L_Etat_et_Secteur_priv‚.doc

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L’Etat et le secteur privé
Les années 1990 ont représenté une rupture dans l’évolution du secteur privé du fait
des évolutions économiques, politiques et sociales du pays. Sa composition et ses
intérêts se sont redéfinis par rapport à sa meilleure implication par l’Etat dans la
formulation et la mise en œuvre des politiques économiques. Sa physionomie n’a
pas divorcé d’avec la dichotomie secteur formel/secteur informel, toutefois les
enjeux du secteur privé sont compris et appréhendés de la même façon, quelle
que soit la forme d’organisation.
Du point de vue de la contribution au PIB, à l’emploi et à l’investissement,
l’économie est dominée par le secteur privé, ce qui s’explique par l’importance du
petit paysannat et du secteur urbain informel. En effet, la plupart des activités du
secteur privé sont rurales et informelles et emploient 90% de la population active
(estimée au milieu des années 80 à environ 2 millions de personnes).
Les 37 plus grandes entreprises représentent plus de 75% du chiffre d'affaires global
du secteur privé et 70% de l'emploi formel. Ces chiffres révèlent le niveau de
concentration de l'activité industrielle. En majorité, ces entreprises ont profité de la
bienveillance de l'Etat dans les années 70 (grâce à des conventions spéciales). Elles
forment le noyau dur du secteur industriel.
Mais il existe un nombre assez élevé d'entreprises qui évoluent en dehors de ce
système. Les PME emploient entre la moitié et les deux tiers des travailleurs du
secteur informel. Le commerce de détail et l'importation sont ses principales
activités. Il représente une part importante de la production agricole, du commerce
et du transport.
En termes d’organisation économique, le secteur privé diffère selon qu’il s’agisse de
secteur agricole, industriel ou financier. Dans le secteur agricole, le secteur privé
prend des formes de petites exploitations traditionnelles, mais englobe également
des exploitation de taille moyenne ou grande. Le secteur industriel comprend :

des entreprises créées après l’indépendance, qui fonctionnent à l’abri de
mesures de protection et d’accords restrictifs de partage du marché ;

une gamme de petites entreprises qui se sont réfugiées dans le secteur
informel urbain pour échapper au carcan des réglementations ;

de nouvelles entreprises créées dans le sillage de la libéralisation des
échanges avec la mise en œuvre des programmes d’ajustement ;

de grandes entreprises étrangères implantées essentiellement dans les
secteurs du pétrole, du gaz et des substitution aux importations (transformation des
produits agricoles, etc.).
La gouvernance
61
Le secteur financier est dominé par des banques commerciales (cinq banques
commerciales et quelques établissements financiers). Il compte de plus en plus des
institutions formelles et informelles d’épargne et de crédit.
Il faut souligner la place importante dans l’économie du secteur manufacturier
informel. Il repose sur des activités du secteur secondaire telles que la transformation
des denrées alimentaires, les cosmétiques, la chaussure et le vêtement, et
d’activités tertiaires telles que le transport et la réparation automobile, le petit
commerce, la restauration et la distribution.
Le secteur privé et l’Etat
En 1974, l’Etat a voté la loi portant création de la Zone Franche Industrielle (ZFI).
Avant cela, une Société nationale d’étude et de promotion industrielle (SONEPI) a
vu le jour en 1968. D’autres outils de promotion ont suivi dans la décennie 80, il s’agit
notamment de la Société du domaine industriel de Dakar (SODIDA) et du Guichet
unique. Ces structures témoignent d’une politique volontariste de promotion de
l’investissement et du secteur privé. Elles ont toutefois connu des fortunes diverses.
Globalement, les opérateurs économiques ne sont pas satisfaits des dispositifs
d'appui au développement du secteur privé. Il n'existe pas de véritable programme
de développement du secteur privé car les projets d'appui proposés ont,
généralement, une durée précaire et relèvent plus d'approches partielles que
globales. Il y a plusieurs intervenants sur un même sujet, ce qui réduit l'efficacité des
actions. On est souvent en face de projets d'appui beaucoup plus concurrents que
complémentaires. En outre, le secteur privé n'a pas toujours été impliqué dans les
processus d'élaboration et de mise en œuvre des projets.
Depuis le début des années 70, plusieurs projets et institutions, orientés vers la
promotion du secteur privé ont été créés. L'Etat a été à l'origine de mesures
spécifiques pour la protection de l'industrie locale (restrictions quantitatives) jusqu'à
la nouvelle politique industrielle (NPI) en 1986. Depuis, il existe une quantité
importante de mesures pour la promotion du secteur privé qui montrent que cette
forme d'appui est fortement diversifiée, autant par les organismes d'intervention que
par les lignes de crédit.
Malgré la longue expérience accumulée en matière de promotion du secteur privé,
une bonne banque de données de projets et, enfin, la confiance de l’Etat vis-à-vis
de ces structures auxquelles il a délégué une partie de ses prérogatives fiscales et
douanières, il faut noter le niveau limité des ressources et la faible autonomie
décisionnelle de ces entités.
Cette intervention disparate n'est pas forcément un signe de bonne gouvernance
d'autant plus que le bilan de ces mécanismes d'appui reste à faire. Il apparaît
urgent de rationaliser, de coordonner et de pérenniser tous ces programmes
d'appui en prenant en compte les besoins des bénéficiaires et en impliquant
l'expertise locale dans la conception et la mise en œuvre de ces projets.
Une autre faiblesse des politiques de promotion du secteur privé dans la décennie
80 résulte du fait qu’elles ont privilégié la résolution des problèmes d’emplois plutôt
que de créer un environnement propice à l’attrait et au développement du secteur
Rapport sur le développement humain 2000 (version provisoire/Phase 2)
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à travers des mesures structurantes à la fois à l’échelle physique (les infrastructures),
macro-économique
(les
programmes
d’ajustement
structurel)
et
politique(gouvernement de majorité élargie et élections libres et transparentes). De
telles mesures ne seront initiées que dans la décennie 1990.
La concertation entre l’Etat et le secteur privé
Depuis les années 1970, l’Etat a instauré des rencontres périodiques avec le secteur
privé. Déjà pendant les années 70 et 80, le Président de la République recevait
annuellement les industriels et discutait de manière informelle avec eux sur les
questions économiques. Mais cela n’autorise pas à parler à proprement dit de
concertation. Le chef de l’Etat de l’époque recueillait des avis sur des questions
ponctuelles. Aucun cadre formel n’était défini. Aucune décision concertée n’était
prise.
C’est avec la naissance du CNP (Conseil National du Patronat)en 1983, période qui
marque l’entrée en scène d’opérateurs « nationaux », que l’on peut parler de
concertation véritable entre le secteur privé et l’Etat.
En effet, de 1983 à 1991, le CNP était annuellement reçu par le Président de la
République. Cette concertation a ainsi revêtu un cadre formel et une périodicité
prédéfinie. Toutefois, en 1991 la concertation Etat/secteur privé a connu sa
première crise qui a eu pour conséquence sa suspension du fait de divergences
entre le Premier ministre d’alors et le Président du CNP. La concertation tripartite
entre l'Etat, les Employeurs du secteur privé et les travailleurs fut suspendue en 1991.
"C'était une suspension de fait non décidée formellement. L'échec de la
concertation portait en lui-même ses propres germes" témoigne un acteur proche
des organisations patronales.
La première difficulté était liée aux relations entre le président du CNP et le chef du
Gouvernement, divergences provenant de leurs activités laitières. L’un était
intéressé dans l'industrie laitière SOCA et l’autre dirigeait la SIPL, fabricant de la
marque SENLAIT. Il existait d'autres raisons aussi importantes, ayant pu entraîner la
suspension de cette concertation. En effet, dans son organisation, la concertation
se faisait entre trois groupes l'Administration, les Employeurs et les Employés. Cette
formule, très lourde, a très vite démontré ses limites ; elle sera abandonnée au profit
d'un système direct mettant face à face le patronat et l'Etat.
La reprise de la concertation est liée à des métamorphoses dans le paysage des
groupements professionnels: en 1993, le Conseil National des Employeurs du
Sénégal (le CNES) devient la Confédération Nationale des Employeurs (la CNES) et
claque la porte du CNP. Cette nouvelle organisation regroupe les opérateurs
économiques "sénégalais" et affiche une sensibilité différente de celle des membres
du CNP en exigeant une préférence nationale pour ses membres.
Les autres éléments venus des regroupements traditionnels, l’Union des syndicats
d’industrie (UNISYNDI), le Syndicat des commerçants, importateurs et exportateurs
(SIMPEX) et le Syndicat patronal de l’Ouest africain (SYPOA) nés avant les
indépendances, plus structurés et plus puissants financièrement, n'ont pas voulu
lâcher les rennes du CNP.
La gouvernance
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La CNES va imprimer sa marque aux relations Etat/Employeurs pendant la décennie
90, grâce à une meilleure maîtrise de la concertation avec l'Etat du fait qu'ils sont
sénégalais et que leur président semblait proche du pouvoir socialiste.
En 1996, le patronat sénégalais créa un cadre unitaire informel dénommé CPDS
(Coordination Patronale du Sénégal) qui regroupe les organisations les plus
influentes du secteur privé. La CDPS regroupe six organisations issues des secteurs
formel et informel (CNP, CNES, UNACOIS, ROES, AFAC, GES et OCAIS). Elle joue à compter
de sa création le rôle de porte-parole du secteur privé face à l’Etat.
En 1997, pour insuffler un nouveau dynamisme à la concertation, il est créé le
comité général de concertation pour le développement qui regroupe, à parité, les
membres du secteur privé et de l’Administration. Il est alors défini des formes, des
calendriers et des ordres du jour des concertations. Ainsi, le Président de la
République rencontre le secteur privé tous les ans, le Premier ministre le fait quatre
fois par an ; enfin des rencontres sectorielles mensuelles sont prévues avec les
"technocrates" de l’Administration.
Si cette concertation a le mérite d’exister, elle a un bilan mitigé. A son actif, les
réunions régulières entre l’Administration des Impôts et les opérateurs privés qui
arrivent à aplanir des difficultés et résoudre certains problèmes techniques (liés
notamment à l’application de certaines règles de la fiscalité). Toutefois, selon
beaucoup d’observateurs, la concertation Etat/secteur privé dans son schéma
actuel, est une "coquille vide" puisque n’aboutissant qu’à la résolution de problèmes
ponctuels au lieu de donner l’occasion aux parties de prendre de la hauteur et de
discuter des questions stratégiques engageant l’avenir du secteur privé.
La décision prise en 1999 par le Conseil National du Patronat (CNP) de se retirer de
la Coordination Patronale du Sénégal (CPDS), tout en restant dans la concertation
bipartite Etat/secteur privé, donne la mesure de l’unité des acteurs privés. Pour
plusieurs observateurs, en quatre années d’existence, la CPDS n’a pas su se
prévaloir d’un bilan satisfaisant.
Le partenariat que la Coordination voulait impulser avec le gouvernement n’a pas
dépassé les concertations bipartites annuelles qui n’ont pas permis au secteur privé,
en dehors de quelques secteurs (pêche et tourisme notamment), de tirer un profit
plus important des nombreuses opportunités ouvertes avec la dévaluation du franc
CFA intervenue en janvier 1994.
Le secteur privé sénégalais voulait, à travers la Coordination patronale, briser la
bipolarisation entre entreprises françaises, presque toutes membres du CNP (la
première organisation patronale avec 63,56% des syndicats patronaux membres), et
entreprises sénégalaises dont certaines étaient affiliées à la CNES (Confédération
Nationale des Employeurs du Sénégal).
Il s’agissait également de créer une dynamique unitaire du secteur structuré contre
les assauts de l’informel. En réalité, la Coordination Patronale regroupe des
structures aux intérêts diamétralement opposés : le secteur structuré d’un côté et
celui informel de l’autre.
Rapport sur le développement humain 2000 (version provisoire/Phase 2)
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L’informel regroupe en grande partie des importateurs, dont les objectifs principaux
résident dans les pressions pour desserrer les protections tarifaires contre certains
produits. Le secteur structuré à un objectif évidemment contraire, car composé en
majorité d’unités industrielles, au demeurant faibles, qui veulent être protégées
contre l’invasion de produits plus concurrentiels. Ce conflit d'intérêts est très net en
ce qui concerne la filière sucre.
Ce faisant, la CPDS contient les propres germes de ses contradictions mises à nu par
l’opposition feutrée entre le CNP et la CNES sur certains dossiers économiques et la
présence en son sein des organisations de commerçants comme le ROES, le
SCIMPEX, la SYPOA et l’OCAAIS. Or ces deux derniers ont toujours défendu avec
l’UNACOIS et le GES, des positions et des intérêts divergents de ceux des entreprises
du secteur formel regroupées au sein du CNP et de la CNES. Le démantèlement des
monopoles (sur le sucre et le riz), la suppression des surtaxes de protection de
l’industrie nationale restent leur cheval de bataille. Leur faisant face, le CNP a
toujours été un farouche défenseur de l’industrie nationale contre les menaces des
grands importateurs de l’informel.
L’interlocuteur de l’Etat dans les concertations bipartites annuelles Etat/secteur privé
qu’est la CPDS voit sa vocation, être un cadre de concertation sur toutes les
questions qui préoccupent ses membres, en rapport avec la promotion
économique et sociale du Sénégal en général, et le développement du secteur
privé, en particulier, se fragiliser. Aujourd’hui, les interlocuteurs de l’Etat sont la
CPDS, le CNP et les GES.
Le développement du secteur privé
Cette partie examine d'abord le climat des affaires et dresse ensuite un bilan
d’impact des politiques de renforcement du secteur privé, et analyse enfin les
contraintes au développement de ce secteur.
Le climat des affaires
Au Sénégal, la décennie 90 reste celle des mutations économiques profondes au
Sénégal, elle se divise en deux périodes : la première celle du plan d’urgence
couvre les années 1990-1993 et peut être qualifiée de difficile, et, celle allant de
janvier 1994 à janvier 2000 marquée par le retour de la croissance.
Le développement du secteur privé est resté tributaire des mesures de politique
économique prises par les autorités et qui se sont souvent traduites par des coûts
élevés pour ce secteur.
Au début des années 90, l’économie sénégalaise était dans un état critique. Le taux
de croissance du PIB négatif (-0,7%)en 1991 et s’est davantage détérioré en 1993 en
tombant à –2,1%. On assiste en même temps à un désinvestissement en 1993 (-29
millions USD). Sur cette même période est définie la nouvelle politique industrielle
avec les effets suivants :
- elle favorise le développement des industries exportatrices restées jusque là timide
du fait des industries d’import-substitution,
- elle supprime la plupart des restrictions quantitatives à l’importation et les valeurs
mercuriales,
La gouvernance
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- elle réduit la protection de l’industrie locale,
- elle prévoit la libéralisation du marché du travail et la baisse du coût de l’énergie.
Au niveau du secteur financier également des mesures de fermeture des banques
en faillite et de restructuration profonde de celles qui sont en difficultés, ont été
prises. Malgré les mesures, le taux de croissance de l’économie a été très
légèrement supérieur au taux de croissance démographique.
Ainsi, la période 1990-1993 a été difficile car l’Etat a rompu avec les bailleurs de
fonds qui lui exigeaient de procéder à un ajustement global et non partiel. Le plan
d’urgence, conçu comme palliatif à la dévaluation n’a pas connu de réussite et en
Janvier 1994 est intervenue la dévaluation de 50% du FCFA, une nouvelle politique
économique est mise en place. Son impact sur le secteur privé peut s’appréhender
à deux niveaux : le renforcement des mécanismes de marché et l’assainissement
de l’environnement administratif des entreprises.
Les mesures de renforcement des mécanismes de marché
En 1994, une nouvelle politique économique est mise en place. Elle vise à assainir la
gestion des finances publiques, créer un environnement favorable au secteur privé,
promouvoir l’investissement privé et aider les entreprises à conquérir de nouveaux
marchés. Il est affirmé dans le plan d’orientation pour le développement
économique et social 1996-2001 (IXè plan) que la croissance économique sera
portée par le secteur privé et que le rôle de l’Etat devra se limiter à la création d’un
cadre favorable à l’expansion des affaires. En ce sens, il sera pris un ensemble de
textes dans le cadre du Programme d’ajustement sectoriel pour la compétitivité
(PASCO) entre juin 1994 et juillet 1995.
(a)
Intensification de la libéralisation des prix, des échanges et des activités
économiques
La promotion du secteur privé exige avant tout la restauration d’une saine
concurrence entre les entreprises. Sur la même période, l’Etat réaffirme sa décision
de mettre définitivement fin aux avantages accordés dans le cadre des
conventions spéciales ou protocoles venant à expiration. L’application du principe
de la liberté d’entreprendre va être étendue avec la réduction des exceptions
actuelles (santé, activités bancaires et d’assurances…).
Au niveau du marché des biens et services, la libéralisation des prix doit être
maintenue et renforcée de même que la suppression de tout contrôle de prix. La
législation du travail doit concourir à la promotion de la productivité.
(b) Flexibilité du marché du travail,
Amorcée à la fin des années 80, la réforme de la politique industrielle prévoit une
réduction importante des coûts de production, grâce à la baisse du coût de
l’énergie et la libéralisation du marché du travail. Cette dernière mesure qui a
rencontré une farouche opposition des syndicats a été repoussée deux fois en 1987
et en 1990.
Rapport sur le développement humain 2000 (version provisoire/Phase 2)
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En 1993, le code du travail a été révisé dans ses articles 35 et 47 relatifs à
l’embauche et au licenciement, pour permettre aux entreprises d’adapter
librement leurs effectifs à leur activité, malgré l’opposition des syndicats. Le
monopole du placement du Bureau de la main d’œuvre portuaire a été aboli.
(c) Désengagement de l’Etat au profit du secteur privé
Dans la décennie 80, une multitude d’entreprises publiques étaient en activités. On
assiste à un développement du secteur public marchand avec les inconvénients de
la gestion publique.
En raison de l’importance de cette question et des résultats obtenus, cette partie du
rapport ne peut pas éluder la question centrale de l’efficacité et de la
transparence dans la gestion du secteur parapublic.
La gestion du secteur parapublic a connu des ruptures. La politique dans ce
domaine a commencé avec le programme de redressement qui avait mis l'accent
sur le poids du secteur dans les déficits du budget de l'Etat. Dans un premier temps il
s'agissait d'assainir le secteur à travers des contrats-plans qui devaient améliorer
l'efficacité des entreprises voire les rendre rentables du point de vue des objectifs
assignés. Devant la faible réussite de cet instrument, le principe de la restructuration
complète du secteur a été retenu. Il s'agissait de liquider les entreprises non viables
et de céder partiellement ou totalement celles pouvant être rentabilisées.
En 1993, 21 entreprises publiques ont été liquidées et 26 autres privatisées,
intégralement ou partiellement mais on était qu’à la moitié environ du portefeuille
de l’Etat (42%).
Mais le programme de privatisation des sociétés et établissements publics a du mal
à se terminer. Sur une liste de 19 entreprises à privatiser en 1999-2000, seule la
Senelec et Air Sénégal ont été cédées.
Le report dans les délais du programme de privatisation n’est pas le premier du
genre. En effet, de 1994-1997, il était prévu la restructuration de 22 entreprises. Sept
ont été vendues ou liquidées en fin 97. Le portefeuille de l’Etat s’en est réduit de 25
% et ces opérations ont apporté à l’administration l’équivalent de 4% du PIB. Mais
l’essentiel provenait de la cession de 61 % du capital de la Sonatel. Si les opérations
de restructuration des 19 entreprises concernées par le programme de privatisation
parviennent à leur terme, le portefeuille de l’Etat consolidé devrait passer de 87 %
en 94 à 43 % en début 2001.
La nécessité d’alléger le budget de l’Etat du fardeau des subventions et le souci de
parvenir à une plus grande efficacité dans la gestion ont conduit à la privatisation
ou à la liquidation de centaines d’entreprises appartenant au secteur parapublic.
Mais la logique qui a dominé ces opérations a souvent été celle d’une privatisationsanction.
Dans les années 1970/80, des subventions ont été accordées aux entreprises de ce
secteur qui en regroupait plus de 200. On dénombre aujourd’hui huit (08) sociétés
nationales (SONES, SNHLM, SNCFS…), dix neuf (19) sociétés à participation publique
La gouvernance
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majoritaire parmi lesquelles figurent la SENELEC1, la SICAP, la SONEPI, cinq (05)
établissements à caractère industriel et commercial dont l’ONAS, créé en 1992, et 32
entreprises publiques à caractère administratif ou scientifique, subventionnés par
l’Etat à 100%2.
La restructuration du secteur parapublic se résume aux opérations suivantes : vente
totale des parts de l’Etat dans un tiers des sociétés semi-publiques opérant dans
l’immobilier et le tourisme; vente partielle de 14 sociétés semi-publiques qui
comprennent cinq banques; achèvement de la dissolution de certaines sociétés;
transformation des entreprises publiques en entreprises semi-publiques ou en sociétés
nationales pour leur conférer plus d’autonomie; réduction progressive des
subventions aux entreprises publiques jusqu’à 50%, en 1990; mise en place de
structure de gestion et de suivi des réformes avec la nomination du Délégué à la
restructuration du secteur parapublic ayant rang de secrétaire d’Etat dans le
gouvernement, la mise en place du comité consultatif du secteur parapublic, de la
commission spéciale pour le désengagement de l’Etat et de la commission spéciale
de suivi du désengagement de l’Etat.
Depuis le plan d’urgence, la politique de l’Etat consiste à supprimer les subventions
consenties à ces entreprises qui ont englouti des centaines de milliards, à l’instar de
l’ONCAD, liquidé en 1980. L’objectif de l’Etat est de fermer les entreprises qui
ponctionnent les ressources de l’Etat ou d’assainir la gestion de certaines d’entre
elles en la privatisant. C’est le principe de la privatisation-sanction.
L’Etat a opté pour la gestion des comptes dans le cadre du Plan d’urgence, en
1993, ce qui a permis la réduction des allocations destinées à la consommation de
l’eau, de l’électricité et du téléphone.
La gestion des sociétés stratégiques (SENELEC, et SONEES avant 1995) dans les
secteurs de l’eau et de l’électricité a d’abord conduit à la signature de contratsplans en vue de clarifier les relations entre l’Etat et la société, surtout les relations
financières. L’intervention de l’administration dans la gestion de ces sociétés a
permis à l’Etat de peser sur le choix des investissements, la tarification, les ressources
humaines et la trésorerie. Il était impossible de situer les responsabilités des parties en
cause dans les mauvais résultats des sociétés (Fall, 1993, 5). L’intervention de l’Etat
avait été source d’inefficacités, d’où l’idée qu’il fallait opérer des ruptures pour
assainir la gestion de ces sociétés.
La gestion des sociétés du secteur parapublic interpelle moins la capacité de l’Etat
à réaliser des politiques légitimes du fait de ressources insuffisantes dans le service
public, que sa propension à une gestion gabegique avec la complicité de
directeurs nommés par l’Etat, et qui sont parfois d’une incompétence avérée. S’y
ajoute la profusion de présidents de conseil d’administration qui cherchent
davantage à jouir de situation de rente qu’à servir l’Etat ou l’entreprise. Certaines
sociétés ont été bradées et vendues au franc symbolique à des personnes qui ne se
seraient jamais engagées à les reprendre si elles n’étaient pas viables. Enfin, la
conclusion de marchés de gré à gré a souvent été source d’enrichissement pour
certains directeurs et de difficultés pour les sociétés victimes d’entrepreneurs véreux.
1
2
Elle est devenue une société privée, après la cession, par l’Etat, de ses parts à Hydro-Québec et à Elios.
Si on fait le compte il en reste moins de 100.
Rapport sur le développement humain 2000 (version provisoire/Phase 2)
68
Du point de vue du développement humain durable, on peut se demander si les
financements acquis et rétrocédés par l’Etat ainsi que la privatisation ont permis
d’améliorer l’efficience et la durabilité de services de base et de répondre à
l’attente des usagers.
La SENELEC et la SONEES financent leurs programmes d’investissement au moyen de
prêts et dons étrangers rétrocédés ou garantis par le trésor public, ainsi que d’une
mission d’autofinancement. Ce schéma a prévalu avant la privatisation ; il est
toujours en vigueur.
Différentes conventions signées entre l’Etat, la SENELEC et la SONES ont permis à ces
sociétés de bénéficier de financements substantiels.
La SONES est créée au terme de la loi N° 95-10 du 07 avril 1995 portant organisation
du secteur de l’eau. L’Etat a concédé le développement et la gestion du
patrimoine de l’hydraulique urbaine à la SONEES et affermé l’exploitation du service
public de la production et de la distribution d’eau potable à une société privée, la
SDE.
Divers projets d’approvisionnement en eau potable (AEP) sont financés pour Dakar
et pour la petite côte. Le projet d’alimentation en eau potable pour la petite côte
bénéficie, en 1992, d’une subvention de 58 millions de FF et d’un prêt de 57 millions
de FF. La réalisation du volet AEP de Dakar a permis de fournir des dizaines de milliers
de branchements3, et la réalisation d’un plan d’extension du réseau de distribution.
La SENELEC ne maîtrise toujours pas les délestages malgré les promesses faites en
juillet 1999 par les dirigeants de cette société, d’y mettre fin en septembre 2000. Les
promesses d’investissement des partenaires stratégiques visant à accroître les
capacités de production dans le secteur de l’énergie ne sont pas réalisées. L’Etat
détient toujours 66% du capital de cette société et seulement 5 représentants au
conseil d’administration sur 12. L’Etat, actionnaire majoritaire de la société, est
minoritaire au conseil d’administration. Cette situation paradoxale découle d’une
recommandation de la Banque mondiale qui voulait éviter une immixtion trop forte
de l’Etat dans la gestion de la société. Elle ne présente pas l’avantage de clarifier les
rapports de pouvoir au sein de cette société entre l’Etat et les partenaires
stratégiques.
Le problème de l’eau est surtout celui de la capacité d’approvisionnement face à
une demande croissante. Certes, la privatisation a permis d’assainir les normes de
gestion mais elle n’a pas encore fait disparaître pour la SONES, la SENELEC et la
SONATEL, pour le téléphone fixe, la situation de monopole de service public
préjudiciable au consommateur.
L’approvisionnement en eau est encore irrégulier du fait d’une capacité insuffisante.
Les populations se plaignent de devoir rester trois jours sans recevoir la moindre
goutte d’eau. Cela arrive souvent dans des quartiers résidentiels (Sicap, Yoff,
Mermoz). La privatisation n’a pas permis de résoudre ce problème, encore moins
celui lié à la baisse du coût des facteurs. On comprend que les populations
expriment leur mécontentement face à ces privatisations dont les revenus ne sont
3
Y compris les branchements sociaux.
La gouvernance
69
pas gérés avec toute la transparence qui sied, en pareil cas, et surtout, lorsque les
retombées sont pratiquement inexistantes pour elles.
La gestion des biens publics permet d’évoquer les anomalies survenues dans les
tentatives de privatisation de sociétés dans le secteur parapublic. On compte
parfois parmi les candidats à la reprise de l’entreprise, le directeur lui-même,
membre influent de la direction du Parti socialiste au titre d’investisseur local alors
qu’il est encore en exercice, ce qui veut dire qu’il est au courant des procédures de
cession qu’il peut influencer à partir de sa position. Le conflit d’intérêts est manifeste
dans ce cas.
Dans le secteur parapublic, la corruption a gangrené la passation de marchés. Non
seulement les procédures sont longues, mais on a pu constater pour les routes “ de
fortes malfaçons sur des routes qui n’avaient pas trois mois d’âge ” (Le Soleil du 06
juin 2000, 7). Ce qui veut dire que les travaux sont parfois bâclés, “ les marchés sont
cédés dans la complaisance ; tout ce qui est “ donné ” en amont comme pot-devin est récupéré en aval par les entrepreneurs (et) les fournisseurs au détriment de la
qualité ” (Le Soleil, du 06 juin 2000). Les données disponibles sur la qualité du réseau
routier suggèrent soit une incompétence notoire ou la corruption qui empêche
l’exercice d’un contrôle technique adéquat.
La publication des résultats provisoires des audits des sociétés nationales dans la
presse privée sénégalaise en novembre et décembre 2000 montre l’ampleur du
gaspillage des ressources nationales. Ce fait a surtout été très net dans les sociétés
dont les directeurs étaient fortement impliqués dans le jeu politique partisan et a
également eu des effets indirects sur la gestion d’autres sociétés. Par exemple, à la
SNCS, ce qui est présenté comme les résultats du « système Mbaye Diouf » ont
indirectement handicapé le port pour ce qui est du trafic en destination du Mali. Les
sources indiquent qu’en raison de l’état du Dakar-Bamako, Abidjan a repris une part
importante des marchés du Sénégal en destination de Bamako
Le tableau très sombre dressé par le jeune ministre de l’Economie et des Finances
devant l’Assemblée nationale lors de l’ouverture de la session budgétaire confirme
ce que les politistes et observateurs savaient déjà : en réalité, ces sociétés étaient
souvent des sites de prédation, d’enrichissement personnel mais aussi, indirectement
d’entretien d’une clientèle qui nourrit un système politique qui fonctionne selon les
règles de ce que Richard Sandbrook appelle le « soutien mercenaire ». Les faits mis à
l’index par le jeune ministre de l’Economie et des Finances sur la gestion de La Poste
ou du Fonds de promotion économique, au-delà de la polémique qu’elle
déclenche au sujet de la véracité des chiffres ou de la bonne interprétation à en
faire, montre la qualité des pratiques de gestion : un gaspillage de grande ampleur
des ressources nationales, pendant que, dans le même temps, des pans entiers des
populations ont de plus en plus de difficultés à accéder à des soins de qualité, à
envoyer leurs enfants à l’école ou à élever ces derniers dans la dignité.
Les formes de restructuration
Dans son programme, l’Etat a utilisé plusieurs méthodes de restructuration : la
privatisation totale (la Sociétés sénégalaise des phosphates de Thiès, l’hôtel
Téranga…), la privatisation partielle (Société nationale des télécommunications,
l’Agence sénégalaise d’assurance au commerce extérieur, Senelec…), la mise en
Rapport sur le développement humain 2000 (version provisoire/Phase 2)
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concession avec la création d’une société de patrimoine (Sonees, Dakar Marine,
Sotrac…), la location gérance (Sotexka) et la liquidation (CPSP, Sias, SH-Saly).
Parmi les sociétés qui ont été déjà privatisées, l’opération Sonatel a entraîné l’une
des plus grandes satisfactions. En juillet 97, la filiale de l’opérateur France Télécom,
France cable radio (FCR) a racheté le tiers du capital de la Sonatel. Au coût de 65
milliards de francs CFA, la transaction a finalement rapporté 77 milliards à l’Etat,
compte tenu des droits et dividendes empochés. L’Etat a du reste cédé une partie
du capital aux salariés de l’entreprise (10 %, environ 11,5 milliards), ce qui est une
première au Sénégal.
L’autre innovation marquante de cette privatisation, c’est que les pouvoirs publics
ont fait un appel public à l’épargne populaire pour placer 17,6 % du capital de la
Sonatel. Cette opération a rapporté 33,5 milliards à l’Etat et a fait découvrir aux
Sénégalais les vertus de l’actionnariat populaire. La première offre publique de
vente (OPV) de la Sonatel a été une réussite. Par ailleurs, l’Etat vient encore de
céder 9 % du capital de la Sonatel à FCR, l’objectif étant de se limiter à 25 % du
capital de l’entreprise.
Cette forme de restructuration entreprise avec la Sonatel est en passe d’être reprise
pour la Senelec. Le partenaire stratégique est d’ailleurs entré dans le capital de la
société en 1999. Le consortium Hydroquébec-Elyo a déboursé 41 milliards de francs
en contrepartie de 34 % du capital de la Senelec. Ainsi la compagnie d’électricité a
été évaluée à près de 115 milliards de francs CFA. A la faveur de l’alternance, les
nouveaux pouvoirs publics sont revenus sur les privatisations de la Senelec, estimant
que les intérêts publics n’avaient pas été sauvegardés par l’accords. Le document
de l’ACAS offre une économie politique de ce dossier de privatisation marqué des
retournements et rebondissements spectaculaires. Le cas de la Senelec vérifie la
solidité des thèses selon lesquelles le privé n’est pas la fin de tous les malheurs.
Le même dispositif sera reconduit, à savoir l’actionnariat des salariés et l’OPV. Le
processus de privatisation de la Senelec a traversé beaucoup de turbulence avant
d’être mis sur orbite, comme le montre, dans un document bien détaillé
l’Association des cadres de la Senelec. Déjà en 1992, le gouvernement avait refusé
un appui d’une agence française sous réserve d’une privatisation de la gestion des
abonnements. Mais lorsque la Banque mondiale a pris en charge le dossier, elle a
exigé une privatisation complète avec une libéralisation de la production.
A la faveur de l’alternance, les nouveaux pouvoirs publics sont revenus sur les
privatisations de la Senelec, estimant que les intérêts publics n’avaient pas été
sauvegardés par l’accords. Le document de l’ACAS offre une économie politique
de ce dossier de privatisation marqué des retournements et rebondissements
spectaculaires. Le cas de la Senelec vérifie la solidité des thèses selon lesquelles le
privé n’est pas la fin de tous les malheurs.
En effet, l’Etat a eu du mal à s’entendre avec le Sutelec, « le syndicat majoritaire,
assis sur la certitude de sa puissance et de sa capacité à bloquer le système, a
convaincu la majorité des travailleurs qu’aucune réforme ne peut se faire sans son
consentement ou mieux sans son autorisation » (ACAS, 2000 : 6). La confrontation
entre l’Etat et le Sutelec n’a pas pu être évitée malgré la signature avec ce
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syndicat « d’un accord sur les orientations stratégiques qui relèvent de sa seule
responsabilité ».
La Senelec, entreprise d’une portée stratégique est, quant à elle, à un tournant. Elle
ne parvient pas à résorber le déficit en énergie. Elle a passé sa pire année en 1999,
avec des délestages qui ont même réduit le taux de croissance du PIB. La gestion
de cette société était peu transparente et les erreurs stratégiques étaient presque
fatales : six milliards de pertes en 1997, pertes de chiffre d’affaires dues aux
délestages de 1,5 milliard en 1998, choix d’équipements hasardeux, comptes non
certifiés qui ont réservé des surprises à HydroQuebec/Elyo.
Si l’on prend comme base l’année 1994, on peut dire que l’Etat conduit de plus en
plus de manière professionnelle les opérations de restructurations de ses entreprises.
Il fait intervenir aujourd’hui des professionnels rompus à ce type d’exercice. C’est le
cas de la tentative de privatisation de la Sonacos, où la grande banque d’affaires
Equator Bank a cherché les repreneurs potentiels de l’huilier. En outre, avec l’aide
technique et financière de la Banque mondiale, une Cellule autonome de gestion
du portefeuille de l’Etat a été créée.
Les effets économiques et sociaux des privatisations
Depuis la mise en œuvre du programme de deuxième génération après la
dévaluation, les privatisations ont apporté des modifications notables dans le
paysage économique et social.
Les revendications formulées par les syndicats ont pendant longtemps lourdement
insisté sur les conséquences les plus immédiates comme par exemple la mise au
chômage de nombreux travailleurs dans un contexte global marqué par la
régression de l’emploi industriel, donc de forte diminution de l’emploi. Une telle
trame est d’ailleurs repérable à travers les différents programmes d’ajustement qui,
avec les réformes des secteurs public et parapublic ont provoqué de nombreuses
pertes d’emploi. Des résistances importantes au schéma de privatisation ne
s’expliquant pas seulement par la crainte du chômage ont également été
observées dans des entreprises comme la Senelec, avec des licenciements mais
aussi d’autres conséquences sur les activités des entreprises et le confort des
ménages.
Aujourd’hui, avec l’entrée de partenaires stratégiques étrangers dans le capital des
entreprises nationales, de nouvelles pratiques managériales font jour et le savoirfaire technologique est importé. Ces entreprises deviennent plus visibles,
communiquent plus et certaines d’entre elles ont amélioré la qualité de leurs
prestations. C’est le cas de la Sonatel qui est devenu un exemple de Success Story.
Quant à la SDE société d’exploitation des eaux, née de la division de l’ancienne
Sonees en société de patrimoine et société d’exploitation, elle reprend des couleurs
et a généré son premier exercice bénéficiaire en 1998. Toutefois, le prix de l’eau
potable continue de grimper malgré le maintien de la subvention. Pour faire face à
cette situation, des branchements sociaux ont été mis en place pour atténuer les
hausses de prix, une méthode trouvée pour soutenir le plan d’investissement de la
société de patrimoine, la Sonees qui doit rembourser les emprunts qu’elle a
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contractés dans le cadre du Programme sectoriel eau (PSE) d’un montant de 135
milliards.
Généralement les privatisations ont entraîné des « licenciements » négociés sous
formes de « départs volontaires » avec des indemnités assez consistantes. Ce qui est
concevable, car la plupart des entreprises concernées arrivent dans le privé avec
leur pléthore d’effectifs. Ces problèmes sont réglés le plus souvent par le repreneur,
s’il ne s’agit pas de liquidation, avec les syndicats de ces entreprises. L’Etat a
toujours fait de sorte que la reprise de ses entreprises ne soit pas accompagnée de
licenciements massifs.
Le personnel sur le départ de ces entreprises trouve des opportunités de retrouver
un emploi dans une autre entreprise du fait de son expertise spécifique, ou crée sa
propre entreprise de sous-traitance dans le secteur. Les privatisations dans les
entreprises de service public s’accompagnent de l’ouverture complète ou partielle
de ce secteur, ce qui favorise l’émergence d’un secteur privé assez dynamique.
L’Etat tire de la cession de ses parts dans les sociétés publiques des recettes
exceptionnelles importantes. Dans son programme économique, il rappelle que les
recettes sont affectées en grande partie au financement de projets
d’investissements inclus dans le Programme triennal d’investissement public (PTIP).
Ces recettes contribuent également aux opérations d’assainissement de la dette
publique.
Les recettes des privatisations font l’objet de lois de finances rectificatives. Celles
tirées de la vente de la Sonatel sont déjà passées par l’assemblée nationale pour
leur affectation. C’était le cas pour la première tranche qui avait rapporté à l’Etat
65 milliards de francs en 1997. Les recettes supplémentaires tirées de l’OPV, de la
cession d’actions au personnel et de la vente d’un autre bloc d’actions à France
Télécom (9 %) ont trouvé leur affectation en 99. 40 milliards sont destinés à des
dépenses d’investissement : 15,6 milliards au secteur routier, 8,6 milliards à
l’hydraulique et à l’assainissement, 7,5 milliards à l’énergie etc.
Le tiers restant a été consacré à la dette et aux dépenses de fonctionnement, dont
l’intervention de l’armée sénégalaise en Guinée Bissau (2,5 milliards). Cet exemple
montre le souci de transparence des ressources tirées sur la privatisation, du moins
durant ces dernières années. On peut néanmoins contester l’emploi d’une partie de
ces ressources non destinées aux secteurs sociaux, notamment les dépenses
militaires.
Et pour la première fois une société jadis publique, la SONATEL, fait son entrée en
bourse après sa privatisation et compte parmi ses actionnaires des salariés qui
détiennent 10% du capital. Ainsi, le désengagement de l’Etat du secteur marchand
a contribué au renforcement du secteur privé compte tenu des partenariats tissés
et des volumes d’investissements privés directs.
(d) Mise en place du tarif extérieur commun
L’ouverture progressive des frontières dans l’UEMOA a instauré depuis janvier 2000 le
tarif extérieur commun fixé à 20%. Les droits de douane sont ainsi passés de plus de
65% sur certains produits en 1998 à 20% depuis le début de l’année 2000. Ce
La gouvernance
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désarmement tarifaire s’est accompagné d’un dispositif complémentaire de
protection pour certains produits industriels et agricoles locaux. L’Union douanière
ouvre en perspective la concurrence entre les entreprises des pays membres et un
marché de 60 millions de consommateurs. Toutefois, le Sénégal est relativement
enclavé vis-à-vis de ses partenaires ouest-africains. La qualité des infrastructures
entre directement en compte dans la compétition des entreprises.
La recherche d'une efficacité de l'environnement admnistratif
Le développement du secteur privé dépend fortement de l’environnement
administratif dans lequel évoluent quotidiennement les entreprises. Des mesures ont
été prises pour faciliter les procédures administratives auxquelles sont soumis les
opérateurs économiques mais également l’Etat a investi dans des projets
d’infrastructure et a conféré des avantages spécifiques à l’entreprise franche
d’exportation.
(a) Amélioration du cadre juridique et réglementaire
Des changements très importants sont observés dans ce domaine en raison du
nombre de textes juridiques à finalité économique adoptés au Sénégal durant la
dernière décennie. Les spécialistes s’autorisent à y voir les signes d’un véritable droit
économique entendu comme le droit de l’organisation de l’économie par les
pouvoirs publics et privés. Les conditions de la libre concurrence et de la fixation des
prix sont précisées (loi n°94-63), les monopoles de production et d’importation
supprimés (loi n°94-68), l’autorisation préalable à l’accès de certaines professions est
également supprimée (décret n°95-132).
A la faveur des engagements régionaux et sous-régionaux, l’UEMOA (sur le plan
financier et bancaire) et l’OHADA (sur le plan du droit des affaires) ont
considérablement amélioré les structures juridiques de l’entreprise, le régime des
biens de l’entreprise, les garanties et les modes de règlement des conflits par la
promotion de l’arbitrage et l’appui à la formation des juges en droit des affaires,
l’information économique et comptable (SYSCOA). Il est vrai que l’information sur
ces questions reste à parfaire. La plupart des textes sont adoptés après une pression
des bailleurs de fonds.
Enfin, il est souligné l’accroissement de l’autonomie de la BCEAO avec notamment
la mise sur pied de la Commission bancaire chargée de contrôler les banque set
établissements financiers.
(b) Investissement dans les projets d’infrastructures prioritaires
En vue de rendre l’économie compétitive, il faudrait créer des externalités
favorables à la production, d’où l’importance de la qualité des infrastructures et de
leur efficacité. L’Etat s’est fortement impliqué dans l’amélioration des infrastructures
hydrauliques, de transport, de télécommunications et d’énergie.
Le secteur privé a été impliqué dans la production comme c’est le cas avec la SDE
(sénégalaise des Eaux)contrôlée par le groupe français Bougues à travers sa filiale
SAUR International, la SONATEL avec France Télécom et la SENELEC avec Hydro-
Rapport sur le développement humain 2000 (version provisoire/Phase 2)
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Québec et Elyo. Dans le domaine de l’infrastructure des transports l’Etat a entrepris
la construction de nouvelles routes et la maintenance de l’infrastructure existante.
(c) - L’Entreprise franche d’exportation
Après le bilan défavorable de la zone franche industrielle qui n’a pas atteint sa
mission, l’Etat a mis en place deux autres régimes : les points francs (qui ont
aujourd’hui disparu) et l’entreprise franche d’exportation.
Le statut de l’entreprise franche d’exportation (EFE) propose des avantages fiscaux
aux entreprises qui exportent plus de 80% de leur production. L’impôt sur les sociétés
est ramené à 15% (au lieu de 33%).
Renforcement de la capacité institutionnelle du secteur privé: le GRCC, le CRJ et la
FSP
L’appui institutionnel au secteur privé est bâti autour du projet de renforcement de
ce secteur avec l’appui de la Banque mondiale. Démarré en juin 1992, le projet se
propose de lever les obstacles à un développement dynamique du secteur privé.
Avec un dispositif à quatre volets :
Le premier volet porte sur le plan de la politique économique, il doit aider à
renforcer le dialogue entre l’Administration et le secteur privé sur les réformes
politiques visant à créer les conditions d’une compétitivité accrue et de la
croissance des entreprises sénégalaises.
Le deuxième volet cherche à renforcer les capacités techniques et de gestion du
secteur privé, le troisième vise la levée des entraves juridiques. Enfin, le dernier volet
consiste à l’appui à la mise en œuvre du programme de privatisation d’entreprises
publiques ainsi que la conception et la réalisation d’un programme de
communication du Gouvernement sur ces réformes économiques.
(a) Le Groupe de réflexion sur la compétitivité et la croissance (GRCC)
Le GRCC est composé de représentants de l’Administration mandatés par les
ministères concernés, des organisations professionnelles et patronales et des
syndicats de travailleurs.
Il a pour mission d’instaurer un dialogue entre le secteur privé et les pouvoirs publics
afin d’identifier et de lever les entraves pouvant constituer un frein au
développement et au renforcement du secteur privé, en apportant au
Gouvernement des propositions de solutions concrètes et opérationnelles
s’appuyant sur des études objectives et précises. Ses recommandations trouvent
rarement écho auprès de l’Administration
(b) La Fondation du secteur privé (FSP)
La Fondation du secteur privé est une structure à caractère privé, constituée
exclusivement de représentants du secteur privé et dont la mission est de faciliter
l’accès des entreprises, des organisations patronales et associations professionnelles
à une expertise de qualité, locale ou étrangère, afin de renforcer leurs capacités
La gouvernance
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opérationnelles et institutionnelles (gestion, promotion commerciale, formation,
information, partenariat, etc.). La FSP a apporté son appui à plus de 200 entreprises
et organisations patronales.
(c) Le Comité de réforme juridique (CRJ)

Le Comité, composé de représentants de l’Etat et du secteur privé, a pour
mission de proposer toute réforme ayant un impact direct et positif sur
l’environnement juridique du secteur privé, de définir des actions qui seront
financées au titre de la composante juridique du projet et de suivre leur exécution.
Le CRJ a soutenu le centre de formation judiciaire dans le cadre de la formation
des magistrats sur l’environnement des affaires. Il apporte son appui à la mise en
place du centre de formalités des entreprises.
(d) - La Cellule de gestion du portefeuille de l’Etat
Le désengagement de l’Etat du secteur public marchand crée des opportunités
pour les opérateurs privés nationaux et étrangers. Il en résulte d’ailleurs des
partenariats pour le contrôle de ces sociétés d’Etat privatisées. Elle poursuit le
programme de privatisation de l’Etat qui a connu des avancées avec la
privatisation de l’ASACE, de la SONATEL et de Dakar Marine. Moins d’une dizaine
d’entreprises restent à être privatisées dont la SONACOS, la SICAP et la SODEFITEX.
Le programme se caractérise par sa lenteur. Parmi les plus importantes figurent la
SONACOS, la SODEFITEX, la SOTRAC, les chemins de fer. La vente de la SONACOS,
l'une des premières entreprises sénégalaises, est assurément le dossier le plus difficile
à gérer pour la nouvelle équipe. L'Etat a essuyé deux échecs, en 1995 d'abord
ensuite en 1999. Plusieurs raisons évoquées pour expliquer la prudence des
potentiels repreneurs : les créances impayées de la SONAGRAINES, sa filiale (20
milliards sur les dix ans) et l'environnement économique incertain du secteur. Le
coton aussi attend son heure. La SODEFITEX devait voir 47,5% de son capital cédé
par l'Etat : le Gouvernement précédent avait déjà défini un schéma de
désengagement 30% pour les producteurs, 10 pour les salariés, 7,5% au secteur
privé, l'Etat 30%, l'actionnaire principale étant la Compagnie Française pour le
Développement des Fibres Textiles - CFDT.
La gestion de la filière a été désastreuse, la production annuelle peine à atteindre
les 30.000 tonnes. L'Etat devra aussi compléter la privatisation de la Société
nationale des Chemins de Fer du Sénégal : le processus de cession du trafic
international à été entamé, mais les choses traînent encore.
Concernant le transport urbain, l'Etat avait décidé de privatiser la SOTRAC par la
création d'une Société de Patrimoine et d'un concessionnaire du réseau. En 2001,
Dakar Dem Dikk a pris le relais de la Sotrac.
Le secteur des transports n’a pas échappé aux grandes évolutions de l’économie
sénégalaise. On y observe en effet une tendance accentuée à l’informelisation
renforcée par des difficultés spécifiques liées au mode de gestion de la SOTRAC4.
Pour plus de détails, lire CATRAM, Etudes des conditions et modalités d’adaptation du nouveau cadre
réglementaire des transports en commun, Dakar, septembre 1999.
4
Rapport sur le développement humain 2000 (version provisoire/Phase 2)
76
Différents acteurs du secteur informel ont tenté de se réorganiser pour s’adapter à
ces mutations. Désormais les propriétaires de cars rapides et de taxis (reconnus ou
clandestins) ont pratiquement évincé le système de transport public, ce qui soumet
le secteur à un ultra libéralisme. Il en découle des stratégies reposant parfois sur le
sectionnement des trajets lorsque la demande est très forte, des conditions
d’exploitations faisant fi du confort et de la sécurité des passagers, des piétons et
des autres automobilistes (tendance à la surcharge des cars, non-respect de la
réglementation, entretien défectueux, pollution, etc.
La situation créée par l’effondrement de la SOTRAC a pénalisé principalement les
populations qui, grâce aux mécanismes de subventions (abonnement, transport
gratuit) de l’Etat, avaient un accès privilégié au transport public..
On peut élaborer l’hypothèse d’une augmentation du bassin de populations
effectuant des déplacements à pied dont l’importance a été soulignée par des
études antérieures. Les données disponibles ne permettent cependant pas de
déterminer avec exactitude qui sont ces populations et encore moins la longueur
des trajets effectués. On peut supposer, a priori, que le déplacement exclusif à pied
sur de longues distances concerne avant tout les populations à faibles revenus.
Les politiques de renforcement du secteur privé
Le PIB sénégalais est majoritairement créé par les entreprises. En 1997, on estimait
que sur les 2639,8 milliards de FCFA de richesses créées au Sénégal, 2413,9
provenaient du secteur privé – soit plus de neuf dixième (91,4%). Ce poids du privé
dans l’économie est en hausse, puisqu’il était de 88,5% en 1990, et de 89,3% en
1994.
La formation brute de capital fixe témoigne également de ce dynamisme du
secteur privé. L’investissement (public et privé réunis) croît plus rapidement que la
consommation finale des ménages et des administrations. Et au sein de la FBCF, le
poids du secteur privé est important : les entreprises investissent plus que les
ménages et l’Etat réunis. En 1997, 17,9% du PIB global était consacré à la FBCF, et
11,9% pour le seul secteur privé, contre 3,7% pour les administrations et 2,3% pour les
ménages.
Cette progression de l’investissement est d’autant plus positive qu’elle suit la hausse
de productivité du capital, qui est de 3,8% en moyenne sur la période 1995-1997.
Toutefois, malgré les hausses de ces dernières années (plus de 11% entre 1995 et
1997), le niveau global de l’investissement reste trop faible pour assurer des gains de
productivité suffisants à l’économie. Avec 313,9 milliards de FCFA de FBCF privée, le
Sénégal dispose d’une faible puissance de feu.
Le problème est particulièrement sensible si l’on prend en considération les
intentions d’investissement. Selon le Guichet unique, ces intentions auraient
augmenté de 28,6% entre 1994 et 1996. La différence entre les intentions et les
réalisations provient certes en partie des mauvaises anticipations (ou déclarations)
des chefs d’entreprise. Mais elle souligne en même temps l’une des difficultés à
propos desquelles ces derniers s’élèvent fréquemment, à savoir la difficulté
d’obtenir des financements pour leurs activités.
La gouvernance
77
Les facteurs de succès
Les mentalités ont changé depuis la dévaluation. Le sentiment qu’il faut se prendre
en main se répand. Le désengagement de l’Etat et les incitations fiscales y ont
directement contribué. Les capitaux français représentent une part importante de
ce secteur. Le nombre de petites entreprises françaises installées à Dakar ne cesse
de croître. Quant aux grandes entreprises, la plupart sont liées à des intérêts
français. Depuis la dévaluation de 1994, en présence s'est considérablement
renforcée au Sénégal. En effet, les opérations de privatisation ont permis à de
grands groupes français de s'installer.
Cette tendance sera encore accrue par le climat socio-politique de la Côte
d'Ivoire, pays qui remportait les faveurs des investisseurs français. Aujourd'hui la Côte
d'Ivoire ne rassure plus. De plus, depuis l'avènement du nouveau régime, une
importante opération de charme est mise en œuvre pour favoriser l'investissement
français.
Cependant, la faiblesse de l'environnement des affaires reste encore dissuasive
pour certaines entreprises françaises qui ne connaissent pas le milieu.
Selon une enquête effectuée par le poste d'expansion économique de
l'Ambassade de France en 1998, il existerait entre 800 et 1.000 entreprises formelles
françaises installées au Sénégal.
Parmi elles (elles sont quasi toutes des PME par rapport au classement français), 47%
d'entre elles sont des implantations5 et 53% des filiales de groupes français.
En choisissant de faire du secteur privé le moteur de la croissance, l’Etat sénégalais
a mis en place un cadre favorisant l’initiative privée tant au plan de la fiscalité que
de l’accès au crédit. Sur la décennie 90 de grands pas ont été franchis en termes
de promotion de l’initiative privée, de réhabilitation de l’entrepreneur et
d’encouragement au partenariat stratégique d’entreprise pour le contrôle des
sociétés privatisées. Un autre facteur de succès dans le développement du secteur
privé réside dans la diversité des sources de financement disponibles (APEX, FPE,
ACEP…).
Les facteurs d’échec
La présence du privé dans l’économie est indéniablement en hausse mais elle reste
encore relativement faible. La consommation finale des ménages et des
administrations absorbe encore 87,6% du PIB annuel en 1997, ce qui limite le
développement économique du pays. La croissance n’est pas commune à tous les
secteurs. Il reste difficile d’évaluer l’impact réel des entreprises dans le dynamisme
des secteurs. Dans le bâtiment par exemple, l’informel accapare une bonne partie
de l’activité. Il est d’autre part difficile de savoir si c’est la bonne santé de la filière
qui a permis une implantation réussie du privé, ou si ce sont les entreprises qui ont su
dynamiser les filières.
5
Les sociétés créées par des ressortissants français résidant au Sénégal et n'ayant pas de lien capitaliste avec la
métropole
Rapport sur le développement humain 2000 (version provisoire/Phase 2)
78
La frilosité des banques est également un facteur limitant du développement de
l’entreprise privée. Les bailleurs de fonds sont également mis en cause par les PMEPMI. Leurs critères d’actions ont tendance à privilégier les grosses entreprises, ou au
contraire les toutes petites structures économiques. Coincés entre les deux (les
banques et les bailleurs de fonds), les entrepreneurs ne parviennent pas à trouver les
moyens de financer leurs activités.
Contraintes au développement du secteur privé
Beaucoup d’initiatives ont été prises par l’Etat du Sénégal pour faciliter le
développement de l’initiative privée. Dans les récentes politiques économiques il est
clairement affiché l’intention de faire du secteur privé le moteur de la croissance.
Toutefois, des obstacles demeurent et se manifestent sous forme de contraintes
dont les unes relèvent de l’environnement administratif tandis que les autres sont
liées au secteur privé lui-même.
De façon générale, la première contrainte mentionnée par les entrepreneurs est liée
à la faiblesse du marché intérieur qui explique, au moins en partie, la faible utilisation
de la capacité de production. Ils attribuent cette situation d’une part aux effets de
l’ajustement structurel qui aurait contribué à une paupérisation croissante des
populations et, d’autre part, au très fort enclavement du Sénégal qui ne dispose pas
de toutes les infrastructures lui permettant de saisir les opportunités sous régionales. Il
est du reste constant que mises à part quelques entreprises, le marché de l’UEMOA
ne semble pas constituer la préoccupation des entreprises qui restent
essentiellement focalisées sur leur marché intérieur de plus en plus ouvert à la
concurrence internationale et sous régionale.
Contraintes extrinsèques ou celles liées à l’environnement administratif
Les contraintes liées à l’environnement administratif sont liées à des facteurs
multiples que les lignes qui suivent tentent de résumer :
Le premier point sur lequel insistent les interlocuteurs est lié à la lourdeur des
formalités pour investir. En effet, le temps minimum requis pour établir une entreprise
est d’environ 9 mois, et peut facilement s’étendre jusqu’à 24 mois. Pourtant, il existe
depuis 1995, un Comité d’allégement et de simplification des formalités et
procédures administratives (décret n°95-175 du 14 février 1995).
L’accent est également mis sur l’instabilité des politiques. Les opérateurs
économiques sont toujours sceptiques quant à l’engagement réel de l’Etat pour la
réforme du marché. Ils déplorent également l’instabilité des règles fiscales qui
indique que les politiques économiques de l’Etat du Sénégal sont plus fondées sur
les recettes émanant des prélèvements obligatoires (impôts et douanes) que sur la
création des richesses. Ce fait est dénoncé par les syndicats patronaux comme le
SPIDS.
Les opérateurs économiques fustigent aussi l’insuffisante impartialité de l’Etat dans
leur traitement, position qui se fonde sur le manque de transparence noté dans
certaines affaires. Par exemple une distorsion voulue est pratiquée en faveur des
entreprises agro-industrielle déjà installées. Certains opérateurs économiques
La gouvernance
79
dénoncent une tendance à favoriser des industries de transformation établies par
rapport aux importateurs.
Les relations entre l’Administration et le secteur privé ne sont pas des meilleures. Le
pouvoir discrétionnaire de certains fonctionnaires introduit des lenteurs et
incertitudes pour l’investisseur, ce qui laisse une porte ouverte aux abus et à la
corruption.
S’agissant des difficultés d’accès au financement, elles se posent sous deux formes :
d’abord un déficit d’informations sur les sources de financement, ensuite la faiblesse
des dossiers de demande de financement. Il s’y ajoute que les PME-PMI n’entrent
pas souvent dans les normes bancaires favorisant l’octroi de crédit (jeu du droit des
garanties).
Contraintes liées à l’organisation et au fonctionnement des entreprises privées
Le handicap majeur de l’entreprise privée au Sénégal, c’est l’insuffisance de ses
fonds propres pour faire face à sa croissance à cause de leur faible capitalisation
au départ et de la méconnaissance ou du refus de recourir à l’augmentation de
capital grâce à l’actionnariat.
De ce fait, la seule alternative qui se présente à elles pour le financement de leur
croissance est le recours au crédit bancaire. En effet, le système bancaire local est
composée de banques commerciales qui sont fort limitées par leurs ratios
prudentiels et la structure de leurs ressources.
La faiblesse technique des entreprises se situe dans le bas niveau d’équipement et
le peu de recours aux méthodes modernes de gestion ce qui limite leur potentiel de
développement et leur crédibilité aux yeux des organismes de financement.
Peu de chefs d’entreprises ont recours à la planification stratégique de leurs affaires.
Cette absence de vision gêne beaucoup les relations contractuelles de l’entreprise
avec, notamment, ses fournisseurs et ses banquiers.
Le caractère individuel ou familial de l’entreprise ne favorise pas la transparence de
gestion surtout dans un environnement où la notion de gouvernement d’entreprise
("corporate governance") est jusque là inconnue. Ce manque de transparence
reste motivé par l’évasion fiscale et une conception rigide du secret des affaires est
un frein à l’émergence de la confiance entre l’entreprise et ses protagonistes
notamment l’Etat et les banquiers qui sont les plus friands d’informations
comptables, financières et de gestion.
L’émergence d’organisations patronales mieux structurées et intervenant plus
clairement dans le débat national relatif aux politiques économiques est
relativement récente au Sénégal. Deux raisons expliquent cette situation : d’abord
le peu d’intérêt accordé de 1970 à 1985 au secteur privé, ensuite l’attitude plutôt
défensive des organisations sur cette même période.
Ce n’est qu’après les années difficiles de crise bancaire suivies plus tard de la
dévaluation du franc CFA que le secteur privé a été réhabilité et que le patronat
lui-même s’est mieux structuré et a opté pour une stratégie offensive dans la
Rapport sur le développement humain 2000 (version provisoire/Phase 2)
80
défense de ses intérêts. Toutefois le patronat sénégalais organisé autour de plusieurs
corporation affiche son manque d’unité. Plusieurs tentative de fédérer les initiatives
se sont soldées par un échec.
Le patronat sénégalais cherche ses marques et le récent retrait du CNP de la CPDS
en est une preuve tangible. Dans ces conditions, les entreprises membres, témoins
de l’antagonisme ou du moins du sectarisme du patronat,
sont privées
d’accompagnement efficient notamment devant les pouvoirs publics pour faire
aboutir leurs revendications corporatistes d’une part mais et, plus important,
renforcer les capacités de leurs membres d'autre part.
Vers une nouvelle stratégie de developpement du secteur privé
Le secteur privé sénégalais a atteint un niveau de maturité non négligeable mais
insuffisant, cependant. Pour assurer son décollage, il faut une nouvelle stratégie qui
parte des acquis des expériences accumulées en matière de promotion du secteur
privé.
Il serait plus réaliste de fédérer ces initiatives autour d’objectifs clairs et opérationnels
dénué de toute forme de bureaucratie et des interventions intempestives du
politique mais avec la participation du secteur privé et de la société civile.
La stratégie proposée comprend deux niveaux : dans son approche théorique pour
en fixer les fondements d’une part et, dans son approche pratique pour en montrer
l’opérationnalité d’autre part.
FONDEMENTS DE LA NOUVELLE STRATEGIE
Il est aussi vain de chercher à développer une nouvelle stratégie dès lors qu’elle
repose sur les bases institutionnelles qui ont fait le lit des difficultés et des entraves au
développement humain durable. C’est sur l’entreprise, cellule de base du secteur
privé que repose la réflexion. L’analyse propose une autre approche de
l’environnement, tant externe qu’interne de l’entreprise.
Sur l’environnement externe de l’entreprise
Entre les intentions affichées par les politiques et la réalité du champ économique, il
existe un écart certain. Malgré toutes les mesures publiques d’incitation au
développement du secteur privé, le discours des opérateurs économiques
sénégalais est encore très pessimiste. Ils sont bien résumés par ces propos : “nous
sommes les vaches à lait des pouvoirs publics dont la politique économique est
exclusivement fondée sur les prélèvements obligatoires”.
Vers une autre forme de gestion du service public
La collusion entre le politique et l’économique héritée de l’époque du parti unique
gangrène encore l’Administration et empêche une gestion rationnelle et
transparente du service public. Pour y mettre un terme, on pourrait procéder à une
“agenciation” de certains services ministériels. L’agence ou l’unité autonome de
service repose sur une logique de “décentralisation” de certaines responsabilités
des ministères vers des structures dont les managers sont individuellement et
La gouvernance
81
personnellement responsables. La spécificité de l’agence peut-être résumée en
deux mots: autonomie et responsabilité.
En résumé, l’agence répond à l’idée d’un engagement réciproque du ministre et
d’une unité interne à un Ministère qui permet de séparer la fonction politique du
ministre de la fonction technique de la gestion du service public.
La rationalisation et la coordination des structures d’appui
Beaucoup d’acteurs (du public comme du privé) n’ont pas encore compris les
enjeux de la libéralisation. Ceci explique d’ailleurs les problèmes d’application de
certaines mesures et les conflits entre agents de l’Administration et du secteur privé.
Pour y pallier, il faut envisager la création d’une institution indépendante de
recherche sur les politiques publiques en vue de constituer une source d’analyse
des différentes mesures économiques et de réduire les errements de l’action
publique en direction du secteur privé. Elle peut en outre aider à la formulation
d’actions de communication concrètes menées à grande échelle pour faire
comprendre au public l’importance et la réalité des mesures économiques.
Sur l’environnement interne de l’entreprise
Parmi les facteurs de blocage du développement du secteur privé, l’environnement
interne occupe une place non négligeable. Pendant longtemps, les analystes n’en
ont pas fait un objet d’investigation préférant mettre l’accent sur les cadres de
l’intervention de l’Etat. Mais de plus en plus de données insistent sur la nécessite
d’un ajustement interne des entreprises, c’est-à-dire une révision et une
modernisation importantes des pratiques de gestion se traduisant aussi par une
grande transparence.
L’entreprise privée doit, à terme, couper le cordon ombilical avec “la mentalité
d’éternel assisté”. En ce sens, il convient de réfléchir sur la pérennisation de
l’entreprise et sur le développement d’une éthique citoyenne chez les opérateurs
économiques du pays.
Une telle nécessité découle du constat selon lequel il n’existe pas de fortunes audelà du décès de l’entrepreneur. Des pans entiers de l’économie sénégalaise
fonctionnent, de ce point de vue, comme un éternel recommencement du
processus d’accumulation. Le droit sénégalais des successions y est certes pour
quelque chose, mais le comportement du fondateur de l’entreprise n’y est pas
étranger aussi. La réflexion doit donc être encouragée pour aider l’entreprise à
survivre à la mort ou à la retraite de son créateur. Cette réflexion intègre
nécessairement toutes les procédures de cession et de transmission de l’entreprise.
Par ailleurs, le chef d’entreprise doit être mis en mesure de comprendre que
l’entreprise dépasse de loin sa propre personne.
La nouvelle stratégie de développement du secteur privé
Quatre questions doivent être prises en considération dans le cadre de l’élaboration
d’une telle stratégie.
Rapport sur le développement humain 2000 (version provisoire/Phase 2)
82
La question de la promotion des investissements est le premier acte de
développement du secteur privé. Les capitaux privés nationaux ou étrangers sont à
rechercher en permanence pour pousser en avant le secteur privé.
Toutefois, le capital va toujours là où il est rentable et en sécurité. Il faudrait dès lors,
à ce premier niveau d’action, créer les conditions pour sécuriser les investisseurs en
leur offrant des garanties quant à la sauvegarde de leurs intérêts mais également
des facilitations pour implanter leurs entreprises.
La promotion pose la
problématique de l’attrait, de l’accueil, du maintien et du développement du
capital privé local et étranger dans des projets d’entreprises privées capables de
faire avancer le pays tant au plan macroéconomique qu’à l’échelle des
populations qui en tirent des revenus.
Les problèmes liés au financement des entreprises, notamment des PME mérite
d’être traité séparément des autres questions. En examinant de près la question du
financement des entreprises, on se rend compte qu’elle se pose avec plus d’acuité
au niveau des PME.
En effet, les grandes entreprises sont bien accueillies par le système bancaire et
peuvent aller voir du côté du marché financier, celles du secteur informel
s’orientent de plus en plus vers les réseaux du système financier décentralisé. Par
contre les PME arrivent difficilement à se faire suivre par ces deux sources de
financement. En vue de résoudre durablement la question du financement des
PME, il faut s’orienter vers la création d’une Banque de Développement des PME
(BDPME) couplé d’un Fonds de promotion du secteur privé. Cette banque de
développement à capitaux privés et à participation étatique symbolique visera à
être un pool de capitaux et de compétences exclusivement destinés aux PME/PMI.
En France et dans les pays d’Afrique du Nord des expériences d’intermédiation
financière en faveur des PME/PMI prospèrent, pendant qu’au Sénégal nous
continuons à subir les “traumatismes” de la faillite des banques de développement
à capitaux publics.
Par ailleurs, se pose la question de la Création d'une institution ou banque de
développement. Quels que soient les reproches pouvant être faits aux banques
commerciales exerçant au Sénégal, la structure de leurs ressources (généralement
courtes) ne les rend plus aptes à répondre de façon significative aux besoins
d'investissement, de modernisation ou d'extension des entreprises privées. Malgré
les errements ayant conduit à leur liquidation, les banques de développement ont
participé à la diversification institutionnelle du système financier et favorisé la mise
en place de crédits à moyen et long termes en faveur des secteurs prioritaires de
l'économie. Leur disparition a laissé un vide à combler rapidement selon le point de
vue de nombre d'opérateurs économiques qui proposent même le regroupement
de toutes les lignes de crédit végétant dans les banques, parce que non utilisées,
en une grande banque destinée au développement.
Ces banques liquidées n'ont pas su traiter les difficultés fondamentales qui
entravaient la viabilité de leurs institutions, à savoir : des coûts de transactions
élevés, une analyse inadéquate des risques et la gestion de proximité indispensable
pour les opérations de prêts spécialisés.
La gouvernance
83
A l’issue de l’atelier tenu en février 2000 par le Conseil National du Patronat les avis
et recommandations ont convergé vers la création de banques de développement
à capitaux totalement ou majoritairement privés.
Le couplage de cette banque de développement avec le Fonds de Promotion du
secteur privé (FPSP) offre l’avantage du regroupement des métiers de traitement du
risque PME et une prise en charge du financement des entreprises en création ou
“start-up” mais également des entreprises en difficultés grâce à des capitaux plus
appropriés en termes de conditions de mobilisation.
La question de la compétitivité des entreprises reste un sujet central dans toute
stratégie de développement du secteur privé dans cet environnement d’ouverture
des frontières et de concurrence internationale.
Pour que les entreprises s’imposent au plan international, il convient de les faire
progresser au triple plan de la qualité, de la productivité et de la normalisation. Il
faudrait également mettre à niveau les chefs d’entreprises par rapport aux grandes
évolutions du commerce international et des enjeux de la mondialisation.
Enfin, le patronat devrait œuvrer à renforcer la capacité institutionnelle du secteur
privé. Le patronat doit aussi être une force de proposition et de prospective pour
accompagner le développement du secteur privé. La multiplicité des organisations
patronales n’est pas un frein à la constitution d’un patronat solidaire. Une
Coordination patronale existe déjà malgré les difficultés qu’elle traverse. Il faut
mieux structurer le patronat en perspective d’abord de ses concertations
périodiques avec l’Etat, ensuite de son expertise pour mieux vendre l’image du
Sénégal à l’extérieur, enfin pour mieux conduire les actions de renforcement de la
capacité institutionnelle du secteur privé.
Dans le cadre de l’élaboration de cette stratégie, il importe aussi de mettre
l’accent sur des réformes relatives aux structures d’appui du secteur privé.
Les entreprises doivent continuer leur ajustement interne pour faire face à la
concurrence internationale et accroître leur efficacité. Dans ce cadre, il faut
développer les moyens qui concourent à élever leur niveau de productivité : la
formation, la réorganisation interne, la réduction des coûts de production, la
modernisation des outils de production, le développement de l’assistance en gestion
pour les entreprises du secteur informel et le développement d’intermédiaires
financiers pour les PME. Sur ce point certains dirigeants de PME relèvent comme
contrainte majeure le manque de conseillers financiers face à des systèmes de
financement inadéquats quant à leurs besoins et à leurs structures financières.
Un dernier point mérite une attention particulière dans ce cadre : l’absence d’un
système national de métrologie ne favorise pas la compétitivité sur le plan
international .
Conclusion
Quels sont les consensus à atteindre en vue de maintenir un environnement propice
au développement du secteur privé ? Les lignes qui suivent tentent de dégager,
Rapport sur le développement humain 2000 (version provisoire/Phase 2)
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des conclusions sous forme d’objectifs que le Sénégal gagnerait à atteindre en vue
de mieux dynamiser son secteur privé.
Donner un statut à l’entreprise
Le traitement «social » de l’entreprise n’est pas à la hauteur des intentions affichées
par les pouvoirs publics. Il convient à ce propos de revoir le traitement juridique de
la transmission par héritage pour se rendre compte que l’entreprise est considérée
comme un bien tout à fait banal. Or si on veut faire du secteur privé le moteur de la
croissance et du développement, c’est à l’entreprise qu’il faut donner un statut
adapté aussi bien pour sa création que sa cession (entre vifs ou à cause de mort).
Les règles de création, de croissance et de transmission de l’entreprise doivent être
les plus flexibles possibles en vue d’atteindre la pérennité de l’investissement et de
bannir à jamais l’éternel recommencement de l’accumulation qui caractérise le
secteur privé domestique. A ce propos, l’idée d’une amnistie fiscale n’est pas
hérétique au vu de l’ampleur de cette forme de dette et de ses conditions de
création.
Au-delà de l’aspect psychologique relatif à la volonté politique de repartir à zéro,
cette mesure peut constituer un stimulant non négligeable pour le secteur privé. Il
restera à étudier ses modalités de mise en œuvre pour lui éviter un caractère
discriminatoire voire anti-concurrentiel (fixer des contreparties aux bénéficiaires,
prendre en compte les dettes croisées…).
Revoir la gestion du service public
Le Sénégal a hérité du système administratif français un mode hiérarchisé de
gestion de la chose publique. Le travail gouvernemental n’y fait pas exception
comme le montrent très largement les parties de ce rapport consacrées à la gestion
de ce secteur.
Reconnaître la diversité du secteur privé
Il est impossible de vouloir faire parler le secteur privé sénégalais d’une seule voix. La
structuration de l’économie sénégalaise (formelle, informelle) autorise à voir des
intérêts divergents, voire même antagonistes entre les différentes composantes du
patronat. Il faut le reconnaître et en tirer toutes les conséquences au plan de
l’action et de la concertation entre l’Etat et le secteur privé.
Appliquer les textes
Les textes à caractère économique destinés au développement du secteur privé
sont très nombreux et assez souvent bien élaborés. Mais leur application est
inadéquate. Le Sénégal s'est doté d'une législation relative à la protection de la
concurrence qui permet de lutter contre les pratiques commerciales restrictives
comme les ententes, le dumping, les oligopoles, etc.
Il faudrait rendre opérante la commission de la concurrence qui reste l'organe de
régulation du marché dans l'application de la loi sur les prix, la concurrence et le
contentieux économique. Installée depuis 1996 par le ministre du Commerce, cette
La gouvernance
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commission est en veilleuse. Dans ces conditions, les opérateurs économiques ont
fini par imposer leur loi sur le marché.
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