S72 J.-M. Azorin et al.
variante extrême du précédent. Il se caractérise par des
accès de colère excessifs et sans commune mesure avec les
évènements susceptibles de les avoir déclenchés. Les sujets
à tempérament irritable sont volontiers bagarreurs, agressifs,
sceptiques et très critiques. Leur relation à autrui est de
ce fait très instable et souvent explosive, avec des confl its
répétés [3]. Des instruments standardisés permettent en
pratique une évaluation quantifi ée de ces tempéraments [4].
Tempéraments et maladie bipolaire
Les tempéraments semblent intervenir dans le déclenche-
ment, la nature et l’évolution des troubles bipolaires. Une
étude prospective réalisée chez des enfants et adolescents
souffrant de trouble dépressif majeur a pu montrer que
l’existence d’un tempérament cyclothymique était prédic-
tive de la survenue d’un trouble bipolaire associé à un degré
élevé de suicidalité [9].
L’étude EPIMAN II Mille a, de façon rétrospective, suggéré
le rôle joué par les tempéraments dans le déclenchement de
la maladie. Pour atténuer ou renforcer les effets de leur tem-
pérament, les sujets sont amenés à consommer des toxiques,
ce qui conduit à des confl its interpersonnels, augmente leur
niveau de stress et provoque la survenue du premier épisode ;
les épisodes suivants seraient quant à eux entretenus par
un mécanisme de Kindling ou de sensibilisation [10,11]. Les
patients ayant un tempérament hyperthymique débutent plus
volontiers leur maladie par un épisode maniaque et ont une
polarité maniaque prédominante ; les patients à tempérament
dépressif débutent leur affection par un épisode dépressif
et ont une polarité dépressive prédominante ; les patients
cyclothymiques ont plus de début mixte, avec une polarité
mixte prédominante [10]. De façon générale les états mixtes
seraient liés à la survenue d’un épisode thymique sur un
tempérament de polarité opposée : cela a pu être montré à la
fois pour les manies mixtes [12] et les dépressions mixtes [13].
Les tempéraments sont également susceptibles de modifi er le
cours évolutif des épisodes : ainsi dans l’étude EPIMANN II Mille
l’un des facteurs prédictifs de la survenue de cycles rapides
était la présence d’un tempérament cyclothymique [14]. Les
études EPIMAN II Mille pour le trouble bipolaire I et EPIDEP
pour le trouble bipolaire II ont également montré que la pré-
sence d’un tempérament cyclothymique était associée à une
augmentation du risque suicidaire [15,16]. Les tempéraments
interviennent enfi n dans le déterminisme des comorbidités
psychiatriques rencontrées dans les troubles bipolaires. Nous
avons évoqué plus haut le mécanisme par lequel étaient
associées les comorbidités addictives. Il semble que les
comorbidités avec les troubles des conduites alimentaires et
en particulier la boulimie fassent intervenir l’impulsivité asso-
ciée à l’existence d’un tempérament cyclothymique [17]. La
présence d’un tempérament irritable favorise elle l’existence
d’une comorbidité anxieuse, en contribuant à augmenter le
niveau de stress des sujets [18]. L’existence d’une comorbi-
dité anxieuse contribue par ailleurs à aggraver l’évolution
du trouble bipolaire et favoriserait peut-être la survenue de
comorbidités organiques [18].
Aspects génétiques et biologiques
À la suite des observations princeps de Kraepelin, plusieurs
études récentes ont montré d’une part que les tempéraments
affectifs étaient plus marqués chez les patients souffrant de
troubles bipolaires que chez des sujets contrôles, et que par
ailleurs ces tempéraments étaient plus prononcés chez des
apparentés sains de premier degré de patients bipolaires que
chez des sujets contrôles ou des apparentés sains de premier
degrés de patients unipolaires [19,20]. Dans la plupart de ces
études les différences entre patients bipolaires, apparentés
sains de premier degré et sujets contrôles sont les plus nettes
sur les tempéraments cyclothymiques.
Concernant les études proprement génétiques, une
première étude de linkage suggérait une association du
tempérament cyclothymique au locus chromosomique 18p11
au sein de familles souffrant de troubles bipolaires, ainsi
que des associations plus faibles sur les chromosomes 3 et
7 [21]. Une étude GWA plus récente [22] également réalisée
chez des patients bipolaires montre une forte association du
tempérament irritable sur le chromosome 1, une association
du tempérament hyperthymique sur les chromosomes 12 et 22
ainsi qu’une association du tempérament cyclothymique sur le
chromosome 13q 31, sur une région par ailleurs déjà retrouvée
associée au trouble bipolaire et à l’existence de symptômes
psychotiques. Par ailleurs d’autres associations potentielles
sont suggérées pour les tempéraments dépressif et anxieux.
Au niveau des études de biologie moléculaire, une
association a été retrouvée entre l’allèle s du gène du trans-
porteur de la sérotonine et l’ensemble des tempéraments
comportant une composante dépressive, à savoir les tem-
péraments dépressif, cyclothymique et irritable [23]. Il est
intéressant de noter que cet allèle a, par ailleurs, été associé
à des composantes de la maladie bipolaire que l’on retrouve
liées sur le plan clinique à la présence des tempéraments
à composantes dépressives : dépression bipolaire, anxiété,
suicide, éthylisme et réactivité au stress [10]. Aucune
association directe n’a été retrouvée pour le tempérament
hyperthymique ; en revanche une association a été rapportée
entre la recherche de nouveauté, dimension liée au tempé-
rament hyperthymique [6] et un polymorphisme du gène de
transporteur de la dopamine (DAT1) [24], lui-même associé
à la prise de stimulants chez les patients bipolaires [10].
Aucune association directe ou indirecte n’a été retrouvée
pour le tempérament cyclothymique. En revanche, sur le
plan purement biologique, le tempérament cyclothymique
semble se caractériser par une variabilité extrême dans les
réponses comportementales et biologiques au stress [25].
Aspects phylogénétiques
et anthropo-culturels
Pour rendre compte du lien génétique entre tempéraments et
trouble bipolaire, Akiskal et Akiskal, 2005 [3] en ont proposé
une conceptualisation évolutionniste, selon laquelle le prix
à payer pour la conservation des gènes ayant une valeur
adaptative, serait le risque potentiel de trouble bipolaire.
Dans cette conception, le trouble bipolaire constituerait
ainsi un « réservoir génétique » à l’égard des tempéraments
adaptatifs [26].
Selon ce modèle, le tempérament hyperthymique
favoriserait le leadership, l’exploration et la conquête du
territoire ; le tempérament dépressif caractérisé par la
sensibilité à la souffrance, serait particulièrement utile dans
le soin apporté à la progéniture et aux membres malades de
l’espèce. Chez l’homme ces traits auraient évolué vers le sens
du sacrifi ce et la dévotion aux autres, famille, institution,
corps social, favorisant ainsi la conformité aux rôles et aux
normes. Les traits du tempérament dépressif se recoupent