal HS, Akiskal K, Allilaire JF, et al. Validating affective temperaments in their subaffective and socially positive attributes: psychometric, clinical and familial data from a French national study. J Affect Disord 2005;85(1—2):29—36. [2] Akiskal HS, Hantouche EG, Allilaire JF. 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