Traitement pharmacologique des dépressions bipolaires THÉRAPEUTIQUE J. THUILE , C. EVEN

L’Encéphale, 2006 ; 32 : 767-74, cahier 1 767
THÉRAPEUTIQUE
Traitement pharmacologique des dépressions bipolaires
J. THUILE (1), C. EVEN (2), J.D. GUELFI (3)
(1) Chef de Clinique Assistant, Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale, service du Professeur Guelfi, Centre Hospitalier Sainte-
Anne, Université Paris V-René Descartes, Paris.
(2) Praticien Hospitalier, Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale, service du Professeur Guelfi, Centre Hospitalier Sainte-Anne, Paris.
(3) Praticien Hospitalier-Professeur des Universités, Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale, Centre Hospitalier Sainte-Anne, Uni-
versité Paris V-René Descartes, Paris.
Travail reçu le 7 février 2005 et accepté le 20 septembre 2005.
Tirés à part : J. Thuile (à l’adresse ci-dessus).
Résumé. Il est aujourd’hui admis que les dépressions bipolaires
représentent la principale source de morbidité dans le trouble
bipolaire de l’humeur. Comparées aux dépressions unipolaires,
les dépressions bipolaires sont plus fréquemment et plus
sévèrement associées à un handicap dans le fonctionnement
social, professionnel et affectif. Cependant, peu d’essais théra-
peutiques ont spécifiquement été menés dans ce domaine.
Nous avons réalisé une revue de la littérature sur les différents
traitements biologiques proposés dans cette indication. Les
données extraites confirment la prééminence des traitements
thymorégulateurs. L’adjonction d’un deuxième thymorégulateur
peut permettre de retrouver un état normothymique lorsque
l’optimisation d’un premier traitement s’est avérée insuffisante.
La place des antidépresseurs dans le traitement des sujets
atteints d’un trouble bipolaire reste discutée. Ceux-ci ne devront
généralement être prescrits que pour les dépressions d’intensité
sévère et toujours en association avec un thymorégulateur.
Mots clés : Antidépresseurs ; Dépression bipolaire ; Thymorégu-
lateurs ; Traitement.
INTRODUCTION
Dans le trouble de l’humeur bipolaire, on admet
aujourd’hui que le degré de morbidité et les enjeux théra-
peutiques qui y sont associés tiennent davantage aux épi-
sodes dépressifs qu’aux épisodes maniaques. En effet, les
dépressions bipolaires, c’est-à-dire les épisodes dépres-
sifs survenant dans le cadre d’un trouble de l’humeur bipo-
laire, ont une durée plus longue que les épisodes mania-
ques. Les conséquences psychosociales et la mortalité par
suicide y sont plus importantes et 90 % des patients ayant
présenté un épisode maniaque feront une dépression bipo-
laire (30). Enfin et surtout, comme l’ont montré Judd et al.,
Bipolar depression : a review of current therapeutic strategies
Summary. It is now acknowledged that depressive symptoms dominate the natural history of bipolar affective disorder.
Treating bipolar depression therefore represents a major therapeutic issue that has paradoxically been understudied
compared to the treatment of acute manic or hypomanic episodes. Thanks to a computerized and manual bibliographic
search, we reviewed the literature pertaining to the somatic treatments of bipolar depression. It is initially advisable to
implement or optimize the thymoregulator treatment by carrying out a blood titration and by adjusting the therapeutic
rates as well as possible towards the upper recommended levels. In the second place, the adjunction of another mood
stabilizer may be necessary to obtain euthymia while preventing a mood switch to mania. Atypical antipsychotics may
have some efficacy in treating bipolar depression, but further evidence is needed. Antidepressants are generally prohibited
due to the risk of induction of mania or rapid cycling. Their use is generally limited to severe cases in which the association
of at least two mood stabilizers has failed.
Key words : Antidepressants ; Bipolar depression ; Mood stabilizers ; Treatment.
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un patient atteint d’un trouble bipolaire de type I passera
32 % de sa vie en phase dépressive contre 9 % en phase
maniaque et 6 % en état mixte (43). En raison de l’impor-
tance et de la complexité de la dépression bipolaire, notre
objectif est de faire une revue de la littérature sur son trai-
tement. Malgré l’importance croissante des approches
psychosociales et notamment psychoéducatives, nous
limiterons cette revue de la littérature aux traitements phar-
macologiques des dépressions bipolaires.
MÉTHODE
Notre recherche bibliographique a été réalisée à l’aide de
la banque de donnée informatisée Medline en utilisant les
mots clés suivants : bipolar depression,treatment,therapeu-
tic,clinical trial pour une période allant jusqu’à août 2004.
Nous avons également effectué une recherche ascendante
à partir des premiers articles obtenus. Enfin, nous avons éga-
lement utilisé les principaux guidelines édités sur le traite-
ment des troubles de l’humeur bipolaires (2, 17, 32, 64, 74).
ANTIDÉPRESSEURS
Le tableau I résume tous les essais contrôlés d’anti-
dépresseurs en double insu dans la dépression bipo-
laire.
Imipraminiques
Le taux de répondeurs dans la dépression bipolaire est
évalué entre 50 et 70 % selon les essais thérapeutiques
(19, 63). Huit études en double insu ont été réalisées avec
l’imipramine (7, 19, 24, 39, 46, 55, 70, 81), avec des taux
de répondeurs variant de 40 à 100 %. Mais les imiprami-
niques, antidépresseurs les plus inducteurs de virages
maniaques (56), ne sont pas recommandés en première
intention dans le traitement des dépressions bipolaires par
les principaux guidelines. Une étude rétrospective sur
158 patients souffrant d’un trouble bipolaire, ayant com-
paré le taux de virage de l’humeur entre un antidépresseur
seul et l’association antidépresseur-thymorégulateur, a
retrouvé une différence significative concernant les imi-
praminiques avec 58 % d’épisodes maniaques ou hypo-
maniaques pour les sujets traités par monothérapie contre
26,1 % pour ceux recevant à la fois un antidépresseur et
un thymorégulateur (10). Prien et al. (59) ont suggéré
qu’un traitement par imipramine associé à un thymorégu-
lateur entraînerait davantage de virages qu’un thymoré-
gulateur seul. Ces auteurs ont trouvé 58 % de virages
maniaques chez les malades traités par imipramine seule
contre 28 % pour l’association imipramine-lithium et 26 %
pour le lithium seul, différences toutes significatives. Une
revue de la littérature a conclu à des résultats similaires
avec 51 % de virages maniaques en cas de monothérapie
à l’imipramine contre 28 % pour l’association lithium-imi-
pramine et 21 % pour le lithium seul (61).
TABLEAU I. — Essais randomisés en double insu d’antidépresseurs dans la dépression bipolaire.
Études Sujets (durée) Résultats
Fieve et al.
(1968)
N = 29
(3 semaines)
Lithium et imipramine supérieurs au placebo. Diminution plus marquée des symptômes
dépressifs sous imipramine (58 %) que sous lithium (32 %)
Kessel et al.
(1975)
N = 14
(6 semaines)
Taux de répondeurs sous maprotiline (66 %) supérieur au taux sous imipramine (40 %)
Watanabe et al.
(1975)
N = 5
(5 semaines)
Pas de différence entre lithium et imipramine. Pas d’autre thymorégulateur
De Wilde et al.
(1982)
N = 9
(4 semaines)
Supériorité de la fluvoxamine (75 %) sur la clomipramine (20 %). Pas de traitement
thymorégulateur
Himmelhoch et al.
(1982)
N = 59
(6 semaines)
Taux de répondeurs sous tranylcypromine (71 %) supérieur au placebo (13 %). Pas de
traitement thymorégulateur
Cohn et al.
(1989)
N = 89
(6 semaines)
Pourcentage de répondeurs plus élevé sous fluoxétine (86 %) et imipramine (57 %) que
sous placebo (38 %). Patients sous thymorégulateurs
Baumhackl et al.
(1989)
N = 32
(4 semaines)
Taux de répondeurs plus important dans le groupe imipramine (60 %) que dans le groupe
moclobémide (53 %)
Himmelhoch et al.
(1991)
N = 56
(6 semaines)
Taux de répondeurs plus important dans le groupe tranylcypromine (89 %) que dans le
groupe imipramine (48 %)
Thase et al.
(1992)
N = 16
(4-8 semaines)
Efficacité de la tranylcypromine chez 75 % des sujets n’ayant pas répondu à l’imipramine
Sachs et al.
(1994)
N = 19
(8 semaines)
Efficacité comparable du bupropion et de la désipramine (63 % vs 71 %)
Young et al.
(2000)
N = 27
(6 semaines)
Efficacité comparable de la paroxétine et d’un thymorégulateur en adjonction à un premier
thymorégulateur
Silverstone et al.
(2001)
N = 156
(8 semaines)
Efficacité comparable de la moclobémide et de l’imipramine
Nemeroff et al.
(2001)
N = 117
(10 semaines)
Paroxétine (53 %) et imipramine (68 %) supérieurs au placebo (41 %) chez les patients
avec lithiémie < 0,8 mEq/l (N = 24)
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Inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO)
Himmelhoch et al. ont mené une étude en double insu
avec la tranylcypromine en monothérapie chez 59 cas de
dépression anergique dont 29 étaient bipolaires (38). Ils ont
trouvé une supériorité de l’antidépresseur comparé au pla-
cebo à l’aide de la Clinical Global Impression (CGI) et n’ont
observé aucun virage maniaque. Deux études ont montré
la supériorité de la tranylcypromine sur l’imipramine dans les
dépressions bipolaires marquées par l’anergie (39, 76). Plus
récemment, une étude multicentrique en double insu, com-
parant l’efficacité du moclobémide et de l’imipramine sur les
symptômes dépressifs évalués par l’Hamilton Depression
Rating Scale (HDRS) et la Montgomery-Asberg Depression
Rating Scale (MADRS), a conclu à une absence de diffé-
rence entre ces deux traitements (70). Il n’a pas non plus
été noté de différence dans la survenue d’épisodes d’exci-
tation entre les deux groupes. Une différence d’efficacité
pourrait toutefois exister entre IMAO sélectifs et IMAO non
sélectifs en faveur de ces derniers, comme en témoigne une
méta-analyse de Lofuto-Neto et al. (48).
Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine
(ISRS)
Cinq essais thérapeutiques ont été publiés sur l’action
des ISRS dans la dépression bipolaire. De Wilde et al.
ont comparé l’efficacité de la fluvoxamine et de la clomi-
pramine chez 9 sujets présentant un trouble bipolaire de
type I ou II (21). Après 4 semaines, les auteurs ont
observé 1 répondeur sur 5 dans le groupe clomipramine
contre 3 répondeurs sur 4 dans le groupe fluvoxamine
(diminution d’au moins 50 % du score initial à l’HDRS).
Aucun virage de l’humeur n’a été rapporté quel que soit
le traitement. Kupfer et al. ont étudié l’efficacité du cita-
lopram en adjonction à un traitement thymorégulateur
s’étant avéré préalablement insuffisant sur une popula-
tion de 45 sujets déprimés atteints d’un trouble bipolaire
de type I ou II (47). Sur les 33 patients arrivés au terme
des 8 semaines du protocole, 21 (64 %) ont été jugés
répondeurs (score à l’HDRS
7). Parmi les sujets sortis
d’étude, 2 patients ont présenté un virage de l’humeur,
2 ont présenté une aggravation de leur symptomatologie
dépressive nécessitant l’emploi d’autres thérapeutiques
antidépressives, 5 étaient non compliants au traitement
et 3 ne répondaient en fait pas aux critères d’inclusion.
Cohn et al. ont comparé fluoxétine, imipramine et pla-
cebo en double insu chez 89 patients présentant une
dépression bipolaire sous thymorégulateurs (19). Ils ont
conclu à la supériorité de la fluoxétine sur l’imipramine
et sur le placebo (taux de répondeurs respectifs de 86 %,
57 % et 38 %). Le nombre de virages de l’humeur était
moins important dans le groupe fluoxétine par rapport au
groupe imipramine mais aucune définition formelle des
virages maniaques ou hypomaniaques n’était proposée,
de sorte que ce dernier résultat est peu interprétable.
L’efficacité de la fluoxétine a également été étudiée chez
les sujets souffrant de trouble bipolaire de type II. Simp-
son et al. ont ainsi traité 16 patients par fluoxétine en
monothérapie (72). Tous avaient préalablement résisté
à plusieurs traitements (imipraminiques, IMAO, lithium).
Une amélioration franche de l’humeur a été notée pour
10 patients. Deux sujets ont présenté des symptômes
hypomaniaques régressifs après diminution du traite-
ment. Une étude en double insu a comparé l’adjonction
d’un deuxième thymorégulateur versus l’adjonction de
paroxétine chez 27 patients souffrant d’une dépression
bipolaire recevant préalablement soit du lithium, soit du
divalproate de sodium (85). Après 6 semaines, les
auteurs ont trouvé des taux de répondeurs similaires
dans les deux groupes, avec un plus grand nombre de
sorties d’étude pour effets secondaires dans le groupe
recevant deux thymorégulateurs. Ils n’ont pas trouvé de
différences significatives en termes de symptômes
maniaques évalués par la Young Mania Rating Scale
(YMRS). Enfin, une autre étude en double insu, compa-
rant paroxétine et imipramine et placebo sur 117 patients
présentant une dépression bipolaire suivis en ambula-
toire traités par lithium, suggère une supériorité de la
paroxétine et de l’imipramine sur le placebo pour les
patients présentant une lithiémie inférieure à 0,8 mEq/l.
Aucune différence entre les trois groupes n’a été retrou-
vée chez les patients avec une lithiémie supérieure à 0,8
mEq/l (55). En outre, quelle que soit la lithiémie, paroxé-
tine et imipramine apparaissent comparables dans le
traitement de la dépression bipolaire. Durant cette étude,
aucun patient du groupe paroxétine n’a présenté de
virage de l’humeur contre 3 patients dans le groupe imi-
pramine et un seul dans le groupe placebo.
Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine
et de la noradrénaline (ISRSNa)
Une étude portant sur 15 patientes présentant un trouble
bipolaire de type II et 17 un trouble unipolaire, traitées par
venlafaxine en monothérapie, a trouvé une efficacité com-
parable dans les deux groupes avec des taux de répon-
deurs (diminution de 50 % du score à l’HDRS) respectifs
de 63 et 60 % (4). Par ailleurs, il n’a été noté aucun virage
maniaque durant les six semaines de l’étude alors
qu’aucune des patientes ne recevait de thymorégulateur.
Des résultats similaires enregistrés par la même équipe ont
amené les auteurs à proposer la venlafaxine en monothé-
rapie des dépressions bipolaires de type II (3). Il est toute-
fois difficile d’extrapoler cette recommandation aux patients
souffrant de trouble bipolaire de type I. À cet égard, on peut
plus généralement regretter l’absence d’essais thérapeuti-
ques comparant directement des patients déprimés bipo-
laires de type I et de type II. Par ailleurs, des cas de virages
maniaques induits par la venlafaxine ont été rapportés
depuis (34, 68, 73). Un autre essai thérapeutique rando-
misé en simple insu avec la venlafaxine dans la dépression
bipolaire a été publié par Vieta et al. (80). Soixante patients
atteints de dépression bipolaire sous thymorégulateurs ont
été répartis en deux groupes, l’un recevant de la venla-
faxine, l’autre de la paroxétine. Les analyses en intention
de traiter réalisées après six semaines, ont montré une effi-
cacité comparable des deux produits (48 % et 43 % de
J. Thuile et al. L’Encéphale, 2006 ; 32 : 767-74, cahier 1
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répondeurs). Dans cette étude, le taux de virage sous ven-
lafaxine a été de 13 %.
Bupropion
Sachs et al. (63) ont comparé l’efficacité de cette molé-
cule à celle de la désipramine, sur 15 patients présentant
une dépression bipolaire sans précision du type I ou II
(7 sujets traités par désipramine, 8 traités par bupropion).
Ils ont rapporté une efficacité comparable des deux traite-
ments (baisse d’au moins 50 % des scores à l’HDRS). Par
ailleurs, le nombre de virages maniaques a été significati-
vement inférieur dans le groupe bupropion. Une étude
ouverte a testé l’efficacité du bupropion dans la dépression
bipolaire en association à d’autres antidépresseurs s’étant
avérés préalablement insuffisants (23). Après quatre
semaines de traitement, 8 patients sur 13 présentaient une
amélioration d’au moins 50 % de leur score initial à la
MADRS. Aucun virage maniaque n’a été rapporté. Des étu-
des rapportant une efficacité du bupropion dans le traite-
ment des cycles rapides (37), des épisodes mixtes (13),
dans le traitement d’entretien des troubles bipolaires (69,
83) ainsi qu’un faible taux d’induction de virage maniaque
(33, 63) ont favorisé sa recommandation dans le traitement
des dépressions bipolaires (2, 74). Cette innocuité suppo-
sée du bupropion a été remise en cause par Fogelson et al.
(25) qui ont rapporté 6 cas de virages maniaques ou hypo-
maniaques chez 11 patients présentant un trouble bipolaire
traité par bupropion malgré un traitement thymorégulateur.
THYMORÉGULATEURS
Lithium
Comme nous l’avons vu, l’action antidépressive du
lithium a été suggérée par une étude qui n’a retrouvé
aucune différence entre paroxétine, imipramine et pla-
cebo pour les patients avec une lithiémie supérieure à
0,8 mEq/l (55). Les taux de rémission, définie par un score
inférieur ou égal à 7 à l’HDRS, étaient respectivement de
35,7 %, 41,2 % et 38,1 %. En 1972, Goodwin et al. ont
comparé l’efficacité du lithium dans la dépression unipo-
laire (n = 12) et bipolaire (n = 40) (31). Après deux semai-
nes de traitement, les auteurs ont rapporté un taux de
80 % d’amélioration de la dépression sous lithium parmi
les troubles bipolaires contre 33 % parmi les troubles uni-
polaires (p < 0,02). Une revue de la littérature sur le trai-
tement des troubles bipolaires a conclu que, malgré cer-
tains problèmes méthodologiques et la petite taille des
échantillons, les résultats des nombreux essais thérapeu-
tiques utilisant le lithium vont dans le sens de son efficacité
dans la dépression bipolaire (86).
Divalproate
L’efficacité du divalproate dans le traitement des
dépressions bipolaires a été moins souvent évaluée que
ses propriétés antimaniaques. Toutefois, plusieurs résul-
tats sont en faveur de son utilisation dans cette indication.
Sachs (62) a rapporté une amélioration chez 4 sujets sur
6 traités en monothérapie par divalproate. Davis et al. ont
traité par divalproate en monothérapie 33 patients présen-
tant une dépression bipolaire (20). Sur les 22 sujets arri-
vés au terme des huit semaines de suivi, 19 ont été jugés
répondeurs. Une étude contrôlée sur 20 patients a montré
une supériorité du divalproate sur le placebo (58). D’autres
résultats témoignent de l’efficacité de l’adjonction de dival-
proate à un traitement thymorégulateur initialement inef-
ficace dans le traitement des dépressions bipolaires (16,
18, 36, 45, 49, 65). Une étude multicentrique en double
insu, comparant divalproate, lithium et placebo est en
faveur d’une plus grande efficacité du divalproate dans la
prévention des rechutes dépressives (12). La même
équipe a rapporté moins de sorties d’étude pour d’autres
raisons qu’une rechute dépressive sous divalproate que
sous lithium (35). Ghaemi et al. ont noté que les patients
traités par divalproate nécessitaient significativement
moins fréquemment l’adjonction d’un traitement antidé-
presseur que ceux traités par lithium (27). En 2001, Wins-
berg et al. ont mené une étude sur l’efficacité antidépres-
sive du divalproate en monothérapie chez 19 patients
souffrant d’un trouble bipolaire de type II (82) ; 8 n’avaient
jamais reçu de thymorégulateur et 11 n’avaient jamais
reçu aucun traitement psychotrope. Après 12 semaines,
63 % des sujets avaient répondu (baisse de 50 % du score
à l’HDRS). La réponse était meilleure pour les sujets naïfs
de tout traitement.
Carbamazépine
Dans une étude ouverte sur 27 patients présentant une
dépression bipolaire et 9 présentant un état mixte, 63 %
des sujets traités pendant 21 jours par carbamazépine en
monothérapie ont atteint la rémission (scores HDRS
8)
(22). Par ailleurs, l’efficacité était meilleure sur les dépres-
sions bipolaires que sur les épisodes mixtes (22 % de
rémission). Même si ces résultats sont encourageants, ils
ne peuvent justifier à eux seuls la prescription d’une mono-
thérapie par carbamazépine dans la dépression bipolaire.
Nouveaux anticonvulsivants
Lamotrigine
Parmi les nouveaux anticonvulsivants, la lamotrigine
occupe une place particulière dans la pharmacopée puis-
que les principaux guidelines en font un traitement de pre-
mière intention des dépressions bipolaires. Ces recom-
mandations reposent sur des rapports de cas et sur
deux études contrôlées. La première a été menée sur
195 sujets déprimés dans le cadre d’un trouble bipolaire
de type I, répartis en trois groupes, un groupe recevant
200 mg/j de lamotrigine en monothérapie, le deuxième
recevant 50 mg/j de lamotrigine, le dernier recevant un
placebo (14). L’étude conclut à la supériorité de la lamo-
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 767-74, cahier 1 Traitement pharmacologique des dépressions bipolaires
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trigine par rapport au placebo sur les symptômes dépres-
sifs évalués par la CGI et la MADRS, avec des taux de
répondeurs respectivement de 56 et 48 % dans les grou-
pes lamotrigine 200 et 50 mg/j contre 29 % de répondeurs
dans le groupe placebo (p > 0,05). La deuxième étude a
comparé lamotrigine, gabapentine et placebo chez
31 patients souffrant d’un trouble bipolaire résistant ou
d’une dépression unipolaire (26). Ce protocole n’incluait
pas que des cas de dépression. Chaque patient recevait
successivement chacun des trois traitements durant
6 semaines. Il a été observé une amélioration de la
dépression à la seule CGI chez 45 % des patients lors de
la phase de traitement par lamotrigine contre 26 % pour
la gabapentine et 19 % pour le placebo.
Il faut toutefois relativiser la portée de cette étude puis-
que 1) l’amélioration n’est pas jugée uniquement sur les
cas de dépression mais sur l’ensemble de la cohorte,
2) certains patients ne présentent pas de trouble bipolaire,
3) la gabapentine n’a jamais été étudiée dans le traitement
des dépressions bipolaires et n’est donc pas un compa-
rateur valide. Enfin, deux études sont en faveur d’une effi-
cacité de la lamotrigine en monothérapie dans la préven-
tion des dépressions bipolaires (15, 51). L’ensemble de
ces résultats contraste avec ceux obtenus par Bowden
et al. qui ont conclu à une absence d’efficacité de la lamo-
trigine dans le traitement de la dépression chez des
patients qui présentent un trouble bipolaire de type I et II.
Ces auteurs n’ont effectivement pas trouvé, dans une
étude en double insu, de différences entre lamotrigine et
placebo après 10 semaines de traitement sur les scores
aux échelles HDRS et MADRS (11). Un taux de répon-
deurs proche de 50 % dans le groupe placebo est peut-
être responsable de l’absence de différence observée. Au
total, il est discutable de faire de la lamotrigine un traite-
ment de première intention des dépressions bipolaires sur
ces résultats. D’autres études contrôlées, contre antidé-
presseurs ou d’autres thymorégulateurs, sont nécessai-
res pour préciser la place de ce traitement.
Oxcarbazépine
À ce jour, aucune étude n’a spécifiquement évalué l’effi-
cacité antidépressive de l’oxcarbazépine dans le trouble
bipolaire. On note toutefois les résultats rapportés par
Benedetti et al. sur l’adjonction d’oxcarbazépine sur
18 sujets présentant un trouble bipolaire de types I et II,
résistants au lithium (8). Tous ces patients recevaient
simultanément un antidépresseur et/ou un neuroleptique
atypique. Quatre patients, sur les huit qui présentaient un
épisode dépressif, ont été jugés répondeurs (scores à la
CGI de 1 ou 2) après 8 semaines de traitement.
Topiramate
McIntyre et al. ont comparé en simple insu le topiramate
et le bupropion, en association au traitement thymorégu-
lateur initial chez 36 patients (52). Les taux de réponses
similaires (56 % pour le topiramate et 59 % pour le bupro-
pion) suggéraient une action du topiramate en adjonction
au thymorégulateur. Dans une autre étude, aucune amé-
lioration n’a été observée après adjonction de topiramate
au traitement initial chez des patients souffrant d’un trou-
ble bipolaire avec un épisode dépressif résistant (50). Ces
données contradictoires ne permettent pas d’indiquer le
topiramate dans les dépressions bipolaires.
Tiagabine
Kaufman (44) puis Schaffer et Schaffer (66) ont pré-
senté 5 cas de patients atteints d’un trouble bipolaire
résistant (dont un épisode dépressif) traités efficacement
par tiagabine en association avec le traitement initial. À
l’inverse, Suppes et al. (75) ont fait état de l’inefficacité de
la tiagabine chez 17 patients bipolaires résistants dont
7 déprimés. Enfin, ces auteurs ont rapporté 5 sorties
d’étude prématurées pour effets secondaires. Il n’y a donc
pas d’argument en termes d’efficacité ou de tolérance
pour faire de la tiagabine un traitement d’appoint des trou-
bles bipolaires et des dépressions bipolaires en particulier.
Antipsychotiques
La plupart des données sur l’activité antidépressive des
antipsychotiques a été obtenue sur des groupes de
patients présentant un état mixte et ne peut être extrapolée
aux dépressions bipolaires. Pour la rispéridone, trois
essais ouverts (78, 79, 84) ont montré une diminution
significative des scores à l’HDRS. Cependant, dans deux
de ces essais, les scores moyens initiaux à l’HDRS étaient
faibles (respectivement 12,6 et 12,8), de sorte que l’effi-
cacité de cette molécule dans cette indication est délicate
à inférer (79, 84). Une étude chez des patients présentant
une dépression bipolaire a montré que l’association olan-
zapine-fluoxétine était supérieure en termes de qualité de
vie à l’olanzapine seule qui, elle-même, était supérieure
au placebo (67). Mais aucune mesure directe de l’effica-
cité antidépressive n’a été réalisée et il faut noter un nom-
bre élevé de sorties d’étude (61,5 % de sorties d’étude
pour le groupe olanzapine, 36 % pour le groupe olanza-
pine-fluoxétine, 51,6 % pour le groupe placebo). Les don-
nées les plus convaincantes sur l’effet antidépresseur des
antipsychotiques concernent la clozapine pour laquelle
Banov et al. (6) ont trouvé que 4 patients sur 9 s’étaient
montrés répondeurs. Privitera et al. (60) ont également
étudié l’efficacité de la clozapine chez un sujet atteint de
trouble bipolaire de type II présentant une dépression avec
caractéristiques psychotiques. Ils ont rapporté une baisse
de 54 % du score à la BPRS et de 73 % à l’HDRS après
deux mois et demi de traitement par 125 mg de clozapine.
Au total, les résultats de ces études sont insuffisants
pour indiquer les antipsychotiques en première intention
dans la dépression bipolaire. On relève par ailleurs que,
d’après une revue de la littérature effectuée en 2000 (5),
26 cas de possibles inductions paradoxales de virages
maniaques ou hypomaniaques par les antipsychotiques
ont été publiés entre 1966 et 1999 (10 cas sous olan-
1 / 8 100%

Traitement pharmacologique des dépressions bipolaires THÉRAPEUTIQUE J. THUILE , C. EVEN

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