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L’Encéphale, 2007 ; 33 : Septembre, cahier 3
Médecin généraliste à Lussant (Charentes-Maritimes),
responsable d’un groupe de recherche en médecine gé-
nérale pour l’accueil des « adolescents en diffi culté », et
du réseau « Ville-Hôpital Icare » pour les liens entre l’hô-
pital et la ville sur les addictions, P. Binder a évoqué le
rôle du médecin généraliste pour dépister une anxiété
ou une dépression. Les médecins généralistes éprou-
vent des diffi cultés à faire ce dépistage au quotidien. Des
chiffres issus de l’observatoire permanent de médecine
générale publiés par le CREDES et la CNAM il apparaît
que 5,6 % des patients qui consultent en médecine gé-
nérale souffrent d’une dépression. Or l’activité moyenne
en médecine générale est de 19 actes par jour : le géné-
raliste voit en moyenne un patient par jour qui présente
des symptômes appartenant au registre de l’anxiété ou
de la dépression. Selon P. Binder, la diffi culté de dépista-
ge de l’anxio-dépression en médecine générale peut être
en rapport avec le motif de la consultation (dans 96 %
des cas, la demande est somatique, administrative ou en
lien avec des plaintes diverses), le manque de temps, le
fait que les symptômes somatiques sont au premier plan
masquant les problèmes psychiques, et enfi n la diffi culté
pour le médecin généraliste de faire face à toutes les de-
mandes de dépistages (HTA, ostéoporose, etc.) sans une
formation spécifi que.
Selon P. Binder, pour améliorer le dépistage de l’an-
xiété, la dépression ou l’anxio-dépression en médecine
générale il faudrait s’appuyer sur 4 points :
– un outil facile, de passation rapide compatible avec
le mode de fonctionnement en médecine générale : l’ab-
sence d’un tel outil peut expliquer l’absence d’étude sur
cette question en médecine générale ;
– une méthode de psychothérapie rapide, simple,
accessible au médecin généraliste pour aider le patient
à réfl échir sur soi et contrôler ses symptômes ; l’absence
d’un tel outil rend diffi cile le dépistage d’une anxiété ou
d’une dépression ;
– le médecin généraliste doit « fuir la bienveillante
neutralité », car il suit des patients sur parfois plusieurs
générations et il possède des informations réelles sur les
antécédents anxio-dépressifs des patients, ce qui peut
faciliter le dépistage ;
– lorsque le dépistage est fait il faut mettre en place
un traitement et un suivi, et si besoin obtenir la confi rma-
tion diagnostique par un psychiatre : cela est rendu diffi -
cile par la pénurie de psychiatres (libéral et institutionnel)
dans la région.
La conclusion est qu’en réalité la diffi culté des trou-
bles anxio-dépressifs en médecine générale est certes
le dépistage, mais aussi l’introduction d’un traitement
psychotrope et la mise en place d’une psychothérapie :
de quel type ? à réaliser par qui ? dans quel délai accep-
table ?
C. André a repris deux points :
– le manque d’outil diagnostique permettant de repé-
rer les troubles avant qu’ils soient constitués : les méde-
cins généralistes sont souvent en mesure de percevoir
la vulnérabilité des patients même si le trouble n’est pas
installé. Un des moyens d’aider le patient serait la psy-
choéducation, c’est-à-dire porter un diagnostic, expli-
quer les symptômes, donner quelques petits conseils de
gestion des émotions et d’activités physiques régulières.
L’ensemble de ces éléments permettent au patient d’ac-
quérir une représentation psychique de son trouble, et de
Table ronde : anxiété-dépression
MODÉRATEURS : J.-P. OLIÉ, O. DUBOIS
RÔLES DU PSYCHIATRE : B. RIMLINGER
GÉNÉRALISTE : P. BINDER
PSYCHOTHÉRAPEUTE : CH. ANDRÉ
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ne pas mettre en avant les symptômes physiques pour
exprimer des problèmes psychologiques ;
– l’accord pour dire que « la neutralité bienveillante »
n’est pas une bonne chose en médecine générale : « il
faut avoir de la compassion, sans se carboniser ». Elle
est parfois nécessaire, voire indispensable dans le cadre
de la cure psychanalytique, mais dès qu’on rentre dans
un registre d’aide psychologique, on n’a pas forcément à
devenir neutre, même si c’est de façon bienveillante.
B. Rimlinger a souligné que la place du psychiatre
dans le domaine de l’anxiété et de la dépression, n’est
pas tellement dans la rupture ou dans la continuité, mais
plutôt dans la comorbidité. Car les patients consultent
le psychiatre à un stade évolutif avancé de la pathologie
avec diverses comorbidités : souvent les troubles an-
xieux sont diagnostiqués avec un retard de 5 à 10 ans.
Il y a principalement trois raisons à ce retard dia-
gnostique :
– la banalisation des symptômes psychiques dès le
plus jeune âge. En effet les troubles anxieux généralisés
sont considérés comme « des personnes soucieuses »
parfois en se référant à un membre de la famille « com-
me son père » et les troubles phobiques sont considé-
rés comme « une timidité » ; ces troubles sont souvent
associés à un trait de personnalité constitutionnelle, ce
qui fait qu’il y a une sorte d’adaptation du patient, de
l’entourage, et qu’on n’évalue pas forcément le seuil de
gravité ni le pronostic ;
– les troubles anxieux sont souvent masqués par des
symptômes somatiques. Par exemple la douleur est as-
sociée à un trouble anxiodépressif dans 40 % des cas.
En se basant sur son expérience personnelle, le Dr Ri-
mlinger rapporte que les patients qui souffrent physique-
ment scindent leur discours : ils parlent de leurs douleurs
physiques avec les médecins généralistes et de leurs
douleurs psychiques avec les psychiatres. Il est donc
important d’interroger le patient pour recréer l’unité
somato-psychique ;
– l’abus de substances toxiques et/ou d’alcool dans
les troubles anxieux, parfois « à but thérapeutique » : l’on
retrouve l’abus d’alcool dans 30 % des dépressions uni-
polaires et dans 50 % des dépressions bipolaires. Par
exemple un jeune adolescent qui fume du cannabis tous
les jours, dont un des parents est anxieux ou dépressif
et un père alcoolique, doit être informé (lui et sa famille)
du risque ultérieur de développer une dépression sévère
et donc de la nécessité d’arrêter l’utilisation des pro-
duits toxiques, et de mettre en place une prise en charge
adaptée.
En conclusion, il faut tenir compte des antécédents
personnels et familiaux, essayer de ne pas banaliser les
symptômes et bien explorer les symptômes psychiques.
Le meilleur moyen est le travail collaboratif entre le psy-
chiatre et le médecin généraliste.
DISCUSSION
O. Dubois
Je suis d’accord avec le Dr Binder : l’utilisation d’un
outil d’évaluation est nécessaire dans la pratique quoti-
dienne. Il peut non seulement aider le praticien à déter-
miner l’effi cacité d’un traitement psychotrope ou d’une
psychothérapie, mais aussi favoriser le lien thérapeutique
avec le patient. Il peut aussi aider le patient à se sentir
reconnu dans sa pathologie qui fait l’objet d’une mesure
objective de sévérité et dont l’amélioration grâce à la
prise peut être chiffrée. Lors de l’étude STOP-TAG, nous
avons pu percevoir à quel point l’utilisation des échelles
HAMA et MADRS était intéressante pour la mise en place
d’un lien thérapeutique avec les patients.
P. Binder
Je suis d’accord avec les propos du Dr Dubois, puis-
qu’une étude menée avec le groupe de recherche en
médecine générale de Charentes-Maritimes, sur le dé-
pistage du mal-être chez les adolescents de 12 à 20 ans,
nous a montré que l’utilisation d’une échelle d’évaluation
permet de repérer les adolescents souffrant d’un mal-
être dans 40 % des cas, alors qu’ils venaient pour une
cause somatique. Dés lors le médecin généraliste fi xe
un rendez-vous, je dis bien fi xer un rendez-vous car je
pense qu’il faut sortir de la neutralité bienveillante.
J. Tignol
Je pense que pour diminuer la tentative du patient
de parler somatique au médecin généraliste et psyché
au psychiatre il faut former des médecins généralistes
pour dépister les maladie psychiques et être en quelque
sorte « généralistes du psyché ». Pour cela les formations
post-universitaires peuvent être très utiles.
J.L. Salvy
Je voulais poser une question administrative. J’ai l’im-
pression que le non remboursement des psychologues
est le fait du corporatisme des médecins généralistes et
des psychiatres et que si on forçait un peu ils pourraient
être remboursés même sur prescription du psychiatre. Je
pense que cela allègerait beaucoup le travail de ces der-
niers et j’ai l’impression dans la pratique qu’il y a beau-
coup de patients qui utilisent les soins kinésithérapiques
comme une forme de psychothérapie massante et de
l’orthophonie comme une forme de psychothérapie sco-
laire. Donc je me demande s’il n’y a pas une dérive et
qu’il ne serait pas temps de faire rembourser la psycho-
thérapie par la sécurité sociale.
J.-P. Olié et al. L’Encéphale, 2007 ; 33 : 705-707, cahier 3
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J.-P. Olié
Merci de cette remarque. Je voulais quand même pré-
ciser qu’on souligne ici à juste titre ce problème du nombre
de psychiatre et répète à l’envie cette contre-vérité selon
laquelle nous sommes le pays où il y a le plus grand nom-
bre trop faible de psychiatres, ce qui est inexact, puisque
dans d’autres pays par exemple l’Allemagne on classe
d’une part les psychiatres, d’autre part les psychothé-
rapeutes, d’autre part les neuropsychiatres, d’autre part
les psychosomaticiens. Bien sûr il y a davantage de psy-
chiatres en France puisque sous le terme générique psy-
chiatres, il y a les psychiatres, les psychothérapeutes, les
neuropsychiatres, les psychosomaticiens. En réalité il n’y
a donc pas du tout surdensité de psychiatres en France
comparativement aux pays voisins.
Table ronde : anxiété-dépressionL’Encéphale, 2007 ; 33 : 705-707, cahier 3
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