Considérations sur l’évolution du coût de la santé mentale en France

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L’Encéphale (2007) Supplément 5, S167-S169
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Dans le domaine de la santé mentale,
approches possibles du coût
de la santé mentale
Au lieu de parler du coût de la santé mentale, on pourrait
parler du coût de la maladie mentale (c’est-à-dire le coût
de la « non-santé »). Que serait le coût en l’absence de
traitements ? Le coût des suicides, des agressions, des
arrêts de travail… ?
Il est très dif cile de travailler sur la notion de coût du
système de santé mentale « largo sensu », notamment
parce qu’il faudrait, par exemple, y intégrer la part de la
prévention. En effet, la psychiatrie n’est pas la seule à
prendre en charge la souffrance psychique, le médico-
social joue un rôle important dont il est dif cile de calculer
la part de prise en charge.
Concernant le coût de production des soins psychiatri-
ques, on pourrait penser qu’il est un peu plus facile à cal-
culer. Il devrait en effet être possible d’obtenir une sorte
de coût de la psychiatrie dans son ensemble en considérant
la somme totale de ce qu’alloue l’administration hospita-
lière à l’ensemble des hôpitaux. Ce n’est pourtant pas si
facile. Cependant, il est possible plus simplement de trou-
ver par exemple le coût d’une journée d’hospitalisation ou
le coût journalier d’un médicament.
Le plus compliqué est le calcul du coût d’un résultat
clinique donné. Les coûts de la fracture évitée par un trai-
tement de l’ostéoporose ou de la prise en charge d’une
cataracte sont faciles à calculer en raison de l’obtention
Considérations sur l’évolution du coût
de la santé mentale en France
J. Biot
6 rue du général de Larminat, 75015 Paris
Considérations sur la notion de coût
Qu’est ce qu’un coût ?
Un Coût est différent d’un prix. Un prix est une valeur
d’échange et pas forcement le re et d’un coût.
Un coût c’est une notion « interne », un élément de
métrique. C’est la somme des dépenses nécessaires pour
l’acquisition d’un bien ou service.
Par exemple, et pour rester sur une notion PMSI, le GHS
c’est un prix, celui auquel la collectivité accepte d’ache-
ter. Ce n’est pas le re et d’un coût puisque l’administra-
tion hospitalière se réserve le droit, pour des raisons
incitatives, de payer plus pour développer telle ou telle
stratégie thérapeutique.
Pourquoi calcule-t-on les coûts ?
Le calcul du coût est un outil fondamental d’aide à la prise
de décision, et donc un élément qui permet de comparer des
stratégies a n d’essayer de minimiser les ressources enga-
gées pour aboutir à un produit ou un résultat donné.
Si on se réfère aux enseignements des professeurs de
l’école des Mines de Paris, un coût n’existe pas car on ne
peut pas le calculer. Ou plutôt, il est possible de calculer
toutes sortes de coûts pour un bien ou pour un service parce
qu’on engage des ressources xes et des ressources varia-
bles, et que selon la quantité de bien qu’on fabrique, selon
l’allocation des ressources xes qu’on va faire entre les
différents biens, on va se retrouver avec des éléments qui
peuvent être extrêmement variables.
* Auteur correspondant.
L’auteur est consultant notamment pour les laboratoires Lundbeck, Lilly, Janssen Cilag, Organon, Schering-Plough, P zer.
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d’un résultat. Dans le domaine de la psychiatrie, la notion
de résultat est beaucoup plus subtile et complexe. Il fau-
drait pouvoir bien dé nir quels sont les résultats sur les-
quels on travaille et ce dont on cherche à mesurer le coût.
Est-ce le coût d’une rémission, le coût d’un sevrage, le
coût d’une rechute évitée ?
En termes de données brutes,
que représente le coût de la santé mentale ?
L’OPEPS (of ce parlementaire d’évaluation des politiques
de santé) a consacré un très important rapport en 2006 aux
médicaments psychotropes. Mais malgré un travail considé-
rable, ce qu’ils ont trouvé sur le coût de la santé mentale
se rapporte essentiellement à des données de 1998, de
source CREDES.
Les troubles mentaux apparaissent en troisième posi-
tion (après l’appareil circulatoire et l’appareil digestif)
avec dix milliards d’euros de dépenses et représentent 10 %
de la dépense totale de santé, mais 15 % de l’hospitalisa-
tion, et seulement 5 % du médicament. Malgré les années
de sectorisation, la psychiatrie est encore une discipline à
forte prépondérance hospitalière en ce qui concerne son
poids économique.
Des données un peu plus récentes apparaissent dans
une étude de la CNAM en 2002 sur l’ensemble des Affections
Longue Durée. Le coût des ALD psychiatriques arrive là
encore en troisième position. Pour les ALD-psy, on retrouve
10 milliards d’euros de remboursement, tous régimes
confondus. Les patients les plus lourds (5 % seulement du
total des patients) représentent une part très importante
(42 %) de l’ensemble du remboursement et le rembourse-
ment annuel moyen par personne est de 9 000 euros.
Pour comparaison pour les ALD, il existe trois grandes
tranches : la première est celle des maladies très coûteu-
ses, avec des maladies comme l’hémophilie, la mucovisci-
dose, l’insuf sance rénale, qui coûtent aux alentours de
20 000 euros par an et par patient. Ensuite vient une tran-
che aux alentours de 10 000 euros par patient, dans laquelle
se trouvent les affections psychiatriques. En n la tranche
des maladies très peu coûteuses par patient et pour la col-
lectivité.
Le patient qui est en ALD psychiatrique est massivement
hospitalisé. L’essentiel du coût est imputable à l’hospitali-
sation (le médicament représentant seulement 10 %).
Mises en perspective
Compte tenu de la part importante de l’hospitalisation
dans la dépense totale, le discours culpabilisant sur le
médicament générateur de dépense est vraiment éton-
nant.
Le rapport de l’OPEPS, tout en faisant ce constat (sur
l’hospitalisation), reste dans un discours politique extrê-
mement hostile à l’égard du médicament psychotrope, en
continuant à le stigmatiser, invoquant un problème de sur-
consommation médicamenteuse et un prix trop élevé.
Quand on regarde les faits, on s’aperçoit qu’en matière
de dépense de médicaments, la sphère psychiatrique n’est
vraiment pas le plus mauvais élève en termes de progres-
sion. La classe N06 (psychoanaleptiques) représente en
effet 4,8 % de la dépense, mais elle a peu augmenté depuis
1992. La N05 (psycholeptiques), qui représente 3,4 %, a plu-
tôt diminué depuis la même date et d’autres classes ont en
revanche beaucoup augmenté. En termes d’évolution des
ventes en of cine dans le système nerveux central, la seule
catégorie ayant beaucoup progressé est celle des médica-
ments de sevrage tabagique. Mais pour le reste, les antipsy-
chotiques et les antidépresseurs (en tenant pourtant compte
de l’arrivée des ISRS et des antipsychotiques atypiques,
stigmatisés par le rapport de l’OPEPS comme un générateur
de dépenses) n’ont pas subi d’évolution à la hausse, en par-
ticulier si on compare avec d’autres classes (interféron dans
la sclérose en plaques et hépatite, antiviraux anti-VIH, anti-
protéase, vaccins de nouvelle génération…). De plus, la
« généricisation » est en marche.
Les médicaments psychotropes se situent au second
rang derrière les antalgiques concernant le nombre d’uni-
tés prescrites. Le montant remboursé par la Sécurité sociale
en 2003 et 2004 pour les médicaments psychotropes peut
être estimé à un milliard d’euros (en 1980, ce montant
équivalait à 317 millions d’euros).
En 1980, les anxiolytiques et les hypnotiques représen-
taient près de 60 % du chiffre d’affaire des psychotropes,
contre 25 % pour les antidépresseurs. En 2001, la situation
s’est inversée puisque 50 % des ventes de psychotropes
enregistrées sont représentées par les antidépresseurs.
Cette augmentation a porté sur les volumes, et surtout sur
les coûts.
Les ventes en valeur concernant les antidépresseurs ont
progressé annuellement de 9 % en moyenne entre 1993 et
2003. Les antidépresseurs représentaient en 2000 la qua-
trième classe sur le marché pharmaceutique français, avec
3,5 % du chiffre d’affaires, faisant ainsi partie des quatre
classes ayant le plus fort poids dans les ventes de médica-
ments.
• Un quart des dépenses des médicaments du système ner-
veux central était imputable aux antidépresseurs en 2002,
deux antidépresseurs ISRS faisant partie des 20 premiers
produits présentés au remboursement.
• Une enquête de la CANAM montre que la présence d’un
médicament de la classe des antidépresseurs multiplie par
trois le coût d’une ordonnance.
Une autre approche du coût de la santé mentale peut
être recherchée dans les annonces relatives au Plan
Psychiatrie et Santé Mentale. Malheureusement, il n’existe
pas de référentiel de départ. Il s’agit de 210 mesures sur 5
axes, qui sont toutes chiffrées, mais dont on ne sait pas à
quoi elles s’ajoutent, ce qui rend la mesure du coût dif -
cile.
La tari cation à l’activité
Dans son « apologue du platane », Claude Riveline (profes-
seur d’économie de l’école des Mines de Paris) soulignait
que « les platanes ne sont jamais menacés lors des votes
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budgétaires car ils n’engendrent que des coûts, pas de
recettes ». Les débats budgétaires sont animés par l’exis-
tence de dé cit et l’existence d’un dé cit suppose le calcul
d’une différence entre recette et dépense. C’est précisé-
ment ce qui se passe avec la tari cation à l’activité : on va
passer de quelque chose qui coûtait mais n’engendrait pas
de revenus, à quelque chose qui brusquement va donner
lieu à la recherche d’un équilibre entre des revenus et des
coûts.
L’expérience de la tari cation de l’activité
dans le MCO (médecine chirurgie obstétrique)
En France, pays très fermé à la médico-économie, particu-
lièrement chez les décideurs politiques et administratifs, la
T2A fait apparaître brusquement un balbutiement d’appro-
che médico-économique. Bien que ce soit dans la perspec-
tive, certes étroite, du séjour, au minimum on commence à
échir sous l’angle : « quelles ressources pour quel résul-
tat ? » La question sera de savoir ce qu’est un résultat dans
la discipline psychiatrique.
Si on essaye de dé nir le patient aujourd’hui dans la
T2A, on pourrait le comparer à un « compte d’exploitation
ambulant ». La question qui se pose au décideur de l’hôpital
quand un patient arrive aujourd’hui revient à : « quelles
ressources ce patient va-t-il me rapporter face aux coûts
des ressources que je vais mettre en œuvre pour aboutir à
un certain résultat, qui sera la décharge de ce patient ? »
On pourrait craindre que ça ne conduise les décideurs à
ne plus faire de clinique mais ce qu’on observe dans le
domaine chirurgical et médical, c’est qu’au contraire et
paradoxalement, il y a une plus grande attention accordée
à la clinique en raison du regard vigilant porté sur les coûts
engagés pour aboutir à ce résultat de santé. Il y a une vraie
tentative de prise en charge du patient dans les conditions
les plus favorables possibles. Très clairement, on note un
impact stratégique fondamental de la T2A avec une modi -
cation des rapports de force intra-établissement considéra-
ble, une modi cation des stratégies thérapeutiques avec
une veritable ré exion, et on voit un apprentissage d’un
nouveau lobbying par les professionnels de santé.
Évolutions du coût de la santé mentale
L’évolution dépend d’un certain nombre d’éléments, dont
l’impact peut s’avérer très variable.
Tout d’abord, il y a l’impact de la démographie des pro-
fessionnels de santé avec :
quantitativement, les investissements du plan psychiatrie
et santé mentale qui vont probablement accroître le coût
de l’hôpital,
et qualitativement avec les réseaux.
Ensuite, il y a l’impact des médicaments. On pourrait évo-
quer l’innovation et les génériques, mais également le coût
des cures pouvant par exemple dépendre de la durée et de
l’observance au traitement.
À ce propos, le sujet « Risperdal Consta » devient inté-
ressant : on attend une conséquence de la meilleure obser-
vance des traitements, et pour la première fois, les pouvoirs
publics essayent de regarder si la promesse du laboratoire
sera tenue en termes de meilleure observance et de consé-
quences cliniques attendues, et accordent une valeur à
cette promesse. Il s’agit bel et bien d’une décision fondée
sur les coûts, et d’une mesure.
La médecine personnalisée, qui arrive dans les autres
domaines (VIH par exemple) pourrait aussi avoir une consé-
quence sur l’évolution du coût de la santé mentale.
L’émergence des technologies médicales peut aussi
peser : les électrodes, la stimulation… peuvent modi er les
rapports entre les différents aspects du coût de la santé
mentale (on l’observe par exemple dans le domaine de la
cardiologie : les pouvoirs publics, s’ils restent hostiles aux
médicaments, croient en revanche beaucoup aux technolo-
gies médicales, dans lesquelles ils investissent massive-
ment).
En n, il y a l’impact de la politique de l’assurance
maladie sur les questions de remboursement, et notam-
ment celui des psychothérapies qui changerait le coût de la
prise en charge.
En conclusion, les marges de progrès sont considéra-
bles : on y viendra par la mise en place de la VAP et par la
demande de la société.
On se dirige vers un coût de la santé mentale mieux
mesuré, dans une perspective mieux dé nie, où on ne par-
lera plus du coût de la santé mentale mais du coût d’un
résultat de santé, obtenu par des moyens cliniques de
meilleure qualité (ce qui suppose qu’on arrive à bien dé -
nir ce qu’on mesure dans le domaine de la clinique).
Par ailleurs, il faut aller vers un coût mieux utilisé, la
mesure du coût servant essentiellement à la prise de déci-
sion.
La question qui se pose alors est celle des priorités de la
collectivité française, dé nies de manière un peu plus
rationnelle, c’est-à-dire à la « NICE-like », qui revient à
penser que les ressources étant limitées, il faut essayer de
les engager là où les résultats de santé seront les plus
importants.
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