Observation n° 2 Neuropathie hypertrophique du plexus brachial A. Truffert* Histoire CLiniQUe En août 1997, M.C. est hospitalisé pour une affection qui évoque une atteinte radiculaire M.C., âgé de 88 ans, est un ancien pilote de la RAF, L5 droite, traitée médicalement. Mais au cours accidenté pendant la Seconde Guerre mondiale, de cette hospitalisation, il développe brutaleseul rescapé du crash de son avion. Il en garde ment une symptomatologie sensitive doulouune certaine culpabilité et noie en quelque sorte reuse des deux membres supérieurs avec une * Clinique de neurologie, hôpitaux universitaires de Genève. son chagrin dans l’alcool (whisky). prédominance gauche. Il est également noté une discrète parésie de la main gauche. Cette symptomatologie régresse spontanément en une Tableau I. Étude des potentiels sensitifs en 1997. dizaine de jours. Durant ce séjour hospitalier, on retient l’étude des Nerfs Amplitude (μv) VCS (m/s) potentiels sensitifs réalisée au membre supérieur 29 août 17 septembre 29 septembre 29 août 17 septembre 29 septembre gauche (tableau I) : une semaine avant le début 1997 1997 1997 1997 1997 1997 des symptômes (29 août 1997), pendant l’acmé 9 3 9 41 44 38 Médian de la symptomatologie (17 septembre 1997) et une semaine après la fin des symptômes 11 4 8 41 36 32 Ulnaire (29 septembre 1997). La diminution des vitesses de conduction et l’augmentation de l’amplitude au troisième examen pourraient être dues à une Tableau II. Étude des conductions sensitives et motrices. température basse. Études des potentiels sensitifs Toujours est-il que, pendant les sept années Amplitude (μV) VCS (m/s) suivantes (de 1997 à 2004), le patient voit ses troubles sensitifs distaux s’aggraver et une 3 46 Médian gauche faiblesse des membres supérieurs s’accentuer, 6 45 Ulnaire gauche toujours plus marquée à gauche, évoluant plutôt Études de la conduction motrice par à-coups, entraînant à chaque fois une réévaluation électroneuromyographique (ENMG). Latence Amplitude VCM Latence distale (ms) distale (mV) (m/s) de l’onde F (ms) Il se développe ainsi une amyotrophie progressive des deux mains. L’étude ENMG réalisée pendant 3,5 6,6 46,3 50 Médian gauche cette période montre, à gauche, une certaine alté3,1 7 42,6 56 Ulnaire gauche ration des amplitudes des potentiels sensitifs, alors que la conduction motrice reste dans les limites de la normale (tableau II). Il existe cependant une hypoexcitabilité au point d’Erb sur le cubital gauche (figure 1). En février 2004, un déficit de l’extension Figure 1. Stimulation étagée du cubide la main gauche apparaît de façon tal G (20 août 2001). Hypoexcitabilité brutale, déficit qui restera inchangé par au point d’Erb. Il ne s’agit pas d’un bloc de conduction, car la stimulation la suite. L’examen ENMG réalisé une magnétique transcrânienne fait appasemaine après l’installation du déficit raître des potentiels moteurs de taille montre un potentiel sensitif du nerf (surface) normale. De plus, l’aire sous radial gauche à 9 μV pour une vitesse la courbe de 40 ms d’EMG de contracde conduction à 54 m/s et une vitesse tion volontaire maximale est approxide conduction motrice à 42 m/s pour une mativement celle attendue. amplitude distale à 5,9 mV. Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. II - n° 1-2 - janvier-juin 2007 11 Figure 2. Examen par résonance magnétique nucléaire du plexus brachial (février 2004). En T2 : un élargissement fusiforme des racines C5, C6 et C7 et des troncs primaires et secondaires du plexus brachial gauche. Figure 3. En T1 avec gadolinium : prise de contraste des racines C5 et C6 gauches et des troncs secondaires du plexus brachial gauche. Figure 4. Stimulation étagée du nerf cubital gauche (13 septembre 2006). Pas de désynchronisation importante, ni de ralentissement marqué de la conduction nerveuse à 10 ans d’évolution. Figure 5. Stimulation étagée du nerf radial gauche (13 sep­tembre 2006). Démonstration indirecte d’un bloc de conduction proximal. Figure 6. Ondes F obtenues sur le cubital gauche (13 septembre 2006). Augmentation majeure des latences des ondes F, plus importante que ne le laisserait attendre la mesure des vitesses de conduction segmentaires en distalité, qui ne sont que modérément ralenties, attestant ainsi le caractère proximal du ralentissement de la conduction nerveuse. 12 L’examen par résonance magnétique nucléaire (RMN) [réalisé en février 2004] montre en T2 un élargissement fusiforme des racines C5, C6 et C7 et des troncs primaires et secondaires du plexus brachial gauche (figure 2), et en T1 avec gadolinium, une prise de contraste des racines C5 et C6 gauches et des troncs secondaires du plexus brachial gauche (figure 3). En septembre 2006, l’examen neurologique montre une amyotrophie très marquée de la musculature intrinsèque des deux mains, un déficit notable de l’extension du poignet et des doigts à gauche, une parésie des autres muscles du membre supérieur gauche (y compris le triceps) et également à droite, une hypoesthésie fluctuante à tous les modes des deux membres supérieurs avec un aspect en gant plus marqué des deux côtés. On note aussi une aréflexie généralisée. L’étude ENMG du 13 septembre 2006 montre une conduction nerveuse motrice normale pour le nerf ulnaire gauche (figure 4). En revanche, on observe un bloc de conduction proximal sur les fibres motrices du nerf radial gauche (figure 5). Les latences des ondes F sont très allongées sur le nerf ulnaire gauche (figure 6). Le LCR est normal. Il n’y a pas de taux élevés des anticorps antigangliosides. Il existe une gammapathie monoclonale IgG kappa à taux modéré. Pour résumer, les études ENMG réalisées sur 10 ans (13 examens) montrent que : ♦ Pour les potentiels sensitifs, les vitesses de conduction distales sont modérément diminuées ; les amplitudes sont en revanche nettement réduites, de façon asymétrique et hétérogène avec une tendance à la décroissance régulière au fil des ans, avec quelques fluctuations. ♦ Pour la conduction motrice, les vitesses de conduction distales sont normales ou modérément réduites, les latences distales modérément allongées. En revanche, on observe un ralentissement proximal de la conduction nerveuse et des latences des ondes F très augmentées. Les amplitudes distales sont normales ou modérément diminuées de façon asymétrique et hétérogène. Des troubles de l’excitabilité proximale puis des blocs de conduction proximaux (intérêt de la triple stimulation) apparaissent progressivement (figure 7). L’évolution depuis 1996 est montrée dans la figure 8. Concernant l’évolution sous traitement, plusieurs thérapeutiques ont été utilisées (Ig i.v., plasmaphérèses, corticoïdes et rituximab), avec peu ou pas d’effets bénéfiques. Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. II - n° 1-2 - janvier-juin 2007 Observation n° 2 Commentaires Ce patient présente donc une atteinte bilatérale des membres supérieurs évoluant sur près de 10 ans avec une assez nette prédominance gauche où le déficit moteur est marqué, touchant les muscles distaux et ceux de l’avant-bras (plutôt Wrist CMAP TST test curve Wrist CMAP TST control curve TST test curve TST control curve A B 2 mV 5 ms Wrist CMAP Erb CMAP Cortical MEP Cortical MEP C 2 mV D 10 ms Figure 7. Distinction entre désynchronisation et bloc de conduction radiculaire par la triple stimulation. (Attarian S et al., Muscle Nerve 2005.) IRM plexus 18.02.04 ENMG successifs 2 ans 2 - Aggravation progressive, sensitivo-motrice, asymétrique à prédominance G sur 7 années Aggravation tr. sensitifs 3 - Main tombante G 1 - Paresthésies/allodynies MS Décembre 1996 Décembre 1998 Décembre 2000 Décembre 2002 Décembre 2004 Décembre 2006 Figure 8. Profil évolutif et chronologie des événements. En bleu, échelle arbitraire d’intensité des symptômes et d’invalidité au membre supérieur gauche. Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. II - n° 1-2 - janvier-juin 2007 extenseurs des doigts et du poignet). L’évolution a été quelque peu fluctuante et les membres inférieurs n’ont jamais été concernés par l’affection, bien qu’il existe une aréflexie généralisée. Les différentes études électrophysiologiques ont montré qu’il existait une atteinte plutôt proximale avec un ralentissement de la conduction nerveuse proximale, un bloc de conduction proximal (détecté par l’usage de la triple stimulation) et une hypoexcitabilité également proximale. Les potentiels sensitifs distaux sont altérés de façon asymétrique et hétérogène. Néanmoins, ces données cliniques et électrophysiologiques orientaient le diagnostic vers une atteinte bilatérale du plexus brachial, mais sans systématisation. C’est l’imagerie par résonance magnétique qui a permis de localiser le site principal des lésions en montrant une hypertrophie localisée du plexus brachial gauche. Il faut rappeler que la protéinorachie était normale et qu’il existait une gammapathie monoclonale IgG κ. Dans un premier temps, le diagnostic a donc porté sur les causes de neuropathies hypertrophiques du plexus brachial. Ainsi, les autres causes d’atteintes non traumatiques du plexus brachial ont pu être facilement éliminées : syndrome de Parsonage-Turner (d’autant que l’atteinte est d’installation aiguë), atteinte plexique dans le cadre d’une maladie héréditaire par hypersensibilité à la pression ou encore plexopathie néoplasique (rappelons que l’évolution a été lente sur près de 10 ans). La notion de neuropathie hypertrophique du plexus brachial remonte à R.D. Adams et al., qui rapportèrent en 1965 cette entité clinique caractérisée par une hypertrophie multiple des nerfs, indolore, asymétrique, évoluant de façon chronique avec des rémissions et des rechutes (1). L’atteinte du plexus brachial était prédominante dans le cas où une masse sus-claviculaire se développait avec le temps. M.D. Cusimano et al. ont rapporté en 1988 deux cas de neuropathie hypertrophique du plexus brachial avec des symptômes récurrents évoluant sur des années et aboutissant là aussi à la formation de masses indolores sus-claviculaires (2). L’étude anatomopathologique montrait qu’il s’agissait d’une hypertrophie nerveuse d’origine inflammatoire avec formations en bulbe d’oignon. A.A. Amato et al. ont rapporté un cas de neuropathie indolore à rechute du plexus brachial avec bloc de conduction persistant et répondant très bien aux immunoglobulines humaines i.v. (3). Cela a incité les auteurs à classer cette neuropathie dans le 13 large spectre des polyneuro­pathies inflammatoires démyélinisantes chroniques (PIDC) et des neuropathies motrices multifocales. Les PIDC forment en effet un large spectre de neuropathies dont les traits principaux sont le caractère inflammatoire, la démyélinisation multifocale et la chronicité. Certaines ont un caractère franchement multifocal, avec blocs de conduction persistants (4). Une autre entité, d’origine dysimmune, est caractérisée par une distribution multifocale des blocs de conduction, mais ne concerne que les fibres motrices (5). Ces deux affections répondent aux traitements par Ig i.v. L’avènement de l’IRM a permis de mieux étudier ces neuropathies focales ou multifocales. Dans les neuropathies motrices multifocales, les anomalies visualisées par la RMN sont semblables à celles observées dans les PIDC, mais il n’y a pas d’hypertrophie brachiale (6). En revanche, dans certaines PIDC, la RMN montre la présence d’une hypertrophie des racines cervicales et du plexus brachial (7). L’hypertrophie du plexus brachial montrée par la RMN dans le cadre des PIDC n’est pas rare, mais la localisation préférentielle des lésions sur le plexus brachial en fait une variante inhabituelle des PIDC (8). Une atteinte isolée unilatérale (9) ou bilatérale (10) du plexus brachial a été rapportée. Néanmoins, R.M. Van den Berg-Vos et al. font de la neuropathie inflammatoire démyélinisante multifocale une entité distincte des PIDC et des neuropathies motrices multifocales (11). Quoi qu’il en soit et quelle que soit l’appellation, ces neuropathies hypertrophiques focales ou multifocales procèdent d’un mécanisme dysimmun et répondent habituellement bien aux thérapeutiques immunomodulatrices. Elles doivent être distinguées des autres neuropathies hypertrophiques localisées dues à une hypertrophie du périnèvre intraneural (12). L’étude électrophysiologique revêt ici un caractère essentiel : la mise en évidence des blocs de conduction proximaux par méthode directe ou triple stimulation (13) et l’hypoexcitabilité focale (9). Cette hypoexcitabilité serait due à une altération des propriétés de la membrane nodale des axones en cours de remyélinisation (14, 15). ■ 14 Références 1. 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