
Chez les patients ayant un syndrome
dépressif majeur et atteints de cancer
le risque suicidaire est multiplié par
deux par rapport aux patients dépri-
més qui ne sont pas atteints par le
cancer. L’étude de référence est celle
de Hem, réalisée sur 37 ans, en utili-
sant le registre du cancer en Norvè-
ge, et publiée en 2004. (Hem E.,
Loge J., Haldorsen T., Ekeberg O.,
« Suicide risk in patients from 1960 to
1999 », Journal of Clinical Oncology,
2004, Vol. 22 (20), 4209-16).
Elle montre :
– que les suicides sont plus fré-
quents chez les hommes atteints de
cancer (x1,5),
– qu’ils surviennent dans les 6 mois
qui suivent l’annonce du diagnostic :
c’est donc une période pendant
laquelle il faut être particulièrement
vigilant.
– et que le facteur déclenchant du
passage à l’acte suicidaire le plus si-
gnificatif est l’absence de proches.
En 1998, Holland liste les facteurs de
risque de suicide en cancérologie. Il
retrouve que avoir un stade avancé
de cancer, une localisation particuliè-
re de ce cancer (ORL, poumon),
avoir un cancer de mauvais pronos-
tic, avoir un épisode dépressif majeur
ou des antécédents de trouble psy-
chiatrique, avoir déjà fait une tentati-
ve de suicide et être en situation de
dépendance augmentent le risque
suicidaire.
L’étude de O’Mahony S et al. publiée
en 2005 (O’Mahony S et al., J Pain
Symptom Manage. 2005 May ; 29
(5) : 446-57), réalisée sur 131 pa-
tients admis en Unité de Soins Pallia-
tifs, dont 64 sont réévalués à 4 se-
maines, a retrouvé des corrélations
entre le désir de hâter le moment de
sa propre mort et un indice de Kar-
nofsky bas, une humeur dépressive
importante, un impact fonctionnel
élevé et un soutien social perçu com-
me faible. Dans cette étude, l’amé-
lioration de l’humeur dépressive sur
4 semaines se traduit par une dimi-
nution du désir de hâter sa mort.
Ceci souligne l’importance de dépis-
ter et de traiter l’épisode dépressif
majeur chez ces patients en deman-
de d’euthanasie.
Une récente étude de corrélation
entre cancer, troubles psychiatriques
et idéations suicidaires, (Daniel T.
Rasic et al., J psycho-Oncology. Nov
2007) sur 36 984 patients atteints de
cancer, classés en 3 groupes en fonc-
tion de l’âge (15-54 ans, 55-74 ans,
et + de 75 ans), montre que chez les
sujets de 15 à 54 ans, il existe une as-
sociation entre cancer et augmenta-
tion des troubles dépressifs ou des
troubles paniques. Néanmoins, il
n’existe pas de corrélation avec les
idées suicidaires quel que soit le
groupe d’âge.
Dépression facteur de risque,
facteur pronostique du cancer ?
Les premières études concernant la
dépression en tant que facteur de
risque remontent aux années 1980. Il
existe une multitude d’études dans
ce domaine mais la majorité d’entre
elles ne sont pas significatives.
La première effectuée par Shekelle
et al., en 1981, réalisée sur de
2 018 hommes travaillant dans une
usine d’électricité, suivis pendant
17 ans a utilisé l’échelle « D » du
MMPI : elle rapporte une mortalité
par cancer 2,3 fois plus élevée chez
les patients déprimés. Cependant, les
rôles éventuels cancérigènes des va-
peurs toxiques, des champs élec-
triques et même du tabac n’avaient
pas été pris en compte par les auteurs.
Une étude sur le cancer du sein réali-
sée en 1988 par Hahn et al. sur
8 932 femmes, suivies pendant
17 ans, ne retrouve pas d’association
entre cancer du sein et dépression.
Les études de Zonderman et al.
(1989) (6 410 sujets, suivis pendant 8
à 9 ans) et de Bleiker et al. (1996)
(9 705 femmes, suivies pendant
5 ans pour cancer du sein) ne mon-
trent pas d’association entre inciden-
ce et mortalité des cancers et exis-
tence d’une dépression.
Les études concernant la dépression
en tant que
facteur pronostique
sont contradictoires. Elles ont porté
sur de petits effectifs (20 à 300 sujets
environ). Il existe quelques études
positives montrant une mortalité ac-
crue, une plus grande fréquence des
récidives ou des métastases chez les
patients déprimés.
Il existe une étude de 1979 étonnan-
te par ses résultats paradoxaux. Il
s’agit de l’étude de Derogatis, réali-
sée sur 35 femmes atteintes de can-
cer du sein métastasé, qui montre
une survie plus longue chez les pa-
tientes déprimées. De même l’étude
de Hermann et al. effectuée en 1998
sur une population de malades at-
teints d’affections onco-hématolo-
giques montre que la survie est
meilleure en cas de dépression asso-
ciée (RR ajusté = 1,5 **). (tableau 2)
Avec l’étude de B. Penninx et al.
(1998), on sort du cadre de la dé-
pression, pour rejoindre celui de la
dépressivité en s’interrogeant sur
son rôle, qu’elle soit chronique ou
passagère. Une population faisant
partie de la National Health and
Nutrition Examination Survey
(NHANES 1), regroupant
1 708 hommes et 3 117 femmes a
été étudiée. L’âge moyen des sujets
était de 71 ans, la durée moyenne de
G. Abgrall-Barbry L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S41-S44
S 42
La dépression : des pratiques aux théories 10
Oropharynx 22 % à 57 %
Pancréas 33 % à 50 %
Sein 1,5 % à 46 %
Poumon 11 % à 44 %
Colon 13 % à 25 %
Gynécologiques 12 % à 23 %
Lymphomes 8 % à 19 %
TABLEAU 1. — Pourcentages de la dépression
en fonction de la localisation néoplasique (2).