Approche dimensionnelle des troubles des comportements sociaux

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PSYCHIATRIE DE L’ENFANT
Approche dimensionnelle des troubles des comportements sociaux
chez l’enfant. Étude préliminaire de validation de la version
française du Children’s Social Behavior Questionnaire (CSBQ)
E. EXCOFFIER (1, 2, 5), G. VILA (3), E. TAUPIAC (4), M.-C. MOUREN-SIMEONI (1), M.-P. BOUVARD (4, 5)
Dimensional approach of social behaviour deficits in children. Preliminary validation study of the French
version of the Children’s Social Behaviour Questionnaire (CSBQ)
Summary. Social deficit is the core symptom of pervasive developmental disorder. In other child psychiatric disorders,
social problems are also described but mainly as a result of the disease symptomatology. However, some recent studies
suspect that in several disorders such as attention deficit hyperactive disorder, patients have an endogenous social disturbance. The aim of our research was to study abnormal child social behaviour in several disorders, using a dimensional
approach. It is a preliminary validation study of the French version of the Children’s Social Behaviour Questionnaire, a
dimensional instrument constructed by Luteijn, Minderaa et al. Methodology – Five clinical groups, according to the
DSM IV criteria, formed a population of 103 children aged 6 to 16 years old : autistic disorder, attention deficit hyperactive
disorder (ADHD), emotional disorder (anxious, depressed), mental retardation and normal children. Parents completed
the Child Behaviour Checklist (CBCL) and the Children’s Social Behaviour Questionnaire (CSBQ). The research worker
and the child’s physician completed a data form. The data form included information about medical history, development
and socio-demographic criteria. The CBCL explored children’s behaviours and general psychopathology, and included
social dimensions (withdrawn, social problems, aggressive/delinquent behaviours, thought problems). The CSBQ, a
dimensional questionnaire, explored children’s social behaviours and included five dimensions : « acting-out », « social
contact », « social insight », « social anxiety », « social stereotypes ». The English version of the CSBQ, validated with
in the Netherlands Dutch population was translated into French and the translation was validated (double back translation).
As the CBCL and CSBQ questionnaires are both dimensional instruments, dimensions have been compared. All instrument results were analysed separately ; correlations and comparisons were made between groups. Results – Correlations
between CSBQ and CBCL dimensions are consistent. Positive correlations exist for : « acting-out » dimension with
« external behaviours », « aggressive behaviour » and « delinquent behaviour » ; « social contact » with « internal
behaviours » and « withdrawn » ; « social Insight » with « social problems » and « attention problems » ; « social anxiety »
with « anxious/depressed », « thought problems » and « internal behaviours » ; social stereotypes » with « thought
problems ». Mean CSBQ results are as follows : 1. autistic group has the highest score for the « social contact » dimension,
ADHD group has the highest score for the « acting-out » dimension, mental retardation group has the highest score for
the « social insight » dimension. 2. comparisons between groups shows : significant difference between the autistic and
ADHD groups for « social contact » and « social anxiety » but not for « social insight » and « acting-out » ; between the
autistic and mental retardation groups, there is a significant difference for « social contact » but not for the other
dimensions ; between the ADHD and mental retardation groups, there is a significant difference only for « acting-out » ;
there is no significant difference between the ADHD and emotional groups ; control group has very low scores. CBCL
results are : abnormal scores in all groups except normal control group, for « social problems » and « attention problems » ;
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
Service de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, APHP-Hôpital Robert-Debré, Paris.
Service de Pédopsychiatrie du Docteur Constant, Hôpitaux de Chartres.
Fédération de Pédiatrie, Hôpital Necker Enfants-Malades, Paris.
Service de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Hôpital Charles-Perrens, Bordeaux.
CNRS, UMR 7593, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris.
Travail reçu le 4 juillet 2003 et accepté le 27 avril 2006.
Tirés à part : E. Excoffier (à l’adresse ci-dessus).
L’Encéphale, 33 : 2007, Septembre, cahier 1
585
E. Excoffier et al.
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 585-91, cahier 1
abnormal scores in the autistic and emotional groups for « anxious/depressed », « withdrawn » and « internal
behaviours » ; abnormal scores in the ADHD group for « aggressive behaviour », « delinquent behaviour » and « external
behaviours » ; the « internal behaviours » score is borderline. Discussion – Social behaviour profiles are different and
characteristic for each disorder. However, social symptoms are not specific for one disorder and common social signs
do exist between different disorders. Our results are concordant with the Luteijn study and literature data. The results
support the hypothesis of a dimensional pathogenesis in social behaviour disturbance. We discuss the benefit of a dimensional approach to complete the categorical one. The Children’s Social Behaviour Questionnaire seems to be an interesting
instrument to explore social behaviour disturbances in several child disorders.
Key words : Child ; Children’s social behavior ; Dimension ; Social behaviors ; Validation.
Résumé. Les perturbations des comportements sociaux ont
une place centrale dans le diagnostic des troubles envahissants du développement. Dans les autres pathologies psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent elles apparaissent
secondaires et on parle le plus souvent d’un retentissement
social. Il semble toutefois que les troubles de la socialisation
observés dans certaines pathologies telles que le trouble
déficit d’attention/hyperactivité, soient plus complexes et plus
endogènes qu’on ne le pensait. Nous exposons une étude
dimensionnelle des troubles des comportements sociaux
dans différentes pathologies psychiatriques de l’enfant et de
l’adolescent. Il s’agit aussi d’une étude préliminaire de validation d’un nouvel outil dimensionnel explorant les troubles
des comportements sociaux : le Children’s Social Behavior
Questionnaire (CSBQ). Nous discutons des bénéfices de
l’approche dimensionnelle des troubles de la socialisation et
de l’intérêt clinique du questionnaire CSBQ.
Mots clés : Children’s Social Behavior Questionnaire ; Comportements sociaux ; Dimension ; Enfant ; Validation.
INTRODUCTION
Des troubles de la socialisation ont été décrits dans
nombre de pathologies psychiatriques de l’enfant et de
l’adolescent et plus précisément dans le trouble envahissant du développement (TED).
Selon les critères du DSM IV (2), les TED et parmi eux
le trouble autistique se caractérisent par un déficit des
interactions sociales, des difficultés de communication et
des comportements répétitifs. Les perturbations sociales
dans les TED ont fait l’objet de multiples travaux mais leur
description a le plus souvent été peu spécifique et confondue avec la description d’ensemble de la symptomatologie autistique. Pourtant, les difficultés sociales des
autistes apparaissent complexes et hétérogènes (9).
Dans les autres pathologies de l’enfant telles que le
trouble déficit d’attention/hyperactivité (TDAH), le trouble
anxieux ou la dépression, les difficultés de socialisation
ont le plus souvent été considérées comme le simple
retentissement social du trouble. Or, il semble que des
déficits ou déviances primaires du fonctionnement social
soient retrouvés dans le TDAH (3, 4, 16).
586
Dans ce contexte, il serait intéressant d’étudier les troubles des comportements sociaux dans ces différentes
pathologies de l’enfant et de l’adolescent. Sous le terme
comportements sociaux, on entend les comportements,
attitudes et réactions internalisés ou externalisés s’inscrivant dans le champ social et sous-tendus par des compétences socio-cognitives évoluant au cours du développement. Ils sont par définition observables même s’ils
aboutissent à des situations relationnelles plus complexes
ou s’ils sont sous-tendus par des processus cognitifs et
développementaux qui ne sont pas toujours observables.
Les outils d’évaluation utilisés pour investiguer le trouble autistique ou l’hyperactivité sont spécifiques du trouble
et explorent donc les signes cliniques établis comme
caractéristiques. L’évaluation à travers ces outils donne
soit un diagnostic, soit un degré de sévérité de la pathologie mais ne relève pas les dysfonctionnements à
d’autres niveaux, soit moins spécifiques du trouble, soit
sous-jacents au trouble. Dans ce contexte, un outil dimensionnel pourrait donner une vision plus complète de la
pathologie et permettre de faire le lien avec les mécanismes cognitifs et biologiques en cause.
Des études ont permis de dégager certaines dimensions d’outils d’évaluation connus comme l’échelle de
Vineland (11) ou la Children Autistic Rating Scale (10).
Cependant la cohérence et le sens de ces dimensions sont
à préciser ou même dépendent de théories explicatives
comme par exemple la théorie de l’esprit (13, 14). Enfin,
le questionnaire Child Behavior Checklist (1) est un outil
dimensionnel de psychopathologie générale analysant les
comportements tout-venant sociaux et non sociaux chez
l’enfant et l’adolescent. Toutefois, il n’existe pas à ce jour
d’outil permettant une exploration athéorique et dimensionnelle ciblée sur les comportements sociaux.
Dans ce contexte, le Children’s Social Behavior Questionnaire (CSBQ) apparaît intéressant (6). Élaboré et
validé en langue anglaise aux Pays-Bas, cet outil dimensionnel a le mérite et l’originalité de permettre une évaluation standardisée et ciblée des comportements sociaux
chez l’enfant et l’adolescent quel que soit le diagnostic
psychiatrique (7, 8). Le questionnaire est rempli par les
parents qui sont les plus à même de répondre aux questions simples décrivant le comportement de leur enfant au
quotidien.
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 585-91, cahier 1
Approche dimensionnelle des troubles des comportements sociaux chez l’enfant
Nous exposons une étude dimensionnelle des troubles
des comportements sociaux chez l’enfant et l’adolescent
dans différents troubles psychiatriques. Dans une démarche de pré-validation nous avons traduit, utilisé et étudié
le questionnaire CSBQ.
MÉTHODE
Population
La population d’étude se divise en cinq groupes diagnostiques et comprend des sujets des deux sexes, âgés
de 6 à 16 ans.
Les enfants ont été recrutés parmi les consultants de
deux services universitaires de pédopsychiatrie. Ils
étaient tous suivis depuis plus de six mois et le diagnostic
avait déjà été posé par le médecin référent, selon les critères du DSM IV (2).
Ont été recrutés des sujets présentant :
– un trouble autistique ;
– un trouble déficit d’attention/hyperactivité ;
– un trouble émotionnel (trouble anxieux, dépression) ;
– un retard mental.
Enfin, un cinquième groupe issu d’une consultation
pédiatrique, a constitué un groupe contrôle d’enfants
indemnes de toute pathologie psychiatrique.
OUTILS D’ÉVALUATION
Questionnaire « Children’s Social Behavior
Questionnaire » (CSBQ) (6)
L’utilisation du questionnaire, dans notre étude, s’intègre dans le cadre d’une collaboration avec le Docteur
Luteijn et l’équipe du professeur Minderaa (Groningen,
Pays-Bas).
L’élaboration du CSBQ par Luteijn et al., s’est faite en
plusieurs temps entre 1992 et 2000 (6, 7, 8). Les auteurs
ont d’abord mis au point une échelle, transformée ensuite
en questionnaire à 135 items et 9 dimensions. La version
à 135 items a été révisée pour aboutir à un questionnaire
final à 96 items et 5 dimensions. Cette dernière version a
fait l’objet de plusieurs études sur différents groupes
d’enfants âgés de 4 à 16 ans et présentant les pathologies
suivantes : trouble déficit d’attention/hyperactivité, trouble
envahissant du développement non spécifié, autisme à
haut niveau de fonctionnement, groupe contrôle clinique
(anxieux, déprimés, troubles du comportement alimentaire, tics) et un groupe contrôle d’enfants normaux. Les
études ont porté sur plus de 2 000 sujets.
Le questionnaire a été validé dans sa version anglaise
et ses qualités psychométriques ont été jugées satisfaisantes. Le questionnaire CSBQ se compose de 96 items.
La cotation est la suivante :
– 0 = pas du tout retrouvé ;
– 1 = légèrement ou parfois retrouvé ;
– 2 = souvent retrouvé ou comportement très marqué.
Les cinq dimensions sont les suivantes :
• « Acting-out » : regroupe les troubles des comportements externalisés, l’hyperactivité, l’impulsivité, l’opposition et les comportements perturbateurs.
• « Perturbations du contact social » : regroupe les
troubles du contact, l’isolement, les jeux avec les pairs,
l’initiation d’interaction et la réponse aux initiatives
d’autrui.
• « Insight social » : cette dimension comprend la
cohérence de la pensée, la perception de soi et d’autrui,
la compréhension des modes et codes sociaux, le traitement de l’information sociale, l’autonomie sociale et
l’adaptation contextuelle.
• « Anxiété/rigidité » : comprend l’anxiété en situation
sociale, les comportements ritualisés, le manque de flexibilité et l’adaptabilité au changement.
• « Stéréotypes » : regroupe les stéréotypies motrices
et verbales et les comportements répétitifs inadaptés.
Le score total et les scores obtenus pour chaque dimension donnent un profil dimensionnel de troubles des comportements sociaux.
Les auteurs ont élaboré une grille de données normatives avec une fourchette allant de 0 (extrêmement bas)
à 10 (extrêmement sévère), mais ces données ne sont pas
encore finalisées. Nous avons donc pris le parti pour cette
étude préliminaire de retenir les scores sans les comparer
aux données normatives, et nous avons sélectionné à titre
comparatif un groupe d’enfants contrôles normaux.
Questionnaire « Child Behavior Checklist » (CBCL) (1)
Ce questionnaire de psychopathologie générale est
composé de deux parties : l’une explore les domaines
sociaux (social, activités, scolaire) et l’autre les comportements tout-venant sociaux et non sociaux chez l’enfant
et l’adolescent de 4 à 16 ans. De cette dernière partie se
dégagent un score total et des dimensions : comportements externalisés, comportements internalisés et huit
facteurs dont certains s’inscrivent dans le champ social
(problèmes sociaux, isolement, troubles de la pensée,
agressivité, trouble des conduites/comportements perturbateurs).
La cotation donne un score pour chaque domaine ; le
seuil pathologique est à 63, la zone entre 60 et 63 étant
considérée comme limite.
La validité et les qualités psychométriques de la CBCL
sont bonnes et l’outil a été validé sur la population française (5).
Fiche complémentaire
Il s’agit d’une fiche d’information établie pour l’étude et
explorant les antécédents, le développement et des critères sociodémographiques et familiaux. Cette fiche est
remplie par le médecin menant l’étude d’après les éléments fournis par le médecin référent, le dossier du patient
et les parents.
587
E. Excoffier et al.
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 585-91, cahier 1
Procédure
Le premier temps de notre étude a consisté en la traduction en français du questionnaire CSBQ, et en la validation de cette traduction par un professionnel d’origine
anglo-saxonne (professeur d’anglais médical à la faculté
de Bordeaux II). Une traduction inverse (anglais → français) a conduit à quelques modifications, puis une
deuxième traduction inverse a conclu à la validité de cette
version.
Pour l’étude à proprement parler, les deux questionnaires CSBQ et CBCL ont été remplis par les parents après
qu’ils aient reçu des explications concernant le remplissage. Le médecin menant l’étude a rempli la fiche de renseignements complémentaires à partir de l’avis du médecin référent, du dossier médical et des informations
fournies par les parents.
Analyse
Après cotation des questionnaires, l’analyse statistique
des données par le logiciel Statview a consisté en des
tests non paramétriques avec recherche du seuil de significativité pour :
– la comparaison des moyennes par le test de Fisher
avec correction de Bonferoni ;
– une analyse des corrélations.
RÉSULTATS
Population et données sociodémographiques
Notre échantillon comprend 103 sujets dont 30 dans le
groupe des autistes, 24 pour celui des troubles déficit
d’attention/hyperactivité (TDAH), 13 pour les troubles
émotionnels, 16 pour les retardés mentaux et 20 pour les
contrôles normaux (tableau I).
TABLEAU I. — Caractéristiques de la population d’étude.
Âge moyen
Sex ratio
Nombre en années
garçons/
d’enfants (déviation
filles
standard)
Autistes
30
9,3 (3,6)
27/3
Trouble déficit d’attention/
hyperactivité
24
9,6 (2,9)
24/0
Trouble émotionnel
13
10,5 (2,9)
8/5
Retardés mentaux
16
9,9 (3,2)
10/6
Contrôles normaux
20
8,8 (3,4)
15/5
La répartition par sexe est de 84 garçons pour 19 filles.
Il existe une prédominance masculine plus nette dans les
groupes des autistes et des TDAH mais cette répartition
est concordante avec le sex-ratio existant dans ces troubles.
588
L’âge moyen est de 9,7 ans avec un écart intergroupe
faible (8,8 ans à 10,5 ans).
Les caractéristiques sociodémographiques (niveau
socio-économique, composition de la famille) sont comparables entre les groupes.
Corrélations du CSBQ avec la CBCL
Dans le cadre d’une démarche de pré-validation, nous
avons testé les liens entre les profils psychocomportementaux de la CBCL et les dimensions du CSBQ.
Il ressort que les corrélations significatives entre CSBQ
et CBCL sont les plus fortes pour :
– l’acting-out (CSBQ), avec les facteurs de la CBCL
suivants : comportements externalisés (r = 0,81), comportements perturbateurs (r = 0,63) et agressifs (r = 0,75)
et difficultés d’attention (r = 0,64) ;
– le contact social, avec les comportements internalisés (r = 0,6), l’isolement (r = 0,65), les troubles de la pensée (r = 0,58) et les difficultés d’attention (r = 0,54) ;
– l’insight, avec les problèmes sociaux (r = 0,62) et les
difficultés d’attention (r = 0,73) ;
– l’anxiété/rigidité, avec l’anxiété/dépression (r = 0,71),
les comportements internalisés (r = 0,72), l’isolement
(r = 0,53), les problèmes sociaux (r = 0,54), les troubles
de la pensée (r = 0,67) et les difficultés d’attention (r = 0,53) ;
– les stéréotypes, avec les troubles de la pensée
(r = 0,6).
Chaque dimension du CSBQ est ainsi corrélée à plusieurs facteurs de la CBCL et l’ensemble des corrélations
est cohérent d’un point de vue clinique.
En ce qui concerne les domaines psychosociaux de la
CBCL, le domaine activités est significativement corrélé
au contact social et à l’anxiété/rigidité du CSBQ. Le
domaine social est corrélé avec toutes les dimensions
sauf l’anxiété/rigidité. Le domaine scolaire est corrélé avec
toutes les dimensions sauf l’acting-out.
Les profils et corrélations obtenus sont cohérents et
vont dans le sens de la validité clinique du CSBQ.
Résultats aux questionnaires
Questionnaire CSBQ
Profils par groupe clinique
• Scores globaux comparés aux contrôles normaux
• Comparés aux contrôles normaux, les autistes ont
des scores élevés dans toutes les dimensions, avec un
score nettement élevé pour le contact social.
• Les TDAH ont des profils perturbés dans les domaines de l’acting-out et de l’insight.
• Les enfants présentant un trouble émotionnel ont des
scores perturbés dans les dimensions anxiété/rigidité et
acting-out, mais ces scores restent modérément élevés.
• Enfin, les retardés mentaux ont des difficultés dans
les domaines de l’insight et des stéréotypes.
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 585-91, cahier 1
Approche dimensionnelle des troubles des comportements sociaux chez l’enfant
• Les contrôles normaux ont des scores faibles, témoignant de l’absence de perturbation dans les cinq dimensions.
Pour chaque dimension, les scores les plus élevés se
retrouvent chez les TDAH pour l’acting-out, chez les retardés mentaux pour l’insight et chez les autistes pour les
trois autres dimensions dont le contact social (figure 1).
• Entre TDAH et troubles émotionnels, il n’y a pas de
différence significative dans aucune des cinq dimensions.
• Entre TDAH et retardés mentaux la seule différence
significative se retrouve pour la dimension acting-out
(p = 0,0021).
• Enfin, entre les troubles émotionnels et les retardés
mentaux on note une tendance à la significativité pour la
dimension insight (p = 0,005).
25
Corrélations des scores aux variables
sociodémographiques et développementales
Scores au CSBQ
20
15
10
5
0
A
t
ial
-ou
oc
s
ct
nta
Co
g
ctin
t
igh
Ins
xié
An
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Ri
té/
es
typ
éo
tér
S
Dimensions du CSBQ
Autistes
Hyperactifs
Anxieux/
déprimés
Il n’y a pas de corrélation significative entre les dimensions du CSBQ et l’âge ou le sexe.
On retrouve une corrélation significative du QI global
avec la dimension insight et avec le score total.
De même, les enfants ayant présenté un retard psychomoteur ont un score total plus élevé et présentent de
façon significative plus de difficultés de contact social et
d’insight.
Retardés
mentaux
Contrôles
normaux
FIG. 1. — Profils dimensionnels au CSBQ.
• Comparaisons intergroupes
Nous avons effectué pour tous les groupes une comparaison intergroupe deux à deux (par exemple : autistes/
contrôles normaux puis autistes/TDAH…) en comparant
leurs scores dans chaque dimension du CSBQ. Nous
avons alors observé si la différence de scores entre deux
groupes, pour une dimension du CSBQ donnée, était statistiquement significative ou pas.
• Les différences sont significatives (p < 0,005) entre
les contrôles normaux et chacun des autres groupes dans
toutes les dimensions sauf :
– contrôles normaux/retardés mentaux dans les
dimensions acting-out et anxiété/rigidité ;
– contrôles normaux/TDAH dans les dimensions
anxiété/rigidité et stéréotypes ;
– contrôles normaux/troubles émotionnels dans la
dimension stéréotypes.
• Entre autistes et TDAH les différences sont significatives pour les dimensions contact social (p = 0,0025),
anxiété/rigidité (p = 0,0023) et stéréotypes (p = 0,0051).
• Entre autistes et troubles émotionnels la seule différence significative concerne la dimension stéréotypes
(p = 0,0035).
• Entre autistes et retardés mentaux la seule différence significative concerne la dimension contact social
(p = 0,0005).
Questionnaire CBCL
Les profils psychocomportementaux obtenus à partir du
questionnaire CBCL sont concordants avec les symptômes habituellement retrouvés dans chaque trouble et confirment la validité de nos groupes cliniques.
Les scores dans les différentes dimensions (ou facteurs) du groupe contrôles normaux sont tous inférieurs
au score seuil pathologique.
Dans les domaines sociaux tous les groupes cliniques
ont des scores significativement supérieurs à ceux des
contrôles normaux (p < 0,005) sauf pour la dimension
agressivité (p = 0,21).
Les autistes présentent les scores les plus élevés pour
les dimensions suivantes : comportements internalisés
(p < 0,0001 ), problèmes sociaux (p = 0,0045 ), isolement
(p < 0,0001), troubles de la pensée (p < 0,0001) et de
l’attention (p < 0,0001).
Les TDAH ont des scores pathologiques pour les comportements externalisés (p < 0,0001), les problèmes
sociaux (p = 0,0045), l’attention (p < 0,0001), l’agressivité
(p < 0,0001) et les comportements perturbateurs
(p < 0,0001).
Dans le cas des troubles émotionnels, il existe des scores au-dessus du seuil pathologique pour les comportements internalisés (p < 0,0001), le domaine anxiété/
dépression (p < 0,0001), l’isolement (p < 0,0001), les
troubles de la pensée (p < 0,0001) et l’attention
(p < 0,0001).
Enfin, les retardés mentaux présentent des scores
pathologiques pour les problèmes sociaux (p = 0,0045) et
les troubles de l’attention (p < 0,0001).
On observe ainsi que les quatre groupes présentent des
troubles de l’attention alors que le profil d’ensemble est
différent entre chacun des groupes. Les autistes et les
589
E. Excoffier et al.
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 585-91, cahier 1
enfants avec troubles émotionnels ont en commun des
scores pathologiques pour l’isolement et les comportements internalisés, tandis que les autistes, les TDAH et
les retardés mentaux ont des résultats au-dessus du seuil
pathologique pour la dimension problèmes sociaux.
Pour les domaines psychosociaux (social, activités,
scolaire) les autistes montrent des perturbations dans les
trois domaines alors que les TDAH et les retardés mentaux
ont des résultats pathologiques seulement pour les domaines « social » et « scolaire ».
Complex Developmental Disorder, MCDD) afin de discriminer ces enfants de ceux présentant un trouble autistique, un trouble émotionnel et un trouble du comportement perturbateur. Ils ont retrouvé des dimensions
cliniques proches de celles de Luteijn et al. (interaction
comportements stéréotypés, agressivité, troubles de la
pensée).
Le CSBQ est un outil dimensionnel explorant les troubles des comportements sociaux chez l’enfant et l’adolescent. Dans notre étude, les résultats obtenus avec le questionnaire CSBQ en langue française sont concordants
avec ceux retrouvés dans les domaines correspondants
de la CBCL. Dans la mesure de leur comparabilité, nos
résultats sont proches de ceux obtenus par Luteijn (8)
dans l’étude de validation du CSBQ en langue anglaise
(tableau II). Comme mentionné dans la méthodologie, il
existe quelques nuances entre nos deux études. Les
auteurs, pour valider le CSBQ dans sa version anglaise,
ont utilisé la CBCL mais aussi le questionnaire Aberrant
Behavior Checklist. Aucun enfant retardé mental n’a été
recruté, tous leurs sujets ayant un QI supérieur à 70 ; en
revanche, des enfants présentant un TEDns ont été inclus.
Ils ont sélectionné un groupe « troubles émotionnels »
mais y ont aussi inclus des enfants présentant des tics ou
une anorexie mentale. La validité clinique du CSBQ dans
sa version française apparaît intéressante et comparable
à celle de la version anglaise, mais elle devra être confirmée par une étude de validation complète avec un nombre
de sujets plus important. La structure factorielle et les qualités psychométriques de la version française seront
explorées dans cette étude de validation qui est actuellement en cours.
DISCUSSION
Des perturbations des comportements sociaux sont
observées dans plusieurs pathologies psychiatriques de
l’enfant et de l’adolescent, dont le trouble autistique, le
trouble déficit d’attention/hyperactivité (TDAH), les troubles émotionnels et le retard mental.
Les comportements sociaux sont multidimensionnels et
impliquent entre autre le contact, la perception, la cognition sociale, la régulation émotionnelle.
Il ressort de notre étude que certains troubles des comportements sociaux sont partagés par plusieurs pathologies. Cependant, on retrouve pour chaque pathologie ou
catégorie diagnostique, des profils sociocomportementaux différents. Le schéma catégoriel semble donc insuffisant pour analyser les troubles des comportements
sociaux et on peut supposer l’existence d’un processus
dimensionnel sous-jacent qui pourrait expliquer les similitudes et différences entre chaque catégorie.
Nos résultats vont dans le sens des données de la littérature. Ainsi, Stein et al. (12) ont comparé un groupe
d’enfants TDAH, un groupe présentant un trouble envahissant du développement non spécifié (TEDns) et un
groupe de retardés mentaux. Ils ont trouvé un défaut
d’adaptation et d’ajustement social comparable dans les
trois populations. Buitelaar et al. (4) ont montré l’existence
de traits sociaux communs entre des enfants présentant
un TDAH et des enfants autistes ou TEDns ; ils relèvent
ainsi des difficultés d’interprétation des émotions et de
perception des états mentaux d’autrui dans les deux
pathologies. De même, par une approche dimensionnelle,
Van der Gaag et al. (15) ont procédé à une analyse multivariée des symptômes retrouvés dans le TEDns (Multiple
Le CSBQ apparaît malgré tout comme un outil d’intérêt
clinique, pertinent pour l’approche dimensionnelle des
troubles des comportements sociaux chez l’enfant et
l’adolescent. Il est facile à remplir pour les parents, les
questions étant toutes explicites et formulées en langage
courant. Il est rapidement rempli, avec un temps de remplissage de 10 minutes environ. La fiabilité des réponses
données par les parents peut se discuter. Cependant, les
parents sont les plus à même de donner des réponses sur
le comportement de leur enfant au quotidien. Le CSBQ
restant un outil clinique, ce sera au clinicien de juger de
la qualité du remplissage par les parents auxquels il pourra
donner quelques explications si nécessaire.
TABLEAU II. — Scores globaux au CSBQ et comparaison avec l’étude de Luteijn et al.
Acting-out
Autistes
TDAH
Contrôles cliniques
Retardés mentaux
Contrôles normaux
E : Excoffier et al., 2001 (n = 103).
L : Luteijn et al., 1999 (n = 1 150).
590
Contact social
Insight
Anxiété/rigidité
Stéréotypes
E
L
E
L
E
L
E
L
E
L
13,3
18,2
15,1
11,6
6,9
14,3
17,4
11,4
11,6
7,5
7,3
6,2
1,0
13,4
5,1
5,9
16,7
15,7
13,2
19,8
6,0
16,8
14,1
9,1
15,6
10,1
14,1
11,2
5,3
13,9
6,5
7,8
5,9
3,7
3,1
5,0
2,0
4,9
2,2
1,9
4,8
1,5
3,7
3,6
0,7
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 585-91, cahier 1
Approche dimensionnelle des troubles des comportements sociaux chez l’enfant
CONCLUSION
L’approche dimensionnelle des troubles des comportements sociaux présente un intérêt en recherche comme
en clinique, et peut s’appliquer à de multiples pathologies.
Dans le soin, une approche dimensionnelle pourrait
permettre une analyse à un autre niveau des troubles de
l’enfant. Ainsi, il serait intéressant d’observer si un enfant
pour lequel a été diagnostiqué un TDAH présente ou pas
une perturbation de la dimension contact social. Cela permettrait de mieux cerner les difficultés sociales de l’enfant
et de proposer un programme de soin orienté et ciblé. De
même, lorsque nous sommes confrontés, en tant que cliniciens, à une incertitude diagnostique ou à une association de troubles comorbides chez un même enfant, une
approche dimensionnelle pourrait nous éclairer sur des
processus sous-jacents et nous orienter sur la conduite à
tenir.
En recherche, les dimensions cliniques explorées pourraient êtres mises en relation avec d’autres variables :
cognitives, biologiques, anatomiques ou génétiques. Ces
liens pourraient contribuer à la recherche sur les processus et mécanismes impliqués dans l’étiopathogénie des
troubles sociocomportementaux. Ainsi, on pourrait tester
les corrélations entre certaines dimensions cliniques (par
exemple, anxiété sociale/rigidité) et des variables cognitives (par exemple, fonctions exécutives et défaut de flexibilité) ou biologiques (par exemple, sérotonine).
De même, cette approche dimensionnelle serait intéressante pour étudier les troubles du développement et
la vulnérabilité à l’émergence de certains dysfonctionnements. Par exemple, dans le retard mental le défaut
d’insight social (perception des modes et codes sociaux,
de soi et d’autrui…) est possiblement très précocement
perturbé et possiblement à l’origine de l’émergence de
futurs troubles du comportement.
Enfin, une démarche dimensionnelle autoriserait certainement à faire la continuité entre normal et pathologique, et à explorer les extrêmes du spectre de certaines
pathologies, comme par exemple le spectre autistique.
Ainsi, certains enfants ou certains apparentés d’autistes
ne présentent pas les critères cliniques suffisants pour
poser le diagnostic d’autisme mais présentent malgré tout
des traits autistiques. Le tableau clinique est alors difficile
à cerner et une approche dimensionnelle pourrait aider le
clinicien ou le chercheur.
Remerciements. Nous remercions la Fondation France Télécom, Paris ; le Docteur Luteijn et le Professeur Minderaa, Gro-
ningen Pays-Bas ; Mr Cook, Université Victor-Ségalen, Bordeaux.
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