R. Bordet L’Encéphale, 2006 ;
32 :
802-9, cahier 2
S 806
Modifications de la mélatonine au cours des troubles
de l’humeur
Différentes modifications de la libération de mélatonine
ont été décrites au cours de la dépression non saisonnière,
uni ou bipolaire : modification de la quantité de mélatonine
sécrétée, existence de pics de sécrétion diurnes, avance
de phase du pic de sécrétion nocturne (74). Des études
sont en faveur d’une baisse de la sécrétion de mélatonine
alors que d’autres ne mettent pas en évidence de modifi-
cation voire sont en faveur d’une augmentation de la
sécrétion de mélatonine au cours de la dépression (22,
39, 78, 94). Ces résultats contradictoires pourraient être
dûs aux différences existant entre les études en termes
d’âge, de saison, de type de dépression, de traitements
associés, d’hospitalisation (20, 50, 57). L’amplitude des
variations observées dans ces études est faible (20 à
30 %), contrastant avec l’amplitude de la variation physio-
logique qui est d’un facteur 10 entre le niveau de sécrétion
diurne et le niveau de sécrétion nocturne. Des anomalies
de sécrétion de la mélatonine au cours du trouble bipolaire
ont été également bien établies avec une tendance à la
baisse de la sécrétion de mélatonine au cours des épiso-
des dépressifs et une tendance à l’augmentation au cours
des épisodes maniaques. Néanmoins, l’hypersensibilité
de la glande pinéale à la lumière évoquée par certains
auteurs ne semble pas confirmée (72). Des arguments
plus solides existent en faveur d’une avance de phase du
pic nocturne de sécrétion de mélatonine, même si certains
travaux montrent un retard de phase. La synthèse de ces
travaux est cependant en faveur de l’existence d’une
désorganisation de la rythmicité de la sécrétion de méla-
tonine au cours des troubles de l’humeur même si une
démonstration plus tranchée et caricaturale est apportée
par les modifications de la sécrétion de mélatonine au
cours de la dépression saisonnière (74).
La dépression saisonnière est caractérisée par la sur-
venue récurrente d’épisodes dépressifs en hiver lorsque
la photopériode est la plus courte (51). Chez les patients
présentant une dépression saisonnière, la durée de sécré-
tion nocturne de mélatonine est plus longue qu’en été alors
qu’il n’existe pas de telles variations saisonnières chez les
patients indemnes de dépression saisonnière (67). Cette
augmentation de la quantité sécrétée résulte d’un retard
d’environ deux heures à la chute de sécrétion de mélato-
nine normalement observée au petit matin (21). Il existe
également une tendance au retard de phase concernant
le début du pic nocturne de sécrétion de mélatonine. Ces
résultats suggèrent qu’existe un signal biologique de
changement de saison chez les patients qui présentent
une dépression saisonnière qui n’existe pas chez les
patients indemnes de cette pathologie (95). Les concen-
trations de mélatonine semblent également diminuées
chez les patients présentant des troubles dysphoriques au
cours de la période prémenstruelle (76).
Au-delà du simple aspect phénoménologique, ces
modifications de la rythmicité de sécrétion de la mélato-
nine au cours des troubles de l’humeur posent le problème
de leur intégration à la physiopathologie de la dépression.
Rôles dans la physiopathologie de la dépression
Plusieurs études concordent pour dire qu’il n’existe pas
de liens entre les anomalies de la mélatonine et la symp-
tomatologie dépressive (durée, intensité, manifestations
cliniques). Cependant, chez les patients mélancoliques,
la diminution du pic nocturne de mélatonine pourrait être
plus importante (94). Si certains travaux concluent à la per-
sistance des anomalies du rythme de sécrétion de la méla-
tonine en dehors des épisodes dépressifs, d’autres prou-
vent que le traitement peut, au moins en partie, normaliser
ces anomalies (29).
Il reste donc difficile à établir, comme pour les autres
rythmes biologiques, si les anomalies de sécrétion de la
mélatonine sont un facteur causal dans la cascade phy-
siopathologique des troubles de l’humeur ou si elles ne
sont qu’un épiphénomène, éventuellement lié à d’autres
anomalies survenant au cours de la dépression comme
les modifications du rythme veille-sommeil ou les anoma-
lies de la neurotransmission. En effet, il existe des liens
étroits entre anomalies du rythme veille-sommeil et rythme
de la mélatonine (80). La diminution de la transmission
mono-aminergique (sérotonine, noradrénaline), qui con-
trôle la synthèse et la libération de mélatonine, peut éga-
lement rendre compte des modifications de la rythmicité
de la mélatonine : le déficit en sérotonine pourrait expli-
quer une baisse de la synthèse ; le déficit noradrénergique
pourrait expliquer une moindre libération.
Cependant, l’importance des modifications de la méla-
tonine dans la physiopathologie de la dépression saison-
nière fait soupçonner un rôle plus important de cette
neurohormone dans l’étiopathogénie et dans la physiopa-
thologie de la dépression. Certains postulent qu’une per-
turbation de la rythmicité biologique endogène sous-ten-
due par une susceptibilité génétique pourrait constituer un
facteur de vulnérabilité empêchant l’adaptation de l’indi-
vidu aux changements environnementaux et provoquant
une désynchronisation conduisant à un épuisement psy-
chique du sujet (74, 79). Dans ce scénario, les altérations
de la mélatonine auraient un rôle essentiel tant cette neu-
rohormone est essentielle dans la synchronisation des
rythmes biologiques puisqu’une altération du rythme de
la mélatonine est associée à des variations des rythmes
de cortisol, de température et de rythme veille-sommeil
voire des rythmes circadiens des principaux neurotrans-
metteurs. Certains travaux réalisés chez le patient
déprimé ont établi l’association entre une diminution de la
quantité de mélatonine sécrétée la nuit et l’existence
d’anomalies du rythme circadien de cortisolémie même si
d’autres études ne le confirment pas. Dans la dépression
saisonnière, il existe des anomalies du rythme de thermo-
régulation, avec une réduction de l’amplitude du rythme
de température (17).
En dépit des liens qui existent entre la mélatonine et
les neurotransmetteurs, il existe peu ou pas de données
concernant l’influence des modifications de la libération
de la mélatonine sur les principales voies de neurotrans-
mission impliquées dans la physiopathologie de la dépres-
sion. Une des voies à explorer serait la modification éven-