Particularisme clinique du trouble bipolaire : la manie unipolaire 341
atteignant même les 60 % pour certains [5,12], taux lar-
gement supérieur à celui retrouvé dans notre étude. En
effet, du fait de son caractère illicite, la consommation
de toxiques est souvent non rapportée, voire niée par les
patients et, de ce fait, sous-diagnostiquée dans notre pays.
Nous avons noté plus de consommation chez les
maniaques bipolaires. Douki dans son étude rapporte
l’absence d’abus de substance chez les maniaques unipo-
laires [4] : l’abus de substance serait lié aux manifestations
dépressives [12].
Aspects cliniques
Prévalence de la manie, taux de manies unipolaires
L’incidence élevée de manies ainsi que le taux important de
manies unipolaires constatés dans ce travail ont été rappor-
tés dans certaines études.
En effet, de nombreux auteurs ont mis l’accent sur
les différences quant à l’expression de la bipolarité entre
l’occident, d’une part, et le reste du monde, d’autre
part [3]. Cela suggère l’existence de facteurs susceptibles
d’affecter la traduction de la maladie.
Dans notre pays, les épisodes dépressifs d’intensité
légère à modérée sont probablement sous-évalués du fait de
la grande tolérance à ces symptômes dans les familles [3].
Les habitudes nutritionnelles des pays méditerranéens
(riches en oméga-3 et en nutriments dopaminergiques), la
photopériode ainsi que la saisonnalité ont également une
influence non négligeable [3].
Taux de manie unipolaire. Une étude récente faite aux îles
Fidji mentionne un taux de 47 % chez les patients atteints
de trouble bipolaire [1]. Lee, à Hong Kong, observe une
prévalence élevée de manies récurrentes et la rareté des
dépressions unipolaires (in [3]).
Une étude prospective tunisienne menée sur 129 patients
bipolaires suivis en moyenne depuis 17 ans retrouve 35,6 %
de manies unipolaires [3,4].
À l’opposé, les études européennes trouvent une inci-
dence plus faible de ces formes évolutives, entre 12 et 25 %.
Une méta-analyse menée par Yazici et al. en 2002 rapporte
16 % de manies unipolaires [3,13].
Prévalence de la manie. Une forte prévalence des épisodes
maniaques est rapportée dans les pays du Sud : Douki et al.
signalent en moyenne, au cours de l’évolution d’un trouble
bipolaire, 4,9 épisodes maniaques et 1,7 épisodes dépres-
sifs. Ils ajoutent que sur 106 patients bipolaires hospitalisés
en Tunisie entre juin 2003 et mai 2004, 96 % l’ont été pour
manie et 5 % pour dépression [3]. Ces résultats confortent
ceux de notre étude.
En dehors de l’occident, la manie est plus fréquente que
la dépression et souvent sous forme de manies récurrentes
pures [3].
En revanche, dans les études occidentales, la dépression
est plus fréquente que la manie. Elle est le mode d’entrée
le plus fréquent dans le trouble (plus de 50 % des cas) [8].
Nous avons retrouvé, à l’opposé, 60 % d’épisodes
maniaques inauguraux.
Carrothers, dans une étude sénégalaise entre 1939 et
1948 rapportait un taux d’épisodes dépressifs dix fois plus
important chez les Européens que chez les Africains (in [3]).
Âge de début
L’âge de début était significativement plus précoce chez les
unipolaires. En effet, de nombreuses études ont souligné des
particularités cliniques du trouble bipolaire dans les pays du
Sud notamment un âge de début précoce [3]. De même,
la fréquence de caractéristiques psychotiques lors des épi-
sodes maniaques a été relevée. Nous avons évalué à 40 %
la fréquence des symptômes psychotiques lors des récur-
rences maniaques, résultat proche de celui de Douki et al.
(45 %) [3]. Les unipolaires présenteraient plus fréquemment
des caractéristiques psychotiques [4], ce que nous n’avons
pas objectivé.
Saisonnalité. Douki a relevé, parmi les particularités de la
manie unipolaire, un début automnal [4] ; dans notre étude,
en ce qui concerne la saison du premier épisode, un pic
«été—automne »a été constaté pour les manies unipolaires
versus «hiver—printemps »pour le reste de l’échantillon.
L’influence de la saisonnalité sur les troubles affectifs
semble être en rapport avec les facteurs climatiques et les
conditions d’ensoleillement [3].
Carney en 1988 a noté une corrélation entre, d’une part,
le nombre des admissions pour accès maniaque et, d’autre
part, la durée d’ensoleillement et la longueur des jours avec
un pic en été au moment du jour le plus long, suggérant une
réactivité particulière de certains patients à la lumière [11].
D’autres études sur la manie rapportent un pic de fré-
quence en été [3].
Dans le même sens, Douki en Tunisie a essayé de cor-
réler les admissions pour épisodes maniaques entre 1994 et
1997 avec l’évolution de la photopériode à la même époque :
le nombre de manies augmente avec l’allongement de la
photopériode.
Dans la même optique, nous avons constaté un maximum
d’admission pour accès maniaque entre 1997 et 2001 en
été, début d’automne et fin de printemps, moments où les
journées sont les plus longues.
Aspects évolutifs
Dans notre étude, le caractère saisonnier était indifférem-
ment retrouvé dans les deux groupes et évalué à 23,6 %,
résultat proche de celui rapporté par Schaffer et al. en 2003
qui estimaient à 22,6 % la prévalence du trouble bipolaire
saisonnier au sein des bipolaires [9].
Par ailleurs, la moyenne des récurrences thymiques, la
durée moyenne des épisodes ainsi que la durée totale de
la maladie étaient comparables dans les deux groupes.
Aghanwa a mentionné les mêmes résultats dans son
travail [1].
Quant à la qualité des intervalles, les deux groupes
étaient comparables avec un taux de rémission totale entre
les épisodes de 52 %. Goldberg estime à 40 % les sujets bipo-
laires suivis ayant eu une évolution favorable avec reprise
d’une activité professionnelle au cours des quatre à cinq ans
suivant une hospitalisation (in [2]).
Limites de l’étude
Notre travail présente cependant des biais méthodologiques
inhérents à son caractère rétrospectif, nous limitant à une
étude de suivi à partir de dossiers médicaux où, d’une