> XPress 6 Noir L’Encéphale (2007) Supplément 3, S103–S109 j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / e n c e p Troubles bipolaires à l’adolescence : actualités et controverses A. Consoli, D. Cohen CH Pitié Salpêtrière, 47 boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris Les troubles bipolaires à l’adolescence font l’objet d’un intérêt croissant, et de controverses. Nous proposons de rappeler certaines données concernant les troubles bipolaires à l’adolescence, tant sur le plan clinique, que sur le plan de l’évolution et du pronostic. Nous présenterons également les résultats préliminaires d’une étude rétrospective d’une cohorte de 80 patients adolescents présentant un épisode maniaque ou mixte aigu pour lequel ils ont été hospitalisés. Ensuite, nous aborderons les liens entre les troubles bipolaires et la personnalité borderline à l’adolescence, tout en sachant que ce sujet fait l’objet que d’une maigre littérature et qu’il pose la question du diagnostic différentiel. Nous développerons la question controversée de la bipolarité chez l’enfant et d’un éventuel continuum entre cette symptomatologie chez l’enfant pré pubère, et chez l’adolescent ou l’adulte jeune. Enfin, nous terminerons par la présentation de quelques données de la littérature quant aux aspects thérapeutiques médicamenteux. Troubles bipolaires de l’adolescent : rappels introductifs D’un point de vue des repères historiques, au début du siècle, Kraepelin mettait l’accent sur l’existence d’un pic de fréquence de survenue de la « psychose maniacodépressive » à l’adolescence, entre 15 et 20 ans. Pour lui, il existe des cas de cette maladie chez l’enfant, mais ils sont rarissimes. La rareté des troubles maniacodépressifs chez l’enfant est confirmée dans les années 60 par Anthony et Scott. Les trou- bles bipolaires de l’adolescent font l’objet d’un intérêt croissant dans les années 80. Carlson et Strober mettent l’accent sur les difficultés liées au diagnostic différentiel entre troubles bipolaires et schizophréniques à l’adolescence [10]. Dans les années 90, il est question du trouble bipolaire pédiatrique [3, 20]. Cependant, il reste un sujet légitime de prudence et de controverses, même aux États-Unis [11]. L’intérêt porté aux troubles bipolaires chez le sujet jeune a été au cours du temps fluctuant, variable selon l’intérêt concernant le sujet adulte. Ce sont les premières études rétrospectives chez le sujet adulte montrant l’apparition des premiers symptômes de la maladie avant 20 ans chez 20 à 40 % des adultes bipolaires qui ont permis de s’intéresser à l’adolescent [28, 36, 42]. Les troubles bipolaires à l’adolescence sont maintenant clairement reconnus mais encore peu d’études existent, concernant notamment les formes les plus typiques et sévères (trouble bipolaire de type I). En revanche, les études se multiplient concernant l’enfant pré pubère, mais cette question reste controversée. Les données épidémiologiques sont plutôt rares. Deux études sont notables, celle de Lewinsohn portant sur 1 709 adolescents et celle de Kim-Cohen portant sur la cohorte néo-zélandaise Dunedin comprenant 1 037 sujets. La prévalence vie entière des troubles bipolaires I et II retrouvée est de 1 %, et 0,1 % pour le trouble bipolaire de type I [30, 35]. Le sexe ratio est de 1. Un épisode thymique aigu à l’adolescence, bien qu’étant cliniquement proche de la sémiologie observée à l’âge adulte, présente cependant certaines particularités, pou- * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] Les auteurs n’ont pas signalé de conflits d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. 4518_06_Cons ol i . i103 4518_06_Consoli.indd ndd 103 1 2 / 1 2 / 0 713:48:18 12/12/07 13: 48: 18 > XPress 6 Noir S104 A. Consoli, D. Cohen vant être à l’origine d’errances sur le plan diagnostique et par conséquent également sur le plan thérapeutique. Ces épisodes thymiques sont, à l’adolescence, plus fréquemment accompagnés de symptômes psychotiques comparativement à ce qui est observé chez l’adulte. Une symptomatologie psychotique est présente dans 30 à 70 % des cas selon les études [9]. Toute la symptomatologie psychotique est retrouvée, y compris les symptômes dits « de premier rang » de Schneider. Par conséquent, le diagnostic différentiel entre un épisode maniaque ou mixte et un épisode délirant aigu témoin d’un trouble schizophrénique demeure délicat à cet âge. Plusieurs études mettent en évidence la fréquence des erreurs diagnostiques lors de l’évaluation initiale. Ces erreurs diagnostiques sont constatées dans environ 50 % des cas [9]. La tonalité euphorique classique se manifeste souvent de façon plus modérée, ou bien se trouve être remplacée par une irritabilité ou une agressivité voire de la violence [40]. Par ailleurs, les épisodes aigus thymiques sont fréquemment caractérisés par une humeur de nature mixte ou par un rythme évolutif constitué de cycles rapides (plus de 4/an). Des conduites de transgression ou de défi font parfois partie intégrante du tableau clinique, avec la présence au premier plan de troubles des conduites. On retrouve également une fréquence élevée de pathologies comorbides. Concernant le devenir, les études naturalistes longitudinales existantes montrent une guérison dans 40 à 100 % des cas sur une période de 1 à 2 ans, avec des rechutes dans 60 à 70 % des cas l’année suivante [41]. Pendant la durée du suivi, des symptômes thymiques francs ou subsyndromiques sont observés dans 60 à 70 % du temps [4, 5, 22]. Un suivi sur 4 ans met en évidence un virage de l’humeur 1,1 fois par an. Cependant, les résultats des études prospectives sont très divergents selon les études. Une étude prospective sur une période de 5 ans évaluant 54 adolescents présentant des troubles bipolaires de type I ne retrouve que 4 % des adolescents sans guérison clinique à 5 ans [46]. Une autre étude prospective trouve même un taux de guérison de 100 % à 4 ans de suivi d’une cohorte de 25 adolescents présentant un trouble bipolaire de type I, même si le taux de rechutes est élevé les trois premières années de suivi [27]. Une autre étude met en évidence une diminution significative d’actes délictueux chez des jeunes patients délinquants présentant des troubles bipolaires traités versus non traités [16]. En revanche, d’autres études suggèrent que l’évolution des troubles bipolaires de l’adolescent serait plus péjorative. Une étude prospective sur 2 ans montre plus de rechutes et des durées d’hospitalisations majorées après un premier épisode maniaque si le début des troubles est précoce versus un début tardif des troubles [11]. Deux études soulignent la stabilité diagnostique d’une forme précoce sévère avec caractère péjoratif du devenir à 6, 12 et 24 mois (résistance au traitement, formes mixtes, cycles rapides, risque suicidaire élevé, fréquence des comorbidités…) [19, 20]. Une étude prospective très récente explore le suivi de 263 enfants et adolescents (âge moyen de 13 ans) présentant des troubles bipolaires de type I, II et NOS [4]. Elle 4518_06_Cons ol i . i104 4518_06_Consoli.indd ndd 104 retrouve environ 70 % de guérison, 50 % de sujets présentant un épisode récurrent (notamment dépressif). Des symptômes thymiques ou subsyndromiques sont également retrouvés dans 60 % du temps de la durée du suivi. Concernant les facteurs pouvant être corrélés au pronostic, les données issues de la littérature sont limitées. Les éléments de moins bon pronostic seraient : humeur mixte, troubles comorbides, cycles rapides, durée de l’épisode, début précoce, signes psychotiques, faible niveau socio-économique et conflits familiaux [4, 41]. De même, une attitude maternelle « peu chaleureuse » serait un facteur de rechutes plus rapides d’épisodes maniaques. La présence d’éléments psychotiques entraînerait des durées des épisodes maniaques plus longues. Le risque évolutif majeur est celui de passages à l’acte suicidaires : ceux-ci sont plus fréquents chez les adolescents bipolaires versus des adolescents présentant d’autres troubles psychiatriques ou pas de troubles psychiatriques [6, 35]. Quant aux événements de vie, l’expérience clinique nous montre le poids des facteurs environnementaux sur le profil évolutif de la maladie, quelle que soit la vulnérabilité biologique des troubles bipolaires. Des études montrent chez des patients adultes bipolaires une incidence élevée de perte précoce [45] ou de maltraitance dans l’enfance [34]. D’autres auteurs soulignent également que des antécédents de maltraitance ou d’abus sexuels péjorent le pronostic à long terme (passages à l’acte suicidaires, abus de substance, cycles rapides) [18, 33, 34]. Une étude rétrospective explorant l’impact des événements de vie chez des adolescents présentant des troubles bipolaires de type I comparés à des adolescents hyperactifs ou témoins appariés montre une fréquence significativement supérieure d’événements de vie [48]. Concernant les troubles comorbides, leur association fréquente au trouble bipolaire de l’adolescent est une donnée consensuelle de la littérature. Les plus fréquemment rapportés sont : le trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), les troubles anxieux, les troubles des conduites et les abus de substances. Les résultats restent cependant variables selon les études, voire même objets de controverses concernant le TDAH, car bien souvent le critère obligatoire de début des troubles avant sept ans n’est pas pris en compte. Quant à la comorbidité avec l’abus de substances, dès 1975, Horowitz souligne l’importance de l’abus de toxiques associé au trouble bipolaire à l’adolescence, tout en précisant qu’il pouvait en constituer un diagnostic différentiel [25, 26]. Selon l’enquête descriptive déjà citée, l’abus de toxiques serait plus fréquent dans le trouble bipolaire débutant avant 20 ans versus après 20 ans (56 % vs 34 %) et aurait un impact négatif sur le fonctionnement psychosocial et la qualité de vie [36]. Les résultats des études restent divergents quant à l’impact sur la réponse thérapeutique et le pronostic. Résultats préliminaires d’une étude de devenir française Une étude naturaliste du devenir psychiatrique et psychosocial du trouble bipolaire de type I sévère débutant à 1 2 / 1 2 / 0 713:48:20 12/12/07 13: 48: 20 > XPress 6 Noir Troubles bipolaires à l’adolescence : actualités et controverses l’adolescence après environ 5 ans d’évolution de la maladie est en cours de réalisation dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de la Pitié-Salpêtrière (PHRC, 2006). Cette étude porte sur un échantillon de 80 patients présentant un trouble bipolaire de type I, ayant été hospitalisés entre 1993 et 2004 pour un épisode maniaque ou mixte selon les critères du DSM IV. Les premiers résultats concernent la description rétrospective de l’épisode index : caractéristiques sociodémographiques, antécédents, caractéristiques cliniques, scores cliniques à l’entrée et à la sortie (Brunelle et coll., soumis). Les données sociodémographiques retrouvent plus de filles, un âge moyen de 15,7 ans (de 12 à 19 ans), donc pas d’enfants prépubères, un niveau socio-économique essentiellement bon et moyen, et une origine migrante dans environ 40 % des cas (43 % pour la mère, 44 % pour le père). On retrouve des antécédents psychiatriques personnels dans 87,5 % des cas et des antécédents psychiatriques familiaux dans 63,8 % des cas. Le quotient intellectuel moyen de cette cohorte est de 83,4. 21,3 % des patients présentent un retard mental. La nature de l’épisode est maniaque dans 2/3 des cas, mixte dans un tiers des cas. Le début de l’épisode est brutal dans un tiers des cas. On retrouve chez 5 % des patients des symptômes catatoniques. 21,3 % des patients présentent un retard mental. Enfin, la durée d’hospitalisation est en moyenne de 80 jours. Les symptômes sont sévères à l’entrée et mesurés par la YMRS (Young Mania Rating Scale), la BPRS (Brief Psychiatric Rating Scale), la CGI (Impression Clinique Globale) et l’EGF (Évaluation Globale du Fonctionnement). L’amélioration clinique est nette à la sortie. En comparant les épisodes maniaques et mixtes, on retrouve des scores plus élevés de symptômes dépressifs au cours des épisodes mixtes et des scores plus élevés de symptômes agressifs au cours des épisodes maniaques. On retrouve plus d’épisodes maniaques que mixtes chez les sujets présentant un retard mental. On retrouve également plus d’épisodes maniaques chez les sujets issus de l’immigration et/ou issus de milieux avec un bas niveau socioéconomique. Nous avons cherché à déterminer d’éventuels facteurs prédictifs de l’évolution à court terme. Dans ce sens, nous avons notamment étudié 2 variables : l’amélioration clinique et la durée d’hospitalisation. Le sexe féminin et la sévérité des symptômes à l’entrée seraient corrélés à une meilleure amélioration clinique. La présence de symptômes psychotiques et l’absence d’insight seraient corrélées à une durée plus longue d’hospitalisation. Une limitation importante de cette étude de l’épisode index est le fait qu’elle soit rétrospective. Les points forts comprennent l’échantillon (80 patients), l’homogénéité clinique (trouble bipolaire de type I sévère) et la durée d’hospitalisation (contrairement aux études américaines où les hospitalisations sont très brèves, en moyenne de trois à cinq jours). Les données concernant la présence de symptômes psychotiques sont concordantes avec les données antérieures de la littérature, de même que les antécédents familiaux. Nous n’avons pas retrouvé d’études sur 4518_06_Cons ol i . i105 4518_06_Consoli.indd ndd 105 S105 retard mental et troubles bipolaires de l’adolescent, mais cette comorbidité a été décrite chez l’adulte [37]. Quant aux antécédents psychiatriques personnels, il est intéressant de noter que l’on retrouve les mêmes données que la littérature concernant un épisode antérieur de dépression (42 %). On retrouve un antécédent d’épisode psychotique aigu chez 16 % des sujets. Pour les antécédents de trouble déficit attentionnel avec hyperactivité, on retrouve un chiffre de 4 %, qui est identique à la prévalence existant dans la population d’enfants d’âge scolaire (5 à 9 %) [47]. Ceci se rapproche des résultats d’une étude prospective retrouvant chez les sujets présentant une manie avant 26 ans des antécédents de trouble des conduites et/ou de trouble oppositionnel, de dépression, mais pas de trouble déficit attentionnel avec hyperactivité [30]. Les adolescents issus de migrants ou de bas niveau socio-économique présenteraient plus d’épisodes maniaques. Se pose alors la question de l’influence de facteurs culturels sur la phénoménologie, ou la question d’un diagnostic clinique qui serait moins bien posé face à un épisode mixte. Une étude portant sur des adolescents africains américains présentant un trouble bipolaire de type I met en évidence des symptômes psychotiques plus fréquents que chez les sujets caucasiens, ainsi que des scores plus élevés à la YMRS (Young Mania Rating Scale) [40]. Troubles bipolaires de l’adolescent et personnalité borderline Un diagnostic différentiel pouvant poser des problèmes diagnostics avec les troubles bipolaires est le trouble de personnalité borderline. La prévalence à l’adolescence est de 10 à 15 %. Ce diagnostic a fait l’objet de débats autour de la présentation « borderline-like » des adolescents. Les classifications utilisent les mêmes critères que chez l’adulte pour le DSM IV ; en revanche pour la CIM 10 les critères ne s’appliquent pas aux moins de 18 ans. Cependant, une certaine stabilité du diagnostic est mise en évidence par certains et le tableau clinique de ce trouble de personnalité comprend l’association d’affects instables, de mécanismes d’idéalisation et de dévalorisation, de vécus dépressifs, d’une lutte contre l’abandon, d’une intolérance à la frustration et d’épisodes psychotiques transitoires. Ce diagnostic à l’adolescence est corrélé à une souffrance personnelle et une altération du fonctionnement social. Des questions sont soulevées quant à la stabilité diagnostique du trouble borderline et aux comorbidités qui lui sont associées. En effet, à l’adolescence, la stabilité diagnostique après deux ans est modeste (30 %), posant les questions de faux positifs, ou d’une éventuelle amélioration clinique, ou d’une variabilité de l’évolution ou encore d’une surévaluation diagnostique du fait de la prévalence de l’association forte avec le trouble dépressif. Les comorbidités sont fréquentes avec les diagnostics de l’axe I, notamment avec les troubles de l’humeur, les conduites d’addictions et les troubles du comportement alimentaire. On retrouve 60 à 80 % d’épisodes dépressifs majeurs chez les adolescents borderline. 1 2 / 1 2 / 0 713:48:20 12/12/07 13: 48: 20 > XPress 6 Noir S106 A. Consoli, D. Cohen Concernant la comorbidité avec les troubles bipolaires, les études sont en faveur d’une comorbidité modeste chez les sujets jeunes, et concernent surtout le trouble bipolaire de type II [1, 39]. Il n’est pas non plus retrouvé de risque plus élevé de troubles de l’humeur chez les apparentés du premier degré de sujets borderline [43]. Enfin, les études pharmacologiques suggèrent qu’il existe plutôt un impact sur l’impulsivité que sur l’humeur des traitements pharmacologiques anticonvulsivants et thymorégulateurs [39]. Cependant, il n’existe que très peu d’études sur les liens entre troubles bipolaires et borderline à l’adolescence. Les problèmes posés sont ceux liés à des critères diagnostiques se chevauchant par rapport à des critères diagnostiques larges du DSM IV. Les critères cliniques partagés par les deux troubles sont l’instabilité affective, l’hostilité et l’impulsivité (JM Guilé, Montréal 2007). Quid du trouble bipolaire de l’enfant ? La question de la bipolarité chez l’enfant reste controversée. Anthony et Scott (1960) argumentent le fait que plus l’enfant est jeune, plus ce trouble est rare : « les jeunes enfants présentant des épisodes bien délimités de manie agitée avec euphorie suivie de dépression avec ralentissement psychomoteur sévère, puis d’un retour à l’euthymie en recouvrant un bon fonctionnement global restent beaucoup plus rares que chez l’adulte ». De même, plus récemment, Carlson explicite : « cependant un nombre non négligeable de pré adolescents présente des symptômes de manie, souvent sur fond de troubles développementaux et psychiatriques divers » [11]. Les symptômes maniaques chez l’enfant prépubère tels qu’ils sont décrits actuellement dans la littérature, et que certains nomment « trouble bipolaire pédiatrique » ou « manie juvénile » présentent certaines particularités. Ils sont chroniques et continus, ce qui représente un premier point de débat pour parler de trouble bipolaire [21]. La comorbidité avec le TDAH serait très élevée, deuxième point de débat car ceci est notamment soutenu par une seule équipe, et les critères diagnostiques se chevauchent [3]. Enfin, l’existence de signes psychotiques est rarissime, contrairement à ce qui est décrit chez l’adolescent présentant un trouble bipolaire de type I [11]. Mais, il nous paraît important de souligner que ce tableau clinique est celui d’un « trouble chronique » sans période d’euthymie. Celui-ci n’est d’ailleurs pas sans rapport avec les enfants présentant des défenses maniaques que Mélanie Klein avait décrites dans une perspective très différente. La comorbidité avec le TDAH reste sujet de débats [11, 13]. Carlson réagit dans ce débat en soulevant la question des aspects développementaux absolument pas pris en compte avec les difficultés que peuvent poser l’évaluation et l’interprétation d’une euphorie ou d’une mégalomanie chez l’enfant. Par ailleurs certains auteurs posent également la question de l’impact de facteurs environnementaux, ou d’autres difficultés comme les troubles des apprentissages (souvent mis de côté dans les entretiens diagnostiques structurés) sur la régulation émotionnelle. 4518_06_Cons ol i . i106 4518_06_Consoli.indd ndd 106 Les caractéristiques développementales peuvent influer sur la signification des critères diagnostiques. Peut-on interpréter de manière similaire l’euphorie ou la mégalomanie chez des enfants et chez des adultes ? Ne faudrait-il pas explorer la relation entre euphorie et âge ? Entre mégalomanie et âge ? [11]. De plus, il n’y a pas de consensus sur la définition de la manie chez l’enfant. L’évaluation diagnostique pose également question car il n’y a pas de consensus pour l’exploration de l’euphorie selon les entretiens, le contexte culturel et développemental de la mégalomanie n’est pas pris en compte [24]. Des difficultés peuvent être liées à la compréhension des items [7], et il peut émerger des divergences entre les différentes sources d’informations [11]. Les aspects psychopathologiques sont souvent mis de côté dans les entretiens diagnostiques structurés. G. Carlson ne remet pas en cause l’existence de symptômes maniaques chez l’enfant, mais se pose la question de ce que représente une définition plus large de la manie chez l’enfant comprenant des épisodes moins bien définis, des troubles comorbides fréquents et une dimension psychopathologique propre à l’enfance [11]. Elle évoque l’idée : • d’un trouble lié au développement, impliquant alors un changement à l’âge adulte ; • d’un trouble plus précoce et plus sévère, avec un pronostic plus péjoratif (comme la schizophrénie à début précoce) ; • d’un sous type clinique de trouble bipolaire ; • d’un état tempéramental génétiquement déterminé, stable, pouvant ou non prédire un trouble bipolaire. Bipolarité et tdah sont-ils liés ? La question des liens entre le syndrome de déficit attentionnel avec hyperactivité et troubles bipolaires est l’objet également de controverses. Il s’agit également d’un enjeu important pour un certain nombre de laboratoires pharmaceutiques puisqu’il existe des molécules spécifiques pour traiter ces deux troubles. L’analyse des données actuelles de la littérature permet d’établir certaines limites des liens entre ces deux troubles. En premier lieu, la question des interactions entre ADHD (troubles attentionnels et hyperactivité) et troubles bipolaires pose des problèmes diagnostiques et méthodologiques. En effet, le diagnostic de ADHD se pose différemment selon les classifications internationales : il faut des signes dans trois registres (impulsivité, déficit attentionnel et hyperactivité) pour poser le diagnostic CIM 10, et seulement dans deux registres pour le DSM IV (parmi les symptômes de type impulsivité, déficit attentionnel et hyperactivité) L’existence de troubles comorbides au trouble ADHD est exclue pour la CIM 10, comme les troubles de l’humeur et les troubles anxieux [47]. Ensuite, le problème majeur est celui du chevauchement des critères diagnostiques de ces deux troubles [13, 20], même si quelques symptômes seraient assez spécifiques de la manie chez l’enfant (versus ADHD, groupe contrôle) : idées de grandeur, élation 1 2 / 1 2 / 0 713:48:21 12/12/07 13: 48: 21 > XPress 6 Noir Troubles bipolaires à l’adolescence : actualités et controverses de l’humeur, hypersexualité, fuite des idées, besoin de sommeil diminué [20]. G. Carlson clarifie les différences cliniques entre les deux troubles, soulignant que les troubles bipolaires apparaissent en rupture avec un fonctionnement antérieur, que plus l’enfant est jeune plus ils sont rares, alors que l’ADHD apparaît avant 7 ans et que le tableau clinique est celui d’un trouble subcontinu [11]. Cette question amène aussi celle de l’existence du « trouble bipolaire pédiatrique » ou « manie juvénile » chez l’enfant prépubère. En effet, la littérature actuelle décrit un tableau de manie avec des symptômes chroniques et continus, fortement comorbides avec l’ADHD. Cependant, la prise en compte du caractère épisodique du trouble notamment n’est pas retenue, de même que la difficulté d’établir un diagnostic selon des critères appliquant une logique clinique adultomorphe, sans tenir compte des aspects développementaux ou d’autres difficultés propres à l’âge comme les troubles des apprentissages sur la régulation émotionnelle [29]. Certains auteurs préfèrent alors parler de « dysrégulations émotionnelles sévères » [12]. Les données épidémiologiques ne soutiennent pas non plus l’idée d’une forte comorbidité entre ces deux troubles. Ces troubles n’ont pas la même prévalence (5 à 9 % pour ADHD, 0,1 % pour le trouble bipolaire de type I chez l’adolescent), pas les mêmes facteurs de risque (facteurs psychosociaux, périnataux, toxiques pour l’ADHD, non retrouvés pour les troubles bipolaires), pas le même âge de début (avant 7 ans pour l’ADHD avec une amélioration quand l’âge augmente, formes prépubères exceptionnelles pour les troubles bipolaires de type I avec évolution clinique épisodique). Cette comorbidité entre ces deux troubles n’est pas retrouvée en population générale, mais seulement dans des populations cliniques [24]. Les recherches menées en population clinique sont de plus peu nombreuses et proviennent essentiellement de deux équipes (celle de J. Biederman et de B. Geller). Les études longitudinales de devenir disponibles ne montrent pas de fréquence plus élevée d’évolution vers un trouble bipolaire à l’adolescence ou à l’âge adulte chez les enfants présentant un ADHD. Aussi, les adolescents présentant un trouble bipolaire de type I n’ont pas de fréquence élevée d’antécédents d’ADHD comparativement aux enfants qui présenteraient un « trouble bipolaire pédiatrique » [23, 44]. Les études familiales ne soutiennent pas non plus l’hypothèse d’une vulnérabilité commune de ces deux troubles [29]. Les enfants issus de parents bipolaires ont un taux plus élevé de troubles de l’humeur incluant le trouble bipolaire de type I et présentent certaines dysrégulations émotionnelles, mais ne présentent pas de risque accru d’ADHD ou de « trouble bipolaire pédiatrique ». Dans ce sens également, l’étude prospective portant sur un échantillon d’enfants issus d’une population Amish de sujets adultes bipolaires de type I (100 enfants) est très intéressante. Les conclusions sont similaires, il n’est notamment pas retrouvé d’ADHD chez ces enfants en prévalence augmentée. Cependant, les auteurs mettent en évidence certaines caractéristiques cliniques épisodiques apparais- 4518_06_Cons ol i . i107 4518_06_Consoli.indd ndd 107 S107 sant plus souvent chez les enfants issus de parents bipolaires de type I que chez les sujets contrôles (labilité émotionnelle, anxiété, hyper alerte, trouble de la concentration, excitabilité, plaintes somatiques…). Au cours du suivi, seuls 2 adolescents présentent un trouble bipolaire clairement défini [17]. Une autre étude récente fort intéressante a comparé les antécédents familiaux de deux groupes d’enfants [8] : les uns présentant un « phénotype étroit » de trouble bipolaire de type I, les autres présentant une « dysrégulation émotionnelle sévère » selon la définition de Leibenluft [32]. Elle pose la question suivante : est ce qu’une dysrégulation émotionnelle sévère appartient elle au phénotype de trouble bipolaire ? Le résultat de cette étude montre qu’il existe significativement plus d’antécédents de troubles bipolaires dans le groupe des enfants présentant un « phénotype étroit » de trouble bipolaire que dans l’autre groupe. Il paraît donc nécessaire de distinguer le trouble bipolaire avec des critères diagnostiques « étroits » d’une dysrégulation émotionnelle sévère. L’hypothèse d’une relation entre les deux troubles paraît bien ténue. L’existence de symptômes communs entre ces deux troubles et l’absence de critères cliniques spécifiques de l’enfant pour le trouble bipolaire entraîne des problèmes méthodologiques avec les critères des classifications actuelles. La perspective développementale est de plus complètement ignorée. Il est possible que certains enfants décrits dans les études retrouvant une comorbidité forte relèveraient de troubles bipolaires de type II pour certains auteurs [12, 29], ou présenteraient des « dysrégulations émotionnelles sévères » pour d’autres dont nous faisons partie [8, 32]. Il est évident que des études cliniques rigoureuses sont nécessaires dans ce domaine, et qu’il faut rester très prudent quant aux implications thérapeutiques. Abords thérapeutiques La question des traitements pharmacologiques des troubles bipolaires de l’enfant et de l’adolescent a été récemment soulevée par un groupe d’experts donnant lieu à des recommandations [31] qui sont cependant très controversées car très « adultomorphiques » et ne s’étayant pas sur suffisamment d’études rigoureuses sur le plan méthodologique [38]. Pourtant la prescription de psychotropes chez les adolescents bipolaires a augmenté. En moyenne trois psychotropes sont prescrits dont par ordre de fréquence un des trois les plus prescrits la gabapentine qui ne fait pourtant l’objet d’aucune étude chez l’adolescent [2]. Il n’existe que très peu d’études contrôlées en aveugle. Les résultats des études disponibles dans la littérature ne sont pas ceux attendus, ils s’avèrent peu satisfaisants concernant l’efficacité thérapeutique [15]. Ceci est peut-être lié à des groupes cliniques de sujets très hétérogènes concernant l’âge (enfants parfois très jeunes et adolescents), le diagnostic (troubles bipolaires de type I et II) et les pathologies comorbides (hyperactivité, abus de substance). D’ailleurs les deux études donnant des résultats les plus concluants concernant le lithium dans la prévention des rechutes sont 1 2 / 1 2 / 0 713:48:21 12/12/07 13: 48: 21 > XPress 6 Noir S108 A. Consoli, D. Cohen deux études de devenir limitées à l’évaluation de sujets adolescents présentant un trouble bipolaire de type I [16, 46]. Cela étant, plusieurs études contrôlées, financées par l’industrie sont en cours dans le trouble bipolaire de type I de l’adolescent avec des critères plus stricts d’inclusion et de larges effectifs. Ces études devraient être publiées prochainement. Étant donné les controverses existantes concernant les liens entre trouble hyperactivité déficit attentionnel et trouble bipolaire, et le nombre important d’études où le trouble TDAH comorbide n’est pas un critère d’exclusion, cela suscite quelques interrogations. À partir des résultats décevants suite à cette revue de la littérature des traitements pharmacologiques, nous nous sommes posés la question de l’impact d’un trouble TDAH comorbide sur la réponse thérapeutique du trouble bipolaire chez le sujet jeune en réalisant une méta analyse [14]. Il s’agit d’une méta analyse de 5 essais ouverts incluant 273 enfants et adolescents. L’échantillon a été divisé en 2 groupes, avec ou sans TDAH comorbide. Les résultats montrent une diminution significative de la réponse thérapeutique chez les sujets présentant un trouble bipolaire associé à un trouble déficit attentionnel avec hyperactivité. Les résultats de cette méta analyse montrent que, quel que soit le traitement pharmacologique utilisé, l’existence d’un trouble TDAH comorbide diminue de manière significative la réponse thérapeutique chez des sujets jeunes enfants et adolescents présentant un trouble bipolaire. Cet effet péjoratif est d’autant plus net qu’il s’agit de groupes de sujets présentant un trouble bipolaire de type I seulement, et de groupes de sujets adolescents seulement. On peut donc légitimement se questionner sur le fait qu’il s’agisse du même trouble chez l’enfant pré pubère et l’adolescent/ jeune adulte. Conclusion Le trouble bipolaire de l’adolescent est clairement reconnu mais il est impératif de réaliser des études rigoureuses avec des groupes cliniques homogènes. Les symptômes de manie chez l’enfant nécessitent aussi d’être reconnus, mais il n’existe que peu d’arguments cliniques en faveur de l’hypothèse d’un continuum entre le trouble bipolaire de type I cyclique de l’adolescent et le « trouble bipolaire pédiatrique ». Il faut prendre en compte les limites liées à l’absence de perspective développementale et à l’adoption de points de vue adultomorphiques. Nous souhaitons donc souligner la nécessité de garder une perspective développementale pour les troubles de l’humeur comme une évidence tant dans la manie que dans la dépression. Les critères du trouble bipolaire devraient être très serrés et intégrer l’idée d’épisode aigu ou de rupture (NICE ou National Institute for Health and Clinical excellence). C’est le point de vue retrouvé dans les critères NICE par le « Royal College of Psychiatry » en Angleterre puisqu’il refuse l’utilisation du diagnostic de bipolarité chez l’enfant pour éviter toute confusion nosographique. Enfin, pour la forme clinique de l’enfant dont les liens avec les troubles du caractère, le TDHA et les défenses maniaques sont évidents, nous nous 4518_06_Cons ol i . i108 4518_06_Consoli.indd ndd 108 demandons si l’on ne pourrait pas promouvoir l’usage d’une terminologie moins ambiguë ou source de confusion comme trouble dysphorique ou hyperthymique de l’enfant. Références [1] Benazzi F. Age at onset of bipolar II disorder with Axis I comorbidity. Can J Psychiatry 2000 ; 45 : 490-1. [2] Bhangoo RK, Lowe CH, Myers FS et al. Medication use in children and adolescents treated in the community for bipolar disorder. J Child Adolesc Psychopharmacol 2003 ; 13 : 515-22. [3] Biederman J, Faraone S, Mick E et al. Attention-deficit hyperactivity disorder and juvenile mania : an overlooked comorbidity ? J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1996 ; 35 : 997-1008. [4] Birmaher B, Axelson D, Strober M et al.Clinical course of children and adolescents with bipolar spectrum disorders. 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