Troubles bipolaires et personnalités borderline chez l’adulte S111
au groupe contrôle est le choix de ce groupe. En effet, les
auteurs ont inclus uniquement des personnalités schizothy-
piques, évitantes et obsessionnelles. Cela ne fait pas partie
des personnalités du Cluster B auxquelles appartiennent
les troubles borderline, toutes plus ou moins caractérisées
par une instabilité émotionnelle et donc peut être plus à
même de développer des troubles bipolaires.
Est-ce qu’une comorbidité importante signe l’apparte-
nance des deux pathologies à un spectre commun ?
L’éditorial couvrant cet article dit que, globalement, il n’y
a pas d’arguments irréfutables pour défendre ni une posi-
tion, ni une autre. Par rapport à l’idée d’un spectre com-
mun, la question corollaire est l’existence éventuelle de
facteurs étiologiques communs.
Finalement n’atteint-on pas là les limites de l’approche
catégorielle. Placer ces deux entités cliniques sur un même
continuum revient à dire qu’il existe un degré de sévérité
entre ces deux pathologies. Cliniquement cela a peu de
sens au vue de l’évolution potentielle des deux troubles.
Une approche dimensionnelle paraît plus pertinente pour
explorer les liens entre les deux pathologies et les éven-
tuels facteurs étiologiques communs.
Existe-t-il des dimensions communes entre patients
borderline et bipolaires ?
En reprenant les critères diagnostiques de personnalités
borderline, ceux qui se rapproche le plus des éléments thy-
miques sont : i) l’instabilité affective due à une réactivité
marquée de l’humeur, comme une dysphorie épisodique
intense, une irritabilité ou une anxiété qui survient habi-
tuellement par à coup et qui est relativement brève et ne
répond pas aux critères d’épisodes thymiques, et ii) l’im-
pulsivité.
Par contre, il y a peu d’études dimensionnelles sur les
troubles bipolaires car ils sont défi nis uniquement par la
présence d’épisodes thymiques. Dans le but d’explorer,
d’éventuels traits communs entre troubles bipolaires et
borderline, nous avons exploré l’instabilité affective et
l’impulsivité dans ces deux groupes de patients et les avons
comparés à d’autres troubles de la personnalité. Nous
avons pu mettre en évidence, que ce qui rapprochait les
troubles bipolaires et borderline, était cette instabilité
émotionnelle. Ce trait émotionnel semblait donc caracté-
risé les patients bipolaires au cours de la période inter cri-
tique et semblait donc commun aux deux pathologies.
Ces premiers résultats nous ont incités à explorer plus
avant la période inter critique chez les sujets bipolaires.
Nous avons donc exploré des dimensions concernant les
émotions en utilisant deux échelles : Affective Intensity
Measure et Affective Lability Scale. La première évalue
l’intensité avec laquelle les patients ressentent les émo-
tions en dehors des épisodes et dans des situations de la vie
quotidienne. Spontanément, les patients bipolaires rappor-
tent qu’ils ressentent les émotions avec plus d’intensité
que les gens qui les entourent. Ils expriment souvent qu’ils
se sentent plus sensibles que les autres. Souvent, d’ailleurs,
quand un parent bipolaire s’inquiète au sujet de l’un de ses
enfants, il dit « il est aussi sensible que moi à l’adoles-
cence ». Le fait de ressentir plus vivement des émotions
face à des stimulations considérées comme mineures par
d’autres peut conduire à avoir une instabilité émotionnelle.
C’est cet autre aspect qui est évalué avec la seconde
échelle. En comparant un groupe de patients bipolaires de
type I et II à un groupe contrôle, nous avons mis en évi-
dence une plus grande réactivité émotionnelle et une plus
grande instabilité émotionnelle chez les sujets bipolaires.
De plus nous avons trouvé que plus les scores à ces échelles
étaient élevés et plus les patients avaient présenté des épi-
sodes et plus ils présentaient ou avaient présenté une
comorbidité anxieuse ou un abus ou une dépendance à des
substances. Ainsi, ces traits semblent défi nir un facteur de
risque pour développer un trouble de l’humeur, ce d’autant
plus que des scores élevés à ces échelles sont liés à un âge
de début plus précoce.
Afi n d’étayer l’hypothèse d’une plus grande réactivité
émotionnelle chez les patients bipolaires au cours de la
période inter critique, nous avons procédé à une étude
d’induction émotionnelle.
Le patient est placé face à un écran sur lequel il visua-
lise des images à tonalités positive, négative ou neutre et
on lui demande d’évaluer la tonalité des images ainsi que
la réaction émotionnelle déclenchée par chaque image. Par
ailleurs, au cours de la visualisation de deux tiers des ima-
ges, le sujet reçoit par l’intermédiaire d’un casque un son
aigu entraînant un réfl exe de sursaut qui peut être enregis-
tré. Quatre-vingt-dix sujets contrôles et 55 patients
bipolaires normothymiques ont été soumis à cette expéri-
mentation. Il en ressort que fi nalement le neutre n’existe
pas chez les patients bipolaires. En effet, ils évaluent les
images neutres comme plus plaisantes et suscitant une plus
grande émotion que chez les sujets contrôles. L’enregistre-
ment du réfl exe de sursaut confi rme les résultats des éva-
luations subjectives. Plusieurs interprétations sont
possibles. Soit le neutre n’existe pas chez les sujets bipo-
laires, ce qui revient à dire que les patients bipolaires sont
sollicités émotionnellement par des stimulations qui ne
sont pas repérées comme telles par des sujets contrôles.
Soit que cette hyper réactivité émotionnelle existe égale-
ment pour les autres émotions mais que cela est plus diffi -
cile à mettre en évidence car pour ces stimulations plus
importantes nous atteignons un seuil de saturation ne nous
permettant pas de mettre en évidence de différences.
Une anecdote rapportée par l’un de mes patients illus-
tre parfaitement les résultats de notre étude. Il s’agit d’un
patient présentant des troubles de l’humeur et pour lequel
sa famille a diagnostiqué « un syndrome de la baleine ». Il
admet volontiers que lorsqu’il regarde un fi lm émouvant, il
pleure très facilement. Cependant, cette émotivité paraît
excessive quand, comme il le rapporte « lorsque je regarde
un documentaire de Cousteau et que je vois une baleine,
je peux me mettre également à pleurer ». Sa famille avait
qualifi é cette réaction émotionnelle de « syndrome de la
baleine » parce qu’elle avait bien perçu que face à des
situations qu’elle considérait comme neutres, le patient
avait une émotion très amplifi ée. Ce n’est autre que ce
syndrome de la baleine que nous avons objectivé au cours
de notre expérimentation.
Afi n de sortir du modèle du continuum catégoriel, l’hy-
pothèse que nous voulions explorer était l’existence de
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