S706
ne pas mettre en avant les symptômes physiques pour
exprimer des problèmes psychologiques ;
– l’accord pour dire que « la neutralité bienveillante »
n’est pas une bonne chose en médecine générale : « il
faut avoir de la compassion, sans se carboniser ». Elle
est parfois nécessaire, voire indispensable dans le cadre
de la cure psychanalytique, mais dès qu’on rentre dans
un registre d’aide psychologique, on n’a pas forcément à
devenir neutre, même si c’est de façon bienveillante.
B. Rimlinger a souligné que la place du psychiatre
dans le domaine de l’anxiété et de la dépression, n’est
pas tellement dans la rupture ou dans la continuité, mais
plutôt dans la comorbidité. Car les patients consultent
le psychiatre à un stade évolutif avancé de la pathologie
avec diverses comorbidités : souvent les troubles an-
xieux sont diagnostiqués avec un retard de 5 à 10 ans.
Il y a principalement trois raisons à ce retard dia-
gnostique :
– la banalisation des symptômes psychiques dès le
plus jeune âge. En effet les troubles anxieux généralisés
sont considérés comme « des personnes soucieuses »
parfois en se référant à un membre de la famille « com-
me son père » et les troubles phobiques sont considé-
rés comme « une timidité » ; ces troubles sont souvent
associés à un trait de personnalité constitutionnelle, ce
qui fait qu’il y a une sorte d’adaptation du patient, de
l’entourage, et qu’on n’évalue pas forcément le seuil de
gravité ni le pronostic ;
– les troubles anxieux sont souvent masqués par des
symptômes somatiques. Par exemple la douleur est as-
sociée à un trouble anxiodépressif dans 40 % des cas.
En se basant sur son expérience personnelle, le Dr Ri-
mlinger rapporte que les patients qui souffrent physique-
ment scindent leur discours : ils parlent de leurs douleurs
physiques avec les médecins généralistes et de leurs
douleurs psychiques avec les psychiatres. Il est donc
important d’interroger le patient pour recréer l’unité
somato-psychique ;
– l’abus de substances toxiques et/ou d’alcool dans
les troubles anxieux, parfois « à but thérapeutique » : l’on
retrouve l’abus d’alcool dans 30 % des dépressions uni-
polaires et dans 50 % des dépressions bipolaires. Par
exemple un jeune adolescent qui fume du cannabis tous
les jours, dont un des parents est anxieux ou dépressif
et un père alcoolique, doit être informé (lui et sa famille)
du risque ultérieur de développer une dépression sévère
et donc de la nécessité d’arrêter l’utilisation des pro-
duits toxiques, et de mettre en place une prise en charge
adaptée.
En conclusion, il faut tenir compte des antécédents
personnels et familiaux, essayer de ne pas banaliser les
symptômes et bien explorer les symptômes psychiques.
Le meilleur moyen est le travail collaboratif entre le psy-
chiatre et le médecin généraliste.
DISCUSSION
O. Dubois
Je suis d’accord avec le Dr Binder : l’utilisation d’un
outil d’évaluation est nécessaire dans la pratique quoti-
dienne. Il peut non seulement aider le praticien à déter-
miner l’effi cacité d’un traitement psychotrope ou d’une
psychothérapie, mais aussi favoriser le lien thérapeutique
avec le patient. Il peut aussi aider le patient à se sentir
reconnu dans sa pathologie qui fait l’objet d’une mesure
objective de sévérité et dont l’amélioration grâce à la
prise peut être chiffrée. Lors de l’étude STOP-TAG, nous
avons pu percevoir à quel point l’utilisation des échelles
HAMA et MADRS était intéressante pour la mise en place
d’un lien thérapeutique avec les patients.
P. Binder
Je suis d’accord avec les propos du Dr Dubois, puis-
qu’une étude menée avec le groupe de recherche en
médecine générale de Charentes-Maritimes, sur le dé-
pistage du mal-être chez les adolescents de 12 à 20 ans,
nous a montré que l’utilisation d’une échelle d’évaluation
permet de repérer les adolescents souffrant d’un mal-
être dans 40 % des cas, alors qu’ils venaient pour une
cause somatique. Dés lors le médecin généraliste fi xe
un rendez-vous, je dis bien fi xer un rendez-vous car je
pense qu’il faut sortir de la neutralité bienveillante.
J. Tignol
Je pense que pour diminuer la tentative du patient
de parler somatique au médecin généraliste et psyché
au psychiatre il faut former des médecins généralistes
pour dépister les maladie psychiques et être en quelque
sorte « généralistes du psyché ». Pour cela les formations
post-universitaires peuvent être très utiles.
J.L. Salvy
Je voulais poser une question administrative. J’ai l’im-
pression que le non remboursement des psychologues
est le fait du corporatisme des médecins généralistes et
des psychiatres et que si on forçait un peu ils pourraient
être remboursés même sur prescription du psychiatre. Je
pense que cela allègerait beaucoup le travail de ces der-
niers et j’ai l’impression dans la pratique qu’il y a beau-
coup de patients qui utilisent les soins kinésithérapiques
comme une forme de psychothérapie massante et de
l’orthophonie comme une forme de psychothérapie sco-
laire. Donc je me demande s’il n’y a pas une dérive et
qu’il ne serait pas temps de faire rembourser la psycho-
thérapie par la sécurité sociale.
J.-P. Olié et al. L’Encéphale, 2007 ; 33 : 705-707, cahier 3