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L’Encéphale (2008) 34, 477—482
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
CLINIQUE
Tempéraments affectifs dans les troubles bipolaires
et unipolaires : comparaison des profils
tempéramentaux et relation avec les
caractéristiques cliniques
Affective temperaments in the bipolar and unipolar
disorders: distinctive profiles and relationship with
clinical features
L. Gassab ∗, A. Mechri, M. Bacha, N. Gaddour, L. Gaha
Laboratoire de recherche « Vulnérabilité aux psychoses », service de psychiatrie, CHU Fattouma Bourguiba de Monastir, 5000
Monastir, Tunisie
Reçu le 12 janvier 2007 ; accepté le 17 août 2007
Disponible sur Internet le 26 décembre 2007
MOTS CLÉS
Tempéraments
affectifs ;
Trouble bipolaire I ;
Trouble bipolaire II ;
Trouble unipolaire ;
Trouble dépressif
récurrent
∗
Résumé L’influence des tempéraments affectifs sur l’expression symptomatique et sur
l’évolution des épisodes thymiques a été évoquée par plusieurs études. Les objectifs de cette
étude étaient d’évaluer les tempéraments affectifs chez des patients suivis pour troubles bipolaires I, II et trouble dépressif récurrent et de rechercher les corrélations entre tempéraments
affectifs et caractéristiques cliniques de ces troubles.
Patients et méthodes. — Il s’agit d’une étude comparative portant sur 115 patients (59 hommes
et 56 femmes) suivis pour troubles de l’humeur avec l’épisode le plus récent de type dépressif
majeur, répartis en trois groupes selon les critères DSM-IV : trouble bipolaire I (BIP I, n = 31),
trouble bipolaire II (BIP II, n = 18) et trouble dépressif récurrent (TDR, n = 66). L’évaluation des
tempéraments a été réalisée avec les questionnaires des tempéraments affectifs d’Akiskal et
Mallya.
Résultats. — Le tempérament hyperthymique était plus représenté dans les groupes BIP I et II,
comparés au groupe TDR (p < 10−3 ). Le tempérament dépressif était plus représenté dans le
groupe TDR (p < 10−3 ). Le score du tempérament hyperthymique était associé aux caractéristiques psychotiques dans les groupes BIP I (p = 0,01) et BIP II (p = 0,008) et au caractère saisonnier
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (L. Gassab).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2007.
doi:10.1016/j.encep.2007.08.003
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L. Gassab et al.
des épisodes dans le groupe BIP II (p = 0,02). Le score du tempérament cyclothymique était
associé aux caractéristiques psychotiques (p = 0,009) et saisonnières (p = 0,03) dans le groupe
BIP II.
Conclusion. — Les tempéraments hyperthymique et cyclothymique seraient associés aux
troubles bipolaires. Leur association aux caractéristiques psychotiques et saisonnières pourrait
renforcer leur intérêt dans la prédiction de la bipolarité.
© L’Encéphale, Paris, 2007.
KEYWORDS
Affective
temperaments;
Bipolar I disorder;
Bipolar II disorder;
Unipolar disorder;
Recurrent depressive
disorder
Summary
Introduction. — Recent research postulated that temperaments represent the subclinical foundations of affective disorders, and an early clue for a recurrent, prebipolar disorder. Akiskal et
al. operationalized five types of temperaments: depressive, hyperthymic, irritable, cyclothymic and anxious. The aims of this study were to compare the affective temperaments scores
in patients with bipolar I, II and recurrent depression disorders and to explore the relation
between temperaments scores and clinical features of those affective disorders.
Methods. — This was a comparative cross-sectional study, concerning three groups: patients
with bipolar I disorder (BIP I) (n = 31, 20 men and 11 women, mean age = 42.0 ± 10.1 years),
patients with bipolar II disorder (BIP II) (n = 18, 11 men and seven women, mean age = 40.7 ± 10.8
years) and patients with recurrent depressive disorder (RDD) (n = 66, 28 men and 38 women,
mean age = 45.0 ± 9.3 years). All patients were in remission of a major depressive episode.
The affective temperaments were assessed by the Akiskal and Mallya Affective Temperament
questionnaires.
Results. — Hyperthymic temperament mean scores were higher in BIP I (10.8 ± 5.4) and BIP
II (10.3 ± 5.5) groups compared to RDD group (5.5 ± 4.0) (p < 10−3 ). Depressive temperament
mean score was significantly higher in RDD group (10.5 ± 4.3), compared to BIP I (7.3 ± 4.6) and
BIP II (5.4 ± 2.9) groups (p < 10−3 ). Cyclothymic temperament mean score was higher in BIP II
group (4.7 ± 5.8) compared to BIP I (3.3 ± 3.9) and RDD (2.5 ± 3.9) groups, but this difference
was not significant (p = 0.08). No difference was found between the three groups concerning
irritable temperament scores.
Negative correlation was found between hyperthymic and depressive temperament scores in
BIP I (r = −0.81, p < 0.001) and RDD (r = −0.73, p < 0.001) groups, but not in BIP II group.
Concerning the clinical correlates with affective temperament scores, negative correlation
was found between hyperthymic temperament score and number of depressive episodes in BIP
II group (r = −0.53, p = 0.02). Hyperthymic temperament score was associated with psychotic
features in the last depressive episode in BIP I (p = 0.01) and BIP II (p = 0.008) groups and seasonal
features in BIP II group (p = 0.02). Moreover, cyclothymic temperament score was associated with
psychotic (p = 0.009) and seasonal features (p = 0.03) in BIP II group.
Conclusions. — Despite the small sample sizes for our study groups, we can conclude that hyperthymic and cyclothymic temperaments characterized bipolar disorders and are correlated with
other markers of bipolarity such as psychotic and seasonal features. Thus, temperament assessment might become a useful tool to predict bipolarity in association with those markers.
© L’Encéphale, Paris, 2007.
Introduction
La psychose maniacodépressive de Kraepelin a connu
une évolution nosographique, avec la distinction des
différents troubles bipolaires et unipolaires en fonction des arguments génétiques, épidémiologiques,
cliniques et évolutifs [10]. Depuis de nombreux travaux ont porté sur la répartition typologique de ces
troubles de l’humeur, ce qui rend compte de leur grande
hétérogénéité, avec multiples formes symptomatiques
des épisodes (manie dysphorique, hypomanie. . .) et
différents modes évolutifs (virage, cycles rapides. . .)
aboutissant au développement de la notion du spectre
bipolaire [6]. Dans ce cadre, l’apport de l’évaluation
des traits de personnalité et en particulier des tempéraments affectifs a été suggéré, pour tenter à
démembrer l’hétérogénéité clinique et évolutive de ces
troubles [17,28].
Les tempéraments affectifs constituent des traits prémorbides des épisodes affectifs majeurs, correspondent à
un dérèglement subsyndromique et représentent la base
constitutionnelle de la personnalité [6,16]. Il s’agit d’une
notion ancienne évoquée par Kraepelin, qui a donné une
place importante aux tempéraments affectifs dans la clinique des troubles de l’humeur. Cette notion a été reprise
et rendue opérationnelle par Akiskal et Mallya [5], avec
l’élaboration des critères standardisés pour l’évaluation des
tempéraments hyperthymique, dépressif, cyclothymique et
irritable. Une nouvelle version de ces critères a été récemment publiée [1]. Une autre approche pour l’étude des
tempéraments affectifs a été développée par Cloninger et
al. [14]. Il s’agit d’un modèle intégratif, reposant sur des
arguments à la fois cliniques, neurobiologiques et génétiques. Ces différentes approches ont montré l’existence
de tempéraments affectifs différents dans les troubles de
l’humeur, considérés comme des marqueurs de vulnérabi-
Tempéraments affectifs dans les troubles bipolaires et unipolaires : comparaison des profils
lité d’origine probablement génétique. L’influence possible
de ces tempéraments sur l’expression symptomatique (typologie des accès thymiques) et sur l’évolution des épisodes
thymiques (virage, prédiction d’une évolution bipolaire) a
été évoquée, pouvant conditionner la prise en charge thérapeutique [28].
Nos objectifs étaient d’évaluer les tempéraments affectifs (hyperthymique, dépressif, cyclothymique et irritable)
chez des patients ayant présenté un épisode dépressif
majeur rentrant dans le cadre des troubles bipolaires I, II
ou du trouble dépressif récurrent, et de rechercher les corrélations entre tempéraments affectifs et caractéristiques
cliniques de ces troubles.
Patients et méthode
Il s’agit d’une étude transversale et comparative menée
durant le premier semestre 2003. Elle a porté sur des
patients suivis à la consultation externe de psychiatrie du
CHU de Monastir (Tunisie), pour troubles de l’humeur avec
l’épisode le plus récent de type dépressif majeur selon les
critères diagnostiques DSM-IV [8]. Les critères d’inclusion
étaient un âge compris entre 18 et 70 ans, un dernier épisode dépressif majeur en rémission partielle ou complète,
des antécédents d’au moins un épisode dépressif, maniaque
ou hypomaniaque antérieur et un consentement libre. Les
critères d’exclusion étaient un épisode dépressif isolé, une
pathologie neurologique associée, un épisode dépressif du
à une affection médicale générale ou induit par une substance, une absence de rémission de l’épisode dépressif le
plus récent, un virage maniaque ou hypomaniaque et le refus
de participation.
Au total, nous avons recruté 115 patients (59 hommes
et 56 femmes). L’âge moyen de l’échantillon total était
de 44,0 ± 9,9 ans. Les patients étaient répartis en trois
groupes : patients ayant un trouble bipolaire I (BIP I, n = 31),
patients ayant un trouble bipolaire II (BIP II, n = 18) et
patients ayant un trouble dépressif récurrent (TDR, n = 66)
(Tableau 1).
Tableau 1
479
Le recueil des données cliniques a été fait à partir
des dossiers médicaux et en utilisant une fiche d’analyse
clinique. Les variables étudiées étaient les données sociodémographiques (âge et sexe), les antécédents psychiatriques
personnels (âge du premier épisode thymique, type du
premier accès thymique, nombre des épisodes thymiques
antérieurs) et les spécifications cliniques et évolutives du
dernier épisode dépressif majeur (sévérité, caractéristiques
psychotiques, mélancoliques, atypiques et saisonnières).
L’évaluation des tempéraments a été réalisée par la
passation au cours d’un entretien clinique, des questionnaires semi-structurés des tempéraments affectifs d’Akiskal
et Mallya [5], après traduction et adaptation en arabe
dialectal. La version utilisée était celle de Hantouche et
Akiskal [21], comprenant deux hétéroquestionnaires évaluant les tempéraments hyperthymique et dépressif, chacun
à 22 items, un questionnaire d’évaluation du tempérament
cyclothymique à 21 items et un questionnaire d’évaluation
du tempérament irritable à 20 items. Les quatre questionnaires ont été passés en hétéroévaluation par le même
examinateur, pour faciliter le remplissage et limiter le
temps de passation. La cohérence interne des questionnaires
utilisés était satisfaisante avec des coefficients alpha de
Cronbach entre 0,85 et 0,89.
L’analyse statistique a été effectuée par le logiciel SPSS
version 10,0. La comparaison des fréquences et scores des
tempéraments affectifs entre les trois groupes a été réalisée respectivement par le test khi-carré et une Anova suivie
du test de Tukey pour les comparaisons deux à deux. Pour
l’analyse des rapports entre les scores des tempéraments
affectifs et les variables cliniques, nous avons utilisé le test
« t » de Student et le coefficient de corrélation de Pearson.
Le seuil de significativité était fixé à 5 %.
Résultats
Fréquences et scores des tempéraments affectifs
Le tempérament hyperthymique était significativement plus
fréquent dans les groupes BIP I (64,5 %) et Bip II (55,6 %),
Caractéristiques démographiques et cliniques des groupes BIP I, BIP II et TDR.
Caractéristiques démographiques et cliniques
BIP I (n = 31)
BIP II (n = 18)
TDR (n = 66)
Âge moyen
Extrêmes
Sexe (H/F)
Âge moyen au premier épisode thymique
Durée moyenne d’évolution
Nombre moyen d’épisodes thymiques antérieurs
Sévérité du dernier épisode thymique (%)
Moyenne
Sévère sans caractéristiques psychotiques
Sévère avec caractéristiques psychotiques
Spécifications cliniques du dernier épisode (%)
Caractéristiques mélancoliques
Caractéristiques atypiques
42,0 ± 10,1
18—63
20/11
22,9 ± 6,0
19,1 ± 10,5
8,8 ± 3,2
40,7 ± 10,8
23—70
11/7
27,2 ± 7,6
13,4 ± 8,5
6,9 ± 3,7
44,5 ± 9,3
22—68
28/38
34,2 ± 10,1
11,7 ± 9,1
5,0 ± 2,9
51,6
29,0
19,3
61,1
16,7
22,2
60,6
31,8
7,6
22,6
25,8
11,1
38,9
10,0
6,1
19,3
27,8
13,6
Caractère saisonnier des épisodes (%)
BIP I : trouble bipolaire I, BIP II : trouble bipolaire II, TDR : trouble dépressif récurrent.
480
Tableau 2
L. Gassab et al.
Scores des tempéraments affectifs dans les groupes BIP I, BIP II et TDR.
Score moyen ± DS
BIP I n = 31
BIP II n = 18
TDR n = 66
Anova
Test de Tukey (p)
−3
10,8 ± 5,4
10,3 ± 5,5
5,5 ± 4,0
Tempérament dépressif
7,3 ± 4,6
5,4 ± 2,9
10,5 ± 4,3
F2,112 = 13,5 p < 10−3
Tempérament cyclothymique
3,3 ± 3,9
4,7 ± 5,8
2,5 ± 2,9
F2,112 = 2,5 p = 0,08
Tempérament irritable
4,4 ± 3,0
4,6 ± 3,4
4,1 ± 2,6
F2,112 = 0,3 p = 0,73
Tempérament hyperthymique
F2,112 = 16,9 p < 10
BIP
BIP
BIP
BIP
BIP
BIP
BIP
BIP
BIP
BIP
BIP
BIP
I vs. BIP II = 0,92
I vs. TDR < 10−3
II vs. TDR = 0,001
I vs. BIP II = 0,28
I vs. TDR = 0,002
II vs. TDR < 10−3
I vs. BIP II = 0,42
I vs. TDR = 0,59
II vs. TDR = 0,07
I vs. BIP II = 0,99
I vs. TDR = 0,81
II vs. TDR = 0,80
BIP I : trouble bipolaire I, BIP II : trouble bipolaire II, TDR : trouble dépressif récurrent.
comparés au groupe TDR (24,2 %) (2 = 16,4, df = 2, p < 10−3 ).
Le score moyen du tempérament hyperthymique était significativement plus élevé dans les groupes BIP I (10,8 ± 5,4)
et BIP II (10,3 ± 5,5) par rapport au groupe TDR (5,5 ± 4,0)
(F2,112 = 16,9, p < 10−3 ). Le tempérament dépressif était
significativement plus fréquent dans le groupe TDR (63,6 %)
comparé aux groupes BIP I (22,5 %) et BIP II (22,2 %)
(2 = 19,2, df = 2, p < 10−3 ). Le score moyen du tempérament
dépressif était significativement plus élevé dans le groupe
TDR (10,5 ± 4,3), comparé aux groupes BIP I (7,3 ± 4,6) et
BIP II (5,4 ± 2,9) (F2,112 = 13,5, p < 10−3 ). Le score moyen du
tempérament cyclothymique était plus élevé dans le groupe
BIP II (4,7 ± 5,8), par rapport au groupe BIP I (3,3 ± 3,9)
et surtout au groupe TDR (2,5 ± 3,9), mais sans différence
significative (F2,112 = 2,5, p = 0,08). Le score moyen du tempérament irritable était comparable entre les trois groupes
(Tableau 2). Il n’y avait pas une différence significative entre
les hommes et les femmes, concernant les scores des tempéraments affectifs dans les trois groupes.
Par ailleurs, le tempérament hyperthymique était négativement corrélé au tempérament dépressif, dans les groupes
BIP I (r = −0,81, p < 0,001) et TDR (r = −0,73, p < 0,001).
En revanche, cette corrélation n’était pas trouvée dans le
groupe BIP II.
Tempéraments affectifs et caractéristiques
cliniques
Âge du premier épisode thymique
Il n’y avait pas de corrélation entre les scores des tempéraments hyperthymique, dépressif et cyclothymique et l’âge
du premier épisode thymique dans les trois groupes. Toutefois, une corrélation positive a été constatée entre le score
moyen du tempérament irritable et l’âge du premier épisode thymique dans les groupes BIP I (r = 0,34, p = 0,05) et
BIP II (r = 0,53, p = 0,02).
Nombre d’épisodes thymiques antérieurs
Nous avons trouvé une corrélation négative entre le score
de tempérament hyperthymique et le nombre d’épisodes
dépressifs antérieurs dans le groupe BIP II (r = −0,53,
p = 0,02).
Caractéristiques du dernier épisode dépressif
Le score moyen du tempérament hyperthymique était
significativement plus élevé en présence des caractéristiques psychotiques lors du dernier épisode dépressif dans
les groupes BIP I : 14,7 ± 1,5 versus 10,4 ± 5,5 (t = 3,12,
p = 0,01) et BIP II : 12,0 ± 4,8 versus 4,2 ± 2,7 (t = 3,01,
p = 0,008), et du caractère saisonnier des épisodes dans
le groupe BIP II : 12,0 ± 4,7 versus 5,8 ± 5,4 (t = 2,4,
p = 0,02). De même, le score moyen du tempérament
cyclothymique était significativement plus élevé en présence de caractéristiques psychotiques : 11,0 ± 6,2 versus
2,9 ± 4,4 (t = 2,98, p = 0,009), et saisonnières : 9,2 ± 7,3 versus 3,0 ± 4,2 (t = 2,28, p = 0,03) dans le groupe BIP II. En
revanche, il n’y avait pas de relation entre les tempéraments
affectifs et les autres caractéristiques cliniques, telles que
les caractéristiques mélancoliques et atypiques.
Discussion
Notre travail a permis d’évaluer les tempéraments affectifs chez des patients ayant un trouble bipolaire I, II ou
un trouble dépressif récurrent, tous en rémission d’un
épisode dépressif majeur. Une association était trouvée
entre tempéraments hyperthymique et cyclothymique et
troubles bipolaires et entre tempérament dépressif et
trouble dépressif récurrent. Des corrélations ont été constatées entre tempéraments hyperthymique et cyclothymique
et caractéristiques psychotiques et saisonnières chez les BIP
I et II. Certaines limites de ce travail devraient être toutefois prises en considération. Elles sont liées à la taille
réduite des groupes, au recueil rétrospectif des données et
à l’hétérogénéité clinique et évolutive des patients (nombre
et nature des épisodes antérieurs et durée d’évolution
variables). L’inclusion des patients en rémission d’un dernier
épisode dépressif majeur était conditionnée par un souci
d’homogénéisation des groupes étudiés. Plusieurs auteurs
relativisent néanmoins l’influence de l’épisode thymique sur
le tempérament affectif [3,7,26]. La répartition des patients
en BIP I, BIP II et TDR était basée sur les données des dossiers
médicaux en appliquant les critères du DSM-IV. Nous n’avons
pas procédé à l’évaluation systématique de l’hypomanie,
ce qui pourrait entraîner une méconnaissance de la bipola-
Tempéraments affectifs dans les troubles bipolaires et unipolaires : comparaison des profils
rité de type II parmi les patients ayant un TDR. Par ailleurs,
nous avons utilisé une version traduite, en cours de validation des questionnaires d’évaluation des tempéraments
affectifs, ce qui pourrait comporter certains biais inhérents
aux particularités socioculturelles de la population étudiée.
Néanmoins, les questionnaires des tempéraments affectifs
utilisés, ont montré des bonnes caractéristiques psychométriques de cohérence et d’homogénéité d’items dans leur
version traduite en arabe dialectal. Nos résultats sont similaires à ceux publiés dans d’autres pays [1,9,23].
En accord avec les données de la littérature
[1,4,11,18,25], les tempéraments hyperthymique et
cyclothymique étaient associés aux troubles bipolaires I
et II et le tempérament dépressif au trouble dépressif
récurrent. Chez les bipolaires I, Henry et al. [22], ont
rapporté un score moyen de tempérament hyperthymique
de 11,6 ± 5,0, comparable à celui trouvé dans notre étude.
Perugi et al. [26] ont trouvé que le tempérament hyperthymique était présent chez prés du tiers des patients et que
cette fréquence était peu influencée par le type du dernier
épisode thymique. Dans l’étude EPIDEP [7,18], le tempérament hyperthymique était présent chez 37 % dans le trouble
bipolaire II contre 16 % dans le trouble dépressif récurrent.
Dans la même étude, le score moyen de tempérament
cyclothymique était significativement plus élevé chez les
bipolaires II, comparés aux patients unipolaires [18]. En
revanche dans notre étude, la différence au niveau du score
de tempérament cyclothymique entre les bipolaires II et
les unipolaires n’était pas significative. Cela pourrait être
expliqué par la taille réduite du groupe BIP II, l’absence de
dépistage systématique de l’hypomanie et à la passation en
hétéroévaluation du questionnaire.
Le tempérament dépressif avait une fréquence significativement plus élevée chez les unipolaires (57 %) par rapport
aux bipolaires II (39 %) [18]. Chez les bipolaires I, la fréquence du tempérament dépressif était de 28 à 40 % selon la
nature du dernier épisode thymique, mais cette différence
n’était pas significative [26]. Ces constatations suggèrent
que les tempéraments affectifs constituent une composante
biologique innée de la personnalité, peu influencée par
l’épisode thymique.
Par ailleurs, une corrélation négative a été trouvée, dans
notre étude, entre tempéraments hyperthymique et dépressif dans les groupes BIP I et TDR. Ce résultat rejoint les
données de la littérature, soulignant le fait qu’un patient
avec tempérament hyperthymique, ne pourrait pas avoir de
traits de tempérament dépressif et l’inverse [22]. Toutefois,
cette corrélation n’était pas établie chez les bipolaires II, ce
qui est en faveur de l’intrication des différents traits tempéramentaux chez ces patients. Cette donnée a été soulignée
dans l’étude EPIDEP [7,18].
Dans notre étude, une corrélation positive a été trouvée
entre tempérament irritable et l’âge du premier épisode
thymique dans les groupes BIP I et II. En revanche, chez
les bipolaires I, Henry et al. [22] n’ont pas trouvé de corrélation entre tempéraments affectifs et âge du premier
épisode thymique. Chez les bipolaires II, Akiskal et al. [2],
ont montré l’existence d’une corrélation entre l’âge précoce du début et le tempérament cyclothymique. En effet,
l’âge de début des symptômes thymiques, l’âge à la première consultation et à la première hospitalisation étaient
significativement plus précoces chez les bipolaires II avec
481
tempérament cyclothymique. Chez les unipolaires, Cassano
et al. [11], ont trouvé un âge à la première hospitalisation
plus précoce chez les patients avec tempérament hyperthymique, pouvant prédire une évolution bipolaire. Les biais
relatifs à la détermination de l’âge de début pourraient
expliquer les divergences des résultats obtenus.
Dans notre étude, le score de tempérament hyperthymique était négativement corrélé au nombre d’épisodes
dépressifs dans le groupe BIP II. Un résultat comparable a
été rapporté chez des bipolaires I [22], avec une corrélation négative entre tempérament hyperthymique et nombre
d’épisodes thymiques et une corrélation positive entre tempérament dépressif et nombre d’épisodes dépressifs. Alors
que, le nombre d’épisodes maniaques était corrélé positivement avec le tempérament hyperthymique et négativement
avec le tempérament dépressif [22], chez les bipolaires
II, le tempérament cyclothymique était corrélé au nombre
d’épisodes thymiques et surtout dépressifs [2]. Ce tempérament est rarement associé aux épisodes maniaques typiques
[19]. En effet, les tempéraments cyclothymique et dépressif sont plutôt corrélés aux manies dysphoriques chez les
patients bipolaires.
Concernant la sévérité des épisodes dépressifs, certains
auteurs [20], ont montré que les patients avec tempérament
cyclothymique font plus d’épisodes dépressifs sévères, alors
que, Mendlowicz et al. [25], n’ont pas trouvé de corrélation
entre tempéraments affectifs et sévérité du dernier épisode
dépressif.
Par ailleurs, nous avons mis en évidence une association
entre les tempéraments hyperthymique et cyclothymique et
les caractéristiques psychotiques chez les BIP I et II. D’autres
auteurs [24] ont rapporté l’association du tempérament irritable aux caractéristiques psychotiques chez les patients
bipolaires. Dell’Osso et al. [15], ont établi une corrélation
inverse entre tempérament hyperthymique et caractéristiques psychotiques non congruentes à l’humeur chez les
bipolaires I. L’association des caractéristiques psychotiques
à une dysrégulation tempéramentale complexe comportant
des traits cyclothymiques et irritables a été constatée chez
les patients bipolaires [3]. Concernant les caractéristiques
atypiques, plusieurs auteurs [2,27] ont constaté leur association au tempérament cyclothymique. Dans notre étude,
les tempéraments hyperthymique et cyclothymique étaient
corrélés au caractère saisonnier des épisodes chez les BIP
II. En accord avec nos résultats, Akiskal et al. [2], ont
trouvé une corrélation entre tempérament cyclothymique et
caractère saisonnier des épisodes dépressifs, ce qui renforce
l’intérêt de la saisonnalité des épisodes comme indicateur
de bipolarité.
Conclusion
Nos résultats confrontés aux données de la littérature soulignent le rôle des tempéraments affectifs et en particulier
hyperthymique et cyclothymique dans le diagnostic de la
bipolarité, surtout en présence d’autres indicateurs de bipolarité tels que les caractéristiques psychotiques, atypiques
ou saisonnières, aboutissant à l’élargissement du spectre
bipolaire.
Par ailleurs, plusieurs arguments plaident en faveur
de l’existence des caractéristiques tempéramentales intri-
482
quées dans le trouble bipolaire II. Alors que, le tempérament
dépressif serait plus spécifique du trouble dépressif
récurrent. L’influence des tempéraments affectifs sur
l’expression clinique et sur l’évolution des épisodes thymiques est bien établie. Enfin, ces tempéraments seraient
l’expression phénotypique des facteurs génétiques prédisposants aux troubles de l’humeur et pourraient donc
constituer des dimensions candidates pour la recherche des
gènes de vulnérabilité [12,13].
L. Gassab et al.
[13]
[14]
[15]
Références
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