Actualités en psycho-oncologie G. Abgrall-Barbry QU’EST-CE QUE

QU’EST-CE QUE
LA PSYCHO-ONCOLOGIE ?
Ce terme désigne à la fois une disci-
pline scientifique et un ensemble de
pratiques cliniques s’exerçant au
cœur de la médecine oncologique. La
psycho oncologie a pour objet les as-
pects psychologiques et sociaux de la
maladie cancéreuse au niveau du pa-
tient, des proches, ainsi que des soi-
gnants. C’est donc une composante
de la multidisciplinarité du soin en
cancérologie.
La psycho oncologie s’intéresse à
l’adaptation psychologique du pa-
tient et de sa famille, aux difficultés
relationnelles, aux symptômes psy-
cho-pathologiques générés par la
maladie ou par les traitements, aux
comportements à risque, à la com-
munication soignant-soigné, aux
déterminants de l’observance théra-
peutique ou de l’alliance thérapeu-
tique…
Les objectifs de la psycho-oncologie
sont :
d’intégrer la dimension psychoso-
ciale à toutes les étapes de la prise en
charge : c’est-à-dire de l’annonce
diagnostique au traitement curatif ou
palliatif,
de participer aux débats sur la pri-
se en charge du patient,
et de poursuivre la recherche cli-
nique.
Bien sûr, l’objectif n’est pas d’assurer
la prise en charge psychologique de
tous les malades.
QU’EST-CE QU’UN
PSYCHO-ONCOLOGUE ?
Un professionnel en santé mentale
spécialisé dans la prise en charge des
patients en oncologie. Il s’agit donc
d’un psychologue clinicien ou d’un
psychiatre.
LE DÉVELOPPEMENT
DE LA PSYCHO-ONCOLOGIE
EN FRANCE
En France, le développement de la
psycho oncologie remonte à plus
d’une dizaine d’années. Les pre-
mières années, la psycho oncologie
s’effectuait par les psychologues
dans les services de cancérologie.
Elle a ensuite bénéficié du dévelop-
pement de la psychiatrie de liaison au
sein de l’hôpital général, des actions
de la Société Française de psycho-
oncologie, du soutien de la Ligue Na-
tionale Contre le Cancer et des états
généraux du cancer dans le cadre du
Plan Cancer.
Ces états généraux sont réguliers ;
le dernier date de 2005. Le rapport
Serin qui en a découlé montre
qu’en 2005, deux tiers des services
d’oncologie ont un psycho-onco-
logue. Toutes ces actions ont donc
permis le développement de cette
prise en charge des patients atteints
de cancer.
LA DÉPRESSION CHEZ LES
PATIENTS ATTEINTS DE CANCER
Épidémiologie
Il existe environ 5 à 10 % d’épisodes
dépressifs majeurs dans cette popu-
lation, 30 % de troubles de l’adapta-
tion (4), avec humeur anxieuse, avec
humeur dépressive, ou les deux. La
dépression survient d’autant plus
que le patient est douloureux ou
fonctionnellement handicapé, alors
que la sévérité du pronostic inter-
vient peu. L’épidémiologie de la dé-
pression selon le type de cancer est
illustrée dans le tableau 1.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
Conflit d’intérêt : aucun.
La dépression : des pratiques aux théories 10
Hôtel Dieu de Paris, 75181 Paris Cedex 4
Actualités en psycho-oncologie
G. Abgrall-Barbry
Chez les patients ayant un syndrome
dépressif majeur et atteints de cancer
le risque suicidaire est multiplié par
deux par rapport aux patients dépri-
més qui ne sont pas atteints par le
cancer. L’étude de référence est celle
de Hem, réalisée sur 37 ans, en utili-
sant le registre du cancer en Norvè-
ge, et publiée en 2004. (Hem E.,
Loge J., Haldorsen T., Ekeberg O.,
« Suicide risk in patients from 1960 to
1999 », Journal of Clinical Oncology,
2004, Vol. 22 (20), 4209-16).
Elle montre :
que les suicides sont plus fré-
quents chez les hommes atteints de
cancer (x1,5),
qu’ils surviennent dans les 6 mois
qui suivent l’annonce du diagnostic :
c’est donc une période pendant
laquelle il faut être particulièrement
vigilant.
et que le facteur déclenchant du
passage à l’acte suicidaire le plus si-
gnificatif est l’absence de proches.
En 1998, Holland liste les facteurs de
risque de suicide en cancérologie. Il
retrouve que avoir un stade avancé
de cancer, une localisation particuliè-
re de ce cancer (ORL, poumon),
avoir un cancer de mauvais pronos-
tic, avoir un épisode dépressif majeur
ou des antécédents de trouble psy-
chiatrique, avoir déjà fait une tentati-
ve de suicide et être en situation de
dépendance augmentent le risque
suicidaire.
L’étude de O’Mahony S et al. publiée
en 2005 (O’Mahony S et al., J Pain
Symptom Manage. 2005 May ; 29
(5) : 446-57), réalisée sur 131 pa-
tients admis en Unité de Soins Pallia-
tifs, dont 64 sont réévalués à 4 se-
maines, a retrouvé des corrélations
entre le désir de hâter le moment de
sa propre mort et un indice de Kar-
nofsky bas, une humeur dépressive
importante, un impact fonctionnel
élevé et un soutien social perçu com-
me faible. Dans cette étude, l’amé-
lioration de l’humeur dépressive sur
4 semaines se traduit par une dimi-
nution du désir de hâter sa mort.
Ceci souligne l’importance de dépis-
ter et de traiter l’épisode dépressif
majeur chez ces patients en deman-
de d’euthanasie.
Une récente étude de corrélation
entre cancer, troubles psychiatriques
et idéations suicidaires, (Daniel T.
Rasic et al., J psycho-Oncology. Nov
2007) sur 36 984 patients atteints de
cancer, classés en 3 groupes en fonc-
tion de l’âge (15-54 ans, 55-74 ans,
et + de 75 ans), montre que chez les
sujets de 15 à 54 ans, il existe une as-
sociation entre cancer et augmenta-
tion des troubles dépressifs ou des
troubles paniques. Néanmoins, il
n’existe pas de corrélation avec les
idées suicidaires quel que soit le
groupe d’âge.
Dépression facteur de risque,
facteur pronostique du cancer ?
Les premières études concernant la
dépression en tant que facteur de
risque remontent aux années 1980. Il
existe une multitude d’études dans
ce domaine mais la majorité d’entre
elles ne sont pas significatives.
La première effectuée par Shekelle
et al., en 1981, réalisée sur de
2 018 hommes travaillant dans une
usine d’électricité, suivis pendant
17 ans a utilisé l’échelle « D » du
MMPI : elle rapporte une mortalité
par cancer 2,3 fois plus élevée chez
les patients déprimés. Cependant, les
rôles éventuels cancérigènes des va-
peurs toxiques, des champs élec-
triques et même du tabac n’avaient
pas été pris en compte par les auteurs.
Une étude sur le cancer du sein réali-
sée en 1988 par Hahn et al. sur
8 932 femmes, suivies pendant
17 ans, ne retrouve pas d’association
entre cancer du sein et dépression.
Les études de Zonderman et al.
(1989) (6 410 sujets, suivis pendant 8
à 9 ans) et de Bleiker et al. (1996)
(9 705 femmes, suivies pendant
5 ans pour cancer du sein) ne mon-
trent pas d’association entre inciden-
ce et mortalité des cancers et exis-
tence d’une dépression.
Les études concernant la dépression
en tant que
facteur pronostique
sont contradictoires. Elles ont por
sur de petits effectifs (20 à 300 sujets
environ). Il existe quelques études
positives montrant une mortalité ac-
crue, une plus grande fréquence des
récidives ou des métastases chez les
patients déprimés.
Il existe une étude de 1979 étonnan-
te par ses résultats paradoxaux. Il
s’agit de l’étude de Derogatis, réali-
sée sur 35 femmes atteintes de can-
cer du sein métastasé, qui montre
une survie plus longue chez les pa-
tientes déprimées. De même l’étude
de Hermann et al. effectuée en 1998
sur une population de malades at-
teints d’affections onco-hématolo-
giques montre que la survie est
meilleure en cas de dépression asso-
ciée (RR ajusté = 1,5 **). (tableau 2)
Avec l’étude de B. Penninx et al.
(1998), on sort du cadre de la dé-
pression, pour rejoindre celui de la
dépressivité en s’interrogeant sur
son rôle, qu’elle soit chronique ou
passagère. Une population faisant
partie de la National Health and
Nutrition Examination Survey
(NHANES 1), regroupant
1 708 hommes et 3 117 femmes a
été étudiée. L’âge moyen des sujets
était de 71 ans, la durée moyenne de
G. Abgrall-Barbry L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S41-S44
S 42
La dépression : des pratiques aux théories 10
Oropharynx 22 % à 57 %
Pancréas 33 % à 50 %
Sein 1,5 % à 46 %
Poumon 11 % à 44 %
Colon 13 % à 25 %
Gynécologiques 12 % à 23 %
Lymphomes 8 % à 19 %
TABLEAU 1. — Pourcentages de la dépression
en fonction de la localisation néoplasique (2).
suivi était de 3,8 ans. Cette étude
montre que la dépressivité chro-
nique et non la dépressivité passagè-
re constitue – chez les personnes
âgées – un facteur de risque de ma-
ladie cancéreuse.
Il existe de nombreux problèmes mé-
thodologiques dans ces études : di-
versité des instruments utilisés, non
reconnaissance des émotions chez
certaines personnalités dites alexi-
thymiques. Dans les études prospec-
tives, il n’existe pas d’échelles suffi-
samment spécifiques : elles mesurent
le score de dépressivité et non la pré-
sence d’un épisode dépressif majeur
au sens du DSM. On mesure donc
des symptômes et pas une maladie,
symptômes dont l’origine peut être
psychogène ou induite par une sécré-
tion de cytokines… Une étude ré-
cente de Watson (2005) montre qu’il
existe une hyper sécrétion de l’axe
corticotrope au cours de la dépres-
sion. De plus, il est difficile de distin-
guer les troubles somatiques liés au
cancer et au traitement, des troubles
somatiques de la dépression. Il serait
nécessaire d’ajuster sur les facteurs
de risque classiques (âge, tabac, al-
cool, etc.), ce qui n’est pas fait dans
toutes ces études.
L’évolution infra-clinique du cancer
étant très longue, n’existe-il pas
avant le diagnostic des modifications
immunitaires ?
Enfin il est difficile de tenir compte
du rôle des comportements de santé
(surveillance régulière, dépistage, ob-
servance thérapeutique) dans l’inci-
dence comme dans le pronostic du
cancer.
Les modalités de coping et la person-
nalité mises en exergue ne sont pas
retrouvées dans les études plus ré-
centes.
Cette multitude d’études souvent
contradictoires ne permet donc pas
de retrouver une association forte
entre dépression et cancer, comme
avec les maladies cardio-vasculaires.
Nous avons réalisé avec le Pr.
Consoli (service de psychologie cli-
nique et psychiatrie de liaison de
l’Hôpital Européen Georges Pompi-
dou) et les services d’hépato gastro-
entérologie de l’hôpital et de l’Hô-
tel-Dieu, une étude sur les facteurs
émotionnels impliqués dans le résul-
tat d’une coloscopie. L’objectif était
de comparer, chez des patients can-
didats à une coloscopie, les caracté-
ristiques émotionnelles de ceux qui
s’avéreront porteurs d’une tumeur
cancéreuse par rapport au reste de
la population, avec une évaluation
avant et après la coloscopie, de dé-
crire les caractéristiques émotion-
nelles des patients s’attendant à un
résultat positif, et de réaliser une
étude multivariée du résultat. La
population étudiée concerne 98 pa-
tients, âgés de 55,2 plus ou moins
11,9. L’anatomo-pathologie retrouve
30 cancers et 68 tumeurs bénignes.
Seuls 7 patients anticipent un résul-
tat positif. En analyse univariée, au-
cune variable psychologique ne diffé-
rencie le sous-groupe de patients
porteurs d’un cancer des autres pa-
tients. Il n’y a pas non plus de rela-
tion entre l’anticipation du patient et
le résultat anatomopathologique. Le
résultat le plus intéressant de cette
étude est la valeur prédictive de l’hu-
meur dépressive chez les femmes sur
la présence d’une néoplasie, après
ajustement sur les variables confon-
dantes (ATCD familiaux de cancer
du colon, autres facteurs classiques
de risque : sang dans les selles, etc.)
Mais est-ce un véritable facteur de
risque ? Ou bien cette association
peut-elle être expliquée par des ef-
fets cognitifs des modifications im-
munitaires infracliniques ?
ACTUALITÉS PHARMACO-
PSYCHO-THÉRAPEUTIQUES
CHEZ LES PATIENTS ATTEINTS
DE CANCERS ET LES PATIENTS
EN SOINS PALLIATIFS
Depuis quelques années, les psycho-
stimulants ont été testés en phase
palliative de cancer. Les patients en
phase terminale de cancer souffrent
généralement d’une humeur dépres-
sive, de douleurs, de somnolence,
d’altérations cognitives et d’ano-
rexie, les psychostimulants parais-
sent donc être des molécules appro-
priées étant donné leur effet sur
chacun de ses symptômes. Les avan-
tages par rapport aux antidépres-
seurs sont leur délai d’action plus
court (2 jours) et le peu d’effets
secondaires. En France, seule le
methylphénidate (méthylphéniade
chlorhydrate) a été testée. L’AMM
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0,
0,
0,
0,
0,
1
1,
0 102030405060
Non HAD-D < 8
Déprimés
HAD-D 8
% de
Jours
TABLEAU 2.
est stricte : enfant de plus de 6 ans
ayant un Trouble Déficitaire de l’At-
tention avec Hyperactivité ou narco-
lepsie avec ou sans catalepsie, en cas
d’inefficacité du Modafinil chez
l’adulte et chez l’enfant de plus de
6 ans. La Ritaline* est délivrée uni-
quement sur prescription hospitalière
annuelle réservée aux spécialistes
et/ou aux services spécialisés en psy-
chiatrie, neurologie, pédiatrie, et aux
centres du sommeil. Son mécanisme
d’action serait celui d’une augmenta-
tion de la concentration des mono-
amines (dopamine et noradrénaline)
dans la fente synaptique, dont l’effet
serait l’activation de la formation ré-
ticulée du tronc cérébral et du cor-
tex. Elle améliore la vigilance, l’hu-
meur, les performances physiques et
cognitives et l’appétit.
La littérature recense 49 études avec
seulement 3 essais cliniques rando-
misés, la majorité des études étant
des études d’observation clinique
non randomisées, ce qui leur confère
un faible niveau de preuve. Ces
études vont toutes dans le même
sens et montrent une diminution de
l’humeur dépressive et de la somno-
lence, une potentialisation des effets
analgésiant des opiacés, une aug-
mentation de l’activité physique, une
amélioration des fonctions cogni-
tives.
Il faut poursuivre l’évaluation de ces
molécules dans cette indication
avant d’éventuellement passer aux
phases ultérieures. Les critiques que
l’on peut faire à ces études sont leur
faible niveau de preuve, la minimisa-
tion des effets secondaires (agitation,
confusion, idées délirantes para-
noïdes…), la nécessité de mener des
études randomisées sur l’améliora-
tion de la qualité de vie.
CONCLUSION
La psycho-oncologie est une discipli-
ne en pleine expansion. Elle permet
l’amélioration de la prise en charge
globale du patient atteint de cancer
par son caractère multidisciplinaire.
Par ailleurs, les psycho-oncologues
développent activement les do-
maines de la recherche clinique et de
l’enseignement. Ce développement
particulièrement dynamique a permis
de sensibiliser les soignants aux co-
morbidités psychiatriques présentent
chez les patients atteints de cancer.
En particulier sur les questions du
suicide et des troubles dépressifs
chez ces patients.
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50 (2) 170-186.
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