Repenser Woods Br~tton Réponses africaines

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Hakim Ben Hammouda
et Moustapha Kassé (éds)
Repenser
Br~tton Woods
Réponses africaines
CODESRIA - KARTHALA
Repenser Bretton Woods
La Bibliothèque du CODE8RIA
Directeur de la collection : Hakim Ben Hammouda
Derrière la terminologie de la crise et les métaphores de la désintégration
sociale et de l'anarchie, une vie sociale et créative se poursuit en Afrique.
Un tableau complexe de la vie culturelle et économique est en train d'émerger.
Des formes reconnaissables de développement cœxistent avec des trajectoires
originales de création et d'accumulation des richesses. Des conceptions
identitaires disparaissent et d'autres naissent ou sont reformulées. Arcboutée sur une immense réserve d'endurance et d'imagination et portée par
une extraordinaire puissance de résistance contre la brutalité du destin,
l'Afrique est au travail.
Ni la prodigieuse singularité de l'expérience humaine en Afrique, ni les
nouvelles formes d'engagement du continent avec les marchés internationaux,
ni les géographies commerciales en cours de constitution ne peuvent être
restituées à partir des catégories et discours traditionnels. Plus que jamais,
il faut une nouvelle stratégie de description et d'interprétation, de nouvelles
façons de percevoir ces réalités, de nouvelles catégories d'expression des
potentialités, et surtout un nouveau discours pour décrire l'Afrique et pour
dépeindre les expériences, les souvenirs, la vie et le travail de ceux et celles
qui sont au centre de toutes ces transformations.
C'est l'objectif de la collection «La Bibliothèque du CODES RIA
KARTHALA
©
sur Internet: http://www.karthala.com
Éditions KARTHALA et CODES RIA, 2002
ISBN 2-84586-193-1
».
Hakim Ben Hammouda et Moustapha Kassé (éds)
Repenser
Bretton Woods
Réponses africaines
KARTHALA
CODESRIA
22-24, bd Arago
75013 Paris
BP3304
Dakar
Les auteurs
AMIN Samir, directeur Forum du Tiers monde (Dakar/Sénégal)
AYARl Chedly, professeur émérite, Université de Tunis, ancien ministre de
l'Économie
BÉKOLO-EBÉ Bruno, agrégé de la Faculté des sciences économiques et de
gestion, recteur de l'Université de Yaoundé II, Yaoundé (Cameroun)
BEN HAMMOUDA Hakim, représentant régional de la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique, Yaoundé (Cameroun)
BIAO Barthélémy, maître de conférences agrégé de sciences économiques,
Faculté des sciences économiques et de gestion, Université de Yaoundé II,
Yaoundé (Cameroun)
DŒNG Amady Aly, professeur, Faculté des sciences économiques et de gestion, Université Cheikh Anta Diop, FASEG/UCAD, Dakar (Sénégal)
EBOUÉ Chicot, professeur, Faculté de droit et des sciences économiques,
Université de Nancy II, Nancy (France)
EKOMIE Jean-Jacques, enseignant-chercheur, Laboratoire d'économie
appliquée, Faculté des sciences économiques et de gestion, Libreville
(Gabon)
FOUDA OWOUNDI Jean-Pierre, chargé de cours, Faculté des sciences économiques et de gestion, Université de Yaoundé II, Yaoundé (Cameroun)
FOUNON-TcHUIGOUA Bernard, enseignant-chercheur, Faculté des sciences
économiques et de gestion, Université de Yaoundé II, Yaoundé (Cameroun)
KAssÉ Moustapha, doyen, Faculté des sciences économiques et de gestion,
Université Cheikh Anta Diop-FASEG/UCAD Dakar (Sénégal)
ONDO-OSSA Albert, agrégé, professeur titulaire, Faculté des sciences économiques et de gestion, Directeur FASEG-Laboratoire d'économie appliquée, Libreville (Gabon)
OUANE Habib, directeur du cabinet du secrétaire général de la CNUCED,
Genève (Suisse)
REPENSER BRETION WOODS
6
TATI
Gabriel, enseignant-chercheur, Université du Swaziland (Swaziland)
TOUNA Marna, doyen de
la Faculté des sciences économiques et de gestion,
FASEG, Université de Yaoundé II, Yaoundé (Cameroun)
Avant-propos
Depuis les indépendances, les pays africains ont cherché à opérer une
profonde modernisation de leurs structures politiques et économiques. En
effet, le projet postcolonial s'est fixé comme objectif la construction de
systèmes politiques modernes substituant l'allégeance à la nation aux systèmes traditionnels de légitimation du politique. Au niveau économique,
les nouvelles entités étatiques ont cherché à diversifier les structures économiques rentières héritées de la colonisation par le développement de
secteurs industriels d'import-substitution afin de produire localement les
produits de consommation importés par les comptoirs coloniaux de la
métropole. Ainsi, modernisation de structures politiques et diversification
de l'économie étaient au cœur du projet postcolonial.
Le contenu politique des projets postcoloniaux en Afrique était pluriel.
En effet, certaines expériences se réclamaient ouvertement du socialisme
et cherchaient à opérer une rupture radicale avec les puissances occidentales. D'autres se rattachaient au modèle libéral et entretenaient des rapports privilégiés avec les anciennes puissances coloniales. Mais, en dépit
de cette diversité, ces expériences dégageaient des points communs.
D'abord, elles ont fait de la construction de l'espace national et de son unification, le but de leur entreprise de modernisation. Ensuite, les États
jouaient un rôle majeur dans les processus de modernisation. Au niveau
politique, les pays africains ont cherché à structurer des sociétés plurielles
autour de l'hé~émonie d'un État centralisateur et puissant. Au niveau économique, les Etats, par le biais de l'investissement public et des entreprises
publiques, occupaient une place de choix dans le développement économique et social. Ainsi, la structuration d'un espace national comme lieu de
légitimation du politique et un État omnipotent formaient les principales
caractéristiques des expériences de modernisation sur le continent.
Cet ordre politique issu des luttes d'indépendance a permis aux pays africains de structurer des dynamiques de croissance fortes tout au long des
années 1960 et 1970. Cette croissance a été à l'origine d'une forte création
d'emplois permettant d'intégrer les nouvelles élites issues des systèmes
d'enseignement. Elle a permis également aux nouveaux États de corriger
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REPENSER BRETTON WOODS
le caractère inégalitaire de la répartition par la mise en place de mécanismes de redistribution des revenus qui ont renforcé la capacité d'intégration sociale. Un vaste réseau de solidarité moderne est venu renforcer les
mécanismes traditionnels d'entraide et donner aux États africains, en dépit
du renforcement de leur caractère autoritaire, une grande légitimité. Par
ailleurs, les pays africains ont pu tirer profit, en particulier dans les années
1970, du relèvement des prix des matières premières pour renforcer le processus de modernisation et de diversification de leurs économies.
L'expérience de modernisation de l'Afrique a été largement appuyée
dans cette période par les institutions de Bretton Woods. Ces institutions
créées à la fin de la seconde guerre mondiale avaient pour objectifs de
réguler l'économie internationale et de lui assurer les conditions d'un
développement harmonieux et stable. La Banque mondiale avait pour
fonction d'aider à la reconstruction des économies européennes dévastées
par la guerre. De son côté, le FMI s'occupait de la stabilité des échanges
internationaux et de la gestion des déséquilibres qui pouvaient se manifester. Or, dès la fin des années 1960, ces institutions vont connaître un changement important dans leurs fonctions. En effet, la Banque mondiale a vu
son champ d'action s'élargir pour couvrir les pays africains suite à la
reconstruction des économies européennes. Par ailleurs, le FMI a connu
une augmentation rapide des pays membres, dont un grand nombre de pays
africains qui venaient d'accéder à l'indépendance. Ces institutions vont
s'engager dans le processus de modernisation des économies africaines et
appuyer les différents États du continent. Ainsi, le contexte international
issu des accords de Bretton Woods a pu jouer tout au long des années 1970
un rôle non négligeable dans le développement économique et social des
pays africains.
Or, ce contexte va changer dès le début des années 1980. En effet, le processus de modernisation des économies africaines va connaître un brusque
frein avec la crise de la dette et le ralentissement de l'économie mondiale,
dû principalement à la baisse vertigineuse des cours de matières premières
exportées par les pays africains. Les institutions de Bretton Woods vont
jouer un rôle actif dans ce nouveau contexte. Elles vont prendre en charge
la mise en place et la supervision des programmes d'ajustement structurel
qui avaient pour objectif la réduction des déficits internes et externes des
économies africaines. Ces programmes vont opérer une profonde modification des priorités de développement sur le continent. Ainsi, le marché va
se substituer aux États dans la régulation de l'ordre économique. Par
ailleurs, la libéralisation des économies et la réorientation des dynamiques
de croissance vers le marché international seront au cœur des projets de
réformes appliquées dans la plupart des pays africains.
Plus de deux décennies après leur application, le bilan de ces réformes
est relativement faible. Certes, certains pays africains ont pu réduire leurs
déséquilibres internes et externes. Cependant, les programmes d'ajustement structurel n'ont pas permis à ces pays de construire de nouvelles
dynamiques de croissance forte. Par ailleurs, le problème de la dette reste
entier et les prélèvements au titre du remboursement sont élevés et hypo-
AVANT-PROPOS
9
thèquent l'avenir du développement sur le continent. Le désengagement de
l'État dans les secteurs économiques et sociaux s'est traduit par une forte
crise sociale et la détérioration du développement humain durable comme
l'ont montré les différents rapports annuels du PNUD. On a assisté dans la
plupart des pays africains à une irruption de la pauvreté et l'Afrique
compte, selon les dernières estimations, près de 200 millions de pauvres.
La crise sociale et la progression de la pauvreté ont entraîné une déstructuration du tissu social et des liens de solidarité mis en place par les Étatsnations dans un grand nombre de pays africains. Cette tendance sera renforcée par le phénomène de globalisation de l'économie. En effet, en dépit
des opportunités ouvertes, la globalisation s'est traduite par une plus
grande marginalisation du continent dans les domaines des échanges commerciaux ainsi que dans les flux de capitaux et des technologies.
Ainsi, une sorte de divorce ou d'incompréhension a semblé s'installer
entre l'Afrique et les institutions de Bretton Woods. En effet, ces institutions de l'ordre international issu de l'après-guerre semblent par trop souvent peu sensibles aux crises sociales sur le continent, à l'approfondissement de ces crises à la suite des mesures économiques prescrites et à
leurs maigres résultats économiques et enfin à la marginalisation accrue
des pays africains dans l'économie mondiale. De ce point de vue, l'ouverture du débat sur l'avenir de ce système offre au continent une condition
unique pour renégocier de nouveaux rapports plus équilibrés et plus attentifs aux préoccupations des pays africains. Or, en dépit de l'urgence de
l'invention de nouveaux rapports avec l'ordre international dans un contexte caractérisé par un approfondissement de la globalisation, l'Afrique
est absente de ces débats.
La manifestation organisée par le CODESRIA sur l'avenir du système de
Bretton Woods avait pour objectif d'encourager l'effort de réflexion, certes
embryonnaire, sur les attentes du continent d'une refonte de l'ordre international. Car plus que jamais la réinvention de nouveaux projets de développement sur le continent passe par l'établissement de nouvelles
configurations internationales plus attentives aux espérances et aux préoccupations des pays africains et plus solidaires de leur volonté de s'inscrire
dans le temps du monde.
Le CODESRIA tient à remercier le Bureau régional du PNUD pour
l'Afrique et d'autres institutions comme la Commission économique pour
l'Afrique, l'OUA et le SISERA pour leur appui substantif et matériel dans
la préparation, l'organisation et la conduite du Symposium africain sur
« Repenser Bretton Woods à partir de l'Afrique» qui s'est tenu à Ouagadougou (Burkina Faso) du 9 au Il juin 1999, sous le patronage du président du Burkina Faso, S.E. Blaise Compaoré. Le présent ouvrage rend
compte de la pluralité et la diversité des documents présentés, des délibérations, des conclusions et des recommandations issues de ces assises.
Hakim Ben Hammouda
INTRODUCTION
Repenser Bretton Woods à partir de
l'Afrique
Éléments pour une synthèse du Symposium
Hakim BEN HAMMOUDA et Moustapha KASSÉ
Le champ de l'analyse économique a constitué depuis la création du
CODESRIA un domaine de recherche privilégié. Inscrites dans une tradition
hétérodoxe et critique, les recherches économiques soutenues par le
CODESRIA ont permis aux chercheurs africains de mieux comprendre et analyser les situations des économies africaines et plus particulièrement les expériences de modernisation et de diversification des structures économiques.
Dans cette perspective, le CODESRIA a organisé une série d'activités de
recherche et de réflexion. Ainsi, un grand nombre de réseaux de recherches
nationaux et multinationaux ont eu à réfléchir sur les problèmes du développement économique du continent. Le réseau sur « les perspectives africaines sur l'ajustement », dont le CODESRIA vient de publier les premiers
résultats constitue, sans nul doute, l'initiative la plus importante en matière
de recherche économique dans la mesure où il a permis pour la première
fois de réunir un grand nombre d'experts et de chercheurs africains et de
faire le bilan des programmes d'ajustement structurel (PAS) appliqués par
les pays africains depuis plus d'une décennie.
Parallèlement à ces activités de recherche, le CODESRIA s'est engagé à
ouvrir de grands débats publics sur les questions relatives au développement économique du continent. Parmi ces activités, on peut souligner les
suivantes:
- une conférence sur « l'ajustement des économies africaines face à la
crise» au Nigeria en 1985 ;
- une conférence sur « les effets sociaux de la crise économique et les
réactions suscitées en Afrique» en 1986 ;
12
REPENSER BRETION WOODS
- une conférence sur « l'ajustement structurel, la désindustrialisation et
la crise urbaine en Afrique» en 1987 ;
- un colloque sur « les politiques d'ajustement structurel en Afrique» en
1991 ;
- une conférence sur « crises, conflits et mutations: réponses et
perspectives» en 1995 ;
- un symposium panafricain sur « l'avenir du franc CFA avec l' instauration de l'euro» en novembre 1998.
Depuis une année, le CODESRIA a entrepris de renouveler ses priorités de
recherche économique dans le cadre de son nouveau projet scientifique
« Afrique vers le millenium » adopté lors de la dernière assemblée générale
en décembre 1998. Dans son nouveau programme, le CODESRIA insiste sur
la nécessité de renouveler les méthodes et approches de la recherche économique en Afrique. Ce renouvellement constitue un préalable à la construction de l'intelligibilité d'un réel dont la complexité ne cesse de croître.
L'objectif de ce programme est de renouveler les études et recherches économiques en Afrique en ouvrant un espace de dialogue et d'échanges entre
les différentes traditions de recherche économique sur le continent. Il s'agit,
dans cette perspective, d'aider à la constitution d'une communauté d'économistes africains ayant un regard critique sur les réalités économiques du
continent, capables de produire un savoir compétitif au niveau international
et en mesure d'apporter les éléments d'une expertise politique et technique
au profit des institutions économiques africaines et des États sur les grandes
questions économiques.
Le nouveau programme de recherche économique du CODESRIA s'est fixé
trois grandes priorités. D'ordre microéconomique, la première, qui se situe
à la frontière de l'anthropologie, de la sociologie et de l'économie, consiste
à analyser et mieux comprendre les économies réelles africaines à travers
une identification et une meilleure compréhension du comportement des
acteurs économiques. La seconde priorité de recherche est d'ordre macroéconomique et a pour objectif, dans le cadre du réseau des politiques économiques, d'étudier les conséquences macroéconomiques des réfonnes
entreprises dans un grand nombre de pays africains, notamment dans les
domaines monétaire, fiscal, industriel et commercial. Enfin, le nouveau
programme de recherche économique du CODESRIA s'est également fixé
pour objectifs de mieux comprendre les mutations des structures économiques et de renouveler les débats sur le développement économique à travers
la mise en place d'un réseau de recherche sur le post-ajustement en Afrique.
Parallèlement à ces nouvelles priorités de recherche, le CODESRIA s'est
engagé, du point de vue méthodologique, à assurer aux économistes africains un plus grand accès aux nouvelles méthodologies de la recherche économique et notamment aux techniques quantitatives. Ce renouvellement du
calendrier de recherche économique ne saurait se faire sans l'implication du
CODESRIA dans les grands débats économiques à travers l'organisation de
grandes rencontres continentales sur les questions d'intérêt pour l'Afrique.
Ainsi, le renouvellement des grandes priorités de recherche économique, le
développement de nouvelles méthodes et une plus forte intervention dans le
REPENSER BRETION WOODS À PARTIR DE L'AFRIQUE
13
débat public sur le développement constituent les priorités de l'action du
CODESRIA et permettront aux économistes africains de participer de
manière dynamique à la production d'un savoir compétitif et de haut
niveau, ainsi qu'à l'ouverture d'un débat sur les grandes questions économiques.
Le symposium «Repenser Bretton Woods à partir d'Afrique» s'inscrit
dans cette démarche de renouvellement de l'analyse des questions économiques en Afrique opérée par le CODESRIA. En effet, le CODESRIA s'est proposé d'organiser un symposium international pour les économistes
africains afin de réfléchir sur l'avenir du système de Bretton Woods et les
réformes nécessaires pour le développement du continent. Cette initiative
prend forme dans un contexte caractérisé par la crise du système de Bretton
Woods et son incapacité à répondre aux exigences de la crise financière
mondiale. Pour répondre à cette crise, on a enregistré la multiplication des
projets de refonte de l'ordre économique international. Cependant, l'Afrique reste absente de ce débat. Or, au même moment, les économies africaines connaissent une plus grande marginalisation dans l'économie
mondiale. L'objectif de ce symposium était donc de participer au débat
ouvert depuis quelques mois sur la refonte de l'ordre international et sa
réforme de manière à prendre en considération les intérêts de l'Afrique.
Ce symposium a eu lieu du 9 au Il juin 1999 à Ouagadougou (Burkina
Faso). Plus de cent cinquante économistes africains et quelques experts non
africains ont pris part à ces travaux. Le CODESRIA a tenu à inviter à cette
importante manifestation des économistes assez représentatifs des points
de vue et des écoles de pensée qui traversent le champ économique africain.
Les contributions présentées lors de cette manifestation sont significatives
de la pluralité des points de vue qui se sont exprimés. Parallèlement à son
positionnement théorique critique dans le champ économique, le CODESRIA
cherche à construire des espaces de débats et d'échanges entre les différents
économistes africains. Cette manifestation a démontré que les différences
et parfois les divergences n'empêchent pas les économistes africains de
définir des positions communes qui prennent en considération les intérêts
du continent. Tout au long des discussions, les participants n'ont pas manqué de souligner le contexte international nouveau qui est en train d'émerger depuis le milieu des années 1990 et qui exige un renouvellement de nos
modes de perception et d'analyse économique.
La mondialisation une donnée incontournable du contexte mondial
«La mondialisation n'est pas un phénomène récent », ont tenu à rappeler
les participants à ce symposium. Pour S. Amin, ce phénomène remonte à la
montée et au développement des échanges marchands, lorsque les empires
commerciaux cherchaient à élargir leurs marchés. Mais d'une manière
générale, on admet que les phénomènes d'internationalisation de la production et du développement des échanges remontent au développement du
capitalisme. En effet, le phénomène d'internationalisation du capital n'est
pas totalement nouveau dans l' histoire du capitalisme dans la mesure où
l'accumulation du capital ne se limitait pas au cadre national. Ainsi les
14
REPENSER BRETION WOODS
exportations des capitaux commencent à apparaître dès le second quart du
XIXe siècle.
Au cours de la grande dépression de la fin du XIXe siècle, le mouvement
d'internationalisation du capital va s'accélérer de nouveau et un accroissement des activités des firmes à l'étranger va être enregistré. Cet investissement direct à l'étranger jouait un double rôle pour les économies d'origine.
D'une part, il leur permettait de s'approvisionner en matières premières en
s'orientant vers les activités minières dans les colonies. D'autre part, la
délocalisation de certaines activités productives accordait aux industries
nationales, dont le marché interne avait atteint un haut niveau de saturation,
de nouvelles possibilités de croissance.
Durant la crise de l'entre-deux-guerres, la transnationalisation du capital
va de nouveau s'accélérer plus particulièrement en provenance du
Royaume-Uni et des Pays-Bas. Par ailleurs le nombre de filiales à l'étranger
des 187 firmes transnationales (FfN) américaines passe de 180 en 1919 à
417 en 1929, avant d'atteindre 715 en 1930.
Le mouvement de mondialisation de la production et de délocalisation
des activités productives va connaître une nouvelle période de croissance
dans les années 1970. En effet, durant cette période, on assiste à l'éclatement d'une crise de rentabilité dans les secteurs traditionnels à fort contenu
en main-d'œuvre dans les pays développés. L'épuisement de l'ordre technologique et la baisse rapide des gains de productivité sont à l'origine de
cette crise de rentabilité. Dans ce contexte, les entreprises des pays du Nord
cherchent, dans les faibles coûts de main-d' œuvre des pays sous-développés, un moyen de répondre à la dégradation des conditions de rentabilité
dans les pays développés. Ainsi, la délocalisation de la production NordSud fut la première forme de mondialisation de la production. Ces investissements seront renforcés et très vite dépassés par les investissements croisés entre pays développés.
Mais, inédit dans la période actuelle, est le fait que cette internationalisation de la production s'accompagne de tentatives et de projets de
dépassement de l'État-nation comme espace de régulation et de gestion de
l'ordre politique et économique. Ce projet est porté par un grand nombre de
firmes transnationales, d'hommes d'affaires et de cercles de pression. La
mondialisation est de ce point de vue utilisée au niveau idéologique pour
imposer une plus grande ouverture des États-nations et une limitation des
règles et des normes restrictives face à l'action des grandes firmes. Cette
ouverture est capable d'assurer, selon les tenants des thèses néolibérales,
une répartition plus harmonieuse des ressources rares.
Mais la mondialisation n'est pas seulement une réalité économique. En
effet, elle intègre une grande dimension politique par l'imposition de la
démocratie libérale comme seul modèle de modernité politique. Cette issue
s'est imposée particulièrement depuis la chute du mur de Berlin et la faillite
des expériences de démocratie populaire. La démocratie libérale a été
imposée comme l'horizon indépassable de l'humanité en matière d'organisation politique. Ainsi, parallèlement à la conditionnalité économique, une
conditionnalité politique a émergé dans les années 1990, qui fait du respect
REPENSER BRETION WOODS À PARTIR DE L'AFRIQUE
15
des principes démocratiques une condition au déboursement des appuis
financiers des bailleurs de fonds. Ces pressions expriment une volonté
d'uniformisation de par le monde des voies d'accès à la modernité politique. La démocratie libérale devient de ce point de vue le modèle universel
d'organisation des sociétés humaines.
Parallèlement à ces dimensions économiques et politiques, la mondialisation a une importante portée culturelle que révèle l'unification des pratiques et comportements des individus à travers le monde. Cette unification
s'observe dans les nouvelles coutumes vestimentaires, dans les pratiques
alimentaires et dans les modes littéraires ou musicaux. Le développement
de ces nouveaux comportements a profité des nouvelles technologies et des
nouveaux moyens de communication pour établir des normes de comportement.
Ainsi, la confluence des évolutions économiques, des trajectoires politiques et des comportements quotidiens des individus laisse croire à l'émergence d'un temps du mondial durant lequel les sociétés humaines
renégocient leurs rapports aux autres, au temps et à l'espace.
La mondialisation apparaît donc comme un phénomène pluriel et complexe avec l'interférence des dimensions économique, politique et culturelle. Mais il s'agit d'un phénomène dynamique et non achevé dont la
logique se déploie de manière contradictoire avec des ouvertures mais également des reculs et un retour en force de l'État-nation. La mondialisation
connaît des difficultés du fait du décalage de plus en plus croissant entre,
d'une part, l'intensification des échanges et la compression de l'espace du
point de vue économique et, d'autre part, le cantonnement de la gestion du
politique et de sa légitimité au niveau national. Pour certains, la mondialisation butera tôt ou tard sur l'absence d'ordre politique mondial et le refus
des nations à envisager leur dépassement. Pour d'autres, la mondialisation
ne signifie pas nécessairement la disparition des États nationaux ou la construction d'un État mondial, à l'image des constructions politiques nationales, capable de gérer les intérêts politiques et sociaux. La mondialisation
des échanges s'accommodera, au contraire, d'une simple coordination au
niveau mondial des grands choix politiques et économiques.
Cependant, la crise asiatique et le risque de faillite du système international qu'elle a engendré ont amené les débats internationaux à inscrire à
l'ordre du jour la question de la régulation internationale du système et des
institutions internationales à créer et à mettre en place, afin d'assurer la
cohérence nécessaire à ces institutions.
Crise asiatique et régulation de la mondialisation
Les experts réunis à Ouagadougou dans le cadre de ce symposium ont
longuement évoqué la crise financière asiatique et l'incapacité des institutions du système de Bretton Woods à lui faire face. En effet, ils ont souligné 1/
que la prévention et la gestion des crises financières ainsi que la régulation
de la mondialisation sont devenues les questions qui préoccupent les
milieux politiques et les institutions internationales. On a pensé que la crise
asiatique était, comme la crise mexicaine de 1994, un épiphénomène que
16
REPENSER BRETTON WOODS
l'intervention rapide du FMI et des grandes puissances internationales permettrait de juguler. La communauté internationale a été surprise par les
bouleversements brusques et l'instabilité financière nés de la crise asiatique. En septembre 1997, les institutions de Bretton Woods, dans leur réunion annuelle à Hong-Kong, avaient indiqué que les perturbations
observées alors étaient un simple épisode et ne freineraient que temporairement la croissance dans la région. Le FMI soutenait à l'époque qu'en
1998 la croissance s'accélérait en Thailande, le pays le plus touché par la
crise, et resterait soutenue dans les autres pays de la région. Depuis lors, les
prévisions ont été constamment revues à la baisse, tant pour la région que
pour l'ensemble du monde du fait de l'incapacité des stratégies définies par
les grands bailleurs à arrêter l'instabilité financière et à relancer les dynamiques de croissance.
En effet, on s'est rendu à l'évidence que cette crise pouvait avoir des conséquences importantes sur l'économie mondiale, voire entraîner la faillite
du système monétaire international. Les turbulences financières parties en
juillet 1997 de la Thailande sont devenues le lot quotidien de toute la région.
Pas même les grandes puissances de la région, le Japon et la Corée, n'y ont
échappé. De l'Asie, la crise s'est propagée à d'autres pays comme la Russie
ou les pays d'Amérique latine. Enfin, depuis quelques mois la crise et l' instabilité financière frappent aux portes de l'Europe et des États-Unis. Donc,
d'un phénomène localisé, la crise est en train de prendre une dimension
internationale. Mais, plus qu'un phénomène financier,la crise a eu des conséquences importantes sur la sphère réelle avec la réduction de la croissance
mondiale. Par ailleurs, on assiste un peu partout à une baisse de la demande
et à un accroissement du chômage. Ainsi, cette crise financière est en train
de se transformer en une déflation généralisée de l'économie mondiale, rappelant les années noires de l'après-krach de 1929.
La gravité de la situation de l'économie mondiale a amené les experts et
les milieux politiques à réfléchir depuis quelques mois sur les moyens de
prévenir et de gérer les crises financières afin d'empêcher qu'elles ne se
transforment en crises plus graves. Même le FMI, pourtant récalcitrant à
toute forme d'intervention pour suppléer le marché, vient d'abandonner, au
moins momentanément, ses dogmes libéraux et de reconnaître l'importance et la nécessité d'une intervention et d'une régulation de l'ordre économique international. Ainsi, M. Camdessus affirme dans une tribune
publiée dans le Washington Post que « la réforme du système monétaire
international devrait commencer par prendre des mesures rapidement pour
minimiser les risques des crises futures et se préparer à résoudre plus rapidement et à un moindre coût, celles qui ne peuvent être prévenues ».
Certains gouvernements, dont les gouvernements français et britannique,
et plusieurs organismes internationaux comme la Banque des règlements
internationaux et la CNUCED, ont formulé des propositions et des recommandations pour lutter contre l'instabilité croissante des marchés financiers, prévenir et gérer les crises financières.
Mais parallèlement à l'accélération du phénomène de mondialisation et à
l'urgence de définir des institutions et des mécanismes de régulation après
REPENSER BRETION WOODS À PARTIR DE L'AFRIQUE
17
la crise asiatique, « repenser Bretton Woods» à partir d'Afrique se justifie
par la marginalisation de plus en plus marquée du continent sur la scène
internationale.
Mondialisation et marginalisation de ['Afrique
Les participants à ce symposium n'ont pas manqué de soulever la marginalisation croissante du continent dans ce contexte de mondialisation. En
effet, les dynamiques de croissance ont connu un ralentissement durant les
dernières années en Afrique. Les taux de croissance annuels sont tombés
d'une moyenne annuelle de 5% en 1996 à 3,7% en 1997. Ainsi, après une
reprise en 1996, la croissance renoue avec la fragilité du début de la
décennie. Plusieurs raisons expliquent ce ralentissement de la croissance.
D'abord, il faut souligner les conditions climatiques défavorables et leurs
conséquences sur la croissance agricole. A ce niveau, l'agriculture africaine est encore fortement dépendante de la pluviométrie et des conditions
climatiques. De plus, la baisse des cours mondiaux des produits de base,
qui constituent l'essentiel des exportations africaines, explique l' essoufflement de la croissance durant les dernières années sur le continent. Par
ailleurs, la situation d'instabilité qui prévaut dans un grand nombre de pays
africains a eu des conséquences négatives sur les dynamiques de croissance.
La faiblesse des investissements dans les pays africains est à l'origine de
la fragilité des dynamiques de croissance. Mais plus important que
l'essoufflement des dynamiques de croissance, les économies africaines ont
connu un recul de l'agriculture et de l'industrie. Les taux de croissance du
secteur agricole sont restés faibles et se situent en dessous d'un taux annuel
moyen de 2 % depuis le milieu des années 1960.
Parallèlement au recul des activités agricoles, on a enregistré également
une baisse des activités industrielles. En effet, entre 1990 et 1995, la moitié
des pays africains ont enregistré des taux de croissance réels négatifs. Dans
d'autres pays africains, comme l'Angola, le Liberia, le Mozambique, la
Sierra Leone, la Somalie ou la RDC, la situation est pire dans la mesure où
les activités industrielles ont été fortement touchées par la guerre et l'instabilité politique. Les activités industrielles sur le continent ont beaucoup
souffert de la libéralisation des importations et de la concurrence des produits en provenance des pays développés et ayant un niveau de productivité
plus élevé.
Le recul de l'agriculture et les difficultés du secteur industriel se sont traduits par le déclin de la part de l'Afrique dans les courants des échanges
internationaux. Ainsi, cette part dans les échanges mondiaux de matières
premières agricoles est passée de 4 à 3,2 % du total entre 1980 et 1994, alors
qu'au même moment la part de l'Amérique latine est passée de 4,6 à 7,7%.
Certes, la part des produits manufacturés dans les exportations totales a
augmenté en passant de 6,4 à 22 % entre 1980 et 1995. Mais cette progression est du fait de quelques rares pays, comme la Tunisie, l'île Maurice, le
Maroc et l'Égypte qui ont réussi à diversifier leurs structures industrielles et
18
REPENSER BRETION WOODS
négocier une insertion internationale basée sur l'exportation des produits
manufacturés.
Cette tendance au recul des activités agricoles et manufacturières
s'accompagne d'une montée en puissance des activités minières et énergétiques. Cette nouvelle tendance s'est traduite par une nette augmentation de
la place du continent dans les échanges mondiaux de minerais. En effet, la
part de l'Afrique dans les exportations mondiales de minerais et de minéraux est passée de 6 à 13,5 % du total entre 1980 et 1995.
Ces éléments ont permis aux participants à ce symposium de mettre en
évidence les contours du nouveau type d'insertion du continent dans le
mouvement de mondialisation. Il s'agit d'une nouvelle insertion rentière
qui s'articulerait autour des mines et des activités énergétiques.
L'activité minière devient donc une destination privilégiée des investisseurs internationaux en Afrique. En effet, les investissements dans les
mines africaines sont passés de 418 millions de $EU en 1996 à 662 millions
de $EU en 1997. La part de l'Afrique dans les investissements miniers a
nettement augmenté passant de 12 à 16% du total durant la même période.
On estime aujourd'hui à plus de 200 le nombre de compagnies minières
internationales présentes sur le continent. Par ailleurs, les dépenses engagées dans l'exploration des gisements des métaux non ferreux ont augmenté de 42 % en 19%, atteignant 500 millions de $EU.
Parallèlement au développement des activités minières, l'Afrique connaît
également un accroissement sensible des activités dans le domaine énergétique. En effet, dans le domaine pétrolier par exemple, les activités d'exploration et de développement se sont intensifiées conduisant à la découverte
de douze nouveaux gisements en 1996. Plusieurs raisons expliquent cet
engouement pour l'Afrique de la part des compagnies pétrolières, y compris la faiblesse des coûts d'exploration et de production due à l'évolution
technologique et les conditions favorables auxquelles les pays africains
offrent des concessions aux sociétés pétrolières.
L'accroissement des investissements s'est traduit par une hausse sensible
de la production pétrolière sur le continent. En 1997, elle a enregistré un
taux de croissance de 7%. La production africaine est passée de
320 millions de tonnes en 1990 à 375 millions de tonnes en 1997, ce qui
représente près de Il % de la production mondiale.
Cette tendance à l'accroissement sensible des activités minières et
pétrolières sur le continent s'est traduite par l'émergence de nouvelles figures extra-étatiques dans un grand nombre de pays africains. Il s'agit des
grandes compagnies transnationales qui commencent à jouer un rôle politique majeur dans de nombreux pays d'Afrique. Certains États africains
deviennent les garants et les protecteurs des intérêts de ces firmes. A ce
niveau, on peut citer la compagnie pétrolière Shell qui concentre près de
12 % de sa production mondiale au Nigeria et qui assure à l'État fédéral
70% de ses recettes. L'exploitation du pétrole dans la région ogoni a eu des
conséquences écologiques dévastatrices que l'écrivain Ken Saro-Wiwa a
caractérisées de « guerre environnementale ». Cette compagnie a fait appel
à l'État nigérian pour faire face à la montée de la contestation du peuple
REPENSER BRETTON WOODS À PARTIR DE L'AFRIQUE
19
ogoni et du MOSOP (Movement for the Survial of the Ogoni People).
L'État fédéral n'a pas hésité à créer un tribunal spécial qui a condamné à
mort et fait pendre Ken Saro-Wiwa et huit autres dirigeants du MOSOP en
novembre 1992, en dépit de la protestation internationale. On cite également le rôle joué par la compagnie Elf dans certains pays africains.
Ainsi, les tendances naturelles et passives de la mondialisation se traduisent par la gestation d'une nouvelle insertion de l'Afrique dans la mondialisation. Cette nouvelle insertion suppose un recul des activités agricoles et
manufacturières du continent au profit des activités minières et énergétiques. Il s'agit d'une nouvelle insertion rentière qui accentue la
dépendance du continent et sa marginalisation dans le monde
d'aujourd'hui. Ces évolutions sont d'autant plus importantes qu'elles interviennent près de deux décennies après les réformes appliquées par la plupart des pays africains sous la houlette des institutions de Bretton Woods,
dont l'objectif était la relance des dynamiques de croissance et la diversification des structures économiques du continent.
Limites des réformes et de l'ajustement structurel
L'Afrique est la région du Tiers monde où on a enregistré le plus grand
nombre d'applications de programmes d'ajustement structurel (PAS)
depuis le début des années 1980. En effet, trente-cinq pays d'Afrique subsaharienne ont mis en application 162 programmes d'ajustement avec la
Banque mondiale et/ou le FMI depuis 1981. Durant la même période, seuls
126 PAS ont été appliqués dans le reste du monde. Certains pays africains
ont appliqué plusieurs PAS. Ainsi le Sénégal et le Togo ont eu quatre PAS,
alors que le Malawi, la Côte d'Ivoire et la République centrafricaine en ont
eu trois chacun. La fréquence de l'application de ces programmes n'est pas
sans lien avec l'aggravation des difficultés financières et les crises des paiements extérieurs de ces pays, qui les amènent à négocier de nouveaux programmes pour bénéficier de rééchelonnements de dette et de nouveaux
prêts à l'appui des réformes. Certains pays ont essayé de mettre fin aux PAS
à cause des graves tensions sociales qu'ils génèrent (Sénégal en 1984, Mali
en 1986 et en 1987). Or, l'arrêt de ces PAS s'est traduit par la cessation
immédiate de toute assistance financière internationale, ce qui a amené ces
pays à rétablir très rapidement ces programmes d'ajustement structurel.
Les PAS cherchaient à mettre en place un volet stabilisation afin de
réduire les déficits et de promouvoir une série de réformes structurelles
pour assurer une plus grande régulation privée de l'économie, et accroître
l'insertion des économies nationales dans une mondialisation jugée incontournable et irréversible. Ces deux aspects des politiques d'ajustement se
cristallisent dans une forte tendance au désengagement de l'État. D'abord,
l'État se sépare de ses prérogatives régulatrices du fonctionnement cohérent
de l'économie. Ainsi, les activités de planification sont abandonnées, les
transferts des activités à forte profitabilité vers les activités à faible profitabilité sont remis en cause au nom de l'efficacité... Puis, l'État se désengage
de ses fonctions sociales en diminuant ses dépenses de santé, d'éducation et
de transferts sociaux.
20
REPENSER BREITON WOODS
Or, si les PAS ont permis à certaines économies d'améliorer et de rétablir
leurs déséquilibres macroéconomiques, les participants à ce symposium
ont souligné qu'ils n'ont pas réussi à initier de nouvelles dynamiques de
croissance durable suite à l'essoufflement des stratégies d'import-substitution des années 1960 et 1970. Par ailleurs, ces réformes n'ont pas empêché
la détérioration de la compétitivité des économies africaines et leur marginalisation dans la mondialisation.
Échec des réfonnes et recul de l'idéologie néolibérale
Les participants au symposium ont souligné, outre leurs faibles résultats
économiques, l'impact social élevé des PAS. En effet,le blocage des dynamiques de croissance a entraîné dans son sillage une baisse dans la création
d'emplois. Ce ralentissement, associé à une croissance démographique
relativement forte, a provoqué une augmentation rapide du chômage. Mais
plus que son volume global, c'est surtout le chômage des jeunes en milieu
urbain qui se développe le plus vite. Parallèlement à l'accroissement rapide
du chômage, l'ensemble des réformes liées aux politiques d'ajustement ont
entraîné une baisse des salaires réels. Par ailleurs, la précarisation croissante de la situation sociale a eu comme conséquence immédiate l'avancée
de la pauvreté et de l'exclusion.
Ainsi, les programmes d'ajustement structurel n'ont pas favorisé la construction de nouvelles normes économiques et sociales pour succéder aux
normes en crise. Au contraire, ils ont accéléré la décomposition des normes
en crise et approfondi ainsi la régression économique et sociale. Sur le plan
économique, les tendances déflationnistes sont plus fortes. Au niveau
social, plus qu'une détérioration des conditions de vie des populations, on
est en présence d'une ambivalence entre deux sociétés: d'un côté, une
société moderne, mais qui se rétrécit de jour en jour, intégrée aux modes de
production et de consommation de plus en plus mondialisés et, d'un autre
côté, un champ de ruines allant des banlieues du Caire à celles d'Alger, des
campagnes du Burundi et du Rwanda, aux Chiapas et en Colombie, où
s'étend le monde de la marginalité et de l'exclusion, où la violence, les
maladies et la drogue font le quotidien.
Cette crise économique et sociale a eu des conséquences politiques
importantes à travers la contestation de la légitimité de l'État. Dans le Tiers
monde, le dépassement des formes traditionnelles d'organisation politique
et la construction de l'État-nation moderne se sont faits sur la base de
l'engagement des élites nationalistes à assurer la construction d'une économie cohérente, capable de satisfaire les besoins sociaux des populations.
Ainsi, développement économique et promotion sociale fondent les compromis sociaux dans l'ensemble des pays et constituent les bases de
légitimation de l'État-nation.
Or, déracinement et misère urbaine sont aujourd'hui les principales
caractéristiques du visage de la planète après le passage de la tempête-ajustement. Cette situation, qui est à l'origine de la radicalisation de la contestation de l'État, entraîne progressivement sa délégitimation. La
déstructuration de l'univers de légitimation de l'État est accentuée par le
REPENSER BRETION WOODS À PARTIR DE L'AFRIQUE
21
dépouillement de ses prérogatives en matière de décision économique, de
choix de développement et de régulation sociale par des instances supranationales (FMI, Banque mondiale, commissions) dans le cadre de la mondialisation.
Par ailleurs, le désengagement de l'État et la libéralisation économique
préconisée par les PAS se sont traduits par l'émergence dans la plupart des
pays de mafias politico-financières qui ont cherché à contrôler l'économie.
L'affaiblissement de l'État et son extinction dans certaines régions du Tiers
monde se sont traduits par l'émergence d'intérêts privés dotés de milices
armées destinées à assurer leur défense. Dans ce contexte, la violence, le
chaos et l'insécurité deviennent les caractéristiques de grandes régions du
Tiers monde.
Ces résultats ont été à l'origine d'une remise en cause des fondements
théoriques et des choix de développement néolibéraux du consensus de
Washington. Par conséquent, la remise en cause des institutions de Bretton
Woods, ont rappelé les participants à ce symposium, est bien antérieure à la
crise asiatique. En effet, une ère nouvelle est ouverte dans le champ de
l'économie du développement en Afrique depuis le milieu des années 1990
avec la remise en cause de plus en plus forte des discours et pratiques néolibérales des institutions de Bretton Woods. Cette période est caractérisée
par un déclin des PAS, même si des institutions comme la Banque mondiale
ou le FMI s' y rattachent désespérément dans leurs pratiques dans les pays
sous-développés, et par une recherche dynamique et plurielle pour fonder
de nouvelles stratégies de développement et de nouvelles pratiques théoriques pour dépasser le consensus de Washington et les PAS.
Ainsi, l'ère du temps n'est plus à l'ajustement et au consensus néolibéral
qui a dominé la réflexion sur le développement tout au long des années
1980. Au contraire, la mondialisation croissante de l'économie et l'instabilité dont elle est porteuse d'un côté et la marginalisation de l'Afrique en
dépit des réformes appliquées sous la houlette du FMI et de la Banque mondiale d'un autre côté, ont fini par créer un large consensus sur l'impérieuse
nécessité de réguler l'ordre international et de créer les institutions capables
de lui assurer un minimum de cohérence. Le symposium de Ouagadougou
s'inscrit par conséquent dans cette réflexion ouverte à travers le monde pour
repenser l'ordre d'après-guerre.
La crise de ['ordre d'après-guerre
Pour comprendre l'évolution récente des institutions de Bretton Woods,
les participants ont fait appel à l'histoire et plus particulièrement à la
période d'après-guerre qui a vu la mise en place de ces institutions comme
un élément central de ce nouvel ordre politique et économique. S. Amin,
dans sa communication intitulé « La réforme des institutions de Bretton
Woods et la transformation nécessaire du système mondial », est revenu sur
les principales caractéristiques de la période d'après-guerre avec la formation de trois systèmes hégémoniques: le projet du Welfare State dans les
pays développés, le projet « soviétiste » dans les pays de l'Est et les tentatives de modernisation de l'État et de l'économie dans les pays du Tiers
22
REPENSER BRETION WOODS
monde. « Durant cette période, précise S. Amin, les institutions internationales ont rempli des fonctions évidentes, associées à l'essor économique.
Elles ont facilité la mondialisation en progrès, sans remettre en cause par
principe l'autonomie de chacune des trois composantes du système, même
si, presque par nature, leurs interventions ont toujours fait pencher la
balance à droite, c'est-à-dire contribué à éroder les avantages sociaux que
les peuples avaient tirés de la double défaite du fascisme et du colonialisme
qui inaugurait la période. »
Il faut noter que les discussions pour la reconstruction de l'ordre international avaient commencé bien avant la fin de la seconde guerre mondiale.
Dans son intervention autour du thème « Le bilan du système de Bretton
Woods », A. Ondo Ossa avait rappelé les débats qui avaient précédé la mise
en place du nouveau système. Dès 1943, les alliés disposaient de deux plans
pour la reconstruction de l'ordre international;
- le plan Keynes qui préconisait notamment la création d'une banque
internationale émettant une monnaie internationale, le bancor, pour répondre aux besoins des échanges internationaux. La direction et l'organisation
de cette banque auraient un caractère international ;
- le plan White défendu par les Américains qui, moyennant certains aménagements, préconise le retour à l'étalon-or avec la création d'une banque
internationale qui assurerait le rôle d'une chambre de compensation.
Finalement, les accords signés le 22 juillet 1944 par les alliés à Bretton
Woods s'inspiraient du plan White et consacraient l'hégémonie américaine
sur l'économie mondiale. Ces nouveaux accords, rappelle A. Ondo Ossa,
garantissaient les principes suivants pour tous les pays qui y souscrivaient:
- permettre la liberté des paiements, c'est-à-dire la convertibilité de leur
monnaie et ainsi la multilatéralité des paiements internationaux;
- assurer la stabilité des paiements, c'est-à-dire la stabilité de la parité de
leur monnaie;
- maintenir la permanence des paiements et l'équilibre de la balance
externe.
Dans ce nouveau système international, le dollar va jouer un rôle pivot du
fait de l'hégémonie des États-Unis et de leur capacité à faire du dollar un
moyen de paiement international. Dans cette nouvelle architecture internationale, le FMI et la Banque mondiale vont occuper une place centrale. « Le
FMI, précise S. Amin dans sa communication, avait le mandat d'assurer la
stabilité monétaire dans une économie mondiale ouverte se substituant à
l'étalon-or qui avait rempli ces fonctions avec succès jusqu'à la première
guerre mondiale. Dans la première période de son existence, le FMI a donné
l'impression d'une certaine efficacité, contribuant au rétablissement de la
convertibilité des monnaies européennes (1948-1957), puis à l'ajustement
de ces économies (1958-1966). » De son côté, la Banque mondiale s'est
attelée non sans succès à la reconstruction de l'Europe dans l'après-guerre.
A la fin de cette mission, elle s'est orientée vers la reconstruction des pays
sous-développés. La Banque mondiale connaîtra son heure de gloire à
l'arrivée à sa tête de Mac Namara, ancien secrétaire américain à la Défense
REPENSER BREITON WOODS À PARTIR DE L'AFRIQUE
23
et deviendra rapidement la plus importante institution en matière de financement du développement.
Or, cet ordre sera en crise et connaîtra son épuisement à partir du milieu
des années 1960. En effet, la reconstruction des économies européennes
s'est traduite rapidement par une remise en cause de l'hégémonie exercée
par l'économie américaine et du dollar sur le monde. En effet, « à partir des
années 1960, précise A. Ondo Ossa, le stock d'or officiel des États-Unis
d'Amérique devient inférieur à l'ensemble des dollars détenus à l'extérieur.
Ce qui amène les opérateurs à douter de la convertibilité à long tenne du
dollar. Et c'est alors que certaines banques centrales demandent la convertibilité de leurs dollars en or ». Ainsi, l'accroissement du déficit américain
est à l'origine d'importants dysfonctionnements de l'économie mondiale et
d'une perte de confiance de la part des économies européennes, en France
par exemple, dans la capacité des États-Unis à assurer la convertibilité des
dollars détenus à l'extérieur. En effet, « une monnaie nationale, précise
S. Amin, ne peut remplir les fonctions d'une monnaie internationale d'une
manière satisfaisante que si les conditions de la compétitivité internationale
produisent un excédent structurel d'exportation du pays dont la devise remplit cette fonction, assurant le financement par ce pays de l'ajustement
structurel des autres ». Ce qui n'est plus le cas de l'économie américaine
dès le milieu des années 1960.
Pour faire face à un déséquilibre externe sans cesse croissant et à des exigences de conversion des dollars détenus par d'autres pays en or de plus en
plus en fortes, les États-Unis vont abandonner le principe de convertibilité
du dollar en or. Cet abandon sera annoncé par R. Nixon le 15 août 1971. Ce
changement sera renforcé quelques années plus tard par l'abandon du principe des changes fixes et l'adoption des changes flottants.
En somme, le système hérité des accords de Bretton Woods est totalement
dépassé avec l'abandon de deux de ces principes fondateurs à savoir la convertibilité du dollar en or et la fixité des taux de change. Il faut dire que cet
abandon correspond à l'émergence d'un nouveau contexte intellectuel qui
remet en cause les politiques interventionnistes et leur capacité à réguler les
dysfonctionnements de l'ordre international. A ce niveau, les accords de
Bretton Woods étaient marqués par une forte influence de l'État et de ses
politiques interventionnistes dans la relance des dynamiques de croissance
. et la régulation de l'ordre marchand après la forte déflation des années
1930. La planification n'est plus le propre des pays de l'Est dans la mesure
où la plupart des pays capitalistes développés avaient initié des activités de
planification afin de corriger la répartition des ressources opérée par le marché. Or, ce contexte va changer à la fin des années 1960 et au début des
années 1970. En effet, le rôle de l'État dans la régulation des activités économiques sera fortement remis en cause par les courants néolibéraux. Les
nouvelles thèses misaient plutôt sur le marché et sa capacité à résorber les
déficits et les déséquilibres économiques. A. Ondo Ossa a précisé en outre,
qu'en matière de change, les taux flottants devaient, selon les néolibéraux :
- «réconcilier les différents taux d'inflation nationaux à travers un mouvement correspondant du taux de change nominal ;
24
REPENSER BREITON WOODS
- faciliter les ajustements des balances de paiements, en donnant aux
pays la possibilité d'assouplir les ajustements nécessaires et de les étaler
éventuellement dans le temps ;
- donner également aux pays la possibilité de libérer la politique monétaire afin de poursuivre des objectifs en matière de taux d'intérêt différents
de ceux du reste du monde;
- favoriser l'absorption des pressions spéculatives. »
Or, ces réformes n'ont pas permis de résorber les déséquilibres de l'économie mondiale. Au contraire, le flottement des monnaies n'a pas permis le
rééquilibrage des balances de paiements. D'autre part, la libre variation des
taux de change n'a pas entraîné une égalité internationale des prix pouvant
assurer une convergence des niveaux de développement au niveau international entre pays. Au contraire, les écarts de développement entre pays
n'ont cessé de s'élargir. Pire, le flottement des taux de change a été à l'origine du développement de comportements spéculatifs à court terme entre
pays, entraînant une grande instabilité et une grande incertitude dans l' économie mondiale. La crise asiatique et son prolongement à la Russie et à
l'Amérique latine ont démontré les dangers d'un économique livré à luimême dans la gestion des affaires du monde.
Dans les discussions, les participants ont noté que la crise asiatique et
l'instabilité croissante de l'économie mondiale ont été à l'origine d'un tournant dans les stratégies et les choix de politique économique. En effet, ces
crises ont montré que la gestion de l'économie mondiale ne peut pas se
limiter à l'action du marché. Bien au contraire, la gestion de l'ordre international est avant tout une question éminemment politique qui exige une
revalorisation du rôle des États et des instances politiques capables de définir des normes et des codes de conduite pour une nouvelle architecture
internationale. Les participants ont par conséquent insisté sur la nécessité
de réfléchir aujourd'hui sur la reconstruction de l'ordre international et de
penser également les institutions qui doivent le gérer. Plus particulièrement,
ils ont souligné que la crise de gouvernance de l'ordre mondial exige
aujourd'hui des réponses multipolaires dans la mesure où aucune puissance
économique ne peut prétendre à l'exercice d'une hégémonie telle qu'elle a
été exercée par la Grande-Bretagne jusqu'à la crise des années 1930 ou les
États-Unis après la seconde guerre mondiale. De ce point de vue, le nouvel
ordre international doit s'inspirer des principes démocratiques et réserver
une place à tous les pays, notamment les pays africains de plus en plus marginalisés dans le processus de mondialisation. En effet, l'issue à la crise
actuelle de l'ordre international exige également la définition des moyens et
des cadres capables d'assurer aux différentes composantes de l'économie
mondiale une insertion dynamique et bénéfique. La légitimité de la nouvelle architecture internationale, ont souligné les participants, proviendra
nécessairement de sa capacité à assurer à tous les pays les conditions
nécessaires à une participation réelle à la gestion des affaires du monde, au
développement et à la démocratie.
REPENSER BRETTON WOODS À PARTIR DE L'AFRIQUE
25
Crise de la dette et réformes économiques
La question de la dette est certainement la question la plus sensible et la
plus critique dans les rapports entre les institutions de Bretton Woods et
l'Afrique. Dans son intervention, Touna Marna a rappelé les principales
caractéristiques de la dette africaine, qui est également à l'origine de sa spécificité par rapport aux autres pays. Dans sa communication intitulée « La
question de la dette extérieure des pays africains: un réexamen », Touna
Marna a souligné que la question de la dette africaine n'est pas un phénomène totalement récent. En effet, dès le 21 septembre 1970, Mc Namara
président de la Banque mondiale rappelait à la réunion annuelle de cette
institution que « la préoccupation principale des pays en voie de développement est le poids écrasant de leur dette extérieure qui s'élève déjà à
55 milliards de $EU et qui augmente de 15 % par an. Elle augmente deux
fois plus vite que ce que rapportent leurs exportations ».
Or, dans les années 1970, l'endettement va prendre un nouvel envol du
fait de la disponibilité de liquidités internationales auprès des plus importantes banques. L'accroissement de la dette du Tiers monde sera à l'origine
de la crise du début des années 1980, avec le changement de cap des politiques économiques et le relèvement des taux d'intérêt comme un moyen de
lutte contre l'inflation. La crise mexicaine de 1982 sera le point de départ
d'une grave crise de la dette. Cette crise est d'autant plus importante qu'elle
est concomitante pour les pays africains avec la chute des cours des matières premières qui constituent les plus importantes recettes de devises pour
le continent. Certes, la dette africaine dans la dette mondiale est faible, a
indiqué Touna Marna; cependant, l'endettement africain est plus lourd
qu'ailleurs avec une dette pour les pays au sud du Sahara représentant près
de 350% des exportations et près de 120% du PIE.
Dans son intervention intitulée « Gestion de la liquidité internationale et
financement du développement: plaidoyer pour de nouvelles règles de
redistribution du seigneuriage international », B. Ebé Bekolo a souligné le
retour en force depuis quelques années de la question de la dette, du fait de
l'insuffisance des flux financiers nécessaires à la continuité de l'accumulation du capital. Dans son intervention, B. Bekolo a rappelé les nouvelles
tâches du FMI à partir de la crise de la dette. En effet, « en substitution de
la perte de son pouvoir d'assurer la triple mission de surveillance des politiques de changes, de prévention et de financement des déficits et de coordination monétaire internationale, le FMI s'est trouvé une nouvelle mission
essentiellement consacrée à l'ajustement dans les pays en développement ».
Cependant ce nouveau rôle n'a pas été couronné de succès et le FMI n'a pas
permis une résolution des crises des paiements externes des pays africains.
En effet, « les mécanismes du FMI sont totalement inadaptés à cette situation et viennent souvent aggraver la récurrence du phénomène et son caractère cumulatif ».
Mais le paiement de la dette pose une question théorique d'importance,
soulevée déjà par Keynes à propos de la décision de la Société des Nations
de faire payer à l'Allemagne après la première guerre mondiale des réparations pour la France et l'Angleterre. Keynes avait clairement indiqué que le
26
REPENSER BREITON WOODS
paiement des réparations poserait d'importants problèmes aux économies
française et anglaise dans la mesure où il exige une ouverture des frontières
de ces pays pour les exportations des entreprises allemandes. Cette ouverture est nécessaire afin que l'Allemagne puisse dégager un excédent nécessaire au paiement des réparations. De nos jours, un grand nombre
d'économistes utilisent cet argument pour justifier l'annulation de la dette
du Tiers monde. Dans sa communication B. Bekolo indique que «la
résorption des déficits et le remboursement des dettes supposent en effet
que les pays débiteurs puissent renverser la tendance et accumuler des excédents vis-à-vis des créanciers. Ceci suppose l'acceptation par les créanciers
d'un transfert massif de biens et de services, entrant en concurrence avec
une partie de leur propre production, avec ce que cela implique comme
déstructuration d'importants secteurs de leurs économies ».
Ce paradoxe lié au paiement de la dette justifie pour les participants une
sortie de la crise de la dette, ainsi que la nécessité de dégager un excédent
de ressources suffisant pour financer la croissance. Mais cette discussion
sur la question de la dette a également posé le problème de l'allocation de
la liquidité internationale pour le développement. Cette redistribution
exige, selon B. Bekolo, la prise en compte de deux principes de base. Le
premier est lié à l'idée keynésienne que la création de la liquidité internationale doit être étroitement liée au besoin de financement de la croissance
et du développement. « Ce lien a pour avantage décisif, précise B. Bekolo,
de réduire sinon d'éliminer les risques systémiques inhérents au mécanisme
actuel qui favorise la formation de bulles financières, leur éclatement, la
récurrence de krachs financiers, la généralisation rapide des crises avec un
impact particulièrement négatif sur les économies fragiles. » Le second
principe est lié au règlement de la dette qui pèse très lourd sur le développement des économies africaines.
A partir de ces principes, B. Bekolo suggère la redistribution des liquidités internationales selon trois grands axes de priorité. Le premier axe provient de la reprise de la formule classique des quotas mais en y introduisant
une correction, prenant en considération d'autres variables comme la
détérioration des termes de l'échange, les besoins d'importation de biens
d'équipement, le poids du service de la dette. La redistribution des liquidités internationales devrait également prendre en considération le financement d'un mécanisme régional de développement. Le troisième axe est lié
à la mise sur pied d'un mécanisme de garantie ou de refinancement des
créances à l'échelle internationale. «Il s'agit par ce biais, précise
B. Bekolo, de mettre en place un organisme jouant à l'échelle internationale
le rôle de prêteur en dernier ressort, qui, à l'échelle d'une économie, est
joué par la banque centrale. »
Les participants ont souligné dans les discussions que le poids de la dette
des pays africains constitue un obstacle majeur à la relance de la croissance
et du processus de développement économique et social du continent. Par
ailleurs, le poids et le service de la dette handicapent sérieusement la compétitivité des économies africaines, freinent leur participation effective à la
globalisation de l'économie mondiale et accroissent davantage leur margi-
REPENSER BRETION WOODS À PARTIR DE L'AFRIQUE
27
nalisation. Ils ont également noté que l'incapacité des pays africains à rembourser leurs dettes les poussent à emprunter continuellement pour assurer
le service de la dette, créant ainsi un cercle vicieux qui bloque tout le processus de développement.
Les discussions ont également porté sur les nouvelles initiatives de réduction de la dette. Les participants ont longuement abordé l'initiative
« PPTE» (pays pauvres très endettés) défendues par les institutions de
Bretton Woods. Ils ont souligné le caractère inapproprié de cette initiative
devant l'ampleur de la question de la dette (critères d'éligibilité trop restrictifs, délais longs pour bénéficier d'une réduction de la dette ... ). Par ailleurs,
les participants ont souligné qu'il est à craindre que les fonds mobilisés
pour cette initiative ne viennent en déduction des fonds de l'aide publique
au développement, déjà en forte baisse.
Les participants ont également souligné que les différentes réductions de
la dette dans le cadre du Club de Paris n'ont jamais fourni une solution radicale et durable de la question de la dette. De ce point de vue, ils ont convenu
que la relance d'une croissance soutenue et durable sur le continent passe
par une annulation de la dette africaine. A cet égard, ils ont rappelé les précédents historiques d'annulation de dettes externes, notamment après la
crise des années 1930. A ce niveau, les participants ont rappelé la campagne
«Jubilée 2000» pour l'annulation de la dette des pays pauvres. Mais,
l'annulation de la dette ne doit pas être, selon les participants, une fin en soi
mais un point de départ à une relance de la croissance et du développement
en Afrique.
Un nouvel ordre international: préalable au développement en Afrique
Les participants ont également abordé la question de la réforme des institutions de Bretton Woods. Cette réforme est considérée comme un préalable à une relance du développement du continent. A ce niveau, les
relations du continent avec les institutions de Bretton Woods ont été largement abordées par les participants. Dans sa communication intitulée « Les
réformes du système de Bretton Woods », Ch. Ayari avait indiqué que la
relation entre ces institutions et l'Afrique est « une histoire vieille de quarante ans déjà, où l'ombre l'emporte sur la lumière, la frustration sur l'espérance, l'échec sur le success story. Une histoire-témoin de la coopération
multilatérale moderne face à l'un de ses grands défis de tous les temps:
ouvrir le continent le plus démuni de tous sur la croissance, le développement, le progrès, le bien-être et la modernité ». Or, « force est d'admettre,
précise Ch. Ayari, que la perception de cette urgence et de cette spécificité
a été absente dès le départ, et que l'Afrique, réduite à une espèce de Lumpenproletariat de la coopération internationale représentait pour le FMI et la
Banque mondiale un champ d'intervention marginal, au regard de l'Asie ou
de l'Amérique latine ».
Les participants ont abordé à ce niveau deux grandes séries de questions.
La première est liée aux moyens de contrôler les mouvements de capitaux
afin de limiter leur caractère spéculatif. La seconde est en rapport avec la
nouvelle architecture internationale à mettre en place afin de réorganiser
28
REPENSER BRETION WOODS
l'ordre international. En ce qui concerne les mouvements de capitaux, les
participants ont examiné les propositions en discussion depuis quelques
années dont le projet de taxe Tobin du nom du prix Nobel américain qui a
proposé en 1978 le principe de l'instauration d'une taxe sur les mouvements spéculatifs afin de ralentir leurs mouvements. Il s'agissait, selon
Tobin, de mettre des grains de sable dans la mécanique spéculative afin de
limiter ses effets négatifs sur l'économie mondiale et les économies nationales. Cette proposition a fait l'objet ces deux dernières années d'un intérêt
croissant de la part des hommes politiques et des experts internationaux.
Cependant, la mise en application de cette proposition se heurte à la complexité des mouvements de capitaux internationaux et à la difficulté consécutive d'appliquer cette taxe. Par ailleurs, cette proposition suppose une
coordination internationale très importante permettant à tous les pays de
l'appliquer au même moment. Or, pour l'instant cette condition semble utopique dans la mesure où les différents pays se positionnent en concurrents
pour attirer les capitaux étrangers, notamment pour faire face aux déficits
publics.
Les experts ont également examiné le recours actuel des pays sous-développés au contrôle des changes pour faire face aux mouvements spéculatifs.
Le Chili et la Malaisie ont déjà testé cette voie pour faire face à la crise des
changes qu'ils connaissent depuis quelques mois. La CNUCED a indiqué
de ce point de vue qu'il n'y a aucune raison de condamner le contrôle des
changes et de sacrifier la stabilité monétaire à la libre circulation des capitaux. La libre fluctuation des taux, conjuguée à la mobilité des capitaux,
serait néfaste à la stabilité de la monnaie, ce dont pâtiraient à la fois le commerce, l'investissement et la croissance. L'établissement du contrôle des
changes peut éliminer les problèmes de gestion de la dette imputables à des
déséquilibres monétaires, et s'est révélé utile dans certains pays pour
enrayer une hyper-inflation. Mais cela ne protège pas l'économie contre
une instabilité d'origine extérieure: les entrées et les sorties de capitaux se
répercutent sur le niveau de l'activité économique ainsi que sur les prix des
biens et des actifs, et peuvent mettre en péril la stabilité du secteur bancaire.
La CNUCED n'est pas la seule institution internationale à préconiser le
retour au contrôle des changes pour faire face à l'instabilité financière croissante de l'économie mondiale. En effet, la France a soumis à ses partenaires
européens au début du mois d'octobre 1998 un mémorandum sur les
moyens de prévenir les crises internationales. Ce document contient douze
propositions parmi lesquelles le contrôle des changes. La France dans ce
document suggère de transposer au niveau mondiall' article 73 du traité de
Maastricht qui permet à chaque pays, lorsqu'il fait l'objet d'importantes
attaques spéculatives, d'imposer un contrôle strict des changes pendant une
période de six mois.
Parallèlement à ces propositions, les participants ont considéré qu'il était
également nécessaire d'accompagner ces mesures de réglementation des
mouvements de capitaux par une refonte de l'ordre monétaire et financier
issu des accords de Bretton Woods et aujourd'hui en crise. Les différentes
propositions en discussion ont été examinées. Le gouvernement français
REPENSER BRETION WOODS À PARTIR DE L'AFRIQUE
29
considère qu'il est nécessaire d'accorder un rôle plus important au FMI.
Mais il s'agit d'un FMI rénové où le poids du politique serait plus important. A ce niveau, la France suggère la mise en place d'un gouvernement
politique du FMI qui définira les orientations stratégiques de cette institution. Le comité intérimaire actuel du FMI se transformera en un conseil qui
deviendra un organe de décision politique. Dans ce scénario, la Banque
mondiale garde son rôle et sa place dans le dispositif international en continuant à s'occuper des questions de développement. Le gouvernement britannique par la voix du Premier ministre T. Blair abonde dans le même sens
sur la nécessité de reconstruire le système monétaire international même si
ses propositions concrètes diffèrent quelque peu des propositions françaises. En effet, le gouvernement britannique propose la fusion de la Banque
mondiale et du FMI au sein d'une même institution, qui aura pour principal
rôle d'assurer un contrôle, mais également la prééminence du politique sur
l'économie mondiale.
Or, en dépit de ces propositions, la communauté internationale rechigne
à opérer des changements majeurs dans l'architecture financière internationale. En effet, au lieu d'une nouvelle architecture, les pays du G7 ont décidé
la mise en place d'un fomm de stabilité financière sous la présidence de la
Banque des règlements internationaux. « En fait d'architecture, avait précisé Ch. Ayari dans sa communication, c'est vers la mise en place d'un simple forum pour la stabilité financière que les sept grands semblent s'orienter
parce que c'est autour de ce seul projet minimaliste que leur consensus est
acquis. » Or, ce projet est nettement en deçà des revendications des experts
internationaux et surtout ne semble pas répondre à la gravité de la situation
créée par la mondialisation et la financiarisation de l'économie. En effet,
« le concept de forum, souligne Ch. Ayari, exclut par définition toute novation institutionnelle dans le système économique international présent. Le
forum, quelles qu'en soient les modalités de fonctionnement, est une structure nécessairement informelle, consultative, au mieux, dépourvue de tout
pouvoir de contrôle et de toute fonction réglementaire, que ce soit ex ante
- avant crise - ou, plus encore, ex post en cas de crise ».
Les discussions ont, dans cette perspective, porté sur la place du FMI dans
une nouvelle architecture internationale. Cette discussion est d'autant plus
importante que « les performances passées de l'institution en matière
d'anticipation et de prévention des crises ne font pas l'unanimité ». Mais
plus particulièrement, ces débats ont porté sur la capacité de la communauté
internationale à faire du FMI le prêteur en dernier ressort de l'économie
mondiale, au même titre qu'une banque centrale au niveau d'une économie
nationale. Dans sa communication intitulée « Le FMI doit-il devenir le prêteur en dernier ressort international? », Ch. Eboué a précisé que cette transformation est le résultat « de la forte volatilité des marchés boursiers, et la
contagion des crises des marchés émergents avancés vers les marchés
moins avancés, qui expliquent l'accroissement du risque consécutif à la
globalisation financière ». Les discussions ont permis de rappeler les conditions suffisantes du prêteur en dernier ressort dans une économie nationale telles qu'elles ont été énoncées par Meltzer en 1986, à savoir que :
30
REPENSER BRETION WOODS
- la Banque centrale est le seul prêteur en dernier ressort d'un système
monétaire unifié ;
- la prévention de l'illiquidité ou de la faillite de nombreuses banques
implique, de la part de la Banque centrale, d'allouer des prêts en contrepartie d'actifs pris en garantie qui soient négociables sur le marché;
- les prêts ou les avances de la Banque centrale doivent être déterminés
par la demande et consister en des volumes importants ;
- l'ensemble de ces critères doit être annoncé à l'avance ;
- les banques insolvables doivent être vendues au prix du marché;
- la Banque centrale doit davantage prêter au marché qu'à des institutions individuelles.
Or, le FMI ne fonctionne pas aujourd'hui comme un prêteur en dernier
ressort et ceci pour plusieurs raisons. D'abord, les ressources du FMI sont
aujourd'hui très limitées et ne lui permettent pas d'intervenir de manière
efficace à la hauteur des crises actuelles et des dangers encourus par l'économie mondiale. Par ailleurs, les participants ont souligné que, contrairement à l'attitude d'un prêteur en dernier ressort, le FMI applique des
politiques de restriction monétaire qui rendent difficile l'appui à des institutions ayant d'importants besoins de financement. Dans sa communication
Ch. Eboué a indiqué «l'incompatibilité de l'objectif de restauration de la
confiance, avec des mesures déflationnistes découlant de la hausse des taux
d'intérêt ». Mais plus fondamentalement, le FMI n'est pas un prêteur en
dernier ressort au niveau international, souligne Ch. Eboué, « tant la résistance en faveur de la création d'une banque centrale mondiale demeure
grande, les États n'en voulant pas supporter le coût économique et
financier ».
Le symposium a également abordé la place de l'Afrique dans le système
des échanges commerciaux. A ce niveau H. Ouane a indiqué dans sa communication intitulée «L'Afrique dans la nouvelle donne commerciale
internationale », que le monde est entré « dans une phase caractérisée par
une libéralisation quasi ininterrompue et l'intégration de nouveaux domaines dans le champ d'application des disciplines multilatérales. La concomitance de ces deux tendances comporte des implications majeures pour les
pays africains. En effet, les engagements multilatéraux ont abouti à une
libéralisation asymétrique et partielle, renforçant ainsi les déséquilibres
Nord-Sud en matière tarifaire et non tarifaire ». Dans ce contexte, les pays
africains se doivent de se mobiliser sur une série de domaines d'intérêts à
défendre lors des prochaines négociations internationales. L'Afrique doit
défendre son accès privilégié aux marchés internationaux et l'application
de traitement différentiel pour les pays du continent au niveau international.
Mais l'approfondissement de l'intégration régionale constitue, pour les
participants, la véritable réponse à la mondialisation pour le continent. En
effet, a souligné H. Ouane, « l'Afrique doit tout mettre en œuvre pour combler son retard en matière d'intégration régionale. Le renforcement d'une
dynamique régionale doit être fondé sur l'augmentation du commerce et de
l'investissement entre les pays du continent ».
REPENSER BRETTON WOODS À PARTIR DE L'AFRIQUE
31
Lors des débats, les participants ont soulevé d'importantes questions sur
la nouvelle architecture financière internationale. En effet, ils ont souligné
que les institutions internationales, dont la Banque mondiale et le FMI, sont
conscientes, de l'acuité des problèmes liés à la refonte de l'ordre international. Ils sont d'ailleurs engagés dans des discussions sur les réformes à
entreprendre. Cependant, les réformes envisagées tardent à se concrétiser et
manquent singulièrement d'audace eu égard à l'ampleur des défis. Au
niveau monétaire et financier, ils ont indiqué que l'essor des mouvements
de capitaux est loin de réaliser l'adéquation entre les capacités et les besoins
de financement mondiaux. Aujourd'hui, les mouvements enregistrés dans
les comptes de capital sont presque unanimement reconnus comme un des
vecteurs principaux de l'instabilité financière et économique. Ils ont indiqué que la multipolarité et la stabilité tendancielle des changes doivent
constituer les principes directeurs de toute réforme de l'ordre international.
A ce niveau, un contrôle et une réglementation des mouvements de capitaux
s'imposent pour la stabilisation du système et devraient alimenter des ressources à destination des programmes de développement. A ce niveau, une
réforme dans l'esprit de la taxe Tobin, en dépit des difficultés de son application, ouvre des perspectives intéressantes. Mais plus fondamentalement,
la question de la gouvernance mondiale a été au centre des débats, avaient
estimé les participants à ce symposium. Car plus que d'une série d'institutions spécialisées, l'économie mondiale a désormais besoin d'un conseil de
sécurité économique capable d'englober toutes les dimensions de la mondialisation.
Les participants ont souligné dans les discussions que ces questions sont
aujourd'hui en débat dans les plus importants forums internationaux. Mais
toutes ces discussions sont assez significatives de l'ouverture d'une nouvelle étape dans le débat politique et économique. En effet, si les années
1980 étaient marquées par les débats sur la déréglementation et le désengagement de l'État en faveur du marché, les années 1990 sont plus marquées
par les préoccupations de la reconstruction de l'ordre international et de la
régulation par le politique du chaos provoqué par un économique livré à luimême.
PREMIÈRE PARTIE
BILAN DU SYSTÈME
DE BRETTON WOODS
1
La réforme des institutions de Bretton
Woods et la transformation nécessaire du
système mondial
Samîr AMIN
Ils sont nombreux dans l'histoire les systèmes qui, ne parvenant pas à se
réformer, sombrent et quittent brutalement la scène. L'extrême rigidité qui
caractérise les comportements des institutions de Bretton Woods, le discours de leurs responsables toujours connu d'avance tant il est stéréotypé,
inapte à admettre des points de vue autres que ceux qui ont le vent en poupe
dans les cercles dominants, condamnent-ils ces institutions à une faillite
peu glorieuse? Ou bien les vrais patrons, le G7 dont les institutions en
question ne sont après tout que des exécutants, voudront-ils et pourront-ils
imposer les réformes « nécessaires» ?
Formuler l'alternative dans ces termes, c'est ramener la question même
des réformes à sa juste place. Substituer à un faux débat drapé dans les
banalités bien connues concernant la « mondialisation incontournable» et
masqué par des argumentations qui se proclament « scientifiques, techniques, objectives et non idéologiques» (qui est le débat dans lequel on voudrait nous enfermer) un débat véritable sur les visions du présent et de
l'avenir des forces dominantes à l'échelle mondiale, de leurs stratégies et
des conflits qui les opposent entre elles, des résistances de leurs victimes et
des échecs que ces stratégies pourraient de ce fait essuyer. Autrement dit,
voir que le débat concernant les réformes en question est subalterne et
dérivé d'un autre débat, majeur, généralement évacué de la discussion et
que je formulerai de la manière suivante: quel système mondial la Triade
veut-elle imposer? Ses trois composantes - les États-Unis, les pays de
l'Union européenne, le Japon - partagent-elles la même vision de ce qui
doit être? Et, en contrepoint quel système mondial serait possible et
souhaitable? Quelles en sont les conditions?
J'ai bien dit ici les pays de l'Union européenne et non l'Union européenne. Car d'évidence si l'Union européenne a bel et bien une existence
36
REPENSER BRETION WOODS
réelle comme marché unique, elle n'a pas encore donné la preuve de son
existence comme force politique unifiée ayant ses propres visions et straté~ies. Elle a plutôt jusqu' ici donné la preuve du contraire, c'est-à-dire que les
Etats qui la composent ont des points de vue qui leur sont propres et que, du
fait de ces divergences, ne se retrouvent que lorsque ces points de vue sont
effacés par leur alignement sur ceux de Washington.
Dans ces conditions on serait tenté de conclure qu'une réforme sérieuse
des institutions de Bretton Woods n'est pas à l'ordre du jour. S'agit-il alors
seulement de« bavardages », qui ne menacent pas les bureaucraties des institutions en question ?
Avec une note d'humour britannique, c'est ce que conclut Percy Mistry'
président d'Oxford International, une société privée d'investissement qui
constate que les responsables des institutions de Bretton Woods se sont
octroyé une « immunité» qui les libèrent de toute responsabilité. Les propositions de Tony Blair, qui suggère la fusion de la Banque mondiale et du
FMI au sein d'une même institution qui assurera la prééminence du politique sur l'économie mondiale, n'inaugurent rien de bien nouveau quand on
sait à quel point les visions politiques du souriant premier Britannique
épousent rigoureusement tous les contours de la stratégie des États-Unis.
Ce n'est certainement pas le trio Clinton-Blair-Schroder qui fera avancer
une « troisième voie» digne de ce nom !
Cela étant, je ne dis pas que les institutions de Bretton Woods sont
aujourd'hui ce qu'elles étaient lors de leur création. Non. Ces institutions
ont une histoire, ont changé au cours de celle-ci, se sont « adaptées» à des
situations nouvelles, donc d'une certaine manière - formelle ou informelle
- ont connu des « réformes». Mais celles-ci, comme on le verra, ne peuvent
être comprises que par référence à l'évolution des stratégies déployées par
les forces dominantes - et singulièrement les États-Unis - en réponse à
l'évolution des équilibres (ou déséquilibres) qui ont caractérisé chacune des
phases successives du dernier demi-siècle.
De l'essor de l'après-guerre à la crise (1945-1995)
L'objet de cette intervention ne porte pas sur l'analyse de ce demi-siècle
1945-2000, sur laquelle d'ailleurs je me suis abondamment exprimé
ailleurs. Mais il va de soi qu'un bref rappel des conclusions de cette analyse
s'impose pour éclairer à la fois le passé des institutions de Bretton Woods
et la nature des problèmes qui leur sont posés aujourd'hui.
La phase considérée tout entière est celle d'une hégémonie des ÉtatsUnis, qui s'affirme d'ailleurs aujourd'hui plus que jamais, même si, d'une
certaine manière, elle est en crise. Dire cela implique un concept d'hégé1. Voir P. Mistry, « Reforming the IMF and World Bank », Wi1ton Park Conference,
16-19 mars 1999.
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETION WOODS
37
monie et, dans l'analyse théorique qui est la mienne, celle-ci est à la fois
multidimensionnelle, relative et toujours menacée.
Multidimensionnelle au sens qu'elle n'est pas seulement économique
(productivité supérieure dans les secteurs clés de la production, initiative
dans l'invention technologique, poids décisif dans les échanges commerciaux mondiaux, maîtrise de la devise clé du système, etc.), mais également
politique et idéologique (voire culturelle) comme militaire.
Relative car tous les pouvoirs en place à travers le monde n'obéissent pas
forcément au doigt et à l'œil à des « ordres» donnés par la puissance dominante. L'économie capitaliste mondiale n'est pas un empire-monde gouverné par un centre unique. Le centre hégémonique doit nécessairement
passer des compromis avec les autres, fussent-ils en position de dominés, a
fortiori s'ils refusent cette position. De ce fait l'hégémonie est toujours
menacée par l'évolution des rapports de force, économiques et autres, entre
les partenaires du système mondial. Ma lecture de l'histoire du capitalisme
n'est pas celle d'une succession d'hégémonies, mais de phases brèves
d'hégémonie visible (Grande-Bretagne de 1850 à 1880, États-Unis depuis
1945) et de longues phases de conflits sans hégémonie, ce qui fut le cas de
1880 à 1945 et est peut-être en voie de le devenir à nouveau (les thèses relatives à cette question essentielle seront discutées plus loin).
La périodisation du demi-siècle considéré dépendra donc de la dimension
principale choisie pour son analyse.
Si l'on retient la dimension économique au sens étroit du terme, mesurée
approximativement par le PIB per capita, la productivité apparente du travail, les tendances structurelles de la balance commerciale, on en conclura
que l'hégémonie américaine, écrasante en 1945, a été dépassée dès les
années 1960 et 1970 par le brillant rattrapage européen et japonais. S'il fallait retenir une date significative du tournant, je proposerais 1971, date de
l'abandon de la convertibilité du dollar. Les Européens ne cessent de le rappeler, dans des termes bien connus: l'Union européenne constitue la première force économique et commerciale à l'échelle mondiale...
Affirmation qui est un peu rapide sur plusieurs plans. D'abord, s'il y a bien
un marché européen unique, voire l'amorce d'une monnaie unique, « une»
économie européenne n'existe pas (ou pas encore). Il n'y a pas un
« système productif européen », comme il existe un système productif des
États-Unis. Les économies mises en place en Europe par la constitution des
bourgeoisies historiques des États concernés et le façonnement dans ce
cadre de systèmes productifs nationaux autocentrés (même s'ils sont simultanément ouverts et même agressivement ouverts) sont demeurées largement telles. Il n'y a pas de transnationales européennes, mais exclusivement des transnationales britanniques, allemandes, françaises, etc. Les
seules exceptions ont été le produit de coopération inter-États dans le secteur public, dont Airbus est le prototype (et cette observation est importante
parce qu'elle rappelle le rôle décisif de l'action et du secteur publics dans
la transformation éventuelle des structures). II n'y a pas d'interpénétration
des capitaux nationaux, ou plus exactement cette interpénétration n'est pas
plus dense dans les rapports intra-européens que dans ceux que chacune des
38
REPENSER BRETTON WOODS
nations européennes entretient avec les États-Unis et le Japon. Si donc les
systèmes productifs européens sont érodés, affaiblis par ladite «interdépendance mondialisée », au point que les politiques nationales perdent
une bonne partie de leur efficacité, c'est précisément au bénéfice de la mondialisation et des forces qui la dominent et non à celui d'une « intégration
européenne », encore presque inexistante.
Si l'on prend en considération d'autres aspects de la vie économique,
comme l'innovation technologique ou la place tenue par la monnaie nationale dans le système monétaire international, l'asymétrie entre les ÉtatsUnis et l'Union européenne s'accuse. On peut, peut-être, en discuter concernant l'innovation technologique, encore que la supériorité militaire des
États-Unis demeure le véhicule principal d'un avantage nord-américain difficile à contester. Or la recherche militaire produit des effets civils décisifs
(voir Internet par exemple). Concernant les avantages que représente pour
les États-Unis l'usage du dollar comme moyen de règlement international
dominant (ce qui leur permet de soutenir un déficit permanent de leurs
balances extérieures, atténuant par la même les conséquences d'une perte
de compétitivité sur les marchés mondiaux), ceux-ci ne paraissent pas
menacés par l'euro. Mon point de vue est que, tant qu'il n'y aura pas
«une» économie européenne intégrée, l'adoption de l'euro comme monnaie commune restera fragile et menacée et l'euro aura des difficultés à supplanter le dollar à l'échelle mondiale.
Dès lors qu'on élargit l'analyse à l'ensemble des dimensions du problème, en mettant l'accent sur les équilibres sociaux internes propres aux
différentes nations et régions du monde sur la base desquels le système se
reproduit, l'après-guerre paraît être clairement divisé en deux périodes,
celle de l'essor (1945-1975) et celle de la crise 2 (à partir de 1968-19731975).
L'essor au cours de la première période a été fondé selon l'analyse que
j'en propose, sur la complémentarité des trois projets sociétaires de l' époque, à savoir:
- en Occident, le projet de l'État de bien-être de la social-démocratie
nationale, asseyant son action sur l'efficacité de systèmes productifs nationaux interdépendants ;
- le projet que j'ai intitulé « projet de Bandoung» de la construction
nationale bourgeoise à la périphérie du système (l'idéologie du
développement) » ;
- enfin, le projet soviétiste d'un « capitalisme sans capitalistes », relativement autonomisé par rapport au système mondial dominant.
Durant cette première période, les institutions internationales ont rempli
des fonctions évidentes, associées à l'essor en question. Elles ont facilité la
mondialisation en progrès, sans remettre en cause par principe l'autonomie
de chacune des trois composantes du système, même si, presque par nature,
leurs interventions ont toujours fait pencher la balance à droite, c'est-à-dire
2. Voir Samir Amin & P. G. Casanova, Mondialisation et accumulation, Paris, L'Harmattan, 1993, introduction et conclusion.
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
39
qu'elles ont contribué à éroder les avantages sociaux que les peuples
avaient tirés de la double défaite du fascisme et du colonialisme qui inaugurait la période.
La seconde période, par contre, est d'abord celle de l'érosion, puis de la
crise et de l'effondrement des systèmes sur lesquels reposait l'essor antérieur. La période, qui est loin d'être close, n'est donc pas celle de la mise en
place d'un nouvel ordre mondial, comme on se plaît à le dire trop souvent
et trop vite, mais celle d'un chaos qui est loin d'être surmonté. Je replacerai
donc dans ce cadre les actions des institutions internationales concernées à
partir de 1970. Celles-ci ne répondent donc pas, selon mon analyse, à une
stratégie positive d'expansion du capital, mais cherchent seulement à en
gérer la crise. Elles n'y parviendront pas, parce que le projet « spontané»
produit par la domination immédiate du capital, en l'absence de cadres que
lui imposeraient les forces de la société par des réactions cohérentes et efficaces, reste une utopie. C'est l'utopie de la gestion du monde par ce qu'on
appelle« le marché », c'est-à-dire les intérêts immédiats, à court terme, des
forces dominantes du capital.
La crise s'exprime par le fait que les profits tirés de l'exploitation capitaliste ne trouvent pas de débouchés suffisants dans des investissements rentables susceptibles de développer les capacités de production. La gestion de
la crise consiste à trouver « d'autres débouchés» à cet excédent de capitaux
flottants, de manière à éviter leur dévalorisation massive et brutale, comme
cela s'était produit dans les années 1930. La solution à la crise impliquerait
par contre la modification des règles sociales commandant la répartition du
revenu, la consommation, les décisions d'investissement, c'est-à-dire un
projet social cohérent, autre que celui fondé sur la règle exclusive de la rentabilité. La crise ne trouve donc de solution que si, et lorsque, les forces
sociales « anti-systémiques » imposent au capital des contraintes extérieures à sa logique propre.
La gestion économique de la crise est d'abord évidemment le fait des gouvernements qui agissent sur le plan interne, propre à leur État, d'une
manière qui vise systématiquement à « déréguler» comme ils qualifient
eux-mêmes leur option: affaiblir les « rigidités» syndicales, les démanteler si possible, libéraliser les prix et les salaires, réduire les dépenses publiques (notamment les subventions et les services sociaux), privatiser,
libéraliser les rapports avec l'extérieur, etc. «Déréguler» est d'ailleurs un
terme trompeur. Car il n'y a pas de marchés dérégulés, sauf dans l'économie imaginaire des économistes « purs ». Tous les marchés sont régulés et
ne fonctionnent qu'à cette condition. La seule question est de savoir par qui
et comment ils sont régulés. Derrière l'expression de dérégulation se cache
une réalité inavouable: la régulation unilatérale des marchés par le capital
dominant.
La recette est la même pour tous et sa légitimation fondée sur la même
dogmatique, vague à outrance: la libéralisation « libérerait» un potentiel
d'initiative « brimé par l'interventionnisme» et remettrait la machine économique sur les rails de la croissance, de surcroît, ceux qui libéraliseraient
plus vite et de manière plus exhaustive gagneraient de ce fait une
40
REPENSER BRETION WOODS
« compétitivité» renforcée sur les marchés mondiaux ouverts. Bien
entendu, comme Marx et Keynes l'avaient compris, le fait que la libéralisation en question enferme l'économie dans une spirale « déflationniste »
de stagnation et s'avère ingérable au plan mondial, multipliant les conflits
qu'elle ne peut pas régler, est gommé au bénéfice de la répétition incantatoire que le libéralisme préparerait un développement (à venir) dit « sain ».
Sur la base de quels critères jugera-t-on ce caractère? Nul ne le sait.
La mondialisation capitaliste exige que la gestion de la crise opère à ce
niveau. Cette gestion doit faire face à l'excédent gigantesque de capitaux
flottants qui génère la soumission de la machine économique au critère
exclusif du profit. La libéralisation des transferts internationaux de capitaux, l'adoption de changes flottants, les taux d'intérêt élevés, le déficit de
la balance des paiements américaine, la dette extérieure du Tiers monde, les
privatisations constituent ensemble une politique parfaitement rationnelle
qui offre à ces capitaux flottants le débouché d'une fuite en avant dans le
placement financier spéculatif, écartant par là même le danger majeur, celui
d'une dévalorisation massive de l'excédent de capitaux. On se fera une idée
de l'énormité de la grandeur de cet excédent en rapprochant deux chiffres:
celui du commerce mondial, qui est de l'ordre de 3000 milliards de dollars
par an et celui des mouvements internationaux de capitaux flottants, qui est
de l'ordre de 80 à 100 000 milliards, soit trente fois plus important.
Bien entendu, la gestion capitaliste de la crise fait, d'une manière générale, des victimes parmi les classes populaires et les sociétés les plus vulnérables du système mondial. Celles-ci sont soumises à ce que les
institutions de Bretton Woods ont qualifié « d'ajustement structurel ».
Terme tout à fait impropre puisqu'il ne s'agit que d'un ajustement conjoncturel dont l'objectif exclusif est d'assurer le service de la dette; un ajustement de surcroît unilatéral - celui des faibles soumis aux logiques
fonctionnant au profit exclusif des forts - alors que la sortie de la crise (et
non sa seule gestion) exigerait des ajustements multilatéraux des uns et des
autres. Les dévastations sociales et politiques produites par cette gestion de
la crise sont trop connues pour que j'y revienne ici.
J'envisagerai maintenant, dans ce cadre, les fonctions remplies par les
institutions de Bretton Woods, successivement dans la phase d'essor de
l'après-guerre (1945-1971) puis dans la gestion de la crise (1971-1995).
Le Fonds monétaire international
A l'origine le FMI avait le mandat d'assurer la stabilité monétaire dans
une économie mondiale ouverte, se substituant à l'étalon-or, qui avait rempli ces fonctions avec succès jusqu'à la première guerre mondiale. Dans la
première période de son existence, le FMI a donné l'impression d'une certaine efficacité, contribuant au rétablissement de la convertibilité des monnaies européennes (1948-1957) puis à l'ajustement de ces économies
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
41
(1958-1966). Mais à partir de 1967, il échoue à maintenir la stabilité, en
dépit de la création des droits spéciaux DTS (à partir de cette date les ajustements de parité se succèdent: dévaluation de la livre et du franc, réévaluation du Mark et du yen, flottement du prix de l'or, etc.). Lorsque le
système de flottement général des monnaies a été adopté, à partir de 1973,
on peut dire que le mandat de Bretton Woods a pris fin.
L'existence du FMI était alors remise en cause de ce fait même. L'institution a survécu grâce à des fonctions nouvelles: la gestion de l'ajustement
structurel unilatéral des pays en développement puis, à partir de la fin des
années 1980, l'intervention dans les pays de l'Est s'assignant l'objectif de
leur réintégration dans le système monétaire international.
- Le FMI (comme l'autre institution de Bretton Woods, la Banque mondiale) a été conçu de manière à assurer aux États-Unis un contrôle sans partage sur ces interventions. A cette fin les États-Unis ont préféré une
institution affaiblie (en rejetant l'option Banque centrale mondiale
défendue par Keynes) mais dépendante d'eux, à une institution plus efficace, mais dont ils auraient dû partager la responsabilité avec d'autres.
C'est pourquoi les ressources du FMI ont toujours été limitées, en dépit de
ses emprunts. Le FMI peut remplir peut-être, si on le désire, des fonctions
de « catalyseur» (en définissant, par exemple, les règles de la conditionnalité), mais guère plus.
- Si le FMI, en dépit de la logique de son mandat, n'est jamais parvenu
à s'imposer aux grandes puissances capitalistes, qu'elles soient excédentaires ou déficitaires (notamment les États-Unis), en les contraignant à des
réajustements structurels aussi durs que ceux qu'il impose aux pays du
Tiers monde, c'est bien pour la raison invoquée dans le paragraphe précédent.
- Les politiques d'ajustement imposées unilatéralement aux partenaires
du Tiers monde répondent à ces exigences de gestion de la crise. Il ne s'agit
pas « d'erreurs» ou de divagations produites par l'adhésion à une idéologie
absurde. Le FMI n'a rien fait pour empêcher l'endettement excessif des
années 1970, parce que cet endettement était fort utile comme moyen de
gérer la crise et la surabondance de capitaux oisifs qui l'accompagnait. La
logique de l'ajustement veut donc que prévale la liberté des mouvements de
capitaux, fût-ce au prix de la contraction de la demande par la réduction des
salaires et des dépenses sociales, la libéralisation des prix et la suppression
des subventions, les dévaluations, etc., et donc d'un recul des perspectives
de développement. Les discours d'usage tenus par ces mêmes institutions
qui, dans les faits, font prévaloir la gestion de la crise sur toute autre considération, les larmes qu'elles versent à cette occasion sur les« pauvres », les
incantations en faveur d'une« relance de l'offre» ne sont rien d'autre que
des discours. Il n'y a pas lieu de leur accorder la moindre crédibilité.
- Les interventions dans les pays de l'Est répondent à une logique politique. La brutalité des mesures vise des objectifs politiques clairs: le
démantèlement des appareils productifs des pays de l'Europe de l'Est et de
l'ex-URSS, de manière à les réintégrer dans le capitalisme mondial en qualité de périphéries subordonnées et non de partenaires égaux, comme elle
42
REPENSER BRETTON WOODS
vise la démoralisation des classes travailleuses et le renforcement des nouvelles bourgeoisies compradore. Elle s'emploie également à démanteler les
pays en question - URSS, Russie, Yougoslavie, Tchécoslovaquie - et à briser les solidarités économiques entre eux. C'est pourquoi, alors que le plan
Marshall avait soutenu l'amorce de la constitution de ce qui deviendra plus
tard l'Europe de la CEE, encourageant la coopération entre les pays de la
région, la politique occidentale s'est employée ici, en Europe de l'Est, à
accélérer la désagrégation de l'ex-CMEA (appelé Comecom), fût-ce évidemment en rendant la reconversion des économies de la région plus difficile. Je fais observer à cet égard que les solutions préconisées sont brutales
à l'extrême puis qu'on veut rétablir la convertibilité des monnaies en une ou
quelques années au plus, alors que l'Europe de l'Ouest a mis quinze ans
après 1945 pour y parvenir.
La Banque mondiale (et les autres grandes institutions internationales de financement du développement)
Il s'agit ici d'une constellation d'institutions, dont celle créée à Bretton
Woods (la BIRD à l'époque, s'élargissant progressivement en Banque mondiale par la création de l'AID), celles créées par les Nations unies (le
PNUD, les institutions spécialisées, FAO, Unesco, ONUDI, CNUCED, les
commissions régionales, etc.) et celles associées à la construction européenne (les accords CEE-ACP, etc.) L'ensemble de ces institutions ont
connu leur beaux jours à « l'époque de Bandoung » (de 1955 à 1975), lorsque triomphait l'idéologie du développement. Elles sont entrées en crise
lorsque le projet national bourgeois qui définit Bandoung s'est érodé, puis
effondré et que simultanément le système de l'accumulation du capital
entrait en crise à l'échelle mondiale.
Par le volume global des fonds gérés, la Banque mondiale vient largement
en tête du groupe, avec 290 milliards $EU de transferts opérés par ses soins
de l'origine à 1992, un volume d'engagements annuels qui aujourd'hui
dépasse les vingt milliards. Il faut leur ajouter les quelque onze milliards
annuels désormais déboursés par les banques régionales de développement.
Par comparaison, l'ensemble du système des Nations unies reste marginal:
six milliards d'engagements en 1990. Lorsque ce système a tenté de s'ériger en « rival» de la Banque mondiale, comme l'IFDA (Fonds pour le
développement de l'agriculture créé par la FAO en 1978), il a dû finir par
capituler.
Il reste que les institutions de l'ONU ont rempli des fonctions politiques
et idéologiques essentielles qui ont précisément été au service du projet de
Bandoung des pays du Tiers monde entre 1955 et 1975. Le rôle de l'ECLA
et de Paul Prebisch, pionnier de ce qui allait devenir l'idéologie du développement, et celui de la CNUCED qui a largement contribué à permettre
la cristallisation du projet de nouvel ordre économique international
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETfON WOODS
43
(NOEI) proposé en 1975 par l'ensemble du Tiers monde, n'ont pas été
négligeables. Les initiatives de ces institutions n'ont sans doute guère eu
d'influence sur les politiques de la Banque mondiale, mais elles ont par contre influencé de manière évidente les efforts du PNUD et des institutions
spécialisées, dans leurs beaux jours.
Toujours est-il que ces temps sont révolus. L'idéologie du développement
est morte, avec la mort du projet de Bandoung (le « rattrapage» par la construction nationale modernisée autonome dans l'interdépendance). L'heure
est à la « recompradorisation » des périphéries. La Banque mondiale consacre un Tiers de ses moyens aux programmes dits sectoriels d'ajustement
qui sont le complément nécessaire des stratégies mises en œuvre par le
FMI, sous la houlette du G7 et de l'administration américaine.
L'histoire de la Banque mondiale était pourtant étroitement liée à celle de
l'expansion du projet « développementaliste » du Tiers monde. Car on sait
qu'en ce qui concerne la reconstruction européenne, Washington s'était
directement substitué à la Banque par la gestion du fameux plan Marshall.
L'expansion de la Banque a pris sa véritable ampleur tardivement, sous la
direction de Mac Namara (1968-1981), alors que le système mondial entrait
en crise.
La Banque ne s'est jamais considérée comme une «institution
publique », concurrente, voire en conflit possible, avec le capital privé (les
multinationales), mais comme un agent chargé de soutenir leur pénétration
dans le Tiers monde. Les projets qu'elle a contribué à financer ont ouvert de
larges marchés aux fournisseurs d'équipement, et l'opacité la plus totale
règne dans ce domaine. On sait pourtant non seulement que ces marchés ont
été importants pour les multinationales, mais aussi qu'ils ont été particulièrement juteux. Les coûts des opérations de la Banque ont toujours été largement supérieurs à ceux d'opérations analogues conduites par les autorités
nationales et certaines agences d'aide bilatérale (notamment des pays de
l'Est) ou multilatérale. Face à ces surcoûts, l'avantage des prêts à des taux
de concession fait pâle figure.
Les interventions de la banque s'articulaient directement à celles des
multinationales dans les domaines miniers. La Banque fonctionnait ici
comme « assureur» contre le risque de nationalisation, et subventionnait
indirectement les compagnies minières par la prise en charge de travaux
d'infrastructure (routes, électrification, chemins de fer miniers, ports).
Dans l'agriculture, la Banque s'est attachée à briser l'autonomie du monde
paysan, cassant l'économie de subsistance par le soutien à des formes de
crédit conçues à cette fin, soutenant - à travers la fameuse « révolution
verte» - la différenciation sociale au sein du monde rural. Dans d'autres
domaines, la Banque a rempli des fonctions non moins importantes pour
accentuer l'intégration dépendante des économies du Tiers monde. Elle a
promu systématiquement l'utilisation de la route (contre le chemin de fer),
ouvrant le marché aux importations de pétrole et promouvant la
dépendance pétrolière (qui n'est pas sans effet sur le déficit commercial de
nombreux pays). Elle a promu l'exploitation forestière, destinée à l'exportation, fût-ce au détriment scandaleux de l'écologie et de l'avenir des pays
44
REPENSER BRETTON WOODS
ravagés. Par contre, et logique avec elle-même, la Banque a fort peu contribué à l'industrialisation, même de ceux des pays dont elle vante
aujourd'hui les réalisations (la Corée du Sud par exemple) qui ont été faites
contre ses « préceptes» (ouvrir l'industrie aux capitaux étrangers, ne pas
subventionner, etc.).
Bien entendu la stratégie globale de la Banque, ouvertement associée à
celle du capital dominant mondialement, ne s'est jamais préoccupé - ni
avant 1980, ni après - des «pauvres» comme on dit aujourd'hui. Elle ne
s'est pas davantage préoccupée d'environnement, en dépit des discours
qu'elle peut tenir sur le sujet. La destruction systématique des «terres
communales» qu'elle a toujours soutenue, comme la déforestation, s'est
faite au détriment et de l'écologie et de la majorité des classes populaires.
L'ensemble des institutions de« financement du développement» considérées ici, auxquelles il faudrait ajouter tous les fonds d'aide bilatéraux,
beaucoup plus importants en fait, n'a constitué qu'une fraction, non négligeable certes mais néanmoins mineure, du marché des capitaux, même si
l'on réduit celui-ci aux capitaux dirigés vers le Tiers monde. Ce marché se
décompose à son tour en deux sous-ensembles distincts : le marché des
capitaux qui cherchent à s'investir dans des activités productives (mines,
pétrole et énergie, agriculture, industrie, transports et communications, travaux et construction, services hôteliers, touristiques et autres) et celui des
capitaux flottants à la recherche de placements financiers courts.
Le premier de ces marchés n'a pas été négligeable pour les capitaux américains, japonais, et accessoirement européens, notamment dans les années
1970, lorsque la« délocalisation » battait son plein. L'Europe riche par contre a investi ici de préférence dans ses marges en retard (Italie, Espagne,
etc.), plus que dans ses zones de dépendance directe. Ceci explique le rôle
particulier des accords de Lomé (l'association CEE-ACP) dans le façonnement du développement en Afrique subsaharienne. Par le soutien apporté
aux exportations traditionnelles primaires (agricoles et minières) et le préjugé défavorable à l'industrialisation, ces accords ont une part de responsabilité importante dans la marginalisation ultérieure du continent (cf.
Mondialisation et accumulation, chap. III de B. Founou, également,
S. Amin, La Faillite du développement, Paris, L'Harmattan, 1989, chap.
IV).
Le marché des capitaux flottants, devenu gigantesque par comparaison au
premier à partir des années 1970, n'intéresse que très marginalement le
Tiers monde. Encore qu'une fraction majeure désormais des capitaux constitués dans de nombreuses régions du Tiers monde (l'Amérique latine,
l'Afrique, le Moyen-Orient) soit collectée par ce marché, grâce à la libéralisation et à la mondialisation financières et bancaires. Par contre, les placements de l'ensemble de ces capitaux errent d'une métropole financière à
une autre, et visitent peu les systèmes financiers du Tiers monde. Les choses
sont peut-être en voie de changer dans ce domaine, pour ce qui est de quelques pays du Tiers monde qui attireraient à nouveau les capitaux. La Banque mondiale et d'autres mettent en exergue ce fait, sans mentionner que la
plupart des « entrées de capitaux» considérés sont de la nature de place-
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
45
ments financiers qui ne cherchent pas à s'investir dans la production. La fragilité de l'équilibre extérieur obtenu dans ces conditions interdit de voir
dans ce mouvement l'amorce d'un « développement durable» (sustainable).
L'organisation du commerce mondial
Après les institutions monétaires et le marché des capitaux, il nous faut
examiner la troisième dimension du volet du système qui concerne les
échanges commerciaux, régis désormais par l'Organisation mondiale du
commerce (OMC) et le projet d'accord multilatéral sur les investissements
(AMI).
Les principes qui sont à l'origine du GATT et dont l'OMC est l'héritière
sont ceux de l'ouverture et du libre-échange: favoriser le multilatéralisme
(plutôt que le bilatéralisme) dans les échanges, bannir l'agressivité des
exportateurs (le dumping), réduire les tarifs et prohiber d'autres formes de
restrictions quantitatives (avouées par les contingentements, ou cachées par
des pratiques déloyales prétextant de règlements sanitaires ou administratifs non fondés).
Les partisans de ce système fondent leur plaidoyer sur l'idée - simple
mais fausse - que le libre-échange favorise l'expansion du commerce et que
celle-ci favorise à son tour la croissance. L'histoire ne démontre pas la justesse de ces propositions. L'expansion des échanges - notamment au cours
de l'après-guerre - a été plutôt la conséquence de la croissance forte de la
période (due pour l'essentiel aux trois sous-systèmes du triptyque considéré
plus haut) que sa cause.
Les gouvernements du Tiers monde sont dans l'ensemble des défenseurs
des principes fondamentaux du libre-échange. On comprend leurs raisons:
pour les pays du Tiers monde entrés dans l'ère industrielle, l'accès aux marchés du Nord est possible (ils sont compétitifs) et vital (pour payer leurs
importations de technologie, etc.), quant aux pays du quart-monde restés
exportateurs de produits primaires, ils n'y perdent rien, mais peuvent y
gagner. Cette vision à court terme, propre aux bourgeoisies compradore de
la périphérie, l'emporte toujours sur des considérations à long terme, qui
n'ont jamais eu d'écho ailleurs que dans l'aile radicale des mouvements de
libération nationale.
Mais si les gouvernements du Tiers monde défendent le principe du libéralisme, ils le font parce qu'ils savent qu'en dépit des discours des organisations en question, la pratique n'est pas conforme à ces principes, loin de là.
En fait le véritable programme d'un libéralisme authentique à l'échelle
mondiale était celui que le Groupe des Soixante-Dix-Sept et des non-alignés avait proposé en 1975 sous le nom de NOEI qui comportait:
- l'ouverture des marchés du Nord aux exportations industrielles du Sud
(le Nord y a répondu par l'exclusion des textiles des règles du GATT !) ;
46
REPENSER BRETTON WOODS
l'amélioration des termes de l'échange pour les produits agricoles tropicaux et les produits miniers (une bonne manière de protéger l'environnement, sur lequel le GAIT puis l'OMC sont restés silencieux 1) ;
- un meilleur accès au financement international (auquel on a répondu
par la libéralisation bancaire qui organise le transfert des capitaux du Sud
vers le Nord !) ; et
- des conditions plus normales pour le transfert des technologies (auquel
on a répondu par le renforcement des monopoles au nom de la soi-disant
propriété« intellectuelle» !). D'une manière générale, comme on le sait, le
Nord unanime a rejeté le projet de NOEI. (Cf. La Faillite du développement, op. cit., chap. II.)
Disons-le clairement, le dénominateur commun à l'ensemble des puissances occidentales, dans toute cette affaire, définit une hostilité visible à
l'égard du Tiers monde. Le véritable objectif de l'Uruguay Round était ici
de freiner la compétitivité du Tiers monde industrialisé, fût-ce au détriment
des sacro-saints principes du libéralisme, de renforcer les «cinq monopoles » des centres dominants sur lesquels je reviendrai plus loin. Dans ce
domaine comme ailleurs et toujours, deux poids deux mesures.
Les exemples ne manquent pas.
- Il est significatif que les textiles aient été exclus de la gestion OMC du
commerce mondial (cette exclusion« provisoire », par l'accord multifibres,
dure depuis 25 ans !), comme les produits agricoles (dont les oléagineux
tropicaux concurrents de ceux des pays tempérés), les produits miniers, etc.
En contrepartie, les tolérances consenties aux préférences que les pays en
développement peuvent s'accorder entre eux sont réellement une faible
concession.
- L'attaque conduite contre les moyens par lesquels les pays du Tiers
monde tentent de contraindre les multinationales opérant sur leur territoire
à jouer véritablement le jeu de la concurrence et à soutenir le développement du pays (les clauses de contenu national minimal imposé à leurs productions, d'exportations minimales, etc.). Lorsque les multinationales
cherchent ici non la concurrence (par l'exportation), mais le renforcement
de leur position de monopole sur le marché local, voilà que l'OMC vient à
leur secours. La logique du fameux TRIM intégré à l'Uruguay Round n'est
rien d'autre.
- L'offensive conduite, dans le cadre du TRIP, destinée non à renforcer la
concurrence, mais au contraire à donner plus de moyens aux monopoles
technologiques, au détriment bien entendu des pays en développement,
dont l'acquisition des technologies nécessaires à leur progrès est rendue
plus aléatoire encore qu'elle n'est... Les «secrets commerciaux» que
l'OMC veut inclure dans cette rubrique nous ramèneront-ils aux pratiques
monopolistiques du mercantilisme d'il y a trois siècles? Le langage, même
utilisé à cette fin, n'est pas neutre. On ne parle plus de la connaissance, bien
commun de l'humanité, mais de «piraterie» quand on cherche à
l'acquérir! Cette politique frise parfois l'indécence: on veut ainsi interdire
au Tiers monde d'accéder à la fabrication de produits pharmaceutiques bon
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
47
marché, d'une importance vitale au sens plein du terme, pour protéger les
surproduits des monopoles dans ce domaine.
- Alors qu'on développe dans les médias dominants un discours « contre
la corruption », l'OMC veut interdire aux pays du Tiers monde le contrôle,
par leurs inspecteurs, des prix facturés par les exportateurs occidentaux, un
moyen idéal à la fois pour le transfert des capitaux (illégal, échappant à
l'impôt) et la corruption.
- L'offensive conduite en direction de l'ouverture des marchés aux opérations des banques et assurances occidentales vise, elle, à accélérer le
transfert des capitaux du Sud vers le Nord.
- La négociation en cours, au sein du groupe des pays de l'OCDE à
l'exclusion des autres (en dépit du transfert apparent du dossier de l' OMC),
portant sur l'accord multinational sur les investissements constitue un scandale trop connu pour que je fasse ici plus que le signaler.
L'OMC est loin d'être « au service de la concurrence loyale» comme
elle le prétend. C'est en fait une organisation intégralement soumise aux
multinationales. C'est aussi l'institution la plus opaque qu'on puisse
imaginer; ses réunions sont secrètes, derrière elle se profile toujours
l'ombre de la chambre internationale de commerce (le Club des plus grosses multinationales). Il n'est pas étonnant alors de voir l'OMC ignorer
superbement toute préoccupation de « développement durable» (sustainahie), réservée aux discours dans d'autres enceintes; d'ignorer aussi superbement l'environnement, en protestant contre toute réglementation de
l'exploitation minière, au détriment de l'avenir.
Face à ce front commun de l'OMC vis-à-vis du Tiers monde, les divergences qui ont opposé en son sein les grands partenaires occidentaux,
remises à leur place, n'ont pas l'importance que les médias dominants silencieux sur le reste - ont donné à ces conflits. Beaucoup de ceux-ci sont
d'ailleurs « réglés à l'amiable» entre monopoleurs concurrents, par la pratique des partages de marché ou des «restrictions volontaires» d'exportation, en conflit avec le dogme du libéralisme! D'autres conflits, par
contre, ont permis à l'arrogance des États-V nis de s'exprimer ouvertement.
Parmi ceux-ci :
- le conflit entre les États-Vnis, la CEE et le Japon concernant les subventions agricoles (l'accord dit de Blair House) est le plus connu d'entre
eux. Sans doute l'Europe de la CEE est-elle parvenue à devenir non seulement autosuffisante au plan alimentaire, mais encore exportatrice, en pratiquant une véritable «déconnexion» de ses prix par rapport à ceux du
marché mondial, ce qu'elle interdit aux pays du Tiers monde! Sans doute
le Japon (et la Corée) souhaitent-ils conserver leur autonomie alimentaire
en protégeant leurs producteurs de riz. Mais quid des subventions américaines à son agriculture, bien antérieures au Programme agricole commun de
la CEE !
- les conflits portant sur les secteurs dits « subventionnés », notamment
l'aéronautique, mettent en exergue les subventions ouvertes octroyées à
l'aviation civile, mais passent sous silence les subventions déguisées gigan-
48
REPENSER BRETTON WOODS
tesques par lesquelles les programmes militaires soutiennent l' aéronautique américaine ;
- en matière de technologie, les États-Unis se réservent toujours le
moyen de protéger la leur, au nom de la «sécurité », mais réclament
l'ouverture des autres pays à leur espionnage technologique, considérant la
résistance dans ce domaine comme «inacceptable» et menaçant alors
l'adversaire de mesures de rétorsion par les fameux articles super 301 et
301 spécial.
Mais parce qu'ils concernent directement les multinationales et non les
États, les conflits dans ces domaines opposent moins ces derniers qu'il ne
le semble. Dans la plupart des cas« l'opinion» est ici divisée, rangée dans
chaque pays derrière les intérêts particuliers favorables ou défavorables aux
thèses en conflit à 1'0Me.
L'amorce de l'effondrement du système de gestion de la crise (à
partir de 1995)
Si la gestion de la crise analysée plus haut a été catastrophique pour les
classes travailleuses et les peuples des périphéries, elle ne l'a pas été pour
tous. Cette gestion a été fort juteuse pour le capital dominant.
Les transferts de capitaux du Sud vers le Nord ont plus que triplé au cours
des deux dernières décennies, passant de 441 milliards $EU, moyenne
annuelle 1972-1976, à 1 364 milliards, moyenne annuelle 1992-1995 (cf.
Pablo Gonzalez Casanova, Global exploitation, Mexico, mimeog, 1998).
Or il ne s'agit pas là d'un fait produit par une conjoncture passagère; c'était
bel et bien l'objectif stratégique des programmes dits d'ajustement: accentuer le pillage du Tiers monde, il n'y a pas d'autre qualification possible.
L'inégalité dans la répartition sociale du revenu, dont l'accélération a été
phénoménale presque partout dans le monde, si elle a créé beaucoup de
pauvreté, de précarité et de marginalisation pour les uns, a fabriqué aussi
beaucoup de nouveaux milliardaires, ceux qui, sans gêne aucune, proclament « vivre la mondialisation heureuse ».
On nous avait présenté pendant des années le retour à un « capitalisme pur
et dur» comme constituant la« fin de l'histoire ». Or voilà que la gestion de
ce système - frappé d'une crise permanente - dans le cadre néolibéral mondialisé prétendu « sans alternative », est entrée dans la phase de son effondrement. En l'espace de quelques années à peine, le mythe absurde que la
liberté des marchés allait résoudre les problèmes sociaux et enraciner la
démocratie s'est effondré. Les luttes sociales du travail reprenaient ici et là.
Le discours arrogant du néolibéralisme avait déjà pris du plomb dans l'aile.
Simultanément l'extension de l'aire de la mondialisation financière, dans
laquelle entraient la Russie et les pays du Sud-Est asiatique à partir de la
seconde moitié des années 1990, devait conduire en quelques années aux
faillites financières des pays en question, amorçant par là même, l'effon-
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
49
drement d'un pan entier du système, celui de la mondialisation financière.
Ces crises «économiques» s'accompagnaient de crises politiques qui, de
la Russie à l'ex-Yougoslavie, en passant par l'Afrique centrale et le MoyenOrient paraissent de plus en plus « sans solution» dans le cadre de la gestion politique de la mondialisation en question.
La crise des pays de l'Asie du Sud-Est et de la Corée était prévisible et
avait été prévue par les analystes critiques originaires des pays en question.
Dans un premier temps à partir des années 1980, ces pays, mais aussi la
Chine, ont su tirer profit de la crise mondiale en s'insérant davantage dans
la mondialisation des échanges (par leur «avantage relatif» de maind' œuvre bon marché), faisant appel à l'investissement étranger, mais en restant à l'écart de la mondialisation financière et en inscrivant leurs projets de
développement dans une stratégie maîtrisée nationalement (pour ce qui est
de la Chine et de la Corée, pas les pays du Sud-Est asiatique). A partir des
années 1990, la Corée et le Sud-Est asiatique se sont progressivement
ouverts à la mondialisation financière, tandis que la Chine et l'Inde amorçaient une évolution dans ce sens. Attirés par les taux de croissance élevés
de la région, les surplus de capitaux étrangers flottants ont alors afflué, produisant non pas l'accélération de la croissance, mais une inflation des
valeurs mobilières et des investissements immobiliers. Comme cela avait
été prévu, la bulle financière a explosé quelques années plus tard seulement.
Les réactions politiques qui se dessinent face à cette grande crise sont à
plus d'un titre intéressantes et nouvelles (au sens qu'elles sont fondamentalement différentes de celles occasionnées par les crises du Mexique par
exemple). Les États-Unis et, dans leur sillage le Japon, tentent de mettre à
profit la crise coréenne pour démanteler son système productif (sous le prétexte fallacieux qu'il est contrôlé par des oligopoles !) et de le subordonner
aux stratégies des oligopoles américains et japonais. Les pouvoirs dans la
région tentent de résister par la remise en question de leur insertion dans la
mondialisation financière (rétablissement du contrôle des changes en
Malaisie), ou - en ce qui concerne la Chine et l'Inde - en supprimant de
l'ordre du jour leur participation à celle-ci. C'est cet effondrement du plan
financier de la mondialisation qui a contraint le G7 à envisager une nouvelle
stratégie, ouvrant une crise dans la pensée libérale.
La crise russe d'août 1998 n'est pas le produit d'une« transmission» de
celle de l'Asie du Sud-Est, comme on l'écrit souvent. Elle était également
prévisible (et prévue), parce qu'elle est le produit des politiques mises en
œuvre depuis 1990. Celles-ci ont donné au capital dominant à l'échelle
mondiale, directement et à travers son alliance avec les « intermédiaires»
commerciaux et financiers russes, l'occasion de développer une stratégie de
pillage des industries du pays (par le transfert massif du surplus généré par
celles-ci aux intermédiaires et au capital étranger). La destruction de pans
enTiers des capacités productives du pays - et la perspective de sa réduction
au statut d'exportateur des produits pétroliers et miniers - vise également
des objectifs géostratégiques. Au-delà du délabrement social qu'elle provoque, celle-ci prépare un terrain favorable à un éventuel démantèlement politique du pays, faisant suite à celui de l'ex-URSS. Car pour les États-Unis,
50
REPENSER BRETION WOODS
la Russie comme l'Inde et la Chine sont des pays « trop grands» (seuls les
États-Unis sont autorisés à être un grand pays), une menace (fût-elle à
terme) à leur hégémonisme. La marche de ce système vers la crise a été
accélérée lorsque, à partir des années 1994-1996, la Russie est entrée dans
la mondialisation financière. Mais il est intéressant ici également d'observer que la réaction politique à cette crise -la neutralisation relative des pouvoirs de Eltsine - amorcera peut-être un revirement dans la stratégie de la
transition au capitalisme et le rétablissement d'un minimum de contrôle
national sur celle-ci.
Les crises politiques du Moyen-Orient, dans l'ex-Yougoslavie, en Afrique centrale démontrent également que la gestion politique de la mondialisation, associée à l'hégémonisme des États-Unis, est confrontée à des
difficultés croissantes. Au Moyen-Orient, le projet américano-israélien de
création d'une zone économiquement et financièrement intégrée sous la
houlette de Washington et de Tel-Aviv, est en panne, en dépit du soutien
inconditionnel que les régimes autocratiques et les protectorats des ÉtatsUnis situés dans le Golfe (eux-mêmes désormais sous l'occupation militaire des États-Unis), lui apportent. Face à cet échec, Washington a opté
pour un soutien résolu au projet expansionniste d'Israël, quitte à violer
ouvertement les accords d'Oslo. Simultanément, les États-Unis exploitent
la situation créée par la guerre du Golfe de 1990 pour légitimer leur contrôle
militaire de la région pétrolière la plus importante du monde. Mais cela
exige d'eux une montée au créneau de l'agression contre l'Irak, comme
l'opération Renard du désert (appelée opération Monica par les Arabes) en
témoigne. Et de violer avec arrogance, à cette occasion, toutes les lois internationales. Dans l'ex-Yougoslavie, comme en Afrique centrale, le chaos
créé par les options néolibérales, encourageant sans fin les sécessionnismes
ethniques, ne trouvera sans doute aucune solution - pas même militaire dans le cadre du système néolibéral global. Je reviendrai sur ces développements plus loin.
La montée des luttes sociales, l'effondrement de pans enTiers de 'la mondialisation financière, la perte de crédibilité des discours dominants ont déjà
ouvert la crise du système néolibéral et de son idéologie. C'est à la lumière
de cette crise qu'il faut examiner le plan, ce contre-feu ouvert par le G7 à
partir de la crise de l'Asie du Sud-Est.
Voici donc que, du jour au lendemain, le G7 et les institutions qu'il commande changent de langage. Le terme de régulation, jusqu'alors interdit
d'une manière absolue, retrouve une place dans les déclarations de ces
messieurs: il faut « réguler les flux financiers internationaux! ». L'économiste en chef de la Banque mondiale, Stiglitz, propose d'ouvrir un débat en
vue de définir un nouveau « post-Washington consensus ». Le spéculateur
Georges Soros publie un ouvrage au titre éloquent3 ,qui équivaut à un plaidoyer pour « sauver le capitalisme du néolibéralisme ». Nous ne sommes
pas dupes: il s'agit là d'une stratégie qui poursuit les mêmes objectifs,
3. G. Soros, La Crise du capitalisme mondial. L'intégrisme des marchés, Paris,
Plon, 1998.
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
51
c'est-à-dire permettre au capital dominant des transnationales de rester
maître du jeu. Aucun des personnages en question n'est crédible. Tous ont
été et continuent à être les responsables de la catastrophe. On peut s'amuser
si l'on veut, en regardant chacun de ces messieurs tenter de rejeter la responsabilité de la faillite de leur système sur d'autres que lui.
C'est la raison pour laquelle j'exprimerai ici quelques réserves à l'égard
de la « taxe Tobin» proposée par certains. La spéculation financière ne
constitue que la partie émergée de l'iceberg; elle est le produit nécessaire
de l'excédent de capitaux généré par les options fondamentales en vigueur.
Contrôler la spéculation, c'est vouloir soigner le symptôme sans s'attaquer
aux causes de la maladie qui ont leur origine dans les déséquilibres sociaux
et politiques en faveur du capital dominant.
Mais ne sous-estimons pas le danger que ce contre-feu peut représenter.
Beaucoup d'âmes bien intentionnées en sont et en seront les dupes. La Banque mondiale s'emploie déjà depuis plusieurs années à instrumentaliser les
ONG pour les mettre au service de son discours de « lutte contre la pauvreté ». Face à ces plans de poursuite du projet de mondialisation libérale
dont les peuples n'ont rien à attendre, il nous faut, indépendamment de ses
promoteurs, développer nos propres propositions d'alternatives, fondées
sur les luttes sociales que seules les victimes du système peuvent conduire.
L'offensive des États-Unis et l'effacement du projet européen
On trouvera dans le magazine du New York Times du 28 mars 1999, un
article instructif concernant la stratégie politique des États-Unis. Son
contenu est résumé par une image éloquente qui occupe une page de la
revue: celle d'un gant de boxe aux couleurs américaines, accompagnée de
la légende suivante : « Ce dont le monde a besoin - la mondialisation ne
fonctionnera que si les États-Unis agissent avec toute la force invincible de
leur position de superpuissance. » Et la raison pour laquelle les coups de
poing annoncés seraient nécessaires est explicitée en ces termes: « La main
invisible du marché ne fonctionnera jamais sans le poing invisible. Mac
Donald ne peut être prospère sans Mac Donnell Douglas, qui a construit le
F15. Le poing caché qui garantit un monde sûr pour la technologie de Silicon Valley s'appelle l'armée, l'aviation, la marine et le Marine Corps des
États-Unis. » L'auteur n'est pas un plaisantin provocateur, mais Thomas
Friedman, conseiller de Madeleine Albright.
Nous sommes ici fort loin des discours lénifiants sur le marché autorégulé
garant de la paix dont nous abreuvent les économistes à la mode. On appréciera au passage le choix des profits de Mac Donald comme critère des progrès de la civilisation universelle. Plus important est de faire observer que
la classe dirigeante américaine sait que l'économie est politique et que ce
sont les rapports de force - militaires inclus - qui commandent les marchés.
Il n'y aura pas de «marché mondial» sans empire militaire américain
52
REPENSER BRETION WOODS
disent-ils. Cet article n'est qu'un parmi des centaines de semblables. Si
cette franchise brutale est possible là-bas, c'est que sans doute les médias
sont suffisamment contrôlés pour que les objectifs stratégiques du pouvoir
ne soient jamais l'objet de débats, le champ de l'expression libre, jusqu'au
burlesque, n'étant ouvert que pour ce qui a trait aux personnes, et derrière
elles, aux conflits au sein de la classe dirigeante, parfaitement opacifiés
dans ces conditions. Il n'existe pas là-bas de force politique capable de
déniaiser une opinion publique manipulée sans difficulté.
Plus curieux est le silence des pouvoirs européens et de quelques autres
qui font semblant de ne pas lire la presse d'outre-Atlantique (j'ose à peine
penser qu'ils en ignorent les propos) et interdisent à leurs contradicteurs
d'évoquer l'existence même d'une stratégie globale de Washington, en les
accusant trop facilement de nourrir une vision « conspiratoire » de l'histoire ou même de se comporter en illuminés voyant se profiler partout
l'ombre du « Grand Satan ».
Pourtant la stratégie en question est limpide. Les États-Unis sont moins
convaincus que ne le sont, en apparence, leurs alliés européens des vertus de
la concurrence et du « fair play» qu'ils violent d'ailleurs impunément chaque fois que leurs intérêts sont en jeu. Washington sait que, sans son hégémonisme militaire, l'Amérique ne peut pas imposer au monde le
financement de son déficit d'épargne, condition du maintien artificiel de sa
position économique.
L'instrument privilégié de cette hégémonie est donc militaire, comme le
disent et le répètent à satiété les plus hautes autorités des États-Unis. Cette
hégémonie, qui garantirait à son tour celle de la Triade sur le système mondial, exigerait donc que leurs alliés acceptent de naviguer dans le sillage
américain, comme la Grande-Bretagne, l'Allemagne et le Japon en reconnaissant la nécessité sans états d'âme, pas même « culturels ». Mais du coup
les discours dont les politiciens européens abreuvent leurs auditoires - concernant la puissance économique de l'Europe - perdent toute portée réelle.
En se situant exclusivement sur le terrain des disputes mercantiles, sans projet propre, l'Europe est battue d'avance. On le sait bien à Washington.
Le moyen principal au service de la stratégie choisie par Washington est
l'OTAN, ce qui explique sa survie à l'effondrement de l'adversaire contre
lequel l'organisation avait été créée. L'OTAN parle aujourd'hui au nom de
la « communauté internationale », exprimant par là même son mépris du
principe démocratique qui gouverne cette communauté par le canal de
l'ONU. Dans les débats américains concernant la stratégie globale en question, il n'est que rarement question des droits de l'homme ou de la démocratie. Ceux-ci ne sont invoqués que lorsque cela est utile pour la mise en
œuvre de la stratégie globale. D'où le cynisme aveuglant et l'usage systématique de la règle « deux poids, deux mesures ». Pas question d'intervenir
en faveur de la démocratie en Afghanistan ou dans les pays du Golfe par
exemple, pas plus qu'il n'était question de gêner Mobutu hier, Savimbi
aujourd' hui et beaucoup d'autres demain. Les droits des peuples sont sacrés
dans certains cas (aujourd'hui le Kosovo, demain peut-être le Tibet),
oubliés dans d'autres (la Palestine, le Kurdistan turc, Chypre, les Serbes de
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETION WOODS
53
Krajina expulsés manu militari par le régime croate, etc.). Même le terrible
génocide du Rwanda n'a donné lieu à aucune enquête sérieuse sur la part de
responsabilité des diplomaties qui ont soutenu les gouvernements qui le
préparaient ouvertement. Sans doute les comportements odieux de certains
régimes - comme ceux de Saddam Hussein ou de Slobodan Milosevic facilitent-ils la tâche en offrant des prétextes faciles à exploiter. Mais le
silence complice dans d'autres cas ôte toute crédibilité aux discours
concernant la démocratie et les droits des peuples. On ne peut rendre plus
mauvais service aux exigences fondamentales de la lutte pour la démocratie
et le respect des peuples, sans lesquels aucun progrès n'est possible.
L'objectif avoué de cette stratégie est de ne tolérer l'existence d'aucune
puissance capable de résister aux injonctions de Washington, et pour cela de
chercher à démanteler tous les pays jugés « trop grands », comme de créer
le maximum d'États croupions, proies faciles pour l'établissement de bases
américaines assurant leur «protection ». Un seul État a le droit d'être
« grand », les États-Unis, au dire de leurs deux derniers présidents.
La méthode mise en œuvre ne se contente pas du matraquage et de la
manipulation médiatiques. Elle tente d'enfermer les peuples dans des alternatives immédiates inacceptables: accepter l'oppression, disparaître, se
placer sous le protectorat des États-Unis? Pour cela il faut faire le silence
le plus total sur les politiques qui ont conduit au drame.
Encouragés par leur succès dans la guerre du Golfe, les États-Unis se sont
alors impliqués dans les affaires européennes, en exploitant les crises yougoslaves, poursuivant différents objectifs dont la soumission de l'Union
européenne n'est pas le moindre. Il n'est pas dans mon intention de passer
sous silence les responsabilités principales des classes locales dirigeantes
éclatées, optant toutes pour le chauvinisme ethnique comme moyen de
reconstituer à leur bénéfice une « légitimité» de substitution à celle du
titisme effondré, fondé sur le progrès social et l'égalité des nations. Le nettoyage ethnique a donc été pratiqué par toutes ces classes dirigeantes tant en
Croatie (par l'expulsion des Serbes majoritaires en Krajina), qu'en Bosnie
(par chacune des trois composantes de cet État absurde - car si une coexistence est possible dans cette « petite Yougoslavie» pourquoi ne le seraitelle pas dans la grande ?) et en Serbie (Kosovo). Mais on doit constater que
l'Europe a jeté de l'huile sur le feu par la reconnaissance quasi immédiate
de l'indépendance proclamée unilatéralement par la Slovénie et la Croatie,
sans que ne soit imposée la moindre condition de respect des droits des
minorités créées par l'éclatement de la Yougoslavie. Ce choix ne pouvait
qu'encourager les régimes criminels en question. Cela avait été dit à l'époque, mais les médias ont fait le silence sur les analyses critiques de cette
politique, inaugurée, il faut le dire, par l'Allemagne, mais à laquelle la
France réticente n'a pas résisté plus de deux semaines. Par la suite les
médias ont pratiqué systématiquement le principe de « deux poids, deux
mesures », mobilisant leurs moyens pour ici dénoncer le massacre et là le
passer sous silence.
Les massacres au Kosovo, les actions provocatrices de son « armée de
libération» (valait-elle mieux, au départ, que l'ETA basque ?) ont donné le
54
REPENSER BRETION WOODS
prétexte d'une intervention systématique des États-Unis. Cette intervention
repose sur trois principes :
- la substitution brutale de l'OTAN à l'ONU comme moyen de gestion
de l'ordre international ;
- l'alignement de l'Europe sur les objectifs stratégiques de Washington;
- le choix de méthodes militaires renforçant l'hégémonisme américain
(bombardements sans risque et utilisation de troupes européennes supplétives pour une intervention éventuelle sur le terrain).
Les conséquences de ces options sont catastrophiques sur tous les plans.
Elles ont ôté toute crédibilité aux discours dominants concernant la démocratie et les droits des peuples. Elles révèlent que l'objectif stratégique vise
en fait, au-delà de la Serbie, la Russie et la Chine comme les stratèges américains ne se privent pas de l'écrire. Par là même l'OTAN, devenue ouvertement l'instrument de l'expansionnisme américain et non plus celui de la
défense européenne, met un terme aux illusions d'une «autonomie
européenne », contraignant l'Union européenne à un nouvel alignement
plus sévère encore que celui imposé dans le passé sous prétexte de « guerre
froide ».
La seule option qui aurait eu un sens pour l'Europe eût été d'inscrire sa
construction dans la perspective d'un monde multipolaire. La marge
d'autonomie qui définit cette option eût permis l'invention d'un projet
sociétaire valable socialement, dans la meilleure tradition humaniste européenne. Cette option impliquait évidemment de reconnaître à la Russie, à la
Chine et à chacune des grandes régions du Tiers monde la même marge
d'autonomie. Elle impliquait que la page de l'OTAN soit définitivement
tournée, au bénéfice de la conception d'une force défensive européenne,
graduellement intégrée au rythme des progrès de la construction politique
européenne elle-même. Comme elle impliquait la conception de modes de
régulation adéquats au niveau européen comme à celui du système mondial
se substituant aux formules dominantes de Bretton Woods, de l'OMC et de
l'AMI. En faisant l'option d'une mondialisation libérale, l'Europe a en fait
renoncé à utiliser son potentiel de compétitivité économique et s'est inscrite
dans le sillage des ambitions de Washington.
Que les États européens aient choisi cette voie révèle la fragilité du projet
européen lui-même et aussi que ce projet ne bénéficie en fait que d'une
priorité subalterne dans l'échelle des visions politiques dominantes. En fait
l'option fondamentale de la Grande-Bretagne depuis 1945 est de se consoler de la perte de son rôle impérial en le revivant par procuration à travers
les États-Unis. Celle de l'Allemagne, ayant renoncé au rêve nazi fou de
conquête du monde, est de limiter ses ambitions à la mesure de ses moyens
en reconstituant sa zone d'influence traditionnelle en direction de l'Europe
de l'Est et du Sud-Est, dans le sillage de la stratégie hégémoniste mondiale
de Washington. Pour des raisons un peu analogues le Japon - face à la Chine
et même à la Corée - inscrit également ses ambitions d'expansion strictement régionales dans cette même perspective américaine globale.
Le projet européen peut-il être sauvé de la débâcle? Les choses étant ce
qu'elles sont, le seul moyen pour remonter la pente qui conduit à rendre le
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BREITON WOODS
55
projet européen insignifiant impliquerait de la part des forces politiques qui
y sont attachées - en France, en Allemagne, en Italie - de retailler celui-ci
à la mesure du possible immédiat. C'est-à-dire à revenir à un concept plus
modeste d'une« Europe des nations », en attendant la maturation progressive d'une coopération s'approfondissant graduellement. Cela impliquerait
à son tour une approche amicale - et non agressive - à l'égard de la Russie,
de la Chine et du Tiers monde, et, dans ce cadre, une réanimation des fonctions de l'ONU. Encore une fois ce n'est pas l'option faite par les gouvernements européens, y compris les socialistes majoritaires. La priorité
donnée à la gestion ultraconservatrice d'une monnaie commune illusoire, le
soutien au libéralisme mondialisé et à la stratégie hégémoniste américaine
s'inscrivent contre le projet d'un monde multipolaire et conduisent aux
pires catastrophes pour l'Europe comme pour le reste du monde.
S'aligner sur cette stratégie des États-Unis et de leurs alliés subalternisés
de l'OTAN a des conséquences dramatiques. L'ONU est déjà en passe de
subir le sort de la SDN. Car bien que d'évidence - et fort heureusementla société américaine n'est pas celle de l'Allemagne nazie, pour les dirigeants de Washington comme naguère pour ceux de Berlin, la force est érigée en principe suprême, au mépris du droit international auquel le discours
dominant a substitué un curieux «devoir d'ingérence» qui rappelle
fâcheusement la « mission civilisatrice» de l'impérialisme du XIXe siècle.
Le combat pour la démocratie restera parfaitement inefficace s'il s' accompagne par la soumission à l'hégémonisme américain. Combattre pour la
démocratie et contre l'hégémonie de Washington est indissociable.
Les cinq monopoles de la Triade et les formes d'avenir de la
polarisation mondiale
La position d'un pays dans la pyramide mondiale est définie par le niveau
de la compétitivité de ses productions sur le marché mondial. La reconnaissance de ce truisme n'implique en aucune manière qu'on partage le point de
vue banalisé de la vulgate économiste, à savoir que cette position est conquise par la mise en œuvre de politiques économiques« rationnelles », dont
la rationalité est précisément mesurée à l'aune de sa soumission aux prétendues« lois objectives du marché ». Tout à fait à l'opposé de ces billevesées admises comme allant de soi, je prétends que la « compétitivité» en
question est le produit complexe d'un ensemble de conditions opérant dans
le champ d'ensemble de la réalité - économique, politique et sociale - et
que, dans ce combat inégal, les centres mettent en œuvre ce que j'appelle
leurs « cinq monopoles» articulant l'efficacité de leurs actions. Ces cinq
monopoles interpellent donc la théorie sociale dans sa totalité, et sont, à
mon avis:
- les monopoles dont bénéficient les centres contemporains dans le
domaine de la technologie; des monopoles qui exigent des dépenses gigan-
56
REPENSER BREITON WOODS
tesques, que seul l'État -le grand et riche État - peut envisager de soutenir.
Sans ce soutien - que le discours libéral passe toujours sous silence - et singulièrement le soutien aux dépenses militaires, la plupart de ces monopoles
ne pourraient être maintenus;
- les monopoles opérant dans le domaine du contrôle des flux financiers
d'envergure mondiale. La libéralisation de l'implantation des institutions
financières majeures opérant sur le marché financier mondial a donné à ces
monopoles une efficacité sans précédent. Il n'y a pas encore longtemps, la
majeure fraction de l'épargne dans une nation ne pouvait circuler que dans
l'espace - généralement national- commandé par ses institutions financières. Aujourd'hui il n'en est plus de même: cette épargne est centralisée par
l'intervention d'institutions financières dont le champ d'opération est
désormais le monde entier. Elles constituent le capital financier, le segment
le plus mondialisé du capital. Il reste que ce privilège est assis sur une logique politique qui fait accepter la mondialisation financière. Cette logique
pourrait être remise en cause par une simple décision politique de
déconnexion, fût-elle limitée au domaine des transferts financiers. Par
ailleurs, les mouvements libres du capital financier mondialisé opèrent dans
des cadres définis par un système monétaire mondial fondé sur le dogme de
la libre appréciation de la valeur des devises par le marché (conformément
à une théorie selon laquelle la monnaie serait une marchandise comme les
.autres) et sur la référence au dollar comme monnaie universelle de facto. La
première de ces conditions est sans fondement scientifique et la seconde ne
fonctionne que faute d'alternative. Une monnaie nationale ne peut remplir
les fonctions d'une monnaie internationale d'une manière satisfaisante que
si les conditions de la compétitivité internationale produisent un excédent
structurel d'exportation du pays dont la devise remplit cette fonction, assurant le financement par ce pays de l'ajustement structurel des autres. C'était
le cas au XIXe siècle de la Grande-Bretagne. Ce n'est pas le cas des ÉtatsUnis aujourd'hui qui, au contraire, financent leur déficit par leurs emprunts
qu'ils imposent aux autres. Ce n'est pas non plus le cas des concurrents des
Etats-Unis, les excédents du Japon (ceux de l'Allemagne ayant disparu
après l'unification) étant sans commune mesure avec les besoins financiers
que l'ajustement structurel des autres exige. Dans ces conditions, la mondialisation financière, loin de s'imposer « naturellement », est au contraire
d'une fragilité extrême. A court terme, elle n'engendre qu'une instabilité
permanente et non pas la stabilité nécessaire pour que les processus d'ajustement puissent opérer efficacement;
- les monopoles opérant dans l'accès aux ressources naturelles de la planète. Les dangers que l'exploitation insensée de ces ressources font désormais courir à la planète, et que le capitalisme - qui est fondé sur une
rationalité sociale à court terme sans plus - ne peut surmonter, renforcent la
portée du monopole des pays déjà développés, qui s'emploient à simplement éviter que leur gaspillage ne s'étende aux autres;
- les monopoles opérant dans les champs de la communication et des
médias qui non seulement uniformisent par le bas la culture mondiale qu'ils
véhiculent, mais encore ouvrent des moyens nouveaux à la manipulation
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETION WOODS
57
politique. L'expansion du marché des médias modernes est déjà l'une des
composantes majeures de l'érosion du concept et de la pratique de la démocratie en Occident même.
- enfin, les monopoles opérant dans le domaine des armements de destruction massive. Limité par la bipolarité de l'après-guerre, ce monopole est
à nouveau l'arme absolue dont la diplomatie américaine se réserve seule
l'usage, comme en 1945. Si la « prolifération» comporte des dangers évidents de dérapage, à défaut d'un contrôle mondial démocratique d'un
désarmement vraiment mondial, il n'y a pas d'autre moyen par lequel ce
monopole inacceptable peut être combattu.
Pris ensemble ces cinq monopoles définissent le cadre dans lequel la loi
de la valeur mondialisée s'exprime. Loin d'être l'expression d'une rationalité économique «pure », qu'on pourrait détacher de son cadre social et
politique, la loi de la valeur est l'expression condensée de l'ensemble de ces
conditionnements. Je soutiens ici que ces conditionnements annulent la
portée de l'industrialisation des périphéries, dévaluent le travail productif
incorporé dans ces productions tandis qu'elles surévaluent la prétendue
valeur ajoutée attachée aux activités par lesquelles opèrent les monopoles
nouveaux au bénéfice des centres. Ils produisent donc une nouvelle hiérarchie dans la répartition du revenu à l'échelle mondiale, plus inégale que
jamais, subalternisent les industries de la périphérie et les réduisent au statut d'activités de sous-traitance. La polarisation trouve ici son fondement
nouveau appelé à commander ses formes d'avenir.
Scenarii d'avenir conformes à la logique immanente du système
Immanuel Wallerstein imagine que, dans le chaos durable dans lequel le
monde est installé (et nous partageons largement l'analyse des raisons de ce
chaos), la contradiction principale opposera désormais deux centres en
compétition violente: les États-Unis (qui auraient déjà perdu la position
hégémonique qui fut la leur de 1945 à 1990, en dépit de l'espace d'autonomie relative tolérée pour l'Union soviétique) et l'Europe. Dans ce cadre, les
États-Unis et le Japon consolideront leur alliance stratégique (le Japon
n'ayant pas d'autre choix possible), entraînant derrière eux les semipériphéries d'Asie (la Chine en particulier) et d'Amérique latine, tandis que
l'Europe intégrera dans son aire de domination la nouvelle semi-périphérie
russe.
C'est un scénario qui me paraît peu probable, parce qu'il suppose que
l'Europe existe en tant que force politique unifiée, ce qui n'est pas le cas,
pour l'avenir visible tout au moins. Le plus probable donc me paraît être la
survie d'une hégémonie américaine - en dépit de ses faiblesses - chapeautant la domination collective de la Triade sur le reste du monde.
Il n'est pas difficile d'imaginer le tableau d'une mondialisation future
cohérente avec la domination de la nouvelle loi de la valeur associée aux
58
REPENSER BRETION WOODS
cinq monopoles mentionnés plus haut. Les centres dominants traditionnels
conserveraient leur avantage, reproduisant les hiérarchies déjà visibles, les
États-Unis conserveraient l'hégémonie mondiale (par leurs positions dominantes dans la recherche développement, le monopole du dollar et celui de
la gestion militaire du système), flanqués de seconds (le Japon pour sa contribution à la recherche développement, la Grande-Bretagne comme associé financier, l'Allemagne pour son contrôle de l'Europe). Les périphéries
actives de l'Asie de l'Est, de l'Europe orientale et de Russie, l'Inde, l'Amérique latine constitueraient les zones périphériques principales du système;
tandis que l'Afrique et les mondes arabe et islamique, marginalisés,
seraient abandonnés à des convulsions qui ne menacent personne d'autre
qu'eux-mêmes. Dans les centres eux-mêmes, l'accent placé sur les activités
liées aux cinq monopoles mentionnés impliquerait la gestion d'une société
«à deux vitesses» comme on le dit déjà, c'est-à-dire une marginalisation
par la pauvreté, les petits emplois et le chômage de fractions importantes de
la population.
Cette mondialisation - qui est celle qui se profile derrière les options en
cours et que le néolibéralisme tente de légitimer en la présentant comme
une «transition vers le bonheur universel» ! - n'est certainement pas
fatale. Au contraire la fragilité du modèle est évidente. Sa stabilité suppose
que les peuples acceptent indéfiniment les conditions inhumaines qui leur
sont réservées, ou que leurs révoltes demeurent sporadiques, isolées les
unes des autres, s'alimentent d'illusions (ethniques, religieuses, etc.) et
s'engagent dans des impasses. Bien entendu, la gestion politique du système par la conjonction de la mobilisation des médias et des moyens militaires s'emploiera à perpétuer cette situation, qui domine la scène
aujourd' hui.
Pour le moment, l'Europe est parfaitement alignée sur cette stratégie dans
toutes ses dimensions, politiques et militaires (substitution de l'OTAN à
l'ONU comme instance de décision et de gestion du système mondial) et
économiques. Même à l'égard de l'Afrique -longtemps« chasse gardée»
des anciennes puissances coloniales, particulièrement de la France et de la
Belgique -l'Union européenne s'est alignée sur les positions de Washington, transmises par Banque mondiale interposée, comme en témoigne le
livre vert produit par la CEE à l'occasion du renouvellement de la convention de Lomé.
Sans doute cet alignement n'exclut-il pas le redoublement des conflits
« mercantiles» entre l'Union européenne et les États-Unis qui sont devenus quotidiens (affaire d'Airbus, de la banane, de la viande aux hormones,
etc.) et dans lesquels l'arrogance des autorités de Washington ne pourra
peut-être pas être poursuivie indéfiniment. Ces contradictions me paraissent néanmoins secondaires par rapport à d'autres, appelées à s'amplifier,
qui opposeront les nouvelles périphéries (notamment celles de premier
rang, la Chine, l'Inde, peut-être demain la Russie) à la Triade dont la cohésion est maintenue par l'alignement sur Washington.
Le G7 a été constitué pour coordonner cette forme de gestion du système
mondial par les principales puissances capitalistes. On sait que son succès
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
59
dans le domaine de la stabilisation des changes a été fort limité. Gérant de
la crise, le G7 est un « exécutif mondial qui n'a aucun projet d'ensemble
pour le monde» comme l'écrit Gustave Massiah. Il s'est contenté en 1976
de mettre en place les principes de l'ajustement unilatéral de la périphérie,
en 1980 d'organiser le recyclage des pétrodollars au profit de la sphère
financière spéculative, puis d'encourager la baisse des prix des matières
premières (la raison majeure de la guerre du Golfe), en 1982 d'organiser le
rééchelonnement de la dette (mais pas de créer les conditions pour résoudre
ce problème), en 1992 d'inclure la Russie et les pays de l'Est dans les stratégies d'ajustement unilatéral, aujourd'hui de gérer la crise yougoslave.
Sans doute également la puissance hégémonique américaine a-t-elle ses
limites. Ses faiblesses structurelles sont déjà évidentes. En dépit de ses
moyens militaires extrêmement sophistiqués, cette puissance est fortement
handicapée par l'opinion publique américaine qui n'accepte la guerre que
« sans risque» - ce qui exige que des supplétifs qui, eux, acceptent les risques normaux de toute intervention, soient fournis par des alliés subalternisés. Se pose de surcroît la question du financement de ce type de guerre.
Et si, dans le cas de la guerre du Golfe, la question ne se posait pas, les États
pétroliers de la région n'ayant pas le pouvoir de refuser le financement des
opérations (et même du maintien des forces américaines sur leur territoire,
afin de les « protéger»), il n'en sera peut-être pas de même lorsque la note
sera adressée à l'Europe, à la suite de la guerre du Kosovo, et peut-être
d'autres interventions du même style, demain. C'est la raison sans doute
pour laquelle on peut, d'une certaine manière, dire que l'hégémonisme
américain est déjà en crise.
Aujourd'hui on avance souvent l'idée que cet hégémonisme militaire
n'est pas durable, parce qu'il coûte trop cher et que la société américaine
elle-même n'est pas disposée à en assumer le coût. J'émets des réserves formelles sur ces thèses pour au moins deux raisons. La première est qu'une
réduction sérieuse des dépenses militaires américaines plongerait le pays
dans une crise au moins aussi terrible que celle des années 1930. Avec
Sweezy et Magdoff, je suis de ceux qui analysent le capitalisme comme une
forme sociale engendrant en permanence une tendance à la surproduction,
la « crise» étant alors la forme normale de son état, tandis que la prospérité
est, elle, l'exception qui doit être expliquée par des raisons particulières.
Dans cette analyse, nous mettons en reliefle fait que les États-Unis ne sont
sortis de la crise des années 1930 que par leur surarmement, pendant et
après la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui leur économie est monstrueusement difforme: près du Tiers de l'activité économique dépend
directement et indirectement du complexe militaire (une proportion que
seule l'URSS avait atteinte à l'époque de Brejnev). La seconde est que
l'hégémonie paie, précisément par le privilège que le dollar, monnaie mondiale, assure. Accepter donc pour Washington une réduction de leur rôle sur
la scène mondiale, voir un « partage» des responsabilités avec l'Europe et
le Japon (le fameux « sharing » dans la langue de leur diplomatie), entraînerait une réforme du système monétaire international, la perte du privilège
60
REPENSER BREITON WOODS
du dollar et donc, loin de permettre des « économies », tarirait le flux des
capitaux qui opère en leur faveur.
Dans le moyen terme en tout cas, ces options communes aux partenaires
de la Triade excluent toute réforme un tant soi peu sérieuse des institutions
de Bretton Woods. Il ne pourrait s'agir que de bavardages, de ravalements
de façade, et guère plus.
Cela étant, d'autres conflits que ceux qui opposent les membres de la
Triade entre eux, et même les États de l'Union européenne entre eux, sont
appelés à prendre de l'ampleur, dans le moyen terme et a fortiori dans le
plus long terme. Pendant la « période de Bandoung » (1955-1975), les États
du Tiers monde avaient mis en œuvre des politiques de développement à
vocation autocentrée (réelle ou potentielle), à l'échelle nationale presque
exclusivement, précisément en vue de réduire la polarisation mondiale (de
« rattraper»). Cela impliquait à la fois des systèmes de régulation nationale
(<< nationales-populistes») et la négociation permanente, y compris collective (Nord-Sud), de systèmes de régulations internationales (le rôle de la
CNUCED est important dans ce cadre, marginalisation du GATT, etc.).
Cela visait également à réduire les «réserves de travail à faible
productivité» par leur transfert aux activités modernes à plus haute productivité (fussent-elles «non compétitives» sur des marchés mondiaux
ouverts). La théorie de Arthur Lewis rationalisait cet objectif.
Le résultat du succès inégal (et non de l'échec comme on se plaît à le dire)
de ces politiques a été de produire un Tiers monde contemporain constitué
de trois strates :
• première strate: les pays ex-socialistes, la Chine, la Corée, Taiwan,
l'Inde, le Brésil, le Mexique qui sont parvenus à construire des systèmes
productifs nationaux (donc potentiellement « compétitifs» sinon
réellement) ;
• deuxième strate: les pays entrés dans l'industrialisation mais non parvenus à créer des systèmes productifs nationaux: pays arabes, Afrique du
Sud, Iran, Turquie, pays d'Amérique latine. Il y a là parfois des établissements industriels «compétitifs» (notamment par leur main-d'œuvre bon
marché), mais pas de systèmes compétitifs;
• troisième strate: les pays non entrés dans la révolution industrielle (en
gros les ACP). Ils ne sont éventuellement «compétitifs» que dans les
domaines commandés par des avantages naturels: mines, pétrole, produits
agricoles tropicaux ;
Dans tous ces pays de toutes les strates, les réserves« passives» n'ont pu
être absorbées (sauf en Corée et à Taiwan) et ces réserves varient de 40%
(Russie) à 80% (Inde, Chine).
La crise exacerbe déjà les contradictions au sein des blocs de classes
dominantes, dans les pays de l'Union européenne, en Russie comme dans
les autres pays frappés par les crises en cours de développement (en Corée,
en Asie du Sud-Est, demain en Amérique latine, en Afrique et dans le
Monde arabe, en Inde). Rien ne garantit a priori que ces contradictions
seront surmontées par des moyens démocratiques. D'une manière générale,
les classes dominantes aux abois s'emploient à éviter que les peuples
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
61
n'interviennent dans les débats, soit en manipulant les opinions (et sauvegardant ainsi les apparences de la démocratie), soit en envisageant carrément le recours à la violence.
Ces conflits sont appelés à prendre des dimensions internationales de plus
en plus accusées, à opposer donc des États et des grouyes d'États les uns
aux autres. Déjà on voit se dessiner le conflit entre les Etats-Unis, le Japon
et leur fidèle allié australien d'une part, la Chine et les autres pays asiatiques
d'autre part. Il n'est pas difficile d'imaginer la renaissance d'un conflit
entre les États-Unis et la Russie, si celle-ci parvient à sortir de l'involution
dans laquelle Boris Eltsine l'a engagée. Les conflits, jusqu'ici feutrés, entre
l'Union européenne (ou certains pays de l'Union), le Japon et les ÉtatsUnis sont également appelés à prendre plus d'ampleur et à s'articuler sur
ceux qui opposent la Triade à la Russie, à la Chine, à l'Inde et aux continents du Tiers monde en général. Loin d'avoir contribué à atténuer les
nationalismes chauvins, la mondialisation néolibérale a, au contraire, construit les conditions de leur exacerbation.
Simultanément la phase nouvelle est déjà caractérisée par la montée des
luttes engageant les classes populaires victimes du système, que ces luttes
soient limitées à des segments particuliers de ces classes, ou les entraînant
dans leur ensemble. Paysans sans terre du Brésil, salariés et chômeurs solidaires dans quelques pays européens, syndicats qui rassemblent la grande
majorité du salariat (comme en Corée ou en Afrique du Sud), jeunes et étudiants entraînant le petit peuple des villes (comme en Indonésie), la liste de
ces luttes s'allonge chaque jour.
Le développement de ces luttes sociales est certain. Elles seront certainement caractérisées par un grand pluralisme, qui est une caractéristique positive à l'avis de beaucoup d'entre nous - de notre époque. Al' origine de
ce pluralisme, il faudrait sans doute reconnaître l'accumulation des résultats obtenus par ce qu'on a parfois appelé les «nouveaux mouvements
sociaux» - féminins, écologistes et démocratiques. Les défis auxquels ce
développement est confronté sont bien entendu de diverses natures, selon
les lieux et les temps.
La question centrale est ici de savoir comment s'articuleront les conflits
et les luttes sociales (en les distinguant soigneusement les unes des autres
comme je le fais ici). Qui l'emportera? Les luttes sociales seront-elles
subordonnées, encadrées par les conflits et donc maîtrisées par les pouvoirs
dominants, voire mobilisées à leur bénéfice sinon toujours manipulées? Ou
au contraire les luttes sociales conquérant leur autonomie contraindrontelles les pouvoirs à s'ajuster à leurs exigences? La réponse à cette question
est impossible. L'histoire seule la fournira.
Toutes les modalités des scenarii envisagés ici - avec ou sans hégémonie
américaine marquée - sont négatives dans toutes leurs dimensions pour ce
qui est du Tiers monde en général et de l'Afrique plus particulièrement. Car
ces scenarii impliquent clairement une pression économique et financière
alourdie, l'extraction d'un surplus grandissant, même des pays les plus
démunis. Au contraire, dans la mesure où ceux-ci sont, par définition, les
plus vulnérables, il sera toujours facile de piller leurs ressources et d'en
62
REPENSER BRETION WOODS
tirer un surplus qui, fût-il médiocre en termes relatifs (à l'échelle du surplus
produit dans le système mondial), rend impossible tout progrès économique et social local. On en est déjà là. Le discours de charité (l'aide humanitaire, la prétendue lutte contre la pauvreté, etc.) substitué à celui du
développement en est le témoignage éloquent. Bien entendu la Banque
mondiale et les ONG qui naviguent dans son sillage sont déjà les instruments de cette stratégie.
Au plan international, les stratégies impliquées dans toutes les modalités
du schéma esquissé ci-dessus substituent la Triade à la famille des nations
qui constituent la planète et l'OTAN (pas même l'OCDE) au Conseil
de sécurité et à l'Assemblée générale de l'ONU, la Banque mondiale au
PNUD et aux institutions spécialisées de l'ONU, vassalisées. L'ONU risque alors de subir le sort de la défunte SDN, et elle est déjà traitée comme
telle par le G7. Cette situation plus qu'alarmante rappelle déjà, mutatis
mutandis bien entendu, les époques qui ont précédé les grandes guerres
mondiales.
A ces perspectives qui n'ont rien à offrir aux peuples, il nous faut donc
opposer un autre dessein, celui de la construction d'un monde véritablement multipolaire, seul moyen de promotion de la démocratisation des
sociétés, du respect des droits des peuples et du progrès social.
L'alternative: la construction d'un monde multipolaire
Commençons par un point fondamental de théorie sociale pour suivre la
suite de nos propositions.
Le capitalisme n'est pas un « système de développement », qu'on pourrait opposer, par exemple, à la« doctrine socialiste ». Je crois nécessaire de
distinguer ici la réalité de ce que produit le capitalisme, c'est-à-dire
l'expansion du capital, du concept de « développement ». Le premier phénomène, étudié comme une réalité sociale doit l'être aux deux niveaux de
sa tendance immanente (abstraite) et de sa réalité historique (concrète). Le
concept de développement par contre est un concept idéologique par
nature. Il permet de «juger» les résultats à l'aune de critères définis a
priori, ceux-là mêmes qui définissent un projet sociétaire. Ce dernier peut
être plus ou moins radical, proposer des contenus différents des concepts de
liberté ou d'égalité, de libération humaine ou d'efficacité, etc.
Le mélange - ou la confusion des deux concepts: la réalité (l'expansion
capitaliste) et le souhaitable (le développement dans un sens défini) - est à
l'origine de bien des déboires des critiques des politiques mises en œuvre.
Car les discours dominants font systématiquement l'amalgame; ils proposent des moyens permettant l'expansion du capital; ils qualifient de développement ce qui en résulte, ou pourrait en résulter selon eux. Or la logique
de l'expansion du capital ne suppose aucun résultat qualifiable en termes de
développement. Elle ne suppose pas, par exemple, le plein emploi, ou une
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
63
dose désignée à l'avance d'inégalité (ou d'égalité) dans la répartition du
revenu. La logique de cette expansion est guidée par la recherche du profit
par les entreprises. Cette logique peut entraîner dans certaines conditions
l'expansion de l'emploi, dans d'autres, sa réduction peut réduire les inégalités de revenus ou les accentuer, selon les circonstances.
Ici encore la confusion entretenue entre le concept « d'économie de
marché» et « d'économie capitaliste» est à la source d'un affaiblissement
dangereux de la critique adressée aux politiques mises en œuvre. Le
« marché », qui fait référence par nature à la concurrence, n'est pas le
« capitalisme », dont le contenu est précisément défini par les limites à la
concurrence que le monopole de la propriété privée (de certains, à l'exclusion des autres donc) implique. Le « marché )) et le capitalisme constituent
deux concepts distincts.
Toujours est-il que le capitalisme réellement existant ne fonctionne pas
comme un système de concurrenoe entre les bénéficiaires du monopole de
la propriété, concurrence entre eux et contre les autres. Son fonctionnement
exige l'intervention d'une autorité collective représentant le capital dans
son ensemble. L'État n'est donc pas séparable du capitalisme. Or les politiques du capital, donc de l'État en tant que représentant de celui-ci et dans
la mesure où il l'est, ont leurs logiques (concrètes) d'étapes propres. Ce
sont ces logiques qui expliquent que, dans certains de ses moments,
l'expansion du capital entraîne la progression de l'emploi, dans d'autres sa
régression. Ces logiques ne sont donc pas l'expression de « lois du
marché )), formulées dans l'abstrait en tant que telles, mais des exigences de
la rentabilité du capital dans certaines conditions historiques.
L'idée que je me fais des « lois de l'histoire )), exprimée ici par la logique
de l'expansion du capital, n'est donc pas déterministe. Je ne fais pas de ces
« lois de l'expansion capitaliste)) une force quasi surnaturelle qui
s'impose. Je ne crois pas en l'existence d'un déterminisme historique antérieur à l'histoire. Au contraire, j'avance que ces tendances inhérentes à la
logique du capital se heurtent toujours à la résistance de forces qui n'en
acceptent pas les effets. L'histoire réelle est alors le produit de ce conflit
entre la logique de l'expansion capitaliste et celles qui découlent de la résistance de forces sociales à son expression. Dans ce sens, il est rare que l'État
soit simplement l'État du capital, il est aussi le produit du conflit entre le
capital et la société.
Par exemple, l'industrialisation de la périphérie au cours de l'aprèsguerre 1945-1993 n'est pas le produit naturel de l'expansion capitaliste,
mais celui des conditions posées à celle-ci par les victoires de la libération
nationale qui a imposé cette industrialisation à laquelle le capital mondialisé s'est ajusté. Par exemple, l'érosion de l'efficacité de l'État national,
produite par la mondialisation capitaliste, n'est pas un déterminant décisif
et irréversible de l'avenir. Au contraire les réactions nationales à cette mondialisation peuvent imprimer à l'expansion mondiale des trajets imprévus,
pour le meilleur ou pour le pire, selon les circonstances. Par exemple, les
préoccupations issues de l'environnement, qui sont, selon moi, en conflit
avec la logique du capital (parce que celle-ci est par nature une logique à
64
REPENSER BRETION WOODS
court terme), pourraient imprimer à l'ajustement capitaliste des transformations importantes. On pourrait multiplier les exemples.
Ce que je proposerai dans les pages qui suivent procède de cette logique
de « l'utopie créatrice ». Car ni l'entêtement libéral, ni les logiques de son
rejet néofasciste ne permettent de sortir du cercle infernal du chaos.
La réponse efficace aux défis ne peut être trouvée que si l'on retient la
leçon de la« Grande Transformation ». L'histoire n'est pas commandée par
le déploiement infaillible des «lois de l'économie pure» comme l'imaginent certains professeurs d'université. Elle est produite par les réactions
sociales aux tendances que ces lois expriment, qui définissent à leur tour les
rapports sociaux dans le cadre desquels ces lois opèrent. Les forces
« antisystémiques » - si on appelle ainsi ce refus organisé, cohérent et efficace de la soumission unilatérale et totale aux exigences de ces lois prétendues (ici la loi du profit propre au capitalisme comme système) - façonnent
l'histoire véritable autant que la logique « pure» de l'accumulation capitaliste. Elles commandent les possibilités et les formes de l'expansion qui se
déploient alors dans les cadres dont elles imposent l'organisation.
La méthode préconisée ici nous interdit de formuler par avance des
« recettes» qui permettraient de sortir de la crise, puisque la solution ne
peut être que le résultat de transformations dans les rapports de force
sociaux et politiques, elles-mêmes produites par des luttes dont les issues ne
sont pas connues à l'avance. On peut néanmoins y réfléchir, dans la perspective de contribuer à la cristallisation de contre-projets cohérents et possibles et, par là même, d'aider le mouvement social à dépasser les « fausses
solutions» (néofascistes) dans lesquelles, à défaut, il risque de s'enliser.
Le projet d'une réponse humaniste au défi de la mondialisation inauguré
par l'expansion capitaliste, ce projet «idéaliste» à l'extrême tel qu'il
pourra paraître au lecteur de la suite de ce texte, n'est donc pas
« utopique ». Il est, au contraire, le seul projet réaliste possible, dans ce sens
que l'amorce d'une évolution allant dans son sens devrait rallier rapidement
des forces sociales puissantes dans toutes les régions du monde, capables
d'en imposer la logique.
S'il Ya une utopie, au sens banal et négatif du terme, c'est bien celle du
projet d'une gestion du système réduite à la régulation par le marché mondial. Comme l'écrit Kostas Vergopoulos, la cohérence nationale recule,
mais elle ne cède pas la place à une cohérence mondiale qui reste introuvable.
Une autre méthode - que je qualifierai d'idéaliste - domine dans beaucoup de milieux intellectuels critiques, particulièrement dans le Monde
anglo-saxon. Il n'est guère possible de passer en revue toutes les propositions qui ont été avancées au cours des dernières années concernant la
réforme des institutions de Bretton Woods. Elles sont trop nombreuses et,
au demeurant se situent dans des perspectives théoriques et politiques
diverses à l'extrême. Les plus radicales proposent un retour au keynésianisme, mais à l'échelle mondiale, une redistribution du revenu au profit des
peuples du Tiers monde et des travailleurs dans toutes les régions de la planète (une méga-économique stimulante comme l'écrit Walter Mead). Cela
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BREITON WOODS
65
impliquerait, à leur avis, des réformes importantes concernant les institutions économiques internationales.
- La transformation du FMI en une véritable banque centrale mondiale,
ayant le pouvoir d'émettre une véritable monnaie (du genre DTS) prenant
le relais de l'étalon-dollar, assurant une certaine stabilité des changes et
procurant aux pays en développement les liquidités nécessaires à un
« ajustement dans la croissance» (on retrouve ici des propositions voisines
de celles faites par la CNUCED il y a une vingtaine d'années: l'idée d'un
« lien» entre l'émission d'une monnaie internationale et les besoins des
pays en développement).
- La transformation de la Banque mondiale en un fonds qui collecterait
les surplus (des pays comme le Japon et l'Allemagne) pour les prêter non
aux États-Unis, mais au Tiers monde. Cette opération, destinée à relancer la
croissance en panne dans les pays en développement, obligerait simultanément les États-Unis à réduire leur déficit. On souhaite que cette réduction ne
soit pas obtenue par le moyen d'un néoprotectionnisme américain associé
à une politique exportatrice agressive. Mais alors comment ?
- La création d'une véritable organisation internationale du commerce.
Dans ce domaine en général, le principe du libre-échange, dont l'OMC est
l'avocat, n'est pas remis en cause. L'organisation rénovée pourrait être
même plus courageuse que celle en place, toujours contrainte de manœuvrer dans le cadre du compromis, et capable, elle, d'imposer un multilatéralisme franc. En contrepartie des avantages que les pays en développement
tireraient de cette ouverture sincère des marchés du Nord, on leur demanderait des concessions dans les domaines des services (du type TRIP et
TRIM). L'expérience de la CEE qui a effectivement à son actif la libéralisation et la multilatérisation du commerce intra-européen, obtenues par des
moyens qui ont exclu la concurrence sauvage (en imposant des standards de
respect de l'environnement, de protection sociale, etc.), est évoquée fréquemment à cet endroit. De surcroît, avance-t-on, la nouvelle organisation
atténuerait les aspects négatifs de la constitution de blocs régionaux en évitant qu'ils ne deviennent des « forteresses» protégées à l'intérieur et agressives à l'égard de l'extérieur. L'organisation poursuivrait également
d'autres objectifs comme la stabilisation (ou la revalorisation) des matières
premières.
- La prise en compte des préoccupations d'environnement pourrait être
intériorisée au système de prêts de la Banque mondiale rénovée. Mais on
pourrait même aller plus loin; amorcer un système de taxation mondiale
sur l'énergie, les ressources non renouvelables, etc, renforçant les moyens
de la banque rénovée ou du fonds qui lui succéderait et lui permettant de
subventionner le respect des préoccupations d'environnement dans les pays
pauvres.
- La revalorisation du rôle politique des Nations unies devrait compléter
la réforme des institutions économiques. La préoccupation que le développement réanimé par les moyens proposés ici serve d'assise au progrès de la
démocratie politique et sociale pourrait, de cette manière, sortir du champ
des vœux pieux. L'aide au développement, multilatéralisée dans ce cadre,
66
REPENSER BREITON WOODS
pourrait être conditionnée non seulement par le respect des droits de l'individu et de la démocratie politique, mais soutenir des politiques sociales progressistes (assurant la croissance des revenus du travail en parallèle à celle
de la productivité, une répartition plus égale du revenu, etc.). De la même
manière, la dimension politique nationale du développement mondialisé,
coordonné de la sorte permettrait le respect des intérêts légitimes. Par
exemple l'autonomie alimentaire.
L'ensemble du projet de réforme du système économique et politique
mondial présenté ici procède de l'idée centrale qui ne me paraît pas contestable, à savoir qu'on ne peut relancer le développement que par une redistribution du revenu tant à l'échelle mondiale (en faveur des périphéries)
qu'aux échelles sociales (dans les centres et les périphéries au bénéfice des
travailleurs et des classes populaires), qu'il faut soumettre le commerce
mondial et le mouvement des capitaux à la logique de cette « demand side
approach to trade» (approche du commerce en termes de demande),
comme l'écrit Walter Mead.
Encore faut-il reconnaître que des réformes d'une telle ampleur sont en
conflit avec les intérêts du capital dominant, parce que cette redistribution
réduit dans l'immédiat les marges de profit, même si - « à plus long terme»
- elles permettent plus qu'une relance, un essor nouveau, qui pourrait
ouvrir des perspectives à la rentabilité d'investissements productifs. Car le
capitalisme est un système fondé sur la priorité du court terme qui dicte les
décisions du capital, sur le long terme, qui, en cas de nécessité, doit être
imposé par l'intervention de l'État. J'ai dit que c'était la crainte du
« communisme» et de la radicalisation du mouvement de libération nationale des périphéries qui avait été à l'origine de l'adoption des politiques
keynésiennes et du soutien au développement dans l'après-guerre.
Mais alors on voit immédiatement que le projet - et donc les propositions
qui s'inscrivent dans sa logique - est peu réaliste, parce qu'il néglige toute
considération d'étape nécessaire pour parvenir au terme de l'évolution.
Notre monde réel est et restera longtemps fondé sur une contradiction grandissante entre la mondialisation de l'économie, fondée elle-même sur
l'intégration tronquée du marché (réduit au commerce et au flux des capitaux, excluant la liberté des migrations) et la persistance de l'État national
comme structure de la gestion politique et sociale.
Sur la question importante concernant l'ordre monétaire mondial, le projet propose la création d'une banque centrale mondiale, sans que parallèlement ne soit mis en place une institution politique mondiale d'un pouvoir
analogue. C'est le thème favori sur lequel Robert Triffin se bat depuis longtemps. C'est aussi d'une certaine manière le choix européen (de
Maastricht) : la création d'une monnaie commune (émise par une banque
centrale commune) précédant celle d'un pouvoir politique commun. On
revient donc aux propositions de Keynes en 1945: la stabilisation d'un
compromis entre les partenaires - États-Unis, Europe de la CEE, Japon.
Mais cette stabilisation est-elle possible? Ne s'agit-il pas là d'une expression quelque peu naïve? Comment faire pour que cette gestion commune
soit acceptée s'il n'y a pas de règles permettant de légitimer les conséquen-
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
67
ces de ses décisions sur le sort des nations qui sont parties prenantes du
système ? Les économistes, à force de refuser de voir que les choix économiques ne sont praticables que si les compromis politiques et sociaux qu'ils
impliquent sont acceptés comme légitimes, alimentent l'utopie économiciste. Une banque centrale européenne (mais non mondiale), n'est peut-être
pas impossible, mais à condition que l'Europe évolue vers une confédération politique réelle. Celle-ci ne peut être fondée que sur les principes d'un
compromis social (de gauche) européen, analogue à cette échelle aux compromis sociaux historiques qui ont fondé des États nationaux du continent.
On en vient alors à une proposition alternative, celle de l'élargissement du
compromis monétaire pour y inclure les Tiers mondes du Sud et de l'Est.
C'était la proposition du nouvel ordre économique international, avancée
par le Groupe des Soixante-Dix-Sept en 1975. Il s'agissait de créer une
monnaie internationale - d'abord en parallèle à celles en usage (le dollar,
l'or, les autres devises clés) - gérée par la communauté internationale. Les
propositions concernant le « lien» entre l'émission de cette monnaie et le
développement explicitaient cet objectif. Comme on le sait la proposition a
avorté pour donner un instrument monétaire mineur géré par le FMI sous le
nom de SDR. La raison de l'échec est, pour moi, évidente: la proposition
supposait le problème résolu, c'est-à-dire que les centres acceptaient de
soutenir un développement accéléré et relativement autonome des
périphéries. L'instrument monétaire était mis au service de cet objectif, utopique puisqu'en contradiction avec la polarisation produite par le capitalisme réellement existant.
Toutes ces propositions idéalistes placent donc la charrue avant les bœufs.
Ou plus exactement je dirais que, si sympathiques soient les propositions
mentionnées plus haut (et pour moi, elles le sont), une stratégie d'étapes
doit être mise en œuvre pour y parvenir.
L'interdépendance négociée et organisée, d'une manière qui pennette aux
peuples et aux classes dominés d'améliorer les conditions de leur participation à la production et leur accès à de meilleures conditions de vie, constitue le cadre de ce que j'ai appelé la «construction d'un monde
polycentrique ». Elle implique certainement qu'on dépasse l'action dans le
cadre des Etats-nations, surtout de ceux de taille modeste ou moyenne, au
bénéfice d'organisations régionales à la fois économiques et politiques, permettant des négociations collectives entre ces régions.
Les défis auxquels sont confrontés ces régions et pays sont trop différents
pour qu'il soit possible d'envisager pour tous les mêmes fonnules de développement. Par exemple il n'y a aucun sens à ce que le taux d'intérêt soit le
même partout et/ou à laisser les flux de capitaux libres d'aller là où l'argent
est le mieux rémunéré. Des institutions monétaires et financières régionales
doivent être construites pour être substituées au FMI tel qu'il est et au marché mondial libre des capitaux monétaires.
L'Europe de la CEE est engagée dans cette voie, bien qu'elle soit «mal
partie », ayant développé une conception purement économiciste de son
projet (<< un marché intégré» sans plus), et se retrouve de ce fait confrontée
à la difficulté majeure qui est de se doter d'un pouvoir politique commun lui
68
REPENSER BRETION WOODS
correspondant. Or, tant que le volet social du projet restera tel qu'il est, une
coquille creuse, le marché commun engendrera des conflits sociaux, et à
partir de là nationaux, insurmontables. C'est la raison pour laquelle j'ai dit
que l'Europe sera de gauche ou ne sera pas.
L'Europe de l'Est pourrait-elle être intégrée à ce système européen?
Peut-être, mais à condition aussi que, dans leurs rapports internes, les
Européens de l'Ouest ne voient pas dans ceux de l'Est leurs «LatinoAméricains ». Le développement inégal des Europes, pour être surmonté,
exigerait alors une sous-organisation propre à l'Europe de l'Est, articulée
sur des institutions paneuropéennes, mais tolérant des règles du jeu différentes pour chaque moitié du continent. Une longue transition est donc
nécessaire avant d'entrer dans la phase ultérieure de l'intégration paneuropéenne économique et politique.
La Russie et les États de l'ex-URSS sont dans une situation de même
nature, même si par sa taille la Russie reste potentiellement une grande
puissance. La reconstruction d'une coopération intégration des pays de
l'ex-URSS est une étape nécessaire, si l'on veut écarter le danger explosif
d'une accusation de leur développement inégal.
Les problèmes des régions du Tiers monde sont différents dans la mesure
où leur « sous-développement» est plus marqué. De ce fait:
- ces pays et régions sont moins profondément intégrés dans le système
productif mondialisé en construction. A part la Corée, Taiwan et Singapour
qui sont peut-être les seules exceptions importantes (Hong-Kong étant intégré à la Chine), dans tous les autres pays semi-industrialisés du Tiers
monde, seuls des segments limités du système productif sont intégrés à la
nouvelle économie mondialisée ;
- ils sont simultanément moins intégrés entre eux, et même pratiquement
pas du tout, surtout en ce qui concerne les pays du «quart-monde» ;
- ils sont inégalement développés et l'essor de l'après-guerre a accusé
cette inégalité, qui sépare désormais le groupe des pays semi-industrialisés
de ceux du quart-monde;
- enfin pour toutes ces raisons ils sont attirés par des associations
régionales Nord/Sud qui opèrent au détriment de leur autonomie collective.
Je renvoie ici le lecteur aux propositions que j'ai avancées dans cet esprit
avec quelques détails concernant leur argumentation. Il s'agit en effet d'une
conception nouvelle des régionalisations requises, différentes de celles
conçues dans le cadre du système actuel dominant. Ces dernières sont constituées comme des courroies de transmission de la mondialisation polarisante, en rattachant des zones périphériques à des centres dominants se
partageant de la sorte les responsabilités du «colonialisme global ».
L'Alena (Association de libre-échange nord-américaine, rattachant le
Mexique aux États-Unis et au Canada), les accords de Lomé (l'Association
Union européenne, Afrique, Caraibes et Pacifique), les concepts de la zone
yen (Japon-Asie du Sud-Est) et du projet de « zone Pacifique» (États-Unis,
Japon, Australie et pays riverains de l'océan) relèvent de ce concept néoimpérialiste inadéquat si l'on tient à l'objectif souhaitable de réduction des
écarts. Les simples « marchés communs» régionaux (comme Mercosur en
LA RÉFORME DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
69
Amérique du Sud, l'ECOWAS en Afrique de l'Ouest et le PTA en Afrique
de l'Est et australe) comme les organisations politiques communes héritées
de la guerre froide (l'Asean en Asie du Sud-Est) ont également fait l'objet
de critiques sévères que je leur ai adressées ailleurs.
En contrepoint de ces visions inadéquates de la régionalisation, j'ai donné
quelques arguments en faveur de reconstructions réalisées simultanément
aux plans régionaux et mondiaux, particulièrement dans les domaines des
échanges commerciaux, des marchés de capitaux et des systèmes monétaires. J'y renvoie donc le lecteur, me contentant de rappeler ici quelques-unes
de mes conclusions :
- il est nécessaire de concevoir la nouvelle Organisation mondiale du
commerce non comme la poursuite du GATT, mais comme une institution
chargée de planifier (j'ose utiliser le terme) l'accès à l'usage des grandes
ressources naturelles du globe et les prix des matières premières, sans quoi
le discours sur l'environnement restera une rhétorique creuse, démagogique et manipulée contre les intérêts de l'humanité en général, des peuples
de la périphérie en particulier. L'OMC devrait également être responsable
des plans objectifs d'échanges industriels interrégionaux conciliant la compétitivité générale, une répartition favorable à la progression des régions
défavorisées et la création de conditions permettant l'amélioration des revenus des classes de travailleurs les plus défavorisés ;
- il est nécessaire de concevoir la mise en place de marchés organisés de
capitaux permettant de canaliser les excédents financiers vers l'investissement productif dans les périphéries, prenant la relève du marché global qui,
tel qu'il est, favorise les transferts des pays les plus pauvres vers les plus
riches et canalise les excédents en direction des Etats-Unis dont ils permettent de perpétuer le déficit;
- il est nécessaire de repenser le système monétaire mondial, désormais
caduc, et de substituer aux changes flottants et à l'étalon-dollar des systèmes articulant des ensembles monétaires régionaux (dont l'ensemble européen, mais d'autres également concernant chacune des grandes régions du
Tiers monde et de l'ex-URSS) de manière à garantir une relative stabilité
des changes et à renforcer l'efficacité des marchés de capitaux évoqués plus
haut.
Les régions qu'on peut concevoir dans l'esprit de ces transformations ne
constituent pas seulement des ensembles économiques d'intégration préférentielle. Elles doivent être également construites comme des espaces politiques favorisant le renforcement collectif des positions sociales des classes
et sous-régions défavorisées. Cette régionalisation ne concerne pas seulement les continents du Tiers monde (l'Amérique latine, le Monde arabe,
l'Afrique subsaharienne, l'Asie du Sud-Est, les deux pays continents: la
Chine et l'Inde), mais également les Europes (l'Europe de l'Union européenne, l'Europe orientale, l'ex-URSS).
Dans cette perspective conciliant mondialisation et autonomies locales et
régionales (ce que j'appelle une déconnexion cohérente avec les défis nouveaux), place est faite pour une révision sérieuse des concepts « d'aide »,
comme aux problèmes de démocratisation du système des Nations unies,
70
REPENSER BRETTON WOODS
qui pourrait alors s'atteler efficacement à des objectifs de désarmement
(rendus possibles par les formules de sécurité nationale et régionale associées à la reconstruction régionale), amorcer la mise en place d'une fiscalité
mondialisée (en relation avec la gestion des ressources naturelles de la planète), compléter l'organisation inter-États qu'est l'ONU par l'amorce d'un
« Parlement mondial» capable de concilier les exigences de l'universalisme (droits de l'individu), des collectivités et des peuples, droits politiques et sociaux, etc., et la diversité des héritages historiques et culturels.
Bien entendu l'ensemble de ce « projet» n'a de chance de voir sa
réalisation avancer progressivement que si d'abord à l'échelle des Étatsnations se cristallisent des forces sociales et des projets capables de véhiculer les réformes nécessaires, impossibles dans le cadre imposé par le libéralisme et la mondialisation polarisante. Qu'il s'agisse de réformes
sectorielles (comme celles concernant la réorganisation de l'administration, la fiscalité, l'éducation, les formules de développement participatoire
soutenu) ou de visions plus générales de la démocratisation des sociétés et
de leur gestion politique et économique, ces étapes préliminaires sont
incontournables. Sans elles, la vision d'une réorganisation planétaire capable de faire sortir le monde du chaos et de la crise et de faire « redémarrer
le développement» restera fatalement parfaitement utopique.
2
Le bilan du système de Bretton Woods
Albert ONDü-OSSA
L'instabilité financière est sans doute le problème le plus pressant que la
mondialisation pose à l'économie internationale. En effet, la nouvelle économie issue de la globalisation se caractérise par la circulation très rapide
d'un volume massif de capitaux internationaux et par l'intégration de la
production et de la commercialisation des biens et services par-delà les
frontières nationales.
La perte d'autonomie de la politique nationale, due en partie à la participation au système financier mondial d'une part, les coûts sociaux et économiques de la crise d'autre part, a ébranlé la confiance des opérateurs vis-àvis du système financier international. Un grand nombre de pays à faible
revenu - essentiellement les pays africains - risquent de se retrouver en
marge de ce monde intégré, faute de capital humain, d'institutions, d'infrastructures matérielles et de politiques leur permettant d'exploiter les chances
qu'il offre. Ce qui incline à penser que les institutions internationales doivent jouer un rôle plus important dans la gestion de la concurrence et la promotion de la coopération. De même qu'elles doivent aider les
gouvernements à mieux gérer l'insécurité et l'instabilité qui accompagnent
la mondialisation.
Les débats sur la réforme du système monétaire international ont donné
lieu à une multitude de propositions. Et ces derniers temps, la crise asiatique a révélé les failles d'un système économique et financier mondial de
plus en plus intégré l ,
La crise actuelle tient essentiellement à l'interaction de plusieurs facteurs :
des secteurs financiers nationaux fragiles;
- une mauvaise gestion des affaires privées et publiques;
un système mondial déficient.
1. La tempête monétaire et boursière de ces dernières années a provoqué une montée
des critiques contre les excès des marchés financiers autant qu'elle a remis en cause la libéralisation mondiale des mouvements de capitaux entreprise à partir du début des années
1980.
1
f
72
REPENSER BREITON WOODS
La stratégie retenue repose sur un dosage de mesures macroéconomiques
et structurelles, ainsi que sur la mobilisation d'un volume important de ressources financières en vue de briser le cycle: sorties de capitaux - dépréciation de la monnaie -, fragilité du secteur financier.
Un autre élément important des programmes mis en œuvre a été la décision de maintenir le régime de flottement, plutôt que de porter la parité à un
niveau compatible avec les fondamentaux à moyen tenne.
Dans tous les cas, il s'agit de trouver des instruments et mécanismes susceptibles d'aider le secteur privé à conserver ses capitaux dans des pays qui
risquent de perdre leur accès au marché mondial, sans créer d'effet de contagion.
Ainsi, la crise actuelle apparaît surtout comme une crise du système de
Bretton Woods. Elle révèle son incapacité à répondre aux exigences de la
crise financière mondiale. D'où les propositions faites soit en faveur d'une
réfonne de ces institutions, soit simplement d'un retour au contrôle de
change 2. Le FMI, en ce qui le concerne, est vu sous deux angles extrêmes.
Certains estiment qu'il faut le transfonner en une banque centrale mondiale
et en un prêteur international de dernier ressort. D'autres soutiennent qu'il
a échoué et doit disparaître.
En Afrique tout spécialement, la crise est d'une ampleur telle qu'elle
limite sérieusement la marge de manœuvre des nouveaux pouvoirs élus. Et
c'est ce qui nous conduit à l'analyse du bilan du système de Bretton Woods.
Nous voudrions, à cet effet, parler de l'évolution du système originel de
Bretton Woods, ensuite des enseignements de l'évolution récente de ce système, avant de traiter des implications du système de Bretton Woods sur
l'Afrique.
L'évolution du système originel de Bretton Woods
Le système de Bretton Woods est un système de l'étalon de change-or.
Nous nous proposons d'en analyser les fondements et les mécanismes de
fonctionnement, avant de traiter de la crise qui le secoue depuis la fin des
années 1960.
Fondements et mécanismes de fonctionnement du système de Bretton
Woods
Nous parlerons tout d'abord des fondements, ensuite des mécanismes de
fonctionnement.
2. Si les années 1980 ont été marquées par les débats sur la déréglementation et le
désengagement de l'État, les années 1990, en revanche, sont marquées par les préoccupations de reconstruction de l'ordre international.
LE BILAN DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
73
A) LES FONDEMENTS DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
Le système de l'étalon de change or est un système dans lequel un pays,
pour effectuer ses règlements extérieurs, détient une masse de devises
étrangères considérées comme équivalentes à l'or et convertibles à taux fixe
contre sa propre monnaie. Ce système, dont la première application
remonte à la seconde moitié du XVIIe siècle (à l'accord réglementant les
relations de change entre Londres et Édimbourg), a régi le système monétaire international (SMI) au lendemain de la première guerre mondiale, à la
suite des recommandations de la conférence de Gênes en 1922.
Du fait que la production d'or s'était mise à fléchir sensiblement et que
l'or désertait l'Europe pour l'Amérique, les experts anglo-saxons préconisèrent l'adoption, après un « Gold Standard », d'un «Gold Exchange
Standard» (GES) qu'on finira par traduire en français par «étalon de
change-or» ou « étalon devise or » ou « étalon-or devise».
La conférence de Gênes préconise donc ainsi un système qui se veut plus
large, plus souple et plus compatible avec l'état nouveau du monde; système où l'or est exclu de la circulation monétaire interne pour être mieux
utilisé sur le plan externe, en liaison avec d'autres monnaies clés, ellesmêmes convertibles en or.
En somme, à l'entre-deux-guerres, on est en présence d'un polycentrisme
monétaire, car plusieurs centres monétaires dominants et rivaux se disputent la primauté. Le monopole londonien d'avant 1914 est brisé. La concurrence s'accuse entre Londres et New York dans cette ère de transition de
l'étalon sterling à l'étalon dollar. La montée de la puissance des États-Unis
d'Amérique modifie le rapport des forces dans le monde et on comprend
alors l'adoption, à la conférence de Bretton Woods en 1944, du plan White
qui avait essayé de ménager à la fois les principes de l'étalon-or et l'évolution déjà réalisée vers l'étalon de change or.
Le système monétaire international a fonctionné depuis la fin de la guerre
jusqu'en 1971 selon les règles posées par les accords de Bretton Woods.
C'est pour éviter les désordres monétaires qui ont précédé la seconde
guerre mondiale et favoriser le retour à la multilatéralité des paiements
internationaux que deux plans furent élaborés par les Alliés dès 1943 :
1°) celui du Britannique Keynes, qui préconise la création d'une banque
internationale émettant une monnaie internationale, le bancor, selon les
besoins réels courants du commerce mondial. Cette banque pourra alors
soumettre le volume monétaire à une expansion ou à un resserrement réalisé à dessein pour contrebalancer les tendances inflationnistes et déflationnistes dans la demande mondiale. L'organisation et la direction de la
banque auraient alors un caractère supranational;
2°) celui de l'Américain White, qui préconise le retour à l'étalon-or
moyennant certains aménagements : une banque internationale servant de
chambre de compensation, qui respecte l'autonomie de chaque politique
monétaire nationale.
Il faut dire que si le plan Keynes reflète la conviction de son auteur en
l'efficacité d'une direction de l'économie par la monnaie, le plan White
reflète, lui, la situation d'un pays (les États-Unis d'Amérique) qui détient
74
REPENSER BRETION WOODS
les deux tiers de l'or mondial et qui souhaite de ce fait voir l'or reprendre
sa fonction traditionnelle.
B) LES MÉCANISMES DE FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME DE BRETION
WOODS
Les accords signés le 22 juillet 1944 se caractérisent par des dispositions
suivantes pour les pays qui y souscrivent:
1°) permettre la liberté des paiements, c'est-à-dire la convertibilité de
leur monnaie et ainsi la multilatéralité des paiements internationaux;
2°) assurer la stabilité des paiements, c'est-à-dire la stabilité de la parité
de leur monnaie ;
3°) maintenir la permanence des paiements, c'est-à-dire l'équilibre de la
balance extérieure.
En ce qui concerne la liberté des paiements, les pays membres s'engagent
à respecter les obligations de convertibilité de leurs monnaies. Ils ne doivent
pas faire de restrictions sur les paiements, ni sur les transferts courants, sans
l'approbation préalable du Fonds monétaire international.
S'agissant de la stabilité des paiements, le régime assure la stabilité des
cours de change en imposant aux pays membres la règle de la fixité des
monnaies. Les pays définissent donc leur parité monétaire par un certain
poids d'or ou par référence au dollar américain et s'engagent à maintenir
cette parité unique. Il y a donc ici acceptation d'un système de taux de changes fixes et corrélativement refus du système de parités flottantes.
Quant à la permanence des paiements, le système monétaire doit garantir
la régularité des courants d'échange, d'où le maintien à long terme de
l'équilibre de la balance des paiements de deux façons:
- par la mise en œuvre des politiques appropriées, autrement dit des politiques internes suffisamment orthodoxes pour éviter une hausse susceptible
de compromettre la parité choisie pour la monnaie;
- par les aides garanties aux différents pays, en vue de faire face à un
déséquilibre temporaire de leur balance extérieure. Ces aides se présentent
sous la forme des facilités de crédit mises par le FMI à la disposition des
pays déficitaires.
Il existe trois conditions nécessaires au fonctionnement du système de
l'étalon de change-or:
1°) l'harmonisation des politiques suivies par les Banques centrales des
pays adhérents, car une conversion en or des réserves d'une banque peut
compromettre la liquidité des autres;
2°) les pays qui émettent les monnaies pivots doivent maintenir leur activité économique interne et une forte demande d'importation pour permettre
aux pays membres de se procurer les réserves qu'ils désirent;
3°) les avoirs de réserves des pays membres ne doivent pas provenir
d'avances à court terme car le retrait de ces réserves peut compromettre leur
stabilité.
Le système monétaire international mis en place à Bretton Woods va, à
partir des années 1960, connaître une grave crise qui va l'emporter en 1973.
LE BILAN DU SYSTÈME DE BRETTON WOODS
75
La crise du système de Bretton Woods
Cette crise comprend deux phases :
- la phase des difficultés (1960-1970) ;
- la phase d'effondrement (1971-1973).
A) LA PHASE DES DIFFICULTÉS DU SYSTÈME (1960-1970)
Les faits remontent au début de la décennie 1960 car, jusqu'en 1959, les
États-Unis d'Amérique détiennent dans leurs réserves plus d'or qu'il ne circule de dollars à l'extérieur du pays. Chaque dollar est donc, jusqu'à cette
date, garanti. Mais à partir de 1960 (le début de l'aggravation du déficit global de la balance des paiements américaine), le stock d'or officiel des ÉtatsUnis d'Amérique devient inférieur à l'ensemble des dollars détenus à
l'extérieur. Ce qui amène les opérateurs à douter de la convertibilité à long
terme du dollar. C'est alors que certaines Banques centrales demandent la
convertibilité de leurs dollars en or.
Parallèlement, à partir de 1961-1962, la livre est soumise à une intense
spéculation. Pour faire face à ces difficultés, les États-Unis d'Amérique et
leurs partenaires vont mettre au point un système de défense du dollar.
Aussi prennent-ils notamment:
- des mesures pour soutenir les cours du dollar et de la livre avec la mise
en œuvre de moyens d'intervention sur le marché de change (Swap) ;
- des mesures pour maintenir la parité du dollar en or, précisément la
création du pool de l'or par les accords de Paris en 1961, groupant autour de
la banque d'Angleterre six Banques centrales (États-Unis d'Amérique,
France, Allemagne, Belgique, Italie, Suisse). Le pool de l'or durera
jusqu'en 1968, date de l'instauration du double marché de l'or.
Mais toutes ces mesures ne suffisent pas à décourager la spéculation. Le
18 novembre 1967, intervient la dévaluation de la livre sterling, à la suite de
la guerre des Six Jours (guerre israélo-arabe) et du retrait des capitaux arabes placés à Londres.
Avec l'instauration du double marché de l'or en 1968, la voie est désormais préparée pour l'effondrement du système de Bretton Woods.
B) LA PHASE DE L'EFFONDREMENT DU SYSTÈME (1971-1973)
C'est en 1971 qu'il Ya rupture fondamentale avec les principes édictés à
Bretton Woods. Le 15 août 1971, le président Nixon décrète la non-convertibilité du dollar en or et l'accord de Washington intervient le 18 décembre
1971.
L'accord du Smithsonian Institute est un accord commercial et monétaire.
Il comporte la condamnation du principe des changes flottants et manifeste
la préoccupation d'instaurer un nouveau système dit de «parités
ajustables », d'où:
1°) la définition de nouvelles parités: il y a, d'une part, dévaluation de
7,89% du dollar par rapport à l'or (l'once d'or fin passe de 35 dollars à
38 dollars), mais la convertibilité n'est pas rétablie, d'autre part, réévaluation des autres grandes monnaies par rapport au dollar (+ 7,48 % pour la
76
REPENSER BRETION WOODS
livre, + 8,57% pour le franc français, + 11,56% pour le florin, + 13,57%
pour le deutsche Mark et le franc suisse, enfin + 16,88 % pour le yen) ;
2°) le rétablissement du système des parités fixes mais avec un élargissement des marges de fluctuation des devises à + ou - 2,25 % au lieu des
+ ou - 1 % admis à Bretton Woods. Ce qui correspond à une nouvelle marge
instantanée de 4,5 % (le tunnel) ;
3°) la poursuite des discussions dans le cadre du FMI pour concevoir et
mettre en œuvre une réforme du système monétaire international (SMI).
Au total, les États-Unis d'Amérique font quelques concessions (la dévaluation du dollar par rapport à l'or et le retour à un système de parité fixe).
Ils obtiennent en retour des satisfactions :
- les parités retenues à Washington correspondent aux besoins de leur
commerce extérieur;
- les nouvelles marges de fluctuation constituent, par leur ampleur, un
pas décisif en direction des changes flottants qu'ils souhaitent désormais.
En fait, il apparaît très vite que les décisions prises à Washington ne peuvent stabiliser la situation internationale. On prend conscience du fait que
l'instabilité est désormais au cœur du système. Le 13 février 1973, le dollar
est brusquement dévalué de 10%, et le Japon se résigne à laisser flotter le
yen. Cette décision est approuvée par tous ceux qui appréhendent la généralisation des changes flottants.
Entre-temps, les discussions sur la réforme du système monétaire international (SMI) se poursuivent, conformément au vœu de la conférence de
Washington, dans le cadre du Comité des Vingt. Les résultats sont restés
longtemps ambigus sur les deux questions préalables du rôle de l'or et de la
stabilisation des taux de change.
En 1974-1975, plusieurs accords successifs vont marquer les étapes
d'une réforme imprécise (accord de la Martinique, sommet de Rambouillet,
réunion du Comité des Vingt...). Et, en janvier 1976, on parvient à un
accord sur l'or dans le cadre du Comité des Vingt (l'accord de Kingston).
L'accord de Kingston (8 janvier 1976) porte sur trois points:
1) la modification officielle du statut de l'or;
2) la légalisation du principe des changes flottants;
3) la transformation partielle du FMI en organisme d'assistance.
En ce qui concerne le statut de l'or, il y a abolition de tout prix fixe de l'or.
Ce prix est désormais déterminé par le marché. Ainsi s'achève le processus
de démonétisation officielle de l'or.
S'agissant du nouveau régime de changes, l'accord de Kingston entérine
la situation de fait en définissant un système souple qui permet le flottement
des monnaies. Ainsi:
1) obligation est faite aux membres du FMI d'adopter des politiques économiques et financières visant à promouvoir une croissance économique
ordonnée, une stabilité raisonnable des prix et à éviter les manipulations de
change à caractère concurrentiel ;
2) des arrangements généraux peuvent intervenir quant au maintien de la
parité d'une monnaie exprimée en DTS ou par rapport à une autre monnaie,
LE BILAN DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
77
mais toute référence à l'or est exclue. Les membres devront informer le
FMI de la formule retenue;
3) le FMI est chargé de surveiller les politiques de change des pays
membres;
4) il Ya instauration d'un système étendu d'arrangements de changes stables mais ajustables, qui devra être déterminé à une majorité de 85 % ;
5) la marge de fluctuation déclarée est de + ou - 4,5%. Cette marge peut
être modifiée par le FMI à une majorité de 85 %. Les changements de parité
ne doivent alors intervenir que pour corriger des déséquilibres fondamentaux des paiements.
Quant au FMI, il voit son rôle dynamisé. Cet organisme devient une sorte
de banque qui fait des prêts pour des motifs autres que la sauvegarde des
taux de change.
Les enseignements du fonctionnement récent du système de
Bretton Woods
L'observation du fonctionnement récent du système monétaire international (SMI) conduit à conclure, d'une part que les deux cas polaires des changes fixes et des changes flottants ne sont plus viables, d'autre part que le
concept de zone monétaire, de fait ou organisée, est le plus approprié pour
caractériser les relations de change existant aujourd'hui entre la plupart des
monnaies.
Les changes fixes et les changes flexibles: deux régimes non viables
aujourd'hui
Les régimes des changes fixes et flexibles ne nous apparaissent pas viables aujourd'hui, essentiellement à cause des dysfonctionnements des
changes flexibles et de l'inadaptation des changes fixes à la situation
actuelle de mobilité parfaite des capitaux.
A) LES DYSFONCTIONNEMENTS DES CHANGES FLOTTANTS
L'expérience des vingt-cinq dernières années montre que le flottement
n'a pas eu les vertus que ses défenseurs lui attribuaient, entre autres:
- réconcilier les différents taux d'inflation nationaux à travers un mouvement correspondant du taux de change nominal ;
- faciliter les ajustements des balances de paiements, en donnant aux
pays la possibilité d'assouplir les ajustements nécessaires et de les étaler
éventuellement dans le temps;
- donner également aux pays la possibilité de libérer la politique monétaire afin de poursuivre des objectifs en matière de taux d'intérêt différents
de ceux du reste du monde;
- favoriser l'absorption d'une partie des pressions spéculatives.
78
REPENSER BRETION WOODS
Bien au contraire :
- les politiques monétaires n'ont guère retrouvé leur efficacité et leur
autonomie;
- la libre variation des parités n'a pas permis le rééquilibrage des balances de paiements : les déséquilibres extérieurs ont plutôt eu tendance à
s'aggraver depuis la fin des années 1970, notamment entre les États-Unis
d'Amérique, le Japon et les pays européens.
De plus, le système de changes flexibles, dans une économie mondiale de
plus en plus intégrée, aurait dû favoriser la convergence des taux de change
et en conséquence une égalité internationale des prix, au moins entre pays
à niveaux de développement comparables. Or, d'une manière générale,
l'expérience de deux dernières décennies ne permet pas de conclure à une
meilleure convergence des prix à l'échelle internationale3 .
En fait, la grande leçon de l'expérience du flottement est que la flexibilité
n'a pas réussi à éliminer la transmission internationale de l'inflation et du
chômage. Dans tous les cas, au moins deux points font l'unanimité:
1) le système de changes flexibles est loin d'avoir résolu automatiquement
le problème de l'équilibre extérieur. Les pays y sont toujours confrontés;
2) pendant cette période, l'instabilité des taux de change a été particulièrement forte et s'est traduite par une très forte variabilité à court terme et par
des variations de plus long terme d'une grande amplitude.
B) L'INADAPTATION DES CHANGES FIXES
L'effondrement du système de l'étalon de change or (1971-1973) a constitué une première étape dans l'abandon du régime de changes fixes à
l'échelle mondiale. La crise du système monétaire européen (SME) de
1992-1993, provoquée par des attaques spéculatives d'une puissance inégalée, marque la fin de la dernière expérience de ce régime.
Le système de changes fixes apparaît aujourd'hui inadapté, pour au
moins deux raisons :
- son incompatibilité avec la forte mobilité internationale des capitaux
induite par la globalisation financière ;
- son incapacité à faire face aux pressions du marché.
S'agissant du premier point, il semble que la stabilité des taux de change
ne s'accommode pas d'une forte mobilité internationale des capitaux. C'est
ainsi que la mobilité des capitaux a largement contribué à l'instabilité
monétaire de l' entre-deux-guerres en Europe et à l'effondrement du régime
de changes fixes de Bretton Woods (Kindleberger, 1986). De même, la libéralisation financière dans la communauté - avec la création du marché unique des capitaux à partir de juillet 1990 - a conduit à l'éclatement du SME.
Ce système n'a réussi à maintenir, entre 1979 et 1992, les parités à l'intérieur de bandes étroites que parce que le volume des capitaux susceptibles
3. D'après l'OCDE, les prix de la demande finale américaine étaient en 1990 inférieurs
de 30% aux prix allemands et de 35% aux prix japonais exprimés en dollars. Cet écart
s'est amplifié pour atteindre, au premier semestre de 1995, 50% vis-à-vis de l'Allemagne
et 88% par rapport au Japon.
LE BILAN DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
79
de se déplacer entre pays était bien plus faible qu'aujourd'hui d'une part, et
que la mobilité des capitaux était limitée par les dispositifs nationaux de
contrôle de changes, d'autre part.
Ainsi, en raison du processus de libéralisation et de globalisation financières, des masses considérables de capitaux peuvent désormais se déplacer
librement et rapidement4.
Pour ce qui concerne les pressions du marché, on retiendra que dans le
passé, la politique de change des Banques centrales reposait principalement
sur trois instruments :
le contrôle des changes ;
- les interventions stérilisées sur le marché des changes ;
- la manipulation des taux d'intérêt.
Or, la libéralisation financière a mis fin au contrôle des changes, alors que
l'efficacité des deux autres instruments est réduite en période de crise: le
premier parce que les réserves de change des Banques centrales deviennent
insuffisantes pour faire face aux attaques spéculatives, le dernier à cause
d'un mouvement profond de défiance à l'égard de la monnaies.
En fait, l'inefficacité des politiques monétaires face à la spéculation en
situation de mobilité parfaite des capitaux peut s'expliquer par des anticipations autoréalisatrices6 .
Faisant le point sur le système en vigueur et examinant les différentes propositions faites pour l'améliorer, on est conduit à admettre que, dans l'état
actuel des choses, le retour à un régime unique n'est ni possible ni souhaitable 7 .
Et c'est là le point de départ de l'analyse qui a conduit à l'idée des « zones
cibles ».
4. Le montant des transactions (conigées des doubles emplois) sur le marché des changes a triplé entre 1986 et 1992 pour atteindre plus de 1 000 milliards de dollars par jour,
soit quarante fois plus que la valeur du commerce international.
5. On peut constater à ce sujet que, lors des crises de changes de 1992-1993, les hausses
de taux d'intérêt - pourtant conséquentes, décidées par les autorités monétaires - n'ont pas
été suffisantes pour calmer les marchés. Voir D. Plihon, « Réflexions sur les régimes et les
politiques de change, le cas de la construction européenne », in Économie appliquée, tome
XLIX, 1996, nO 3, pp. 95-122.
6. C'est une série de modèles théoriques, initiés par Flood et Garber (1984), et par
Obsffeld (1986), qui ont montré que les attaques spéculatives peuvent déstabiliser les monnaies dont les fondamentaux sont bons. A la différence du modèle de Krugman (1979),
cette classe de modèles ne suppose pas l'existence préalable de déséquilibres économiques
pour expliquer les crises de changes. Pour qu'une crise de change éclate, il suffit que les
opérateurs anticipent que leur attaque spéculative conduira à un changement de politique
économique et à une dépréciation future d'une monnaie. La spéculation s'explique ainsi en
termes d'anticipations autoréalisatrices.
7. Les statistiques du FMI sur le poids relatif des différents régimes confirment le recul
des régimes de changes fixes. En 1978, 104 monnaies sur 138 (soit 75%) étaient déclarées
en régime de change fixe ou à flexibilité limitée. En 1992, cette proportion est tombée à
56%. Symétriquement, le nombre de pays en régime de flottement libre ou géré est passé
de 25% à 44% de 1978 à 1992. Une étude récente du CEPII (1995) montre que, dans la
réalité, la plupart des monnaies appartiennent aujourd'hui à une « zone monétaire de fait »,
au sens où celles-ci sont ancrées sur le dollar ou le Mark.
80
REPENSER BRETION WOODS
Le concept de zone monétaire caractérise mieux aujourd'hui les
relations de change entre la plupart des monnaies
Les changes fixes étant devenus insoutenables dans la situation actuelle
de mobilité parfaite des capitaux, certains auteurs (Eichengreen, 1995) ont
déduit que le seul choix possible se situe désormais entre les changes flottants et la monnaie unique.
Cette vision apparaît à de nombreux égards contestable, car elle conduit
à admettre que le régime des changes flottants fonctionne de manière satisfaisante. Ce qui est contraire à la réalité. En effet, l'existence de zones
monétaires de fait tend à montrer que le recul des changes fixes ne s'est pas
accompagné d'une montée des changes flexibles dans l'économie mondiale. La plupart des pays ont plutôt cherché à « ancrer» leur monnaie sur
une monnaie de référence. Aussi la zone monétaires apparaît-elle comme
une troisième voie située entre les changes fixes et flexibles.
La zone monétaire renvoie généralement au concept de zone cible et
l'idée n'est pas nouvelle9 . Dès 1974, elle apparaît dans les discussions au
sein du FMI et la proposition devient officielle en 1982, à l'occasion du
sommet de Versailles. Il s'agit d'amener les différents pays à gérer leur taux
de change à travers les interventions sur les marchés, afin de ne pas les laisser diverger par rapport à une « bande d'estimations acceptables de la
norme de moyen terme ».
WiIliamson (1955) définit une zone cible comme « une marge de fluctuation des taux de change de part et d'autre d'un taux d'équilibre fixé en fonction de données réelles, cette marge ayant fait l'objet d'un accord entre les
différents pays ».
La zone cible doit donc avoir des marges souples (+ ou - 10 % autour des
taux centraux, eux-mêmes susceptibles de modifications) que les autorités
ne seraient pas tenues de défendre 10. La gestion des taux de change repose8. Théoriquement, une zone monétaire se caractérise par :
1) la définition d'une relation fixe entre les monnaies des pays-satellites et la monnaie
du pays-centre (monnaie mère) ;
2) la convertibilité et la transférabilité illimitées des monnaies des pays-satellites entre
elles;
3) la mise en commun des réserves de change et leur gestion par le pays-centre ;
4) la réglementation des changes uniforme pour les relations financières avec les pays tiers.
9. Il existe deux principales propositions sur les zones cibles:
- celle de Mc Kinnon (1984 et 1988) ;
- celle de Williamson (1985 et 1986).
La proposition de Williamson, qui est indéniablement l'une des plus complètes et des
plus élaborées, a fait l'objet de critiques portant sur la complexité des calculs permettant
d'estimer le taux de change d'équilibre, d'une part, sur la notion même de l'équilibre fondamental, d'autre part.
10. Svenson (1992) a repris et formalisé l'idée de Keynes (A Treatise on Money,
McMillan & Co, 1930, p. 319 et s.) en l'appliquant au cas suédois. Il s'agit de la relation
existant entre l'indépendance monétaire d'un pays et la taille des bandes de fluctuations
des parités, mesurée à l'époque par l'écart entre les points d'entrée et de sortie de l'or. Keynes montre que la taille de l'écart entre les « gold points» doit être choisie avec soin car
c'est un paramètre qui détermine la capacité des pays à maîtriser leurs taux d'intérêt.
LE BILAN DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
81
rait donc essentiellement sur la politique monétaire, l'intervention sur les
marchés, les contrôles de capitaux et la politique budgétaire.
Le système de zone cible représente, pour Williamson, une alternative
viable aux deux systèmes (changes fixes et changes flexibles), ne serait-ce
qu'en raison de ses fonctions :
- réconcilier les différents taux d'inflation à travers l'ajustement automatique de la cible nominale;
- faciliter l'ajustement des balances de paiements, grâce à la modification du taux central réel ;
- assurer le degré de dépendance de la politique monétaire grâce aux
marges larges ;
- absorber les chocs spéculatifs à travers l'existence de ces marges.
Les implications du système de Bretton Woods en Afrique
Les interventions incessantes des institutions de Bretton Woods en Afrique depuis le milieu des années 1980 n'ont pas fondamentalement permis
de résorber la crise africaine. Cependant, certaines économies ont fait
d'importants efforts de redressement.
L'inefficacité des institutions de Bretton Woods face à la crise africaine
Jusqu'au milieu des années 1990, le FMI intervenait essentiellement pour
aider les pays membres à résoudre les crises des paiements internationaux.
Il a été conduit, à cet égard, à prendre en compte l'endettement extérieur (et
intérieur) des États et à trouver des moyens de restaurer leur liquidité, voire
leur solvabilité à terme (Henner, 1999).
Récemment, et notamment en Asie, le FMI est, pour la première fois,
intervenu dans le cadre d'une crise des changes générée par un excès
d'endettement privé, intérieur et extérieur. Il a donc dû jouer le rôle de prêteur en dernier ressort et a dû se substituer, en partie, aux Banques centrales
en leur apportant les devises nécessaires pour éviter l'effondrement total
des systèmes financiers nationaux.
Cette nouvelle forme d'intervention laisse présager un renouvellement de
son rôle, même si elle a immédiatement suscité de fortes critiques!!. Au
point que le monde financier se retrouve aujourd'hui face aux mêmes interrogations et propositions que lors de la négociation de Bretton Woods en
1944.
II. Les tenants d'un libéralisme « pur et dur » et du fonctionnement du marché sans
intervention de l'État condamnent l'intervention du FMI parce qu'elle vient empêcher
l'apurement naturel et efficace du marché. Ces critiques en arrivent donc à proposer la suppression du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.
82
REPENSER BRETION WOODS
Les institutions de Bretton Woods et leur mode de régulation ont fait en
Afrique l'objet de nombreuses critiques. On leur reproche, entre autres:
- le manque de flexibilité ;
- la non-prise en compte de la dimension sociale du développement;
- la modicité des concours par rapport aux besoins de développement
des pays africains ;
- leur incapacité à résoudre le problème de la dette.
Ces institutions constituent un élément de rigidité. En effet, ne trouvant
pas auprès d'elles des ressources nécessaires pour financer le développement, les pays africains sont contraints d'accroître leurs déficits et leur
endettement. On comprend donc aisément pourquoi ces programmes sont
si souvent dénoncés et arrêtés avant la fin de leur exécution.
On reproche par ailleurs à ces institutions de continuer à financer des régimes corrompus et manifestement connus pour leur mauvaise gestion.
Enfin, le fait que les fonds collectés et les actions entreprises profitent
principalement aux firmes multinationales qui, par ce canal et sous le prétexte de la libéralisation, gagnent les marchés anciennement protégés et
rachètent à bas prix les actions des sociétés locales.
Tableau 1 - Accords du FMI au 31 décembre 1998
Pays
Date de l'accord Date d'expiration
Total approuvé
(millions de DTS)
Accords élargis de crédit
Gabon
8 nov. 1995
7 mars 1999
110,30
AccordFASR
Bénin
28 août 1996
27 août 1999
27,18
Burkina Faso
14 juin 1996
13 sep. 1999
39,78
Cameroun
20 août 1997
19 août 2000
162,12
Congo (Rép. du)
28 juin 1996
27 juin 1999
69,48
. 17 mars 1998
16 mars 2001
285,84
Guinée
13 janv. 1997
12janv.2000
70,80
Mali
10 avril 1996
5 août 1999
62,02
Niger
12juin 1996
1er sept. 1999
57,96
RCA
20 juillet 1998
19 juillet 2001
49,44
Sénégal
20 avril 1998
19 avril 2001
107,01
Tchad
1er sept. 1995
28 avril 1999
49,56
Côte d'Ivoire
FASR : Facilité d'ajustement structurel renforcé.
Source: Bulletin du FMI, 18 janvier 1999.
La conséquence de cette situation est, pour l'Afrique:
- un accroissement de l'endettement public et privé : en moyenne de
2,2 % pour toute l'Afrique entre 1991 et 1996 (tableau n° 3 en annexe) ;
83
LE BILAN DU SYSTÈME DE BREITON WOODS
- un accroissement du chômage et une paupérisation croissante, ainsi
que le révèle le tableau n° 2.
Tableau 2 - Indicateurs de la pauvreté humaine dans certains pays
africains
Pays
Indicateur de la pauvreté
humaine %
Classement
-
-
Burkina Faso
58,2
76
Cameroun
30,9
43
Congo (Rép. Du)
31,5
44
Côte d'Ivoire
46,4
64
Gabon
-
-
Guinée
49,1
71
Mali
52,8
73
Niger
62,1
77
RCA
40,7
55
Sénégal
48,6
69
-
-
Bénin
Tchad
Source: PNUD, Rapport mondial sur le développement humain. 1998.
Il reste qu'un grand nombre de pays afriçains ont pu faire des efforts louables pour redresser leurs économies, en partie sous l'instigation des institutions de Bretton Woods.
Les efforts louables de nombreux pays africains
Depuis le milieu des années 1980, de nombreux pays africains ont fait
des progrès dans plusieurs domaines, essentiellement en ce qui concerne
la libéralisation des prix intérieurs, la commercialisation, la restructuration
et la privatisation des entreprises publiques, l'assouplissement du marché
du travail, l'ouverture du système de commerce et des changes, l'adoption
de taux de change réalistes et la réforme de la fiscalité et des dépenses
publiques.
Ils se sont attachés à mettre en place un système de marché de nature à
faciliter le développement du secteur privé, la croissance et la diversification économiques, ainsi que l'intégration de l'Afrique à l'économie mondiale. Les banques sont passées peu à peu du financement des déficits et
pertes du secteur public à celui des opérations du secteur privé.
Lors des quatre dernières années, ces réformes structurelles ont permis à
un grand nombre d'entre eux de réduire le déficit du secteur public, de progresser vers la stabilité macroéconomique, de développer leurs exportations et d'accélérer la croissance.
Ces efforts devraient aujourd'hui être renforcés dans deux directions: le
secteur bancaire et la répartition des revenus.
84
REPENSER BRETION WOODS
Dans les années 1970 et 1980, le secteur bancaire de nombreux pays subsahariens était très fragilisé, en grande partie du fait que les prêts des banques (publiques ou non) servaient à financer les déficits budgétaires, les
pertes des entreprises dans lesquelles l'État était majoritaire et les projets
publics inefficaces.
Les efforts importants de restructuration bancaire ont été déployés surtout
dans la zone UMOA. Ils ont notamment consisté à :
- réduire les pertes d'exploitation des banques;
- fermer les banques non rentables ou insolvables;
- recouvrer les créances douteuses;
- mettre fin peu à peu à la participation de l'État au capital et à la gestion
des banques.
Il s'agissait également de s'abstenir d'utiliser les facilités de crédit à
court terme offertes par la Banque centrale, en sa qualité de prêteur en dernier ressort, en vue de répondre temporairement aux besoins de liquidité
des banques.
En matière de répartition des revenus, les recommandations macroéconomiques du FMI ont eu généralement un effet négatif. L'intervention du
Fonds s'est souvent traduite par la faillite de nombreuses entreprises,
l'accroissement du chômage et de la pauvreté dans le pays (tableau n° 2).
Aussi convient-il de la recentrer sur des objectifs statutaires, autrement dit:
- la coopération monétaire internationale;
- l'accroissement harmonieux du commerce international ;
- la stabilité des changes.
Le fait que de nombreux pays aient décidé de participer à une zone monétaire n'est pas uniquement motivé par des objectifs de nature commerciale.
Le choix de ce régime de change est en partie dicté par des impératifs de stabilisation macroéconomique.
L'ancrage externe devient ainsi, dans les pays où la crédibilité de la banque centrale est faible, un facteur de stabilisation interne.
Cependant, la politique d'ancrage des monnaies a des effets pervers, entre
autres, la dégradation continuelle de la compétitivité tant que le taux
d'inflation demeure supérieur à celui des concurrents.
Dans ces conditions, les autorités doivent procéder àun arbitrage entre les
impératifs de stabilisation et les méfaits d'une appréciation réelle de leur
monnaie. Cette surévaluation, outre le fait qu'elle nuit aux producteurs
nationaux, donne lieu tôt ou tard à des attaques spéculatives fatales.
Conclusion
En théorie, lorsque les restrictions commerciales sont maintenues, la libre
circulation des capitaux entraîne normalement une allocation moins efficace des ressources. Cependant, une forte mobilité des capitaux risque
d'être incompatible avec un régime de flottement ou de rattachement, ou
avec une parité fixe, notamment pour les pays dont les marchés financiers
sont peu développés.
LE BILAN DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
85
Certes, en période de crise, il est très difficile d'avoir une idée précise du
niveau auquel s'établira le taux de change, car n'importe quel opérateur est
capable de le faire varier fortement. Pour toutes les économies ouvertes, et
surtout pour les petites et moyennes d'entre elles, le risque réside dans le
fait que des mouvements arbitraires, qui ont leur origine dans les marchés
financiers, peuvent avoir des effets très perturbateurs et entraîner une mauvaise répartition des ressources.
'
L'expérience montre que les flux de capitaux d'investissements directs
étrangers et de portefeuille, quoique instables, ne sont généralement pas à
l'origine de crises systémiques aiguës. En revanche, la dette des États, celles du système bancaire et, dans une optique plus large, du système financier constituent des risques importants. Et c'est à ce niveau que se pose le
problème des moyens nécessaires pour renforcer les systèmes financiers, la
surveillance du FMI et promouvoir une libéralisation ordonnée des marchés de capitaux.
Plusieurs solutions sont alors possibles :
1) balayer les derniers vestiges du protectionnisme, abolir les subventions à la production, jouer la transparence et continuer le processus de
réforme économique. Le FMI et la Banque mondiale doivent à cet effet
bénéficier d'un soutien financier, autrement dit être dotés des ressources
suffisantes pour accomplir leurs missions, en tirant naturellement parti des
enseignements du passé 12 ;
2) le FMI doit particulièrement renforcer sa surveillance, accroître la
transparence et établir des normes internationales dans le domaine de la
politique monétaire et budgétaire, qui constituent des instruments essentiels
à la consolidation des systèmes financiers nationaux;
3) la règle de la transparence doit s'appliquer, non seulement aux pouvoirs publics et aux organisations internationales, mais également aux institutions privées, notamment aux fonds spéculatifs, aux caisses de retraite et
aux compagnies d'assurances. Les responsables économiques disposeraient ainsi d'une meilleure base d'information;
4) la création d'un mécanisme visant à assurer un rééchelonnement
ordonné de la dette extérieure privée dans les cas difficiles qui ne peuvent
être réglés par les forces du marché.
Le lancement de l'euro offre à cet égard des chances nouvelles à l'économie mondiale. Il constitue un réel défi quant à l'élaboration de la politique
macroéconomique dans un système monétaire international basé jusque-là
sur des monnaies nationales. Cela requiert une plus grande coopération internationale et une surveillance renforcée de la zone euro, de manière à accroître
sa contribution à la stabilité du système monétaire international. Pour être
efficace, la mondialisation exige la création de systèmes monétaires et financiers nationaux et internationaux solides, profitables à tous les pays.
En ce qui concerne les entrées de capitaux, il est souhaitable de libéraliser
en premier lieu celles de capitaux à long terme, et passer aux capitaux à
12. On pourrait ainsi procéder à une augmentation des quotes-parts, à l'adhésion aux
nouveaux accords d'emprunt et à la ratification de l'allocation spéciale de DTS.
86
REPENSER BRETION WOODS
court terme seulement une fois que les systèmes bancaires et financiers sont
renforcés. Il ne faudrait cependant pas perdre de vue que tout avantage à
court terme procuré par le contrôle des flux à leur sortie sera annihilé par ses
inconvénients à long terme, car le contrôle est source de fraude et décourage
les investisseurs étrangers.
Le fonctionnement du SMI a profondément évolué au cours de ce dernier
quart de siècle, en tout cas depuis l'abandon en 1971 des principes définis au
lendemain de la seconde guerre mondiale par les accords de Bretton Woods.
Ces transformations concernent, en particulier, le régime de change.
La situation d'instabilité actuelle peut être analysée à partir du « triangle
des incompatibilités », popularisé par le rapport Padoa Schioppa, selon
lequel il est impossible d'obtenir simultanément la stabilité des taux de
change, la mobilité des capitaux et l'indépendance des politiques monétaires (Plihon, 1996).
En prenant appui sur le SME, on convient que ce système a été au départ
bâti sur un compromis entre ces trois pôles : la fixité des changes était
modulée par la possibilité de réalignements, la mobilité des capitaux était
limitée par des dispositifs nationaux de contrôle de changes; ce qui donnait
une certaine autonomie aux politiques monétaires.
Aujourd'hui, la très forte mobilité des capitaux soumet les autorités
monétaires à un arbitrage entre les degrés d'indépendance et de stabilité des
parités de leurs monnaies.
C'est dire que l'Afrique devrait tirer parti de l'expérience européenne,
sachant que le problème qui se pose aujourd'hui est celui de la définition
d'un régime de change susceptible de dynamiser le processus d'intégration
économique et monétaire et surtout de favoriser la croissance économique.
A cet égard, le cadre théorique le plus pertinent pour caractériser les rapports de change actuels est celui de « zone cible », tel qu'il a été présenté
par Williamson (1986). Et deux caractéristiques des zones cibles semblent
particulièrement adaptées à la situation actuelle :
- l'adoption par les pays membres d'objectifs communs et négociés de
taux de change de référence, compatibles avec une croissance soutenable en
termes d'emplois et de balance des paiements;
- la définition de bandes de fluctuations des changes assez larges pour
permettre des réalignements fréquents des taux de change.
C'est en tout cas le seul moyen de restaurer l'autonomie nécessaire en vue
d'atteindre des objectifs internes de politique économique et de prendre en
compte l'hétérogénéité des situations nationales 13 •
13. L'élargissement au sein du SME des bandes de fluctuations à + ou - 15 %, décidé par
l'accord de Bruxelles du 2 août 1993, a constitué le principal rempart contre les attaques spéculatives. Il a permis aux autorités des pays les plus inflationnistes d'opérer des modifications fréquentes et modérées de leurs parités sans avoir à faire face à des crises spéculatives
avant chaque réalignement. En effet, les bandes élargies ont créé une situation moins favorable à la spéculation qui joue généralement gagnant lorsqu'elle connaît à l'avance les objectifs et les contraintes des autorités monétaires. Or, les bandes de fluctuation larges
entretiennent une incertitude plus grande qui elle-même accroît le risque des spéculateurs.
Elles donnent par ailleurs un plus grand degré de liberté aux autorités monétaires.
87
LE BILAN DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
Annexe
Tableau 3 - Indicateurs de certains pays africains
Dette
extérieure
(taux de
croissance
annuel
moyen
91-96)
Service
de la dette
(taux de
croissance
annuel
moyen
91·96)
Taux de
croissance
annuel
moyen
91-97
Solde des
comptes
courants
(moyenne
annuelle
91-97)
Bénin
4,7
-4,4
-2,1
4,3
19,0
Burkina Faso
4,1
- 5,9
-2,8
34,8
83,8
Pays
Finances
publiques
(en % du
PIB 91-97)
0,2
-2,7
- 5,8
6,9
15,6
-1,7
- 22,4
-10,00
6,8
46,3
Côte d'Ivoire
3,1
-7,1
7,3
4,4
1,9
Gabon
2,3
2,0
-0,4
5,0
9,9
Guinée
4,0
-8,8
-3,5
7,1
21,9
Mali
3,5
-4,2
- 3,3
3,2
22,6
Niger
1,7
-2,8
- 3,7
3,0
-56,1
RCA
Cameroun
Congo
-0,3
-6,5
- 5,6
5,7
15,2
Sénégal
2,4
-6,4
-0,9
4,1
-0,7
Tchad
3,2
-14,1
-7,8
10,6
43,5
Togo
1,3
-6,3
-7,6
3,1
49,8
Afrique
2,5
- 1,7
-4,9
2,2
-0,5
Source: Banque africaine de déve1oppment, Rapport sur le développement en Afrique,
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88
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REPENSER BRETION WOODS
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LE BILAN DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
89
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DEUXIÈME PARTIE
L'AFRIQUE, BRETTON WOODS
ET LE SYSTÈME INTERNATIONAL
3
,
Economie politique du consensus de
Washington révisé
par Bernard FOUNOU TCHUIGOUA
Pour sortir de la crise des modèles d'accumulation qui avaient prévalu
après la seconde guerre mondiale dans les centres (Welfare State et démocratie parlementaire), dans le système soviétique (industrialisation et We/lare State sans démocratie), et dans les périphéries dynamiques
(industrialisation sans institutionnalisation des droits sociaux pour les couches populaires ni démocratie), les forces dominantes par le premier consensus de Washington avaient contraint les États vulnérables du Sud à
renoncer au projet de construction de systèmes productifs autonomes aux
niveaux national ou régional. Ce consensus légitimait les politiques
d'ouverture forcée des économies, de privatisation des services publics, de
priorité à la rentabilité sur les besoins sociaux, d'allocation des ressources
par le marché selon les critères de la rentabilité privée; le tout dans le cadre
de politiques déflationnistes. Les États faibles par leurs bases sociales ou
affaiblis par des endettements excessifs ont dû appliquer des programmes
d'ajustement structurel (PAS), qui étaient dictés par le FMI et la Banque
mondiale, également chargés d'en surveiller l'application. Ces institutions
participaient donc directement du pouvoir d'État. La manifestation la plus
dramatique des conséquences de ce consensus se lit dans la désintégration
sociale et politique des pays du Tiers monde. Elle résulte de la diminution
de la capacité de l'État à jouer le rôle d'acteur principal, indispensable dans
les transformations positives et régulateur des conflits inévitables qu'elles
engendrent. C'est pourquoi le critère d'appréciation principal de la révision
du consensus de Washington est la place faite aux rapports entre l'économie
et la société. Devant ce désastre, le consensus a été révisé. Selon ses protagonistes nous serions dans l'ère du post-ajustement. S'agit-il de l'amorce
d'une solution à la crise du développement ou d'un simple aménagement
dans une problématique inchangée? Nous soutenons dans ce texte qu'il n'y
a pas de changement qualitatif; le consensus révisé n'envisage pas le développement planétaire non polarisant qui nécessite un ordre international
94
REPENSER BRETION WOODS
compatible avec les projets de construction nationale/régionale volontaristes dans les périphéries. Cela suppose la revalorisation de l'État. Nous montrons dans la première partie du texte que la mondialisation affecte
inégalement les capacités de régulation des Etats ; dans la deuxième partie,
que les États centraux sont plus impérialistes que mondialistes; et dans la
troisième partie, que le consensus révisé ne propose pas d'alternative à
l'ajustement structurel.
La mondialisation affecte inégalement les capacités de régulation
Le marché mondialisé commande-t-il unilatéralement aux États
centraux? La réponse du consensus révisé est pour le moins ambiguë. Elle
ne remet pas en cause le dogme de l'État au service du marché tel qu'il a été
formulé par la Banque mondiale dans son fameux rapport de 1997, où elle
admet que l'État est nécessaire au marché qui devient pourtant autorégulateur et l'oblige à s'ajuster à ses exigences. De plus, affirme-t-elle, «les
facteurs qui influent sur l'efficacité de l'État varient considérablement d'un
pays à l'autre. Car même à niveau de revenu égal, la taille du pays, la composition ethnique, la culture et le régime politique confèrent à chaque État
un caractère unique l ». Mais si pour elle l'État est soumis aux contingences
locales, le marché est homogène en ce sens qu'il revêt la même forme d'une
économie marchande à une autre. Cette prise de position est insoutenable
puisque déjà au temps où elle distinguait les économies planifiées des économies de marché, aucun économiste n'était censé ignorer que chaque
grande économie capitaliste avait forgé des formes spécifiques d'organisation, de production, de relations de travail, d'articulations des banques à
l'industrie, de politiques industrielles, agricoles, etc. Pourquoi ne pas
admettre aussi que les facteurs qui influent sur l'efficacité du marché sont
aussi nombreux que ceux qui influent sur l'efficacité de l'État, et qu'il n' y a
aucune raison a priori de mettre ce dernier au service du premier? La Banque applique un paradigme de la pensée économique dominante, celui de
l'assimilation des rapports entre le marché et l'État à celui des relations entre
un phénomène naturel et une construction humaine. Deux conséquences,
l'une théorique, l'autre politique en découlent: en premier lieu l'analyse
économique pourrait dégager les lois aussi précises que les sciences de la
nature ; cette prétention fut déjà critiquée par Samir Amin en 19702• En
second lieu, ces lois s'imposeraient à la société et notamment à l'instance
politique. C'est dans ce cadre que la Banque affirme que l'économie mondialisée sert de protection contre l'arbitraire de l'État en limitant ses droits
régaliens en matière d'imposition des capitaux et en exposant ses politiques
monétaires et budgétaires aux sanctions des marchés financiers 3. R. Heil1. Banque mondiale, Le Développement dans le monde, New York, 1997.
2. Samïr Amin, L'Accumulation à l'échelle mondiale, Paris, Anthropos, 1969.
3. Banque mondiale, idem.
ÉCONOMIE POLITIQUE DU CONSENSUS DE WASHINGTON RÉVISÉ
95
broner et W. Milberg4 rejettent cette présentation qui fait de l'économie une
science ahistorique et la place au-dessus des options politiques et morales
des économistes. Ils considèrent à juste titre qu'une analyse économique
utile tire sa validité de l'économie politique qui la fonde ; et que pour les
économistes qui optent pour le capitalisme mais sans prétendre faire de
l'économique une science dont les lois se prêtent aux formalisations inspirées des sciences de la nature, l'État doit jouer un rôle plus important que
dans les modèles de régulation fordiste et keynésien; que la délégitimation
du secteur public au sein du capitalisme est au cœur de la crise de la pensée
économique dominante contemporaine; que la nouvelle science économique doit être fondée sur « une reconnaissance de la nécessité d'un élargissement et d'un approfondissement de l'orientation fournie par les pouvoirs
publics dans le fonctionnement même du capitalisme» ; et qu'elle doit en
outre prendre pour hypothèse un équilibre entre les secteurs public et privé
qui « soit tel que le rôle du premier soit plus considérable que dans la période
de l'après-guerre ». Voilà pourquoi c'est aux États de surveiller les marchés
financiers et non le contraire. C'est ce que contestent les ultramondialistes.
La mondialisation économique capitaliste se réfère à deux processus
distincts: l'un aux flux des produits et des ressources transfrontaliers et
l'autre aux structures qui gèrent les réseaux internationaux des activités et
des transactions. Selon les ultralibéraux la mondialisation devait conduire à
l'économie mondiale globale ou sans frontières ou encore à la libre circulation des produits, des facteurs de production et des actifs financiers. La
production de biens publics nécessaires au fonctionnement de cette économie, tels que le régime de propriété et la stabilité macroéconomique, devrait
découler de normes établies par les institutions mondiales, les États ne procédant qu'à des adaptations locales. Les performances économiques
devraient dépendre des réponses des firmes aux incitations du marché et à
l'efficacité des régulations globales. C'est le mondialisme, une idéologie de
la mondialisation. Cette présentation utopique de la mondialisation n'a
jamais guidé les stratèges de cette dernière, ni avant ni depuis la révision du
consensus. Ils se contentent d'une mondialisation tronquée et polarisée,
reproduite par des moyens économiques et non économiques dont disposent les États les plus puissants.
Les sociétés transnationales ne sont pas aussi apatrides qu'il y paraît.
L'ultralibéral Drucker5 fait la distinction entre société multinationale et
société transnationale. La première est une entreprise nationale ayant des
filiales qui sont des clones de l'entreprise mère. Une filiale fabrique presque
tout ce qu'elle vend, et emploie presque exclusivement des cadres nationaux expatriés. « Par contre, écrit-il, une entreprise transnationale n'a
qu'un espace économique, le monde; même si la vente, l'entretien et le service juridique sont assurés localement, la fixation des prix, la gestion des
4. Heilbroner et Milberg, La Pensée économique en crise, Paris, Economica, 1998.
5. Peter Drucker, «The global economy and the Nation-State », Foreign Affairs, sept.!
oct. 1997, pp. 18-23 repris sous le titre de« L'économie globale et l'État-nation », Problèmes économiques, 21 janvier 1998.
96
REPENSER BRETION WOODS
finances, la recherche s'effectuent en fonction du marché mondial. Des postes de direction peuvent être occupés par des non-nationaux. Le lieu où une
STN innove n'est pas donné a priori. On sait que près de 40 % du commerce
mondial sont des transferts intra-firmes. » A cette présentation mondialiste
des entreprises géantes, nous avons deux critiques à formuler:
- en premier lieu, les fusions et acquisitions, qui conduisent aux entreprises géantes, localisent le pouvoir dans la Triade et des éléments
géopolitiques entrent en jeu dans ces fusions. Il n'y a pratiquement pas
d'entreprises indifférentes à son État. En règle générale les sociétés transnationales continuent d'entretenir des relations privilégiées avec leur État.
« Si Hoecht, le géant des industries chimiques allemandes veut devenir leader dans les industries pharmaceutiques mondiales, il pourrait pour certaines raisons délocaliser des activités vers les USA ou vers certains pays
d'Europe. Sa gestion intégrera des managers de diverses nationalités.
Néanmoins l'Allemagne ou l'Europe demeurerait la patrie de cette
multinationale6 ». Remarquons au passage que la privatisation des entreprises publiques entraîne rarement la perte du contrôle national du capital, et
jamais au bénéfice d'une STN de la périphérie, c'est-à-dire des chaobols
sud-coréens; un des objectifs de la guerre du Golfe fut d'éliminer le Koweït
du processus d'acquisition des entreprises en Europe. A la périphérie et
notamment dans le quart-monde, la privatisation s'opère quasi exclusivement au profit de STN étrangères. En Côte d'Ivoire, le groupe d'Hydro
Québec (HQI).et des groupes français (SAUR, Cie Générale des Eaux,
Lyonnaise des Eaux, EDF) qui ont bénéficié de la privatisation de la distribution de l'eau et de l'électricité, entretiennent entre eux des relations
ambiguës qui pourraient figurer des collusions dans un partage négocié du
marché africain7 . Il ne s'agit pas d'un cas isolé;
- en second lieu, les États centraux sont en rapport de connivence avec
leurs entreprises multinationales dans une dynamique de relations internationales où les considérations géostratégiques l'emportent souvent sur les
objectifs de profit à court terme.
Au plan empirique, il n'y a pas un processus de mondialisation linéaire.
C'est ce que révèle la comparaison avec la fin du XIXe siècle, même si le
contexte est très différent. Mesurée par le ratio du commerce extérieur au
produit intérieur brut, l'intégration mondiale des économies centrales est
aujourd'hui inférieure à ce qu'elle était en 1913 pour le Japon (15% contre
27 %), à peine supérieure pour la France (35 contre 30 %) et la Grande-Bretagne (47 contre 42 %). C'est seulement pour les USA qu'elle a fait un bond
spectaculaire, mais pour atteindre seulement 20% aujourd'hui. Rapportés
aux PIB, les stocks d'investissement extérieur des grands pays investisseurs
restent très inférieurs à ce qu'ils étaient en 1914 pour les Pays-Bas (41 contre 82%) et la Grande-Bretagne (20 contre 60%), et supérieurs pour la
6. Thomas Oppermann, « The international economic order », Law and State 1998, vol. 58.
7. P. Lane « Les services publics africains à l'heure du désengagement de l'État. Changements conservateurs ou progressistes », Annales des mines, juin 1998, n° 52, pp. 21-27,
repris dans Problèmes économiques, 21 octobre 1998, n° 2587.
ÉCONOMIE POLITIQUE DU CONSENSUS DE WASHINGTON RÉVISÉ
97
France (5 contre 4 %), l'Allemagne (5 contre 3 %) et les États-Unis (3 contre
2%). Il n'y a pas une convergence des prix malgré la généralisation des
politiques déflationnistes. Remarquons au passage que l'instauration de la
libre circulation du travail en Europe n'entraîne pas la mobilité transfrontalière des travailleurs. Un enquête faite par une institution spécialisée suisse
sur les intentions des travailleurs de l'Europe de l'Est en matière d'émigration a vérifié notre thèse selon laquelle la force de travail n'émigre massivement et définitivement que lorsqu'elle a perdu ses attaches avec la terre
sans pour autant s'urbaniser.
Les États centraux ont toujours disposé de pouvoirs de régulation
La mobilisation réellement existante affecte différemment les États du
centre et ceux de la périphérie. Il est incorrect de soutenir que la mondialisation a entraîné effectivement la soumission de tous les Etats au marché
dans tout le système capitaliste. La reproduction de la polarisation centre/
périphérie n'obéit pas principalement aux prétendues lois du marché; elle
résulte principalement des décisions d'États d'autant plus puissants qu'ils
appartiennent au groupe des détenteurs de monopoles dans des domaines
clés. Il s'agit de la capacité de générer de nouvelles technologies, d'organiser le système monétaire, de bénéficier des flux financiers, de contrôler
l'accès aux ressources naturelles de la planète, de fabriquer et de détenir les
armes de destruction massive, d'imposer en cas de crises des politiques de
gestion qui en transfèrent le poids sur les pays de la périphérie8 .
Le comportement des États-Unis illustre aussi le fait que les États centraux détiennent toujours des pouvoirs importants. Avec le déclin de l'hégémonie américaine, des économistes avaient forgé des outils d'analyse de
l'interdépendance économique qui supposaient que, pour sortir de la crise,
la Triade allait élaborer une politique économique collégiale fondée sur un
schéma keynésien au plan mondial. Le gouvernement Reagan lui préféra
une approche qui réservait aux États-Unis l'exclusivité des grandes initiatives. En effet selon l'analyse de son équipe, les États-Unis étaient en
mesure d'influencer par leur politique macroéconomique la croissance
dans le monde en forçant les autres économies à s'y ajuster. Cette option
leur paraissait d'autant plus réaliste que l'économie américaine des années
1980 était plus dépendante des transactions internationales que celle des
années 1950; les données empiriques montraient que l'économie américaine était toujours la plus puissante du monde et que les conséquences de
la politique économique américaine étaient devenues plus grandes9 . Cette
analyse doit être complétée par celle des rapports Nord-Sud. La réponse
8. Samir Amin, Les Défis de la mondialisation, Paris, L'Harmattan, 1994.
9. Paul R. Krugman, «US maero-eeonomic poliey and the developing eountries. US
foreign poliey and the Third World agenda 1985-1986 », Overseas Department Couneil,
USA IW Policy Perspectives, 1985, na 3.
98
REPENSER BREnON WOODS
américaine fut aussi une réponse négative aux revendications des bourgeoisies du Tiers monde. Grâce à une meilleure connaissance du fonctionnement de l'économie mondiale, elles profitaient de la crise de l'énergie pour
présenter leur grande revendication d'un ordre économique mondial favorable à l'industrialisation du Sud. La défaite du Sud fut cause et conséquence de l'instauration de l'ordre économique néolibéral lO • La conviction
qu'une relance de la coopération Sud-Sud est possible, légitime actuellement l'analyse malaisienne qui attribue la crise financière asiatique à une
stratégie de déstabilisation des économies dites émergentes et aux décisions
asiatiques et latino-américaines de contrôler unilatéralement les mouvements des capitaux. Pour sa part la Chine n'a pas accepté les thèses néolibérales dans ce domaine.
La révision du consensus ne fait que reconnaître une situation de fait: à
savoir qu'au centre le pouvoir régulateur de l'État avait à peine reculé lorsque la politique dite néolibérale était la règle. Au plan macroéconomique,
depuis 1980, la marge de manœuvre de la politique budgétaire keynésienne
de soutien à la croissance de l'économie par la demande est érodée, mais
continue d'opérer plus ou moins indirectement. La part des dépenses publiques reste supérieure au tiers du PIB dans tous les grands pays capitalistes
développés. Elle dépasse 40% au Royaume-Uni, approche 50% en Allemagne et en Espagne et dépasse 50 % en France. Le personnel absorbe
encore les trois quarts des dépenses budgétaires au Japon et en France, près
des deux tiers aux États-Unis et plus de la moitié en Allemagne. Si de 1980
à 1997, aux États-Unis, pays leader mondial de la rhétorique néolibérale, le
PIB a été multiplié par 2,6, les dépenses publiques totales ont été multipliées par 3,2.
Le soutien à la compétitivité/productivité par l'innovation technologique
est resté très soutenu. L'État intervient toujours très activement dans la
recherche-développement; par conséquent la réduction des dépenses de
recherche militaire n'entraîne pas une chute brusque de la recherche-développement. Les dépenses publiques en recherche-développement sont toujours dans chaque pays plusieurs fois supérieures au montant de l'aide au
développement. La part des dépenses publiques consacrée à la formation ne
descend au-dessous de 10% qu'en Allemagne. Autrement dit, les systèmes
économiques des pays du centre se renforcent simultanément à l'ouverture
sur le marché mondial.
Au plan social, le Welfare State recule mais est loin d'avoir été relégué au
passé 11. La part des dépenses de santé dont le financement est contrôlé par
l'État est proche de 75% en Europe et dépasse 40% aux États-Unis. Cette
situation est due à la capacité des sociétés de résister à l'idéologie mondialiste qui permet aux STN de brandir l'arme de la délocalisation, comme si
10. Bernard Tchuigoua Founou, « The world crisis and the new function of transnational Banking in weakening peripheral bourgeoisies and stalling the delinking process, Bulletin du FTM, 1987, n° 6, pp. 27-30.
II. Ricardo Perelia, Le Bien commun, éloge de la solidarité, Bruxelles, Labor, 1996,
deuxième édition.
ÉCONOMIE POLITIQUE DU CONSENSUS DE WASHINGTON RÉVISÉ
99
les frontières économiques n'existaient plus. Cette arme ne vaut que pour
les pays du Sud. Mais les plus actifs d'entre eux doivent dépenser pour mettre en place des infrastructures, et les moins développés ont des économies
si sinistrées que la diminution des dépenses publiques peut entraîner
l'effondrement de l'État ou sa paralysie. Alors le marché impose ses lois:
recul de la scolarité, diminution de l'accès aux services de santé, développement de nouvelles endémies ou recrudescence d'anciennes. En particulier, la croissance économique négative, accompagnée de l'augmentation
des inégalités sociales au profit d'une minorité de 5 à 10%, fait augmenter
la pauvreté absolue.
Au plan de la coopération au sein de la Triade, l'Europe et le Japon soutiennent la croissance américaine. La croissance relativement forte de
l'économie américaine, sans poussée inflationniste et avec un taux de chômage inférieur de 50% au taux européen, apparaît comme le produit d'une
politique socio-économique néolibérale réussie. Le consensus permet-il
d'exporter ce modèle de croissance? Oui, si l'on oublie la nouvelle forme
d'intégration de l'économie américaine dans l'économie mondiale. Non, si
l'on prend en compte des faits majeurs nouveaux qui permettent de
découvrir que cette politique relève plus de l'adaptation de Keynes que de
Ricardo ou Friedman. L'ensemble des pays développés considèrent en effet
que l'Amérique du Nord et l'Union européenne doivent être protégées à
tout prix des processus déstabilisants de la crise de l'accumulation. C'est
dans ce cadre qu'il faut situer le soutien européen et japonais à la politique
de la croissance américaine, croissance fondée sur le concept de la priorité
à l'emploi et à la répression pénitentiaire et non à l'équité sociale. Elle est
liée à la crise de croissance japonaise par un mécanisme de transfert d' épargne. Les États-Unis ont des taux d'épargne historiquement faibles tandis
que ceux du Japon sont très forts. Ce pays détient le tiers de l'épargne mondiale et les plus grandes réserves de devises du monde, estimées à plus de
200 milliards de dollars. Le mécanisme de transfert principal consiste en
l'instauration d'un différentiel de taux d'intérêt incitatif. Ainsi que l'écrit
1. Ramonet, «comme les titres publics rapportent 1,68% au Japon et 5,4%
aux États-Unis, il est plus avantageux de placer l'épargne hors de l'archipel
[... ] et à titre principal aux États-Unis [... ]. Selon le département du commerce à Washington, plus d'un milliard de dollars fuient le Japon chaque
jour. D'autres estimations portent le chiffre à 1,6 milliard de dollars. Les
Japonais ont investi 269 milliards de dollars en bons de trésor américains
(contre 258 milliards pour les Britanniques), ce qui contribue à maintenir la
liquidité internationale des États-Unis l2 ». Jusqu'à quand le système tiendra-t-il ? Pour F. Clairemont « le Japon est en pleine dérive, dans une zone
pacifique où les rouages de l'économie capitaliste sont mis à nu d'une
manière tellement spectaculaire, sans précédent depuis la grande dépression des années 1930 : écroulement des systèmes bancaires, allocation irrationnelle des ressources, désastres écologiques, fièvres spéculatives,
12. Ignacio Ramonet, «Le Japon danger immédiat». Le Monde diplomatique, octobre
1998, p. 1.
100
REPENSER BRETTON WOODS
explosion des inégalités et de la pauvreté, surproduction et sous-consommation, excès d'épargne et grossière insuffisance d'investissements socialement utiles, dévaluations répétitives, etc. Tous les stratagèmes de la
guerre économique ! Bien entendu l'effondrement économique de l'Asie
de l'Est est possible 13 ». Les enjeux en sont énormes: les États-Unis sontils prêts à renoncer à leur prétention hégémonique pour sauver l'économie
mondiale d'une crise qui pourrait déboucher sur un véritable chaos
géopolitique? Ce n'est pas au marché mais au politique de décider. La
manière dont la crise économico-financière asiatique affectera les rapports
État/marché aura d'importantes conséquences pour l'avenir. Helen V. Milner s'interroge : « Les pressions exercées par les acteurs financiers internationaux modifieront-elles fondamentalement la relation entre les pouvoirs
publics et l'économie dans les pays asiatiques? La crise conduira-t-elle à
une convergence accrue des pratiques économiques des institutions asiatiques et celles qui sont monnaie courante en Occident? La fameuse politique industrielle pratiquée par de nombreux pays asiatiques va-t-elle
disparaître ? Ces questions revêtent une importance particulière pour la
Chine et d'autres pays en développement à la recherche de modèles sur la
meilleure façon de favoriser le développement l4 . »
L'accélération de la construction de l'Europe monétaire montre également que les États centraux n'ont jamais perdu leurs marges de manœuvre. Conçu pour protéger la CEE des fluctuations erratiques du dollar après
1972, le système monétaire européen a donné des résultats favorables évidents à la fin des années 1970 ; ce qui a encouragé la formation du serpent
monétaire. La question de savoir si le succès est durable fait l'objet du
débat. D'abord, il n'y a pas un processus évident de substitution d'un système productif européen aux systèmes nationaux. Ensuite, dans les grandes
fusions/acquisitions en cours, une méfiance à l'égard de l'Asie est perceptible. Finalement il yale risque de contradiction entre une politique économique déflationniste et un taux de chômage élevé, combiné à celui du
vieillissement de la population. L'Europe devra aller plus loin et encourager
une perspective mondiale du développement pour éviter d'être entourée par
un ensemble d'États instables à cause de la pauvreté ou des nationalismes.
En conclusion, la gestion néolibérale de la crise oblige les États du centre,
États-Unis compris, à lutter pour l'autonomie des décisions à l'égard du
marché ; mais en même temps ils cherchent à consolider les rapports de
coopération au sein de la Triade afin de faire bloc contre les revendications
des États les plus importants et les plus dynamiques du Sud.
13. Frédéric Clainnont, «Dérive de la maison Japon », Le Monde diplomatique, octobre 1998, p. 25.
14. Helen V. Milner, « International political economy : beyond hegemonic stability »,
Foreign Policy, printemps 1998, n° 110, pp. 1-6, repris sous le titre: «Économie
internationale: au-delà de la stabilité hégémonique », Problèmes économiques, 12 août
1998, n° 2578.
ÉCONOMIE POLITIQUE DU CONSENSUS DE WASHINGTON RÉVISÉ
lOI
Le consensus révisé ne propose pas d'alternative à la domination
du marché sur l'État
La constatation selon laquelle l'économie-monde n'a pas besoin d'État
dans toutes ses composantes 'pour fonctionner fut faite, par G. Myrdal l5
lorsqu'il avança le concept d'Etat mou pour désigner un Etat sans véritable
capacité d'orchestrer un projet d'industrialisation dans le Tiers monde.
Mais c'est I. Wallerstein qui introduit le concept de zones sans État dans
l'économie-monde l6 . Dans cette situation, ni un progrès social ni une avancée politique ne peuvent être durables, par manque de potentiel économique nécessaire pour les soutenir l7 . Le caractère mou de l'État du Tiers
monde face à la mondialisation néolibérale relève bien entendu de la combinaison de causes internes et externes héritées de l'histoire précoloniale,
coloniale, postcolonial et des transformations en cours, notamment dans le
domaine technologique. C'est cependant sur les impacts de l'ajustement
sur l'État et la crise de la dette en tant que résultats des politiques imposées
de l'extérieur que nous allons mettre l'accent ici, car ils sont décisifs dans
le cas africain. Pour cela il faut préciser le concept de conditionnalité.
La conditionnalité désigne l'ensemble des mesures qu'un pays doit accepter pour être éligible à un soutien économique extérieur dans le cadre d' économies interdépendantes. Sous cet angle, elle n'est pas spécifique aux
rapports Nord-Sud (l'Europe dut composer pour bénéficier du plan Marshall, et le FMI a été efficace dans la surveillance de l'évolution des balances
des paiements de l'Europe et du Japon jusqu'à l'apparition de la crise du
dollar). La spécificité de la continentalité dans les rapports Nord-Sud renvoie à trois théories. La théorie des relations économiques internationales,
telle qu'elle a été énoncée par Ricardo et les néoclassiques, n'établit pas de
distinction entre économie autocentrée et économie périphérique et
n'adopte pas une approche pluridimensionnelle. Elle ne permet pas de comprendre les fonctions non économiques de la conditionnalité dans l'ajustement structurel. La seconde est d'origine marxiste et nationaliste. Elle sert
à comprendre les mécanismes d'exploitation entre pays et à analyser les pratiques politiques qui accompagnent les relations économiques. Elle a établi
la distinction, aujourd'hui largement acceptée, entre centre et périphérie et
donc l'asymétrie entre économies autocentrées et extraverties. En un mot,
dans cette approche théorique que nous partageons avec d'autres, les relations économiques internationales sont encastrées dans les relations politiques et stratégiques. Cette approche privilégie une conception humaniste de
l'organisation du système mondial. Le courant culturaliste est aussi multi15. Gunnar Myrdal, The Challenge of the World poverty. A World and Poverty Programme in Outline, Pelican Book. 1970.
16. Immanuel Wallerstein, Le Capitalisme et l'économie monde de 1450 à 1640, Paris,
Flammarion, 1980.
17. Bernard Tchuigoua Founou, « L'hostilité de l'Occident à la formation d'un potentiel économique de démocratisation en Afrique et dans le Tiers monde: quoi de
nouveau? », Alternatives Sud, 1994, vol. 1.. pp. 45-73.
102
REPENSER BRETTON WOODS
disciplinaire. Il part de l'hypothèse que le monde est formé de systèmes culturels qui s'opposent violemment. Il ne serait donc pas possible de leur faire
partager des valeurs communes caractérisant l'être humain en tant que
synthèse d'une espèce stable mais culturellement et socialement capable de
changements et d'adaptations à l'infini, et donc de construire à l'échelle de
la planète des sociétés interdépendantes et solidaires. Samuel Huntington 18
a fait la synthèse de cette pensée dans son livre intitulé Le Choc des civilisations qui a connu un succès mondial. D'après cette pensée, l'individualisme, la pensée libre, la démocratie, l'État de droit non clientéliste sont des
attributs de l'Occident. Cette approche peut permettre de voiler une ingérence multiforme dans les pays du Sud - même lorsqu'ils disposent d'une
bonne base industrielle - par la conditionnalité économique. Un État occidental peut donc mener une politique dualiste, barbare à l'extérieur, civilisée
à l'intérieur; débattre de la sexualité d'un chef d'État et parallèlement massacrer (ou faire massacrer) des peuples à l'extérieur; organiser le Welfare
State à l'intérieur et créer les conditions politiques de la stagnation ou de la
régression agricole à l'extérieur. Dans le quart-monde, cette ingérence est
facteur de crise de l'État qui peut aller jusqu'à la déliquescence et rendre
impossible une gestion cohérente de la crise de la dette.
La conditionnalité s'est transformée en ingérence depuis les années 1980.
Les théories de développement dominantes après la dernière guerre mondiale avaient pour noyau le cercle vicieux de la pauvreté, du manque de surplus et de compétences nécessaires à l'investissement. Le modèle d'aide au
développement de l'OCDE reflétait cette dominante. Le transfert de l'épargne et des techniques était censé permettre la rupture du cercle. Les institutions multilatérales et les agences bilatérales de développement devaient
remplir trois fonctions : au plan commercial, il était recommandé d'adopter
la règle de non-réciprocité au profit des produits manufacturés du Sud et de
créer des mécanismes d'atténuation des effets des fluctuations des prix des
produits de base. Par contre, aucun mécanisme n'était prévu contre la
détérioration des termes de l'échange et l'échange inégal. Au plan des ressources financières, l'aide devait compléter l'épargne intérieure pour porter
l'investissement au niveau du plein emploi des ressources. Au plan technique, les pays de l'OCDE devaient permettre d'acquérir des équipements,
des méthodes de gestion des entreprises, publiques et privées. Bien
entendu, le FMI devait accorder des aides conjoncturelles en cas de déficit
de la balance des paiements. Le modèle de l'ajustement monétariste l'a
relayé dans les années 1980. Il rationalisait dans le contexte de la crise de
l'endettement les conditions à remplir pour bénéficier des concours financiers et techniques extérieurs 19 • Le post-ajustement ne propose rien d'autre
que d'allonger la liste des conditions.
La conditionnalité n'est pas identique d'une phase à l'autre. Pendant la
période développementaliste, la coopération économique bilatérale faisait
18. Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, Paris, Éd. Odile Jacob, 1997.
19. Mactar Diouf. «Les fondements théoriques des programmes d'ajustement du FMI
dans les pays sous-développés », Africa Development, janvier- juin 1985, vol. n° 2, pp. 36-50.
ÉCONOMIE POLITIQUE DU CONSENSUS DE WASHINGTON RÉVISÉ
103
pratiquement partie des politiques étrangères et la coopération multilatérale
était en principe neutre par rapport aux options économiques des pays
aidés; l'influence de l'hégémonie américaine sur les institutions de Bretton
Woods étant moins visible que depuis la crise. En revanche, avec l'ère des
programmes d'ajustement structurel, la conditionnalité est devenue la
norme. L'apport extérieur est conditionné par des réformes dont la finalité
est l'ouverture du commerce et la libre circulation financière et monétaire.
Il est donc faux d'affirmer, comme le fait Burside dans une publication de la
Banque mondiale et du FMI, que les « grandes orientations d'un pays
dépendent avant tout des facteurs sociaux et politiques internes». D'ailleurs
le même auteur, qui affirme que dans le pire des cas, la conditionnalité
n'aurait qu'un rôle d'appoint, se contredit lorsqu'il écrit: « L'aide extérieure accélère la croissance économique et la réduction de la pauvreté dans
les pays en développement menant de bonnes politiques au sens d'actions
ayant pour effet d'augmenter le pouvoir de la croissance: ouverture du commerce, discipline budgétaire et mesures permettant d'éviter l'inflation. » En
fait, si le discours sur l'aide au développement continue, l'aide elle-même ne
cesse de diminuer. C'est là une réalité du post-ajustement. C'est ainsi que les
prêts aux conditions préférentielles qui s'étaient maintenus aux alentours de
0,35 % du PIB de l'ensemble des pays prêteurs entre 1970 et 1990, avaient
baissé de 16 % entre 1992 et 1996. En termes réels, cette aide a diminué de
8 % pour les pays bénéficiaires. Cette diminution quantitative se combine à
une affectation qui privilégie des actions de court terme ou humanitaires,
sélectionnées pour donner les images les plus négatives possibles du quartmonde. En principe l'investissement privé direct devrait se substituer aux
prêts publics. En réalité, le quart-monde n'en bénéficie pas; la tendance spéculative l'emporte sur les besoins de développement.
En régime d'ajustement structurel, l'État mou évolue vers la déliquescence. Le consensus de Washington était fondé sur l'hypothèse que l'État
périphérique de l'après-guerre avait été trop interventionniste. En réalité
c'était un État mou. L'étatisme économique de l'après-guerre correspondait
plus à l'application d'un modèle mondial età l'absence (ou àlafaiblesse) de
la bourgeoise privée nationale, qu'à la volonté de planifier l'économie.
D'ailleurs il était soutenu aussi bien par la Banque mondiale que par les
entreprises multinationales. L'assistance technique étrangère jouait un rôle
capital dans la gestion des finances publiques. L'hypothèse en question justifia l'introduction des programmes d'ajustement structurel en Afrique alors
que la construction de l'État-nation était à peine amorcée dans le meilleur
des cas. Leur application a bloqué presque partout cette construction en
introduisant des facteurs de fragmentation pouvant conduire jusqu'à la
déliquescence de l'État. La raison économique de celle-ci est que la base
financière de l'État postcolonial était très fragile, ses recettes fiscales provenant des rentes et non pas du développement du système productif.
C'est dans les périphéries surendettées et donc dans tous les pays africains
que les politiques issues du premier consensus avaient été appliquées avec le
plus de rigueur; elles avaient entraîné presque partout la surdomination du
marché sur l'État et contraint à l'abandon de toute tentative de réaliser une
104
REPENSER BRETION WOODS
croissance durable fondée sur le développement de l'agriculture et de
l'industrialisation. Dans le meilleur des cas, la croissance sectorielle, surtout touristique, a accentué l'extraversion. C'est sans doute dans le secteur
agricole que le bilan peut se présenter en demi-teinte. En effet, la libéralisation de la commercialisation des produits agricoles et la dévaluation ont
réduit la ponction fiscale excessive dont la paysannerie était victime depuis
la colonisation, mais le relèvement éventuel des termes de l'échange de ces
produits a profité davantage aux intermédiaires qu'aux producteurs. De surcroît la croissance agricole sous ajustement était plus extensive qu'intensive. C'est que les PAS n'admettaient pas de subventions agricoles dans un
domaine où pourtant les pays développés eux-mêmes sont devenus champions. Les politiques sociales étaient pratiquement absentes dans la mesure
où les transferts sociaux des classes riches vers les classes pauvres ne
s'effectuaient pas et où le système de sécurité sociale et de retraite couvrait
moins de 5 % de la population. C'est dans le domaine de l'éducation que les
efforts les plus importants étaient accomplis, mais ils n'étaient pas inscrits
dans des programmes d'industrialisation et de développement agricole 2o .
Le consensus révisé reconnaît en'principe que le marché ne peut pas fonctionner convenablement sans un Etat qui l'encadre efficacement. Encore
faut-il que l'État soit là par sa base financière, ses institutions et l'efficacité
de sa technobureaucratie. Or, c'est au bout de quinze ans de lutte contre
l'État que l'Occident se serait aperçu que les capacités de mettre en œuvre
les réformes économiques néolibérales préconisées étaient absentes ! C'est
alors que des programmes axés sur les thèmes de bonne gouvernance et
même de démocratie sont venus occuper le devant de la scène à côté des
recommandations d'auto-ajustement sous conditions.
Dans le monde d'aujourd'hui, un État capable d'encadrer le marché afin
d'atteindre des objectifs de développement doit s'appuyer sur une base
sociale large, jouir de la légitimité politique et offrir des services sociaux.
En Afrique, le problème est plus large parce qu'il concerne à la fois le développement économique stricto sensu et la construction de l'État-nation. Ce
qui exige que l'industrialisation et le développement agricole soient protégés de la concurrence des économies développées. Or, la révision du consensus s'inscrit dans la logique de l'abandon du principe des préférences
commerciales et de l'assèchement de l'aide au développement. De plus, la
construction nationale est entravée par le développement de conflits armés
ouverts ou larvés dont les causes sont internes ou d'origines géoéconomique et géopolitique. Il faut en effet inscrire les conflits qui ont ravagé la
come de l'Afrique et se développent aujourd'hui dans la région dite des
Grands Lacs et même en Angola, dans les stratégies de contrôle de l'accès
aux ressources pétrolières et minières d'Afrique et du Moyen-Orient d'une
part, et les rivalités entre grandes puissances d'autre part. Les pays développés doivent s'abstenir de susciter ou de soutenir des rébellions armées
dans l'unique but de contrôler les ressources naturelles du continent.
20. Ibrahima Dia, « Les conditions d'un développement agricole et rural au Sénégal »,
Forum du Tiers monde, document de travail, 1999.
ÉCONOMIE POLITIQUE DU CONSENSUS DE WASHINGTON RÉVISÉ
105
La crise de la dette est de plus en plus ingérable. Prise globalement la dette
du Tiers monde est devenue une source essentielle de surplus transféré vers
les pays développés. De 1972 à 1995, le montant du service de la dette a été
de 2 632 500 millions de dollars sur un transfert brut de 4 526 281 millions
de dollars 21 (58%). En 1986, le service de la dette du Sénégal s'élevait à
102 milliards de francs CFA représentant 64 % de la production agricole. La
dette des grands pays comme le Mexique, le Brésil, l'Indonésie pèse sur la
stabilité du système financier international, mais grâce à la financiarisation
de la dette, la variation des titres est source de gains importants dans le cadre
de la spéculation. La plus grande initiative en matière de gestion de la dette
dans le cadre du consensus révisé est celle dite du désendettement des pays
pauvres lourdement endettés (HIPCI) à faible revenu, annoncée à la fin de
l'année 1996. Pour la première fois, les créanciers se mettaient d'accord sur
le principe de traiter l'ensemble de la dette publique extérieure d'un pays en
difficulté, de telle sorte que sa situation financière soit définitivement assainie et ne représente plus un obstacle à son développement. Un pays est considéré comme surendetté, si sa dette mesurée après déduction de l'élément
don des prêts concessionnels représente plus de 200 à 250% de son PIB, ou
si le service de la dette représente plus de 25 % de ses exportations.
Les dettes bilatérales pourront être allégées jusqu'à 80 % : une partie des
dettes multilatérales pourra l'être aussi, l'opération étant financée par des
dons de pays membres de l'OCDE. La conditionnalité est très sévère. Pour
être éligible à l'initiative de désendettement, il faut que le pays candidat ait
pendant trois ans une politique socio-économique jugée satisfaisante par le
FMI et la Banque mondiale. Ensuite il est mis en observation pendant trois
ans. En principe pour la première période, le mécanisme du purgatoire
s'applique de manière rétrospective. Quelle est la portée de cette initiative?
La Banque mondiale et le FMI estimaient en 1997 qu'en juillet 2002, treize
pays dont dix africains sur trente-sept en auront bénéficié. C'était une estimation fantaisiste. Si les centres avaient vraiment voulu que les États lourdement endettés retrouvent l'autonomie nécessaire par rapport aux logiques
des intérêts particuliers, ils auraient décidé un désendettement total négocié
et rapide comme ils l'ont fait pour la Pologne. Ils auraient pris acte que:
- les États et les entreprises des centres ont été très actifs dans l'endettement des pays du Sud et le recours à la corruption fut systématique entre
1974 et 1980 ;
- la plupart des pays ont déjà payé leurs dettes, par le service de la dette
et par des mécanismes moins visibles, comme la détérioration des tenues de
l'échange et la fuite de capitaux;
- les grandes banques ont réalisé des profits si élevés qu'elles ont constitué des provisions qui les mettent à l'abri des cessations de paiements;
- la plupart des États sont insolvables et que les initiatives de la société
civile y sont inhibées par la crise de la dette. Sur cette base, ils auraient
défini les objectifs du système financier international en fonction des exigences de l'auto-développement des pays du Sud et auraient changé les
21. Pablo G. Casanova, Global exploitation, Université d'État de Mexico, janvier 1999.
106
REPENSER BRETION WOODS
règles de fonctionnement des Clubs de Paris et de Londres pour permettre
aux débiteurs de s'organiser à l'instar de leurs créanciers. Les négociations seraient plus équilibrées dans un esprit de reconnaissance de la
coresponsabilité dans la crise de l'endettement.
Comme cette alternative est rejetée, les pays continueront à être contraints
d'accorder la priorité au service de la dette au risque d'abandonner l'éducation et les services sociaux essentiels. Le grand écart entre les politiques et le
discours sur le désendettement des pays lourdement endettés s'explique par
leur place négligeable dans la stabilité du système financier international.
Au total, le message de la phase post-ajustement est clair: il n' y a plus de
cadre global ou régional d'intervention des pays développés. C'est la règle
du cas par cas qui prévaut. On peut se demander si la Banque mondiale va
encore continuer à publier ses rapports annuels sur le développement dans
le monde, puisque désormais il n'y a plus de recommandation à faire en ce
qui concerne le transfert des ressources, et qu'il faut classer les pays, non
d'après la structure de leurs économies au niveau du PNB par habitant, mais
d'après l'attitude à l'égard de la culture néolibérale anglo-saxonne. C'est
que les structures dont se servent les centres forment un véritable réseau
dont les grandes institutions ne sont que la partie visible. « Ces structures,
selon André Guichaoua, recouvrent un ensemble institutionnalisé ou informel de décideurs politico-financiers internationaux organisés en réseaux
avec des leaders consacrés, des règles du jeu tacites et des contraintes pratiquement incontournables de la part des pays bénéficiaires (clubs, tables
rondes, aides extérieures, conférences des l'ailleurs de fonds, groupes
consultatifs, réunions spéciales des ministres de la Coopération de l'OCDE,
assemblées ad hoc de pays amis ou impliqués)22. »
La réhabilitation du rôle de l'État après quinze ans de lutte contre la consolidation des embryons d'États postcoloniaux ne peut pas être attribuée
naïvement à une redécouverte du rôle de l'État. On ne peut pas imaginer
que les États centraux qui continuent à réguler leurs économies et à coopérer étroitement ignoraient que le principe du marché autorégulateur provoquerait des ravages conduisant à une instabilité structurelle. En fait les PAS
étaient nécessaires pour intégrer les pays sous-développés dans la nouvelle
phase de la mondialisation. D'après le consensus révisé, chaque gouvernement est présumé capable de mener les ajustements nécessaires à son insertion dans le système. Il ne s'agit pas de l'amorce d'un système mondial
nouveau. Dans une alternative fondée sur le développement humain et
social à l'échelle de la planète, c'est aux États de surveiller les marchés
internationaux et non le contraire. Cette surveillance, comme l'admet maintenant le G7 à la suite des initiatives asiatiques, ne devrait pas s'exercer seulement sur les marchés financiers. C'est toute l'économie internationale
qu'il faut mettre au service du codéveloppement mondial en lui fixant
22. André Guichaoua, «L'évolution du marché du développement et la structuration
des organismes de coopération », Revue TIers monde, juillet-septembre 1997, pp. 14-15,
repris sous le titre de « Fin du développement? », Problèmes économiques, 22 au 22 avril
1998, n° 2565-2566.
ÉCONOMIE POLITIQUE DU CONSENSUS DE WASHINGTON RÉVISÉ
107
comme objectif majeur d'éradiquer la polarisation centre/périphérie dans
tous les domaines, par l'instauration d'un système mondial polycentrique,
grâce à une régionalisation appropriée. En effet, une économie mondiale
globale est impossible sans la remise en question radicale de la polarisation.
C'est seulement si la réalisation de l'égalisation des niveaux de vie dans le
monde entier devenait un objectif majeur des politiques économiques des
pays centraux (aujourd'hui les pays membres de l'OCDE), que la construction d'une économie mondiale globale (sans groupe d'États et sans État
hégémonique) serait possible. Mais alors, il faudrait que les valeurs de justice sociale, de démocratie, de convivialité écologique, etc., équilibrent celles de l'efficacité et de la compétition. Une autre mondialisation alternative
fondée sur ces valeurs suppose, par conséquent, que la réalisation du profit
maximum cesse d'être l'incitation prioritaire à produire, et donc que l'État
s'occupe en priorité de protéger les couches sociales les plus faibles et les
plus vulnérables. C'est impossible si l'accumulation privée des moyens de
production et la détermination de l'allocation des ressources en fonction
uniquement des prix fixés par les forces du marché, sont privilégiées, indépendamment de la diversité culturelle, historique, écologique, etc.
La régionalisation fondée sur la géographie plus que sur la culture et
l'histoire devrait être une composante essentielle de la mondialisation alternative. Or, les conceptions eurocentriques reposent davantage sur les concepts culturels que sur les concepts économiques. C'est ainsi que l'Union
européenne admet la Grèce mais pas la Turquie; que l'Afrique du Sud sous
le régime de l'apartheid faisait partie du groupe de l'OCDE et non pas de
l'Afrique. En filigrane, les conceptions africaines et est-asiatiques privilégient, à juste titre, le critère de la proximité géographique. Bien entendu
dans la régionalisation fondée sur la géographie, les critères d'admission
des membres ne sauraient être seulement économiques. Il est essentiel que
les principes de la démocratie et de la justice sociale prévalent dans tous les
pays membres. La combinaison régionalisation/mondialisation permettrait
en définitive la construction d'un système mondial multipolaire qui prendrait en charge des questions économiques, géostratégiques et idéologiques. L'équilibre entre la planification et le marché ne saurait y être donné
a priori. On sait seulement que les deux doivent coexister selon des équilibres qui ne sont jamais donnés une fois pour toutes.
4
Le système de Bretton Woods et l'Afrique:
réforme ou positionnement concurrentiel?
Jean-Pierre FOUDA OWOUNDI
Le débat sur la réforme du système monétaire international mis en place
à Bretton Woods en 1944 est ancien. Il est né en 1971, avec la suspension
de la convertibilité du dollar en or, et a favorisé les changements observés
dans le rôle des institutions multilatérales.
Au fil du temps, le Fonds monétaire international (FMI), créé pour gérer
le système, n'a cessé de voir son rôle changer. Après avoir aidé les pays
industrialisés à rétablir, puis à maintenir la stabilité et la convertibilité de
leur monnaie avec les programmes de stabilisation, il est davantage intervenu au niveau des pays en développement (PED), avec la facilité élargie et
les programmes d'ajustement structurel. A partir de 1982, il a facilité le rééchelonnement de la dette des pays endettés, en mettant en place les facilités
d'ajustement structurel. Son intervention a été aussi très remarquable en
Europe centrale et orientale, où il a eu à favoriser la transition vers l'économie de marché, en mettant en place une facilité d'ajustement systémique.
Tout récemment, en décembre 1997, il a mis en place une nouvelle facilité
ou facilité de réserve supplémentaire, qui lui a permis d'intervenir massivement pour sauver les pays les plus touchés par la crise asiatique. Il a ainsi
accordé 4 milliards de dollars à la Thailande, 11,2 à l'Indonésie et 20,9 à la
Corée.
Cette crise brutale et contagieuse vient encore de relancer le débat sur la
réforme des institutions de Bretton Woods, et plus généralement sur le système monétaire international.
L'Afrique, dont la situation économique et financière - et notamment le
lourd endettement - a largement été déterminée par les effets pervers du
système, ne saurait rester à l'écart de ce débat.
Mais doit-elle s'attendre à une réforme en profondeur du système de Bretton Woods, pour voir sa situation changer?
La réflexion que nous soumettons à discussion est que cette attente risque
d'être vaine, elle doit se substituer à la mise en place d'une stratégie
110
REPENSER BREITON WOODS
régionale. En effet, l'économie internationale d'aujourd'hui se structure
selon une logique de positionnement concurrentiel, et le système monétaire international qui lui est intimement lié renvoie à différentes stratégies
monétaires.
La présentation de cette réflexion est faite en deux parties. Dans la première partie, nous rappelons les grands traits de l'évolution du système
pour en montrer les mauvais effets économiques, en particulier sur les pays
africains. Dans la seconde partie, nous mettons en examen la réforme, et
nous montrons que la configuration actuelle du système obéit à une logique
de positionnement concurrentiel.
Le système de Bretton Woods et l'Afrique
L'évolution du système de Bretton Woods a engendré des effets économiques négatifs, plus spécialement sur les pays d'Afrique au sud du Sahara.
L'évolution du système de Bretton Woods
On se souvient que c'est surtout grâce à la maîtrise de la variable monétaire que la Grande-Bretagne a pu se hisser au rang de première puissance
économique mondiale jusqu'à la guerre de 1914. En effet, l'apogée des
marchands qu'elle connaît au XVIIIe siècle s'explique en grande partie par
le développement du crédit (Buhour, 1996). De même, c'est le couple crédit/création monétaire qui va conditionner la révolution industrielle pendant cette période (Thomas, 1985). D'autre part, la définition en 1816 de la
livre par un poids d'or fixe lui permettra de garantir la stabilité des prix et
d'assurer ainsi un développement harmonieux de ses échanges commerciaux. A partir de cela, mais aussi de l'expansion économique et financière,
elle fera de la livre sterling une monnaie à caractère international. On comprend donc pourquoi la période de l'entre-deux-guerres sera marquée par
une compétition entre le dollar et la livre, compétition qui s'achève en
juillet 1944 sur ce qui apparaît comme une victoire des États-Unis.
Il est institué à Bretton Woods un système monétaire international dont la
caractéristique majeure est que les monnaies des États membres sont
définies par rapport au dollar, lui même défini par référence à un certain
poids d'or (35 dollars l'once d'or). Les parités sont fixes, mais avec une
possibilité de fluctuation de + ou - 1% par rapport à la parité officielle.
L'obligation qu'ont les Banques centrales de maintenir leurs monnaies au
pair sur le marché des changes garantit la stabilité des taux de change. S'il
y a flexibilité, celle-ci est une flexibilité administrée.
Les failles de ce système ont permis aux États-Unis de prendre totalement
le contrôle de la variable monétaire au niveau international, ce qui leur permet de régler le déficit de la balance courante résultant de leur politique
expansionniste à l'aide de leur propre monnaie. Les créances en dollars des
autres Banques centrales du monde servent aussi au règlement du déficit.
LE SYSTÈME DE BREITON WOODS ET L'AFRIQUE
111
La dette des États-Unis servant désormais à régler leurs propres dettes, ils
se sont mis à inonder le monde de dollars dès 1958; et le 15 août 1971, le
président Nixon est obligé de suspendre la convertibilité du dollar en or.
La viabilité du système aurait nécessité qu'un équilibre fût assuré entre le
volume de dollars en circulation et le stock d'or détenu par les États-Unis.
Or, en raison du déficit de leur balance des paiements, c'est plutôt à une
inflation de dollars qu'on a assisté. D'un système de changes fixes défendus
bilatéralement, le système de Bretton Woods a été transformé en un système
dont l'étalon est devenu le dollar.
Deux raisons se trouvent à l'origine de cela: les dépenses publiques américaines et les investissements privés américains à l'étranger. L'une et
l'autre font partie d'une politique d'ensemble visant à assurer la présence
américaine dans le monde (Denizet, 1985).
Les accords du Smithsonian Institute de décembre 1971 n'ont pas réglé le
problème de fond. Ils ont bien au contraire engagé le système monétaire
dans les changes flottants. En effet, ils ont admis une dévaluation du dollar,
de 35 à 38 dollars l'once d'or, ainsi que l'augmentation des marges de fluctuations des monnaies autour des parités de 1 à 2,25 %. C'est pourquoi,
avec la persistance de l'orientation à la baisse du dollar par rapport à l'or, la
spéculation va remettre en cause les nouveaux taux de change. Ainsi, en
1973, le dollar est à nouveau dévalué de 10 %. Par la suite, les marges de
fluctuations vont totalement disparaître.
Il s'agissait là d'une libéralisation des changes tout à fait conforme au
vœu économique des États-Unis. Notons qu'ils avaient déjà amené plus de
vingt-trois pays à signer l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), afin de parvenir à une libéralisation généralisée du commerce international.
Les effets économiques
L'impact de cette évolution sur l'économie internationale a été très significatif avec la crise financière internationale de 1982, ses effets sur le financement du développement, ainsi que sur les politiques économiques des
pays débiteurs. Il l'est également avec la crise asiatique, dont il faut craindre la contagion et redouter des effets sur d'autres économies.
1. La crise financière internationale de 1982 et la raréfaction des capitaux
sur les marchés financiers internationaux
Nous savons qu'à partir de 1982, un certain nombre de pays (Argentine,
Brésil, Mexique, Nigeria, etc.) ont éprouvé d'importantes difficultés pour
assurer le service de leur dette. Leur capacité de remboursement mesurée
par le ratio montant des charges du service de la dette (intérêts et remboursement du capital) sur les recettes d'exportation était des plus faibles.
En effet, après le second choc pétrolier, les conditions économiques et
financières se sont retournées. Ces pays ont eu à faire face à un renchérissement de leurs importations, alors même que leurs débouchés extérieurs se
réduisaient, du fait de la mise en œuvre dans les pays riches de politiques
économiques et monétaires restrictives. En même temps, ils devaient subir
112
REPENSER BRETION WOODS
de plein fouet le contrecoup de la hausse des taux d'intérêt sur les marchés
financiers internationaux occasionnée par la politique monétaire américaine. En guise d'exemple, le taux de l'eurodollar à six mois est passé de
5 % environ en 1976 à 12 % en 1979, pour atteindre 15 % et 16 % en 1981
et 1982. Or, à ce moment précisément, l'essentiel de leur dette bancaire était
indexé sur ce taux. Ainsi, les hausses brutales de taux ont renchéri le coût
des capitaux, tant sur le stock de dettes existantes contractées à des taux
variables que sur les nouveaux prêts.
A la suite de la crise financière, les prêts à la plupart des PED, consentis
généralement sous forme de crédits bancaires consortiaux, ont virtuellement cessé dès le deuxième semestre de l'année 1983.
Rappelons qu'au cours des années 1960 et 1970, l'essentiel des flux
financiers internationaux suivait une direction Nord-Sud: les États-Unis, le
Japon et l'Europe finançaient les déficits des PED. Avec cette crise, les
transferts internationaux de capitaux vont changer d'orientation. Ils suivent
désormais une direction Nord-Nord: les excédents du Japon et de l'Europe
servent surtout à financer le déficit massif des États-Unis (voir sur cette
question Plihon, 1996).
La réorientation des flux financiers internationaux liée à la crise de la
dette, mais aussi à la montée des déficits jumeaux (budgétaires et extérieurs) américains a fait basculer le système financier international. Avant
1982, celui-ci fonctionne selon une logique d'endettement bancaire
international: l'essentiel des financements passe par l'intermédiaire du
système bancaire. Cette logique se trouve remplacée par une logique de
finance directe à caractère planétaire, dans laquelle les mouvements de
capitaux obéissent à une recherche du meilleur rendement. Or ce critère
n'est pas toujours compatible avec le financement du développement.
Il l'est d'autant moins que sous l'instigation des institutions de Bretton
Woods (FMI et Banque mondiale), la plupart des PED ont procédé à la libéralisation financière. On a assisté en effet à la suppression des formes de
contrôle administratif des taux d'intérêt, du crédit et des mouvements de
capitaux. Or celles-ci sont parfois plus indiquées lorsqu'il s'agit de planifier
le développement.
2. L'ampleur du rôle des institutions de Bretton Woods sur les politiques
économiques
D'autre part, le FMI était conçu pour procurer un soutien à court terme à
la balance des paiements des pays membres. La Banque mondiale, quant à
elle, devait œuvrer à la reconstruction et au développement de ces pays.
Mais lors de la crise de la dette, leur rôle s'est accru. Le système bancaire
international a subordonné la continuation de ses concours aux décisions du
FMI sur la politique économique des pays débiteurs.
De plus, par la conditionnalité de ses prêts, le FMI s'est mis à jouer un
rôle essentiel vis-à-vis des PED. En effet, un pays cherchant à obtenir des
fonds de cette institution ou de la Banque mondiale doit accepter de mettre
en œuvre un programme d'ajustement structurel. Le programme est supposé améliorer significativement sa situation économique et financière, sa
LE SYSTÈME DE BRETION WOODS ET L'AFRIQUE
113
capacité d'attirer les investisseurs, et surtout, même si l'on ne le dit pas,
d'assurer le remboursement des dettes. Il repose sur des mesures d'inspiration libérale bien connues : suppression des barrières financières et commerciales, réduction du déficit public, promotion des exportations,
dévaluation, privatisations, politique monétaire restrictive, réduction des
salaires réels, etc.
Par ces différentes mesures, les programmes d'ajustement assurent douloureusement l'adaptation des PED aux évolutions de l'environnement économique mondial, elles-mêmes caractérisées par l'instauration de
l'économie de marché. Au cours des deux dernières décennies, le processus
d'ajustement a aggravé la pauvreté dans ces pays. Il a même créé des aberrations. Au Zimbabwe par exemple, l'organisme de régulation céréalière, le
Grain Marketing Board, a été contraint par la Banque mondiale de liquider
à bas prix ses importantes réserves de maïs, juste avant une période de
sécheresse sévère et prolongée. Il s'agissait de satisfaire aux exigences de
rentabilité immédiate des entreprises d'État, réputées généralement inefficaces. Le Zimbabwe, autrefois autosuffisant, a été obligé par la suite
d'importer des réserves alimentaires à de forts prix sur les marchés mondiaux (cité par S. George et F. Sabelli, 1994).
3. Crise asiatique, performances économiques et risque systémique
Une autre conséquence de l'évolution du système de Bretton Woods se
trouve dans la crise asiatique et ses implications réelles, ou éventuelles.
Celle-ci succède à la crise mexicaine de 1994-1995. Elle touche tous les
pays émergents de l'Asie du Sud-Est. Il s'agit de pays qui se sont ouverts au
commerce international et dont la croissance repose largement sur leurs
exportations. Ces pays se sont aussi ouverts à la finance internationale, et se
financent en recourant de plus en plus au marché financier et donc à l' épargne, étrangère mais aussi nationale.
L'Asie a connu à son tour dès l'été 1997 une crise d'une économie de
marchés financiers succédant à une économie d'endettement. C'est d'abord
la Thaïlande qui est touchée au début du mois de juillet: les autorités renoncent à définir la parité du baht, jusque-là fixe par rapport au dollar. Quelques
jours après, la Malaisie laisse filer sa monnaie. Les Philippines, à leur tour,
décrochent leur monnaie, le peso, par rapport au dollar. Le mois d'après,
l'Indonésie est obligée de laisser flotter sa monnaie, laquelle enregistre une
perte de valeur de 15 % en quinze jours. Taïwan connaît le même sort en
octobre. Enfin, en décembre de la même année, le won coréen perd en une
semaine 30 % de sa valeur. Commencée en Thailande, la crise a donc
embrasé en six mois toute la région (Lelart, 1998).
Pour bien comprendre les liens de cette crise avec l'évolution du système
de Bretton Woods, il convient de préciser d'abord sa nature. En fait, il s'agit
d'une crise de change et de marchés. Sa cause principale se trouve dans
l'instabilité financière grandissante provoquée par l'instauration des changes flottants en 1973, et dans la libéralisation financière qui a suivi à partir
des années 1980.
114
REPENSER BRETTON WOODS
En effet, il faut observer que la crise référentielle des monnaies nées à partir du décrochage du dollar par rapport à l'or les amène à se dire leur pouvoir d'achat les unes par rapport aux autres sur le marché des changes.
Leurs taux de change sont soumis à de très fortes fluctuations, qui sont difficiles à maîtriser par les autorités monétaires dans un contexte de libéralisation. Cela tient au fait que le marché des changes est en proie à des
comportements très spéculatifs. Les opérateurs sont amenés de plus en plus
à prendre des positions pour leur propre compte, en fonction de leurs anticipations. Il s'opère ainsi entre fondamentalistes et chartistes des contagions mimétiques, lesquelles peuvent donner plus d'importance à
l'information fondée sur le bruit, la rumeur qu'aux anticipations rationnelles fondées sur les fondamentaux (taux d'intérêt, taux d'inflation, PIE,
etc.). Ceci crée un contexte très propice à une amplification des fluctuations, et conduit à un raccourcissement de l'horizon temporel du côté des
opérateurs, ainsi qu'au renforcement de leur préférence pour la liquidité
(Cartapanis, 1996).
En ce qui concerne la libéralisation financière, on observe que les pays
d'Asie les plus touchés par la crise sont ceux dont les taux d'investissement
étaient les plus élevés. De l'ordre de 40 %, ces taux engendraient une progression des capacités de l'ordre de 10 % l'an, avec des risques potentiels
de surcapacités réels. De plus, la poussée de l'investissement reposait sur
un endettement accru, puisque la création de centres offshore et la libéralisation du secteur bancaire ont favorisé l'endettement externe et les investissements étrangers en monnaie locale. Ainsi, les mouvements de capitaux,
sous forme de prêts à court terme, de dépôts bancaires ou d'investissements
de portefeuille ont pris une place d'une importance grandissante dans les
balances des paiements. Outre le surfinancement des déficits courants, les
entrées de capitaux ont conduit à une augmentation des réserves de change
et ont rendu celles-ci fongibles. En Corée par exemple, l'endettement extérieur à court terme a représenté plus de 300 % des réserves.
D'autre part, du côté des marchés d'actifs, l'aisance des financements a
favorisé le gonflement de bulles spéculatives, étant donné que l'accumulation d'une dette à court terme excessive par les banques et les entreprises
était liée à l'idée que le risque de change était nul. Or, lorsque le dollar s'est
raffermi par rapport au yen, la perte de compétitivité des exportations des
pays asiatiques s'est accentuée, et la suite, on la connaît.
La crise asiatique induit de nombreuses conséquences. Sur un plan général, on note un ralentissement de l'activité économique mondiale. C'est
pourquoi les experts du FMI ont révisé leurs prévisions relatives à la croissance de l'économie mondiale. De 4,2 % et 4,1 % en 1996 et 1997, cette
croissance a été prévue à 2 % et 2,5 % en 1998 et 1999. Ils ont recommandé
à l'Europe et aux États-Unis de poursuivre la baisse des taux, pour assouplir
leur politique monétaire.
Sur un plan particulier, et même s'il n'est pas clairement établi qu'il existe
une relation entre la crise asiatique et l'évolution des cours des matières premières exportées par les pays africains, on a observé néanmoins pour certains
une orientation à la baisse en 1998. Il en est ainsi du pétrole (- 19 %), du
LE SYSTÈME DE BRETTON WOODS ET L'AFRIQUE
Ils
coton (- 9 %), des grumes de bois (- 8 %), pour les pays membres de la communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC). Les prévisions économiques établies au début de cette année ont été révisées à la
baisse: de 6,5 % à 4,9 % pour la croissance; de - 1,9 % du PIE à - 3,6 %
pour le solde extérieur courant; et de 0,5 % du PIE à - 0,6 % pour le solde
budgétaire. A cela s'ajoute une dégradation de la position monétaire extérieure de l'ensemble des pays. Le solde du compte d'opérations a diminué
de façon significative. Il est passé de 385,5 à 222,6 milliards de fin 1997 au
30 juin 1998, soit une baisse de 162,9 milliards de francs CFA en six mois.
Compte tenu de l'importance du secteur pétrolier dans leurs économies,
le Gabon et le Congo ont été amenés à réduire leurs prévisions de recettes
budgétaires: de 977 milliards à 382,5 milliards pour le Gabon et de
370,7 milliards à 363,5 milliards pour le Congo. Par ailleurs, le Gabon a été
amené à demander d'importantes avances à la Banque centrale, lesquelles
sont passées de 20,7 à 118,1 milliards de décembre 1997 à juin 1998.
A moyen tenne, il n'est pas à exclure pour les entreprises de la CEMAC
une plus grande concurrence des produits asiatiques, ceux-ci devenant plus
compétitifs.
Par ailleurs, la crise asiatique brandit la menace d'une contagion à beaucoup d'autres pays. En effet, la politique américaine a conduit à un renforcement de l'interconnexion des systèmes financiers et à une intégration
verticale des différents marchés de capitaux, à la suite des mesures de libéralisation financière lancées pour assurer le financement de ses importants
déficits publics, mesures qui se sont répandues partout dans la planète (Plihon, 1996). Or cette intégration financière internationale crée un risque de
généralisation des crises financières comme celle que connaît l'Asie.
Bourguinat (1995) le montre clairement, en observant que la solidarité
des places financières est assurée par des procédés de cotation automatique
des titres. Ceci pennet de coter instantanément des millions de titres à New
York, Londres, Singapour, etc. Mais les opérations financières s'effectuent
dans un marché des changes en proie à une transfonnation en marché spéculatif, concurrentiel et très instable. Dans ce marché, des capitaux financiers artificiellement gonflés cherchent à faire des profits financiers tout en
conservant, comme nous l'avons déjà dit, un haut degré de liquidité. Ainsi,
un mouvement brutal de hausse ou de baisse dans les prix et les volumes sur
l'une des places peut entraîner une propagation rapide de l'onde de choc.
Cela est d'autant plus possible qu'il existe actuellement à l'échelle du globe
de multiples modes électroniques de transmission de l' infonnation en
temps réel. On l'a vu lors du krach boursier d'octobre 1987 : les différentes
places (Tokyo, Londres, etc.) ont connu un phénomène de contagion. Il en
est de même de la crise asiatique elle-même.
Le risque systémique est donc réel, et les pays africains ne sont pas à l'abri.
Ils ont engagé depuis le début des années 1990 des réfonnes financières
visant une plus grande ouverture de leurs économies sur l'extérieur. L'intégration financière commence à y être une réalité, et on voit jusqu'où elle peut
conduire (Owoundi, 1998) sur les stratégies financières en Afrique.
116
REPENSER BRETTON WOODS
Ces exemples montrent que les effets négatifs de l'évolution du système
de Bretton Woods sont nombreux. Leur importance justifie le débat qui a
cours à l'heure actuelle sur la réforme du système. Mais au regard de la
structuration actuelle des relations économiques internationales, l'Afrique
doit-elle s'attendre à une réforme profonde de l'ordre monétaire et financier
international?
Réforme du système ou positionnement concurrentiel?
La propagation de la crise asiatique amène depuis quelque temps les chefs
d'État et de gouvernement des pays industrialisés à s'interroger à nouveau
sur le système monétaire international. Les propositions à ce sujet sont
nombreuses, mais les mesures envisagées sont peu profondes. En effet,
comme nous allons le voir, la structuration actuelle de l'économie internationale obéit à un positionnement concurrentiel qui renvoie à des stratégies
monétaires plus ou moins divergentes.
Les mesures visant à repenser l'ordre de Bretton Woods
Le débat sur la réforme du système monétaire international a repris en
vérité depuis que l'on s'interroge sur les causes des crises financières d'un
nouveau type: la crise mexicaine de 1994-1995 et la crise asiatique. Il semble que selon le FMI, les causes sont de nature interne (surchauffe économique, ampleur du déficit budgétaire, endettement excessif en devises,
laxisme dans la surveillance bancaire, mauvaise politique macroéconomique) (cité par Lelart, 1998). Pour d'autres, elles sont d'origine externe: la
globalisation financière a augmenté les flux de capitaux en volume, lesquels
sont devenus en même temps de plus en plus liquides, et donc de plus en
plus volatiles. On met ainsi l'accent sur la bulle spéculative (P. Krugman),
sur l'accumulation des dettes par le secteur privé (Stiglitz), ou sur le fonctionnement imparfait des marchés financiers internationaux (Sachs).
L'hétérogénéité des analyses amène à penser à la mise en place d'une
nouvelle architecture financière internationale. Deux mesures sont envisagées par les chefs d'État et de gouvernement des pays industrialisés pour
réformer le système monétaire international.
1. Le contrôle des mouvements de capitaux à court terme
Le premier axe épouse les idées de Keynes, lorsqu'il affirmait qu'un contrôle des mouvements de capitaux, tant à l'entrée qu'à la sortie, devrait être
un élément permanent du système monétaire international d'après-guerre.
Après le déclenchement de la crise, le FMI lui-même s'est rangé à la notion
de libération ordonnée des mouvements de capitaux. Dans le même ordre
d'idées, nous avons la proposition de Krugman de recourir temporairement
au contrôle de changes dans les pays en crise, afin de pouvoir faire baisser
leurs taux d'intérêt sans plonger davantage leur monnaie. Nous avons éga-
LE SYSTÈME DE BRETION WOODS ET L'AFRIQUE
117
lement la CNUCED qui, dans son rapport de 1998, propose simplement
d'activer l'article VIII des statuts du FMI, lequel autorise les pays membres
menacés par les mouvements de capitaux déstabilisateurs de se protéger
provisoirement par un contrôle des changes. Citons enfin Strauss-Khan dans
son mémorandum sur construire un nouveau Bretton Woods. Il y propose de
transposer au niveau mondial l'article 73 du traité de Maastricht, qui autorise l'instauration d'un contrôle de changes limité dans le temps (six mois).
2. Le renforcement du rôle des institutions multilatérales de Bretton Woods
Le second axe des propositions concerne beaucoup plus celles qui sont à
l'étude. Il s'agit essentiellement de la proposition faite par la France de renforcer le rôle du FMI, en dotant son comité intérimaire (dans lequel sont
représentés tous les membres) du pouvoir politique qui lui fait présentement défaut. D'organe purement consultatif, ce comité deviendrait un
organe de décision authentique, multilatéral et supranational.
Mais il s'agit aussi d'élar~ir, tous les deux ans par exemple, le G8 (autrefois G7) aux seize chefs d'Etat ou de gouvernement des pays qui disposent
d'un administrateur élu au conseil d'administration du FMI. Cette nouvelle
configuration donnerait au G81a légitimité qu'il n'a pas actuellement. Elle
permettrait aussi, pense-t-on, d'associer les pays de taille moyenne ou en
développement à des décisions essentielles pour la stabilité du système
monétaire international.
Mais l'ensemble de ces mesures et propositions garantit-il une véritable
réforme du système de Bretton Woods?
3. Le caractère conservateur des mesures et orientations
A l'analyse, on se rend compte qu'il n'y a pas de changement profond,
qui soit envisagé, de l'ordre établi. La première raison à cela est que l'analyse des crises financières tend surtout à faire jouer au FMI un rôle plus
accru dans le système monétaire international.
Ainsi, en ce qui concerne les effets négatifs des mouvements de capitaux,
le comité intérimaire a proposé un amendement de ses statuts pour étendre
sa juridiction au flux de capitaux. L'article VI, toujours en vigueur, qui
maintient la possibilité d'un contrôle des capitaux en ce qui concerne les
opérations en capital a fait l'objet d'un projet d'amendement. A l'assemblée générale de Hong-Kong en septembre 1997, le comité intérimaire a
publié un texte dans lequel est réaffirmé que la libération des capitaux est
favorable à l'investissement, et qu'elle est un élément essentiel du fonctionnement efficace du système monétaire international d'aujourd'hui. Il y est
considéré que le FMI est mieux placé pour assurer ce processus, qui doit
s'opérer toutefois selon un certain nombre de règles (échelonnement dans
le temps, systèmes financiers suffisamment sains et solides, politiques
nationales adéquates, etc.). En avril 1998, le comité intérimaire a même
réaffirmé la nécessité d'ajouter aux accords de Bretton Woods un nouveau
chapitre faisant de la libération des capitaux l'un des objectifs du Fonds. On
voit donc que l'ordre néolibéral américain qui caractérise le système de
Bretton Woods est loin d'être ébranlé, et que le rôle d'agent central du FMI
mis en évidence lors de la crise financière de 1982 est réaffirmé avec force.
118
REPENSER BRETION WOODS
La seconde raison du scepticisme est liée au rôle toujours plus accru du
dollar et à l'impossibilité de revenir à des changes fixes, si tant il est vrai que
le système de changes flottants a une grande part de responsabilité dans la
crise asiatique.
Impossibilité de revenir à des changes fixes, cela est évident avec la crise
asiatique. En effet, la tentative asiatique de lien fixe avec le dollar a volé en
éclat en 1997 du fait de l'appréciation continue de celui-ci par rapport au
yen. Cette fixité a d'ailleurs joué un rôle décisif dans la genèse de la crise.
On a observé que les entreprises asiatiques, du fait de la fixité des taux de
change de monnaies par rapport au dollar, s'étaient mises à emprunter massivement en dollar, pensant que le risque de change était nul. De plus, dans
le contexte de bas taux d'intérêt internationaux, comparés à ceux offerts par
les systèmes bancaires locaux, cela était favorable. Mais lorsque le dollar
s'est raffermi face au yen, la perte de compétitivité des exportations asiatiques s'est accentuée.
La troisième et dernière raison est liée au problème du leadership économique américain, qui rend peu évidente la réalisation de la proposition française de reconfiguration du pouvoir au sein du FMI. Les États-Unis ne sont
pas favorables au renforcement de l'influence européenne au sein d'un
éventuel conseil intérimaire du FMI. C'est d'ailleurs pourquoi ils ont préféré prendre les devants, en créant de toutes pièces un G22 regroupant, outre
les nations du G7, une liste limitative de pays émergents, arrêtée unilatéralement et dont la composition coïncide fort curieusement avec les intérêts
américains dans le monde.
D'autre part, les pays comme la Grande-Bretagne ont une position divergente. Le gouvernement britannique propose la fusion du FMI et de la Banque mondiale, alors que d'autres propositions sont au contraire favorables
à la création d'une banque centrale mondiale, qui serait seule à mesure de
réguler les mouvements de capitaux et les marchés financiers.
C'est autant de divergences qui expliquent qu'il n'y ait pas eu de changement fondamental, ni de réforme d'envergure. Si l'on peut parler de
réforme, on voit qu'il s'agit d'actions visant à renforcer le rôle du FMI,
notamment en matière de politiques macroéconomiques, de mesures
réglementaires et de surveillance à appliquer aux secteurs financiers
nationaux; mais aussi en ce qui concerne la transparence pour les pays
intervenant sur les marchés financiers internationaux.
Le problème de leadership sous-jacent à l'ordre de Bretton Woods explique le caractère purement conservateur des mesures préconisées. Celles-ci
sont loin de conduire à une réforme en profondeur du système, dont l' évolution récente accompagne le positionnement concurrentiel qui caractérise
la structuration actuelle des relations économiques internationales.
Le système monétaire international: une logique de positionnement
concurrentiel
La question essentielle qui nous semble interpeller l'Afrique face au système de Bretton Woods est le positionnement concurrentiel. Il s'agit de la
LE SYSTÈME DE BRETTON WOODS ET L'AFRIQUE
119
fragmentation de l'économie internationale en blocs plus ou moins rivaux et
de la place qu'occupent désormais les structures monétaires et financières.
1. La fragmentation de l'économie internationale en blocs plus ou moins
rivaux
Nous avons déjà rappelé que jusqu'à la guerre de 1914, la GrandeBretagne est la première puissance économique du monde. Entre les deux
guerres, elle subit la compétition de États-Unis. Ceux-ci en sortent victorieux, ce qui fait que le système mis en place à Bretton Woods en 1944 est
une proclamation de cette victoire et de leur impérialisme économique.
Mais au moment où le système entre en crise en 1971, l'Europe, le Japon et
la Chine ont réalisé des progrès économiques considérables. Si les ÉtatsUnis demeurent toujours la première puissance économique de la planète,
leur suprématie tend pour cette raison à être remise en cause et à se réduire.
Comme l'affirme Fereydoun (1995), c'est la fin pour le capitalisme industriel des cycles d'hégémonie marqués par la prééminence de ces Étatsnations.
On assiste ainsi à une nouvelle structuration de l'économie internationale,
laquelle tend, derrière le phénomène de mondialisation, à l'établissement
d'un autre type d'hégémonie, celle des multinationales et des blocs économiques. Dès l'instant où aucune économie nationale ne peut plus prétendre
à une domination économique mondiale, les desseins hégémoniques vont
prendre appui sur le socle d'une zone d'influence. La défense des intérêts
économiques et commerciaux se fera de plus en plus à travers la construction de telles zones, capables de s'imposer économiquement et politiquement vis-à-vis d'autres pays. L'adhésion à une zone d'intégration régionale
permet en effet à l'État d'assurer l'expansion des échanges au sein de la
zone, mais également de les détourner (Nême, 1996). L'élargissement des
marchés nationaux favorise l'exploitation des économies d'échelle et la
spécialisation. Elle soumet en même temps les entreprises à une concurrence grâce à laquelle elles peuvent réduire leurs coûts, améliorer leur productivité et être ainsi plus compétitives sur les marchés des pays tiers. En
somme, la position des nations regroupées va se trouver améliorée dans
l'économie mondiale.
C'est pourquoi, au cours des années 1992 et 1993, l'économie internationale a enregistré la naissance de vingt-huit blocs commerciaux, ce qui a
porté le nombre des accords commerciaux dans le monde à quatre-vingtcinq. Mais bien plus important est le fait que les échanges mondiaux se
trouvent aujourd'hui dominés par trois grands blocs régionaux. Il s'agit :
- de l'Union européenne, qui engage la souveraineté de quinze États
dans une entreprise économique et politique commune;
- du bloc nord-américain, qui regroupe les États-Unis, le Canada et le
Mexique, mais n'engage pas la souveraineté des États;
- et du bloc asiatique, composé du Japon, de la Chine, des nouveaux pays
industrialisés (Hong-Kong, Corée du Sud, Singapour, Malaisie, Indonésie,
Philippines, Finlande et Brunei), qui s'inspire du dynamisme économique
du Japon.
120
REPENSER BREnON WOODS
Cette fragmentation de l'économie internationale s'accompagne d'une
modification du statut de la monnaie, laquelle contribue grandement par le
pouvoir de marchandage à l'établissement de rapports hégémoniques
(Fouda Owoundi, 1998).
2. La divergence des stratégies monétaires
C'est la raison pour laquelle le système monétaire international de Bretton Woods est loin de retourner à son organisation première, et que l'on
assiste à la mise en place de stratégies monétaires plus ou moins régionales.
Pour les États-Unis, qui dominent le bloc nord-américain, la stratégie
monétaire reste celle d'une monnaie nationale toujours dominante au plan
international. Le dollar reste au centre du système monétaire international :
il est la monnaie véhiculaire et son pouvoir libératoire au plan international
demeure une réalité. En tant que banquier central de l'économie mondiale,
les États-Unis pratiquent en permanence une politique de monnaie forte.
Celle-ci doit permettre au pouvoir d'achat de leur monnaie de rester toujours plus élevé à l'étranger qu'aux États-Unis.
Pour être bref, il faut dire que la position qu'occupe le dollar est très avantageuse. Elle fait bénéficier aux États-Unis d'un crédit gratuit au niveau
international (David, 1985) et d'un pouvoir de marchandage exorbitant. A
la faveur de cela, ils peuvent influer à leur guise sur les relations économiques internationales, comme cela a été le cas avec les accords du Plaza du
22 septembre 1985.
Tout le problème du système monétaire international se trouve là, et vu les
intérêts américains, on comprend qu'une réforme de fond de ce système
soit très difficile.
La place qu'occupe le dollar est telle qu'il est difficile de parler d'une
stratégie monétaire asiatique, tenant à faire jouer au yen un rôle aussi
important que lui. En effet, bien que le yen soit une monnaie forte disposant
de nombreux atouts, comme le montre Meyer (1996), son internationalisation demeure faible. Le Japon a entrepris toutefois, depuis 1996, une certaine coordination monétaire régionale, notamment en faisant signer des
accords pour des interventions coordonnées sur le marché des changes.
C'est dans le même sens que la Banque du Japon s'est engagée à prêter des
devises à ses homologues de certains pays d'Asie. Mais tout cela ne permet
pas de parler d'une stratégie avérée, et donc d'un système monétaire international tripolaire.
En effet, face à l'évolution du système, l'Europe par contre s'est engagée
dans une voie propre et concurrentielle. Cela se situe à partir de la création
en 1950 de l'Union européenne des paiements, puis de l'accord monétaire
européen de 1955. Mais ce n'est qu'avec le plan Barre et le rapport Werner
en 1969-1970 qu'une stratégie monétaire européenne commence véritablement à apparaître. Elle prend corps avec la mise en place du serpent
monétaire en 1972, et devient incontestable dès mars 1979 avec la création
du système monétaire européen. Les accords de Maastricht signés en
décembre 1991 viendront parachever cette évolution, puisqu'ils permettront
à l'Europe d'adopter une monnaie unique -l'euro - dès le 1er janvier 1999.
LE SYSTÈME DE BRETION WOODS ET L'AFRIQUE
121
L'euro se veut une monnaie forte à l'image du dollar (Aglietta, Baulant et
Coudert, 1998). Son ambition est de faire face à l'hégémonie du dollar, et
pourquoi pas se substituer à lui, pour renforcer le poids de l'Europe et son
aptitude à influer sur les relations économiques internationales (selon le
rapport Cecchini [1988]). En ce qui concerne sa substitution à l'hégémonie
du dollar, on admet que la base de départ est remarquable (Bourguinat,
1998) et que son caractère de monnaie de réserve après le dollar est incontestable (P. Artus, 1998).
Conclusion
En conclusion, l'analyse de l'évolution du système monétaire international de Bretton Woods et des effets sur l'économie internationale en général,
et les pays africains en particulier, justifie une interrogation sur la réforme
du système.
Mais il apparaît qu'à l'heure actuelle, cette question reste peu pertinente.
On vient de le revoir à partir du fait que les mesures envisagées depuis le
déclenchement de la crise asiatique ont un caractère beaucoup plus conservateur. Mais bien plus, on observe que la structuration que connaît l'économie internationale obéit plutôt à un positionnement concurrentiel, et justifie
la mise en place par certains pays de stratégies monétaires divergentes, plus
ou moins régionales.
Au risque d'une marginalisation plus accrue, on peut se demander si
l'Afrique ne gagnerait pas à s'engager irréversiblement dans la voie de
l'intégration économique et monétaire, seule à même de lui conférer une
dimension économique suffisante pour s'insérer valablement dans l'économie internationale du XXIe siècle?
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5
L'Afrique dans la nouvelle donne
commerciale internationale
Habib ÜUANE
Le début du prochain millénaire sera marqué par trois phénomènes
majeurs qui vont peser sur le destin du continent africain. Le premier phénomène est inhérent à la mondialisation et son corollaire, la libéralisation
qui se manifeste par l'unification de la mondialisationllibéralisation et se
traduit aussi par l'exacerbation de la concurrence à l'échelle planétaire, qui
si l'on ne prend garde, va entraîner l'exclusion des nations et des acteurs
socio-économiques les moins outillés pour y participer. Le deuxième phénomène marquant a trait à l'aggravation de la pauvreté ainsi que des
déséquilibres et disparités Nord-Sud. En effet, quelques contrastes grotesques, voire obscènes, révèlent de façon dramatique que les problèmes du
développement et de la pauvreté persistent plus d'une décennie après que le
consensus de Washington a prétendu avoir atteint la «convergence
universelle» autour de valeurs communes adoptées par tous les économistes sérieux, notamment, la prééminence du marché, la libéralisation commerciale et financière, les équilibres budgétaire et de la balance des
paiements.
Propagé à travers les institutions de Brettons Woods, ce corpus a constitué
le paradigme de développement dominant depuis le début de la décennie
1980 jusqu'à nos jours. Le troisième phénomène marquant sera la prédominance de l'immatériel ou de la connaissance et de l'information comme
vecteurs principaux de l'évolution économique du monde et des nations.
Nous nous acheminons graduellement vers une nouvelle économie, une
nouvelle forme de développement dans laquelle les ingrédients décisifs du
progrès ne sont plus le capital, la main-d'œuvre bon marché ou les ressources naturelles abondantes. Au fur et à mesure que nous entrons dans l'économie à forte intensité en connaissances, l'accès à l'information et aux
connaissances impliquera la différenciation entre la prospérité et la pauvreté, entre la domination et la libération. C'est pourquoi l'information et la
connaissance figureront de plus en plus à l'ordre du jour des négociations
124
REPENSER BRETTON WOODS
commerciales multilatérales sur le commerce, les investissements et la concurrence, voire dans la vie économique en général.
Pourquoi s'appesantir sur ces trois phénomènes qui vont façonner le
monde? Parce que l'évolution de l'Afrique en sera affectée. Cette évolution
dépendra particulièrement de la capacité du continent à tirer profit de la
codification des règles du jeu à l'échelle planétaire qu'il s'agisse du commerce, de la technologie ou des investissements.
Cet exposé va tenter d'esquisser l'évolution du système commercial multilatéral dans une perspective africaine. Ensuite, l'on évaluera les pistes
d'une intégration maîtrisée du continent dans la nouvelle donne commerciale mondiale.
L'évolution du système commercial multilatéral
Les négociations commerciales multilatérales du cycle d'Uruguay ont
consacré l'accélération et l'expansion des frontières du système commercial international. Nous sommes entrés dans une phase caractérisée par une
libéralisation quasi ininterrompue et l'intégration de domaines nouveaux
dans le champ d'application des disciplines multilatérales. La concomitance de ces deux tendances comporte des implications majeures pour les
pays africains. En effet, les engagements multilatéraux ont abouti à une
libéralisation asymétrique et partielle, renforçant ainsi les déséquilibres
Nord/Sud en matière tarifaire et non tarifaire.
Une libéralisation asymétrique
La baisse des tarifs douaniers qui va résulter du cycle d'Uruguay a
entraîné une forte réduction de la protection dont disposaient les pays
signataires. En effet, les tarifs industriels ont baissé jusqu'à 5 % en
moyenne, entraînant une érosion des préférences dont l'Afrique bénéficiait
aux titres du système généralisé des préférences (SGP) et de la convention
de Lomé. En guise d'illustration, dans les pays industriels, l'entrée en franchise pour les produits passera de 20 à 43 % des importations totales tandis
que les droits moyens pondérés en fonction des échanges appliqués aux
importations de produits industriels en provenance de toutes sources diminueront de 40 %, passant de 6,3 à 3,7 %1.
Les préférences africaines se multilatéralisent d'avantage, exposant de
plus en plus le continent à la concurrence d'autres pays en développement
plus performants d'Asie et d'Amérique latine. L'épisode récent de la
banane ou la perte de compétitivité de l'Afrique pour certains produits
comme l'huile de palme en sont une illustration concrète.
1. Pour plus de détails, voir H. Ouane, « L'Afrique dans la cité globale à l'aube du troisième millénaire », Afrique 2000, mars 1997, p. 7.
L'AFRIQUE DANS LA NOUVELLE DONNE COMMERCIALE
125
En outre, les effets cumulatifs de « l'agenda inachevé» du Tokyo Round
et de l'Uruguay Round vont certes peser sur les conditions de l'accès des
pays africains aux marchés extérieurs. En effet la libéralisation asymétrique
a eu pour effet de maintenir une protection pour les secteurs où les pays
industriels sont de moins en moins compétitifs : les « pics» tarifaires et la
progressivité tarifaire affectent les exportations des produits alimentaires,
des textiles, de l'habillement, des chaussures et des industries du cuir. Le
report jusqu'à 2005 du démantèlement des restrictions sur les exportations
de textiles et d'habillement - dans le cadre de l'accord multifibre -, la très
embryonnaire libéralisation du commerce des produits agricoles, l'usage
abusif des mesures phytosanitaires, les normes techniques, les barrières
environnementales et le problème des règles d'origine, représentent les
manifestations de la libéralisation asymétrique inhibant le potentiel compétitif des pays africains.
L'impact des accords du cycle d'Uruguay sur ['Afrique
Il convient d'ajouter que l'impact des résultats du cycle d'Uruguay sur les
pays africains est fonction d'une série de facteurs: le pays est-il exportateur
net de produits tropicaux, et en même temps importateur net de produits
tempérés? Est-il exportateur de produits textiles et d'habillement? A titre
d'illustration, eu égard à l'érosion des préférences pour l'exportation de
métaux au Japon, la Zambie pourrait perdre environ 3,8 millions de $UE, ce
qui représente une quantité significative pour un pays de la catégorie des
PMA. La Zambie est aussi un grand importateur net de céréales et il y a lieu
de croire que ce pays sera négativement affecté par la hausse de ces produits. La Côte d'Ivoire aussi sera sujette à des réductions des revenus à
l'exportation (pour le cacao, le café, les fruits) couplées avec des hausses
potentielles des coûts d'importation des céréales, du bétail sur pied et des
produits laitiers. L'industrie textile émergente en Afrique - Zimbabwe,
Kenya - sera aussi négativement affectée par l'élimination des restrictions
quantitatives de l'accord multifibre au fur et à mesure de la mise en œuvre
des résultats de l'Uruguay Round 2 .
Il est un autre domaine où l'impact du cycle d'Uruguay sur l'Afrique sera
significatif: il s'agit du degré d'autonomie dont ils disposeront pour mener
des politiques économiques nationales en matière de propriété intellectuelle de traitement des investissements étrangers. En matière de propriété
intellectuelle notamment, la complexité du domaine exige que chaque pays
mette sur pied un régime juridique approprié que bien des pays d'Afrique
ont une capacité limitée de superviser. Ces tendances restrictives sont en
contraste avec l'expérience historique initiale de développement des pays
industrialisés qui ont réussi à maintenir à leur profit le droit à des subventions massives des exportations de produits agricoles. En fait les pays de
2. Pour plus de détails sur l'ampleur de ce phénomène voir CNUCED «The Uruguay
Round and its follow-up : building a positive agenda for development », Genève, CNUCED (UNCTADIITCDfTED/21997.
126
REPENSER BRETION WOODS
l'OCDE consacrent plus de 300 milliards de SUE au soutien de leur agriculture, soit plus qu'à l'aide au développement.
A la lumière des engagements pris par l'Afrique au titre du cycle d'Uruguay, les éléments constitutifs d'une stratégie économique génératrice de
performance sont les suivants.
- Le cycle a produit des opportunités commerciales qui peuvent être
exploitées: la CNUCED dans son rapport annuel 1996 a estimé que si
l'accord multifibre est appliqué, les pays en développement pourraient, à la
faveur du démantèlement graduel des quotas, tripler leurs exportations de
textiles et de vêtements vers les pays industrialisés dans les dix ans à venir,
ce qui devrait leur rapporter annuellement 175 milliards de SUE de plus.
L'Afrique pourra tirer profit de cette opportunité en privilégiant l'approche
sous-régionale et la modernisation technologique.
- La mise en œuvre de l'expansion du commerce est en grande partie
entre les mains du secteur privé.
- Les gouvernements africains doivent fournir un cadre approprié permettant au secteur privé de susciter de nouvelles opportunités commerciales. Un partenariat dynamique entre l'État et le secteur privé représente la
clef du succès.
- Étant donné la dominante matières premières des exportations africaines, les avantages résultant du cycle d'Uruguay se matérialiseront seulement si des produits à plus grande valeur ajoutée sont développés et si les
marchés sont diversifiés, notamment à travers l'intégration régionale et
sous-régionale. L'objectif global de cette démarche consiste à accroître la
capacité de l'offre de produits.
L'approfondissement des négociations commerciales multilatérales
au sein de l'OMe : une nouvelle forme de gouvernance mondiale?
La codification sans cesse croissante des règles du jeu en matière commerciale représente-t-elle l'un des défis majeurs auxquels le continent africain est confronté dans ses efforts destinés à utiliser les leviers de la politique
économique externe pour promouvoir l'approfondissement réglementaire
qui sera lancé à la conférence ministérielle de l'OMC à Seattle à la fin de
l'année? On peut répondre à cette question de la même manière que Samuel
Gompels qui, à la question de savoir ce que le mouvement syndical américain voulait, a rétorqué: « plus! ». Sans risque de se tromper, on peut affirmer que l'Afrique « veut plus» dans trois directions: plus d'accès aux
marchés, plus de flexibilité à travers une revitalisation du traitement spécial
et différentiel, et enfin plus de formation et d'entraînement pour participer
à la concurrence. Du point de vue des pays d'Afrique, il est impératif de
développer des initiatives de négociation axées sur l'identification préalable
des domaines d'intérêts pour le continent, ainsi que la formulation d'une
stratégie active - plutôt que réactive - dans ces domaines en particulier.
L'AFRIQUE DANS LA NOUVELLE DONNE COMMERCIALE
127
1. L'accès au marché
En matière d'accès au marché, l'Afrique doit tout particulièrement insister sur la nécessité de traiter dans un sens moins protectionniste les effets
cumulatifs de « l'ordre du jour non épuisé» des cycles de négociations de
Tokyo et de l'Uruguay: il s'agit des « pics tarifaires, de la progressivité
tarifaire 3 dans les produits alimentaires et des textiles ou des problèmes des
règles d'origine, des mesures phytosanitaires, des normes techniques et
environnementales. Ces règles pourraient être réaménagées dans le sens
d'une relance concertée des efforts de soutien en faveur de l'Afrique et des
pays les moins avancés. La protection contre l'érosion des préférences africaines aux titres du système généralisé des préférences (SGP) et de la convention de Lomé participe de la même démarche. Il s'agit de redonner une
nouvelle chance à un continent qui n'a pas su tirer profit des préférences
depuis plusieurs décennies à cause d'une faible capacité de l'offre. L'obtention d'une dérogation à l'üMC au titre de la nouvelle convention de Lomé
revêt une importance particulière à cet égard car elle permettra une
sécurisation des préférences 4 •
2. La flexibilité et le traitement spécial et différentiel (TSD)
L'Afrique aura besoin de plus de flexibilité pour user d'une variété de
politiques et d'instruments destinés à promouvoir un processus aussi complexe et difficile que le développement. Personne ne devrait sous-estimer
les défis impressionnants auxquels les pays africains se heurtent pour absorber, mettre en œuvre et utiliser les accords commerciaux. La meilleure
approche pour aider ces pays à surmonter ces défis consiste à entretenir,
voire revitaliser, les principales composantes du traitement spécial et différentiel en les adaptant aux réalités économiques actuelles. Le TSD est en
fait le produit des efforts concertés des pays en développement pour corriger les inégalités inhérentes au système commercial international de
l'après-guerre, à travers l'introduction d'un traitement préférentiel en leur
faveur dans les composantes des relations économiques internationales. Ce
paradigme de développement - qui a été formulé pour l'Amérique latine à
la conférence de La Havane, en 1947-1948 - était basé sur la nécessité
d'améliorer les termes de l'échange, de réduire la dépendance excessive des
exportations de matières premières et de s'industrialiser, à travers une protection des industries naissantes et la subvention des exportations. Certaines
règles du GATT avaient intégré ce paradigme, notamment l'article 18,
« assistance gouvernementale pour le développement économique ». La
disposition fournissait aux PVD la possibilité de jouir d'une flexibilité leur
permettant d'appliquer des mesures de protection tarifaires et quantitatives
pour une industrie naissante ou pour des objectifs de balance des paiements.
3. La progressivité tarifaire inhibe l'éclosion d'une capacité industrielle en Afrique car
elle augmente les prélèvements variables et autres mesures de protection au fur et à mesure
que les produits agricoles africains sont transfonnés sur place.
4. Voir Mattheu McQueen «ACP-EU trade cooperation after 2000 : an assessment of
reciprocal trade preferences », Journal of Modem African Studies, 36, 1998, pp. 669-670.
128
REPENSER BRETION WOODS
Le TSD a connu sa consécration« systémique» avec l'introduction du système généralisé des préférences par la CNUCED en 1968. La tendance a
commencé à subir une inversion à partir des années 1980, avec l'irruption
des mesures dites « de zone grise» comme les restrictions volontaires à
l'exportation, l'expansion des accords de libre-échange entre pays développés, la progressivité tarifaire au détriment des produits d'intérêt commercial pour les PVD.
Il s'agit pour les pays africains de se mettre à l'abri des velléités d'instauration de la réciprocité qui semblent émerger dans les relations commerciales Nord-Sud: les arrangements préférentiels multilatéraux sont
graduellement remplacés par des accords de libre-échange réciproques.
C'est le cas de la proposition européenne pour la nouvelle convention de
Lomé au titre de l'article 24 du GATI.
La tarification des restrictions quantitatives dans le secteur agricole, la
non-remise en cause du système généralisé des préférences (SGP) en faveur
des pays pauvres, l'encouragement des arrangements préférentiels sousrégionaux, régionaux et interrégionaux entre pays en développement dans
le cadre de la clause d'habilitation, et l'octroi de l'accès libre sans droits de
douane à toutes les importations émanant des PMA, représentent les éléments constitutifs d'une plate-forme d'initiatives de négociation commerciale pour l'Afrique.
L'objectif principal de ce continent devrait consister à s'aménager suffisamment d'autonomie pour renforcer son potentiel d'offre de produits à
l'exportation, à travers une compétitivité accrue. L'expérience de l'Asie du
Sud-Est a montré que l'un des aspects les plus importants du traitement spécial et différentiel pour promouvoir une croissance durable des exportations
a été la marge de manœuvre dont les PVD ont disposé pour faire usage des
mesures de politique et incitations destinées spécialement à des secteurs et
industries ciblés pour pénétrer les marchés mondiaux. Les disciplines plus
strictes dans les arrangements commerciaux multilatéraux, relatives au
degré et au type de soutien (subventions directes et indirectes) que les gouvernements peuvent fournir à leurs agriculteurs et industries, ainsi que les
restrictions en matière d'investissements ont pu réduire la marge de
manœuvre des PVD pour promouvoir les secteurs où ils ont un potentiel à
l'exportation. En fin de compte, au lieu de se fonder sur des délais arbitraires et artificiels sans rapport avec les besoins ou la performance, l'application du traitement spécial et différentiel (TSD) dans l'élaboration des règles
du jeu doit obéir aux critères de performance économique des pays, notamment ceux d'Afrique.
.
L'AFRIQUE DANS LA NOUVELLE DONNE COMMERCIALE
129
Éléments pour une intégration maîtrisée dans le système
commercial multilatéral et une participation effective de
l'Afrique.
Il est de notoriété publique que les négociateurs commerciaux ont tendance à aborder les problèmes de concurrence en les limitant à une question
de règles et d'arbitres. La concurrence a certes besoin de règles justes - que
l'üMC est supposée fournir -, mais aussi exige-t-elle un arbitre impartial,
en l'occurrence le mécanisme de règlement des différends de cette organisation. Les gouvernements et les négociateurs protagonistes de l'üMC ont
donc estimé qu'une fois qu'ils disposaient de «règles justes» et d'un
« arbitre impartial », les conditions parfaites pour une saine concurrence
étaient réunies. Du point de vue de l'Afrique, cette approche omet la troisième composante de la concurrence qui revêt une importance
fondamentale: pour participer à une compétition, il ne suffit pas de connaÎtre les règles et d'obéir à un arbitre; il faut aussi apprendre à jouer. Cela
exige bien entendu de l'entraînement et de la formation. Personne ne peut
participer à la finale des Jeux olympiques simplement parce qu'il y a des
règles et un arbitre. L'Afrique doit donc intégrer la dimension formation et
apprentissage comme éléments importants de la concurrence dans le cadre
de l'application des normes commerciales multilatérales.
Comment atteindre ces objectifs? Tout d'abord les organisations internationales comme l'üMC et la CNUCED doivent aider les pays africains
à devenir des protagonistes actifs des négociations futures, c'est-à-dire
des sujets conscients plutôt que des objets passifs de décisions qui vont
façonner leur destin. La CNUCED se donne comme vocation de fournir
à ces pays les inputs en matière de recherche, d'analyse qui sont indispensables pour la formulation de leurs positions de négociation en fonction
de leurs stricts intérêts commerciaux, tout en tenant compte de l'éventualité de coalitions stratégiques avec d'autres pays en développement.
Elle se donne aussi vocation à développer les compétences africaines en
matière de négociations à travers des programmes substantiels de diplomatie commerciales.
Étant donné que les marchés comportent des différences énormes de taille
et de pouvoir d'achat, comment peut-on éviter, du fait de l'asymétrie inévitable dans l'utilisation du pouvoir du marché, la tendance à l'aggravation
de l'inégalité excessive entre l'Afrique et les pays industriels? La réponse
à cette question complexe réside dans une définition de la concurrence en
fonction du développement. Les pays d'Afrique ont besoin d'espace
d'apprentissage, d'adaptation pour mieux participer à la concurrence à
l'échelle planétaire. Cela passe par un préalable indispensable: la revitalisation du traitement spécial et différentiel (TSD), pour leur permettre de
gérer les changements dynamiques de l'économie mondiale entraînés par la
5. Il est à déplorer que selon les données de l'OCDE, seulement 2 % de la coopération
technique de ces pays est liée au commerce.
130
REPENSER BRETION WOODS
révolution technologique. La mise àjour de ce concept doit porter non seulement sur les préférences, mais aussi sur les périodes de transition auxquelles les pays africains seront assujettis pour l'application des règles de
l'üMe. Une période d'adaptation adéquate permettra à l'Afrique de renforcer sa capacité d'offre de biens et services, de mieux s'outiller pour participer à la concurrence en utilisant les technologies de l'information dans
un environnement économique et commercial de plus en plus exigeant.
Quelle orientation pour les futures négociations?
Du point de vue de l'Afrique, l'orientation des futures négociations va
dépendre en grande partie du traitement réservé aux questions laissées en
suspens dans l'accord de Marrakech ainsi qu'à la mise en œuvre complète
des engagements du cycle d'Uruguay.
1. La mise en œuvre des accords antérieurs de Marrakech
Pour la mise en œuvre des accords de Marrakech, les pays africains ont eu
des difficultés, qui ont été aggravées par la non-application par les pays
développés de leurs engagements, notamment en matière de traitement,
spécial et différencié. Il s'agit donc de remettre sur la table des négociations
préparatoires à la session de l'üMe à Seattle les problèmes de mise en
œuvre des accords antérieurs ainsi que le programme incorporé de l'üMe.
Des domaines comme les subventions, les services, l'agriculture, les textiles et la propriété intellectuelle se prêtent à une telle approche.
En matière de subventions par exemple, les pays africains devraient faire
des propositions leur permettant d'utiliser les subventions aux fins de développement et de programmes de diversification, y compris dans le secteur
des services. Pour ce qui est de l'agriculture, l'Afrique doit proposer
l'application effective de la décision de Marrakech sur les pays en développement importateurs nets de céréales ainsi que l'amélioration à travers des
mesures concrètes des conditions d'accès au marché des produits agricoles
émanant du continent. L'accord, sur les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle, comporte certains aspects défavorables à l'Afrique:
les contraintes en matière de développement technologique local, les
barrières au transfert effectif de la technologie, des prix élevés de nature
monopolistique (notamment sur les plantes médicinales, les semences et les
logiciels). Le problème le plus sérieux pour l'Afrique dans ce domaine est
que l'accord sur la propriété intellectuelle ne reconnaît pas spécifiquement
le droit des communautés locales à l'appropriation de leur patrimoine de
connaissances traditionnelles; cela pourrait entraîner une « brevetabilité »
injustifiée de ces connaissances et des ressources biologiques par des entreprises étrangères. Une révision de l'accord pourrait être proposée par
l'Afrique dans cette perspective: la possibilité pour les pays d'exclure toutes formes de vie et de matériaux biologiques de la brevetabilité; le développement par les pays africains de systèmes sui generis de protection des
variétés de plantes, des connaissances traditionnelles locales en fonction de
leurs objectifs de développement, ainsi que l'assurance que l'accord sur les
L'AFRIQUE DANS LA NOUVELLE DONNE COMMERCIALE
131
aspects commerciaux de la propriété intellectuelle soit conforme à la convention sur la biodiversité.
2. Des négociations sur les nouveaux domaines?
Il va sans dire qu'a priori, l'inclusion des nouveaux thèmes dans l'ordre
du jour des futures négociations ne sera pas la meilleure des solutions pour
l'Afrique, continent préoccupé par la « digestion» et la mise en œuvre de
l'accord antérieur.
La communauté internationale devrait se préoccuper du caractère durable
d'un processus de codification commerciale multilatéral quasi ininterrompu. Jusqu'à ce qu'elle limite les pays les plus faibles, ceux d'Afrique,
pourront-ils soutenir le rythme, l'approfondissement et l'expansion du processus de négociation? Il ne faut guère oublier que dans la phase initiale du
processus historique de développement des pays industriels ou même des
pays nouvellement industrialisés d'Asie, l'autonomie nationale dont les
pouvoirs publics disposaient pour promouvoir leur développement économique, technologique et industriel était presque sans limites. Le paradoxe
des temps modernes, dans ce troisième millénaire, serait que l'Afrique
accepte de plus en plus de contraintes à son autonomie dans un monde de
plus en plus animé par une concurrence planétaire exacerbée à laquelle elle
n'a pas été préparée.
Les négociations multilatérales étant plus une question de pouvoir que
d'éthique, l'Afrique doit faire le pari d'une participation à des négociations
futures avec pour objectifs principaux, la « limitation des dégâts» dans les
nouveaux sujets et l'obtention d'avantages concrets dans les domaines
anciens faisant partie du programme incorporé de l'üMe.
Dans le domaine du commerce et de l'environnement, l'Afrique doit faire
état de son hostilité à l'utilisation de mesures commerciales unilatérales
sous prétexte de protection de l'environnement. La promotion des mesures
multilatérales en matière d'environnement, notamment le commerce des
déchets et produits toxiques, et les mesures de soutien de la biodiversité ne
devraient pas être évitées sous prétexte que ces dispositions sont contraires
aux règles de l'üMe.
Pour ce qui est des sujets de l'investissement et de la concurrence, l'Afrique devrait proposer la poursuite du processus d'étude en cours à la CNUCED et à l'üMC en vue de mettre en lumière tous les aspects liés au
développement. La politique de concurrence en particulier doit demeurer
pour l'instant une question nationale afin de permettre aux gouvernements
de l'adapter à leurs objectifs de développement, tout en protégeant leurs
industries naissantes. Dans le domaine des achats publics, l'Afrique doit
préconiser que le groupe de travail de l'üMC se limite à l'étude des éléments de transparence dans les procédures sans pour le moment tenter de
formuler des disciplines multilatérales. L'entrée sans droits de douane des
produits transmis électroniquement doit demeurer temporaire étant donné
qu'elle pourrait provoquer des pertes de recettes pour les gouvernements
africains si le commerce électronique venait à prendre de l'essor sur le continent. Le dernier domaine exigeant une vigilance africaine a trait aux tarifs
132
REPENSER BRETION WOODS
industriels notamment les « pics tarifaires» et la progressivité tarifaire. Il
s'agit d'éviter une réduction des tarifs industriels dans les pays africains où
les entreprises locales ne sont pas suffisamment fortes, ce qui pourrait
entraîner une désindustrialisation du continent
3. L'impératif de l'intégration régionale africaine
Une insertion maîtrisée de l'Afrique dans le système commercial mondial
passe impérativement par l'intégration sous-régionale. Le traité d'Abuja,
créant la Communauté économique africaine, fournit les fondements juridiques de l'intégration. Le défi réside dans une véritable intégration de la
production, susceptible de susciter des flux commerciaux intra-africains
significatifs tout en permettant au continent de peser d'avantage sur la distribution planétaire des activités productrices et des échanges. Il est important de souligner que les échanges entre les pays de l'Association des
nations de l'Asie du Sud-Est (l'ANASE) s'élèvent à près de 30 % avec une
division régionale du travail fondée sur un mode d'industrialisation en « vol
d'oies », reposant à la fois sur l'investissement et sur les échanges
régionaux. Plus de la moitié de l'investissement étranger direct dans quatre
pays de l'ANASE provient d'autres pays d'Asie de l'Est.
L'Afrique doit tout mettre en œuvre pour combler son retard en matière
d'intégration régionale. Le renforcement d'une dynamique régionale africaine doit être fondé sur l'augmentation du commerce et de l'investissement entre les pays du continent. Il ne s'agit cependant pas de prôner une
autarcie mais d'inciter les pouvoirs publics à tout mettre en œuvre pour stimuler l'intégration régionale, pour favoriser un développement extraverti et
maîtrisé en Afrique.
En guise de conclusion, on pourrait se référer aux propos du fondateur de
la CNUCED, Raoul Prebish, selon lequel ce n'est pas seulement un impératif de justice ou de charité, mais une question d'intérêt pour soi, de conférer aux pauvres les conditions requises pour prospérer, exporter et ce
faisant, accroître progressivement et de façon durable leur capacité
d'importer. L'intérêt pour soi, l'âme du marché ne suffit pas. Nous devons
promouvoir plus de solidarité, plus d'éthique, pour que l'Afrique participe
de façon plus substantielle aux échanges mondiaux et à l'élaboration des
règles commerciales multilatérales à l'échelle planétaire, dont l'intensification sera un des phénomènes marquants de ce troisième millénaire.
6
Le soutien des institutions de Bretton
Woods aux réformes écononliques en
Afrique : peut-on faire autrement 1 ?
Barthélémy BIAO
Constatant il Y a quelques années que le Conseil économique et social
(ECOSOC) avait choisi, pour le cinquantenaire des Nations unies, de centrer la réflexion sur le développement de l'Afrique, le directeur général du
FMI affirmait: «Ille fallait, car c'est là que les problèmes sont les plus
urgents, nos échecs parfois les plus flagrants et le doute sur l'adéquation de
nos moyens à nos responsabilités le plus justifié2 . »
Cette déclaration de la plus haute autorité du FMI confirme le scepticisme ambiant quant à la portée du soutien des institutions de Bretton
Woods aux réformes économiques en Afrique et permet aujourd'hui
encore de justifier un retour sur le bilan du système de Bretton Woods dans
une perspective africaine.
On sait en effet, comme le rappelle S. Brunnel (1995 : 241) qu'à partir de
la crise de la dette de 1982, « le FMI et la Banque mondiale sont appelés à
intervenir massivement dans les économies des PVD : un accord avec eux,
FMI d'abord, Banque mondiale ensuite, devient le préalable indispensable
à l'octroi de nouveaux prêts, tant de la part des institutions financières, à la
fois multilatérales mais aussi souvent bilatérales, que des banques privées,
car un tel'accord est subordonné à l'engagement par le pays à exécuter un
programme de réformes internes sévères, visant à restaurer les conditions
de la croissance, donc le retour de la confiance internationale ».
1. Cet article s'inspire de l'exposé fait par l'auteur devant le Forum des ministres du
Travail et de l'Emploi des pays membres du CRADAT, Yaoundé, février 1999, sur le
thème: « les interventions de la Banque mondiale et du FMI dans les pays membres du
CRADAT : constats et perspectives ».
2. M. Camdesss, Allocution devant le Conseil économique et social des Nations unies,
Genève, 6 juillet 1995.
134
REPENSER BRETION WOODS
Au-delà de ses missions originelles de multilatéralisation des paiements
et de stabilité des changes, le FMI est de plus en plus connu à travers ses
activités financières et le soutien qu'il accorde aux pays éprouvant des difficultés financières. Ainsi, depuis le milieu des années 1980, l'activité
financière du FMI s'est intensifiée dans les pays d'Afrique subsaharienne
par le soutien aux programmes d'ajustement structurel à travers la facilité
d'ajustement structurel (FAS) et la facilité d'ajustement structurel renforcée (FASR). L'accord des prêts du FMI et leur mobilisation progressive
sont soumis à des conditionnalités dont les contours sont aujourd'hui bien
connus: lettre d'intention, mesures préalables, critères de réalisation,
revues périodiques (FMI, 1995).
Quant à la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), plus connue sous l'appellation de Banque mondiale, sa principale vocation était, à l'origine, la reconstruction des pays dévastés par la
guerre. Elle a par la suite soutenu les pays en développement par le financement de projets dans les secteurs aussi divers que l'agriculture, l'éducation, l'industrie, l'énergie, la santé et la nutrition, les transports,
l'urbanisme, l'eau et l'assainissement, etc.
Sans perdre de vue ces objectifs sectoriels traditionnels, la Banque mondiale s'est, depuis le début de la décennie 1980, de plus en plus orientée vers
l'appui aux réformes économiques de concert avec le FMI. Comme le soulignait en 1994 le représentant de la Banque mondiale au Cameroun, « les
réformes économiques qui favorisent une croissance équitable et font reculer la pauvreté» viennent en tête des principaux défis, dont notamment
l'investissement dans les hommes, la protection de l'environnement, le
développement du secteur privé et la réorientation de l'action de l'État
(ACCT, 1995 : 117). Ces missions de la Banque mondiale ont été récemment réaffirmées dans un contexte de crise financière internationale:
« Nous devons nous attaquer aux questions de croissance équitable à long
terme qui conditionnent la prospérité et le progrès de l'humanité. Nous
devons axer notre action sur les transformations institutionnelles et structurelles nécessaires pour assurer la reprise et un développement durable. Nous
devons nous attaquer aux questions sociales» (Wolfensohn, 1998 : 1).
Comme on peut s'en rendre compte, les réformes économiques constituent le domaine de convergence des interventions de la Banque mondiale
et du FMI dans les pays africains, en même temps qu'elles constituent une
source féconde de controverses quant à l'action de ces institutions dans les
pays qu'elles assistent.
Car, comme l'a souligné L'Heriteau (1986 : 136), ces interventions concernent « de près ou de loin tous les aspects du devenir de ces économies,
leur croissance économique en termes quantitatifs, mais aussi leur choix
d'organisation économique et sociale et les mutations politiques et culturelles que ces choix impliquent ».
Le débat sur la réforme du système de Bretton Woods est relativement
ancien et remonte aux premiers soubresauts de l'étalon de change or.
Comme l'a fait observer Bergsten (1974) les domaines concernés sont
divers: la répartition des pouvoirs au sein des institutions concernées3, la
3. L'auteur constatait que les vingt-cinq pays les plus riches avaient 70 % du droit de vote.
LE SOUTIEN DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
135
répartition des droits de tirage spéciaux (OTS), la structure des réserves, la
flexibilité des taux de change, la surveillance exercée par le FMI sur les
politiques économiques, etc.
Plus récemment, avec la succession des crises financières et de change
(Mexique, Russie et Asie) et leurs conséquences pour l'économie mondiale, les préoccupations pour la réforme du système monétaire international se sont renforcées. C'est pourquoi l'essentiel des réflexions sont
polarisées autour des moyens de prévention et de résolution des crises
financières (Fischer, 1998 ; Grolier, 1998; Brooks et Queisser, 1999).
Mais dans cette accélération du débat, l'Afrique apparaît absente en
même temps comme objet et comme sujet. Pour elle comme pour d'autres
régions en développement, on insiste sur la nécessité de la stabilité macroéconomique, d'une plus grande libéralisation de l'économie et des échanges, d'une plus grande flexibilité du régime de change, etc. (World Bank,
1994) et on délivre, le cas échéant, des certificats de bonne conduite4 •
C'est pourquoi nous avons choisi de développer notre contribution à cet
ouvrage collectif en partant du principal point d'ancrage entre les institutions de Bretton Woods et l'Afrique: le soutien aux réformes économiques.
Un retour sur les motivations, les résultats et perspectives du soutien des
institutions de Bretton Woods aux politiques économiques en Afrique reste
encore utile pour deux raisons au moins.
En premier lieu, il permet d'aller au-delà d'un certain économisme et de
placer l'homme au centre des finalités de la politique économique.
En second lieu, il est indispensable pour souligner la responsabilité des
Africains eux-mêmes dans la recherche des solutions endogènes.
Nous voudrions par cet exposé apporter quelque éclairage sur les deux
questions suivantes: Quels ont été les fondements et les résultats du soutien
des institutions de Bretton Woods aux réformes économiques en Afrique?
Peut-on faire autrement?
Pour répondre à cette problématique, nous montrons, en premier lieu, que
face à l'impératif de l'ajustement et des réformes, le soutien des institutions
de Bretton Woods n'a été qu'une réponse externe dont les résultats sont plutôt contrastés.
En second lieu, que des évolutions sont souhaitables et possibles en vue
d'une réponse endogène à cet impératif.
Institutions de Bretton Woods et réformes économiques en
Afrique: réponse exogène et résultats contrastés
L'intervention des institutions de Bretton Woods constitue en effet une
réponse externe à l'impératif d'ajustement dans les pays africains. Les con4. Le cas du Ghana a été particulièrement souligné par le directeur général du FMI dans
son discours devant l' ECOSOC, juillet 1995.
136
REPENSER BRETION WOODS
tours de cette réponse externe sont bien connus, mais seront rappelés avant
de prendre une vue d'ensemble des résultats de l'expérience passée.
Les contours de la réponse externe: motivations et modalités de
l'ajustement
A) LES MOTIVATIONS DE L'AJUSTEMENT
Ainsi que le rappelle Hugon (1990: 2016), «les programmes d'ajustement sont des réponses aux distorsions, aux déséquilibres et aux déficits
financiers que connaissent les pays» et, autrement dit, des réponses à la
crise.
Les causes de la crise
Elles tiennent en premier lieu aux « chocs extérieurs» (causes exogènes)
et se manifestent notamment par :
- l'instabilité monétaire internationale marquée par les fluctuations des
principales monnaies de réserve, notamment le dollar américain ;
- les taux d'intérêt réels élevés qui alourdissent le poids de l'endettement
extérieur ;
- les mauvaises conditions climatiques qui compromettent la production
agricole.
En second lieu, ces causes sont endogènes et tiennent à l'inadéquation des
politiques économiques et aux erreurs de gestion interne. Elles se sont
notamment manifestées par :
- d'ambitieux programmes d'investissements publics dont l'opportunité
était parfois discutable et/ou dont la rentabilité s'est avérée insuffisante
(<< éléphants blancs») ;
- des politiques budgétaires expansionnistes dont les effets pervers ont
été aggravés par les déficits récurrents des entreprises publiques et parapubliques.
Les déséquilibres financiers et les distorsions structurelles
Déséquilibres et distorsions apparaissent et se manifestent par :
- l'excès de la demande sur l'offre (masse monétaire, salaires élevés,
dépenses publiques élevées et déficits publics) ;
- les inefficiences liées à l'intervention de l'État dans l'activité économique (subventions, prix administrés, entreprises publiques déficitaires,
etc.) ;
- distorsions externes liées aux politiques protectionnistes, aux contrôles
de change, à la surévaluation de la monnaie nationale.
Tous ces facteurs concourent à l'avènement de la « crise» dont les principales manifestations sont:
- l'aggravation du déficit extérieur;
- le déficit persistant des finances publiques;
- la difficulté ou l'impossibilité d'assurer le service de la dette extérieure.
La dégradation des conditions économiques s'est réalisée à des vitesses
différenciées, mais de façon inéluctable pour la plupart des pays concernés.
LE SOUTIEN DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
137
Pour y faire face, le FMI et la Banque mondiale proposent une thérapie dont
les fondements sont en théorie bien constitués ainsi que les modalités de la
politique économique.
B) FONDEMENTS THÉORIQUES ET MODALITÉS DES RÉFORMES ET DE
L'AJUSTEMENT
Les fondements théoriques
Bien que les officiels du Fonds monétaire international et de la Banque
mondiale se défendent parfois d'adopter un canevas unique pour l'élaboration des politiques économiques qu'ils conseillent et soutiennent financièrement, il est incontestable que leur perception des déséquilibres et
distorsions s'effectue sur la base d'un modèle « classique» dont les fondements sont autant macroéconomiques que microéconomiques.
Sur le plan macroéconomique, le diagnostic s'effectue à travers une combinaison de la théorie de l'absorption, et de l'approche monétaire de la
balance des paiements.
Selon la théorie de l'absorption, la demande globale d'un pays est composée d'une part de la demande intérieure relative à la consommation et à
l'investissement ou absorption: (A) et d'autre part de la demande extérieure nette que représente la solde de la balance commerciale au sens large
(B). L'égalité fondamentale entre les ressources (offre) et les emplois
(demande) de l'économie nationale est Y = A + B où Y représente le produit intérieur.
Dans cette logique, le solde de la balance commerciale (B) est la différence entre ce que le pays produit (Y) et ce qu'il absorbe (A) (B = Y -A).
En conséquence, une balance commerciale déficitaire (B < 0) est le signe
que le pays vit au-dessus de ses moyens (Y < A).
Quant à l'approche monétaire de la balance des paiements, développée à
l'origine par J. Polak qui en a récemment réaffirmé l'actualitéS, elle considère le déficit de la balance des paiements comme le résultat d'une émission
monétaire excessive.
Lorsque l'offre interne de crédit dépasse la demande de monnaie désirée
(fonction de produit intérieur), l'excédent est utilisé à l'acquisition de biens
et de titres à l'étranger, ce qui entraîne une diminution des réserves extérieures et un déficit de la balance des paiements.
Au total, ces approches macroéconomiques conduisent à trouver des causes internes (excès de demande, émission monétaire excessive) aux
déséquilibres extérieurs.
Au niveau microéconomique, le FMI et la Banque mondiale attribuent les
distorsions structurelles au niveau de l'offre notamment, à l'intervention
excessive de l'État dans l'économie et à l'insuffisante libéralisation des prix
et du commerce extérieur. Ces distorsions aboutissent à un gaspillage de
ressources se manifestant par :
- de nombreuses entreprises publiques déficitaires;
5. U. Polak (1997) «Le modèle monétaire du FMI: un outil toujours précieux
Finances et développement, vol. 34, n° 4, décembre 1997, p. 16.
»,
138
REPENSER BRETION WOODS
- le contrôle des prix;
- la pratique de prix agricoles trop bas;
- des taux d'intérêt réels négatifs, qui découragent l'épargne;
- des restrictions à l'importation et des tarifs douaniers qui protègent des
secteurs inefficients;
- des taux de change surévalués qui compromettent la compétitivité
internationale des économies.
Ce cadre conceptuel du diagnostic conduit aux différentes modalités des
politiques d'ajustement.
Les différentes modalités des politiques d'ajustement
Comme dans le modèle du diagnostic, les politiques économiques se
situent également sur deux plans: d'une part, la stabilisation macroéconomique et, d'autre part, les réfonnes structurelles.
La stabilisation macroéconomique vise principalement le rétablissement
à court tenne de l'équilibre extérieur et des finances publiques. Ces objectifs sont poursuivis à travers:
- une austérité budgétaire accrue : réduction des dépenses publiques se
manifestant notamment par la compression des personnels de l'État et des
dépenses de fonctionnement, la suppression des subventions aux entreprises publiques;
- la réduction de la circulation monétaire par l'élévation des taux d'intérêt, le plafonnement du crédit, notamment le crédit à l'État.
Les réfonnes structurelles, quant à elles, visent une meilleure allocation
des ressources par la primauté de la logique de marché et de l'initiative privée et par une ouverture maximum vis-à-vis de l'extérieur.
Les politiques économiques qui en résultent portent sur:
- l'assainissement du secteur des entreprises publiques (liquidations,
restructurations privatisations);
- l'assainissement et les réfonnes du secteur bancaire;
- la réfonne de la fiscalité par la réduction des taux d'imposition pour
promouvoir l'investissement privé et l'élargissement de l'assiette fiscale en
vue d'accroître les recettes publiques;
- la réfonne de la politique industrielle par de meilleures incitations
(modification du code des investissements, simplification des procédures,
guichet unique, etc.);
- la libéralisation du commerce extérieur;
- la dévaluation de la monnaie nationale. Cette dernière mesure devrait
pennettre non seulement l'amélioration de la compétitivité externe de
l'économie (effets prix), mais également la réduction de la demande intérieure (effets d'encaisses réelles).
Enfin un objectif implicite des PAS est la possibilité d'obtenir un relâchement des contraintes financières liées à l'endettement extérieur. Les PAS
ont donc souvent été le préalable à l'obtention de rééchelonnements devant
le Club de Paris (créanciers publics) ou Club de Londres (créanciers privés). D'ailleurs, depuis 1996, la Banque mondiale et le FMI ont conjointement pris l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), qui
LE SOUTIEN DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
139
pennet aux pays éligibles ayant obtenu des résultats significatifs6 dans leurs
réfonnes, d'obtenir un allégement substantiel de leur dette extérieure.
Au regard de ces grands axes de politique économique, quelles leçons
pouvons-nous tirer de l'expérience passée?
Leçons de l'expérience passée: des résultats contrastés
Les résultats des PAS sont en effet contrastés, car leur incidence économique reste controversée, ce qui donne lieu à une critique interne, et leurs
coûts sociopolitiques sont élevés, ce qui conduit à une critique externe des
PAS.
A) UNE INCIDENCE ÉCONOMIQUE CONTROVERSÉE
Il n'y a pas d'opinion unifonne à se faire sur les résultats économiques
des PAS. Les conclusions que l'on peut tirer dépendent des sources de
l'évaluation (institutions de Bretton Woods ou évaluations plus critiques) et
des pays considérés.
Ainsi, pour le FMI et la Banque mondiale, leurs interventions en Afrique
subsaharienne ont permis d'obtenir des résultats positifs en tennes de croissance économique, de déficits budgétaires maîtrisés, de réduction de l' inflation, de taux d'intérêt réels positifs (World Bank, 1994 ; Serageldin, 1989).
Mais les résultats sont divers selon les pays et les périodes.
Ainsi, le Ghana qui, malgré plusieurs accords avec le FMI, a connu une
inexorable dégradation de ses conditions économiques dans les années
1960 et 1970, est devenu l'un des «meilleurs élèves» des institutions de
Bretton Woods dans les années 1980 et 1990. De même, la plupart des analystes considèrent que les pays africains de la zone franc ont connu une
reprise économique certaine à la suite de la dévaluation du franc CFA et des
accords conclus avec les institutions de Bretton Woods à la suite de ce changement de parité: compétitivité/prix restaurée, inflation contenue, taux de
croissance d'environ 5 % (Clement, 1995).
Par contre, des analystes plus critiques soulignent les résultats négatifs
inévitables des PAS: récession et chômage, inflation et baisse des revenus
réels. C'est le cas notamment des études de la CEA (1989) et des appréciations de nombreux cadres des administrations africaines (rapports des
séminaires sur l'ajustement structurel en Afrique subsaharienne; Banque
mondiale 1989).
Cette incertitude quant aux effets économiques des PAS a conduit à ce
que Hugon (1990) appelle une « critique interne» quant à « l'efficience des
politiques par rapport aux objectifs de rééquilibrage financier et de reprise
de l'offre ».
L'auteur considère plusieurs facteurs exogènes pour expliquer la faible
efficience des mesures :
6. Selon une évaluation faite en avril 1997 (CEA, 1997, pp. 92-93) seuls 33 pays africains étaient concernés par l'initiative PPTE. Outre l'Ouganda, les cas du Burkina et de la
Côte d'Ivoire étaient en cours d'examen (idem, p. 93).
140
REPENSER BRETION WOODS
- le contexte international défavorable (tennes de l'échange, taux d' intérêt, cours du dollar, protectionnisme, aide...) ;
- les jeux de dissimulation des acteurs officiels chargés de la mise en
œuvre des mesures;
- les résistances ou les détournements des acteurs.
De plus, en considérant quelques résultats généraux des évaluations des
institutions de Bretton Woods, Hugon (1990) cite notamment le rapport
«Adjustement Lending» de la Banque mondiale 1989, mais on peut également considérer les conclusions du rapport « Adjustement in Africa » de
1994 ; les combinaisons sont différenciées entre la réduction des déficits
financiers et la relance de l'offre. En voici quelques tendances.
Les effets sont le plus souvent perceptibles dans la réduction des déficits
budgétaires et des tensions inflationnistes. Mais comme le rappelle Hugon,
il faut distinguer rééquilibrage par le haut (accroissement des recettes) et
par le bas (réduction des dépenses).
Certaines mesures d'ajustement ont permis un assainissement de la situation financière des pays (politique monétaire restrictive, ajustement du
change, réorientation des ressources vers l'agriculture, assainissement du
secteur public...), mais d'autres mesures semblent plutôt produire des effets
pervers (baisse des salaires réels et forte compression de la demande, baisse
des dépenses publiques qui sacrifie les secteurs sociaux, libéralisation qui
conduit à des abus, incertitudes quant aux effets nets de la dévaluation).
Au niveau de l'offre, la fonnation du capital est compromise par la réduction de l'épargne publique qui n'est pas remplacée par la reprise de l'épargne privée. La libéralisation favorise les importations de produits
manufacturés au détriment des industries nationales de substitution, ce qui
conduit à une certaine désindustrialisation.
Ces limites «intrinsèques» de l'ajustement conduisent à ce que nous
pouvons considérer comme des limites « extrinsèques» et qui portent sur
les coûts sociopolitiques des interventions des institutions de Bretton
Woods dans les pays africains.
B) DES COÛTS SOCIOPOLITIQUES INDÉNIABLES
Ces coûts se manifestent d'abord et principalement par des tensions
sociales et politiques (grèves, manifestations, émeutes) résultant de facteurs comme :
- la baisse du pouvoir d'achat liée aux PAS (baisse des salaires, hausse
des tarifs de l'eau, de l'électricité, des transports publics, des prix des produits pétroliers). Les populations urbaines sont les plus touchées;
- le chômage urbain aggravé par la réfonne du code du travail, la
récession économique et la restructuration des secteurs public et parapublic ;
- le renforcement de la logique du marché qui défavorise les catégories
sociales les plus pauvres.
Ces coûts sociopolitiques doivent ensuite être appréciés au niveau des
modifications dans la répartition des revenus. Ces modifications se réalisent
généralement au détriment des titulaires de revenus fixes (salaires) et en
faveur des titulaires de revenus variables (profits). Certaines études (voir
LE SOUTIEN DES INSTITUTIONS DE BRETION WOODS
141
notamment Serageldin, 1989) concluent également à une modification de la
répartition en faveur des revenus ruraux.
Enfin, une incidence sociopolitique des PAS est l'émergence de la revendication démocratique dans la région africaine et la pression discrète mais
ferme des institutions de Bretton Woods dont la conditionnalité n'est plus
entièrement apolitique (exigence de bonne gouvernance). Ainsi, tous les
pays d'Afrique subsaharienne avancent inexorablement vers des régimes
de démocratie pluraliste.
Bien que ces évolutions démocratiques fassent naître des espoirs nouveaux pour le développement des économies concernées, elles n'en révèlent pas moins le paradoxe des PAS.
En effet, la mise en œuvre des PAS, comme du reste de toute politique
économique, exige un consensus politique et social minimum qui fait souvent défaut. Ce qui conduit à des méthodes autoritaires (fermeté face aux
revendications sociales, répression parfois violente des manifestations).
Ces inévitables conséquences sociopolitiques conduisent à une inévitable
« critique externe» qu 'Hugon (1990) exprime en termes de conflit entre équilibre, croissance et équité. En effet, selon cet auteur, au-delà de la restauration
des grands équilibres, les politiques d'ajustement ont des effets redistributifs
en termes de transferts internationaux, intergénérationnels et intergroupes.
Dans le premier cas (transferts internationaux), on peut mentionner le débat
sous-jacent aux modalités de la privatisation dont certaines sont considérées
comme une braderie du patrimoine national, le renforcement de l'emprise
étrangère et la marginalisation des opérateurs économiques nationaux.
Dans le second cas (transferts intergénérationnels), on peut observer que
« les politiques d'ajustement mettent en œuvre des séquences de mesures
qui conduisent à privilégier le court terme aux dépens du moyen et long
terme» (Hugon, 1990: 2039). Ainsi, le traitement de la dette (rééchelonnement) conduit à en reporter le poids sur les générations futures. De
plus, certains arbitrages conduisant à la baisse des dépenses sociales (santé,
éducation), aboutissent à des transferts entre classes d'âge.
Dans le troisième cas (transferts intergroupes), on peut observer que « les
mesures sont mises en œuvre par des acteurs aux pouvoirs inégaux dont les
pratiques conduisent à réaliser des transferts du coût de l'ajustement sur
d'autres groupes ou à en compenser les effets par des pratiques
adaptatives » (op. cit: 2041) (stratégie de recherche de revenus complémentaires, développement du secteur informel, inversion possible des flux
migratoires villes/campagnes, etc.).
Au total, cette incidence économique mitigée des PAS et ces effets
sociaux pervers ont conduit à la mise en place des dimensions sociales de
l'ajustement.
C) CORRECTION DES EFFETS SOCIOPOLmQUES : LES DIMENSIONS
SOCIALES DE L'AJUSTEMENT ET LEURS LIMITES
La prise en compte des ramifications sociales des PAS a entraîné le lancement (à partir de 1988) de projets intitulés «dimensions sociales de
142
REPENSER BREnON WOODS
l'ajustement)) (OSA). Comme l'indique un document de la Banque mondiale (1990 : 1) sur les OSA, ces dernières sont destinées à :
- «empêcher que l'ajustement structurel et les réformes économiques
n'entraînent des difficultés excessives pour les populations pauvres et
vulnérables;
- intégrer ces populations à l'activité économique )).
Les OSA sont essentiellement du ressort de la Banque mondiale qui fournit pour cela des ressources supplémentaires. Elles comportent quatre
volets de mesures :
- protection des groupes vulnérables (pauvres, femmes, enfants, personnes âgées) contre les effets des réductions budgétaires par la fourniture de
services essentiels relatifs à la santé, à l'éducation, à la nutrition, à la protection maternelle et infantile;
- mesures compensatoires pour les préjudices subis du fait de
l'ajustement: primes de départ volontaire de la fonction publique, indemnité de licenciement, aide à la reconversion, promotion du travail
indépendant;
- participation des pauvres au processus de croissance: il s'agit de donner aux populations marginalisées par l'ajustement les moyens d'une insertion dans l'activité productrice (pistes rurales, projets d'irrigation, appui
aux micro-projets);
- protection des intérêts à long terme de la population: valorisation des
ressources humaines et protection de l'environnement.
Bien que les objectifs des OSA soient louables, leur principale difficulté
reste la mobilisation des ressources financières importantes nécessaires.
Ainsi, à défaut de mesures correctives efficaces, y aurait-il une vision
alternative globale et cohérente susceptible de fournir d'autres instruments
au redressement des économies africaines?
Institutions de Bretton Woods et réformes économiques en
Afrique : quelques pistes pour une réponse endogène
Les défis auxquels l'Afrique est aujourd'hui confrontée sont nombreux et
divers. Il s'agit notamment de reconstituer les écosystèmes, de réaliser des
investissements collectifs et productifs nécessaires à la croissance et de se
repositionner positivement dans la division internationale du travail. Face à
ces défis, l'Afrique peut-elle envisager aujourd'hui des perspectives de
politique économique qui aillent au-delà des canons des interventions traditionnelles des institutions de Bretton Woods? Pour cela, il faudrait que
l'Afrique aille au-delà des explications et thérapies jusque-là proposées par
ces institutions et qu'elle assume ses responsabilités dans la conception et
la mise en œuvre des politiques et réformes économiques.
LE SOUTIEN DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
143
Au-delà des thérapies traditionnelles: de nouvelles perspectives de
politique économique
Face à l'incertitude consécutive aux bouleversements récents de l'économie mondiale, le scepticisme est grandissant vis-à-vis des thérapies jusquelà fournies aux problèmes du développement africain par les institutions de
Bretton Woods. Ces dernières reconnaissent d'ailleurs de plus en plus leurs
limites.
C'est pourquoi, il importe d'aller au-delà d'un manichéisme ambiant
(bons élèves/mauvais élèves) pour comprendre que « la politique économique est un compromis institutionnalisé qui ne peut correspondre à un ordre
idéal, qu'il soit libéral ou volontariste» (Hugon, 1993 : 105). Dans cette
optique, il nous paraît utile de suggérer (ou de rappeler) les principes généraux qui, à notre sens, pourraient guider les options futures. A cet égard, les
leçons de l'histoire comme les évolutions récentes nous enseignent:
- qu'il y a des fondamentaux de la politique économique susceptibles de
créer des conditions favorables à un développement durable;
- que des interventions étatiques sélectives sont indispensables.
A) LES FONDAMENTAUX DE LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE
Ces fondamentaux dériventyartiellement de ce qu'Hugon (p. 106) appelle
« une économie mixte où l'Etat crée un cadre stratégique et favorise une
dynamique entrepreneuriale ». Ils impliquent:
- la création d'un cadre favorable à l'initiative privée, qu'elle soit d'origine nationale ou étrangère;
- la recherche de la stabilité macroéconomique qui implique des politiques budgétaires stables par la maîtrise des déficits publics, des politiques
de taux de change réalistes qui facilitent une meilleure adaptation aux chocs
exogènes;
- le développement du secteur agricole non seulement en vue de l' autosuffisance alimentaire mais également dans l'optique de la diversification
des exportations;
- un investissement approprié dans le développement des ressources
humaines, ce qui permettra d'élever le niveau d'éducation de l'ensemble de
la population et d'améliorer l'efficience technique de la population active.
Ces fondamentaux, qui s'apparentent plutôt à une politique économique
libérale, n'excluent pas un volontarisme sous forme d'interventions étatiques sélectives.
B) DES INTERVENTIONS ÉTATIQUES SÉLECTIVES
Il convient en effet de souligner que l'histoire économique ne nous révèle
aucune réussite économique réalisée dans le cadre d'un total «laisserfaire ». Les gouvernements se sont impliqués dans le processus soit du fait
du poids des dépenses publiques dans le PIE (cas des principaux pays développés à économie de marché), soit du fait d'interventions sélectives pour
soutenir la production et l'exportation (cas de certains pays d'Asie du SudEst).
144
REPENSER BRETION WOODS
D'ailleurs, le rapport sur le développement dans le monde de la Banque
mondiale de 1997 restitue clairement le rôle primordial de l'État dans le
processus de développement, comme le résume A. Chhibber (1997 : 17) :
« En participant au développement économique et social ou en le catalysant, l'État en devient un acteur important. Un État efficace, qui n'est pas
réduit à sa plus simple expression, est nécessaire pour fournir les biens et
services, mais aussi les règles et institutions, grâce auxquels les marchés
peuvent prospérer et les citoyens améliorer leur bien-être. »
Dans l'environnement international actuel, une efficacité accrue des politiques économiques nationales en Afrique devrait être complétée pour
l'approfondissement des réponses endogènes.
Les responsabilités de l'Afrique: l'approfondissement des réponses
endogènes
En fait, dans la recherche d'une nouvelle architecture financière internationale et de réformes institutionnelles favorables au développement de
l'Afrique, les responsabilités sont partagées, et comme le rappelait Hugon
(1993 : 103) : «La crise est aussi une occasion de rendre les Africains responsables de leur propre développement. »
Pour fonder les options stratégiques à long terme, l'Afrique doit sortir de
la position de spectatrice (ou de victime résignée) qui a souvent été la
sienne pour devenir actrice de la nouvelle architecture.
Pour ce faire, il importe de « revisiter» les réflexions endogènes et de renforcer l'intégration économique africaine.
A) «REVISITER» LES RÉFLEXIONS ENDOGÈNES: LE CAS DU CARPAS
Il nous paraît important de montrer ici qu'au niveau des idées, l'Afrique
n'est pas restée les bras croisés face aux résultats mitigés ou décevants des
interventions de la Banque mondiale et du FMI. Elle a proposé, sous l'égide
de la CEA (Commission économique des Nations unies pour l'Afrique), un
« cadre africain de référence pour les programmes d'ajustement structurel
en vue du redressement et de la transformation socio-économique» (CARPAS). Le CARPAS a été une étape essentielle dans les efforts de réflexions
stratégiques en vue de trouver des solutions endogènes aux problèmes du
redressement et de la restructuration des économies africaines. Le projet de
création d'un fonds monétaire africain en est une autre.
Comme son nom l'indique, le CARPAS propose un cadre de référence
pour la conception et l'élaboration de programmes d'ajustement qui traitent
simultanément des problèmes d'ajustement structurel et de développement
économique. Il prescrit pour cela un ensemble de mesures et d'instruments.
Toutefois, le CARPAS n'a eu aucune influence sur la formulation des politiques économiques des pays qui l'ont adopté.
Le cadre de référence
Ce cadre de référence se veut plus global que celui des PAS classiques et
prend en considération : les caractéristiques structurelles des économies
africaines: économie de subsistance et d'échange, base productive étroite,
LE SOUTIEN DES INSTITUTIONS DE BRETION WOODS
145
secteur non structuré important mais marginalisé, dégradation de l'environnement, développement national déséquilibré, balkanisation économique
du continent, forte dépendance vis-à-vis de l'extérieur, structures institutionnelles absentes ou inefficaces, des objectifs du développement africain
tels que découlant de diverses déclarations politiques7 : développement axé
sur l'homme par l'atténuation de la pauvreté et l'amélioration du bien-être
des populations, établissement d'un processus auto-entretenu de croissance
et de développement, intégration économique et régionale, les réalités de
l'environnement international.
De plus, il faut se fonder sur les forces en présence (politiques, économiques, scientifiques et techniques, écologiques, culturelles et sociologiques),
les ressources disponibles (humaines, naturelles et financières), les besoins
à satisfaire (besoins essentiels), récuser les vertus attribuées aux forces du
marché dans la solution des problèmes du redressement économique en
Afrique, adopter une approche pragmatique quant aux rôles respectifs de
l'État et du secteur privé, et mettre l'accent sur la dimension humaine de
l'ajustement et la nécessité d'une plus grande démocratisation du processus
de développement.
Le cadre de référence se déroule en trois modules qui s'agencent de la
manière suivante:
- le premier module est relatif à la détermination du niveau et de la structure de la production. Il s'agit de transformer l'économie d'échange
actuelle en une économie de production diversifiée ;
-le second module est relatif à la détermination du niveau et de la
répartition du revenu. Il s'agit, par un accroissement et une répartition plus
équitable du revenu, d'associer tous les groupes socio-économiques au processus d'ajustement;
-le troisième module est relatif à l'utilisation du revenu. Il s'agit d'orienter la structure des dépenses vers la satisfaction des besoins essentiels.
Les instruments et mesures de politique économique du CARPAS
Relevons tout d'abord que pour les auteurs du CARPAS, tous les instruments et mesures utilisés dans les PAS classiques apparaissent inadéquats
à « l'ajustement avec transformation », car s'ils peuvent « apporter une
solution temporaire en ce qui concerne les équilibres financiers intérieurs et
extérieurs », « ils auraient probablement pour effet d'aggraver davantage la
crise à long terme, notamment si les flux de ressources non autonomes vers
les pays concernés venaient à tarir ».
Le CARPAS fait donc des propositions de politique économique réparties
en quatre catégories et destinées au renforcement et à la diversification des
capacités productives (module 1), à l'accroissement du revenu et à l'amélioration de sa répartition (module 2), à la satisfaction des besoins essentiels
7. Voir Plan d'action de Lagos (1980).
Programme d'action des Nations unies pour le redressement économique et le développement de l'Afrique (PANUREDA).
Programme prioritaire de redressement économique de l'Afrique (PPREA) 1986-1990.
146
REPENSER BRETION WOODS
(module 3), aux réformes institutionnelles facilitant la participation populaire au développement.
Il serait fastidieux d'énumérer ici les vingt-neuf instruments et mesures
de politique économique édictés par le CARPAS. Nous nous contenterons
de quelques illustrations pour constater la rupture par rapport aux PAS classiques.
Au niveau des politiques commerciales, à la place de la libéralisation
complète, le CARPAS propose des politiques sélectives faites de gestion
des importations (interdictions, contrôles, taxes) et de subventions aux
exportations.
Au niveau des politiques de taux de change, à la place d'une dévaluation
généralisée de la monnaie nationale, un système de taux de change multiple
est recommandé car il faciliterait la transformation structurelle en opérant
une différenciation des activités et serait plus efficace dans la lutte contre la
fuite des capitaux et dans l'attrait des capitaux étrangers.
Au niveau de la politique des taux d'intérêt, à la place d'une libéralisation
financière généralisée, le CARPAS propose une politique de taux d'intérêt
différentiels et de contrôle sélectifde crédit, ce qui devrait permettre d' encourager les activités productives au détriment des activités spéculatives.
Au niveau des politiques de soutien des prix, au lieu d'un démantèlement
indifférencié des organismes de soutien des prix, le CARPAS recommande
des politiques de prix garantis aux productions vivrières en vue de renforcer
l'autosuffisance alimentaire.
Le CARPAS : une proposition sans lendemain?
Par un effort d'élaboration conceptuelle d'une cohérence interne indéniable et par des propositions de politique économique non dénuées de caractère opératoire, le CARPAS apparaît digne d'intérêt. Mais force est de
constater qu'il a été de portée limitée dans la conception et la mise en œuvre
des PAS en Afrique. Les mêmes pays qui l'ont adopté se sont plusieurs fois
soumis aux programmes négociés avec les institutions de Bretton Woods.
Cette portée limitée du CARPAS révèle un aspect essentiel de l'ajustement
dans les pays subissant une crise économique et financière: celui du financement.
En effet, quel que soit le modèle utilisé pour sa conception, l'ajustement
nécessite un soutien financier d'autant plus important que les déséquilibres
sont profonds. En conséquence, la difficulté du CARPAS est l'inexistence
d'une structure pouvant garantir le soutien financier à un pays qui adopte
des politiques à l'évidence hétérodoxes. Le recours de plus en plus massif
aux institutions de Bretton Woods est fortement lié à la possibilité qu'elles
offrent de desserrer à court terme les contraintes financières.
Un accord avec la Banque mondiale et le FMI confère au pays « une présomption de bonne conduite économique et financière» pouvant justifier
l'assistance de la communauté financière internationale.
Les auteurs du CARPAS avaient perçu cette limite en prévoyant de sensibiliser les institutions internationales (ONU, FMI, BM, etc.) au financement du CARPAS. Mais les oppositions entre les PAS classiques (soutenus
LE SOUTIEN DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
147
par ces mêmes institutions) et le CARPAS apparaissent irréductibles et rendent incertains les résultats d'une telle sensibilisation.
Ainsi, « la nouvelle génération de programmes d'ajustement en Afrique»
que souhaitaient les auteurs du CARPAS n'a pu voir le jour. Toutefois, les
défis demeurent et l'ouverture du débat sur la réforme des institutions de
Bretton Woods offre l'occasion de « dépoussiérer» cette réflexion africaine
en vue de créer un nouveau consensus sur la question des réformes économiques et de la diversification des économies africaines. Dans cette optique, le renforcement de l'intégration économique africaine apparaît comme
l'impératif du succès.
B) LE RENFORCEMENT DE L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE AFRICAINE,
CONTRIBUTION DE L'AFRIQUE À LA NOUVELLE ARCHITECTURE
On peut en effet observer que face à la mondialisation, largement mue par
des dynamiques microéconomiques conduisant à une plus grande intégration des marchés à l'échelle mondiale, l'intégration régionale apparaît pour
les pays comme le moyen de se donner une chance supplémentaire pour
leur développement.
C'est pourquoi toutes les régions du monde sont aujourd'hui impliquées
dans des accords d'intégration régionale. A titre d'illustration, en même
temps qu'ils poursuivent des négociations ardues en vue de faire progresser
la multjlatéralisation des échanges mondiaux (négociation de l'Uruguay
Round), l'Europe d'une part et les États-Unis de l'autre ont fait progressé
l'intégration régionale dans leurs zones respectives: signature du traité de
Maastricht (1992), naissance de l'Association de libre-échange nord-américain, Alena (1993). Au cours de la même période, l'intégration régionale
connaît un regain d'intérêt en Amérique latine avec l'avènement du Marché
commun du cône Sud, Mercosur (1994).
Si nous considérons les évolutions récentes en Europe marquées par l' avènement de la monnaie unique, il est incontestable qu'il s'agit « d'un événement sans précédent dans l'histoire du FMI8» dont les « conséquences
mondiales» sont inéluctables.
Dans cette logique, la rationalisation et le renforcement des organisations
d'intégration régionale africaine constituent également pour le continent un
impératif de survie.
Conclusion
Après les deux premières décennies de « politiques de développement »,
les pays africains ont dû, face à l'adversité des chocs exogènes et aux
erreurs de gestion interne, se soumettre à la thérapie des programmes
d'ajustement structurel» dans les bras du FMI et de la Banque mondiale.
8. Selon les tennes du président du comité intérimaire du FMI (voir Bulletin du FMI,
14 avril 1997).
148
REPENSER BRETION WOODS
Face aux limites de ces programmes, des mutations de politique économique sont aujourd'hui nécessaires, par lesquelles des politiques nationales
plus équilibrées (État/secteur privé) se combineraient à l'approfondissement des réponses endogènes et au renforcement de l'intégration économique africaine. Dans cette perspective, la pérennité et l'approfondissement
du débat restent aussi une condition de succès.
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150
REPENSER BRETTON WOODS
Annexe: extrait de discours du président de la Banque mondiale
(6 octobre 1998)
Un nouveau cadre de développement
Monsieur le Président, nous avons besoin d'un nouveau cadre de développement.
Arrêtons-nous un moment sur ses grands axes.
En premier lieu, ils définiraient les principes essentiels de la bonne
gouvernance: transparence, possibilité pour tous de faire entendre leur
voix, libre circulation de l'information, volonté de combattre la corruption,
et une fonction publique compétente, convenablement rémunérée.
En deuxième lieu, ils préciseraient les éléments réglementaires et essentiels au bon fonctionnement d'une économie de marché: un système juridique et fiscal excluant l'arbitraire, assurant la sécurité des biens et le
respect des contrats, permettant une réelle concurrence, et imposant des
procédures cohérentes et efficaces de règlement des différends judiciaires et
des faillites, un système financier moderne, transparent et bien supervisé,
tout traitement de faveur étant proscrit, et complété par des règles de comptabilité et d'audit pour le secteur privé reconnues dans le monde entier.
En troisième lieu, nos grands axes impliqueraient des politiques
d'insertion: l'instruction pour tous, en particulier pour les femmes et pour
les filles, la santé, la protection sociale des sans-emploi, des personnes
âgées et des handicapés, le développement des jeunes enfants, l' apprentissage des soins à donner aux enfants dans des centres de santé maternelle et
infantile.
En quatrième lieu, nos grands axes comprendraient les services publics et
les infrastructures nécessaires aux communications et aux transports. Les
routes de campagne et les grands axes routiers. Des politiques d'urbanisme
qui rendent les villes vivables et qui s'attaquent sans tarder aux problèmes
des agglomérations en expansion, et non pas dans 25 ans, lorsqu'ils seront
devenus écrasants. En même temps que cette stratégie pour les villes, un
programme de développement rural, prévoyant non seulement des services
agricoles, mais des services de commercialisation et de financement, et des
moyens de propager le savoir et l'expérience.
En cinquième lieu, nos grands axes engloberaient des objectifs qui assureraient la pérennité écologique et humaine du développement, si essentielle à la réussite à long terme et à l'avenir de cette planète que nous
partageons: l'eau, l'énergie, la sécurité alimentaire, autant de questions qui
doivent être abordées à l'échelle mondiale. Et nous devons veiller à ce que
la culture de chaque pays soit préservée et enrichie, afin que le développement soit fondé sur des bases fermes et s'enracine dans l'histoire. Tout cela
s'appuyant, bien entendu, sur un plan macroéconomique favorable et stable
et des relations commerciales ouvertes.
LE SOUTIEN DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
151
Peut-être n'est-ce pas une liste exhaustive. Elle variera bien sûr d'un pays
à un autre, selon les priorités des gouvernements, des assemblées parlementaires et de la société civile, mais je gage qu'elle va à l'essentiel.
La nouvelle approche
Monsieur le Président, quand nous considérons le rythme et la profondeur
des changements intervenus dans le monde au cours des douze mois écoulés, nous nous interrogeons, comme vous tous ici, sur les enseignements
qu'il nous appartient de tirer de l'expérience. Comme vous tous, nous nous
demandons: comment faire la prochaine fois pour éviter ces mutations du
paysage économique et sociopolitique? Qu'avons-nous observé?
Nous voyons que, dans l'économie mondiale de notre époque, les pays
peuvent investir dans l'éducation et la santé, peuvent mettre en place les
fondamentaux macroéconomiques, peuvent construire des réseaux de télécommunications et des infrastructures modernes. Ils peuvent faire tout cela,
mais s'ils n'ont pas un système financier adapté, s'ils n'ont pas d'organismes de contrôle compétents, s'ils n'ont pas de bonnes lois sur les faillites,
s'ils n'ont pas de lois sur la concurrence et des cadres réglementaires efficaces, s'ils n'ont pas de normes de transparence et des méthodes comptables, leur développement est fragile et éphémère.
Nous voyons que, dans l'économie mondiale de notre époque, les pays
peuvent évoluer vers l'économie de marché, peuvent privatiser, démanteler
les monopoles d'État, réduire les subventions publiques, mais s'ils ne combattent pas la corruption et n'imposent pas des méthodes de bonne gestion
des affaires publiques, s'ils n'ont pas de systèmes de protection sociale,
s'ils n'ont pas obtenu de consensus politique et social en faveur des
réformes, si le peuple n'est pas à l'unisson du gouvernement, leur développement est fragile et éphémère.
Nous voyons que, dans l'économie mondiale de notre époque, les pays
peuvent attirer des capitaux privés, bâtir un système bancaire et financier,
connaître la croissance, investir dans les êtres humains - du moins certains
êtres humains -, mais s'ils marginalisent les pauvres, s'ils marginalisent les
femmes et les minorités autochtones, s'ils n'ont pas une politique d'insertion, leur développement est fragile et éphémère.
Nous voyons, Monsieur le Président, que dans l'économie mondiale qui
est la nôtre, c'est la totalité des changements faits dans un pays qui compte.
Le développement n'est pas simplement une question d'ajustement. Le
développement n'est pas simplement une question de budget et de saine
gestion financière. Le développement n'est pas simplement une question
d'éducation et de santé. Le développement n'est pas simplement une question de remèdes de technocrates.
Le développement, c'est une affaire de macroéconomie, bien sûr, mais
c'est aussi construire des routes, donner aux gens le pouvoir d'agir, rédiger
des lois, reconnaître aux femmes leur juste place, éliminer la corruption,
instruire les filles, développer le système bancaire, protéger l'environnement, vacciner les enfants.
152
REPENSER BRETION WOODS
Le développement, c'est mettre en place toutes les pièces, en même temps
et dans l'harmonie.
Ce modèle de développement équilibré est celui qui convient à l'Asie de
l'Est et à la Russie. C'est celui qui convient aussi à l'Afrique, à l'Amérique
latine, au Moyen-Orient. C'est celui qui convient aux économies en transition d'Europe centrale et orientale et d'Eurasie. Monsieur le Président, c'est
le modèle qui convient à nous tous.
L'idée suivant laquelle le développement est un tout, et nécessite un programme économique et social équilibré, n'a rien de révolutionnaire. Pour
autant, ce n'est pas l'approche que la communauté internationale a suivie
jusqu'à présent.
Wolfensohn J.O. (Président du Groupe de la Banque mondiale)
L'Autre crise, discours devant le Conseil des Gouverneurs,
Washington, 6 octobre 1998
7
Convergence et stabilité internationale
(le cas des pays de la CEMAC)
Jean-Jacques EKOMIE
L'extension de la crise asiatique montre, à l'évidence, la nécessité de renforcer la stabilité internationale puisque l'instabilité croissante des marchés
a des effets néfastes sur le commerce, l'investissement et la croissance. A la
faveur de l'expérience européenne, il semble que le renforcement de la stabilité internationale passe, entre autres, par la convergence des économies.
La convergence peut être définie comme la diminution des écarts entre
des ensembles d'indicateurs relatifs à plusieurs pays). En réalité, ce concept
recouvre deux notions distinctes:
1°) la convergence nominale, qui étudie l'évolution des variables coûts et
prix, ainsi que leurs déterminants sous-jacents (taux d'intérêt, taux de
change et ratios de finances publiques) ;
2°) la convergence réelle dont le champ d'étude est le rapprochement des
niveaux de vie et/ou l'atténuation des différences structurelles entre pays.
Elle s'analyse généralement sous l'angle du rattrapage économique.
Facteur d'intégration économique et de développement, la convergence
est un gage de stabilité internationale. Or, la stabilité internationale apparaît, aujourd'hui plus que hier, comme une condition de la croissance économique, eu égard aux chocs qui secouent l'Afrique depuis le milieu de la
décennie 1980.
Ainsi, toute tentative de reconstruction du Système monétaire international (SMI) passe par la consolidation de la convergence entre les économies,
surtout à l' heure de la mondialisation.
Prenant appui sur les pays de la Communauté économique et monétaire
de l'Afrique centrale (la CEMAC), la présente étude vise un double
objectif: apprécier le niveau de convergence au sein de la CEMAC comme
un facteur de stabilité internationale, analyser la politique économique susceptible d'accélérer cette convergence en vue de renforcer la stabilité internationale.
1. K. N'Guyen, «La convergence réelle en Europe », Problèmes économiques,
nO 2 475,5 juin 1996, p. 7.
154
REPENSER BRETION WOODS
Le niveau de convergence au sein de la CEMAC comme facteur
de stabilité internationale
La convergence au sein de la CEMAC peut être appréciée à travers l' analyse des performances financières des États, en ce qui concerne la convergence nominale, et l'étude du processus de rapprochement des niveaux de
vie, pour ce qui est de la convergence réelle.
Les performances financières des États de l'Afrique centrale
Trois indicateurs permettent d'apprécier les performances financières
d'une économie: le solde budgétaire, le ratio endettementIPIB et l'indice
des prix.
S'agissant du solde budgétaire, son évolution de 1985 à 1995 est illustrée
par le tableau 1.
Tableau 1 - Évolution du solde budgétaire des pays de la CEMAC
(en % du PIB)
1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991
1992 1993 1994 1995
Cameroun
-0,4
-7,0 -6,0 -5,0 -9,0 -9,0 -15,0 -7,1
-6,7
-9,0 -4,9
-7,1
-7,2
RCA
-13,1 -14,0 -7,9 -13,7 -11,6 -12,2 - 18,1 -8,4
Congo
-9,2
-8,2 - 12,5 - 18,1 - 10,2 -6,9
-3,7
-9,7 - 19,1 -20,5 - 14,3 -11,6
Gabon
-5,2 - Il,7 - 12,2 -9,9
-7,0
- 1,7
Guinée-Éq.
-2,4
-3,6
-5,4
-2,2 - 13,1 - 10,0 -12,8 -6,0 -5,9
Tchad
-9,8 -18,9 -3,7
-3,4
-5,7
-8,2
-5,8
1,6
2,7
-7,2
-5,4
- 1,8
2,6
- 8,1 -11,8 -11,9 -11,9 -7,1
Abréviations: RCA pour République centrafricaine;
Guinée-Éq. pour Guinée-Équatoriale.
Sources: Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC), Études et statistiques, n° 207,
déc. 1993, p. 372; Zone franc, rapport annuel, 1991, 1992 et 1995.
Il ressort du tableau 1 que la situation budgétaire des États de la CEMAC
se dégrade sensiblement entre 1986 et 1993, voire 19942 • Tous les États ne
présentent pas cependant la même configuration. Une analyse plus fine des
soldes budgétaires révèle en effet des évolutions contrastées à l'intérieur de
la zone. Deux groupes de pays s'en dégagent:
1) le premier groupe comprend le Cameroun, le Congo et la GuinéeÉquatoriale. Il s'agit des pays dont les déficits tendent à augmenter. Le déficit budgétaire du Cameroun représente 9 % du PIB en 1994 contre 7 % en
1986. Les budgets du Congo et de la Guinée-Équatoriale dégagent un solde
déficitaire qui représente respectivement 20,5 % et 12,8 % du PIB en 1993
contre 8,2 % et 5,8 % du PIB en 1986 ;
2. On évoquera, à cet effet, la baisse de la croissance économique, qui a diminué, en
tennes réels, dans l'ensemble de la zone à partir de 1986 (- 6 %) jusqu'en 1993 (- 1,6 %) à
cause de la chute des produits de base. Voir BEAC, Études et statistiques, n° 207, 1993,
p.356.
CONVERGENCE ET STABILITÉ INTERNATIONALE
155
2) le deuxième groupe est composé de la RCA, du Tchad et du Gabon,
pays dont les déficits ont plutôt tendance à diminuer. Les déficits de la
RCA et du Gabon représentent respectivement 8,4 % et 7,2 % du PIB en
1992 contre 14 % et Il,7 % du PIB en 1986. Le budget du Tchad enregistre, en 1993, un déficit représentant Il,9 % du PIB contre 18,9 % en
1986.
Il semble donc, toutes choses égales par ailleurs, que les performances
budgétaires des États divergent au sein de la CEMAC, certainement à cause
des disparités existant entre ces États et du manque de coordination de leurs
politiques budgétaires 3.
Regardons à présent, dans le tableau 2, l'évolution du deuxième indicateur, le ratio endettementIPIB au cours de la période 1985-1994.
Tableau 2 - Évolution du ratio endettementlPIB
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992 1993* 1994*
Cameroun
33,90
31,00
31,50
37,70
46,30
53,20
59,30
60,00
65,80 107,00
RCA
49,20
48,70
59,40
59,20
58,20
50,20
62,20
61,50
73,20 101,80
Congo
140,10 188,90 188,90 188,90 179,10 172,60 177,70 168,00 237,60 454,10
Gabon
34,30
Guinée-Éq.
156,40 138,20 163,80 160,40 184,60 165,70 171,80 135,80 180,30 180,10
Tchad
28,80
42,20
29,61
75,20
39,65
73,90
34,72
79,10
37,22
72,20
40,70
76,80
45,10
64,20
52,19
79,90 122,50
64,20
91,00
* Pour 1993 et 1994, le ratio correspond au rapport dettelPNB.
Sources: World Debt Tables 199211993; Zone franc, rapport annuel, 1995.
Il ressort du tableau 2 que le ratio endettementIPIB de toute la zone est
supérieur à 50 % en 1992. Le Congo et la Guinée-Équatoriale enregistrent
les taux d'endettement les plus élevés, respectivement 168 % et 135,8 % en
1992. Les autres pays ont des taux d'endettement qui varient entre 50 % et
64,2 % au cours de la même année. En 1993 et en 1994, le niveau d'endettement est toujours plus élevé au Congo et en Guinée-Équatoriale que dans
les autres pays. Ces différences s'expliquent, en grande partie, par le manque de cohérence des politiques financières nationales déjà évoqué plus
haut.
Intéressons-nous enfin, dans le tableau 3, à l'évolution du dernier indicateur, l'indice des prix
Le tableau 3 met en évidence les évolutions contrastées de l'indice des
prix à la consommation de type africain entre 1985 et 1993 4 . En effet,
l'inflation semble diminuer au Cameroun, en RCA et au Tchad puisque
l'indice des prix enregistre en moyenne, entre 1985 et 1993, respectivement
une baisse de 3,58 %, 1,75 % et 1,34 %. En revanche, les prix augmentent
en moyenne au Congo (+ 0,77 %), au Gabon (+ 0,38 %) et en Guinée-Équa3. BEAC, Rapport d'activité, Yaoundé, 1996, p. 56-60.
4. En raison de l'insuffisance des données disponibles, nous retenons la période 19881995 pour le Tchad.
156
REPENSER BRETION WOODS
Tableau 3 - Évolution de l'indice des prix à la consommation
de type africain
CAMER.C.A
CONGO
GABON
ROUN
(BASE 100 (BASE 100 (BASE 100
(BASE 100
1988)
1988)
1988)
1988)
1985
87,1
109,5
94,6
GUINÉETCHAD
ÉQ.
(BASE 100
(BASE 100
1988)
1988)
104,1
77,8
N.D.
1986
69,7
111,8
98,5
110,6
111,6
-
1987
105,8
104,2
98,9
109,6
97,7
-
1988
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
100
1989
105,5
100,8
N.D.
106,7
106,0
99,6
1990
N.D.
100,4
101,0
114,9
100,3
96,3
1991
-
98,3
99,3
121,1
95,8
103,5
1992
-
96,9
95,6
115,2
89,3
100,2
1993
48,0
94,0
100,1
104,9
92,7
93,2
1994
64,4
117,2
142,6
142,8
129,6
130,8
1995
73,3
139,6
156,0
157,1
143,7
142,9
N.D.: non détenniné.
Sources: BEAC, Études et statistiques, nO 209, février, mars, avril 1994, p.45, nO 231,
novembre 1996, p. 241.
toriale (+ 3,37 %) au cours de la même période. Même si la dévaluation de
50 % du franc CFA par rapport au franc français (1994) a entraîné une augmentation des prix dans l'ensemble des États de la zone en 1994 et 1995, il
reste que les hausses les plus importantes ont été enregistrées au Congo et
en Guinée-Équatoriale.
Au regard de ce qui précède, on peut soutenir qu'il n'y a pas de convergence nominale au sein de la CEMAC puisque les performances financières
des États divergent sensiblement à l'intérieur de la zone. Ces disparités traduisent, à de nombreux égards, l'absence de coordination des politiques
macroéconomiques nationales. Qu'en est-il de la convergence réelle?
Le rapprochement des niveaux de vie en Afrique centrale
La convergence réelle, telle qu'elle a été définie plus haut, correspond
généralement à un rapprochement des niveaux de vie à l'intérieur d'un
espace donné. Elle s'analyse donc sous l'angle du rattrapage économique.
Dans cette optique, le modèle néoclassique de croissance, présenté par
Ramsey (1928), Solow (1956), Cass (1965) et Koopmans (1965) permet
d'établir une relation inverse entre le taux de croissance et le produit par
têteS. Ainsi, en admettant l'identité complète des fonctions de production
des pays de la zone, il est possible de prédire à long terme une croissance
plus rapide des pays pauvres par rapport aux pays riches. Ce qui conduit au
5. R. Barro et M. Sala-l, «Convergence », Journal of Political Economy, 2, vol.l00,
avriI1992,pp.223-251,p.224.
CONVERGENCE ET STABILITÉ INTERNATIONALE
157
rattrapage des seconds par les premiers et donc à la convergence de toutes
les économies vers le même niveau de produit par tête 6 .
En prenant appui sur l'analyse de Solow 7 , nous pouvons vérifier si la
croissance réalisée par les économies de la CEMAC a favorisé ou non leur
convergence. Rappelons à ce sujet que, dans le modèle de Solow, l'output
est obtenu à partir du capital et du travail selon une fonction de production
linéaire et homogène8 : Y = F (K, L) (1).
Lorsque les rendements d'échelle sont supposés constants, on pose:
y = f (k).
Avec des rendements marginaux décroissants, la fonction de production
est de type Cobb-Douglas, soit: y =A KU,
où A est une constante technologique ;
a, la part du revenu qui revient au capital.
La dynamique de l'accumulation est commandée dans le modèle de
Solow, en l'absence du progrès technique, par l'équation suivante:
ôk!Ôt = s f (k) -dk - ok (2)
avec ôkj ôt = le taux de croissance du capital (par tête);
s = la propension à épargner;
d le taux de dépréciation;
n = le taux de croissance de la population active;
k = le stock de capital.
L'équation (2) permet d'estimer la diminution de la productivité marginale du capital suite à une augmentation du stock de capital. Ce qui se traduit par un fléchissement du taux de croissance du capital (et du produit) au
fur et à mesure que s'accroît la richesse, autrement dit le niveau de vie et le
produit par tête 9 .
La prise en compte de l'apport de BarroW conduit précisément à admettre, dans l'hypothèse d'une convergence avérée, une corrélation négative
entre le taux de croissance de l'économie et le produit par tête.
En utilisant l'économétrie des données de panel 1l, nous noterons:
- gYpib, le taux de croissance du PIB qui représente la variable
expliquée;
- Ypib/L, le produit intérieur par tête, est la variable de convergence;
- I1PIB, la part de l'investissement dans le PIB. L'investissement a un
impact favorable sur la croissance économique. Le coefficient affecté à
cette variable devrait donc être positif.
=
L'équation (3) ci-dessous présente les résultats de la régression l2 effectuée sur les pays de la CEMAC pour la période 1980-1996:
6. G. Abraham-Frois, Dynamique économique, Paris, 1995, Dalloz, 8e édition, p. 555.
7. R. Solow, « A Contribution to the theory of Economie Growth », QlE, 70, février
1956, pp. 65-94
8. N.G. Mankiw, Macroeconomies, New York, Worth, 3e édition, 1992, p. 82.
9. G. Abraham-Frois (1995), Dynamique économique, Paris, Dalloz, op. cit., p. 555.
10. R. Barro, « Economie Growth in a cross section of countries », QlE, 1991, op. cit.,
pp. 407-444.
11. W.H. Greene, Econometries Analysis, Prentice Hall, 3e édition, 1993, pp. 612-647.
12. La régression a été effectuée dans un logiciel Statistiea.
158
REPENSER BRETTON WOODS
GYpib = - 0,0009 YpiblL + 0,2366 IIPIB + 0,1907
(3)
(- 2,0378)
(4,5553)
(0,1182)
N = 91 ; R2= 0,19; R = 0,44; DW = 1,84.
La relation (3) conduit à penser que la croissance économique des pays de
la CEMAC dépend d'autres facteurs en raison de la valeur relativement faible du coefficient de détermination multiple. Cependant, ce coefficient correspond à ce qu'on trouve d'habitude pour ce genre d'équations de taux de
croissance (Azam, 1996).
On observe un effet de convergence au sein de la CEMAC sur la période
1980-1996 puisque le coefficient affecté à YpiblL est négatif et significativement différent de zéro. Mais cette convergence est relativement faible
(b =- 0,0009), ce qui surprend peu, compte tenu des fortes disparités de
développement entre les pays de la zone 13 .
La variable IIPIB a le signe attendu et est significative d'après le test de Student. Le taux d'investissement a bien un effet positif sur la croissance.
L'absence de convergence nominale et la faible convergence réelle au
sein de la CEMAC constituent certainement un obstacle au renforcement de
la stabilité internationale. Aussi, convient-il de rechercher, dans la seconde
partie de cette étude, les mesures de politique économique susceptibles
d'accélérer la convergence en Afrique centrale en vue de renforcer la stabilité internationale.
La politique économique susceptible d'accélérer la convergence
en vue de renforcer la stabilité internationale
L'accélération de la convergence au sein de la CEMAC passe notamment
par une politique de lutte contre l'inflation et une politique de promotion de
la croissance économique.
La lutte contre l'inflation
Cette mesure vise principalement à renforcer la valeur de la monnaie
commune des États de la CEMAC. Le franc CFA deviendrait ainsi une
monnaie stable et flexible, capable de s'ajuster aux chocs externes et de faire
face aux nouvelles mutations: la mondialisation de l'économie, d'une part,
la construction européenne, d'autre part. La création, au sein de la Banque
des États de l'Afrique centrale (BEAC), d'un système de surveillance multilatérale des politiques macroéconomiques, constitue une avancée significative à cet égard. Ce système retient quatre critères de convergence l4 :
1) un taux de couverture extérieure de la monnaie au moins égal à 20 %;
2) un solde primaire du budget positif ou nul;
13. Voir tableau 2 de l'annexe.
14. BEAC, Rapport d'activité, 1996, op. cit., p. 15 et 75.
CONVERGENCE ET STABILITÉ INTERNATIONALE
159
3) une variation nette des arriérés intérieurs et extérieurs négative ou
nulle;
4) une variation annuelle en pourcentage de la masse salariale de la fonction publique égale ou inférieure à la variation en pourcentage des recettes
budgétaires.
En 1996, seul le Gabon a satisfait à tous les critères. La RCA et le Congo
en ont respecté trois, le Cameroun et le Tchad, deux. Enfin, la Guinée-Équatoriale n'a respecté qu'un critère sur quatre 15.
On peut cependant regretter que des valeurs de référence n'aient pas été
définies pour chacun des critères, à l'exception de celui relatif à la couverture extérieure de la monnaie, déjà pris en compte par les statuts de la
BEAC. La définition de valeurs de référence aurait permis, entre autres, aux
États d'apprécier réellement les efforts à fournir en vue de restaurer la
confiance au sein de la zone et la crédibilité vis-à-vis des tiers.
La maîtrise de l'inflation apparaît comme un objectif primordial pour au
moins trois raisons:
1) elle est susceptible d'atténuer les effets néfastes de la dévaluation sur
la stabilité des prix et partant sur le niveau de vie des populations;
2) elle permet de lutter contre la répression financière, ce qui peut favoriser l'accroissement de l'épargne;
3) elle doit permettre l'amélioration de la compétitivité des économies
de la zone.
Concernant ce dernier point, il serait intéressant de regarder les différentiels d'inflation entre les pays de la CEMAC et leurs principaux partenaires
commerciaux 16 .
Tableau 4 - Différentiels d'inflation entre les pays de la CEMAC et
leurs principaux partenaires commerciaux17 (Tpcemac - Tppc)
1981
1982
1984
1985
1986
1987
1988
1989
Cameroun
+ 1,6
+6,7 + 12,1 + 7,0
- 2,8
+ 6,1
+ 3,6
+ 6,1
-5,9
+ 6,7
+2,7
1983
1990
RCA
+ 3,5
+6,4
+ 8,7
+4,8
+4,8
+ 6,0
+ 5,5
Congo
+ 7,5
+ 6,2
+ 3,1
+8,4
+ 2,0
+ 0,9
-0,2 + 1,2. +0,6
- 8,7
Gabon
-0,6 + 10,1 + 5,8
+ 1,7
+ 3,1
+4,8 +19,4 - Il,1 + 3,1
+ 3,8
-19,6 -14,5 - 1,1
-3,4
Guinée-Éq.
Tchad
+ 3,3
+ 16,0 + 1,0 -14,7 - 8,3 + 19,2 -13,1 -16,5
Avec: - Tpcemac: taux d'inflation des pays de la CEMAC;
- Tppc: inflation moyenne des principaux partenaires des pays de la CEMAC (ÉtatsUnis, France, Japon).
15. BEAC, Études et statistiques, n° 232, déc. 1996, p. 425.
16. Les pays de la CEMAC commercent principalement avec trois pays qui totalisent
près de 50 % de leurs échanges (les États-Unis, la France et le Japon). Voir à cet effet
A. Ondo Ossa, « Taux de change du franc CFA et construction européenne », Mondes en
développement, tome XX, n° 77178, 1992, pp. 59-74, p. 64.
17. Calculs effectués par l'auteur à partir des Statistiques financières intemationales,
annuaires 1992, 1993 et 1994.
160
REPENSER BRETION WOODS
Il ressort du tableau 5 qu'à l'exception de quelques années (1985 et 1989
pour le Cameroun, 1987 et 1990 pour le Congo, 1981 et 1988 pour le
Gabon), le différentiel d'inflation est défavorable 18 aux principales économies de la CEMAC au cours de la période sous revue. Ce qui dénote leur
manque de compétitivité. Une politique concertée de lutte contre l'inflation, qui maintiendrait les taux d'inflation dans la CEMAC à un niveau inférieur à la moyenne des principaux partenaires commerciaux, s'avère donc
nécessaire. De même en matière de taux d'intérêt, il convient d'élever les
taux créditeurs des États de la CEMAC à un niveau supérieur à celui des
grands partenaires commerciaux de telle sorte que le différentiel de taux
d'intérêt soit favorable aux premiers. Ce qui permettrait de pallier l'effet
défavorable de la taille de certains d'entre eux sur les possibilités d'investissement. Parallèlement, les taux débiteurs devront être revus à la baisse
pour ne pas pénaliser l'activité 19 •
La lutte contre l'inflation doit également amener les gouvernements de la
Communauté à réduire leurs déficits par une plus grande rigueur dans les
choix budgétaires et une meilleure répartition des revenus, instaurant des
grilles de rémunération fondées sur l'équité. Dans cette perspective, le déficit budgétaire des États devrait être ramené à l'ordre de 3 % du PIB. Ce qui
les rapprocherait de la norme européenne, en raison de l'arrimage du franc
CFA à l'euro 20 • Au regard du tableau l, seul le Gabon respecte cette condition en 1995.
En matière d'endettement, une politique soutenue de redressement,
visant à juguler les arriérés internes et externes, doit être mise en œuvre.
Ainsi, le ratio endettementIPIB doit être ramené à un niveau inférieur à
60 %. Au regard des performances de 1992, le Tchad est le seul pays à respecter cette norme (voir tableau 2).
Il reste que la lutte contre l'inflation, qui renforce la convergence nominale, pourrait entraîner une récession susceptible de freiner la convergence
réelle. Mais la désinflation implique moins un relâchement des efforts
d'investissements en infrastructures qu'un renforcement des mesures
d'économies budgétaires dans d'autres domaines. A cet égard, il convient
surtout de sérier et de hiérarchiser les dépenses publiques afin de maintenir
un niveau d'investissement capable de générer une croissance durable.
18. Lorsque le chiffre du différentiel d'inflation est précédé du signe (+), les prix augmentent plus vite dans les pays de la CEMAC que chez leurs principaux partenaires commerciaux. Le différentiel d'inflation est alors défavorable aux économies d'Afrique
centrale. Inversement, quand le chiffre du différentiel d'inflation est précédé d'un signe (-),
on dit que le différentiel d'inflation est favorable aux pays africains.
19. A. Ondo Ossa, « Dévaluation et ajustement en Afrique subsaharienne: le cas de la
zone franc », in Entreprise, région et développement, mélanges en l'honneur de René Gendarme, Éditions Serpenoises, 1996, p. 309.
20. Depuis le 01-01-1999, le franc CFA est arrimé à l'euro et la zone franc devenue
ipso facto une zone euro.
CONVERGENCE ET STABILITÉ INTERNATIONALE
161
La promotion de la croissance économique
Les pays de la CEMAC enregistrent depuis 1986 des taux de croissance
relativement faibles, voire négatifs: (- 6,0 %) en 1986, (+ 0,6 %) en 1988,
(- 3,1 %) en 1990, (- 0,4 %) en 1991, (- 2,2 %) en 1992, (- 1,6 %) en 1993,
(+ 0,1 %) en 1994 et (+ 3,4 %) en 1995 contre (+ 7,1 %) en 1985. La mise
en œuvre d'une politique de croissance soutenue à l'intérieur de cette zone
devrait donc, conformément au modèle de Solow, accélérer la convergence
réelle21 .
En effet, les économies de la CEMAC étant structurellement similaires
(on suppose que les paramètres de Solow et la fonction de production y sont
identiques), la croissance devrait naturellement les conduire vers des
valeurs identiques de l'État régulier (<< Steady State ») qui, à long terme,
constitue le sentier de croissance équilibrée. Il correspond à un taux de
croissance supérieur à la moyenne de la période 1985-1995 22 (- 0,23 %).
En introduisant le progrès technique, l'équation de Solow s'écrit:
ôldôt = s f (k) - (n + f.L + d)k, (2 bis)
avec f.L = le taux de croissance du stock de connaissances.
Ainsi que le note Romer (1997), le sentier de croissance est atteint lorsque
l'investissement courant, s f (k), égalise l'investissement de point mort (n +
f.L + d)k. Ce qui signifie que ôldôt = O. Le taux de croissance de l'économie
à l'équilibre, g*, est alors égal à n + f.L.
L'estimation empirique de g* nous amène à poser que le taux de croissance de la population active, n, correspond à la croissance démographique.
La croissance moyenne de la population active de la CEMAC (période
1985-1995) est estimée à 2,5 %23.
L'approximation de la croissance du stock de connaissances f.L s'avère
plus délicate. Elle suppose préalablement l'estimation de s (la propension à
épargner) et de v (le rapport capital sur produit). En posant:
s = S/Y et v = KIY (où S, Y et K représentent respectivement l'épargne,
le produit intérieur brut et la formation brute de capital fixe), on peut déterminer les valeurs moyennes de la propension à épargner et du coefficient
de capital de la CEMAC24 : s =0,14 et v = 0,18.
Le taux de croissance g* (n + f.L) est ainsi égal à 3,28 %. Il est bien supérieur au taux de la période 1985-1995, soit - 0,23 %. En admettant avec
Romer (1997) que n + f.L + d est égal à 6 % par an (ce qui correspond à une
croissance de 1 à 2 % de la population, de 1 à 2 % du produit par tête, et à
une dépréciation de 3 à 4 %), notre estimation de g* semble acceptable.
21. De nombreuses études portant principalement sur l'Europe et les États-Unis ont
montré qu'une croissance soutenue renforce la convergence, alors qu'une croissance faible
ou négative la retarde ou la freine.
22. Si nous retenons la période 1990-1995, la CEMAC enregistre une croissance de
(- 0,63 %).
23. Nos calculs sont effectués à partir des données de la zone franc. Voir à cet effet les
rapports annuels de 1991, 1992 et 1995.
24. Les calculs de s et v portent sur la période 1990-1995, faute de séries longues sur
l'épargne et la formation brute de capital fixe de la CEMAC.
162
REPENSER BREITON WOODS
Pour atteindre g*, les pays de la CEMAC devraient mettre en œuvre une
politique de croissance qui consiste à subventionner les facteurs sujets aux
rendements d'échelle ou aux externalités 25 •
Par ailleurs, diverses mesures destinées au développement du commerce
et à l'amélioration du système financier doivent être envisagées, à savoir:
1) la libéralisation des marchés et le développement des échanges
commerciaux au sein de la CEMAC ;
2) la modernisation des systèmes financiers, grâce à la création de nouveaux produits et à une meilleure rémunération de l'épargne. Cette modernisation doit, en outre, conduire vers une réorientation de la politique de
crédit en faveur des financements longs et une concurrence accrue entre les
intermédiaires financiers.
Conclusion
Si l'intérêt pour la convergence des économies procède initialement de la
volonté des différents États de surmonter la stagnation économique, il n'en
demeure pas moins que celle-ci peut contribuer à renforcer la stabilité internationale en favorisant l'intégration économique et le développement. En
Afrique plus spécialement, la convergence apparaît comme l'ultime moyen
de sortir les pays africains de leurs difficultés économiques et financières
puisqu'elle est susceptible de renforcer la stabilité des unions monétaires de
ce continent.
Le renforcement de la convergence, et notamment à l'intérieur de la
CEMAC, exige cependant qu'un certain nombre d'obstacles soient vaincus. En l'occurrence, les pesanteurs politiques qui freinent le processus
d'intégration 26 . Les États doivent donc faire preuve d'une réelle volonté
politique27 se traduisant, entre autres, par la coordination des politiques
économiques et financières, ainsi que la mise en place de politiques sectorielles concertées dans divers domaines: commerce, industrie, formation et
infrastructures physiques. L'appui des bailleurs de fonds, en particulier
pour le développement des infrastructures et la promotion de la qualité de
la main-d' œuvre, peut s'avérer nécessaire et cette aide viendrait en complément des efforts nationaux et communautaires.
25. Voir J.J. Ekomie, 1999, « La convergence au sein de la Communauté économique et
monétaire de l'Afrique centrale », Économie et gestion, revue du Laboratoire d'économie
appliquée (LEA), nO 2, à paraître.
26. Les divisions, les jalousies, la méfiance de certains chefs d'État vis-à-vis des autres
et le fait aussi que certains pays membres ne considèrent pas les questions régionales
comme prioritaires (ils ne s'acquittent de leurs obligations financières à l'égard de ces institutions) expliquent pour une large part les résultats décevants de l'intégration en Afrique.
27. La volonté politique des États de la CEMAC pourrait se traduire aussi par l'élaboration d'un programme de convergence, précisant le calendrier et les performances à réaliser
à différentes phases en vue de renforcer la convergence dans la zone.
163
CONVERGENCE ET STABILITÉ INTERNATIONALE
Annexe
Tableau 5 - Échantillon utilisé pour la régression
Pays
Période
Cameroun
1981-1996
Congo
1980-1996
Gabon
1980-1996
Guinée-Équatoriale
1987-1996
République centrafricaine
1980-1996
Tchad
1982-1996
Source: The Wor1d Bank, Wor1d Deve10pment Indicators, 1998 CD-ROM.
Tableau 6 - Poids relatif des différents secteurs
dans les pays de la CEMAC
Production par secteur
(en pourcentage du PIB)
1995
Population active par secteur
(en pourcentage de la
population active totale)
1990
Agriculture industrie tertiaire
agriculture industrie tertiaire
Cameroun
39
23
38
70
9
21
Congo
10
38
51
49
15
37
Gabon*
8
45
47
52
16
33
République centrafricaine
44
13
43
80
4
16
Tchad*
44
22
35
83
4
13
* Les données du Gabon et du Tchad se rapportent à l'année 1993.
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TROISIÈME PARTIE
L'AFRIQUE, LA DETTE
ET BRETTON WOODS
8
La question de la dette extérieure des pays
africains: un réexamen
TounaMAMA
En 1996, la dette extérieure des pays en développement était estimée par
la Banque mondiale à 2 177 milliards de dollars, celle de l'Afrique au sud
du Sahara à 235,4 milliards de dollars et celle du Moyen-Orient et de l' Afrique du Nord à 220,8 milliards de dollars (World Bank, 1997).
L'examen des différentes situations d'endettement des pays en développement (PED) autorise à dire que même s'ils sont tous confrontés à des
degrés divers au problème de l'endettement extérieur, à des difficultés de
remboursement, bref à la crise d'endettement, on peut parler de
« spécificité de l'endettement africain». En effet, comme le notent Guillaumont et Mathonnat (1986, p. 229): «parmi les différentes catégories de
pays débiteurs, l'Afrique au sud du Sahara s'est souvent distinguée des
autres régions du Tiers monde. Les problèmes d'endettement qui s'y manifestent sont sans doute moins graves pour le système financier international
que ceux des « principaux débiteurs» parmi lesquels les pays africains ne
figurent pas. Néanmoins, ces problèmes demeurent, pour beaucoup d'économies africaines, d'une réelle gravité' ».
Nous n'allons pas revenir sur les causes, bien connues, de la crise
d'endettement international. Qu'il nous suffise de rappeler que, contrairement à la thèse initialement avancée par les pays du Nord qui peut se résumer pour l'essentiel à la mauvaise gestion des crédits octroyés aux PED,
nous avons pu montrer, à partir de la théorie keynésienne du circuit appliquée aux transferts internationaux, que dans tous les cas, les pays en crise
avaient largement dépassé leur seuil d'endettement supportable, qui est la
limite supérieure de leur capacité d'endettement2 . Cela a été possible non
seulement grâce à l'argent facile, aux surliquidités d'après le premier choc
pétrolier (recyclage des pétrodollars), et à la hausse des taux d'intérêt inter1. Voir dans le même sens Chatel (1992, p. 113 sq.)
2. Voir Touna Marna, 1985, 1986a, 1986b, 1988a, 1988b.
170
REPENSER BRETION WOODS
venue à partir de 1980 à la suite de la politique de base monétaire de Volcker
aux États-Unis, mais aussi du fait des politiques macroéconomiques par
trop expansionnistes de certains PED rendues possibles précisément par le
surfinancement disponible.
Ici, nous voulons simplement montrer la spécificité de l'endettement africain et, par conséquent, la nécessité d'un traitement particulier de la crise de
la dette africaine. Pour ce faire, il convient au préalable de retracer son évolution afin de mettre en lumière ses caractéristiques.
L'endettement extérieur des pays africains: évolution et
caractéristiques
L'historique de ['endettement extérieur des pays africains
L'évolution de l'endettement extérieur des pays africains peut être analysée au moins en quatre périodes:
- avant les indépendances;
- pendant les années 1960;
- pendant les années 1970;
- pendant les années 1980.
Cette évolution montre que si l'endettement des pays en développement
en général et celui des pays africains en particulier, devient une source de
vive préoccupation pendant les années 1970, notamment en raison de la
menace qui pèse sur les pays industrialisés à la suite du premier choc
pétrolier de 1973, l'Afrique était confrontée bien avant au problème de la
dette.
La dette n'est pas nécessairement une accumulation de chiffres, mais peut
être aussi un mode de vie correspondant à une longue habitude. En effet, dès
la deuxième guerre mondiale, lorsque la métropole, s'agissant de l'Afrique
francophone, eut pour souci de réduire l'écart de développement entre ses
colonies et départements d'outre-mer et elle, des fonds importants ont été
nécessaires. Les territoires africains francophones ne pouvaient, sur leurs
ressources locales, financer l'ensemble de cet effort. La métropole faisait
donc l'appoint nécessaire. Percy Mistry, qui a été le conseiller financier du
vice-président (finances) de la Banque mondiale, déclarait en 1988
qu'avant les indépendances, les déficits des pays d'Afrique au sud du
Sahara étaient financés par des dons des métropoles à concurrence de 30 à
50 % de leurs dépenses totales. Ils bénéficiaient aussi de prêts et d'investissements consentis sur les places financières européennes et garantis par les
gouvernements coloniaux. Les prêts destinés à un projet précis avaient une
durée de 25 ans en moyenne avec des taux d'intérêt nuls ou allant de 3 à
5 %. En 1962, précise-t-il, la dette de l'ensemble des pays d'Afrique au sud
du Sahara s'élevait à 3 milliards de dollars avec un ratio dette/service de
moins de 2 %. Le général de Gaulle n'avait-il pas pris comme argument
LA QUESTION DE LA DEITE EXTÉRIEURE DES PAYS AFRICAINS
171
pour justifier les indépendances vis-à-vis des Français de métropole
qu'elles coûteraient moins cher à la France ?
Du jour au lendemain, alors que les économies africaines demeuraient
très dépendantes des anciennes métropoles et qu'elles devaient se restructurer dans une logique de nation, on ne pouvait pas s'attendre à ce qu'un
apport extérieur ne soit pas sollicité. Ces pays l'ont fait, souvent pour financer des programmes « ambitieux », comme le remarquait P. Mistry, mais
qui ne semblaient a priori pas excessifs dans l'euphorie des indépendances:
de 3 milliards de dollars en 1962, la dette à long terme était passée à
7,6 milliards de dollars en 1972. Aucun chiffre officiel ne permet d'évaluer
avec exactitude celle à court terme, mais P. Mistry l'évalue à 2,5 milliards
de dollars. Dix ans plus tard, c'est-à-dire en 1982, la dette totale était de
68,9 milliards de dollars et de 175 milliards de dollars en 1991, selon les
estimations de la Banque mondiale (World Bank, 1992).
A) DÈS LES ANNÉES 1960, LA SONNEITE D'ALARME EST TIRÉE
« Le Comité a pris note de l'aggravation constante de la charge du service
de la dette pour les pays les moins développés, malgré les progrès réalisés
par plusieurs membres du CAO (Comité d'aide au développement) au
cours de l'année passée, en vue d'adoucir les conditions d'octroi des prêts
du secteur public. » Nous ne sommes pas dans les années 1980, mais le
23 juillet 1965, lors de la quatrième réunion annuelle du CAO de l'OCDE.
Deux ans auparavant, en octobre 1963, trente ministres des Finances des
pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine avaient déjà tiré la sonnette
d'alarme lors de la réunion annuelle de la Banque mondiale, du FMI, de la
Société financière internationale (SFI) et de l'Association internationale de
développement (IDA) à Washington, soulignant que les conditions de
l'assistance financière étaient trop rigoureuses et que la plupart des pays
emprunteurs devaient souvent s'acquitter de leurs dettes avant même que
les projets financés par l'emprunt aient eu le temps de produire.
Mais l'humeur était alors résolument à l'optimisme et surtout, les pays
industrialisés ne se sentaient nullement menacés comme en témoigne
l'accroissement d'environ un milliard de dollars de l'époque de flux nets
des pays occidentaux vers les pays en développement pour la seule année
1965 (en incluant l'assistance technique). En outre, cette hausse avait surtout pris la forme de capitaux privés. On ne savait d'ailleurs pas exactement
où allait cette assistance financière puisqu'il fallut attendre la publication,
début 1967, par l'OCDE, du premier recueil statistique sur la « répartition
géographique des ressources financières mises à la disposition des pays
moins développés» en termes de versements. On constatait alors que
l'Afrique était loin d'avoir été laissée pour compte. En effet, en moyenne
annuelle sur la période 1960-1964, ce continent avait reçu au total
1,5 milliard de dollars pour une population estimée en 1963 à 280 millions
d'habitants; seule l'Asie la dépassait avec 2,3 milliards de dollars mais
avec une population plus de trois fois supérieure (910 millions), alors que
l'Amérique avait bénéficié de 674 millions de dollars (230 millions d'habitants). Globalement, sur cette période quinquennale 1960-1964, les flux
172
REPENSER BRETION WOODS
financiers mis à la disposition des pays moins développés avaient atteint
42,3 milliards de dollars, l'apport bilatéral public étant de l'ordre de
25,9 milliards de dollars, les contributions financières des organisations
multilatérales de 2,3 milliards de dollars et les flux privés nets, en provenance des pays membres de l'OCDE, de 14,1 milliards de dollars.
Accroître l'aide
Estimant cet effort insuffisant, la Banque mondiale appelait de ses vœux
dès 1968, un doublement des prêts qu'elle devrait accorder aux pays en
développement, se donnant cinq ans pour réaliser cet objectif, et une
recherche assidue de projets à soutenir avec un effort particulier fait en
faveur de l'Afrique: « En Amérique latine, je prévois que le rythme de nos
investissements devrait plus que doubler au cours des cinq prochaines
années. Mais c'est en Afrique, qui parvient à peine au seuil des investissements majeurs de développement, que devrait se produire l'extension la
plus considérable de nos activités. Au cours des cinq ans à venir, avec la
collaboration efficace des pays africains, nous devrions y multiplier par
trois la cadence de nos investissements », déclarait le 30 septembre 1968,
M. Mc Narnara dans sa première allocution publique en tant que président
de la Banque mondiale. Cet optimisme n'était pas aveugle et la constatation, dès cette date, des « déficiences dans les comportements de bien des
pays pauvres» rappelle à plus d'un titre les fondements des politiques
d'ajustement structurel actuellement mises en place par ce même organisme. Et, dans ce même discours, M. Mc Namara de déplorer:
« ... gabegie flagrante dans la gestion des économies, détournement de
ressources trop rares au profit de guerres inspirées par le nationalisme, perpétuation de systèmes discriminatoires dans l'organisation de la société et
la distribution de revenus: ce sont des situations qui ne sont que trop répandues dans ces pays ... »
Le réalisme dont faisait preuve le président de la Banque mondiale l'a
d'ailleurs incité, l'année suivante, à préciser les principes de base de
l'octroi par la Banque, de prêts qui, aujourd'hui, laissent un peu rêveur:
« Notre politique de prêt est fondée sur deux principes de base: le projet
doit être raisonnable et bien conçu et l'emprunteur doit être solvable... [...]
Nos études ont prouvé indiscutablement que, dans les cinq années à venir,
la demande, dans les pays en développement, de prêts aux conditions de
marché avec application de critères aussi rigoureux que par le passé, allait
sensiblement augmenter. [...] Nous maintiendrons ces critères sans la moindre défaillance. » Les conditions étaient en effet rigoureuses: en janvier
1968, le taux d'intérêt pratiqué par la Banque était de 6,25 %; il est actuellement de 7,7 %.
Le célèbre rapport de la Commission Pearson - commission pour le développement international chargée en 1968 par la Banque mondiale, de proposer des solutions aux problèmes de développement - surprend aussi
lorsqu'on se remémore ses recommandations en matière d'aide: l'ensemble des transferts de ressources au titre de cette aide par chaque pays développé devait atteindre « le plus tôt possible et au plus tard en 1975 » un
LA QUESTION DE LA DEITE EXTÉRIEURE DES PAYS AFRICAINS
173
minimum de 1 % du PNB; de même, chaque pays développé devait accroître ses engagements d'aide publique pour qu'ils atteignent 0,7 % du PNB
de préférence avant 1975 et au plus tard en 1980.
Ce même rapport Pearson avait d'ailleurs consacré à l'Afrique d' importants développements, précisant la spécificité de l'aide financière accordée
à ce continent. Il avait fait remarquer, comme le rapport du CAD quelques
années auparavant, que le flux des ressources financières extérieures vers
l'Afrique était plus important par tête, que vers l'Amérique latine ou l'Asie.
Cette répartition était cependant très inégale entre les pays du continent
noir: une vingtaine de pays recevaient moins de 3 dollars par habitant
d'aide en 1967, alors que dix-huit en recevaient plus de 10. De plus, l'aide
à l'Afrique représentait un pourcentage élevé des exportations (plus de
20 % pour 22 pays), ce qui donne un élément d'explication du fardeau anormal de la dette qui pèse aujourd'hui sur ces pays alors que cette même dette,
en valeur absolue, est pratiquement négligeable face à celle des autres continents en développement. En outre, la commission Pearson faisait remarquer que les dons et subventions représentaient un pourcentage élevé du
total: au moins 30 % dans la plupart des pays et près de 100 % dans quelques-uns, la moyenne s'établissant à près de 60 %. Enfin, il précisait aussi
qu'une part importante de cette aide à l'Afrique était dispensée sous forme
d'assistance technique (le tiers de l'aide que la France fournissait aux pays
francophones au sud du Sahara).
Parallèlement, les observations faites durant les années 1960 en ce qui
concerne les flux financiers privés, cette fois non plus sous forme de prêts
mais d'investissements, rappellent à maints égards les propos que l'on
entend aujourd'hui. Ainsi, plus de quinze ans - ce qui est à la fois peu et
beaucoup - se sont-ils déjà écoulés depuis que Martin M. Rosen, alors viceprésident exécutif de la SFI, déclarait: « Nous en sommes arrivés à un stade
de l'effort de développement où un accroissement considérable des investissements privés sera la condition sine qua non d'une grande part de la
croissance si souhaitée et si nécessaire dans le monde moins développé [...]
On en est arrivé dans bien des pays, à la deuxième phase de l'effort de développement, la première étant celle de la mise en place de l'infrastructure
essentielle. La fin des travaux d'infrastructure n'est pas encore en vue.
Néanmoins, après la première phase financée sur fonds publics, la
deuxième phase, l'édification de l'entreprise productive sur la base de
l'infrastructure existante, est typiquement et mieux financée et gérée par le
secteur privé. [...] La plupart des pays en développement ont un besoin critique de développer leur économie; l'investissement privé, tant étranger
que national, peut beaucoup contribuer au développement économique;
l'investissement privé sera donc bien accueilli dans la plupart des pays en
développement qui entendent sérieusement exécuter leurs plans de
développement. »
Le poids de la dette
Deux derniers exemples permettent de réfuter l'idée que ce n'est qu'au
tournant des années 1970 que le problème de la dette est apparu. Pour la
174
REPENSER BRETION WOODS
première fois dans l'histoire de la Banque mondiale, l'Assemblée annuelle
du 21 septembre 1970 avait principalement à son ordre du jour les problèmes de développement. A cette occasion, Mc Namara déclarait: «La préoccupation principale des pays en développement est le poids écrasant de
leur dette extérieure, qui s'élève déjà à 55 milliards de dollars et qui augmente de 15 % par an. Elle augmente deux fois plus vite que ce que leur rapportent leurs exportations. » Toujours en parallèle, il a été alors question de
créer un plan d'assurance pour les investissements avec pour objectif de
rendre les investisseurs privés confiants dans les pays en développement.
Autre preuve que le problème est ancien: la première distribution des
droits de tirages spéciaux par le FMI remonte au 1er janvier 1970. Parmi les
bénéficiaires de plus de 10 millions de dollars figurent des pays africains: le
Nigeria (16,8 millions), le Congo-Kinshasa et le Maroc (15 millions chacun), l'Algérie (12,6 millions) et le Ghana (11,6 millions). Le Botswana et
le Swaziland avaient reçu des sommes plus modestes (504 000 chacun).
Le cas de la Côte d'Ivoire et du Sénégal sont un dernier exemple pour
témoigner de l'ancienneté du problème de la dette. Début 1974, la Caisse
autonome d'amortissement de Côte d'Ivoire publie pour la première fois,
en annexe des chiffres de la dette intérieure dont elle assume la gestion, les
statistiques relatives à la dette publique extérieure qui, entre 1971 et 1972,
a augmenté de 38,2 %. A souligner d'ailleurs, que dès cette date, 36,8 % de
la dette gérée par la Caisse est libellée en dollars; s'agissant de la dette non
gérée par elle, 54 % sont en dollars et 22 % en francs français.
En ce qui concerne le Sénégal, le service de la dette jusqu'en 1970 est
demeuré tout à la fois peu important et stable: 85 % de l'endettement extérieur de l'État est constitué de prêts à taux favorables. En revanche, entre
1971 et 1973, on assiste à un gonflement de son montant et à une modification de sa nature. Plusieurs années de sécheresse ne permettent plus aussi
facilement à l'État de financer son budget d'investissement sur ressources
nationales. Il doit donc recourir à l'emprunt à des conditions de marché en
raison, entre autres motifs, de la lenteur des décaissements des crédits
d'aide publique. Ainsi en 1973, sur un endettement sénégalais de
56,5 milliards de francs CFA, 31 % sont des emprunts au taux du marché et
69 % à des taux favorables.
On trouve bien dans cette première décennie les germes de ce qui deviendra un cauchemar pour les économies africaines. La situation est certes
radicalement différente de celle connue aujourd'hui: il s'agit alors d'apport
d'argent pour lancer des économies naissantes. Tous les espoirs sont permis. Mais, déjà, dès cette époque, deux particularités de la situation africaine apparaissent et qui se retrouvent aujourd'hui: l'aide publique est
importante, les investissements privés ne sont pas à la hauteur des espoirs et
la relance de la machine tarde. Rétrospectivement, il apparaît que l'on s'est
inscrit très tôt dans une logique financière de longue durée et non dans une
aide passagère.
LA QUESTION DE LA DEITE EXTÉRIEURE DES PAYS AFRICAINS
175
B) LA CRISE PÉTROLIÈRE ET LA MONTÉE DE L'ENDEITEMENT AFRICAIN
DES ANNÉES 1970
L'endettement croissant des PED ne deviendra une réelle préoccupation
qu'à partir du moment où les pays industrialisés se sentiront menacés. C'est
pourquoi on situe habituellement la prise de conscience du problème de
l'endettement à la première« crise» du pétrole, en 1973.
Les années 1970 sont pleines de rebondissements. Les pays industrialisés
voient leur facture pétrolière s'alourdir gravement, pesant sur leurs finances,
mais en même temps, les « pétrodollars» affluent sur leurs places financières,
mettant à la disposition de la communauté internationale des sommes importantes. Le deuxième choc pétrolier de la fin des années 1970 pèsera encore
plus lourd et là, les pétrodollars ne joueront plus le même rôle, les taux d'intérêt augmentant. Du côté des PED, si la facture pétrolière - pour les pays non
producteurs - devient vite insoutenable, les prix des matières premières
s'envolent aussi et la communauté financière internationale met à leur disposition d'importantes sommes. Ce ne sera que vers la fin de la décennie que
s'écroulera le rêve de matières premières bien rémunérées. Ainsi entre les
années 1960 et la décennie suivante, la nature de l'aide aux pays africains va
changer. La perspective du développement et de la construction des États est
toujours présente, mais l'afflux de capitaux découle davantage d'un surplus
de disponibilités financières, tant sur la scène internationale que dans bon
nombre de pays africains. L'illusion que la conjoncture favorable, liée à la
hausse des cours des matières premières, devait durer, a marqué de nombreux
États, notamment ceux producteurs de pétrole, de café et de cacao.
Cependant, la Banque mondiale, dès avril 1974, publie un rapport sur
« les besoins supplémentaires en capitaux extérieurs des pays en voie de
développement ». La hausse des cours du pétrole non seulement alourdit la
facture énergétique, mais entraîne avec elle les prix de tous les autres produits importés par l'Afrique. La Banque estime que les besoins en capitaux
des PED devaient être nettement supérieurs aux prévisions: 2,6 et
6,8 milliards de dollars supplémentaires seront nécessaires pour 1974 et
1975. Pour 1976-1980, selon les estimations les plus optimistes, les besoins
supplémentaires en capitaux extérieurs étaient évalués entre 10 et
12 milliards de dollars. Le calcul est simple à faire: la tonne d'urée valait
62 dollars en 1968 et 225 dollars en décembre 1973: en 1974, cette hausse
entraîne un débours supplémentaire pour les PED de 1,2 milliard en devises
par rapport à 1973. Le prix du blé triple entre 1967 et 1974: par rapport à
la moyenne 1970-1972, les pays du Sud devaient payer 8,4 milliards de plus
pour leurs importations de céréales. Par rapport à 1973, le débours supplémentaire est de 3,2 milliards de dollars.
Face à cette nouvelle donne financière, le monde s'organisera et s'adaptera. Aux assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI en octobre
1974, il est dit que le FMI s'efforcerait d'emprunter « à nouveau l'année
prochaine plusieurs milliards de dollars (on parle de 5 à 10 milliards) aux
pays exportateurs de pétrole pour les reprêter aux pays qui ne peuvent payer
leur facture d'importation de produits pétroliers. Certains pays industriali-
,
176
REPENSER BRETION WOODS
sés voudraient continuer à bénéficier de ces crédits mais les PED entendent
qu'ils leur soient entièrement reversés ».
Alourdissement de la facture des biens importés, disponibilités très élargies d'argent sur les places internationales, mais aussi hausse considérable
des prix des matières premières exportées par les PED et notamment par les
pays africains jusqu'en 1976-1977. Si le baril de pétrole passe de 1,3 dollar
en 1970 à 30,5 en 1980, le kilo de café évolue de 115 à 334 cents sur la
même période, celui du cacao de 68 à 260 cents, des bananes de 165 à
379 dollars la tonne, de l'huile de palme de 260 à 584 dollars la tonne, du
coton de 63 à 205 cents le kilo, de l'or de 36 à 608 dollars l'once, etc., selon
la Banque mondiale (Priee prospectsfor major primary commodities 19902005). Ceci allait accroître la crédibilité financière de l'Afrique.
N'est-ce pas la Banque mondiale elle-même dans son rapport sur le développement de 1978 qui précisait que le montant annuel des prêts d'origine
privée accordés aux PED devrait augmenter d'environ 12 % par an entre
1975 et 1985 et que« les pays en développement pourraient s'accommoder
de ce taux d'expansion, car leur aptitude à assurer le service de leur dette
s'améliore d'année en année ... » (p. 27)? Certes les pays autres qu'africains sont plus visés pour ce qui est des crédits privés bien que le continent
noir ait connu un certain revirement de la nature des crédits accordés durant
cette décennie. Mistry note, en effet, que dans les années 1970, la part des
bailleurs officiels dans la dette à long terme des pays africains à faible
revenu avait baissé de 75 % à 67 %. Ces pays se sont tournés vers des prêts
commerciaux pour financer des programmes d'investissements publics: les
crédits d'institutions financières privées se sont accrus de 40 % en moyenne
par an durant cette décennie pour l'Afrique au sud du Sahara.
Exporter vers le Sud
Parallèlement, les pays industrialisés ont les yeux rivés sur leurs balances
des paiements dont l'équilibre est dangereusement mis en péril par la facture pétrolière. Ils doivent donc exporter à tout prix. L'Afrique devient un
marché important, notamment pour la France, ce dont témoigne la progression vertigineuse des crédits à l'exportation à l'Afrique au sud du Sahara
entre 1975 et 1980.
L'ensemble de ces facteurs a entraîné la dette de ces pays de 14 à
56 millions de dollars entre 1975 et 1980. Selon l'OCDE, la dette à long
terme de ces pays est passée de 16 milliards de dollars en 1975 à
44 milliards en 1988, dont la dette à conditions non libérales qui progresse
de 8 à 28 milliards. S'agissant du service de la dette à long terme, les paiements annuels au titre des crédits à l'exportation sont passés de 0,9 à
3 milliards de dollars entre 1975 et 1980, soit une progression de 233 % en
5 ans. Pour les pays d'Afrique au sud du Sahara, bénéficiaires de l'IDA, ce
montant est passé de 0,5 à 1,2 milliard entre 1975 et 1980, le total de crédits
à l'exportation évoluant de 3 à 8 milliards.
P. Mistry s'étonne par ailleurs que des institutions de développement, tels
la Banque mondiale ou le FMI, n'aient rien fait pour tirer la sonnette
d'alarme par rapport aux conséquences fâcheuses d'une telle dérive. Et
LA QUESTION DE LA DEITE EXTÉRIEURE DES PAYS AFRICAINS
177
d'ailleurs, il note le développement des programmes d'investissements sur
financements durs: en 1972, les pays d'Afrique au sud du Sahara devaient
600 millions de dollars à « conditions dures» à la BIRD et 1,2 milliard en
1977, soit le double en 5 ans, les prêts auprès de l'IDA progressant au même
rythme. Globalement pour l'ensemble des PED, entre 1970 et 1979, la part
de subventions dans les flux est passée de 31,8 % à 6,3 %; la part de la dette
assortie de conditions libérales est tombée de 39 à 23,6 % et l'échéance
moyenne des prêts a évolué de 20 ans à 12,7 ans entre 1970 et 1980.
Une explication à ceci: la libre convertibilité des monnaies au début des
années 1970 et l'apparition d'un grave décalage de doctrine entre les deux
grandes institutions multilatérales: l'existence de taux de change flottants
et la montée en flèche des prêts commerciaux avaient privé le FMI d'un certain rôle et, en tous les cas, d'une certaine autorité. En parallèle, la Banque
mondiale, sous l'ère de Mc Namara et dans un contexte de liquidités internationales importantes, a considérablement accru le volume de ses prêts.
C) LA CRISE DE L'ENDETTEMENT AFRICAIN DANS LES ANNÉES 1980
A la fin des années 1970, c'est la catastrophe. Les cours des matières
premières chutent durablement et les pays intéressés ne réagissent pas de
suite, pensant que le mal n'était que passager. En 1979, c'est le second choc
pétrolier, les taux d'intérêt augmentent, les parités monétaires se réajustent
face à la baisse du dollar. Les pays industrialisés, frappés par une récession
économique profonde, traînent les pieds pour accorder une aide publique au
développement et ce sont les organisations multilatérales qui devront, en
partie, prendre le relais. Les pays d'Afrique au sud du Sahara verront leurs
recettes d'exportations fondre: non seulement ils commenceront à rencontrer de sérieuses difficultés pour rembourser mais ils seront obligés de continuer à emprunter non plus pour investir, même dans des projets productifs,
mais tout simplement pour financer leurs balances des paiements, payer leur
facture pétrolière, maintenir un certain niveau de consommation par des
mesures de soutien aux prix, évitant ainsi des explosions sociales.
Les PED consacrent une part croissante de leurs recettes d'exportation à
l'amortissement et aux intérêts de leurs emprunts. Une fois de plus, les pays
industrialisés se sentent menacés et des programmes d'ajustement sont mis
en œuvre à tout prix. Le processus sera accéléré lorsque le Mexique se
révélera en 1982, incapable de rembourser sa dette. C'est d'ailleurs précisément parce que, semble-t-il, la dette africaine n'est pas assez importante,
ne constitue pas une menace pour qui que ce soit, que des solutions n'ont
pas été aussi rapidement trouvées pour elle.
La dette africaine ne préoccupe vraiment que les Africains. Ne constituant
pas un enjeu international, les solutions seront longues à apparaître. L'on ne
peut s'empêcher de penser que le traitement de faveur que l'on applique
depuis des années à l'Afrique ne lui rend, en fin de compte, jamais service.
Dès les indépendances, c'est une aide publique au développement à des
conditions douces qui lui a été octroyée alors que si des crédits commerciaux avaient été privilégiés, l'argent aurait peut-être été utilisé à meilleur
escient, dans des investissements directement productifs. Dans cette logi-
178
REPENSER BREITON WOODS
que, l'annulation des dettes africaines vers laquelle on tend aujourd'hui de
plus en plus ne se retournera-t-elle pas aussi contre le continent noir dans un
laps de temps assez court?
Les spécificités de ['endettement extérieur de l'Afrique 3
Il s'agit de voir tour à tour:
- les particularités des flux financiers vers l'Afrique,
- les particularités de la dette africaine et
- les caractéristiques de cette dette.
La tendance générale est nette: entre 1980 et 1990, on assiste pour
l'ensemble des pays en développement, à une augmentation de l'aide publique au développement, tandis que chutent les crédits à l'exportation, les
apports privés fléchissant mais dans une moindre mesure. Seuls les organismes publics et les États consentent à prendre un risque, d'autant plus
qu'ils doivent venir au secours des banques et autres organismes privés, les
investissements directs augmentent considérablement, la tendance étant
particulièrement accusée au cours de la deuxième partie de la décennie. En
revanche, les prêts bancaires internationaux dégringolent de 38,2 % en
1980 à 13 % du total des apports.
En Afrique, l'évolution est tout autre: les apports privés ne représentent
plus, en 1990, que 6,8 % des flux totaux contre 24,6 % en 1982. Cette chute
touche les investissements directs (10,3 % en 1982 et 4,7 % en 1989) et les
prêts bancaires dont les flux deviennent négatifs en 1989, à - 3,7 % contre
Il,2 % en 1982. Cette dernière tendance est particulièrement accusée en
Afrique au sud du Sahara.
En revanche, la baisse des crédits à l'exportation est moins forte que pour
l'ensemble des pays en développement. En 1989, ces crédits représentaient
13,5 % des apports à l'Afrique contre 16,4 % en 1982. Ces 13,5 % sont nettement supérieurs aux 2,8 % enregistrés pour l'ensemble des pays en développement.
Par ailleurs, les investissements directs en Afrique au sud du Sahara augmentent un peu vers la fin de la dernière décennie. Mais surtout, cette zone
se distingue par l'importance de l'APD qui représentait en 1989, selon
l'OCDE, 77,8 % contre 51,4 % en 1982, l'aide bilatérale représentant 54 %
et l'aide multilatérale 24 %.
Encore plus spectaculaire est la composition des apports financiers aux
pays à faibles revenus au sud du Sahara: en 1989,92,6 %, selon l'OCDE,
sont constitués de financements publics, 84 % étant de l'APD (55 % bilatérale et 29 % multilatérale). Les crédits à l'exportation augmentent (de
9,4 à 13,4 %) tandis que les apports privés chutent de 30 % en 1982 à - 6 %
en 1989, les prêts bancaires devenant très nettement négatifs (- 11,4 %
contre 21 % en 1982).
Cette évolution contraste singulièrement avec celle de l'Afrique du Nord
et du Moyen-Orient où, entre 1982 et 1989, l'APD passe de 64,8 % à
3. Voir dans le même sens Chatel (1992, p. 113 sq.)
LA QUESTION DE LA DEITE EXTÉRIEURE DES PAYS AFRICAINS
179
30,9 % le relais étant pris par les apports privés (et surtout les prêts bancaires) qui, en 1989, représentent 37 % des apports totaux à cette région contre 9,7 % en 1980 et - 4,6 % en 1982. En revanche, les crédits à
l'exportation baissent de 32 % en 1980 à 27 % en 1989.
La situation en Amérique latine est, là encore, très différente. Certes, la
part du financement public du développement, dont l' APD, croît considérablement (de 11 % en 1980 à 42 % en 1989), tandis que les crédits à
l'exportation demeurent toujours inférieurs aux 10 %, fluctuant selon les
années. Mais le plus spectaculaire est le redressement de la part des
investissements privés (de 12 % en 1980 à 33 % en 1989), tandis que les
banques, échaudées, se retirent: les crédits bancaires représentaient
jusqu'à 64 % en 1980, pour chuter à 5,8 % en 1986, pour se redresser à
20 % en 1989.
Les évolutions en Asie sont moins spectaculaires, si ce n'est la chute des
crédits à l'exportation (de 15,5 % en 1980 à 2,7 % en 1989). Le financement public du développement oscille entre 45 et 65 %, tandis que les
apports privés représentent 42,4 % en 1989 contre 40 % en 1980. Encore
une fois, les investissements prennent petit à petit le relais des crédits
bancaires.
La décennie 1990 ne semble pas avoir inversé cette tendance. En effet,
la part globale des PED en termes de stock d'investissements directs
étrangers a décliné (25,1 % du total des investissements directs, soit
l'équivalent de ceux à destination des seuls États-Unis d'Amérique),
même si les flux d'investissements directs étrangers en leur direction ont
régulièrement progressé, passant de 25 milliards de dollars en moyenne
annuelle dans la période 1986-1990 à 50 milliards de dollars en 1995.
Mais il faut dire que cette progression s'est faite essentiellement au profit
des pays est-asiatiques et tout particulièrement la Chine qui, à elle seule,
bénéficie de 38 milliards de dollars en 1995, en raison notamment de
meilleures perspectives de croissance et de développement.
La part des pays africains hors Afrique du Sud dans les investissements
directs étrangers vers les PED a été seulement de 3 % en 1997. Si l' Afrique est pratiquement marginalisée dans la répartition des investissements
directs étrangers comme continent, on y trouve cependant des pays qui
attirent ces investissements, dont l'Afrique du Sud, le Nigeria, l'Égypte,
le Maroc, la Tunisie et l'Angola, comme on peut le voir dans le tableau 1:
180
REPENSER BRETION WOODS
Tableau 1- Flux d'investissements directs étrangers vers les
principaux pays africains bénéficiaires (en milliards de dollars)
Pays
1996
1997
Afrique du Sud
0,76
1,00
0,64
0,31
0,25
0,29
0,12
0,12
0,15
0,10
0,27
1,71
1,39
0,83
0,50
0,36
0,35
0,25
0,20
0,13
D,Il
0,10
~igeria
Egypte
Maroc
Tunisie
Angola
Ouganda
Ghana
Namibie
Libye
Botswana
Source: CNUCED, 1998.
Cette brève analyse comparative met en relief l'aspect de «parent
pauvre» de l'Afrique et surtout permet de souligner que la relance n'est
certainement pas pour tout de suite, les investissements s'étant orientés
ailleurs au cours des dernières années.
Les particularités de l'évolution de la dette africaine
La part de l'Afrique dans la dette mondiale est faible ...
La dette de l'Afrique au sud du Sahara dans l'endettement mondial est
négligeable. Cependant, on remarque que son volume ne cesse de croître,
alors que celui de l'Amérique latine et des Caraibes évolue exactement en
sens contraire, ce qui vient renforcer l'idée énoncée plus haut, à savoir que
l'on s'occupe avant tout de ceux qui menacent le plus. La même évolution
inquiétante peut être relevée, s'agissant de l'Afrique du Nord et du MoyenOrient (l'inconvénient des chiffres de la Banque mondiale étant d'additionner ces deux zones, très différentes par ailleurs): ainsi, en 1990, l'Afrique
au sud du Sahara et l'Afrique du NordIMoyen-Orient représentent le quart
de l'endettement mondial alors que, vingt ans auparavant, ces régions n'en
représentaient que 15 %.
Mais l'endettement africain est plus lourd qu'ailleurs
Le poids de la dette des pays d'Afrique au sud du Sahara, déjà lourd en
1980, devient insupportable vers la fin de la décennie: en 1990, le stock
total de la dette d'Afrique au sud de Sahara représente 340,8 % des exportations de biens et services contre 98,4 % en 1980, et 106,1 % du PNB
(28,1 % en 1980). Ce sont là des records mondiaux. Contrastes au plan
international, mais aussi grandes différences au sein du continent africain.
En 1980, dans les quatre pays de l'Afrique du Nord, si l'on exclut la
Libye, le ratio dette/exportation se situe dans une fourchette allant de 96 %
LA QUESTION DE LA DEITE EXTÉRIEURE DES PAYS AFRICAINS
18l
(Tunisie) à 227 % (Égypte) et le ratio dette/PNB, de 41 % (Tunisie) à 97 %
(Égypte). En 1990, par rapport au PNB, de 52 % (Algérie) à 126 %
(Égypte). L'Égypte connaît donc la plus grave situation.
En Afrique de l'Ouest (échantillon: Côte d'Ivoire, Liberia, Niger, Nigeria,
Sénégal et Togo), en 1980, la dette représente de 32 % (Nigeria) à 180 %
(Togo) des exportations, et de 9 % (Togo) en ce qui concerne le rapport au
PNB. Dix ans plus tard, la dette représente 487 % des exportations de Côte
d'Ivoire contre 212 % au Togo, le plus faible taux. Par rapport au PNB, le
plus faible taux est au Niger (73 %) et le plus fort en Côte d'Ivoire (203 %).
En Afrique centrale (Cameroun, Centrafrique, Congo, Zaïre), le ratio
dette/exportations est de 94 % (Centrafrique) à 206 % (Zaïre). Tandis que
par rapport au PNB, il est par exemple de 24 % au Congo. En 1990 le taux
par rapport aux exportations varie de 257 % (Cameroun) à 438 % (Zaïre);
et en fonction du PNB, de 56 % (Cameroun) à 203 % (Congo).
Pour l'Afrique de l'Est, les évolutions sont spectaculaires. C'est ainsi
qu'un pays comme la Tanzanie a vu son ratio dette/exportations passer de
317 % en 1980 à 1070 % en 1990 (264 % de son PNB en 1990); pire encore,
le Soudan, dont la dette représente cette même année, 1 070 % des exportations ou encore 163 % du PNB. La dette soudanaise était déjà élevée en 1980
(499 % des exportations et 131 % du PNB). Des cinq pays sélectionnés
(Kenya, Malawi, Rwanda, Soudan et Tanzanie), c'est le Kenya qui a le taux
le plus faible par rapport à ses exportations (306 %) tandis que la dette du
Rwanda ne représente que 35 % de son PNB et 85 % pour le Malawi.
C'est en Afrique australe (Afrique du Sud exclue) que les contrastes sont
les plus saisissants. Entre le Botswana dont les ratios dette/exportations et
dette/PNB restent faibles (proches de 20 %) et le Mozambique pour lequel
les mêmes ratios sont excessivement élevés (plus de 1500 %), on constate
que la dette du Zimbabwe représente 167 % de ses exportations et 54 % de
son PNB en 1990, tandis que ces chiffres sont, pour l'Angola, respectivement de 219 % et 115 % la même année
La situation des différents pays africains pour 1994 est retracée à travers
le tableau 2 :
Tableau 2 - Dette extérieure et ratios du service de la dette, 1994
Ratio dettelPIB
Dette
%dela
externe
dette
totale
remper
bourcapita
(US $) sée
Non
Concesconcessionnel
sionnel
Afrique subsaharienne
Afrique du Sud
(ADS) exclue
ADS et Nigeria exclus
Ratio dette/
exportations
Ratio
service de la
dette/exportations
Non
ConcesEx
concessionnel
ante
sionnel
Ex
post
46
34
366
83
144
109
48
18
46
34
366
83
144
109
48
18
61
28
381
83
187
87
46
18
182
Angola
Bénin
Botswana
Burkina Faso
Burundi
Cameroun
Cap-Vert
RCA
Tchad
Comores
Congo
Côte d'Ivoire
Djibouti,
Quinée-Equatoriale
Erithrée
Ethiopie
Gabon
Gambie
Ghana
Guinée
Guinée-Bissau
Kenya
Lesotho
Liberia
Madagascar
Malawi
Mali
Mauritanie
Maurice
Mozambique
Namibie
Niger
Nigeria
Rwanda
Sào Tomé E Principe
Sénégal
Seychelles
Sierra Leone
Somalie
Afrique du Sud
Soudan
Swaziland
Tanzanie
Togo
Ouganda
Zaïre
Zambie
Zimbabwe
Afrique du Nord
~lgérie
REPENSER BREITON WOODS
20
84
8
50
103
36
41
83
73
80
116
50
42
85
...
85
14
95
62
71
239
52
45
...
115
132
137
169
12
191
...
65
4
154
717
59
19
64
...
...
...
14
15
8
6
3
36
6
6
8
4
118
77
0
31
'"
8
67
5
7
11
51
19
Il
...
66
11
3
32
7
147
...
20
52
0
70
17
8
21
...
...
..
18
143
92
62
5
39
28
9
92
26
24
5
46
41
22
24
21
20
...
...
Egypte
Libye
...
...
Maroc
21
33
Tunisie
19
24
AFRIQUE
ENTIERE
35
29
Source: World Bank (1996, p. 172).
994
309
479
112
181
565
446
275
132
389
2097
1339
436
747
...
95
3833
388
318
477
777
280
301
699
316
186
292
1049
1227
331
...
88
82
78
66
74
85
47
87
72
84
93
93
68
84
...
79
85
78
70
82
83
80
52
97
84
78
80
83
75
80
...
43
317
13
29
55
14
967
118
31
117
...
...
...
34
13
4
2
10
4
39
47
39
17
.. .
...
...
...
391
365
284
169
106
26
42
13
172
163
43
14
22
141
67
13
8
5
51
40
229
83
33
...
...
...
...
...
484
23
157
240
349
1047
134
72
47
110
8
25
56
224
50
18
348
198
36
12
74
Il
545
...
444
537
385
20
709
...
...
...
...
...
3
'"
...
51
60
15
23
36
125
51
6
11
10
14
24
14
12
33
6
'"
66
18
41
42
7
91
...
.. .
9
17
27
23
7
23
.. .
177
310
123
2017
454
2329
303
288
80
85
66
78
81
80
72
81
...
...
647
262
258
363
187
2290
715
397
791
1094
580
93
62
81
90
70
91
90
68
81
74
90
781
17
531
287
746
490
5
153
87
113
209
3
64
36
52
...
...
272
122
51
...
...
...
...
74
21
127
75
91
56
39
98
17
29
55
15
...
...
850
1050
85
72
71
40
112
49
33
18
32
19
445
83
110
92
44
23
...
..
,
...
...
395
13
1769
1673
170
31
...
...
...
...
...
120
177
2
164
50
12
95
56
62
70
34
7
...
...
...
...
...
26
18
13
23
15
6
...
...
.. .
0
2
20
8
46
'"
31
LA QUESTION DE LA DEITE EXTÉRIEURE DES PAYS AFRICAINS
183
Les caractéristiques de la dette africaine
La dette africaine est essentiellement à long tenne, à l'image des autres
pays en développement. En Afrique au sud du Sahara, cette dette à long
tenne représentait, en 1990, 84 % de l'endettement total contre 77 % en
1980, soit une évolution similaire à l'ensemble des pays du Sud: en Asie et
dans le Pacifique ainsi qu'en Amérique latine, ce taux est de 80 %, contre
88 % en Asie du Sud et 84 % en Afrique du Nord et Moyen-Orient.
Depuis plus de vingt ans, le continent africain et le Moyen-Orient ont,
avant tout, une dette publique ou garantie, ce qui révèle l'omniprésence
continue de l'État dans toutes les activités et/ou la faible confiance dans la
fiabilité du secteur privé.
Sur l'ensemble des pays en développement, entre 1980 et 1990, la dette
publique ou garantie a progressé de 175 %, soit plus que celle à long tenne
(+ 144%) ou encore que le stock global de la dette (+ 123%). Ceci est logique puisqu'à partir de la crise mexicaine, en 1982, les banques ont demandé
des garanties.
En 1990, 80 % de l'endettement total de l'Afrique au sud du Sahara
(72 % en 1980) était public ou garanti contre 75 % au niveau mondial
(62,3 % dix ans auparavant). Ces taux, en 1990, sont de 70 % en Asie de
l'Est et du Pacifique, 74 % en Amérique latine (contre 53 % en 1980, les
créanciers privés demandant de plus en plus de garanties au cours des
années 1980), mais 83 % en Afrique du Nord et au Moyen-Orient (84 % en
1980) et 86 % en Asie du Sud (86 % en 1980, le record).
Mais ce qui caractérise surtout l'Afrique au sud du Sahara c'est l'importance de l'aide publique au développement (APD), liée à la faiblesse de sa
structure économique productive et à sa volonté de développer en priorité
des infrastructures. Ces deux éléments expliquent que, dans un contexte
mondial, la dette africaine est relativement faible, tout en restant très lourde,
si elle est appréciée par rapport à la capacité propre des pays du sud du
Sahara à générer des ressources financières.
L'aspect bilatéral de la dette africaine est une autre de ses caractéristiques.
Mais ici encore, cet aspect est davantage renforcé en Afrique du Nord et au
Moyen-Orient. En Afrique, comme ailleurs dans le monde en développement, l'importance de la dette bilatérale déclinera entre 1975 et 1985, pour
se ressaisir, sans cependant retrouver sa primeur de 1970, à la fin des années
1980. Ceci se fera au profit de la dette multilatérale sans cependant que
celle-ci ne dépasse ou même n'approche l'importance de la dette bilatérale.
A noter que c'est en Afrique au sud du Sahara que la part de la dette multilatérale est la plus forte : le quart de son endettement à long tenne en 1990,
contre 17 % en Amérique latine, 13 % en Afrique du Nord/Moyen-Orient et
20 % en Asie de l'Est et du Pacifique.
Mais en réalité, la baisse du poids relatif de la dette bilatérale durant la
dernière décennie sera surtout compensée par la hausse de la dette privée
garantie. En 1980, cette dernière représentait 37 % de la dette à long tenne
de l'Afrique au sud du Sahara, soit une hausse considérable, sans toutefois
atteindre les taux enregistrés sur les autres continents et même en Afrique
184
REPENSER BRETTON WOODS
du Nord et au Moyen-Orient. Dans ce cadre, il est surtout intéressant de
noter l'importance des crédits à l'exportation garantis qui atteignent en
Afrique une part de l'endettement à long terme plus importante qu'en Amérique latine, à peu près égale à ceux de l'Asie de l'Est et du Pacifique, et
légèrement inférieure à celles connues en Afrique du Nord et au MoyenOrient. Cependant, cette part s'estompe largement vers la fin des années
1980. Ceci vient conforter l'idée que, il y a une vingtaine d'années, les
entreprises, notamment françaises, avaient pour premier marché l'Afrique.
Après avoir acquis l'expérience souhaitée, elles se tournent maintenant vers
d'autres horizons.
En 1989, selon les chiffres de l'OCDE, 31,5 % du total de la dette extérieure de l'Afrique était composé de crédits à l'exportation, qu'ils soient sur
le court ou le long terme. Pour l'Afrique au sud du Sahara, ce taux était de
28,2 % contre 13 % en Amérique latine. Pour l'ensemble des pays en développement, ce taux était de 17,3 % en 1989.
En 1996, d'après les chiffres de la Banque mondiale, les 235,4 milliards
de dollars de dette extérieure pour l'Afrique subsaharienne étaient constitués de 93 % de dette à long terme, soit 182 milliards de dollars, dont 74 %
de dette publique ou garantie par l'État.
La dette privée de la région (crédit des banques commerciales et crédits
à l'exportation) est concentrée entre cinq pays, essentiellement: l'Angola,
le Cameroun, la Côte d'Ivoire le Nigeria et l'Afrique du Sud (48 milliards
de dollars).
La dette à court terme est estimée en 1996 à 44,8 milliards de dollars dont
presque la moitié représente les arriérés d'intérêt sur la dette à long terme.
.
Le pm'd s de la dette, ratIo
dette .
est de 236 ,9
exportatIOns
l'Afrique du Sud, le ratio s'élève à 327,5 %.
01
-/0;
• l'
et SIon
exc1ut
. service de la. dette est de 124
1 1 & 'bl
de 1a
-/0, e p us lat etaux
, 01
Le ratIo
exportatIOns
décennie; ce ratio tournant généralement autour de 20 % dans les années
1980.
Trente-deux (32) pays de l'ASS sont classés dans la catégorie des pays à
faible revenu lourdement endettés4 .
4. Comme le note World Bank (1997, p.46), «quarante-six pays sont classés comme
étant des pays pauvres lourdement endettés (heavily indebted poor countries): Angola,
Bénin, Bolivie, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, République centrafricaine, Tchad,
Congo, Côte d'Ivoire, Guinée-Équatoriale, Éthiopie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau,
Guyane, Honduras, Kenya, République populaire démocratique du Laos, Liberia, Madagascar, Mali, Mauritanie, Mozambique, Myanmar, Nicaragua, Niger, Nigeria, Rwanda,
Sâo Tomé E Principe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tanzanie, Togo, Ouganda,
Vietnam, République du Yémen, Zaïre et Zambie. Parmi ces pays, trente-deux sont classés
comme étant des pays à faible revenu gravement endettés (severely indebted low-income
countries), sept ont reçu un traitement concessionnel du Club de Paris, et deux sont des
pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure récemment devenus éligibles aux
financement IDA (Angola et Congo).
LA QUESTION DE LA DETfE EXTÉRIEURE DES PAYS AFRICAINS
185
La gestion de la crise de l'endettement extérieur des pays
africains
Bien que l'endettement extérieur des pays africains parût spécifique, la
communauté internationale n'a pas cru devoir réserver un traitement particulier à sa crise. De façon générale, le « régime commun» lui a été appliqué.
A cet égard, l'on peut distinguer les solutions traditionnelles des nouvelles modalités de gestion de la crise de l'endettement.
Les solutions
«
traditionnelles»
Elles sont multilatérales ou bilatérales selon le type de dette.
A) LES SOLUTIONS MULTILATÉRALES
Les dettes non bancaires
Le Club de Paris est l'interlocuteur privilégié de la quasi-totalité des pays
africains étant donné la prépondérance de la dette publique de ces derniers
dans leur endettement total (la dette militaire de l'Afrique au sud du Sahara,
évaluée en fin 1989 à 13 milliards de dollars, est négociée à l'extérieur du
Club de Paris, dans le cadre d'accords bilatéraux). Néanmoins, ce « club»
n'est pas né avec les problèmes africains ; sa création remonte à 1956, pour
faire face à la question de la dette en Argentine. Pour reprendre la définition
de Thomas Klein, de la division dette et finances internationales de la Banque mondiale, le « Club de Paris est l'instance multilatérale qui aide les
pays en développement à restructurer les dettes qu'ils ont contractées
envers des gouvernements, ainsi que les crédits à l'exportation garantis par
des sources officielles ». Les décisions sont prises à l'unanimité, ce qui fait
ressortir l'aspect très politique de ces négociations.
Contrairement à l'Afrique, l'Amérique latine a, pendant longtemps, eu
surtout recours au Club de Londres. La place de ce dernier dans les négociations de la dette latino-américaine s'est estompée avec l'évolution, ces
dernières années, de la nature de l'endettement de ce continent. Ce « club»
de Londres, de création beaucoup plus récente, à la fin des années 1970, soit
au moment de l'affolement international face à la montée du péril de l'insolvabilité d'importants débiteurs, regroupe les créanciers privés organisés en
une sorte de consortium de banques commerciales. Des banques « chefs de
file » dirigent les discussions et le choix par les pays débiteurs de ce chef de
file est essentiel car il aura un poids important au sein des négociations.
Les Clubs de Paris et de Londres ont donc pour objectif initial de réviser
les conditions de remboursement arrivées à échéance sur des périodes de
consolidation. Ces conditions ont considérablement évolué en s'assouplissant, au fur et à mesure que la communauté internationale, mais aussi surtout le FMI et la Banque mondiale, revenaient sur leurs positions
intransigeantes en matière de remboursement.
186
REPENSER BRETION WOODS
C'est ainsi, par exemple, qu'il y a encore quelques années, le Club de
Paris offrait aux pays débiteurs une période de consolidation allant de 12 à
18 mois; ce délai fut par la suite porté de un à trois ans; les intérêts ne pouvaient être inférieurs aux taux du marché alors qu'aujourd'hui les taux
appliqués à la dette même non concessionnelle peuvent l'être. Ceci est
d'autant plus important que la plupart des dettes qui vont au Club de Paris
sont des crédits à l'exportation garantis ou assurés auprès d'organismes
« quasi officiels », pour reprendre les termes de la Banque mondiale.
Parallèlement, les périodes de rééchelonnement ont été considérablement
allongées : dans les années 1970, une dette rééchelonnée devait être remboursée dans les sept ans. Quelques exceptions ont d'abord été faites, puis
selon les « termes de Venise », cette période a été allongée jusqu'à vingt ans,
avec dix ans de grâce pour les pays à faible revenu très endettés : de nombreux pays d'Afrique au sud du Sahara se retrouvent dans cette catégorie.
En 1990, les PRI (pays à revenu intermédiaire) lourdement endettés ont
obtenu quinze ans, avec huit ans de grâce pour la dette non concessionnelle
et vingt ans, avec dix ans de grâce pour l'APD. Enfin et surtout, lors de la
négociation historique des dettes polonaise et égyptienne en 1991, le Club
de Paris a été d'accord pour restructurer le stock de la dette et non plus seulement son service.
Ces différentes innovations ont été rendues possibles par l'accord de
Toronto. Auparavant, le Club de Paris appliquait des solutions uniformes à
tous les pays en développement. Lors du sommet de Toronto, le système de
« menu », modulable en fonction de la situation particulière de chaque pays
débiteur, a été érigé en principe. Au cours des années suivantes, les possibilités offertes ont été élargies. Dans le cadre de Toronto, les nouvelles
conditions étaient applicables aux seuls PMA ayant des difficultés prolongées de service de la dette et bénéficiant d'une facilité d'ajustement structurel du FMI : il s'agissait soit de réduire d'un tiers le service de la dette
assorti d'un rééchelonnement aux conditions du marché; soit d'un
rééchelonnement du service sur quatorze ans avec huit ans de grâce aux
conditions du marché; soit enfin d'un rééchelonnement total, sans annulation, mais sur une durée plus longue, celle-ci variant selon que les taux du
marché étaient ou non appliqués.
En 1990, les « conditions de Trinidad » ont été élaborées : il ne s'agissait
plus de jouer sur les intérêts de la dette mais sur son stock, avec des modalités encore plus avantageuses pour ce qui est du service de cette dette. La
même année, le Club de Paris, adoptait à l'égard des pays intermédiaires de
la tranche inférieure, la possibilité de procéder à des swaps de dettes en
devises contre des obligations en monnaies nationales, sous forme par
exemple d'échange dette/nature ou de conversion de dettes en capital.
Les dettes bancaires
Les positions de la communauté internationale ont aussi évolué en ce qui
concerne les dettes bancaires, et ceci bien avant que des solutions originales
n'aient été adoptées p<,>ur la dette publique. En effet, dès 1984-1985, les banques ont décidé de créer le marché « gris» (secondaire) leur permettant de
LA QUESTION DE LA DETTE EXTÉRIEURE DES PAYS AFRICAINS
187
s'échanger certaines de leurs créances, moyennant une décote variable.
Elles y ont été poussées, bien évidemment, par la situation alarmante de la
dette mexicaine en 1982. La première initiative publique, de la part des pays
bailleurs de fonds, remonte à 1985, au « plan Baker », même si celle-ci est
demeurée limitée dans son application. Il incitait les banques commerciales
à fournir aux quinze pays les plus endettés 20 milliards de dollars de crédits
supplémentaires, cofinancés par la Banque mondiale. Le Nigeria, la Côte
d'Ivoire et le Maroc figuraient parmi les quinze bénéficiaires. Si cette proposition était assez restrictive dans ses effets, elle eut un impact important
dans le transfert du risque de non-remboursement du secteur privé au secteur public : en somme, la Banque mondiale prenait en charge une partie de
la dette privée de ces pays leur permettant de rembourser partiellement les
banques. Si l'on regarde attentivement les chiffres du Nigeria (source
OCDE), sa dette totale passe de 16,8 milliards en 1985 à 24,5 milliards en
1986, tandis que le service de la dette passe de 4,2 milliards à 2 milliards,
ses engagements auprès des banques commerciales chutant de 1 600 millions à 205 millions tandis que les prêts multilatéraux passaient de
231 millions 348 millions sur ces deux années.
Au plan Baker, s'est substitué le « plan Brady» en mars 1989 : le nombre
de pays bénéficiaires est passé à trente-neuf, dont dix-sept sur le continent
africain : les banques devaient inclure dans leurs propositions de rééchelonnement des possibilités de réduction de la dette ou de son service, et
la possibilité pour ces pays de négocier avec chacune de leur banque de
façon bilatérale, le FMI et la Banque mondiale devant garantir le principal
décoté et éventuellement une partie des intérêts.
Parallèlement, sur initiative française, un fonds de garantie du paiement
des premières années d'intérêts ou de dividendes envers les banques
commerciales pouvait être utilisé par les banques qui acceptaient d'alléger
la charge de la dette.
Enfin, l'on peut signaler l'initiative à la fin de 1995 de la Banque mondiale et du FMI pour les pays pauvres lourdement endettés5 . A en croire le
vice-président de la Banque mondiale, région Afrique, M. Jean-Louis Sarbib, « l'initiative se fonde sur six principes. Le premier consiste à assurer la
viabilité de la dette globale et en surmontant le problème en traitant
l'ensemble de la dette, comme je l'ai indiqué, ce qui n'avait jamais été fait
auparavant. Le deuxième a trait au bilan en matière de réforme et consiste
à aborder la question du risque moral que j'ai déjà mentionné. Nous voulions que les pays qui ont fait preuve de leur volonté de bien gérer leur économie dans l'intérêt du plus grand nombre possible de leurs habitants
bénéficient de ce coup de pouce supplémentaire qu'offre l'allégement de la
dette. Le troisième principe consiste à tirer parti des mécanismes existants,
qui sont nombreux et variés (Club de Londres, Club de Paris, etc.). Si l'on
veut assurer la participation de tous les créanciers, ils doivent savoir que les
structures qu'ils ont déjà mises en place seront maintenues et qu'on en
5. HIPC: Heavily Indebted Poor Countries. 32 pays sur 41 PED concernés sont africains. Voir la note de bas de page n° 4.
188
REPENSER BRETION WOODS
tirera parti tout en y ajoutant des éléments supplémentaires. Non seulement
l'initiative considère comme allant de soi les mécanismes existants, mais
aussi elle les complète. Le quatrième principe consiste à assurer une participation large et équitable de tous les créanciers, le but étant de mettre en
place une stratégie de sortie. Le cinquième principe, comme indiqué plus
haut, consiste à préserver l'intégrité financière des créanciers
multilatéraux; enfin le sixième consiste à fournir de nouvelles ressources
financières à des conditions de faveur de manière à ne pas aggraver le problème que nous essayons de résoudre» (CEA, 1997, p. 79).
B) LES SOLUTIONS BILATÉRALES
Initiatives privées, initiatives publiques, mais aussi initiatives bilatérales
et surtout solutions de plus en plus radicales : en 1989 , au sommet de la
francophonie de Dakar, la France annonçait l'annulation de la dette publique française (crédits commerciaux garantis exclus) de 35 pays africains.
En d'autres termes, «au lieu d'envoyer un avis d'échéance à Abidjan, on
l'envoie au Trésor à Paris », expliquait un fonctionnaire français. Par
ailleurs, en 1990, à la Baule, la France annonçait la transformation en dons
des concours à venir aux pays d'Afrique au sud du Sahara les plus pauvres.
En outre, le taux des prêts consentis par la France à la Côte d'Ivoire, au
Cameroun, au Gabon et au Congo était ramené à 5 % à compter du 1eT
juillet 1990.
De nombreux pays ont adopté cette politique d'annulation pure et simple
de certaines de leurs dettes. Les États-Unis, par exemple, pour l'année budgétaire s'achevant le 30 septembre 1991, ont annulé des dettes pour une
valeur de 12 milliards de dollars dont 6,9 pour l'Égypte et 835 millions de
dollars pour l'Afrique au sud du Sahara (le Kenya est le plus important
bénéficiaire de cette mesure avec 159 millions de dollars de remise).
Ainsi, la communauté internationale a réalisé que «les problèmes
d'endettement (étaient) rebelles à toute thérapeutique et qu'il faudrait envisager des remèdes plus souples à long terme », comme le souligne Klein.
De son côté, la Banque mondiale note (World Bank, 1992, p. 66) : «Entre
1960 et 1980, le Club de Paris affirmait fermement que ses accords de rééchelonnement n'étaient pas une forme d'aide; une aide générale à la
balance des paiements devait être obtenue à travers les mécanismes d'aide
et non dans le cadre du Club de Paris. Maintenant, le Club accepte l'idée
d'une restructuration de la dette pour aider à résoudre des problèmes de solvabilité comme de liquidités. »
C) L'AFRIQUE PEUT-ELLE BÉNÉFICIER DES MODALITÉS RÉCENTES DE TRAITEMENT DE LA DETfE?
Il semble que les nouvelles modalités de traitement de la dette apparues
après la crise de 1982 qui consistent en la conversion des dettes et l'obtention de nouveaux apports financiers conviennent peu à la dette africaine.
S'il en était ainsi, quelle solution resterait-il pour la dette de ce continent?
LA QUESTION DE LA DETfE EXTÉRIEURE DES PAYS AFRICAINS
189
Des solutions difficilement accessibles à l'Afrique
Un moyen simple de s'attaquer au problème de la dette relève de la vérité
de La Palisse, la rembourser. Or, pour ce faire, il faut un apport d'argent
frais qui peut s'opérer de diverses façons :
i) une reprise de l'activité économique locale. Ceci ne semble pas être le
cas de la plupart des pays africains, en dépit d'une reprise qui reste somme
toute fragile, notamment dans les pays africains de la zone franc, après la
dévaluation de janvier 1994;
ii) une reprise des flux financiers. Or, l'évolution des flux nets de capitaux (privés et publics) en direction de l'Afrique ne semble pas aller dans ce
sens comme on peut le voir dans le tableau 3 :
Tableau 3 - Flux nets de capitaux vers l'Afrique (milliards de dollars)
Année
Flux nets de
capitaux privés
Flux nets de
capitaux publics
Total
1983-88
1989-95
1991
1992
1993
1994
1995
1996
3,9
4,2
4,0
0,2
2,3
9,6
10,6
10,7
15,0
6,8
5,3
8,2
5,9
7,5
6,2
3,2
8,9
11,0
9,3
8,4
8,2
17,1
16,8
13,9
Source: IMF (1997).
Les flux nets de capitaux vers l'Afrique, y compris l'aide acquise à des
conditions concessionnelles, ont baissé de manière importante en 1996,
bien que le continent ait enregistré des taux de croissance économique non
négligeables durant cette période. En dépit de la dépendance bien connue
de l'Afrique vis-à-vis de l'aide extérieure, les flux nets de capitaux publics
ont baissé de 48 % en 1996, pour se situer à 3,2 milliards de dollars, son
plus faible niveau après une décennie. Par ailleurs, les prêts du FMI vers
l'Afrique ont connu une évolution similaire (baisse de 43 %) à travers la
facilité d'ajustement structurel renforcé (FASR). Dans le même temps,
l'Afrique au sud du Sahara assistait à une baisse de 38 % des prêts de la
Banque mondiale qui constitue une source privilégiée d'emprunt dans le
cadre de l'Association internationale de développement (IDA).
La part de l'Afrique dans les flux nets de capitaux à destination des PED
a évolué comme on peut le voir à travers les tableaux 4 et 5 ci-après:
Tableau 4 - Flux nets de capitaux publics vers les PED
(milliards de dollars)
Région
PED
Afrique
Asie
% Afrique sur total
% Asie sur total
1983/
88
1989/
95
1991
1992
1993
1994
1995
29,0
5,0
7,6
17,2 %
26,2%
21,4
6,0
8,4
28,0%
39,3%
20,8
5,9
10,6
28,4%
50,9%
14,3
8,6
10,7
60,1%
74,8%
23,3
6,2
10,1
26,6%
43,3%
20,4
5,5
6,2
30,0%
30,4%
31,0
4,0
5,6
12,9%
18,1%
Source: !MF (1997, p. 43).
190
REPENSER BRETION WOODS
Tableau 5 - Flux nets de capitaux privés vers les PED (milliards de
dollars)
Groupe de pays
1990
1991
1992
Tous les PED
44,4 56,9
90,6
Afrique au sud du Sahara
0,3
0,8
-0,3
Moyen-Orient et Afrique du Nord
2,2
0,6
0,5
Afrique et Moyen-Orient
0,9
3,0
0,2
% Afrique au sud du Sahara sur total 0,7% 1,4 % -0,3
% Afrique et Moyen-Orient sur total 2,0% 5,3 % 0,22%
1993
1994
1995
1996
157,1 161,3 184,2 243,8
9,1
11,8
-0,5 5,2
5,8
1,4
3,9
6,9
11,0 10,5 18,7
3,4
-0,3 3,2% 4,9% 4,8%
2,2% 6,8% 5,7% 7,7%
Source: World Bank (1997, p. 7).
iii) les conversions de dette. Ici encore l'Afrique au sud du Sahara ne
semble pas pouvoir s'orienter vers cette solution. La conversion de créances
en investissements locaux offre peu de perspectives favorables en Afrique
au sud du Sahara. Selon des estimations (la plupart des conversions se faisant de façon informelle), moins de 200 millions de dollars de la dette
d'Afrique au sud du Sahara ont jusqu'à maintenant été annulés de cette
façon (hormis le Nigeria qui effectue des ventes aux enchères mensuelles à
cette fin), contre 7 à 9 milliards de dollars en Argentine, au Brésil ou encore
au Chili. Ces conversions sont estimées avoir porté sur environ 450 millions
de dollars au Nigeria par la voie officielle et 200 millions de façon
informelle : 90 millions de dollars en Zambie et la même somme en Tanzanie
Plusieurs raisons peuvent être évoquées pour expliquer le manque de
succès des conversions en Afrique au sud du Sahara par rapport aux régions
en développement: le manque d'investisseurs locaux qui auraient poussé
ce type d'intervention; la faiblesse de la dette commerciale: en Gambie,
par exemple, une à deux banques la détiennent, et si elles ne souhaitent pas
avoir recours à ce procédé, le mécanisme est bloqué ; souvent les dettes
détenues par chacune des banques locales sont trop faibles pour qu'une
procédure de conversion qui implique des frais soit entamée ; des pays
comme la Côte d'Ivoire répugnent à vendre des parts de sociétés nationales
à des étrangers ; les investisseurs ne manifestent guère d'enthousiasme à
l'égard de l'Afrique.
En 1991, lors de l'accord avec la Pologne et l'Égypte, il a été prévu que
des créditeurs pouvaient échanger des dettes contre des obligations en
monnaie nationale. Ce type d'opération est difficilement envisageable pour
des pays faisant partie de la zone franc puisqu'ils ne peuvent pas émettre
leur propre monnaie et doivent donc disposer de réserves en francs français.
Certains redoutent l'impact que ces conversions de dettes en obligations
auraient sur le taux d'inflation, mais selon certains milieux bancaires,
l'effet en serait minime si l'on compare ces sommes aux déficits budgétaires de l'État. ..
Une autre formule consiste à effectuer des conversions de dettes pour la
protection de l'environnement. De 1987 à 1991, trois pays africains ont
bénéficié de ce mécanisme : Madagascar, la Zambie et le Ghana. Ce type
d'opération ne concerne que des montants relativement limités.
LA QUESTION DE LA DEITE EXTÉRIEURE DES PAYS AFRICAINS
191
Quelle solution pour la dette africaine?
Peut-on dire, au sujet de la dette africaine, en reprenant l'expression du
Péruvien Iguiniz (1988, p. 21), «ce qui est impayable a déjà été payé
plusieurs fois» ?
En effet, Iguiniz fait observer que « même si nous tous, créanciers y
compris, avons appris une fois pour toutes que la dette ne peut être
remboursée dans sa totalité, nous savons également que la part que nous
continuons à rembourser est trop lourde ... Depuis ladite "crise de la dette"
en 1982, nous finançons le développement des pays capitalistes industrialisés dans une mesure sans précédent, sauf peut-être au cours de la période
coloniale... Nous avons transféré vers les pays créanciers des ressources
nettes pour un montant supérieur à celui du plan Marshall. On croirait que
l'état de nécessité se trouve dans les pays riches et l'abondance dans les
nôtres» (idem, pp. 21-22).
Dans ces conditions, peut-on penser à une politique de répudiation
consistant à décréter le non-transfert des devises nécessaires au service de
la dette?
Bourguinat (1997, p. 683) nous rappelle que les modèles de répudiation
construits dans la ligne de Eaton et Gersovitch montrent que les débiteurs
craignent une double sanction de leurs créanciers propres et au-delà, de la
communauté financière internationale tout entière. Ils redoutent de se
heurter:
- au refus de nouveaux prêts dans l'avenir et dans l'immédiat;
- à une éviction des systèmes de crédit commerciaux à court terme qui
sont essentiels à leurs échanges commerciaux avec l'extérieur;
- enfin, ils craignent également la perte de réputation sur leur marché
financier interne susceptible de provoquer une hausse des taux d'intérêt sur
la dette domestique.
Peut-on alors invoquer la thèse de l'illégitimité de la dette africaine6? A
cet égard, il convient de distinguer la légalité de la légitimité.
Pour les prêteurs, la dette est légale, elle doit donc être remboursée.
Pour les emprunteurs, la dette peut être considérée comme illégitime et on
ne peut discuter de son remboursement avant d'avoir traité de ce point.
La légalité est d'abord le caractère d'un acte ou d'un fait qui est conforme
à la loi. C'est aussi l'ensemble des règles juridiques applicables dans un
pays donné à un moment donné. C'est ainsi que la légalité se confond avec
le droit positif.
La légitimité, quant à elle, n'est pas immanente au phénomène de
pouvoir ; elle ne lui est attribuée qu'à partir du moment où il satisfait à une
norme. La légitimité puise son fondement dans une comparaison entre le
pouvoir et un principe normatif indiquant ce qui doit être ou doit se faire.
Pour Rousseau, ce qui peut rendre légitime le pouvoir est le contrat social.
La question de la légitimité de la dette relève donc d'un contrat social au
plan international. Le problème de la dette apparaît par conséquent comme
un aspect de l'ordre économique international.
6. Voir Archimède et Léonard (1992, p. 27).
192
REPENSER BRETION WOODS
Conclusion
En définitive, il faut situer la recherche de la solution à la crise de la dette
africaine, dans la perspective de la reprise de sa croissance économique ;
dans la mesure précisément où le lourd fardeau de la dette extérieure qui
engouffre pratiquement la totalité des recettes publiques des pays africains,
handicape sérieusement la reprise de la croissance, en ne laissant aucune
place à l'investissement, moteur de la croissance et du développement
économiques.
A défaut d'une annulation pure et simple de la dette africaine, qui n'aurait
aucun effet déstabilisateur sur le système monétaire international, du fait de
sa nature essentiellement publique, et qui ne devrait pas constituer, à vrai
dire, un «risque de contagion », l'on pourrait préconiser, à la suite de
l'économiste autrichien Kunibert Raffer (1999), d'appliquer aux pays africains, une procédure d'insolvabilité internationale calquée sur la chapitre 9
du Code des lois des États-Unis qui organise la faillite des municipalities.
Il faut d'ailleurs rappeler qu'en réalité cette solution n'est pas nouvelle.
En 1776 déjà, Adam Smith, dans sa célèbre enquête sur la richesse des
nations (Smith, 1976), avait relevé une lacune sérieuse dans le système
financier international qu'il avait voulu combler en envisageant une procédure formelle d'insolvabilité pour les débiteurs souverains (les États
notamment).
La proposition d'une insolvabilité souveraine a également été faite immédiatement après la crise mexicaine d'août 1982 par le banquier anglais
David Suratgar et relayée par plusieurs économistes, notamment en 1986 à
laCNUCED.
Selon le chapitre 9 du Code des lois des États-Unis dont le Costa Rica a
pu bénéficier en 1984, une municipalité ne peut être forcée à supprimer les
services sociaux essentiels pour le bien-être de ses habitants (éducation,
santé, sécurité, voirie urbaine, etc.) dans le but de satisfaire les créanciers
(c'est-à-dire rembourser la dette).
Il s'agit en fait de bannir le principe presse-citron appliqué par la Banque
mondiale et le Fonds monétaire international qui obligent les pays en crise
à augmenter les recettes publiques et à réduire les dépenses publiques par
tous les moyens pour rembourser la dette extérieure.
Il s'agit en somme:
1. de mettre sur pied une cour d'arbitrage indépendante qui procède à des
négociations transparentes entre créanciers et débiteurs, sans que les créanciers aient plus de poids que les débiteurs, pour procéder à l'audit de la dette
africaine, en tablant sur l'hypothèse que la dette exigée est souvent inférieure à la dette réelle, comme on a pu le voir dans le cas du Costa Rica qui
révéla une majoration des intérêts de 10 %; en annulant systématiquement
toutes les dettes privées qu'on a obligé l'État à prendre en charge;
2. de reconnaître et d'engager la responsabilité financière des créanciers
dans les projets qu'ils financent en Afrique, notamment les projets dits
LA QUESTION DE LA DETfE EXTÉRIEURE DES PAYS AFRICAINS
193
d'aide au développement par les institutions financières internationales qui
se sont parfois révélés comme des éléphants blancs;
3. de mettre fin au principe de créancier privilégié dont jouissent les
institutions financières internationales qui exigent d'être remboursées en
priorité par rapport aux autres créanciers en cas de crise d'endettement dans
un pays;
4. d'envisager de dédommager les victimes d'une mauvaise coopération
internationale, qui prendrait les allures d'une coopération pour le sousdéveloppement des pays africains ;
Il s'agit, en dernière analyse, d'arriver à une solution juste et économiquement efficace, qui sauvegarde la dignité de l'Africain et l'avenir des
économies africaines, en relativisant le problème de l'endettement extérieur de l'Afrique qui, comme nous l'avons déjà dit, ne menace en rien le
système monétaire international.
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REPENSER BRETTON WOODS
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9
Gestion de la liquidité internationale et
financement du développement : plaidoyer
pour de nouvelles règles de redistribution
du seigneuriage international
Bruno BÉKüLü-EBÉ
Depuis quelques années, on assiste à un retour en force du problème de la
dette des pays en développement et de l'insuffisance des flux financiers
nécessaires pour assurer la continuité de l'accumulation. Ceci est
particulièrement vrai pour l'Afrique où l'on trouve l'essentiel des pays les
moins avancés. Mais le problème ne concerne cependant pas les seuls PMA
et l'on a vu ces dernières années des pays jusque-là considérés comme à
revenu intermédiaire, selon la classification de la Banque mondiale, demander à être replacés dans le groupe des PMA, pour bénéficier des divers
mécanismes qui ne cessent d'être mis en place pour résoudre le problème
de la charge de la dette et leur donner les moyens d'assurer un niveau suffisant de formation du capital.
Cette évolution doit d'autant plus inviter à la réflexion que depuis le
milieu des années 1980 et l'explosion des transactions sur les marchés
financiers, la tendance dominante était à l'optimisme. On estimait en effet
que le développement rapide des marchés financiers et la globalisation
financière allaient permettre, grâce à la profusion des innovations financières, d'assurer un traitement définitif de la dette, avec une banalisation de la
question qui traduisait la forte capacité des marchés à régler le problème.
Les débiteurs se sont vu offrir une panoplie de traitements dont l'initiative
Brady, avec la mise en place des Brady Bonds, allait donner le signal. Il était
ainsi possible de racheter sa dette, de la recycler, de bénéficier des processus de décotes, de lancer des opérations de « titrisations» sur les marchés.
La solution apparaissait d'autant plus en vue que le développement des
marchés financiers anciens s'accompagnait de l'apparition et de la forte
expansion des marchés émergents (Grimbert, Mordaq, Tchemeni, 1995 ;
198
REPENSER BRETION WOODS
Tchemeni, 1997 ; Bekolo, 1997). La forte croissance des transactions sur ces
marchés a en effet nourri l'espoir que l'ensemble des économies allaient
bénéficier des effets positifs de l'expansion des marchés. On sait en effet que
les transactions pour l'ensemble des marchés sont passées de 60 millions de
dollars en 1982 à 613 milliards de dollars en 1992, 1 630 milliards de dollars
en 1994, 2 700 milliards en 1996 et 3 200 milliards en 1998. A la rapidité de
la croissance des transactions a répondu celle de la capitalisation qui est passée de 146 milliards de dollars en 1980 à 1 600 milliards de dollars en 1994
pour les vingt-cinq principaux marchés émergents, 2 400 milliards en 1997,
représentant ainsi pour la période, une évolution de 4 % à 15 % de l'ensemble
de la capitalisation boursière internationale.
On s'attendait d'ailleurs à ce que cette rapide expansion soit entretenue
par les transactions sur la dette et les opérations de privatisations engagées
dans la plupart de ces pays. Mais deux phénomènes ont contribué à tempérer cet optimisme et à inciter à plus de circonspection. Le premier est relatif
à la part toujours croissante du service de la dette dans la distribution des
ressources des pays débiteurs, et ceci est particulièrement vrai des pays africains. Si l'on considère par exemple les pays de la zone franc dont la caractéristique, depuis 1994, est une reprise générale des économies et un retour
à la croissance, on note que l'essentiel du surplus généré par la croissance
est d'abord absorbé par le service de la dette. Dans un pays comme le
Cameroun, sur un budget de 1 450 milliards de francs CFA, le service de la
dette absorbe près de 650 milliards, et représente 23,6% des exportations,
l'encours global étant de 125% du PIB. Au Gabon, l'encours représentait
en 1998 150% du PIB non pétrolier. A la même période, l'encours de la
dette ivoirienne représentait 212 % du PIB et le service de la dette absorbait
27 % des exportations et 55 % des recettes budgétaires.
Or il s'agit là de pays qui, à la faveur des mesures d'accompagnement de
la dévaluation, ont bénéficié de traitement de faveur pour leur dette dans le
cadre des nouvelles initiatives de règlement du problème de la dette et des
accords FASR conclus avec le FMI.
Le second phénomène perturbateur est la crise asiatique qui, par son
caractère brusque et brutal, a mis en relief la fragilité des solutions de marchés dès lors que l'on veut en faire les seuls moyens de résolution de la crise
d'endettement et de financement de la croissance des pays en développement. La précarité de cette solution apparaît d'autant plus que d'une part,
on a vu se retourner en un instant une tendance durable de croissance dans
les pays asiatiques et la généralisation de la crise à tous les autres pays en
développement, ainsi qu'on a pu l'observer avec les grands pays d'Amérique latine, et que, d'autre part, le développement même de ces marchés
émergents n'est pas général, l'Afrique continuant à rester en marge de cette
évolution, tout en subissant les contrecoups de la volatilité des marchés et
de leur impact négatif du fait de la globalisation financière.
Ceci conduit donc à poser à nouveau le problème de la mise en place de
mécanismes alternatifs permettant d'assurer la continuité des flux de financement, le traitement multilatéral du problème de la dette et à suppléer aux
défaillances des mécanismes de marchés. Une des pistes porteuses nous
GESTION DE LA LIQUIDITÉ INTERNATIONALE
199
semble être la gestion de la liquidité internationale en relation avec le traitement de la dette et le financement du développement, corrigeant la dérive
observée en la matière dans l'évolution du FMI et reconnaissant l'impossibilité des débiteurs en l'état actuel des choses, à honorer leurs engagements.
La réflexion doit alors porter sur la redéfinition de nouvelles règles de
répartition internationale du seigneuriage.
La dérive du FMI et l'impossibilité actuelle du remboursement
de la dette
Depuis la mise en place des institutions de Bretton Woods, on a assisté à
une dérive régulière, et à notre avis négative, de l'action du Fonds monétaire
international et cette dérive s'est d'autant plus accélérée que le FMI a cru se
trouver une nouvelle mission, celle d'assurer l'ajustement des pays en développement et de les amener à assurer régulièrement le service de la dette.
Les caractéristiques de la dérive
La dérive progressive du FMI et d'une manière générale des institutions
de Bretton Woods était, nous semble-t-il, inscrite dans les accords mêmes
de Bretton Woods et dans la manière dont on est arrivé à ces accords. On sait
en effet que le débat qui a conduit aux accords de 1944 a opposé le plan
Keynes et le plan White.
Le premier préconisait la mise en place d'un système fondé sur une monnaie internationale, le bancor dont l'émission devait être assurée par l' International Clearing Union. Élément important de la proposition keynésienne,
la création de liquidités devait être effectuée en relation avec les besoins de
financement de la reconstruction et de la croissance de l'économie mondiale. C'est dans cette perspective que se situait la proposition de 1943 de
Schumacher et Kalecki en vue de la mise sur pied - en relation étroite avec
l'International Clearing Union - d'un compte spécial d'investissement, qui
devait aider les pays pressentant des besoins d'investissement, en leur
accordant des prêts pour financer la reconstruction et le développement.
Non seulement le mécanisme assurait le financement de la croissance, mais
il établissait en outre un lien entre l'émission de la liquidité internationale
d'une part, la production des biens et services et l'expansion du commerce
international d'autre part. Il posait ainsi les bases de la stabilité des marchés
de changes tout en prévenant les risques de crise systémique liés à une forte
expansion de liquidités sans relation avec le développement de la sphère
réelle. Le plan White préconisait un mécanisme lâche fondé sur l'étalon de
change or où une seule monnaie, le dollar, est convertible en or, les autres
monnaies étant définies par un poids d'or par l'intermédiaire du dollar. Ces
monnaies sont liées par des parités fixes avec des marges de fluctuations ne
dépassant pas 1%. L'alimentation des circuits internationaux en liquidité
200
REPENSER BRETION WOODS
est assurée principalement par les États-Unis qui vont, de ce fait, bénéficier
d'un droit extrêmement important de seigneuriage en émettant les dollars
nécessaires dont ils garantissent la convertibilité or, et cette alimentation
permet aussi aux Banques centrales de disposer des moyens nécessaires
pour leurs interventions sur les marchés de changes afin de soutenir la parité
officielle de leurs monnaies respectives.
Ce plan triomphe et le FMI reçoit mission d'aider les pays à assurer le
règlement des déséquilibres provisoires par des prêts proportionnels aux
quotas que chacun d'eux a obtenus et qui a été strictement défini en fonction
de leur participation aux échanges internationaux. Trois missions sont alors
assignées au FMI :
1°) veiller à l'application d'un code de conduite concernant les politiques de taux de change et les restrictions relatives aux paiements afférents
aux transactions courantes. C'est la mission de surveillance de la discipline
des politiques de change qu'implique la parité fixe;
2°) mettre à la disposition des pays membres les ressources financières
qui leur permettaient de se conformer au code de conduite, tout en encourageant ou en prévenant les déséquilibres de paiements. C'est la mission de
financement des déficits ;
3°) être l'instance de concertation et de collaboration des pays membres
sur les questions monétaires internationales. C'est la mission de coordination monétaire internationale.
Or très rapidement, cette triple mission ne sera pas assumée par le FMI.
La mission de surveillance est rapidement mise à rude épreuve, notamment dès 1947 avec l'adoption par la France et d'autres pays d'une politique de croissance aux prises de plusieurs dévaluations décidées sans
référence au Fonds (de Mourgues, 1990). Les grands pays tendent à
s'accommoder de déséquilibres; ils s'en accommodent d'autant plus facilement que le Fonds n'a les moyens d'en assurer ni la prévention, ni le
financement. On sait sur ce point que les premières années du FMI sont celles de la pénurie de dollars (<< dollar shortage» ou «dollar gap» en
anglais). Or cette pénurie est alimentée par le déficit chronique américain et
surtout par les risques que le volume croissant de dollars en circulation ne
puisse être compatible avec le stock d'or américain, rendant alors impossible la convertibilité or. Et cette crainte est matérialisée par la décision du 15
août 1971 par laquelle le président Nixon suspend la convertibilité or du
dollar, et dont l'aboutissement logique sera la démonétarisation de l'or en
1976 dans le cadre des accords de Kingston.
En d'autres termes, rapidement le FMI se révèle à la fois incapable
d'assurer le financement des déficits, de les prévenir et de surveiller le
respect des parités. Cette incapacité est consacrée par l'adoption généralisée du système de changes flottants qui rend alors inopérante la mission de
concertation et de coordination monétaire internationale.
En substitution de la perte de son pouvoir d'assurer la triple mission de
surveillance des politiques de changes, de prévention et de financement des
déficits et de coordination monétaire internationale, le FMI s'est trouvé une
nouvelle mission essentiellement consacrée à l'ajustement dans les pays en
GESTION DE LA LIQUIDITÉ INTERNATIONALE
201
développement. Il considérait d'ailleurs que celle-ci entrait bien dans le
cadre de sa mission originelle de prévention et de financement des déficits.
Le Fonds a en effet la possibilité de pourvoir à un besoin de liquidité d'un
État membre en mettant à sa disposition un volume de réserves pour aider
à la solution des problèmes de balances des paiements, les tirages s'effectuant en fonction du quota de chaque pays.
Dans la mesure où le déficit est la manifestation d'un endettement du pays
débiteur vis-à-vis de créanciers étrangers, le Fonds s'est retrouvé au cœur
des problèmes de la dette en conditionnant l'accès à ses ressources à la
régularité du service de la dette qui devient dès lors le principal objectif des
accords d'ajustement et le principal signe de leur succès. Ceci explique
ainsi le rôle central désormais joué par le Fonds. Dans le cas des pays africains, la centralité du rôle est telle que tous les pays du continent sont sous
ajustement du FMI, au point qu'on a pu dire que l'Afrique est sous administration séquestre des organismes de Bretton Woods (Bekolo-Ebe, 1993).
Mais la centralité de ce rôle se heurte à deux limites intrinsèques du fait
de la nature des problèmes à résoudre et des mécanismes mis en place.
L'impossible remboursement de la dette et l'inadaptation des mécanismes du FMI
L'analyse de l'histoire et de l'évolution de l'endettement des pays en
développement en général, des pays africains en particulier, amène à la
conclusion de l'impossibilité pour ces pays à assurer le remboursement de
leur dette tout en assurant la régularité de l'accumulation et de la formation
du capital à un niveau et à un rythme compatibles avec une croissance forte
et un développement qui s'analyse en une amélioration du bien-être des
agents économiques. L'histoire de ces économies est en effet celle d'une
récurrence des déficits du fait de la structuration initiale du système dominé
par la production de quelques produits primaires. L'évolution des économies est telle que pour reprendre la typologie de Kindleberger, on passe ici
non pas d'emprunteur jeune à prêteur adulte, mais de débiteur jeune à
débiteur vieux, où les dettes nouvelles viennent rembourser les dettes
anciennes. Cette évolution est matérialisée par la récurrence des rééchelonnements, qui traduit le caractère structurel des déficits et la récurrence des
crises d'endettement. On est en fait ici dans le cas de figure envisagé au
lendemain de la deuxième guerre par Keynes lorsqu'il démontrait l'impossibilité pour l'Allemagne de rembourser. Mais les crises d'endettement et la
récurrence des déficits s'accompagnent en outre et paradoxalement d'une
exportation d'épargne en direction des pays créanciers qui explique que les
transferts nets soient négatifs, donnant à l'endettement un caractère cumulatif (Bekolo-Ebe, 1985).
Les mécanismes du FMI sont totalement inadaptés à cette situation, mais
au contraire viennent souvent aggraver la récurrence du phénomène et son
caractère cumulatif. La résorption des déficits et le remboursement des dettes supposent en effet que les pays débiteurs puissent renverser la tendance
et accumuler des excédents vis-à-vis des créanciers. Ceci suppose l'accep-
202
REPENSER BRETTON WOODS
tation par les créanciers d'un transfert massif de biens et services entrant en
concurrence avec une partie de leur propre production, avec ce que cela
implique comme déstructuration d'importants secteurs de leurs économies
(Jedlicki, 1984; Bekolo-Ebe, 1986). Cette solution d'un excédent durable
des pays débiteurs pour les remboursements de la dette a été clairement
rejetée par les créanciers dans le rapport annuel 1983 de la BR! où l'on peut
lire: « Si l'on peut envisager d'imposer aux pays en développement en cas
de crise, et pour deux ou trois ans, des politiques de stabilisation interne
devant entraîner l'apparition d'un large excédent commercial, la situation
serait tout à fait différente et serait totalement inacceptable, si ce groupe de
pays était contraint de vivre pendant longtemps avec un important excédent
commercial. Une telle situation irait à l'encontre du principe fondamental
de la répartition optimale des ressources, et politiquement, elle serait extrêmement explosive. La question est donc de savoir quels flux de capitaux
pourraient financer le déficit durable des paiements courants des pays en
développement» (BRI, rapport annuel 1983).
C'est ici qu'apparaît l'impossibilité des mécanismes du FMI à résoudre
les problèmes dont il a fait sa mission principale depuis la prise de conscience de sa capacité à assurer ses trois missions originelles.
Les financements du FMI reposent en effet sur le mécanisme des quotas.
Chaque pays en déficit peut effectuer des tirages auprès du Fonds soit sur sa
tranche-réserve, soit sur sa tranche-crédit, et les financements sont destinés
à aider le pays à faire face à des déficits temporaires. Cette possibilité de
tirage s'est rapidement avérée insuffisante, d'où la création de nouveaux
mécanismes et l'élargissement successif des possibilités de tirage.
Mais malgré ces élargissements, les ressources ainsi dégagées s'avèrent
toujours insuffisantes du fait que la base même d'évaluation ne permet pas
de faire face à l'ampleur des besoins. Même la révision régulière des
quotes-parts n'a pas résolu le problème et ne saurait le faire. Au contraire,
elle a pour conséquence que des ressources toujours plus importantes sont
mises à la disposition de pays qui n'en ont pas besoin, mais qui les reçoivent
en abondance, parce qu'ils ont les quotes-parts les plus élevées, alors que
ceux qui en ont le plus besoin en reçoivent la part la plus faible. Toutes les
études réalisées par le FMI à la suite des diverses révisions de quotes-parts
montrent que les pays développés gardent 100% de leurs DTS nouveaux,
alors qu'à peine 25 % du supplément de liquidités créées est conservé par
les pays en développement, un an après la révision.
Qui plus est, les conditions d'octroi des ressources ainsi créées dans le
cadre des divers mécanismes sont telles que ces ressources viennent ellesmêmes aggraver le problème de la dette et des déficits qu'ils sont supposés
résoudre, d'autant que leur remboursement se fait à des échéances courtes.
On comprend dès lors la régularité des décisions de suspension de nombreux
pays sous ajustement, temporairement interdits d'accès aux ressources du
Fonds d'autant que les prêts ne peuvent faire l'objet de rééchelonnement.
Cette incapacité des ressources du FMI à répondre aux besoins tient à plusieurs raisons dont deux méritent d'être ici relevées. La première raison est
liée à une conception erronée du déficit dans les économies en développe-
GESTION DE LA LIQUIDITÉ INTERNATIONALE
203
ment. Le FMI considère ces déficits comme conjoncturels et donc passagers,
alors qu'ils sont de nature structurelle. La deuxième raison est l'absence de
lien entre, d'une part, la création et la distribution de la liquidité internationale et, d'autre part, les besoins de financement des économies débitrices. Or
pour celles-ci, une condition nécessaire de sortie de crise est qu'elles dégagent des excédents de ressources pour financer la croissance, et produisent
des richesses et un surplus sur lequel des prélèvements sont alors effectués
pour rembourser les dettes. Repenser Bretton Woods implique donc l'établissement de ce lien.
Distribution du seigneuriage international et dynamique
d'accumulation: de la nécessité du lien
Si l'on veut repenser Bretton Woods avec pour objectif d'assurer la continuité et la régularité à un niveau suffisant des flux financiers vers les pays
en développement en général et les pays africains en particulier, on est
obligé de reposer aujourd'hui une question ancienne: celle du traitement
du problème de la dette et du financement du développement par les seuls
mécanismes de marchés. Après avoir nourri le débat dans les années 1960
et 1970, cette question avait été occultée par la pensée unique triomphante
reposant sur le postulat que les capacités auto-régulatrices du marché
étaient telles qu'on n'avait plus besoin ni d'un système monétaire international, ni de mécanisme permanent pouvant traiter des modalités de financement international du développement, ni même de réfléchir à des
solutions globales de sortie de la crise d'endettement international.
De l'actualité d'un débat ancien: le problème du lien du seigneuriage international
La question du lien n'est pas nouvelle, comme nous l'avons vu plus haut,
Keynes en faisait un élément central de son plan, en proposant la création
d'un compte spécial d'investissement au sein de l'International Clearing
Union.
Elle a été au centre d'un intense débat dans les années 1960. Le Comité
des suppléants des Vingt a repris la proposition dans un projet de réforme du
système monétaire international, en préconisant de lier la création et l'allocation de nouveau DTS à l'aide au développement (Stamp 1958; Park
1973 ; Cohen 1966; Marquez, 1970). Le Groupe des Vingt-Quatre l'a
solennellement repris à son compte à l'Assemblée générale conjointe de
Toronto en 1982.
Une série d'objections ont été souvent opposées à l'établissement de ce
lien entre la gestion de la liquidité internationale et le financement du développement. La principale objection repose sur la crainte qu'une telle distribution de liquidités n'ait des effets inflationnistes. On retrouve ici la
204
REPENSER BRETION WOODS
posItIon monétariste de Polak (1970) et Bauer (1973) pour qui les
déséquilibres des paiements et les tensions inflationnistes dans les pays en
déficit résultent d'un excès d'absorption. Cet excès d'absorption est luimême lié à une surabondance de liquidités, ici de liquidités internationales,
dont le transfert entraînerait un excès de création monétaire avec des conséquences immédiates sur l'évolution des prix internes et la compétitivité
des économies concernées. Bien plus, un tel excès de liquidités inciterait à
différer les mesures d'ajustement de retour à l'équilibre ou alors ruinerait
les efforts d'ajustement déjà engagés par les pays en déficit.
L'argument inflationniste suppose, pour qu'il soit valable, que les économies soient en situation de plein emploi et que les capacités de production
soient pleinement utilisées. Or, le problème des pays en développement en
général, celui des pays africains en particulier est précisément celui d'une
insuffisante capacité de production qui ne leur permet pas de créer suffisamment de richesses et de dégager un surplus suffisant pour couvrir, selon
l'expression de Perroux, les coûts de l'homme, mettre en place un système
productif efficient et effectuer les prélèvements nécessaires au remboursement de la dette. Or, les besoins de financement sont d'autant plus importants et iront d'autant plus crescendo qu'il s'agit non seulement de meUre
en place des capacités productives à un niveau suffisant, mais aussi celles
qui leur permettent d'être compétitifs dans un contexte de mondialisation.
Or la mondialisation se caractérise par une hiérarchisation des économies
déterminée par la production technologique dont l'absence risque de mettre
les économies africaines hors jeu de ces évolutions. Dans la mesure où il
apparaît aujourd'hui évident que les seuls flux financiers privés par le biais
des marchés ne peuvent drainer vers les économies africaines les capacités
de financement nécessaires, la création et la gestion de la liquidité internationale doivent y suppléer et jouer ainsi un rôle catalyseur en termes de
complément à la formation interne de capital. On retrouve ici le même rôle
joué par les transferts américains, au lendemain de la deuxième guerre
mondiale à travers le plan Marshall. Il s'agit en fait de redéfinir les modalités et règles de création et d'allocation de la liquidité internationale, en faisant en sorte que le bénéfice des effets de seigneuriage ne jouent pas
seulement prioritairement et majoritairement en faveur de celles des économies qui sont en excédent, mais que les pays africains reçoivent la part
normale de ce seigneuriage dont ils sont actuellement écartés, tout comme
d'ailleurs les autres pays en développement.
On observe d'ailleurs à l'occasion des situations de crise que les règles
actuelles de répartition de ce seigneuriage sont totalement inadaptées. La
reconnaissance implicite de cette inadaptation est donnée par le fait qu'on
supplée à la carence de ces règles par la mise au point de plans d'urgence
destinés à apporter un supplément de ressources aux pays en difficulté. On
a pu s'en rendre compte lors des deux crises mexicaines de 1982 et 1993,
avec la mise au point de sauvetage d'urgence avec tous les problèmes et les
inefficiences inhérents à de telles pratiques. Mais on vient encore de s'en
rendre compte avec les crises de la Malaisie, de la Thailande et de l' Indonésie où les solutions d'urgence ont montré leurs limites en même temps que
GESTION DE LA LIQUIDITÉ INTERNATIONALE
205
s'imposait la nécessité de mécanisme pennanent, pennettant de lier le seigneuriage aux besoins de fonnation de capital et de financement de la croissance et du développement.
Si l'on admet qu'il faille repenser Bretton Woods dans cette direction, on
peut alors s'interroger sur les modalités possibles de cette nouvelle donne
de répartition des effets positifs du seigneuriage international.
Vers un triple niveau d'allocation de la liquidité internationale pour
le développement
La redistribution de la liquidité internationale implique, à notre avis, une
modification des règles actuelles de distribution du seigneuriage et la
définition de nouvelles règles de répartition.
Deux principes de base nous paraissent fondamentaux dans ce processus
de refonnulation du mécanisme. Le premier reprend l'idée keynésienne que
la création de liquidité internationale doit être étroitement liée au besoin de
financement de la croissance et du développement. Ce lien a pour avantage
décisif de réduire sinon d'éliminer les risques systémiques inhérents au
mécanisme actuel qui favorise la fonnation de bulles financières, leur éclatement, la récurrence des krachs financiers, la généralisation rapide des crises avec un impact particulièrement négatif sur les économies les plus
fragiles, ainsi que la crise asiatique vient de nous en donner l'exemple. Le
lien pennet d'orienter la création et la gestion de la liquidité internationale
vers la création de richesses, tout en assurant que l'effort ainsi engagé,
s'agissant des pays en développement, ne sera pas compromis par l'extrême
volatilité des capitaux, passant brutalement et en un instant, d'une place
financière à l'autre.
Le second principe est relatif au problème de la dette dont il faut convenir,
en l'état actuel de l'évolution du phénomène, qu'elle ne sera jamais remboursée, mais qu'elle constituera toujours un peu plus un obstacle au développement des débiteurs et à la stabilité de l'économie mondiale, et
l'exemple asiatique vient là aussi de nous en donner une illustration.
Partant de ces deux principes, la redistribution du seigneuriage pourrait se
faire suivant trois axes complémentaires.
Le premier axe implique la reprise de la fonnule traditionnelle des quotas,
mais en la corrigeant par l'application d'un indice correcteur, lui-même calculé en prenant en compte une série de variables telles que la détérioration
des tennes de l'échange, les besoins anticipés d'importation d'équipements
nécessaires à l'investissement et à la fonnation du capital, la charge du service de la dette du débiteur, et, en particulier, celles des intérêts et les prévisions de croissance de l'économie. L'indice correcteur ainsi calculé
pennettrait d'abord de réviser la part des droits de tirage que le pays peut
tirer sans condition puisqu'il modifierait la tranche-réserve. Il serait ensuite
appliqué pour détenniner le supplément de ressources dont peut bénéficier
le pays au titre des révisions des quotas ou de nouvelles allocations de DTS
assurées dans le cadre du fonctionnement nonnal du Département des
droits de tirage spéciaux du Fonds.
206
REPENSER BRETION WOODS
Le mécanisme introduit de ce fait une indexation de la répartition du
seigneuriage à l'évolution de la conjoncture économique du pays et de la
conjoncture internationale. Une telle correction, si elle existait aujourd'hui,
permettrait par exemple d'allouer de nouvelles ressources aux pays africains pour tenir compte et des effets négatifs de la crise asiatique et de la
baisse observée des cours de matières premières qui affectent aujourd'hui
les principaux produits d'exportation dont le cacao, le café, le bois, le coton
ou le pétrole.
Le mécanisme donne ainsi aux pays l'assurance de disposer toujours d'un
volume de réserve suffisant pour assurer les transferts, sans coûts d'ajustement excessifs, mais aussi et surtout de disposer d'un supplément de
ressources lui permettant d'honorer ses engagements au titre de la dette
sans que cela se fasse au détriment de l'investissement productif.
Le mécanisme présente cependant l'inconvénient d'encourager les pays
concernés à entretenir la configuration actuelle de leurs économies, alors
même que ces produits sont en cours de marginalisation dans une économie
mondiale dominée par les transactions sur les produits d'intelligence. Il
peut aussi induire une absorption tournée vers la consommation, sans que
la formation du capital soit assurée. Il peut alors être demandé que les
ressources disponibles soient prioritairement affectées au financement des
infrastructures et équipements sociaux et au développement du capital
humain vers lesquels ne s'orientent pas les capitaux privés, du fait de leur
caractère de biens publics, alors que les dettes contractées auprès des sources privées pour les payer ne sont pas assurées de l'existence d'un surplus
permettant d'en assurer le remboursement.
Le second axe de redistribution du seigneuriage concernerait l'allocation
d'un volume de ressources créées au financement d'un mécanisme régional
de développement. A l'échelle du continent africain, un tel mécanisme
pourrait concerner, par exemple, le Fonds africain de développement ou
alimenter, au sein des organisations sous-régionales, des fonds régionaux
de développement. Le principe ici peut être le même que celui des fonds de
développement des régions en retard et des fonds structurels mis en place
par la CEE, et qui a permis de financer un ensemble de projets dans les
régions telles que le sud de l'Italie, la Corse ou l'Irlande et qui a permis
ainsi de résorber les écarts de développement qui caractérisaient l'Europe
au cours des différentes phases de sa constitution et de son élargissement.
Ces fonds seraient alimentés par un prélèvement sur une part des liquidités que le seigneuriage permet d'octroyer aux pays industriels, en proportion de leurs quotas, mais qui sont non utilisés parce que ceux-ci bénéficient
des effets de polarisation qu'exercent les grandes places financières sur
l'épargne mondiale en général, celles des pays en développement en particulier, et dans le cas qui nous intéresse celles des pays africains qui comptent en leur sein l'essentiel des PMA. Un tel financement permet ainsi au
système de corriger une part de l'asymétrie des relations internationales et
qui fait peser sur les pays les plus faibles la part la plus lourde de la charge
d'ajustement.
GESTION DE LA LIQUIDITÉ INTERNATIONALE
207
Mais les créanciers bénéficient en même temps des effets multiplicatifs
des dépenses d'accumulation dans la mesure où la capacité d'absorption de
ces régions s'en trouve accrue, et que les conditions minimales de rentabilisation des investissements privés s'en trouvent réunies grâce au développement des infrastructures de base, et à un élargissement rapide des
conditions de mobilité des facteurs et des biens et services. Cette utilisation
productive de la liquidité internationale modifie ainsi les conditions
d'insertion de ces économies dans le processus de mondialisation en leur
donnant les moyens d'être véritablement actrices de ces mutations.
Le troisième axe oriente la distribution du seigneuriage vers la mise en
place d'un mécanisme de garantie ou de refinancement des créances à
l'échelle internationale. Il s'agit par ce biais de mettre en place un organisme jouant à l'échelle internationale le rôle de prêteur en dernier ressort
qui, à l'échelle d'une économie, est joué par la banque centrale. Un tel
mécanisme serait alimenté par une part des liquidités nouvelles créées par
le FMI ou qui lui seraient cédées par les pays industriels en surliquidités.
En situation de crise, le débiteur bénéficierait d'un refinancement où le
mécanisme assurerait le paiement des créances échues. La contrepartie
serait, pour le débiteur, l'élaboration d'un programme d'investissement en
y consacrant une part déterminée de ses ressources intérieures, au prorata
des créances prises en charge par le mécanisme. Cette idée est d'ailleurs
aujourd'hui admise dans le cadre de certains mécanismes de traitement de
la dette, où le pays bénéficiaire s'engage par exemple à consacrer un
volume donné de ses ressources propres à tel projet de sauvegarde de l'environnement. Mais à la différence de ces initiatives de caractère ponctuel et
limité, il s'agirait ici de mettre en place un mécanisme permanent prenant
justement en compte l'impossibilité de ne pouvoir régler le problème de la
dette ni par les moyens propres des débiteurs, ni par des initiatives ponctuelles, ni par des rééchelonnements successifs.
L'existence d'un tel mécanisme conduit à une intermédiation dont un des
principaux avantages est de contribuer significativement à la déprivatisation
de la dette. Le mécanisme fonctionnerait en relation étroite avec les banques centrales. Le mécanisme, en cas de difficulté, ouvre une ligne de crédit
au débiteur. La liquidité ainsi prêtée serait transférée à concurrence de la
créance à la banque centrale du créancier qui paierait alors le créancier (État
ou banque privée). La banque centrale peut d'ailleurs, dans ce cadre, assumer une fonction de clearing et de compensation entre banques, la même
fonction étant alors assurée entre pays par le FMI dont les missions et règles
de fonctionnement s'en trouveraient ainsi redéfinies (Bekolo,
1985 ; Grubel, 1968 ; Coats, 1982). On créerait ainsi un prêteur en dernier
ressort à l'échelle internationale.
Un des avantages importants d'un tel mécanisme, outre sa permanence,
est d'assurer une multilatéralisation du problème de la dette impliquant
l'assomption des charges d'ajustement par l'ensemble des parties: partenaires, débiteurs et créanciers, en reposant autrement le problème des mouvements financiers entre les diverses économies.
208
REPENSER BRETION WOODS
Mais une telle évolution ne peut être perçue par les pays africains comme
la solution idéale à leurs problèmes de financement. Celle-ci, pensonsnous, oblige d'abord à un effort interne d'accumulation, c'est-à-dire de
création et de prélèvement d'un surplus suffisant pour assurer la formation
du capital et la restructuration de leurs économies. Ce n'est que dans cette
optique que repenser les institutions de Bretton Woods constituerait un
apport qualitatif décisif de remodelage de leur insertion dans le processus
de mondialisation des économies.
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10
A la recherche d'une alternative à la
marginalisation de l'Afrique
subsaharienne 1
Gabriel TATI
De plus en plus, la marginalisation de l'Afrique subsaharienne devient un
thème de débats intenses et controversés dans l'arène internationale. Si l'on
connaît plutôt bien la dynamique et les facteurs structurels sous-jacents de
cette marginalisation qui présente de nombreux aspects, il n'en demeure
pas moins que nul ne détient une solution évidente à la marginalisation de
l'Afrique subsaharienne (Pieper et Taylor, 1998 : 54). De nouvelles initiatives sont proposées dans divers contextes internationaux afin d'accroître la
participation des pays de l'Afrique subsaharienne dans l'économie mondiale. Dans l'ensemble, les initiatives proposées le sont au motif que la marginalisation est inextricablement liée à certaines des lourdes contraintes
économiques auxquelles sont confrontés les pays de l'Afrique subsaharienne, comparés au reste du monde. C'est en Afrique subsaharienne qu'on
trouve la plupart des pays les plus pauvres du monde. En bref, les contraintes économiques tournent autour du poids de la dette, de la faible capacité
à saisir les opportunités offertes dans le cadre des accords de l'üMC et du
régime commercial soi-disant inefficace que l'on trouve dans la plupart des
pays. Un argument souvent avancé est que les initiatives, si elles sont appliquées, pourraient créer des conditions propices à une intégration accrue
dans l'économie mondiale. Ce que tend à oublier l'analyse économique des
questions liées à la marginalisation, ce sont les discours et problèmes associés aux initiatives prises récemment.
1. L'auteur tient à exprimer ses remerciements au personnel du bureau de campagne
d'Oxfam à Bristol, Royaume-Uni, qui a bien voulu lui fournir la documentation récente sur
le Jubilee 2000 ainsi que sur Fair Trade. L'auteur tient aussi à exprimer sa gratitude aux
réseaux de Third World Future qui lui ont accordé l'autorisation de se servir d'informations ayant trait aux discussions sur l'accord OMC-ADPIC et aux réflexions de Collier.
212
REPENSER BRETION WOODS
Le présent article a pour objet d'examiner, à la lumière de certains discours récents, quelques-unes des initiatives proposées, émergeant à
l'échelle internationale. Relativement à cet objectif, l'article est délibérément centré sur des initiatives ayant trait à l'annulation de la dette extérieure, à la licence obligatoire dans le cadre des accords de l'Uruguay
Round, et aux propositions pour une nouvelle série de négociations appelant, entre autres, à une ouverture accrue à la libéralisation des échanges.
L'examen de ces trois domaines, qui ont tous trait à des questions tournant
autour de l'intégration de l'Afrique subsaharienne dans l'économie mondiale, servira à illustrer l'ampleur des enjeux et les conditions dans lesquelles la marginalisation peut soit s'aggraver, soit être traitée avec un certain
succès. Plus important, la position prise par les institutions de Bretton
Woods, à savoir le FMI et la Banque mondiale, concernant la réalisation des
objectifs visés à travers les initiatives proposées, est centrale dans les discours tenus sur ces domaines. Dans cet article, j'analyse de manière critique
le contenu des discours récents ainsi que les problèmes qu'ils posent relativement à la mise en œuvre des initiatives proposées eu égard à la question
de l'allégement de la charge de la dette des pays africains, à la licence obligatoire pour les produits pharmaceutiques pour les pays en développement,
et à l'ouverture accrue à la libéralisation des échanges. l'analyse également
leurs implications pour les pays de l'Afrique subsaharienne. On peut tirer
plusieurs enseignements des discours conflictuels et des initiatives en question dans le présent article. Ce sont quelques illustrations parmi d'autres des
enjeux, problèmes et exigences de la lutte contre la marginalisation.
Pour terminer cette partie introductive, il faut souligner que le présent
article s'inspire beaucoup des documents de séminaires récents de l'OMC,
de rapports d'ONG, de bulletins électroniques sur les questions liées au
Tiers monde et de la littérature y afférente. Par ailleurs, nous avons délibérément omis les aspects quantitatifs de la marginalisation ayant trait aux
tendances des apports de capitaux internationaux, du commerce et du service de la dette, puisque le lecteur peut trouver des informations pertinentes
et détaillées dans la littérature existante.
Annulation de la dette extérieure
Plusieurs analystes de la situation économique des pays de l'Afrique
subsaharienne soutiennent qu'aucune des réformes envisagées du mode de
fonctionnement de la Banque mondiale ne contribuera à faire avancer de
manière significative le redressement de l'Afrique, tant qu'on n'aura pas
traité la question de la dette extérieure du continent. Il n'est pas question ici
de retracer l'intégralité des grandes tendances de l'évolution de la dette
extérieure et de son service. L'abondante littérature existant sur ce sujet
fournira des détails au lecteur. Au contraire, il convient de mettre l'accent
sur les quelques discours et initiatives récents sur la question de la charge de
A LA RECHERCHE D'UNE ALTERNATIVE
213
la dette et de ses conséquences sur l'avenir des pays de l'Afrique subsaharienne. Bien que la revendication de l'annulation de la dette ait commencé
dans les années 1980, et même 1970, il faut reconnaître que ce n'est que
tout récemment qu'elle a acquis plus de force, avec le nombre croissant
d'actions entreprises et de positions adoptées. Comme le dit Elliot Chamber2, « l'allégement de la dette est en vogue; chacun essaie de s'imposer, en
affirmant qu'on ne fait pas assez pour apporter de l'aide financière aux pays
les plus pauvres ». Tout d'abord, il est utile de rappeler brièvement ce qui,
avant le lancement en 1998 du Jubilé 2000, a marqué le débat sur la crise de
l'endettement en Afrique (pour une liste beaucoup plus détaillée des initiatives, voir Hobbs, 1990 : 185-219).
Au tout début des années 1980, la dette totale de l'Afrique atteignait un
niveau tel que nombre de scientifiques la considéraient comme une catastrophe continentale (voir par exemple Onimode, 1989, volumes 1 et 2). Le
taux de croissance de la dette était supérieur à 23 % par an, et cette tendance
s'accompagnait d'un taux de croissance presque de même ampleur, si ce
n'est plus, du service de la dette. Dans la même période, les conditions
économiques aussi bien que les conditions de vie se sont détériorées de
manière spectaculaire, à cause de facteurs externes et internes. Les objectifs
de développement à long terme étaient sérieusement menacés par les
remboursements de plus en plus importants de la dette. C'est dans un tel
contexte que divers efforts internationaux ont été axés sur la résolution de
la crise de la dette africaine. Pour n'en citer que quelques-uns, en 1985,
l'Organisation de l'unité africaine (OUA) a adopté une stratégie continentale appelée programme prioritaire pour le redressement économique de
l'Afrique, pour la période 1986-1990, qui est devenu, en 1986, après
discussions au sein du système des Nations unies, le Programme d'action
des Nations unies pour le redressement économique et le développement de
l'Afrique (PANUREDA). Ce dernier n'a jamais été concrètement mis en
œuvre. Le FMI lui-même a tenté quelques initiatives (Hellemer, 1986) qui
n'ont pas donné de résultats positifs.
Au début des années 1990, est apparue une proposition pour une nouvelle
initiative sous forme de programmes de conversion de la dette en Afrique 3,
inspirée de l'expérience des pays d'Amérique latine et d'Asie. Cette initiative revêtait diverses formes, dont les principales étaient la conversion de la
dette en capital, le rachat de la dette, la garantie de la dette, et l'approche
unifiée. Tous ces aspects privilégient une stratégie de réduction de la dette
axée sur le marché, qui fait référence à une série de transactions effectuées
par l'intermédiaire du marché secondaire existant pour la dette extérieure
d'un pays débiteur donné, et dont l'objectif est de transformer des instruments de créance en d'autres formes de passifs en vue d'alléger le stock de
2. Elliot Chamber est journaliste au FinancialTImes.
3. L'ouvrage publié conjointement par le Centre africain d'études monétaires (CAEM)
et l'Association des banques centrales africaines (ABCA) en 1992 fournira au lecteur
d'amples détails techniques ainsi que des évidences provenant de l'expérience de pays
d'Amérique latine et d'Asie sur ces programmes.
214
REPENSER BRETTON WOODS
la dette et/ou la charge du service de la dette, le plus souvent en s'accaparant
une part importante de l'escompte sur le marché secondaire (CAEMI
ABCA, 1992). En examinant l'expérience des pays d'Amérique latine et
d'Asie concernant cette approche, les auteurs du rapport ont mentionné, en
note de bas de page, les fortes préoccupations exprimées ci-dessus, concernant le succès potentiel de telles approches dans un contexte africain. En
bref, il ressort de leurs conclusions qu'il est difficile au plan structurel de
remplir les conditions nécessaires pour la réussite; la latitude qu'ont les
pays africains de réduire la dette et son service par le biais du mécanisme de
conversion de la dette en capital est plutôt limitée ; l'exécution de ces programmes pose d'énormes problèmes techniques et crée des besoins institutionnels qui dépassent la capacité réelle des pays africains. Ce qui est
intéressant, c'est que les auteurs de cet ouvrage ont recommandé quelques
directives concernant la manière d'exécuter efficacement ces programmes.
A notre connaissance, la réduction de la dette, liée au programme de réduction de la dette axé sur le marché, n'a pas été préconisée dans plusieurs pays
africains, si tant est qu'il l'ait été dans un seul. Toutefois, la Banque mondiale avait tenté une approche assez similaire en convertissant la dette en
programmes de protection de l'environnement, et l'expérience de Madagascar dans ce domaine est souvent citée (Banque mondiale, 1992). Il reste
à savoir combien de pays bénéficient de ces programmes de protection de
l'environnement. Il y a des signes de plus en plus évidents que cette approche, à l'instar de beaucoup d'autres, a été abandonnée.
La liste des initiatives en matière de réduction de la dette qui ont abouti à
une sorte d'impasse jusqu'au milieu des années 1990 est dans une certaine
mesure impressionnante. Devant les échecs répétés et la paupérisation
croissante des pays africains, pris comme je l'ai affirmé, dans le piège de
l'endettement, du commerce international et des programmes d'ajustement
structurel recommandés par le FMI et la Banque mondiale, la tentation était
grande pour les groupes d'activistes, les scientifiques et les ONG partisans
de la justice globale, d'appeler à l'annulation (et non la réduction) de toutes
les dettes contractées par les pays en développement, y compris les pays
africains, auprès des créanciers internationaux. La réclamation de l'annulation de la dette semble être en partie soutenue par de solides arguments
portant sur l'impact social des remboursements de la dette sur les groupes
sociaux démunis des pays en développement. D'aucuns soutiennent que le
remboursement de la dette intervient dans un contexte d'échanges internationaux caractérisé par une réduction massive des prix des produits
d'exportation des pays africains. Le service de leur dette de plus en plus
grande a absorbé des capitaux qui, autrement, auraient servi à des dépenses
de santé et d'éducation. Les programmes imposés par la Banque mondiale
et le FMI comme condition préalable à l'aide financière ont prescrit des
politiques favorables au marché qui ont aggravé le dénuement. Avec ces
prescriptions en place, les politiques économiques nationales ont été nettement en défaveur des populations les plus pauvres. Le sentiment largement
partagé à l'heure actuelle, c'est qu'aujourd'hui les pays en développement
paient aux pays riches plus au titre de l'intérêt de la dette qu'ils n'ont reçu
A LA RECHERCHE D'UNE ALTERNATIVE
215
d'aide. « Les pauvres du monde subventionnent les riches », indique-t-on
dans nombre d'articles et de rencontres en faveur de l'annulation; pour un
dollar d'aide, on extorque onze dollars aux pays pauvres du monde, au titre
du remboursement de la dette aux pays riches. » Pour mettre fin à ce qui est
considéré comme une injustice humanitaire, une action internationale,
JubiléJubilé 2000, a été lancée en vue d'obtenir l'annulation de la dette.
Avant d'examiner certains détails de la teneur du Jubilé 2000, il semble
important d'attirer l'attention sur le fait que ce ne sont pas tous les chercheurs partisans du Tiers monde qui préconisent l'annulation de la dette.
Par exemple, Susan George, une scientifique activiste très célèbre du Tiers
monde, a soutenu qu'une telle solution, si on l'adopte, peut devenir un
piège en ce sens que l'annulation pourrait avoir, entre autres effets, de transformer les pays bénéficiaires en parias financiers dans l'avenir proche
(George, 1994: 238-243). En outre, ajoute-t-elle, l'annulation serait une
rémunération pour les gouvernements les plus mauvais et les plus prodigues - dont certains sont toujours au pouvoir - et aggraverait presque à
coup sûr la situation de populations déjà mises à rude épreuve par la charge
de la dette. L'annulation, conclut George, ne renforcerait pas le contrôle des
masses sur l'élite, qui serait la principale bénéficiaire de l'allégement de la
dette et qui, en l'absence d'autres changements, resterait au pouvoir. Partisane d'une annulation liée à des conditionnalités politiques, George suggère un accord négocié qu'elle appelle « solution des 3 D », qui doit être un
« remboursement créatif» et dont le sigle signifie dette, développement et
démocratie. En résumé, ce remboursement créatif suggère que « les pays
soient autorisés à rembourser l'intérêt et le principal sur une longue période
en monnaie locale, calculés de manière à ne pas créer d'inflation ». La
« solution des 3 D » suggère que les gouvernements qui souscrivent à une
telle approche devront accepter un contrôle populaire accru sur le processus
de développement. En d'autres termes, la conditionnalité dans la« solution
des 3 D » est une conditionnalité politique appelant à une démocratie réelle.
Selon George, le remboursement créatif et la formule des 3 D seraient plus
faciles à appliquer dans les pays de l'Afrique subsaharienne. A notre avis,
un problème lié à la mise en œuvre de la « solution des 3 D », aussi alléchante et constructive qu'elle puisse être, pourrait résider dans la capacité
réelle d'un pays à rembourser en monnaie locale. Comment rembourser
lorsque l'argent en monnaie locale fait défaut? Par ailleurs, la dévaluation
de la monnaie locale peut accroître la difficulté. George elle-même indique
que la « solution des 3 D » et les propositions qu'elle a suggérées pour sa
mise en œuvre ont été critiquées au motif qu'elles constituent une violation
du principe de la souveraineté nationale. Il n'en demeure pas moins que ses
propositions peuvent offrir une approche valable à l'annulation de la dette,
avec des impacts positifs sur le développement à long terme. Nous examinerons ce point en conclusion.
Malgré son côté attrayant, la « solution des 3 D » n'a reçu aucune considération de la part des institutions financières internationales, qui préfèrent
leur approche centrée sur l'initiative en faveur des pays pauvres fortement
endettés. C'est une initiative conjointe lancée récemment par le FMI et la
216
REPENSER BREITON WOODS
Banque mondiale, pour aider les pays pauvres fortement endettés qui poursuivent de manière soutenue des politiques de réformes économiques selon
l'approche suggérée par les programmes d'ajustement structurel (PAS), à
faire face à la charge de leur dette, y compris ieur énorme dette multilatérale
(Ouattara, 1999). Nombre d'organisations considèrent que cette initiative
n'est pas appropriée pour résoudre le problème de la dette. De même, les
militants du Nord n'ont apporté aucun soutien à la« solution des 3 D ». Au
contraire, les campagnes organisées dans les pays du Nord demandaient à
leur gouvernement une annulation unilatérale de la dette. Ce type de campagne qui a gagné en force ces dernières années est mené par de puissants
groupes d'activistes et ONG internationales, dans le cadre du Jubilé 2000.
Le Jubilé 2000 est un mouvement international qui milite en faveur de
l'annulation de la dette des pays du Sud d'ici l'an 2000. La campagne est
basée sur le principe biblique du jubilé selon lequel, tous les 50 ans, il doit
y avoir un nouveau départ, y compris l'annulation de la dette. Le Jubilé
2000 appelle à la responsabilité partagée des débiteurs et des créanciers
pour la crise de la dette. La remise de la dette, soutiennent les activistes de
Jubilé, doit être mise au point de manière honnête et transparente garantissant la pleine participation des débiteurs aux négociations portant sur l' allégement de la dette. La campagne couvre un grand nombre de pays en
développement à travers le monde, mais seuls quelques rares pays africains
y prennent part. Au niveau continental, la campagne a été lancée en avril
1998 à Accra, Ghana. Le lancement de la campagne pour le Jubilé 2000 en
Afrique du Sud a eu lieu du 5 au 6 novembre 1998 ; elle a pour objet de fournir un moyen de mettre en question et d'annuler les dettes du régime de
l'apartheid (considérées comme des dettes engendrées par l'apartheid). Il
est surprenant de noter que le mouvement semble avoir bénéficié du soutien
du FMI et de la Banque mondiale, deux institutions qui traînent la réputation de ne pas accueillir chaleureusement les propositions portant sur
l'annulation de la dette, dont elles sont les instigatrices. Pour illustrer ce
soutien, il faut se référer au document remis par le FMI et la Banque mondiale à leur conseil exécutif en avril 1999, dans le cadre de l'initiative en
faveur des pays pauvres fortement endettés. Le document reconnaît que les
témoignages soumis par les ONG et les gouvernements intéressés appellent
à « une réduction plus substantielle, plus vaste et plus rapide de la dette, et
à lier plus étroitement l'allégement de la dette aux programmes de réduction de la pauvreté ». Il ressort des commentaires sur cet article que la
définition de ce qu'est une dette soutenable (un concept défendu par les institutions de Bretton Woods) est trop étroite, et qu'elle doit inclure les
besoins de développement des pays pauvres fortement endettés. Plus
important, ce document, en reconnaissant les appels à l'annulation de la
dette comme une question d'équité, attirait l'attention sur la campagne pour
le Jubilé 2000, sur les demandes d'annulation en l'an 2000, sur une participation plus rapprochée de la société civile à l'allégement de la dette, sur
les nouveaux emprunts et l'utilisation des fonds libérés, sur le détachement
de l'allégement de la dette des conditions de l'ajustement structurel
(AEFAS-accords élargis de FAS) et sur les objections portant sur les
A LA RECHERCHE D'UNE ALTERNATIVE
217
« créanciers qui sont à la fois juges et parties». Sur ce dernier point, l'appel
en faveur d'un « organisme chargé d'examiner la dette» qui soit neutre, a
été exprimé avec beaucoup de force. Cet organisme neutre déterminerait
par exemple le montant de la dette qu'on pourrait payer. La grande
déception réside dans le fait que le rapport soumis par le FMI et la Banque
mondiale n'a pas fait de recommandations fennes, mais à ce qu'il semble,
il y a un soutien plus profond de la part de ses auteurs (bien que ce ne soit
pas au niveau souhaité par les militants de la campagne pour le Jubilé
2000). Ce qu'il faut retenir de cet exemple, c'est que le rapport est apparemment favorable à ce que l'on modifie les critères de durabilité, pour en
faire peut-être une sorte de critère fiscal tel que la part du revenu de l'État
ou la part du PNB au lieu de la part des exportations tant décriée. En
somme, le Jubilé 2000 est indiscutablement la seule action internationale
appelant à l'annulation de la dette pour les pays en développement qui
reçoive l'aval des institutions de Bretton Woods (et uniquement dans le
cadre de l'initiative en faveur des pays pauvres fortement endettés).
Une tendance similaire apparaît également panni les gouvernements des
pays fortement industrialisés. Au sein du G7, le gouvernement allemand a
récemment adopté un changement important, après une longue période de
résistance, dans le sens de l'allégement de la dette, en admettant que les exigences de la campagne allemande pour le Jubilé 2000 sont légitimes, et en
promettant de poursuivre son action en faveur de l'allégement de la dette
des pays les plus pauvres, en principe dans le cadre de l'initiative en faveur
des pays pauvres fortement endettés. Pour le gouvernement allemand,
l'allégement de la dette doit intervenir dans un délai plus court, le plafond
de la part de dette annulée porté à 80%, et un plus grand nombre de pays
doivent être concernés. La possibilité d'un axe franco-allemand sur l'allégement de la dette est également apparue, avec la révélation faite par le
ministre français des Finances selon laquelle la France prendrait une initiative sur la dette en 1999, dont l'Allemagne serait le « moteur ». D'aucuns
soutiennent que ces deux pays ont été influencés par les campagnes menées
par les activistes du Jubilé 2000. En mars 1999, le gouvernement britannique a annoncé un plan en quatre points relatif à l'initiative en faveur des
pays pauvres fortement endettés, pour aider à l'allégement de la dette et aux
programmes de réduction de la pauvreté dans les pays les plus pauvres du
monde (Treasury News Release, mars 1999). Ce plan en quatre points consiste à réduire la dette, augmenter l'aide, faire un don d'un milliard, et vendre de l'or. Pour le premier point, il a été adopté un objectif visant à réduire
de 50 milliards de dollars d'ici l'an 2000 la dette du Tiers monde. D'aucuns
affinnent qu'une telle réduction sera réalisée en apportant des modifications à l'initiative du FMI et de la Banque mondiale en faveur des pays pauvres fortement endettés, pour un allégement plus rapide, plus profond et
plus général de la dette. Le second point appelle à une augmentation des
flux d'aide des pays développés en direction des pays pauvres, pour atteindre 60 milliards de dollars d'ici l'an 2000, en vue de contribuer aux programmes sociaux, sanitaires et éducatifs destinés à réduire la pauvreté. Le
troisième point est présenté comme un défi pour les ONG d'augmenter leur
218
REPENSER BRETION WOODS
aide à un milliard de dollars d'ici la fin de l'an 2000. Le gouvernement britannique envisage d'aider par le biais du Millennium Gift Aid (aide sous
forme de dons pour le millénaire) qui autorisera les œuvres de bienfaisance
à réclamer un abattement fiscal pour les dons de 100 livres, pour soutenir
des projets éducatifs et de lutte contre la pauvreté dans les pays les plus pauvres du monde. Le quatrième et dernier point est en faveur de la vente de la
valeur d'un milliard de livres de l'or du FMI pour financer l'augmentation
de l'allégement de la dette par le biais de l'initiative en faveur des pays pauvres fortement endettés.
La décision la plus importante reste cependant celle prise par les pays du
G7 en juin 1999 à Cologne lors du sommet annuel des gouvernements de
ces pays. De manière unilatérale, les pays du G7 ont opté pour une annulation partielle des dettes contractées par les pays pauvres. On estime que
l'enveloppe financière des dettes ainsi couvertes s'élève à environ
70 milliards de dollars. Contre toute attente, cette mesure d'annulation couvre aussi bien les dettes bilatérales que les dettes multilatérales. Plusieurs
analystes présentaient pourtant les dettes de la seconde catégorie comme les
plus difficiles à annuler. La tradition a été scrupuleusement respectée en ce
qui concerne les conditionnalités pour qu'un pays soit éligible aux fonds
octroyés dans le cadre de cette annulation. Bien entendu, l'application
rigoureuse des mesures de stabilisation macroéconomiques et des réformes
sectorielles prescrites par les programmes d'ajustement structurel demeure
de loin la conditionnalité majeure. Dans une moindre mesure, et en fonction
des progrès en ce qui concerne les réformes, l'investissement social dans les
domaines de la santé et l'éducation - et avec une faible insistance -le respect des droits de l'homme figurent aussi parmi des conditionnalités. On
souligne aussi que les pays qui dépensent énormément d'argent pour
l'achat des armes ne pourraient pas bénéficier de ces fonds. Cette décision
prise par le G7 d'annuler une bonne partie des dettes des pays pauvres comporte un aspect positifqu'on ne peut pas nier. Toutefois, elle est à considérer
avec une certaine réserve. En dehors des conditionnalités qui soulèvent des
questions majeures, la démarche adoptée suscite quelques critiques. Il
s'agit d'une approche dans le style top-down qui est adoptée au sommet par
un petit groupe de gouvernements représentant quelques pays créditeurs
sans consulter la base que constitue le grand nombre de pays créditeurs.
Cette approche part d'un montant fixé d'avance et qu'il faudrait répartir
selon les progrès accomplis dans les réformes entre les pays pauvres lourdement endettés. Personne ne saurait dire si le montant alloué à un pays X
correspond bel et bien à sa capacité réelle d'endettement ou d'investissement dans les domaines sociaux de grande priorité. Je reviendrai sur tous
ces aspects dans la conclusion.
Par ailleurs, au regard de toutes ces prises de position gouvernementales,
on peut toutefois soutenir qu'il pourrait s'agir de simples manœuvres politiques destinées à calmer une revendication croissante en faveur de l'annulation de la dette au sein de l'électorat. Mais au-delà de cette hypothèse, les
attitudes sur la question de l'allégement de la dette sont réellement en train
de changer. Cette évolution positive de la position des dirigeants de pays et
A LA RECHERCHE D'UNE ALTERNATIVE
219
institutions financières puissants peut être perçue comme une fameuse victoire illustrant une victoire de la moralité, une victoire de la conscience et
une victoire du bien. An'en pas douter, le changement favorable d'attitudes
concernant l'allégement de la dette revêt une signification fort importante
pour l'activisme populaire et pour la démocratie, et la coalition pour le
Jubilé de l'an 2000 a toutes les raisons d'être fière d'elle pour ce qu'elle a
réalisé jusqu'ici. Toutefois, il faut rester prudent, une telle victoire étant
incontestablement le début d'une longue et difficile bataille à venir.
Les militants de l'annulation de la dette pensent toutefois que la fête pourrait tourner court. Le principe de la nécessité de modifier l'initiative en
faveur des pays pauvres fortement endettés est accepté, mais c'est tout.
Certaines questions soulevées dans le cadre de cette initiative, telles que la
question de «la dette non remboursable des pays africains les plus
pauvres» (montant de la dette à annuler et critères à utiliser), la question de
la conditionnalité (soulagement de la misère et/ou réformes démocratiques,
responsabilisation et/ou mécanismes de contrôle) et la question de savoir
comment éviter une nouvelle crise de la dette (contrôles sur les nouveaux
emprunts et protection des pays) font toujours l'objet d'âpres discussions.
Ce qui va se passer au cours des prochaines étapes est essentiel car si on
laisse passer les chances de réformes sérieuses, pareilles chances ne se
présenteront plus avant longtemps, ou même jamais. Cette préoccupation
s'est avérée une réalité en avril 1999. Au cours des réunions de la Banque
mondiale et du FMI à Washington, aucune décision importante n'a été
prise. La seule bonne nouvelle, c'était que pour l'année à venir, l'admission
au titre de pays pauvres fortement endettés pourrait être plus rapide et plus
facile. Au lieu d'attendre six ans pour obtenir l'allégement de leur dette, les
pays seront admissibles au bout de trois ans. Les conditions d'accès pourraient également devenir plus réalistes. Depuis le lancement en 1996 de
l'initiative en faveur des pays pauvres fortement endettés comme solution
à la crise de l'endettement du Tiers monde, seuls cinq pays de l'Afrique
subsaharienne: Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Mali, Mozambique, et
Ouganda ont été, à ce jour, admis à l'allégement de la detté. Le FMI et la
Banque mondiale reconnaissent (en privé !) que même les rares pays admis
en tirent peu d'avantages. Des propositions sont faites en vue d'une réforme
de l'initiative en faveur des pays pauvres fortement endettés. Quelques pays
au sein du G7 sont pour une réduction de moitié de la période pendant
laquelle les pays doivent appliquer les programmes du FMI pour être
admissibles à l'allégement - qui est actuellement de six ans - et pour accorder des remises plus généreuses en abaissant les seuils de ce que l'on considère comme dette « soutenable». Cependant, ces réformes demanderont
des créanciers occidentaux qu'ils collectent des fonds considérables, et
l'une des solutions proposées à cette fin consiste à vendre de l'or pour financer la part du FMI dans l'allégement de la dette. En termes pratiques, le
4. La présence de la Côte d'Ivoire, pays africain à revenu supérieur, parmi les pays qualifiés pour l'initiative en faveur des pays pauvres fortement endettés renforce l'argument
selon lequel il faut une redéfinition claire de l'admissibilité des pays.
220
REPENSER BRETTON WOODS
financement de la réduction de la dette peut se heurter à un problème majeur
de collecte de fonds. Selon une estimation de la Banque mondiale, cette
dernière a besoin de 2 milliards de dollars supplémentaires pour faire face
aux besoins financiers générés par les plans du G7 en vue d'étendre l'initiative de réduction de la dette à plus de 42 pays. Le coût approximatif des
nouveaux plans est de 4,5 milliards de dollars.
La Banque elle-même suggère une série d'options pour trouver des fonds
supplémentaires. Parmi les moyens explorés par la Banque, il ya la réorganisation des prêts par le biais de son guichet d'aide libérale pour les pays
pauvres, de l'association internationale, de l'augmentation des charges que
cela engendre pour les pays mieux nantis (dont certains sont déjà lourdement endettés !) et de la quête d'assistance auprès des pays donateurs. On
se plaint que les difficultés de trésorerie de la Banque surviennent au
moment où son bilan subit la pression de ses prêts de plus en plus importants aux économies de marché émergentes, suite à la crise financière mondiale des deux dernières années. La question à laquelle nous devons
répondre est la suivante : comment l'initiative en faveur des pays pauvres
fortement endettés pourrait-elle fonctionner efficacement tant que les programmes économiques du FMI pour les pays pauvres seront essentiellement axés sur la réalisation d'objectifs macroéconomiques à court terme?
Les militants de l'aide dans les pays du Nord soutiennent que le G7 devrait
réduire le champ d'intervention du FMI en lui retirant son poste de gardien
de l'allégement de la dette. L'OXFAM, une ONG basée au Royaume-Uni,
affirme, par exemple, que les politiques d'ajustement structurel du FMI ont
aggravé la pauvreté dans les pays en développement.
La rapidité avec laquelle les choses ont évolué depuis la réunion du G7
l'année dernière à Birmingham, où la ville était encerclée par des dizaines
de milliers de militants du Jubilé 2000, traduit le fait que, désormais, tout
cela est considéré comme allant de soi. Certains analystes se posent la question de savoir si cela suffit. Selon eux, la réponse est non, et il fallait sans
doute s'y attendre. D'autres pensent que l'Occident doit et peut encore faire
beaucoup plus pour que le développement à long terme devienne une
réalité. Il y a ceux qui sont partisans d'une réforme des programmes d'ajustement structurel du FMI, ceux qui veulent une réforme des marchés financiers internationaux, et des sociétés transnationales. En vérité, il y a
beaucoup à dire sur tout cela et davantage. Il convient de rappeler que les
préoccupations liées aux réformes du FMI ont été aggravées par la crise
financière sans précédent (elle-même une crise du capitalisme mondial)
depuis cinquante ans : la crise financière en Asie du Sud-Est, l'effondrement de l'économie russe, qui a entraîné avec elle les marchés obligataires
et la gestion de capitaux à long terme de l'Occident, l'effondrement de
l'économie brésilienne qui a poussé l'Occident à construire des tranchées
pour se protéger des chocs en retour. Le programme de réforme a trait à la
restructuration la plus radicale du FMI/de la Banque mondiale depuis leur
création à Bretton Woods en 1944. Un point qui n'a pas été formellement
examiné dans la série de réunions portant sur ce programme, c'est comment
faire face au défi de l'allégement de la dette des pays les plus pauvres dans
A LA RECHERCHE D'UNE ALTERNATIVE
221
un délai très court. Il semble que les pays du G7 soient parvenus à un
consensus quant à la poursuite du processus d'endettement des pays les
plus pauvres. Bien que la politique d'allégement de la dette soit maintenant
beaucoup moins complexe en raison du rapprochement positif des positions
des pays du G7, en particulier du changement de position de l'Allemagne,
il reste à résoudre quelques problèmes concernant l'élargissement de
l'éventail des pays « mourant de faim » qui sont autorisés à être admis à
l'allégement de la dette, et le raccourcissement du temps de préparation en
vue de bénéficier de la remise. L'incitation pour l'Occident consiste à
mettre en place un programme convaincant d'ici le millénaire -l'objectif
fixé par de nombreux groupes religieux et non gouvernementaux qui
réclament l'annulation des dettes des pays en développement.
Avant tout cela, il y a la priorité urgente et prépondérante de veiller à ce
que les fonds provenant de l'allégement de la dette soient bien dépensés et
orientés vers ceux qui en ont le plus besoin, c'est-à-dire les pauvres. La
marginalisation de l'Afrique n'est pas tout simplement dans sa participation à l'économie mondiale, mais aussi, et c'est cela le plus consternant,
dans l'exclusion sociale de larges couches de la population au niveau national. D'importants groupes sociaux au sein de la population n'ont pas accès
aux ressources nationales. Nombre de militants du Jubilé 2000 ont souligné
l'importance de dépenser à bon escient les ressources provenant de l'allégement de la dette. La crainte qui a été formulée, c'est que le soutien diminue rapidement si l'argent provenant de l'allégement de la dette est
détourné vers les banques suisses ou finit par remplir les poches de vendeurs d'armes. Il y en a qui soutiennent que l'allégement de la dette doit être
accordé sans conditionnalité. Les pays pauvres doivent être libres de faire
ce qu'ils veulent de leur argent, sans ingérence de la part des gouvernements occidentaux et des institutions multilatérales. Dans un environnement africain parfait, une telle approche aurait eu grand mérite. Toutefois,
la difficulté se situe à trois niveaux. Premièrement, le degré de corruption
est radicalement différent dans certains pays africains. Deuxièmement, les
dirigeants sont très peu motivés pour s'embarquer dans des projets de développement à long terme. Leurs économies sont petites et généralement
basées sur un seul produit; mais les prix des produits manufacturés et des
services ont chuté. Avec la famine et le mécontentement populaire, en particulier dans les pays qui ont hérité du colonialisme un État déchiré par les
problèmes ethniques, il y a toujours eu la nécessité d'ériger une base du
pouvoir. Ainsi, les budgets d'éducation et de santé par exemple, qui devaient
être dépensés pour l'enseignement primaire et pour les soins de santé, ont
servi à d'autres investissements lourds et sujets à caution. D'aucuns soutiennent que dans une large mesure, cela a été bénéfique pour une élite
bruyante et influente, pas si bénéfique que cela pour les pauvres, et
désastreux pour le développement des institutions civiles à la base qui pouvaient renforcer la démocratie.
Le troisième point, c'est que si l'on ne met pas de garde-fous par rapport
à l'allégement de la dette, le processus de réforme peut être tronqué, retardé
ou abandonné. Une telle préoccupation est largement partagée, bien que
222
REPENSER BRETION WOODS
certains puissent y voir un prétexte pour ne pas prendre des mesures appropriées. La nature des garde-fous à mettre en place demeure un sujet de débat
intense. Une approche attrayante semble être celle suggérée par un groupe
britannique basé à New Castle, qui participe au Jubilé 2000, dans laquelle
il est stipulé qu'il faudrait d'abord suspendre la dette plutôt que de l'annuler
carrément, et que l'allégement doit être renouvelable chaque année, en
fonction du respect ou non des conditions acceptées, l'annulation devant
intervenir au bout de dix ans. Toutefois, en cas de non-respect des conditions, il faudra imposer la reprise du paiement du service de la dette.
L'avantage de ce genre d'approche est qu'elle est prospective plutôt que
rétrograde. Les pays ne seront pas jugés sur ce qu'ils ont fait dans le passé,
mais sur ce qu'ils font maintenant. Ils auraient des plans concrets pour la
couverture de l'école primaire, les soins de santé primaires, la création
d'emplois et le renforcement des institutions démocratiques. Une entreprise nationale aussi bien intentionnée suscite d'énormes efforts d'organisation de divers mécanismes d'affectation des ressources, puisqu'il ne
s'agit pas seulement d'augmenter les dépenses, mais aussi d'évaluer et de
superviser comme il se doit, et de tirer des enseignements de la meilleure
pratique. Pour qu'une telle conditionnalité sociale soit effectivement mise
en application, il est impératif que le FMI et la Banque mondiale parviennent à une sorte de rapprochement en ce qui concerne les réformes de la
politique publique. En effet, d'aucuns ont observé que, tandis que d'un côté
la Banque mondiale insiste sur l'augmentation des dépenses de santé et
d'éducation, de l'autre, le FMI appelle à une réduction des dépenses publiques dans le cadre du programme d'ajustement structurel. On peut rapprocher ces points de vue apparemment conflictuels soit en donnant priorité à
l'utilisation effective de l'allégement de la dette dans les domaines sociaux
des programmes du FMI, soit en amenant le Fonds à reconnaître sa défaite
dans son bras de fer avec la Banque mondiale et à se retirer complètement
du processus de développement. Dans la politique de gestion de la dette, on
constate que ces deux institutions de Bretton Woods adoptent des instruments contradictoires. A titre d'exemple, la Banque a adopté l'idée selon
laquelle l'allégement de la dette doit être accordé d'une manière qui renforce la réduction de la pauvreté; tandis que le Fonds est toujours obsédé
par l'échec de l'orthodoxie des indicateurs financiers à court terme. Il est
évident que l'approche du sommet à la base adoptée par le Fonds a été un
échec lamentable. Pendant trop longtemps, le débat a tourné autour de ce
que les pays occidentaux sont prêts à accepter, plutôt que ce dont ont besoin
les pays pauvres comme ceux de l'Afrique subsaharienne, ou ce qu'ils ont
les moyens de payer.
Le succès véritable du Jubilé 2000, c'est qu'il a réussi à modifier les
termes de ce débat et qu'il y a maintenant des chances que l'on parte du
sommet à la base. Il est important de continuer à avancer. Pour cela, il faudra
exercer une pression permanente sur les prêteurs que sont les pays développés et les institutions financières internationales, par le biais d'une
combinaison d'allégement de la dette, d'augmentation de l'aide, de
réformes institutionnelles et de politiques commerciales plus équitables. La
A LA RECHERCHE D'UNE ALTERNATIVE
223
pression politique a fait son effet, et il s'agit maintenant de faire en sorte
qu'elle continue à faire son effet pour les années à venir. Les politiques
commerciales plus équitables forment une autre dimension de la marginalisation que nous examinons maintenant. Pour cela, nous mettons l'accent sur
les accords obligatoires qui sont essentiels pour la réduction de la pauvreté.
Licence obligatoire aux termes des accords de l'OMC 5
Selon les accords de l'OMC sur les droits de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce (OMC-ADPIC), les pays en développement peuvent
se servir du pouvoir de la licence obligatoire qui permet de produire des
médicaments génériques et de les rendre accessibles au public à bas prix.
Cependant, la mise en œuvre de cet accord international a suscité un comportement inattendu de la part des États-Unis et de certains gouvernements
du Nord. Il y a de plus en plus de critiques selon lesquelles ces derniers
poursuivent ouvertement les intérêts étroits de quelques sociétés internationales en essayant de forcer les gouvernements du Sud à ne pas exercer ce
pouvoir.
Les organisations non gouvernementales (ONG) de premier plan intervenant dans le domaine de la santé et de la défense des consommateurs, telles
que Médecins sans frontières, Health Action International et Consumer
Project on Technology, basé aux États-Unis, ont récemment dénoncé les
pressions et menaces des gouvernements américains et autres contre l'utilisation par les pays en développement de leurs droits de licence obligatoire
pour assurer l'accès de leurs populations à des médicaments bon marché et
essentiels. La mise en œuvre effective de l'accord de l'OMC sur la licence
obligatoire est désormais l'objet de conflits commerciaux entre les ÉtatsUnis, la Thaïlande, l'Afrique du Sud et d'autres pays. Les questions relatives à la licence obligatoire pour les brevets en matière de technologies
médicales essentielles ont été récemment examinées lors d'une rencontre
internationale réunissant des groupes intervenant dans le domaine de la
santé publique et des groupes de consommateurs, des gouvernements de
pays industrialisés et en développement, des sociétés pharmaceutiques et
des organisations internationales telles que l'OMC, l'OMPI (Organisation
mondiale pour la propriété intellectuelle), et l'OMS (Organisation mondiale de la santé).
Il ressort des discussions que les pays en développement comme ceux de
l'Afrique subsaharienne avaient une certaine latitude, aux termes de
l'accord OMC-ADPIC, de se servir du pouvoir de la licence obligatoire
pour permettre la production de médicaments génériques et leur accessibilité au public à bas prix. Une éventualité qui a été soulignée au cours de la
5. Cette section sur les licences obligatoires s'inspire en grande partie de la réflexion
élaborée par Chahavarshi Raghavan de Third World Network Features.
224
REPENSER BRETION WOODS
rencontre par le Consumer Project on Technology (CPT). Les participants
ont trouvé inacceptable la position adoptée par le gouvernement américain
qui protège les intérêts de quelques sociétés, en essayant d'obliger les gouvernements tels que ceux de Thailande ou d'Afrique du Sud à ne pas utiliser
la licence obligatoire.
La licence obligatoire couvre, entre autres produits, un large éventail de
médicaments parmi lesquels quelques médicaments contre le Sida. Si cet
accord est appliqué avec succès, il pourra considérablement atténuer certains des énormes problèmes de santé auxquels sont confrontés les pays du
Sud. D'aucuns soutenaient qu'un plus grand nombre d'individus dans les
pays en développement avaient succombé au sida parce qu'ils n'avaient pas
accès aux médicaments ou à l'argent pour les payer. Dans la plupart des
pays en développement, seules les personnes très riches, vivant souvent
dans les capitales, ont accès aux nouveaux inhibiteurs de protéases qui font
partie de toute combinaison thérapeutique. Dans presque tous les cas,
l'accès au traitement essentiel est bloqué, le plus souvent par les prix élevés
ou les restrictions liées aux brevets.
La licence obligatoire et les importations parallèles peuvent contribuer
d'une certaine manière à réparer l'injustice de cet accès inégal. Le blocage
s'étend même aux médicaments élaborés par le gouvernement américain,
puis laissés sous le contrôle du secteur privé. Les brevets d'invention et les
coûts de ces médicaments sont si élevés qu'ils sont hors de portée pour les
gens ordinaires dans les pays en développement. D'aucuns disent que les
grandes sociétés pharmaceutiques transnationales maintiennent les prix à
des niveaux qui reflètent le profil des revenus prévalant dans les pays du
Nord. Ces sociétés empêchent ainsi l'accessibilité des médicaments dans
les pays en développement, en se servant de la législation sur les brevets
d'invention et de l'accordADPIC, pour veiller à ce que les prix des médicaments ne baissent pas dans les pays développés. L'industrie pharmaceutique
est une industrie qui dispose de bénéfices très élevés, 25 % de la totalité des
ventes, comparés aux 4-5% qu'obtiennent les 500 sociétés de US Fortune.
Le problème ne se limite pas tout juste au sida, mais est apparu relativement
à des affections et maladies tropicales ordinaires. Certains affirment que,
tandis que l'OMS possède une liste de « médicaments essentiels» qui peuvent être génériques et pour lesquels l'approbation d'un brevet n'est pas
nécessaire, d'autres maladies apparaissent et les vieilles maladies comme le
paludisme développent des souches résistant aux médicaments actuels. Les
toutes dernières versions des formulations nécessaires pour les traiter sont
couvertes par les « nouveaux brevets », ce qui veut dire que pour au moins
20 ans encore, elles sont couvertes par les droits monopolistiques des
détenteurs de droits de propriété intellectuelle (DPI) et donc ne sont pas disponibles à un prix abordable. Et dans le monde en développement, y compris dans les pays de l'Afrique subsaharienne, les soins de santé sont pour
l'essentiel privés, et les malades n'ont pas les moyens de les payer.
Le paradoxe est que les grandes sociétés des pays du Nord n'hésitent pas
à faire pression sur les pays du Sud pour accéder à leurs marchés domestiques. A titre d'exemple, une fondation de consommateurs en Thailande a
A LA RECHERCHE D'UNE ALTERNATIVE
225
soutenu récemment que ce pays a dû modifier ses dispositions sous la pression des États-Unis, comme prix à payer pour permettre l'accès des exportations thaïlandaises de bijoux au marché américain. Les pays développés
ont le choix entre gagner des devises grâce aux exportations ou assurer la
disponibilité de médicaments peu chers pour leurs populations. La licence
obligatoire, qui implique le paiement d'une compensation ou d'une redevance au détenteur des droits d'invention, est conforme à la législation
internationale et aux principes de l'OMC, et c'est une pratique bien établie
en matière de brevets. Cependant, les grandes sociétés pharmaceutiques s'y
opposent et ont exercé des pressions sur les pays développés tels que les
États-Unis, l'Angleterre, l'Italie et l'Union européenne pour qu'ils s'opposent à l'utilisation de la licence obligatoire dans les pays en développement.
Le système de brevets lui-même est porteur de bien des abus, et la US Federal Trade Commission ainsi que les National Institute for Health euxmêmes ont publié récemment des rapports mettant en lumière les problèmes spécifiques causés pour la recherche médicale et le suivi médical. Il y
a aussi le problème des coûts élevés des médicaments, y compris ceux développés par les gouvernements.
En dernière analyse, il faut dire que tout un éventail de politiques et
problèmes est concerné, parmi lesquels le Fond monétaire international
(FMI), les politiques de conditionnalité de la Banque mondiale aux termes
desquelles les gouvernements devaient accorder la priorité au remboursement de la dette au détriment de la santé. Les politiques commerciales
appliquées aux droits de propriété intellectuelle et aux soins de santé
doivent être conçues pour réaliser les objectifs de santé publique, et non le
contraire. D'aucuns admettent que l'OMC et les ADPIC fournissent des
garde-fous, des exceptions ainsi que des mécanismes incluant la licence
obligatoire et les importations parallèles. Toutefois, il convient d'entamer le
dialogue sur un nouveau cadre de discussions sur les échanges, qui traite la
question la plus importante, à savoir un mécanisme garantissant une participation adéquate et équitable aux coûts du financement de la recherche
médicale essentielle et une accentuation à nouveau de cette dernière par les
gouvernements nationaux et les systèmes commerciaux internationaux
pour formuler les politiques.
Ouverture accrue à la libéralisation des échanges
La question de la libéralisation des échanges figure également au cœur du
débat tournant autour de la marginalisation de l'Afrique subsaharienne.
Nombre de responsables de la Banque mondiale considèrent que le fait que
le redressement de l'économie africaine repose exclusivement sur une plus
grande ouverture à la libéralisation des échanges est presque comme un
axiome mathématique. A titre d'exemple, Ouattara (1999) soutenait
dernièrement que, pour que l'Afrique échappe à la marginalisation, elle doit
226
REPENSER BRETION WOODS
« s'intégrer dans le village planétaire qu'est devenu le monde à l'ère
d'internet ». Tout en reconnaissant que des progrès considérables ont été
accomplis en Afrique subsaharienne depuis le milieu des années 1980, il a
indiqué que les régimes commerciaux des pays de l'Afrique subsaharienne
demeurent complexes et restrictifs, comparés à ceux de la plupart des autres
pays. Dans cet article, il recommande aux pays de l'Afrique subsaharienne
d'accélérer la libéralisation des échanges et les réformes tarifaires, en vue
d'accroître l'efficacité et la compétitivité de leurs produits locaux et de les
aider à s'intégrer plus pleinement dans l'économie mondiale. Ces efforts,
poursuit-il, doivent inclure la suppression de toutes les barrières non tarifaires importantes ainsi qu'une baisse des niveaux tarifaires et des taxes à
l'exportation. Toutefois, Ouattara reconnaît que « le bénéfice de la libéralisation des échanges serait accru si le processus était soutenu par une libéralisation bien enchaînée et rythmée des flux de capitaux, pour donner de la
latitude à une contribution accrue de l'investissement étranger direct et de
l'investissement de portefeuille ».
Se servant d'un discours assez similaire, Calamitsis (1999) indique que
les taux tarifaires des importations restent trop élevés et trop dispersés.
Selon lui, cela est en partie dû au fait que les gouvernements sont largement
tributaires de cette source de revenu budgétaire, mais aussi à la prédominance d'exemptions statutaires et ad hoc. Ces dernières, conclut-il, doivent
être supprimées pour permettre une réduction plus rapide des tarifs.
Tout récemment, Collier a exprimé des idées similaires sur la libéralisation des échanges, avec une teneur plus controversée, lors d'un séminaire
sur les liens entre commerce et développement, organisé au mois de mars
dernier par l'Organisation mondiale du commerce6 . Ce séminaire a
examiné les difficultés sérieuses auxquelles sont confrontés les pays africains, du fait de leur marginalisation par le système de repérage et les règles
commerciales, de sorte que ces pays en ont tiré très peu d'avantages, si tant
est qu'il y en ait eus. Collier a soutenu (et les participants ont ressenti cela
comme une accusation ou un reproche) que les pays africains se sont euxmêmes marginalisés dans l'OMC en n'y participant pas, en demandant
instamment un traitement spécial et différencié qui n'a pas répondu à leurs
besoins, en aspirant à des accords commerciaux régionaux qui
débouchaient sur une « impasse», en s'engageant dans une « libéralisation
peu crédible» et en favorisant un « environnement hostile» par la concentration de leurs échanges sur quelques produits seulement. Puisant dans les
idées contenues dans la nouvelle théorie de la politique économique qui
forment le pivot du paradigme récent de la Banque mondiale, Collier ajoute
que les élites africaines ne voulaient pas entreprendre des réformes économiques parce que le statu quo était à leur avantage. Il déclare de façon
dogmatique: « En science politique, on nous apprend dans quelles circonstances les élites serrent les dents et procèdent à des changements ; la science
politique nous apprend que les changements se produisent lorsque les élites
6. Cette section sur les réflexions de Collier s'inspire en grande partie du rapport rédigé
par Marlin Khor de Third World Network Features.
A LA RECHERCHE D'UNE ALTERNATIVE
227
sont effrayées. » Se joignant au concert de voix qui prônent une libéralisation plus accrue des échanges, Collier prévient que les Africains doivent
maintenant avoir peur car l'avenir sera fait de protectionnisme aux ÉtatsUnis, à moins que l'on ne puisse offrir quelque chose aux Américains dans
une nouvelle série de transactions commerciales. D'une certaine manière,
Collier a fait porter l'entière responsabilité de la pauvreté et de la marginalisation des Africains sur les Africains eux-mêmes, tout en réfutant totalement le rôle joué par l'économie internationale ainsi que par la Banque
mondiale et le FMI eux-mêmes. Sur ce point, il est utile de se référer à
Brown (1995 : 4) par exemple, qui soutient que paradoxalement, c'est la
Banque mondiale, qui cherche à réincorporer les économies africaines dans
le système mondial, qui a contribué le plus à marginaliser le continent et en
même temps à attiser la menace qui couve de l'intérieur sur l'ensemble de
la structure postcoloniale.
En fait, la réflexion de Collier a trait à une question plus présente et plus
vaste axée sur l'éventualité des « gros risques » encourus par les pays en
développement de subir le contrecoup du protectionnisme américain s'ils
n'étaient pas d'accord pour une nouvelle négociation commerciale de
l'OMe. On pousse les pays en développement à fournir aux pays développés un accès accru et au bout du compte total à leurs marchés dans le
cadre d'une transaction avec les États-Unis et l'Union européenne, qui
consiste à ne pas ériger de barrières protectionnistes. Par ailleurs, les pays
en développement sont mis en demeure de ne pas poursuivre les demandes
de traitement spécial, un principe qui est accepté par l'OMC et ses règles,
permettant aux pays en développement de jouir de certains privilèges (tels
que la licence obligatoire ou les accords de Lomé) en reconnaissance de
leur situation économique plus faible. Une question suscitée par les
réflexions ci-dessus est de savoir comment une ouverture accrue à la libéralisation des échanges aux termes d'une nouvelle série de négociations
pourrait être plus avantageuse pour les pays africains que ce que l'on a vu
aux termes du cycle d'Uruguay? Autrement dit, qu'est qui pourrait faire la
différence? Parlant du cycle d'Uruguay, plusieurs pays africains reconnaissent qu'ils n'en ont tiré aucun profit et que les pays du Nord n'ont pas
respecté leurs obligations vis-à-vis des pays en développement (comme
l'illustre le cas des licences obligatoires). Même des pays tels que l'Égypte
ou l'Afrique du Sud, qui ont une plus grande capacité économique,
connaissent des difficultés de taille avec les accords de l'Uruguay Round. A
en juger par la situation de ces pays, on peut difficilement justifier la poursuite de la libéralisation, tant que les difficultés nées des accords de
l'Uruguay Round ne seront pas résolues. Au nombre des problèmes, figurent les mauvais fonctionnements liés au fait que le Nord n'a pas respecté
ses engagements, l'absence de traitement spécial et différentiel et enfin le
coût onéreux du recours au système de règlement des conflits. Le sentiment
qui prévaut dans les pays en développement, y compris ceux de l'Afrique
subsaharienne, est qu'on ne devrait pas leur demander de donner plus de
concessions pour redresser les déséquilibres. Il est de plus en plus admis
que l'Uruguay Round n'a pas procuré des avantages aux pays en dévelop-
228
REPENSER BRETION WOODS
pement. La part de l'Afrique dans le commerce mondial, malgré la libéralisation des échanges, n'est que de 2%. La libéralisation des échanges n'a
pas amélioré les termes de l'échange, l'aide publique au développement est
en baisse, les marchés des produits sont en crise, et aujourd'hui la crise asiatique a réduit la demande. Enfin, certaines préoccupations exprimées par
Madden et Madeley (1993) semblent être devenues une réalité. La libéralisation des échanges peut devenir ce qu'un petit nombre d'ONG du Nord
appellent le « piège du commerce» et être associée à une marginalisation
accrue. Le piège du commerce dans le cadre des accords OMClUruguay
Round peut avoir plusieurs implications pour les pays en développement
(voir, par exemple, Coote, 1996). Autre exemple, selon un rapport de
l'Oxfam (1999), une menace pèse sur les accords commerciaux qui protègent nombre de petits producteurs dans certains pays du Sud. En 1998,
l'Organisation mondiale du commerce a décrété qu'il fallait mettre fin à une
transaction commerciale vitale qui garantissait un marché européen aux
planteurs de bananes des Caraibes. Tout cela rentre dans le cadre de la libéralisation du commerce international. Selon l'Oxfam, cette décision pourrait détruire certains secteurs de l'économie des Caraibes. n y a peu de
temps, les États-Unis avaient formulé une revendication similaire concernant le traitement spécial accordé aux planteurs de bananes africains dans
l'Union européenne. Sur un plan beaucoup plus général, il convient de
souligner que si les exigences de l'OMC sur le libre-échange sont acceptées, beaucoup d'accords préférentiels conclus dans le cadre de Lomé IV
pourraient prendre fin. Certains pays africains qui en tiraient jusqu'ici profit
à travers la loi des quotas pourraient en souffrir économiquement.
Un autre résultat de la libéralisation est la compétition accrue. Les grandes
sociétés transnationales sont si puissantes qu'elles peuvent menacer de
transférer leurs entreprises sur des sites de production meilleur marché pour
ce qui concerne surtout la main-d' œuvre. Plusieurs pays pauvres ont besoin
de ces entreprises pour les aider à devenir compétitifs sur les marchés mondiaux. Pour les attirer, ils réduisent les coûts de la main-d'œuvre et rabaissent les normes environnementales. Ce qui est triste dans tout cela, c'est que
lorsqu'il y a une baisse des prix des articles dans un supermarché du Nord,
c'est souvent au détriment des personnes démunies. Autre problème, les
économies de nombre de pays en développement tels que ceux de l'Afrique
subsaharienne reposent sur la vente de produits primaires, par exemple des
minéraux ou des cultures marchandes telles que le café ou le coton. Dans la
période allant de 1980 à 1993, les prix des produits de base non pétroliers
ont chuté de plus de 50%, comparés aux prix des produits manufacturés,
soit une perte annuelle d'environ 100 milliards de livres pour les pays producteurs. Cela représente plus du double de ce qu'ils recevaient au titre de
l'aide en 1990. C'est cela le genre d'échanges pour lequel la Banque mondiale appelle à une plus grande ouverture. Y a-t-il une alternative prévisible
à la libéralisation des échanges, telle que prescrite par la Banque mondiale?
Une initiative parmi les rares connues jusqu'ici, qui a gagné en force ces
dernières années, concerne le commerce plus équitable préconisé par des
ONG du Nord telles que Oxfam, Christian Aid, et Friends of the Earth. Ces
A LA RECHERCHE D'UNE ALTERNATIVE
229
ONG travaillent souvent de concert avec celles du Sud. Progressivement, le
concept de « commerce équitable» est apparu comme une alternative aux
relations commerciales qui ressemblent fort à de l'exploitation dans lesquelles les pays du Sud comme ceux de l'Afrique subsaharienne ont été
entraînés par des paradigmes inefficaces de développement. Brown (1995 :
353) a indiqué que dans les pays du Nord, il y a un changement d'opinion
qui fait que l'on croit de plus en plus que le Tiers monde est exploité et certaines personnes dans ces pays préféreraient des échanges plus équitables à
l'octroi de l'aide ou seraient prêtes à payer plus pour une commercialisation équitable des produits du Tiers monde. Un tel changement semble
indiquer que, échanges alternatifs et échanges équitables sont inextricablement liés, et dans un grand nombre de pays du Nord fortement industrialisés, des ONG entreprennent des actions en vue de rendre ce concept
opératoire. Pour l'instant, seuls quelques produits primaires tels que le
café, le cacao, le thé, les fruits et légumes, ainsi que le miel sont ciblés.
Alternative Trade pénètre les supermarchés du Nord et aide également les
producteurs du Sud à ajouter de la valeur à leurs produits en traitant le café,
le chocolat, les jus, le miel et les mélanges de thé. Certains groupes d'activistes soutiennent que Alternative Trade est en train de promouvoir un marché de la solidarité dans le Nord et les planteurs d'Afrique et d'autres pays
du Sud en tirent profit. Bien que le prix de détail des produits vendus par
l'intermédiaire de Fair Trade soit légèrement plus élevé que les prix réels
des produits, il n'en demeure pas moins que le producteur obtient une part
plus importante du prix final parce que l'approvisionnement vient directement des producteurs.
Néanmoins, certains analystes reconnaissent qu'en raison de sa portée
assez limitée, Alternative Trade ne peut pas mettre un terme aux relations
d'exploitation en matière d'échanges dans le cadre des accords de l'OMC,
dans lesquelles les pays du Sud semblent être les grands perdants. D'aucuns
pensent qu'une solution satisfaisante nécessiterait des ventes qui se chiffrent en milliards, estimation qui dépasse de très loin celle des volumes de
ventes réalisés par le biais de Alternative Trade. Cependant, le faible niveau
des ventes ne doit pas justifier l'annulation des échanges alternatifs. Les
analystes du développement soutiennent que c'est important pour le développement en Afrique. Brown, par exemple, indique que cela donne une
alternative à un acheteur unique qui fixe le prix; et cela développe la
confiance entre associations de petits et moyens producteurs dans leur capacité à comprendre le pouvoir des grandes sociétés et des gouvernements et
à trouver les moyens d'améliorer leurs conditions; cela permettra aussi aux
pays du Nord d'être sûrs qu'il y a quelque chose de positif qu'ils peuvent
faire concernant les échanges équitables (Brown, 1995: 354-355).
Et Brown d'ajouter que pour les populations du Nord, il y a de plus gros
problèmes à résoudre qui vont au-delà de l'achat et de la rédaction d'articles
pour se montrer solidaire des producteurs du Tiers monde. Selon lui, la
position des producteurs africains ne sera réellement améliorée sur les marchés mondiaux que lorsque les gens en Afrique travailleront ensemble et
que les gens du Nord réussiront dans plusieurs actions majeures qui vont
230
REPENSER BRETION WOODS
au-delà d'un simple show de solidarité. Il poursuit en suggérant une poignée d'actions que devraient recommander les gens du Nord. Selon ses propres termes, ces actions consisteraient à :
- révéler l'usage abusif des prix de cession de la part des sociétés transnationales et leur contrôle sur les marchés des produits et y mettre fin ;
- empêcher que la réglementation du GATT n'affaiblisse davantage la
capacité des pays du Tiers monde à se défendre contre les exportations de
produits alimentaires subventionnés et autres en provenance des pays
industrialisés;
- demander à la Banque mondiale de prendre en considération les opinions et la participation populaire des Africains;
- annuler les charges au titre du service de la dette que les pays les moins
développés d'Afrique doivent à ceux du Nord.
Une lecture de ces suggestions de Brown en fonction des idées élaborées
jusqu'ici dans la présente contribution demanderait, par exemple, que l'on
se batte pour une mise en œuvre effective des accords tels que ceux portant sur les licences obligatoires, ou que l'on redéfinisse à partir d'une
perspective purement africaine la signification d'une ouverture accrue à la
libéralisation des échanges, différente de celle que suggèrent les responsables de la Banque mondiale. Un tel refus ne signifierait pas que l' Afrique cherche à s'échapper du marché, mais cela voudrait dire que l'Afrique
veut échapper à certaines des idéologies et à certaines des pires caractéristiques du marché.
Dernières remarques: y a-t-il une solution à la marginalisation ?
Comme cela est apparu clairement à travers l'analyse ci-dessus, les trois
aspects examinés sont étroitement liés. Dans l'hypothèse d'une allocation
efficiente des ressources, un allégement de la charge de la dette peut accroÎtre la capacité d'un pays en développement, que ce soit en Afrique ou
ailleurs, à investir dans la fabrication à faible coût de certains des produits
couverts par l'accord OMC-ADPICS, ce qui pourrait améliorer la balance
commerciale en réduisant les importations de ces produits. Les investissements réalisés avec les capitaux libérés par l'allégement de la dette pourraient aussi être faits dans d'autres activités industrielles ou agricoles, dans
le but de diversifier les exportations; une telle entreprise pourrait augmenter la part d'un pays dans l'économie mondiale. Sans parler du renforcement du capital humain (éducation, formation, santé... ) qui pourrait
résulter des capitaux libérés par l'annulation de la dette. L'allégement de la
dette peut également servir à donner du tonus à l'économie informelle, aux
petites entreprises locales sur lesquelles reposent nombre de pays africains.
On peut soutenir qu'il reste un long chemin à parcourir pour opérationnaliser de tels effets induits. Par ailleurs, l'article a fourni des preuves
concluantes sur l'ampleur des problèmes à surmonter eu égard à l'annula-
A LA RECHERCHE D'UNE ALTERNATIVE
231
tion de la dette, à la licence obligatoire et à une ouverture accrue à la libéralisation des échanges. Ce ne sont là que trois exemples parmi tant
d'autres. Des réflexions sur la manière de résoudre ces problèmes ont été
faites dans les sections précédentes. Tout effort en vue de sortir de la marginalisation, que ce soit en diversifiant la structure économique ou en améliorant la balance commerciale, est lié d'un bout à l'autre au problème ardu de
la charge de la dette. C'est la raison pour laquelle les deux sections qui
suivent étudient plus en détail cette question.
Ce qui ressort de l'examen précédent, c'est que les possibilités de sortir
de la marginalisation ne sont pas une fiction. Ce point de vue optimiste est
suggéré par le fait que pour la première fois, après plusieurs échecs relatifs
à la réduction ou l'annulation de la dette, une forte action internationale
appelant à la réduction de la dette reçoit l'approbation de puissants dirigeants du Nord, ainsi que l'appui des institutions de Bretton Woods. Incontestablement, la campagne pour le Jubilé 2000 semble avoir opéré un grand
changement chez les dirigeants du G7, bien que les réalisations sur le terrain soient sans grand effet. L'action gagne rapidement en force à l'échelle
internationale, malgré les maigres résultats obtenus jusqu'ici ; en effet,
seuls cinq pays africains ont été admis à l'initiative en faveur des PPTE.
Cette dernière constitue la base sur laquelle les créanciers du Nord, parmi
lesquels le FMI et la Banque mondiale, ont convenu de soutenir la campagne pour le Jubilé 2000. Comme le fait ressortir le présent papier, l'initiative en faveur des pays pauvres fortement endettés comporte plusieurs
lacunes auxquelles il faut sérieusement s'attaquer. Une meilleure reformulation de cette initiative devrait faire intervenir plus tôt l'allégement de la
dette, faire réduire encore plus la dette, assouplir les critères d'admission,
assouplir les conditions du FMI, offrir des perspectives de développement
à long terme, donner aux groupes de la société civile la possibilité de participer à l'affectation des fonds provenant de l'allégement de la dette et
accentuer davantage la gouvernance démocratique et responsable plutôt
que la gouvernance technocratique. Il est regrettable que la campagne pour
le Jubilé 2000 ait apparemment placé un accent accru sur la réduction de la
pauvreté (éducation, santé, etc.) comme condition de l'allégement de la
dette, donc la conditionnalité sociale, excluant la conditionnalité politique.
Cela soulève quelques questions. Comment pourrait-on parvenir à réduire
la pauvreté lorsqu'il n'y a pas de véritable responsabilité politique? Comment la responsabilité politique pourrait-elle fonctionner, lorsqu'un régime
non élu tel qu'un régime militaire est en place, ou qu'une assemblée parlementaire démocratique n'est pas en place? Comment s'assurer que les
fonds provenant de l'allégement de la dette seront utilisés efficacement, tant
qu'il n'y aura pas d'institutions démocratiques, ou que les mécanismes
indépendants de contrôle seront exclus par un régime militaire?
A d'autres égards, la campagne pour le Jubilé 2000 soulève une préoccupation concernant l'avenir de ce type d'action internationale. La campagne
s'etait fixée comme cible l'an 2000 pour l'annulation totale de la dette du
tiers monde. Le temps passe, et jusqu'à présent, seuls quelques rares pays
ont rempli les conditions requises pour l'annulation de la dette dans le cadre
232
REPENSER BREITON WOODS
de l'initiative en faveur des pays pauvres fortement endettés. La question
est de savoir ce qu'il va advenir de la campagne après le 1er janvier 2000. En
supposant que l'action puisse durer toute l'année, que nous réserve l'avenir
après décembre 2000 ? D'autres pays fortement endettés seraient-ils laissés
à leur propre sort et devraient-ils attendre pendant 50 ans encore pour voir
leurs dettes annulées? Ce que l'on craint, c'est que cette campagne
connaisse un sort semblable à celui du mouvement international contre la
faim en Éthiopie dans les années 1980, sous la houlette du Britannique Bob
Geldof. Il faut, avant la date cible de l'an 2000, envisager de nouvelles
orientations quant à la manière de poursuivre l'action au-delà de cette date,
car il faut maintenir la pression sur les créanciers du Nord.
Une autre préoccupation suscitée par la campagne pour le Jubilé 2000 est
la faible participation des Africains - scientifiques, experts, dirigeants politiques, et membres de la société civile - dans la réflexion et les activités
entreprises. En dehors de l'Afrique du Sud et d'une poignée d'autres pays
africains, pratiquement tout le continent est resté en dehors de la campagne.
Ce sont surtout des groupes d'activistes et des ONG du Nord qui mènent
l'action. D'une perspective africaine, il est regrettable que la participation
des Africains à une campagne aussi importante soit très faible. Dans une
certaine mesure, la même préoccupation s'applique également aux actions
entreprises contre l'exploitation des pays en développement dans le cadre
des accords OMC-cycle d'Uruguay, ou OMC-nouvelle série de négociations. Il faut trouver des moyens d'accroître la participation des Africains à
des actions et débats divers, auxquels participent le Nord comme le Sud. Par
exemple, les chercheurs africains pourraient fouiller pour trouver plus
d'informations qui pourraient accélérer ou retarder la qualification pour
l'annulation de la dette. Ils pourront aussi apporter des preuves concluantes
sur la manière dont l'allégement de la dette est utilisé, eu égard aux préoccupations liées à la réduction de la pauvreté ou aux investissements sectoriels. De telles informations ou preuves peuvent constituer une base pour
travailler en réseaux afin de soutenir les changements à l'échelle continentale. A cet égard, il faut dire qu'aucun des problèmes précédemment évoqués - annulation de la dette, mise en œuvre effective des accords OMCADPIC ou risques liés à une nouvelle série de négociations - ne pourra être
résolu de manière positive si les pays africains négocient individuellement.
Ils doivent agir de concert. Par le maillage et le maintien de la pression, ils
peuvent, par exemple, réussir à promouvoir des investissements communs
privés dans le domaine pharmaceutique, l'industrie mécanique ou de
l'équipement, dans le cadre de ces accords OMC-ADPIC, à condition que
les conflits soient résolus à leur avantage. Pour parler de la situation
particulière des pays africains de la zone CFA, il avait été stipulé qu'après
la dévaluation de la monnaie en janvier 1994, ces pays devaient envisager
la possibilité de fabriquer localement certains produits génériques. Il reste
à voir combien de pays, pris individuellement, ont pu y parvenir. Peut-être
que les échecs pourraient s'expliquer en partie par le fait que les grandes
sociétés du Nord s'opposent à la concession de droits de propriété dans le
cadre des accords OMC-ADPIC. Contrairement à ce que BROWN (1995 :
A LA RECHERCHE D'UNE ALTERNATIVE
233
356) suggère, dans certaines circonstances, défier les grandes sociétés ne
sera pas chose facile.
Enfin, les problèmes liés à la marginalisation à laquelle sont confrontés
les pays africains sont, comme nous l'avons dit dans l'introduction, nombreux et très complexes. La présente contribution n'a mis en lumière que
quelques aspects de ces problèmes, en se focalisant sur les discours et initiatives récents y afférents. Pour une étude exhaustive, il faudrait plus qu'un
très long ouvrage.
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234
REPENSER BRETION WOODS
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QUATRIÈME PARTIE
RÉFORMER BRETTON WOODS
POUR L'AFRIQUE
Il
Le FMI doit-il devenir le prêteur en
dernier ressort international ?
Chicot EBOUÉ
La récurrence, la virulence et le caractère global des crises financières et
bancaires marquent, depuis le début des années 1980, l'évolution de la
finance internationale l . Ainsi, la mondialisation révèle-t-elle aujourd'hui
une nouvelle caractéristique désormais évidente venant s'ajouter aux deux
précédentes déjà bien connues. A la mondialisation consécutive à la
déréglementation des processus de production et des échanges réels, dont le
rythme d'évolution est certes moins rapide que la mondialisation résultant
de la désegmentation et du décloisonnement des marchés de capitaux,
s'ajoute désormais la globalisation des marchés volatils et des crises contagieuses, sur fond d'aléa de moralité exercé par les débiteurs privés et notamment bancaires au détriment de leurs créanciers, qu'ils soient privés (fonds
de pensions) ou publics (banques centrales et organismes de supervision).
Ainsi, l'hypothèse de« l'assomption du change» soutenue par Henri Bourguinat il y a quelques années 2, à savoir l'idée que la finance internationale
s'est autonomisée, le marché des changes n'étant plus simplement le reflet de
l'équilibre des transactions courantes au sens privilégié par le modèle Mundell-Fleming, semble aujourd'hui bien dépassée. On devrait davantage parler
de l'assomption du risque ou de l'assomption de l'incertitude, tant la caractéristique majeure des économies contemporaines est que les performances
économiques et financières sont rapidement réversibles, dès lors qu'elles
comportent une composante stochastique initialement imprévue.
L'agenda de la finance internationale et plus généralement de la politique
économique est, par conséquent, actuellement dominé par la mise en place
des moyens de freiner cette assomption du risque.
1. C. Eboue. « L'évolution des risques bancaires dans le monde », Lomé, Club des dirigeants des Banques d'Afrique francophone, mars 1999, miméo, 28 pages.
2. Henri Bourguinat, Finance internationale, Paris, Presses universitaires de France,
1992, 1re édition, introduction, p. 20.
238
REPENSER BRETION WOODS
Dans les pays émergents, l'urgence est à l'amélioration du contenu des
politiques économiques, à la consolidation des systèmes bancaires et financiers, au gouvernement des entreprises et à la gestion des flux spéculatifs,
de façon à réduire la taille du financement adossé à des actifs très risqués et
liés au cycle des actifs spéculatifs.
- Dans les pays industrialisés dont proviennent pour l'essentielles mouvements de capitaux, il s'agit désormais d'affiner l'information sur l'activité
des investisseurs institutionnels internationaux, tout en tentant de soumettre
ces derniers à un meilleur contrôle. Par ailleurs, partant du constat des interdépendances entre pays émergents et pays industrialisés, les banques centrales des grands pays tentent de stabiliser leurs propres économies, ce qui
favorise a priori la stabilisation de l'ensemble de l'économie mondiale.
- Quant aux organisations financières internationales, il leur est demandé
d'accroître le degré de supervision des marchés de capitaux et notamment
spéculatifs, d'encourager l'adoption de standards bancaires et financiers
internationaux, d'améliorer la qualité de l'information destinée aux marchés, de modifier significativement leurs procédures de prêts dont notamment les règles de conditionnalité. De sorte que leurs politiques puissent
entraîner une meilleure efficacité dans la gestion des marchés internationaux de capitaux, et d'un ratio de sacrifice moins élevé, en termes de pertes
de croissance et de surplus de pauvreté, là où des programmes de stabilisation et d'ajustement structurel sont mis en place.
- Enfin, la proposition ancienne de James Tobin - évoquée pour la première fois en 1978 devant la Cowles Commission3 , et consistant à « jeter du
sable dans les rouages trop bien graissés de la finance internationale », en
établissant une taxe sur les opérations de change en vue de réduire l'intensité de la substitution des monnaies, et par conséquent les déplacements
intempestifs et déstabilisants des capitaux - est à nouveau aujourd'hui
abondamment reprise.
Cette résurgence dix ans plus tard d'une idée ancienne, dont on a pu par
ailleurs établir facilement les vertus stabilisatrices limitées, notamment en
matière d'arbitrages en changes non couverts, tant la possibilité paraissait
aléatoire pour les gouvernements, de devoir ajuster en permanence le taux
de taxation pour affecter les anticipations de change4 , montre simplement à
l'évidence, que l'urgence de reprendre le contrôle des mouvements de capitaux est encore plus grande aujourd'hui qu'il y a une vingtaine d'années.
L'idée générale sous-tendant ces propositions de réformes est, selon Stanley Fischer5 (1999), que les marchés financiers internationaux devraient fonctionner aussi convenablement que les marchés domestiques. Cette hypothèse
soutenue par de nombreux auteurs favorables à la réforme, les conduit à situer
3. James Tobin, «A proposaI for international monetary reforrn », Eastern Economie
Journal, n° 3-4 juillet/octobre 1978, repris dans l'ouvrage du même auteur Essays in Economie Theory and Poliey, Cambridge: MIT Press.
4. Henri Bourguinat, op. cit, pp. 518-521.
5. Stanley Fischer, « On the need for an internationallender of last resort », conférence
prononcée au déjeuner offert par la American Academie Association et la American Finance
Association à New York. FMI, le 3 janvier 1999, p. 1.
LE FMI DOIT-IL DEVENIR LE PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT
239
en première ligne les organisations de Bretton Woods, dont on attend une plus
grande efficacité dans la prévention et la gestion des crises financières, la limitation de leur ampleur en termes de volatilité des cours et des marchés sousjacents, comme de leur degré de contagion à l'échelle mondiale.
En clair, dans leur configuration actuelle, les organisations de Bretton
Woods et en particulier le Fonds monétaire international ne constitueraient
pas le prêteur en dernier ressort international adapté au fonctionnement
actuel de l'économie mondiale.
Mais qu'est-ce donc qu'un prêteur en dernier ressort et à quoi doit-il servir?
La théorie traditionnelle du prêteur en dernier ressort remonte au XIX e
siècle, avec Bagehot en 1873 ou même encore avec Thornton6 (1802).
Cette théorie nous enseigne qu'un prêteur en dernier ressort doit assurer
de façon délibérée, pour de très courtes périodes, des volumes importants
de liquidité à des taux d'intérêt incluant une prime de pénalité, et ce en
contrepartie de garanties suffisamment bonnes. Pour une banque centrale,
le rôle de prêteur en dernier ressort consiste à prévenir et àjuguler des crises financières, crises s'accompagnant généralement d'une faillite effective ou potentielle du système bancaire. En effet, les crises financières ou
bancaires, dont un des symptômes est la course aux dépôts, ainsi que les
paniques boursières, sont à l'origine d'une perte de confiance généralisée
dans le système financier, en raison de pertes de richesse. Ce d'autant que
le système de crédit ou de financement est fondé sur des anticipations
croisées de différents opérateurs sur la couverture respective par chacun
des acteurs du système des risques de contrepartie. Lorsque ces anticipations s'inversent et que les risques de contrepartie ne sont plus couverts,
on assiste alors à une contagion dans les ruptures de contrats ou dans les
liquidations d'actifs.
Dans ces conditions, au niveau domestique, la banque centrale est alors le
prêteur en dernier ressort par excellence, car selon Allan Meltzer7 (1986),
elle est seule en mesure de prêter des volumes suffisants de liquidité, aucun
autre agent n'étant ni capable ni disposé à le faire en vue de prévenir ou de
juguler une panique financière.
De nombreux auteurs souhaitent que le Fonds monétaire international
devienne rapidement un prêteur en dernier ressort international au même
titre qu'une banque centrale au niveau domestique. C'est le sens de la proposition de Martin Feldstein dans le Wall Street Journal début octobre 1998.
Or à ce titre, plusieurs questions apparaissent. L'une d'entre elles est
posée par The Economisf> : les gouvernements seront-ils disposés à aug6. Walter Bagehot, Lombard Street, A Description ofthe Money Market, London, William
Clowes and Sons, 1873 ; Henry Thomton, An Enquiry into The Nature and Effects of The
Paper Credit ofGreat Britain, 1802 ; réédité par Friedrich Hayek: Augustus M. Kelley, 1978.
7. Allan Meltzer, «Financial failures and financial policies », in G.G Kaufman & R.C.
Kormendi (dir.), Deregulating Financial Services: Public Policy in Flux, Cambridge
Mass., Ballinger, 1986.
8. Il s'agit du numéro de la semaine du 12 octobre 1998 cité par Shailendra Anjaria, « Is
the IMF entering a new era ? », conférence du directeur du département des relations extérieures à la Society of Govemment Econornists, Washington, 14 octobre 1998.
240
REPENSER BRETION WOODS
menter significativement les ressources du Fonds compatibles avec l'exercice d'une fonction de prêteur en dernier ressort? Au niveau international,
a-t-on à l'heure actuelle mis en place ou est-on prêt à créer l'infrastructure
juridique ainsi que les règles et les procédures de financement et de supervision permettant au FMI de fonctionner comme une banque centrale
mondiale? Par ailleurs, entre la thérapie de choc consistant en un changement radical des statuts des organisations de Bretton Woods et une approche graduelle sous la forme d'améliorations significatives, impliquant
cependant une plus grande coopération internationale que celle observée
jusqu'ici, que faut-il choisir?
Afin de répondre à ces questions, nous admettons deux hypothèses de
travail :
- en premier lieu, l'assomption du risque rend nécessaire l'émergence
d'un nouveau prêteur en dernier ressort ;
- en deuxième lieu, l'objectif de stabilité fonde aujourd'hui plus que
jamais l'efficacité d'un nouveau prêteur en dernier ressort.
L'assomption du risque et la nécessité d'un nouveau prêteur en
dernier ressort
L'assomption du risque a pour cause principale la montée du risque systémique, en régime de mobilité accélérée des capitaux et de libéralisation
financière. Ces deux facteurs accentuent la volatilité des marchés et la
contagion de l'instabilité d'un marché à l'autre (A). Ceci fait apparaître que
la stabilité monétaire est plus que jamais un bien public domestique fondant
d'abord l'action du prêteur en dernier ressort au niveau domestique, puis au
niveau international.
La montée du risque systémique et l'effet de contagion
Deux éléments expliquent la montée du risque:
- d'un côté, l'accroissement de la volatilité des marchés financiers;
- de l'autre, la contagion de l'instabilité d'un marché à un autre.
A) L'ACCROISSEMENT DE LA VOLATILITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
La volatilité des marchés financiers apparaît ci-après aussi bien en termes
de flux qu'en termes de spreads de taux.
Fischer (1998) reproduit les trois graphigues suivants, relatifs aux pays
émergents. Il est évident que, quel que soit le support des placements
d'épargne, on assiste à une volatilité des flux de financement aussi bien
d'un trimestre à l'autre, que d'une année à l'autre sur la période 1994 à
1998. Cette volatilité apparaît également lorsqu'on examine les spreads de
taux, au Mexique, en Bulgarie et en Pologne. L'élargissement des spreads
est net depuis le milieu de l'année 1997.
Cette analyse est prolongée ici avec l'examen des indices des cours boursiers.
LE FMI DOIT-IL DEVENIR LE PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT
241
Le choix des pays émergents d'Asie est à ce titre riche d'enseignements.
On a pu observer une volatilité croissante des marchés financiers, avec des
flux et reflux de capitaux flottants. La prise en compte de l'évolution des
indices boursiers fait apparaître une tendance commune à la baisse, marquée par de fortes fluctuations sur l'ensemble de la période juillet 1997 à
novembre 19989 . Partant de la date du 2 juillet 1997, au cours de laquelle la
Tha't1ande renonce au rattachement du bath vis-à-vis du dollar des ÉtatsUnis, le bath perdant alors 20% de sa valeur, nous procédons à l'examen de
la volatilité des retums, définis ici à partir des différentiels des logarithmes
népériens des indices. Al'évidence pour les huit pays asiatiques de l'échantillon (Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour, Indonésie, Malaisie, Taiwan,
Philippines, la Thailande), la volatilité est plus forte après le 2 juillet 1997
par rapport à la période allant de début janvier 1996 au 2 juillet 1997. Les
écarts types et les coefficients de variation confirment ce diagnostic, et ce
pour tous les pays, ainsi que le montre le tableau suivant.
Philippines
HongKong
1.3%
1.7%
1.1%
3.11%
2.45%
11%
-0.04%
0.02%
0.11%
-0.17%
-0.14%
-0.1%
-0.64%
41.26
9.85
32.82
51.14
10.34
17.39
17.29
22.22
25.51
17.1
Thaïlande
Malaisie
Indonésie
-av.2nt97
1.5%
0.85%
0.89%
-ap.2nt97
2.79%
3.61%
2.99%
Moy.
av.2nt97
-0.23%
0.02%
0.09%
Moy.
ap.2nt97
-0.1%
-0.21%
Coeffvar*
aV.2nt97
6.59
Coeffvar*
ap.2nt97
27.51
PAYS
Corée
* Valeurs absolues.
Les écarts types sont multipliés par 3 pour la Malaisie, par 2,5 pour la
Corée, et par 10 pour Hong-Kong. Les coefficients de variation sont 2 à
4 fois plus élevés après le 2 juillet 1997 qu'avant, respectivement pour
Hong-Kong, l'Indonésie et la Thailande. Pour les autres pays, les retums
baissent plus fortement en Malaisie, Indonésie et Corée, produisant des
coefficients de variation moins élevés.
On peut à présent en déduire la mesure de l'effet de contagion des
marchés.
B) LA MESURE DE L'EFFET DE CONTAGION DES MARCHÉS
Il Ya contagion des marchés, s'il est possible de mettre en évidence une
rupture de comportement des marchés boursiers. Car à l'évidence, considérant la période pré-crise et post-crise, deux hypothèses sont admissibles.
9. Jean-Noël Ory, «Le comportement des places financières asiatiques avant et après la
crise: co-intégration, contagion et globalisation des marchés », document ronéo, CERFGREFIGE, Université de Nancy 2, 1999.
242
REPENSER BRETfON WOODS
- La première est que les marchés suivaient déjà une tendance commune:
dans ce cas l'évolution consécutive à la crise est prévisible. La contagion a
posteriori est évidente.
- La seconde est qu'avant le déclenchement de la crise, aucune évolution
n'existe, alors qu'une évolution parallèle existe après. Ceci est la preuve
que les marchés ont été affectés par la crise. De ce fait les comportements
de mimétisme ont pu se développer d'un marché à l'autre, les retraits de
fonds conduisant « à une sorte de loi du prix unique à rebours ».
Ces deux hypothèses sont ci-après testées par la méthode de la co-intégration des séries temporelles. L'échantillon retenu porte sur les indicateurs
de marché boursier, à savoir ici des indices servant de référence dans
chaque pays. Il s'agit de Bangkok Set pour la Thailande, Kuala Lumpur
Composite pour la Malaisie, Manilla Composite pour les Philippines,
Jakarta Composite pour l'Indonésie, Kospi pour la Corée du Sud, HongKong Seng pour Hong-Kong, Taïwan Weighted pour Taïwan, Singapore
Straits Times pour Singapour.
Le choix de repérer le début de la crise au 2 juillet a été motivé par l' identification d'une concentration d'événements autour de cette date. Certes
avant le 2 juillet 1997, des signes annonciateurs de crise apparaissent. En
Corée du Sud par exemple, le conglomérat Hambo Steel s'effondre, inaugurant toute une série de faillites. Le 27 juin, c'est la plus importante société
thailandaise - Finance One - qui s'effondre. Le bath thailandais est déjà
attaqué en mai, ce qui va contraindre la Banque centrale des Philippines à
relever de 1,75 % de points son taux de l'argent aujour le jour (ORY, 1999).
Mais la concentration du retournement de tendance est plus nette à partir du
2 juillet. La Malaisie abandonne la défense du ringgit dès le 4 juillet, les
Philippines laissant flotter le peso dès le Il, alors qu'il était jusque-là
arrimé au dollar des États-Unis.
La méthode utilisée consiste à identifier une relation de co-intégration
entre les returns sous-jacents à ces différents indices boursiers, sur la
période pré-crise - allant du 1er janvier 1996 au 1er juillet 1997 - et la
période post-crise, allant du 2 juillet 1997 au 30 novembre 1998.
Nous partons de l'hypothèse suivante.
(1)
rti =
al *rtj
+
Et
(1) décrit une relation entre les retums des variables. Examiner la cointégration entre indices boursiers du pays (i) et du pays (j), revient après
stationnarisation des séries pour repérer l'absence d'une racine unitaire, à
conclure qu'un modèle du type (2) est identifiable.
(2)
&-ti
=
oc* &-tj
+
~ rti - À. +
E2t
(2) est l'adaptation d'un modèle à correction d'erreur à la méthode de
Johansen, qui permet d'identifier des relations de co-intégration dans un
modèle multivarié, tout en évitant le biais lié au diagnostic d'une relation
co-intégrante attaché aux tests de DF (Dickey-Fuller) ou d'ADF (DickeyFuller augmenté).
LE FMI DOIT-IL DEVENIR LE PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT
243
Le test est donc appliqué en utilisant les différences premières des retums
de Hong-Kong, Corée du Sud, Singapour, Taïwan, Malaisie, Philippines,
Thai1ande, Indonésie, différences premières rendues stationnaires.
On obtient au moins une relation de co-intégration pour la période postcrise allant du 3 juillet 1997 au 30 novembre 1998, alors qu'elle n'existe pas
avant la période précédant le 2 juillet 1997. Les valeurs des tests (lambdamax) et de la trace le confirment aux seuils habituels de probabilités,
puisqu'elles sont toutes largement supérieures aux valeurs critiques pour la
probabilité d'absence de relation co-intégrante. On a en effet:
Â..-max : 65.2550.2125.5220.5114.37 12.51 2.27 1.95
trace: 1.954.2216.7431.1251.6377.16127.37 192.65
Les valeurs de lambda-max se lisent de gauche à droite, alors que celles
de la trace se lisent de droite à gauche. Elles sont toutes significatives à 5 %
et 10% d'erreur. Le modèle (2) de ce fait donne lieu aux coefficients (oc) et
(~) suivants.
Hong-Kong; Corée; Singapour; Taïwan; Malaisie; Philippines;
Thailande, Indonésie.
oc:: - 0.036 ; - 0.009 ; - 0.003 ; - 0.026; - 0.031 ; - 0.005 ; - 0.046 ;
-0.002
p: 1000 ; - 1727 ; - 0.491 ; - 0.336 ; 0.137 ; 0.486 ; 0.968 ; 0.340
Les coefficients (~) normalisés montrent que les taux de rendement de
Hong-Kong sont à long terme (10 jours) négativement corrélés à ceux de la
Corée du Sud, de Singapour et de Taïwan, et positivement corrélés à ceux
de la Malaisie, des Philippines, de la Thailande et de l'Indonésie. Il y a donc
bien une contagion allant des marchés avancés des NPI (Hong-Kong) aux
marchés moins avancés. En revanche, cette contagion ne semble pas nette
entre les marchés financiers émergents avancés eux-mêmes, la corrélation
négative signifiant que ceci favorise plutôt une diversification des portefeuilles des investisseurs. Il convient toutefois de limiter la portée de cette
conclusion, les tests étant apparemment très sensibles à l'ordre des retards.
En conséquence, la forte volatilité des marchés boursiers et la contagion
des crises des marchés émergents avancés vers les marchés moins avancés,
expliquent l'accroissement du risque consécutif à la globalisation financière. Le fondement premier du prêteur en dernier ressort est donc le regain
de stabilité monétaire et financière (B).
La stabilité monétaire ou le fondement premier du prêteur en dernier
ressort
La stabilité monétaire et plus généralement financière requiert au niveau
domestique l'action d'un prêteur en dernier ressort. L'efficacité de cette action
dépend cependant de l'ampleur de la contagion et du jeu de l'aléa de moralité.
244
REPENSER BRETTON WOODS
A) STABILITÉ DU SYSTÈME MONÉTAIRE DOMESTIQUE ET PRÊTEUR EN
DERNIER RESSORT
L'analyse traditionnelle du prêteur en dernier ressort fait l'objet d'un
approfondissement contemporain. Une importante littérature est née depuis
le début des années 1980, parallèlement à l'apparition des crises financières
récurrentes. Stanley Fischer (1999) en donne un bref aperçu, dont les principaux contributeurs sont: Kindleberger (1978), Solow (1982), Mundell
(1983), Meltzer (1986, op. ciro et 1988), Schwartz (1988), et plus récemment, Garcia et Plautz (1988), Goodhart (1995) ou Goodhart et Huang
(1999)10. Deux axes principaux marquent cette évolution de la littérature.
- En premier lieu, en ce qui concerne les conditions suffisantes d'un prêteur en dernier ressort.
Meltzer (1986) énonce six conditions reprenant les quatre critères principalement retenus par Bagehot (1873), pour justifier l'émergence d'un prêteur en dernier ressort.
1° La Banque centrale est le seul prêteur en dernier ressort dans un système monétaire unifié.
2° La prévention de l'illiquidité ou de la faillite de nombreuses banques
implique, de la part de la Banque centrale, d'allouer des prêts en contrepartie d'actifs pris en garantie qui soient négociables sur le marché. Il en
résulte que même en période nonnale, en l'absence de toute crise financière, la Banque centrale ne doit pas limiter son financement aux interventions sur le marché monétaire.
3° Les prêts ou les avances de la Banque centrale doivent être détenninés
par la demande, consister en des volumes importants, à des taux d'intérêt
supérieurs aux taux du marché monétaire, de façon à réduire la demande de
refinancement de la part des agents susceptibles de lever des financements
sur le marché.
4 ° Ces différents critères doivent être annoncés à l'avance et respectés en
période de crise.
5° Enfin, les banques ou les institutions financières insolvables doivent
être vendues au prix du marché, et liquidées le cas échéant, en l'absence de
toute offre publique d'achat. Dans ce cas, les pertes doivent être supportées
10. Charles Kindleberger, Manias, Panics and Crashes: A History of Financial Crises,
New York, Basic Books, 1975; Robert Solow, «On the lender of last resort », in
C. Kindleberger & J-P. Laffargue, Financial Crises: Theory, History and Policy, Cambridge, Cambridge University Press, 1982; Robert Mundell, «International monetary
options », Cato Journal, vol. 3 n° l, 1983, pp. 189-210; Allan Meitzer, «What's wrong
with IMF ? What would be better ? », conférence: Asia, An Analysis of Financial Crisis,
Federal Bank of Chicago 8-10 octobre 1988 ; Anna Schwartz, « Financial stability and the
federal safety net », in Haraf & G. Kushmeider (eds), Restructuring Banking and Financial
Services in America, Washington, American Enterprise Institute for Public Policy
Research, 1988 ; Gillian Garcia & Elisabeth Plautz, The Federal Reserve: Lender of Last
Resort, Cambridge Mass., Ballinger, 1998 ; Charles Goodhart, The Central Bank and The
Financial System, Cambridge, MIT Press, 1995 ; Charles Goodhart & Haizou Huang, «A
model of the last resort », FMI, document de travail, WP/99/39, 1999. De toute évidence,
cette liste n'est pas exhaustive, mais on y trouve le traitement des crises financières domestiques et internationales, ainsi que le rôle des Banques centrales ou du FMI respectivement.
LE FMI DOIT-IL DEVENIR LE PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT
245
par toutes les parties en présence: les actionnaires, les obligataires, les
créanciers, les déposants non assurés et les compagnies d'assurances
comme dans toute faillite d'entreprise suivie d'une liquidation.
6° Le sixième critère, à savoir que la Banque centrale doit davantage prêter au marché qu'à des institutions individuelles, est une extension de la
définition de Thornton (1802) reprise plus tard par Humphrey (1975), selon
laquelle le rôle du préteur en dernier ressort est de prévenir des chocs à la
baisse de l'offre de monnaie induits par une panique financière. De sorte que
le contrôle monétaire ne se distingue pas vraiment de la fonction de prêteur
en dernier ressort.
Les faits et la théorie contemporaine permettent de revenir sur ces six
critères, sans pour autant nier l'utilité d'un prêteur en dernier ressort,
mais en atténuant de façon considérable la prééminence accordée généralement à la Banque centrale depuis Bagehot, pour assurer la fonction
de prêteur en dernier ressort par excellence (Fischer, 1999, op. cit., pp. 36). Plus fondamentalement, un débat oppose ceux qui sont partisans du
marché et ceux qui sont favorables à une intervention stabilisante. Les
premiers pensent que la régulation des crises financières peut se faire par
le marché ou d'autres institutions, la Banque centrale n'ayant pas un
meilleur avantage que le marché sur la situation des banques illiquides ou
insolvables, comme des institutions financières en faillite. Les seconds
croient à la nécessité d'interventions stabilisantes optimales, pour maintenir la viabilité du système de paiements (Goodhart, 1985 ; Goodhart et
Huang, 1999).
- Ainsi pour les premiers (Fischer, 1999, pp. 2-6), ni l'histoire financière ni la théorie économique n'ont jamais consacré la Banque centrale
comme le prêteur en dernier ressort par excellence. En théorie, on peut
distinguer la fonction de prêteur en temps de crise, et la fonction de régulateur de crise. Ces fonctions sont dans de nombreux systèmes monétaires assurées par la Banque centrale, alors qu'il n'y a aucune exclusive à
cela. Le Trésor public ou même certaines institutions privées - chambres
de compensation - peuvent assurer l'une ou l'autre des deux fonctions.
Le prêteur en temps de crise apporte la liquidité nécessaire à la prévention de la crise. Le régulateur de crise, quant à lui, gère la crise sans
nécessairement apporter des liquidités supplémentaires. Il coordonne les
mesures de sauvegarde, en organisant le cas échéant une syndication en
vue d'étendre vers les institutions les plus porteuses de défauts de paiements généralisés, les prêts levés sur le marché ou en dehors du marché.
Dans l'histoire récente des banques publiques d'Afrique francophone,
comme dans celle du Crédit lyonnais en France, lafonction de prêteur en
dernier ressort a été exercée par l'État, qui a souvent pris en charge les
pertes, et apporté l'argent frais nécessaire au redressement des établissements. Même lorsque les actionnaires sont privés, il se peut à
nouveau que le Trésor public joue un rôle pour éviter la faillite généralisée de l'ensemble du système. En clair, dès lors que l'on distingue,
d'une part, la fonction de supervision du système bancaire et du système
financier et, d'autre part, la fonction de contrôle monétaire (cas africain
246
REPENSER BRETION WOODS
avec la création depuis 1992-1993 des commissions bancaires à côté des
Banques centrales en UEMOA et BEAC), la prééminence de la Banque
centrale en tant que prêteur en dernier ressort est affaiblie.
- Ensuite, prêter des liquidités abondantes pour juguler une panique
financière, via ou en dehors du marché monétaire, implique la création de
base monétaire. Or souvent, les paniques bancaires caractérisées par des
courses aux dépôts reflètent une perte de confiance dans certaines institutions au profit d'autres. Il n'est donc pas nécessaire d'accroître la liquidité
en circulation, puisque le problème se situe au niveau des substitutions
d'actifs bancaires (Kaufman, 1988 ; Schwartz, 1988). Il s'agit plutôt de
transférer les liquidités excédentaires des banques très liquides vers les
banques désormais illiquides, voire insolvables. Cette action peut être
envisagée par le marché monétaire lui-même, à condition qu'il dispose
d'indicateurs fiables pour distinguer les deux catégories d'opérateurs. Or
en période de crise financière, il devient difficile de distinguer l'insolvabilité de l'illiquidité. C'est ce qui justifie que la fonction de prêteur en dernier ressort incombe souvent à la Banque centrale. Pourtant là encore, une
agence dotée de moyens de contrôle, et surtout de ressources suffisantes
pour amortir les coûts de la crise, est aussi à même de gérer ce type de
crise. Tout dépend d'ailleurs de la qualité de la gestion de la crise: il se
peut que le prêteur en dernier ressort joue plutôt le rôle de coordination.
Goodhart (1995) rappelle que parmi les 120 programmes de sauvegarde
des banques étudiés sur la période 1973-1993 dans les pays de l'OCDE,
les apports de liquidités ont été le fait du Trésor public et des compagnies
d'assurances de dépôts, la Banque centrale ne disposant pas de ressources
suffisantes.
Par ailleurs, la création de base monétaire est possible en changes flottants, mais difficile en changes fixes, compte tenu de la contrainte extérieure. En pratique par exemple, on aura pu vérifier qu'en changes fixes, ce
sont des opérateurs privés et publics qui auront souvent constitué le prêteur
en dernier ressort des économies africaines, face aux chocs sur les termes
de l'échange. Ce fut pendant les années 1970 - début 1980, période de forte
croissance, le rôle assigné aux caisses de stabilisation des produits de base.
- Le troisième critère porte sur la prise en contrepartie de refinancement d'actifs sûrs en temps normal. Ce critère est déterminant en effet à
l'efficacité de l'action du prêteur en dernier ressort, qui souhaite éviter à
l'économie nationale une trajectoire d'équilibre vicieux auto-réalisateur.
En effet, en imposant de bonnes garanties en temps normal, ceci permet
d'éviter une prise de risques excessifs de la part des emprunteurs, qui
pourraient faire jouer un certain aléa de moralité, dont la conséquence est
de renforcer le défaut de paiement et la panique financière généralisée. Le
rôle du prêteur en dernier ressort est donc de mener une politique restaurant la confiance dans les paiements, en maintenant une trajectoire d'équilibre vertueux, sans pour autant préjuger de la solvabilité des emprunteurs
demandant du refinancement. Les bonnes garanties en temps normal servent de critère de solvabilité.
LE FMI DOIT-IL DEVENIR LE PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT
247
- A cela, la prime exigée des emprunteurs, au-delà du taux du marché,
est un élément garantissant la sécurité des refinancements. Une telle prime
empêche les opérateurs liquides de venir rechercher des refinancements à
moindre coût, ce qui à nouveau peut les conduire à des prises de risque
excessifs. Cette prime doit s'appliquer aux taux pratiqués en temps normal.
- Les deux derniers critères, à savoir prêter au marché plutôt qu'à des
institutions, ou annoncer à l'avance l'existence et les règles de fonctionnement d'un prêteur en dernier ressort sont plus discutés aujourd'hui, compte
tenu d'une meilleure connaissance de la façon dont les agents exercent un
aléa de moralité sur leurs co-contractants. Ainsi, par exemple, le fait d'afficher les règles ressortit à l'idée que cela empêcherait les agents de prendre
des risques excessifs, de la même façon que l'existence des compagnies
d'assurances assurant les dépôts réduit les courses aux dépôts. Pourtant
justement, un point de vue inverse prévaut désormais selon lequel une
incertitude plus grande des emprunteurs face aux possibilités de refinancement les forcerait plus facilement à réduire la taille des risques de leurs
portefeuilles. Ainsi l'ambiguïté constructive est plus efficiente que le
préannoncement des règles fixes. Tout ceci éclaire l'affaiblissement de la
théorie du prêteur en dernier ressort face à l'aléa de moralité.
- En second lieu, en ce qui concerne l'aléa de moralité:
• rappelons que l'aléa de moralité désigne la non-observabilité des états
de la nature (contingences) requérant pourtant une information préalable à la signature de contrats optimaux. La notion d'aléa de moralité
comportant a priori et implicitement un jugement de valeur, on lui préfère souvent la notion « de comportements discrétionnaires à information limitée », lesquels sont étudiés par les modèles à information
incomplète, voire imparfaite. La sélection adverse est un exemple de ce
type de comportement, elle consiste à intervenir dans la signature d'un
contrat sur fond de connaissance cachée sur son propre comportement
quant au respect des clauses du contrat.
En matière financière, l'aléa de moralité intervient lorsque le management des institutions financières ou les investisseurs institutionnels croient
pouvoir bénéficier de prêts ou d'avances du prêteur en dernier ressort,
consécutivement à une crise financière. Le prêteur en dernier ressort est de
ce fait souvent démuni pour faire la distinction entre les causes d'une crise
liée à un comportement « normalement risqué» des opérateurs financiers,
par opposition à un comportement « anormalement risqué », faisant jouer
l'aléa de moralité.
La lutte contre l'aléa de moralité par un prêteur en dernier ressort repose
principalement sur une réglementation prudentielle, ainsi que l'existence
préalable de l'assurance des dépôts des agents. Malgré des systèmes de
contrôle interne de la part des banques et des mécanismes de supervision
des opérations de marché, il est désormais acquis que le contrôle public de
l'activité des institutions financières est un moyen de limiter des paniques
financières. Ce contrôle public n'est pas toujours suffisant: il doit bien
entendu s'accompagner d'un monitoring des opérations les plus sophistiquées des investisseurs institutionnels, l'assurance des dépôts ne jouant
248
REPENSER BREITON WOODS
pas toujours de façon dissuasive lorsque les grandes unités sont en banqueroute ll . Ceci implique notamment que le prêteur en dernier ressort
adopte une réglementation faisant porter les coûts de la banqueroute aux
unités qui la subissent, lorsque les erreurs de gestion ou de stratégie relèvent de leur responsabilité l2 .
Toutefois, les instruments de réglementation prudentielle ne sont pas
toujours efficaces, car toutes les crises financières ne sont pas dues au jeu de
l'aléa de moralité. Certaines ont pour origine de graves erreurs de gestion
stratégique, des anticipations de rentabilité excessivement optimistes I3 .
C'est pourquoi, un prêteur en dernier ressort doit au mieux adopter un
comportement transparent, en annonçant les règles qu'il suivra en cas de
crise systémique, soit en tant que prêteur soit en tant que régulateur, le type
de garanties éligibles au refinancement, tout en fixant un cadre à son champ
d'intervention en vue de stabiliser le secteur privé. L'efficacité de cette
action dépend cependant largement de l'ampleur de la contagion et du jeu
de l'aléa de moralité.
B) L'EFFICACITÉ CONDITIONNÉE DE L'ACTION DU PRÊTEUR EN DERNIER
RESSORT
En théorie, l'efficacité de l'action du prêteur en dernier ressort en matière
de stabilisation est discutée.
Les économistes libéraux, dont notamment Bordo (1990), Kaufman
(1991)14 et Schwartz (1998, op. cit.) affirment que l'apport de liquidité à des
banques individuelles, en substitution aux interventions sur le marché
monétaire, conduit à éloigner la Banque centrale assumant ce rôle de prêteur en dernier ressort de sa fonction principale de contrôle de la masse
monétaire en vue de la stabilité des prix. En cas de panique bancaire, le rôle
de la Banque centrale devrait se limiter à des opérations d'open market, en
vue de réguler la liquidité en monnaie centrale de façon à stabiliser la croissance de la masse monétaire. Le marché monétaire étant suffisamment bien
informé sur la situation des banques illiquides, il autorise une compensation
de leurs débits sur le compartiment interbancaire aux taux du marché, alors
que les banques insolvables sont naturellement évincées du système.
Pourtant, les faits montrent que le marché ne permet pas toujours de couvrir l'illiquidité de certaines unités. Par exemple en 1985, lorsque le système informatique de la Banque de New York a connu des dysfonc11. Cas de la Baring's.
12. D'où le débat sur le renflouement par l'État français du Crédit lyonnais déficitaire
de près de 250 milliards de francs français, au motif que l'apport d'argent frais d'origine
publique fausse la concurrence bancaire en Europe, alors que les établissements bancaires
sont soumis à la liberté d'établissement, et par conséquent aux règles d'un marché unique.
13. Par exemple, la crise financière asiatique est due en grande partie à l'ampleur des
garanties très risquées liées au cycle des actifs spéculatifs, prises par les banques et à l' origine de la croissance des crédits improductifs.
14. Michael Bordo, «The lender of last resort: alternative views on historical
experience », Federal Reserve Bank of Richmond Economie Review, 1990, pp. 18-29;
G.G. Kaufman, « Lender of last resort : a contemporary perspective », Journal of Financial
Services Research, vol. 5 nO 2, 1991, pp. 95-110.
LE FMI DOIT-IL DEVENIR LE PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT
249
tionnements, rejetant les entrées de fonds adossées aux opérations sur titres,
l'ampleur de l' illiquidité de ladite banque est devenue telle, qu'aucune banque correspondante ne pouvait prendre le risque de lui faire un prêt pour
couvrir son illiquidité transitoire. La Réserve fédérale a dû intervenir à la
place du marché. Lors du scandale de la BCCI au début des années 1990, on
a observé un volume croissant de retraits de dépôts des petites banques
dirigées par des Asiatiques, et dont la clientèle était principalement composée de communautés asiatiques en Angleterre. Ces petites banques, pourtant solvables, mais sans grande signature, inconnues sur le marché
monétaire, ont dû résoudre leur problème d'illiquidité transitoire en recourant à la Banque d'Angleterre.
Ces deux exemples non exhaustifs montrent à l'évidence que la stabilisation du système bancaire et financier implique, en dehors de la politique
monétaire générale, une action directe du prêteur en dernier ressort dans la
structuration du système.
C'est justement la supériorité ou non de la politique monétaire à l'open
market, par rapport à l'intervention directe du prêteur en dernier ressort
qu'étudie le modèle récent proposé par Goodhart et Huang (1999). Examinons-en les principales hypothèses avant de considérer les résultats
obtenus.
Les hypothèses principales du modèle de Goodhart et Huang
• L'idée de base de ce modèle est les banqueroutes sont à l'origine d'un
risque systémique supplémentaire dans l'économie. Ce risque supplémentaire réduit l'utilité collective en déplaçant la fonction de perte des
autorités monétaires.
• Ces dernières poursuivent un objectif de masse monétaire fondé sur une
prévision des dépôts des agents. Lorsqu'une banqueroute intervient,
l'élasticité des dépôts comporte deux composantes. Une composante
déterministe directement fonction de la taille de la banque en faillite:
celle-ci est donc mesurable par la Banque centrale. Par contre, il existe
une composante stochastique: en effet, en dehors des retraits effectués
par les déposants, le volume de crédit bancaire peut diminuer à la suite
d'une faillite d'une seule banque importante du marché.
• Par conséquent, l'utilité collective, mesurée ici par une fonction quadratique de perte des autorités, dépend essentiellement de la composante stochastique, c'est-à-dire de sa variance, dans la mesure où la
composante déterministe est parfaitement prévisible de la part des autorités. Au passage, la fonction de perte elle-même est définie par rapport
à la variance des dépôts compte tenu de la part de marché des banques
illiquides et/ou insolvables venant au refinancement. C'est ici qu'intervient l'aléa de moralité.
• Une banque venant au refinancement direct est soumise à l'alternative
suivante: soit le refinancement lui est refusé: dans ce cas on admet
qu'elle a fait faillite; soit le refinancement lui est accordé: dans ce cas
on ne peut a priori dire si elle restera solvable ou pas. En effet, la Banque centrale ne sait pas a priori, si une banque sollicitant son interven-
250
REPENSER BRETION WOODS
tion directe est illiquide mais solvable, ou illiquide et insolvable. Il
existe une probabilité (x) fonction du risque de l'ensemble du système
bancaire (h), que cette banque soit seulement illiquide (S), ou illiquide
et insolvable (R). La Banque centrale connaît cette probabilité (x).
Donc si l'état de la nature (S) '9Jparaît, la Banque centrale ne fait aucune
perte. Dans le cas où c'est l'Etat (R), la Banque centrale en secourant
une banque insolvable, subit une perte, i.e. un coût de transaction, financier lorsque ses avances ne peuvent être entièrement recouvrées, ou en
termes de réputation (soutien à une banque défaillante).
• Les auteurs admettent alors que le coût supporté par la Banque centrale
est lui-même composé en proportion fixe d'un élément réputationnel, et
en proportion variable, fonction de la taille de la banque illiquide et/ou
insolvable à soutenir. Lorsque celle-ci vient au refinancement direct, la
Banque centrale fait face à deux options: soit refuser le refinancement
(lt = 1), soit accepter le refinancement (lt = 0). Le choix de l'option est
déterminant en vue de minimiser le coût total. L'hypothèse cruciale
admise par les auteurs est de considérer que le coût d'une banque faisant faillite (I t = 1) est une fonction qui croît plus vite avec la taille (j)
de la banque que le coût pour secourir une banque (I t = 0).
• Ce modèle est résolu dans un cadre statique à une période, puis dans un
cadre dynamique à deux périodes. Dans ces deux cas, la probabilité (pt)
de faillite d'une banque de taille (j) et la probabilité qu'une banque illiquide et/ou insolvable soit refinancée (x t), sont fonction des actions précédentes de la Banque centrale, lesquelles influencent également les
comportements des banques et des déposants. Dans ces conditions, on
distingue trois cas dans la version dynamique du modèle.
• La contagion se définit comme la dépendance positive de l'occurrence
probable d'une faillite future (Pt +1) vis-à-vis du coût subi à refinancer
une banque ayant fait précédemment faillite (lt) et sa taille sur le marché
(jt). En clair, les faillites deviennent auto-réalisatrices d'une période à
l'autre. L'aléa de moralité se définit en supposant constante la probabilité de faillite après le refinancement (Pt = p) ; par contre, la probabilité
de refinancer l'insolvabilité d'une banque à la période future (x t + 1)
demeure variable, mais est une fonction positive de (1 - I t ) et négative
de (I t ). Ceci signifie que les banques ont tendance à réduire le risque
global de leurs portefeuilles (h) en observant des faillites sur le marché,
et à l'augmenter en cas de mesures de sauvegarde prises par le prêteur
en dernier ressort via des apports directs de liquidité. La combinaison
de la contagion et de l'aléa de moralité conduit à faire varier la probabilité de faillite après soutien à des banques insolvables. Le modèle conduit aux résultats suivants.
Les résultats principaux de Goodhart et Huang
• Dans le cadre statique, la Banque centrale ne soutient que des banques
dont la taille est supérieure à un seuil critique donné. Voilà justifiée la
proposition habituelle en théorie des faillites bancaires: « trop grande
pour disparaître» (too big tolai/). Bien entendu, cette taille critique est
LE FMI DOIT-IL DEVENIR LE PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT
251
inconnue des banques, qui pourraient, le cas échéant, modifier en conséquence la structure de leurs risques privilégiés. La Banque centrale est
alors obligée de s'appuyer sur le principe « d'ambiguïté constructive »,
pour rendre incertain son refinancement direct.
• Dans le cadre dynamique, la politique optimale de la Banque centrale
est à la fois fonction de la taille critique, mais aussi des paramètres
variables comme les probabilités d'occurrence de la faillite et de
l'insolvabilité des banques soutenues.
• Lorsque la contagion est considérée, l'incitation à secourir des banques
via le refinancement direct est excessivement élevée, en raison de
l'urgence de secourir les grandes banques: le niveau de risque systémique est alors très élevé à l'équilibre.
• Lorsque l'aléa de moralité est pris en compte, l'incitation à soutenir les
banques défaillantes via le refinancement direct est faible, et relativement indépendante de la taille des banques en difficulté.
• Dans le cas où la contagion est combinée à l'aléa de moralité, l' incitation à secourir les banques en difficulté est plus forte que dans le modèle
statique, mais moins forte que dans le modèle dynamique ne retenant
que l'hypothèse de contagion. La politique optimale luttant contre
l'aléa de moralité est la même que celle suivie dans l'hypothèse où
l'aléa de moralité seul joue.
• En d'autres termes, la fonction de prêteur en dernier ressort est ici justifiée par l'ampleur de la contagion des faillites bancaires et son caractère récurrent dans le temps. L'aléa de moralité, quoique affaiblissant
quelque peu l'ampleur des interventions de la Banque centrale, n'en
détermine pas vraiment la politique optimale.
Conséquences
Ce modèle éclaire donc les propositions favorables d'une intervention
plus énergique des Banques centrales au niveau domestique, et l'appel en
vue de la transformation du Fonds monétaire international en prêteur en
dernier ressort international.
La lutte contre la contagion de la volatilité des marchés requiert donc un
apport direct en liquidités, aussi bien au niveau domestique qu'au niveau
international, ce qui va en contradiction avec le resserrement monétaire
observé dans les pays d'Asie au début de la crise financière. Les critiques de
Tobin, de Stiglitz sur la gestion de la crise financière, indiquant l'incompatibilité de l'objectif de restauration de la confiance, avec des mesures déflationnistes découlant de la hausse des taux d'intérêt, renouvellent l'intérêt
d'un prêteur en dernier ressort en vue d'atteindre l'objectif de stabilisation
du système monétaire international.
252
REPENSER BRETION WOODS
L'objectif de stabilité du SMI et l'efficacité d'un prêteur en
dernier ressort
La stabilité du système monétaire international apparaît désormais
comme un bien public attaché à la globalisation (Carndessus, 1999 15 ). Il est
désormais acquis depuis les turbulences récurrentes des marchés financiers,
que l'interdépendance croissante des économies, et en particulier des économies industrialisées et des pays émergents, rend urgente une coopération
monétaire accrue en vue de stabiliser le système de paiements internationaux. La réforme du système international passe pour certains par la mise
en place d'un véritable prêteur en dernier ressort, alors que pour les dirigeants actuels des organisations de Bretton Woods, l'évolution interne de
ces organisations leur permettra progressivement d'assumer tout ou partie
de cette fonction. Quoi qu'il en soit, pour l'Afrique, un partenariat nouveau
est à définir avec le prêteur en dernier ressort international.
Le rôle d'un prêteur en dernier ressort international
Le rôle d'un prêteur en dernier ressort international apparaît à deux
niveaux.
- D'un côté, face à la mobilité des capitaux et aux crises financières
récurrentes et contagieuses, une telle institution doit pouvoir posséder une
faculté de prêt en période de crise.
- De l'autre côté, il lui incombe d'ordonner l'ensemble des paiements
internationaux.
A) LE RÔLE DE PRÊTEUR EN TEMPS DE CRISE FINANCIÈRE RÉCURRENTE ET
CONTAGIEUSE
La question de l'utilité d'un prêteur en dernier ressort pour faire face à des
crises potentielles ou effectives est ancienne. On se souvient qu'elle a pu
opposer le plan Keynes au plan White, peu avant la mise en place des deux
principales organisations de Bretton Woods 16. Kindleberger (1986) a repris
cette question lors de son analyse de la grande dépression des années 19291931, regrettant qu'il n'y eût pas de prêteur en dernier ressort international,
disposé à prendre en compte les dimensions internationale et globale de la
crise d'alors. A l'époque, seules la Réserve fédérale et la Banque d'Angleterre pouvaient jouer ce rôle.
Poussant donc le parallèle plus loin, on peut, par conséquent, penser que
l'action récente de la Réserve fédérale, lors des crises financières russe et bré15. Michel Carndessus, « International financial and monetary stability : a global public
good ? », IMF Research Conference: Key Issues in Refonn of the IMF and Financial System, Washington D.C, 28 mai 1999.
16. John Maynard Keynes, « A comparative analysis of the british for a clearing Union
(C.U.) and the american project for Stabilization Fund (SF), 1943 », in D. Mogridge (dir.),
The Collected Writings of John Maynard Keynes, London, MacMillan, 1980, vol. xxv.
LE FMI DOIT-IL DEVENIR LE PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT
253
silienne, lui a permis d'exercer la fonction de prêteur en dernier ressort international. En effet en septembre et octobre 1998, la crise de liquidité qui a
frappé les marchés financiers, asséchant toutes les nouvelles émissions en
faveur des marchés émergents, a entraîné au passage l'élargissement des
spreads (écarts) de taux de rendement. Malgré l'absence de répercussions
immédiates sur l'économie américaine, la Réserve fédérale a décidé d' assouplir sa politique monétaire. L'alignement dans l'Euroland et au Japon à cette
politique, c'est-à-dire l'ajustement à des conditions prévalant sur les marchés
financiers globaux par rapport aux conditions monétaires domestiques, a permis d'éviter le renversement de conjoncture et d'engendrer les perspectives
de croissance forte d'aujourd'hui.
Deux points à ce titre méritent donc d'être signalés.
10 Ce qui rend nécessaire une telle organisation internationale, c'est la
volatilité des flux de capitaux et le degré de contagion de cette volatilité.
Comme la première section le démontre, à l'évidence, ce sont là des conditions de panique financière. On peut donc penser qu'une telle organisation,
non seulement peut limiter les effets déflationnistes d'une telle instabilité,
mais peut surtout prévenir l'instabilité même des marchés financiers.
La question est alors de savoir si la mobilité internationale des capitaux
est aujourd'hui compatible avec la stabilité des paiements internationaux.
La Malaisie a mis en place en septembre 1998 des contrôles quantitatifs de
capitaux: interdiction de facilités de crédit entre résidents et non-résidents,
limitation des importations ou des exportations de capitaux domestiques
libellés en ringgit et limitation des exports de devises, rapatriement obligatoire des disponibilités de ringgit détenues en offshore avant le 1er octobre
1998 ; détention de revenus de placements pendant un an avant tout rapatriement à l'étranger, obligation remplacée à partir de février 1999 par un
système d'exit graduel, pénalisant les mouvements de capitaux à court
terme. Ces mesures ont été prises en vue de limiter les sorties de capitaux,
contrôles d'ailleurs prévus dans le cadre du système de Bretton Woods, du
moins tant qu'ils permettaient de limiter les flux d'entrées de capitaux à
court terme.
Le Chili, par contre, a mis en place des réserves obligatoires assises sur les
prêts étrangers, et ce pour une durée d'un an à partir de septembre 1998.
Ensuite, il a étendu ces différentes mesures à tous les types de financements
extérieurs. De sorte que la taxe implicite à ces contrôles est déterminée par
la durée de l'investissement, la taxe implicite étant d'autant plus élevée que
l'investissement est court. On peut cependant penser, à la lecture de la ligne
« erreurs et omissions» de la balance de paiements et des modifications des
devises utilisées en matière de facturation, que l'on a assisté à une certaine
substitution des monnaies.
C'est pourquoi ces différentes mesures ne se sont pas généralisées à de
nombreux pays en développement. En Amérique latine où ces mesures
ont été souvent utilisées dans les années 1980, il apparaît qu'elles sont
aujourd'hui inefficaces, tout en réduisant l'accès aux marchés internationaux des capitaux. De sorte que la question reste ouverte de savoir, si les
contrôles de capitaux doivent être effectués en permanence, ou seulement
254
REPENSER BRETION WOODS
en plein milieu d'une crise financière. Pour certains (Schuknecht 1999 17 ),
les contrôles fondés sur des barrières tarifaires sont préférables à des
contrôles quantitatifs. Ces derniers, comme le prouve l'expérience de la
Malaisie, indiquent l'existence de coûts administratifs, de comportements
de recherche de rente, avec comme inconvénient majeur d'isoler l'économie nationale vis-à-vis des marchés mondiaux. Les taxes appliquées aux
mouvements de capitaux sont des politiques de prix dont la théorie des
politiques commerciales a montré l'efficacité supérieure par rapport aux
autres fonnes de protection.
Quoi qu'il en soit, l'efficacité des instruments de protection vis-à-vis des
mouvements de capitaux dépendra en dernière analyse des réformes mises
en place.
2° Le deuxième point porte sur l'efficacité du FMI à gérer une crise, et à
servir de prêteur en dernier ressort. C'est la grande question des ressources.
On peut observer que compte tenu de la taille de la production mondiale, les
ressources du FMI ont considérablement diminué par rapport à 1945. Pour
le même ratio budget FMI rapporté au PIB des pays membres par rapport à
1945, les ressources du Fonds devraient être trois fois supérieures, et ce
avant que l'accroissement prévu de ses quotas soit réalisé. Par rapport à
1945, l'application des mêmes quotas aurait dû conduire à une multiplication par cinq de ses ressources, et par neuf par rapport au volume actuel du
commerce mondial, soit environ 2 500 milliards de dollars, soit 2,5 trillons
de dollars des États-Unis (Fischer, 1999, p. 10).
Pour certains, il en résulte une faible capacité d'intervention notamment
en période de crise (Kindleberger, 1978). Pour d'autres, dans la mesure où
le FMI peut servir de leader dans une syndication de prêts, renforcés par
ceux d'autres institutions internationales ou de gouvernements (cas brésilien et asiatique), ceci garantit cette capacité de prêt, qui peut d'ailleurs
s'exprimer sous la forme de reconstitution de réserves de change via des
allocations de DTS.
Ceci reste un point de désaccord important, le FMI accusant les pays de
se présenter tardivement à l'éligibilité du mécanisme de financement
exceptionnel, avec l'espoir d'éviter les réformes nécessaires, alors que les
critiques remettent en cause l'incitation du FMI à prêter des ressources
liquides en volume important.
Tout ceci fait peser sur le prêteur en dernier ressort la responsabilité
d'ordonner les paiements internationaux.
B) LA REMISE EN ORDRE DES PAIEMENTS INTERNATIONAUX
Cette remise en ordre devrait s'attaquer à trois types de problèmes.
- En premier lieu, la question du régime de change optimal. Un siècle de
controverses théoriques et empiriques n'a pas permis de résoudre la question du choix du régime de change optimal. Les pays ayant subi récemment
une crise financière sont aussi des pays à monnaie arrimée à une devise forte
17. Ludger Schuknecht, «A trade policy perspective on capital controls », Finance and
Development, vol. 36, n° l, mars 1999, pp. 1-7
LE FMI DOIT-IL DEVENIR LE PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT
255
ou à un panier de monnaies (Thaïlande, Corée, Indonésie, Russie). D'autres
pays ont réussi leur expérience de stabilisation malgré des changes fixes
(Argentine, Hong-Kong), enfin des pays à monnaies flottantes ont sévèrement été atteints par la crise des marchés (Mexique, République sud-africaine, Turquie).
Tout ceci montre que, en réalité, l'histoire inflationniste d'un pays détermine la stabilité de son taux de change réel. La volatilité du taux de change
réel fait aujourd'hui apparaître un nouvel arbitrage, à savoir le choix entre
la volatilité de court terme du taux de change réel en régime de flottement,
par opposition à la probabilité d'une crise financière lorsque le taux de
change est rattaché. La récurrence des crises financières récentes peut donc
faire glisser progressivement vers un choix en faveur du flottement ou des
régimes de bandes-cibles. Néanmoins, la réversibilité des anticipations est
également possible dans ces régimes de taux de change, ce qui signifie que
la présence d'un prêteur en dernier ressort reste utile à la stabilisation des
cours des monnaies.
- En deuxième lieu, la crise récente a révélé que les pays ont eu une
réponse différente à la crise, selon leur niveau de réserves détenues. Il est
évident qu'il existe un ratio optimal de détention de réserves de change par
rapport à l'ensemble des créances sur l'extérieur, qui détermine l'aptitude
à contrer une crise financière. La libéralisation du commerce extérieur et du
compte capital aura pour effet d'accroître la demande de réserves par les
pays notamment émergents. Si une telle demande est alimentée par des
excédents de compte courants, ceci fera peser un risque déflationniste
potentiel sur les autres économies.
- En troisième lieu et plus généralement, c'est l'approfondissement
financier sur fond de supervision rigoureuse, qui peut suppléer efficacement
à l'action d'un prêteur en dernier ressort international. De ce fait, le rôle de
ce dernier est d'aider à la généralisation de normes internationales en
matière de transmission de l'information financière, de sécurité des engagements bancaires (les 25 règles d'or du Comité de Bâle), d'évaluation ex
ante et ex post des programmes de stabilisation (publication des lettres
d'intention) et des différents dispositifs de soutien au développement.
Ces différents dispositifs visent par conséquent le respect des règles de
prêteur en dernier ressort au sens de Bagehot, i.e. la réduction de l'aléa de
moralité. Les discussions tournent désormais autour de la définition des primes de pénalité, de l'exigence de garanties négociables sur les marchés, i.e.
de la révision de la politique de conditionnalité. Certains comme Calomiris
(1998) mais aussi Collier (1999) préconisent une conditionnalité forte, le
FMI d'un côté ou la Banque mondiale de l'autre, ne prêtant qu'à des pays
ayant le respect d'un ensemble de conditionnalités, notamment l'exigence
de libéraliser le marché bancaire en l'ouvrant aux unités étrangères. Dans
ce cas, les pays ne respectant pas les conditionnalités peuvent néanmoins
bénéficier des prêts de l'institution suivant le critère « too big toJaU ». C'est
le paradoxe du durcissement de la conditionnalité ou même de la mise en
place de la prime de pénalité, les organisations de Bretton Woods s'étant
spécialisées depuis cinquante ans dans les financements concessionnels.
256
REPENSER BRETTON WOODS
A l'évidence, ces différentes évolutions peuvent davantage fragiliser
l'Afrique, qui a besoin d'un nouveau partenariat.
Le partenariat entre le prêteur en dernier ressort et l'Afrique
Ce nouveau partenariat doit être fondé sur la révision des conditions du
financement du développement, soutenues en outre par un nouveau rôle des
institutions financières internationales.
• En ce qui concerne la révision des conditions de financement, la globalisation des marchés ne laisse plus de place à des politiques de financement décourageant l'épargne et l'investissement. L'incertitude créée
par des politiques de répression financière, des politiques fiscales affectant durablement l'épargne mais également l'investissement - un environnement de guerre ou d'incertitude rendant irréversibles les dépenses
d'investissement -, tout ceci est à l'origine de l'affaiblissement de la
croissance en Afrique, au point que l'on ait pu parler de résidu africain
de croissance. Donc il revient aux pays africains eux-mêmes, de réorganiser leurs économies nationales, afin d'obtenir les conditions d'un
véritable retour à la croissance durable. Ceci implique des réformes
multidimensionnelles, d'ordre financier puisqu'elles requièrent la libéralisation financière graduelle du système bancaire et des marchés des
capitaux, selon un rythme optimal à définir compte tenu de la libéralisation déjà avancée des opérations de compte courant. Ceci implique
surtout l'affaiblissement de l'économie de rente au profit de l'économie
de production, et donc immanquablement la révision des modes de gouvernance en faveur du renforcement de la transparence et des systèmes
de contrôle. Bien entendu, la réforme du secteur privé est nécessaire
dans cette perspective, puisqu'on en attend le relais sur le front de la
relance de l'investissement.
• En ce qui concerne le partenariat nouveau, à l'évidence, les pays africains ne retrouveront pas la voie de la croissance durable, si des investissements en capital productif ou en infrastructures complémentaires
aux investissements productifs, comme d'ailleurs en capital humain, ne
sont pas réalisés. Et c'est là que l'on peut attendre une évolution du partenariat avec les institutions de Bretton Woods rénovées.
Le prêteur en dernier ressort international devrait produire le bien public
global venant compléter la panoplie des incitations favorables de la globalisation. Au niveau domestique, les politiques de redistribution permettent
via des transferts de revenus des riches vers les pauvres, de réduire la pauvreté et les inégalités de revenus. Michel Camdessus (mars 1999, op. cil.)
propose d'élargir cette dimension éthique du développement à l'échelle du
monde, au motif que plus les pays les moins avancés sont soutenus, plus il
y a de chances qu'ils s'intègrent à l'économie mondiale, et participent plus
tard à l'expansion des richesses, dont le bénéficiaire ultime est l'économie
globale. On peut donc dans ces conditions, associer le principe de la nation
la plus favorisée, en l'occurrence la moins avantagée en dotations factorielles spécifiques, à la réforme en faveur des financements en volume impor-
LE FMI DOIT-IL DEVENIR LE PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT
257
tants et suivant des conditions concessives. Les instruments que sont la
facilité d'ajustement renforcée (la FASR) et la facilité d'urgence des économies sortant de conflits guerriers, permettent d'aller dans le bon sens,
comme la réduction de la dette des pays pauvres lourdement endettés. Ce
dernier instrument (l'initiative PPTE) a bénéficié à six pays africains dont
le Burkina, la Côte d'Ivoire, le Mozambique et l'Ouganda, pour un montant
de 6 milliards de $EU dès les dix-huit premiers mois de lancement de cette
initiative.
On attend cependant d'un prêteur en dernier ressort davantage de volontarisme, et ce sans qu'il soit exigé des garanties de marché, mais plutôt des
garanties d'utilisation des fonds. Sur ce point, à l'évidence, la lutte contre
la corruption et la sortie de l'économie de rente imposent de rechercher un
soutien prioritairement du secteur privé, sous la réserve qu'il soit indépendant des décideurs en place, anciens ou nouveaux. Mais également d'établir
une conditionnalité révisée du secteur public, afin de la soumettre à l'efficacité dans le cas où le renouvellement des accords doit être reconduit.
Conclusion
Le prêteur en dernier ressort international est une institution à construire.
Le FMI d'aujourd'hui ne l'est pas encore, tant la résistance en faveur de la
création d'une Banque centrale mondiale demeure grande, les États n'en
voulant pas supporter le coût économique et financier. Néanmoins, des progrès sont possibles sur cette voie, et le FMI doit se renouveler de l'intérieur
pour servir de guide en matière de transparence de l'information, de règles
connues quant au soutien sous la forme de liquidités nécessaires à juguler
les crises, ou en matière de management des crises financières.
Mais la place de l'Afrique est singulière: elle a besoin d'un véritable prêteur en dernier ressort apportant des liquidités à des coûts concessionnels
afin d'éviter de reconstituer à nouveau un endettement extérieur pervers.
C'est pourquoi, il convient d'étudier une clause de la nation la plus favorisée pour l'Afrique dans les statuts du FMI. Le risque est qu'un préalable
soit posé et que d'autres pays puissent exiger un tel statut à l'avenir. Compte
tenu de l'ampleur de la situation de la pauvreté en Afrique, un tel risque ne
mérite-t-il pas d'être couru ?
12
Les institutions de Bretton Woods
sont-elles réformables ?
Amady Aly DIENG
Repenser la politique des institutions de Bretton Woods est le thème de
notre colloque. Les responsables du CODESRIA nous demandent de proposer des réformes des institutions de Bretton Woods pour aider les dirigeants
africains. A la réflexion, nous n'avons pas de propositions à formuler. Car
nous sommes dans une situation d'interrogation. Notre posture est celle de
quelqu'un qui s'interro~e à la lumière de sa petite expérience accumulée à
la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO). Agir autrement serait de l'imposture de notre part. C'est en toute sérénité que nous
nous interrogeons sur les fondements des politiques de stabilisation et
d'ajustement structurel pour montrer leurs limites et pour dévoiler leurs
véritables objectifs non affirmés. Nous examinerons la philosophie des institutions de Bretton Woods avant de motiver la réponse que nous allons
apporter à notre interrogation.
La philosophie des institutions de Bretton Woods
Notre démarche est un refus systématique d'aborder la politique des institutions de Bretton Woods d'un point de vue institutionnel ou descriptif.
Nous préférons adopter une autre attitude qui nous éloigne d'une certaine
naïveté en prenant pour de l'argent comptant ce que nous disent les dirigeants et les« experts» du FMI et de la Banque mondiale. C'est à une véritable psychanalyse que nous allons nous livrer pour faire parler les silences
de ces institutions, et dévoiler leurs véritables intentions qu'elles ont du mal
à cacher. Les masques politiques doivent tomber, les maquillages politiques
qui accompagnent les différents compartiments de la politique de ces institutions devraient être mis de côté.
260
REPENSER BRETION WOODS
Expliquons-nous sur la notion d'ajustement qui est pleine d'ambiguïtés.
En effet, on part d'une constatation simple. Un État ne peut continuer à
dépenser durablement plus qu'il n'a. En effet, après avoir largement
emprunté pour dépenser plus qu'il n'a, il est tenu de rembourser et par
conséquent de restreindre sa consommation durant la période où il honore
son service de la dette. Ceci relève du bon sens. Cela constitue une vérité
indiscutable. Mais lorsque l'État s'endette auprès d'États ou de bailleurs de
fonds étrangers, il perd tout contrôle sur son économie, sa politique, sa
société, sa culture. C'est ce type d'ajustement qui est imposé aux pays africains qui ont perdu toute souveraineté.
Cependant pour des raisons de liberté, d'indépendance et de développement économique et social, il est nécessaire que les États africains ne vivent
pas au-dessus de leurs possibilités. Ainsi en réduisant leur train de vie, les
États peuvent garder leur indépendance à l'égard des prêteurs étrangers et
nationaux. L'endettement, qu'il soit extérieur ou intérieur, doit être au service du développement. Autrement dit, il doit contribuer à la création de la
richesse matérielle des pays.
Ces précisions données, il est nécessaire de formuler avec force les véritables objectifs du FMI et de la Banque mondiale quand leurs responsables
font signer une lettre d'intention (FMI) ou une lettre de politique de développement (Banque mondiale) aux dirigeants des pays africains.
Les politiques de stabilisation et d'ajustement visent à mettre les pays
sous programme en situation de rembourser leurs dettes extérieures en termes de devises.
Le choix des indicateurs qui servent à mesurer les déséquilibres macroéconomiques et financiers qu'il s'agit de rétablir est très significatif à cet
égard. Nous n'en prendrons que quelques-uns.
Le ratio endettement extérieurlPNB ou PIB traduit les préoccupations des
experts du FMI et de la Banque mondiale qui se soucient de l'ampleur de la
dette extérieure et des possibilités de remboursement compte tenu de l'enrichissement annuel (PNB ou PIB) des pays sous programme.
Le ratio service de la dette/recettes d'exportation sert à mesurer la capacité de remboursement du pays endetté, compte tenu de ses recettes
d'exportation qui lui permettent d'avoir des devises étrangères, monnaies
de règlement de la dette extérieure.
Le ratio déficit de la balance courantelPNB ou PIB traduit la situation de
la balance des paiements qui permet de connaître les efforts que le pays
pourra fournir dans les années à venir pour être en mesure de rembourser sa
dette extérieure. En effet, le solde de la balance courante ou du compte courant (solde de la balance commerciale, de la balance des services et de la
balance des transferts sans contreparties) permet de bien connaître la situation des finances extérieures du pays.
Si le solde de la balance courante est excédentaire, le pays possède une
capacité de financement extérieur. S'il est déficitaire, le pays éprouve un
besoin de financement extérieur. Ainsi toute la politique des institutions de
Bretton Woods consistera à faire en sorte que le déficit de la balance courante soit résorbé et que son solde devienne créditeur. Voilà une préoccupa-
LES INSTITUTIONS DE BRETION WOODS SONT-ELLES RÉFORMABLES?
261
tion des bailleurs qui tiennent à imposer aux pays endettés une politique de
rétablissement de l'équilibre de la balance des paiements susceptible de
permettre de rembourser les fonds empruntés.
Le ratio déficit des finances publiques/PNB ou PIB est destiné à mesurer
le déséquilibre observé dans le domaine des finances qu'il s'agit de rétablir
pour assurer le remboursement de la dette extérieure constituée par la dette
du pays à l'égard des États et des bailleurs de fonds privés étrangers. Toute
la politique budgétaire imposée à l'État endetté consistera à dégager des
excédents qui permettront de rembourser les fonds empruntés.
Nous pourrions multiplier les exemples qui montrent que l'établissement
de ces indicateurs de déséquilibres qu'il faut rétablir n'est pas innocent. Il
traduit la volonté des experts du FMI et de la Banque mondiale d'imposer
une politique économique susceptible de mettre le pays en situation de rembourser la dette extérieure.
L'essentiel de cette politique ne tient compte que des intérêts des agents
extérieurs. Et cela au détriment des agents nationaux. Ce sera une politique
d'appauvrissement des populations qui n'a rien à voir avec un développement économique et social pouvant promouvoir un bien-être dans le pays. La
pauvreté dont on parle beaucoup et de manière hypocrite est le résultat nécessaire des programmes d'ajustement structurel. Par contre, on se tait sur le
processus d'enrichissement des agents extérieurs et intérieurs qui résultent
de l'appauvrissement des plus larges portions des populations du pays.
Ainsi, ayant dégagé la philosophie des institutions de Bretton Woods,
nous allons montrer, en examinant le contenu de leur politique, le caractère
utopique de tout projet de réforme de ces institutions dans la situation
actuelle.
Le contenu des programmes de stabilisation et d'ajustement
structurel
Les politiques de stabilisation et d'ajustement structurel reposent sur des
fondements théoriques largement exposés par l'économiste sénégalais
Makhtar Diouf l et par Gilbert Blardone2 .
Le modèle théorique qui sous-tend les choix de politique économique, les
rationalités qu'il implique et les résultats qu'il obtient s'inspire de plusieurs
théories économiques. Il emprunte à la fois à l'école post-keynésienne sa
théorie macroéconomique de « l'absorption», à l'école monétariste son
« approche monétaire de la balance des paiements », aux néoclassiques la
préférence pour la rationalité microéconomique et l'intérêt individuel. Le
1. Voir M. Diouf, «Les fondements théoriques des politiques d'ajustement du FMI
dans les pays sous développés », Africa Development, vol. X, n° 1-2, 1985, pp. 36-49.
2. Voir G. Blardone, Le Fonds monétaire international: l'ajustement et les coûts de
l'homme Paris, Les Éditions de l'Épargne, 1990, pp. 136-142.
262
REPENSER BRETION WOODS
FMI reconnaît explicitement « que son modèle à la base des politiques
d'ajustement est éclectique».
L'approche de la balance des paiements par la méthode de l'absorption a
été conçue à l'origine par Sidney Alexander en 1952 pour évaluer les effets
d'une dévaluation sur l'absorption.
Son originalité consiste à considérer la balance des paiements comme une
relation entre des ressources globales et des dépenses globales et non
comme un simple document comptable présenté en termes de crédit et de
débit. Le point de départ est constitué par l'équation d'équilibre macroéconomique qui exprime dans toute économie l'égalité entre l'offre globale
et la demande globale.
Y+M = C+I+G+X
En isolant les éléments du commerce extérieur, on obtient:
X - M = Y - (C + 1 + G)
En désignant par CA (balance) le solde de la balance courante et en appelant A (absorption) la somme des dépenses C + 1 + G, on obtient:
CA= Y-A
Cette présentation permet de faire ressortir deux faits importants: d'une
part, elle met en évidence le diagnostic.
Le déficit de la balance des paiements réduit ici à la balance des biens et
des services - qui est quelquefois inexactement assimilé à la balance des
transactions courantes car celle-ci comprend en outre les transferts sans
contreparties -, il est dû à un excédent de la demande globale sur l'offre
domestique. Si l'offre est inélastique à la suite d'une situation de plein
emploi ou d'une rigidité des structures de production, les prix augmentent.
Alors l'inflation va porter atteinte à la compétitivité des produits domestiques sur les marchés extérieurs.
D'autre part, cette présentation met en évidence la thérapeutique à adopter immédiatement : l'amélioration de la balance des transactions courantes
pour la réduction de la demande globale ou de l'absorption, s'il est impossible d'augmenter la production domestique.
Le deuxième fondement théorique des programmes de stabilisation et
d'ajustement structurel repose sur l'approche monétaire de la balance des
paiements. Ici la balance des paiements et l'inflation sont considérées
comme des phénomènes monétaires. Sur cette base, J. Polak a élaboré un
modèle qui permettra d'établir un garde-fou à l'expansion du crédit qui est
constitué par le niveau des avoirs extérieurs. Ainsi le volume du crédit ne
peut être supérieur de plus de cinq fois au montant des réserves de change.
Makhtar Diouf de remarquer: «C'est exactement la même règle qui régit
la politique de crédits des Banques centrales africaines de la zone franc, la
BEAC et la BCEAO : le rapport avoirs extérieurs et crédit à l'économie doit
être supérieur à 20%3. »
Mais l'auteur devait plutôt écrire à l'émission monétaire et non crédit à
l'économie. Or de ces deux modèles théoriques découle l'adoption de
mesures de politique économique dans le domaine budgétaire et monétaire.
3. Voir Makhtar Diouf, op. cil, p. 42.
LES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS SONT-ELLES RÉFORMABLES?
263
Politique budgétaire
Ce sont les institutions de Bretton Woods qui détenninent la politique
budgétaire. La Banque mondiale a un fauteuil aux conseils des ministres
des pays africains comme le souligne Zaki Laïdi : «La banque se donne
clairement les moyens de placer les économies des pays en voie de développement sous sa tutelle. Elle a, comme aimait à le dire E. Stem, le droit
de " siéger au Conseil des ministres des États4 " ... »
Les engagements pris par les gouvernements africains dans leurs lettres
d'intention (FMI) et dans leurs lettres de politique de développement (Banque mondiale) ont des incidences énormes sur la structure des budgets. En
raison de leur confidentialité, ces deux documents qui ne sont pas considérés comme des traités internationaux par les Assemblées nationales, ne sont
pas connus des députés.
Ainsi la souveraineté des parlements est supprimée et cela renforce les
pouvoirs des régimes présidentialistes négro-africains.
La diminution de l'absorption ou de la demande globale a des conséquences désastreuses sur les dépenses et les recettes de l'État.
Les dépenses publiques doivent être réduites afin de diminuer ou de
résorber le déficit structurel des finances publiques pour que l'État puisse
rembourser la dette extérieure. Dans ce cadre, seront prises plusieurs
mesures : diminution des effectifs de la fonction par plusieurs procédés
(retraite anticipée, arrêt de tout recrutement, etc.), suppression des subventions des denrées de première nécessité (vérité des prix), instauration de
subventions au profit de certains produits exportés (subventions aux consommateurs et aux producteurs des pays développés), liquidation des entreprises publiques déficitaires, diminution drastique des dépenses sociales
(santé, éducation, infrastructures, etc.).
Les recettes fiscales doivent être augmentées pour diminuer les revenus
disponibles des ménages et ainsi réduire leur pouvoir d'achat.
Les institutions de Bretton Woods imposent la généralisation de la taxe à
la valeur ajoutée. Cet impôt sur la dépense, qui ne tient pas compte des
capacités contributives des citoyens, est un impôt injuste. Il pèse sur les
populations et sur les couches sociales démunies. Par contre sont épargnées
certaines couches sociales, notamment les riches qui voient l'impôt sur le
patrimoine diminuer.
Le FMI dont l'un des critères de performances les plus importants est
constitué par le rapport entre le déficit des finances publiques et le PNB ou
PIB ne s'intéresse guère à la nature des recettes et des dépenses. Car un
même solde peut exprimer l'état des flux financiers différents. Autrement
dit, le FMI n'a qu'une approche quantitative de ce déficit et laisse de côté
la nature des flux de recettes et des dépenses.
Le pays peut être surfiscalisé ou souffrir du poids de dépenses improductives. Cela peut être un handicap pour le développement économique et social.
4. Voir Z. Laidi, Enquête sur la Banque mondiale, Paris, Fayard, 1989, p. 149.
264
REPENSER BRETION WOODS
Ce point est une pomme de discorde entre le FMI attaché à l'équilibre financier réalisé à n'importe quel prix et la Banque mondiale obnubilée par la
compétitivité des produits du pays endetté sur le marché mondial. Alors
qu'au Sénégal les experts du FMI se réjouissaient des performances du Sénégal qui avait aggravé la fiscalité des produits pétroliers, les experts de la Banque mondiale considéraient que cette fiscalité contribuait à faire des produits
du pays des produits non compétitifs sur le marché international.
Si la politique budgétaire répond aux exigences des bailleurs de fonds par
l'intermédiaire des institutions de Bretton Woods, il en est de même de la
politique monétaire.
Politique monétaire
La politique monétaire inclura les mesures concernant les taux de change,
le taux d'intérêt et les prix afin de stimuler l'épargne et rendre les investissements plus rentables. Elle vise à réduire le crédit par l'élévation du taux
d'intérêt, ce qui doit aboutir à décourager le crédit à la consommation et le
crédit à l'investissement.
Ainsi l'approche monétariste amène les experts du FMI à établir une politique permanente de restriction du crédit pour ne pas détériorer la balance
des paiements. Ainsi, par le plafonnement du crédit, les experts du FMI
espèrent agir sur la demande. Cette gestion de la demande est une politique
déflationniste. Des plafonds de crédits seront mis en place. Le crédit intérieur sera limité ainsi que le crédit bancaire du gouvernement central ou des
entreprises d'État.
La dévaluation sera un instrument privilégié du FMI qui espère relever la
rémunération des paysans en monnaie locale. C'est pourquoi les institutions
de Bretton Woods sont hostiles à l'existence des unions monétaires qui les
empêchent de dévaluer, de manière différente, les monnaies des différents
membres de ces unions. Elles ont réussi à obtenir la dévaluation du franc
CFA par rapport au franc français en 1994 à un taux élevé (50%) et de
manière uniforme. On peut faire la critique de ces dévaluations qui provoquent des effets pervers dans les pays du Tiers monde. Nous renvoyons à
l'énorme littérature qui a été produite ces dernières années sur cette question.
D'autres mesures de politique économique que nous n'examinerons pas
ici seront prises en dehors des mesures d'ordre budgétaire.
Au total, les experts des institutions de Bretton Woods cherchent à agir
sur la politique de répartition des revenus en substituant en fait aux politiques des États les programmes d'ajustement. Ils sont les défenseurs des
bailleurs de fonds. Ils font la police des salaires et la promotion des profits.
Et cela va provoquer un grand mécontentement populaire et une aggravation de la pauvreté en milieu populaire. Ce n'est qu'après que les experts
des institutions de Bretton Woods parlent d'amoindrir les effets sociaux des
PAS (cf. la dimension sociale des PAS). Mais l'appauvrissement est une
LES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS SONT-ELLES RÉFORMABLES?
265
conséquence logique et nécessaire des PAS. Il ne constitue pas une erreur
qu'on peut corriger. Il est un vice inhérent du système. C'est en cela que la
politique de ces ins.titutions n'est pas réformables. Les organismes non
financiers de l'ONU l'ont compris très tôt. L'Unicef a parlé dans un
ouvrage de l'ajustement à visage humain comme pour dire que l'ajustement
est à visage inhumain et hideux. Le PNUD a estimé que le taux de croissance n'est pas à lui seul un indicateur de développement. Il a conçu un
indice de développement humain (IDH).
La Commission économique pour l'Afrique (CEA), organe de l'ONU
ayant son siège à Addis-Abeba (Éthiopie), a mené une réflexion qui est un
contre-plan opposé aux programmes d'ajustement structurel et appelé:
Cadre africain de référence pour les programmes d'ajustement structurel en
vue du redressement et de la transformation socio-économique (1989).
Selon le secrétaire exécutif de la CEA, Adebayo Adedeji, la dimension
humaine se trouve au centre du cadre de référence, à savoir la motivation et
la responsabilisation des populations et la répartition équitable du revenu,
sans lesquelles un développement soutenu ne peut se réaliser. « Un processus d'ajustement qui marginalise les populations est voué à l'échec. »
Le CARPAS comporte trois autres caractéristiques.
D'abord, il sera utilisé, compte tenu des conditions de chaque pays, pour
formuler des programmes spécifiques à chaque pays, sélectionner les instruments de politique appropriée et adopter les stratégies de mise en œuvre
pertinente.
Ensuite axé sur l'homme, le CARPAS implique une démocratisation
totale du processus de développement avec une plus grande participation
des populations à tous les aspects des activités économiques et sociales, et
à toutes les phases allant de la prise de décision à la mise en œuvre.
Enfin, le cadre de référence préconise une intensification de la coopération entre pays dans la conception, la mise en œuvre et le suivi des programmes nationaux d'ajustement avec transformation.
Ce programme, adopté unanimement par les gouvernements africains, est
aux antipodes des programmes d'ajustement. Néanmoins, aucun gouvernement n'en tient compte. Le CARPAS a connu le même sort que le plan de
Lagos reposant sur le développement endogène et qui a été oublié au bénéfice du plan Berg commandé par la Banque mondiale. Cela devrait être une
leçon pour les Africains qui ne pourront jamais réformer les vues des institutions de Bretton Woods. Ce n'est pas une question d'expertise, c'est une
question hautement politique.
Les programmes d'ajustement structurel ou de stabilisation visant à mettre les pays africains en état de rembourser la dette extérieure en devises
étrangères sont systématiquement contre la politique d'intégration nationale et régionale des pays africains. Ils cherchent à intégrer fortement ces
mêmes pays dans le marché mondial où ils peuvent vendre leurs produits
pour avoir les réserves de change nécessaires au remboursement des fonds
5. Voir Alternatives Sud, « Les organismes financiers internationaux, instruments de la
politique libérale », cahiers trimestriels, vol. VI, 1999/2.
266
REPENSER BRETION WOODS
empruntés aux bailleurs de fonds. Ils contribuent à créer des parties utiles
(les côtes) et inutiles (1' hinterland). Cette intégration verticale est défavorable aux intégrations horizontales comme l'intégration nationale ou l'intégration régionale des pays africains. Elle désintègre les pays africains du
point de vue national et régional.
En conclusion, nous ne croyons pas qu'il soit possible de réformer les institutions de Bretton Woods qui défendent les intérêts des bailleurs de fonds
au détriment des populations africaines. La croissance est nécessaire, elle
n'implique pas nécessairement le développement économique et social.
13
Les réformes du système de Bretton Woods
Chedly A y ARI
Chez les jumeaux de Bretton Woods, l'ordre du jour de cette fin de siècle
se déclinait sur le thème de la nouvelle architecture financière (NAF).
Au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale, porte-flambeaux de laNAF - s'il en est-la mobilisation est générale et l'engagement
total. Avec un prosélytisme, des sensibilités et des préoccupations variées, il
est vrai. Mais la détermination, le volontarisme et la conviction sont les
mêmes. Au-dessus du réseau de Bretton Woods, se tient l'architecte en chef,
le Groupe des Sept ou G7 1, qui oriente, trace la voie, balise et arrête les priorités. Ses communiqués périodiques, ses dits et ses non-dits, ses certitudes
et ses hésitations servent de bréviaires aux deux maîtres du nouvel ouvrage,
le FMI et la BM. Le cercle des acteurs-décideurs est bouclé. L'affaire de la
NAF, aussi. Elle relève du jeu global, « global game » et de rien d'autre. Et
la gestion au sommet du « global game » est septimanienne2• Exit le reste du
monde? Pas tout à fait. L'intégration au nouvel ordre mondial/mondialisé
est ouverte à tous, grands et moins grands, riches et moins riches. Mais via
le marché, et le marché financier, pour être plus précis.
Présentation un peu caricaturale des choses? Peut-être. Mais pas excessive. Aux yeux des acteurs-décideurs, le projet de la NAF ne peut pas ou plutôt ne peut plus être autre chose que cela. Pour quatre raisons, au moins.
La première était la certitude du G7 que ce siècle ne finirait pas dans la
déflation globale qui lui était promise par grands et petits gourous interposés.
Certes, le tableau de bord de l'économie mondiale (tableau 1), vingt mois ou
un peu plus après la terrible épreuve sud-est asiatique, n'est pas tout rose. En
effet, les taux de croissance réelle annoncés pour l'an 2000, s'ils confirment
la tendance à la reprise, un peu partout dans le monde - y compris en Afrique
- recèlent encore des zones d'ombre et des fragilités inquiétantes.
1. Le G7 est composé des sept plus grandes puissances économiques du monde: les
États-Unis, le Japon, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, le Canada et l'Italie.
2. Les septimaniens sont les adeptes du chi'isme dit « septimain » ; cette secte limite à sept le
nombre des imans visibles, contrairement au chi' isme dit « duodécimain » qui en compte douze.
Les septimaniens sont particulièrement décriés, notamment par les sunnites, à cause de leur
gnose, de leur système allégorique, de la divinisation de leurs imans et de l'usage quasi initiatique de leur numérologie. La comparaison avec le G7 ne nous paraît pas tout à fait absurde.
268
REPENSER BRETION WOODS
Tableau 1- PIB réel. Taux de croissance (%) -1998-2000*
1998
1999
2000
FMI**
OCDE***
FMI**
OCDE***
FMI**
OCDE***
2,5
Monde
OCDE (total)
2,3
3,4
2,2
2,3
2,1
G7
2,2
États-Unis
3,5
3,9
3,3
3,6
2,2
2,0
-2,8
-2,8
- 1,4
-0,9
0,3
0,0
Japon
1,9
2,0
Allemagne
2,8
2,8
1,5
1,7
2,8
2,3
France
3,1
3,2
2,2
2,3
2,9
2,6
Royaume-Uni
2,1
0,7
2,1
Canada
3,0
2,6
2,5
Italie
1,4
1,5
2,8
Union européenne
2,4
1,9
2,4
Zone euro
2,9
2,0
2,9
Asie
3,8
4,7
5,7
- 1,5
2,1
4,5
7,8
6,6
7,0
Amérique latine
2,3
-0,5
3,5
Brésil
0,2
- 3,8
3,7
Europe centrale orientale
(sans Russie)
2,4
2,0
3,7
Asie nouvellement industrialisée
Chine
-4,8
-7,0
Moyen-Orient
2,9
2,0
3,3
Afrique
3,4
3,2
5,1
Russie
* Projections courantes.
** FMI Economic Outlook, avril 1999.
*** OCDE Economic Outlook, mai 1999.
Aux États-Unis d'Amérique, la croissance économique, particulièrement
exubérante au cours des années 1990, est appelée à se stabiliser à des
niveaux plus modestes, proches de son sentier d'équilibre soutenable de
long terme.
Au Japon, la croissance 2000 sera au mieux récessive. C'est d'un retour
à la stagnation plutôt que de reprise qu'il faudrait parler.
Dans la zone euro, les améliorations annoncées de la conjoncture économique, notamment au Royaume-Uni et en Allemagne, laissent encore planer des doutes sur l'aptitude de l'Europe à prendre, le cas échéant, le relais
des États-Unis pour impulser l'économie mondiale, dans les années à venir.
En Asie hors Japon, les excellents taux de croissance prévus pour l'an
2000 ne garantissaient pas pour autant l'entrée des pays concernés et tout
particulièrement les marchés émergents dans une phase de consolidation
LES RÉFORMES DU SYSTÈME DE BRETTON WOODS
269
irréversible3. En plus des nombreuses incertitudes, à court et moyen terme,
qui continuent de planer sur l'économie chinoise.
En Amérique latine, l'épisode brésilien de janvier 1999, bien que largement résorbé, confirme, si besoin est, que les marchés émergents les
plus solides restent toujours exposés aux dangers de la volatilité et de la
spéculation.
En Afrique enfin, la consolidation salutaire de la croissance au cours des
cinq dernières années reste empreinte de fragilités diverses et, à terme,
déstabilisantes. Nous y reviendrons plus loin.
Cependant, malgré ses nombreux contrastes, ce tableau de la conjoncture
économique mondiale conforte l'évaluation des pays du G7, à savoir que
les risques de déflation, voire de dépression généralisée, se sont avérés plus
fictifs que réels.
Et c'est cette première évidence-là qui va peser lourdement dans la perception du G7, quant à la nature et au contenu de la NAF requise.
La deuxième raison est que les crises financières sont dans la nature
même des systèmes ouverts, dont l'économie globale représente l'état
achevé, le stade suprême. Non seulement ces crises financières sont gérables donc transitoires, mais elles ont également pour mérite de renforcer le
rôle du marché global comme médiateur unique et efficient entre l'offre et
la demande, l'épargne et l'investissement, le risque et le rendement.
La globalisation demeure donc le seul ordre capable de garantir croissance, progrès, stabilité, efficience, transparence ... et bien-être.
«Il n'y a pas l'ombre d'un doute que la globalisation de la compétition
internationale - conséquence de l'élargissement du champ des échanges
commerciaux - a amélioré de façon remarquable les niveaux de vie dans la
plupart des pays participants» (A. Greenspan, gouverneur de la Banque
centrale américaine: International Herald Tribune du 17-04-1999).
Plus de vingt mois après le choc sud-est asiatique, l'économie de marché
malgré les assauts qui lui ont été portés, n'a subi aucune altération. Bien au
contraire, elle a toutes les chances d'en sortir grandie.
La troisième raison est que la succession des crises financières depuis
l'épisode mexicain de décembre 1994 jusqu'à l'épisode brésilien de
janvier 1999, en passant par l'implosion des marchés sud-est asiatiques de
juillet 1997 ont été toutes des crises émergentes, non des crises globales.
Leurs causes et origines sont circonscrites à des dysfonctionnements
engendrés par une mal-gouvernance, une gestion non prudentielle des
risques du marché. Risques d'investissement, dans la mesure où les économies concernées se sont ouvertes imprudemment et excessivement à des
formes de capitaux particulièrement volatils et spéculatifs: les investissements de portefeuille. Risques d'endettement, dans la mesure où les
débiteurs dans les pays concernés ont surchargé leurs bilans d'engagements
3. Cette consolidation dépendra non seulement de l'efficacité des réfonnes appliquées à
la suite de la crise de juillet 1997, mais aussi et surtout de l'aptitude de l'économie américaine à rester sur une orbite de croissance élevée et à continuer de jouer le rôle
« d'importateur de dernier ressort ».
270
REPENSER BRETTON WOODS
bancaires étrangers courts et libellés en devises fortes -le dollar des ÉtatsUnis en l'occurrence. Risques de production, dans la mesure où le secteur
productif dans les pays émergents en crise, soutenu par un système de
crédits généreux et complaisants s'est alourdi, au fil des années, de stocks
de biens de grande consommation et d'équipements et d'actifs immobiliers
pour lesquels il n'y avait plus de marchés, ni domestiques, ni étrangers.
Risques de change, dans la mesure où les politiques monétaires dans les
pays émergents concernés ont préféré l'appréciation coûteuse à l'ajustement flexible de leur monnaie. Risques de dérégulation enfin, dans la
mesure où les marchés financiers domestiques dans les économies concernées sont restés tantôt insuffisamment tantôt excessivement ouverts sur les
capitaux étrangers.
Aux débiteurs émergents imprévoyants et à leurs créanciers imprudents ou
tout simplement véreux - investisseurs individuels et institutionnels, banquiers, traders, hedgers et spéculateurs de toutes sortes sur les marchés des
biens, des services, des monnaies, des titres, des indices boursiers et autres
produits dérivés, d'assumer désormais risques, pertes, faillites et liquidations
éventuelles. Pleinement. Sans espoir de se voir « tirés d'affaire» par de
l'argent public - bilatéral ou multilatéral- mobilisé à doses massives4 par le
pompier de service - le FMI. La NAF, qu'elle qu'en soit la forme finale,
n'aura pas à assumer de « hasard moral 5 »- un scandale qui a déclenché la
réprobation unanime de la communauté internationale à l'occasion des opérations de sauvetage de l'été et de l'automne 1997 montées en catastrophe
par le Fonds.
La quatrième raison enfin est que la lutte contre le sous-développement, la
réduction des endettements « non soutenables», l'éradication de la pauvreté,
la baisse des aides publiques pour le développement, l'aggravation de
l'inégalité et de l'injustice, la dégradation des niveaux de vie dans une grande
partie du Tiers monde, sont « hors NAF », parce que « hors marché ». Le
système de Bretton Woods, via sa panoplie de mécanismes de transferts et de
facilités, concessionnels et non concessionnels, conditionnels « hard» et
« soft », est outillé pour y répondre. Quitte à en revoir les modalités de fonctionnement et à en renforcer éventuellement les ressources6 .
Ces quatre raisons réunies expliquent dans une large mesure ce que certains observateurs qualifient « d'humeur plus nonchalante» (lighter maad)
ou de « négligence douce» (benign neglect) de plus en plus perceptibles
4. Entre la crise mexicaine de décembre 1994, les crises thanandaise, indonésienne et
sud-coréenne de l'été par le FMI auront mobilisé quelque 200 milliards de dollars d'argent
public.
5. Il Ya« hasard moral » quand les débiteurs et les créanciers privés n'assument plus le
risque du marché et se font« tirer d'affaire » (bailed out), en cas de crise de paiements, par
de l'argent public.
6. Il s'agit en particulier de l'initiative BM-FMI connue de «pays pauvres très
endettés » (PPTE), créée en 1996, et destinée à alléger les charges de la dette extérieure des
pays les plus démunis et à la réduire à des niveaux dits « soutenables » ; et de la « Facilité
d'ajustement structurel renforcée » (FASR), créée en 1987 dans le cadre du FMI et destinée à soutenir les efforts d'ajustement macroéconomique et à restaurer la viabilité des
comptes extérieurs des pays à bas revenus.
LES RÉFORMES DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
271
dans l'attitude du G7 vis-à-vis du projet de la NAF. Le terme même de
«nouvelle architecture» devient abusif. En fait «d'architecture », c'est
vers la mise en place d'un simple « forum pour la stabilité globale» (FSG)
que les sept Grands semblent s'orienter, parce que c'est autour de ce seul
projet minimaliste que leur consensus est totaF. Que signifie cette version
FSG du projet de la NAF? D'abord, le concept de « forum» exclut par
définition toute novation institutionnelle dans le système économique international présent. Le forum, qu'elles qu'en soient les modalités de fonctionnement, est une structure nécessairement informelle, consultative, au
mieux, de coordination, dépourvue de tout pouvoir de contrôle et de toute
fonction réglementaire, que ce soit ex ante - avant crise - ou, plus encore,
ex post - en cas de crise. Ensuite, le forum a pour objectif sinon unique, du
moins ultime, la stabilité des marchés financiers et plus précisément encore
du marché financier global. Les politiques de change et plus généralement
monétaires, comme les politiques fiscales ou le retour de la confiance à
l'échelle domestique et à l'échelle internationale doivent cibler cet objectif
ultime.
« Le progrès vers la reprise économique, écrit le FMI dans son dernier
Economie Outlook d'avril 1999, a été rendu possible grâce à la stabilité
financière plus le renforcement des taux de change, permettant ainsi aux
politiques monétaires une plus grande flexibilité; grâce aussi à la consolidation des politiques fiscales; et grâce enfin au retour de confiance sur les
deux plans domestique et international. »
La grande innovation, peut-on dire ici, est que le FSG, qu'il vaudrait
mieux appeler Fonds de stabilité financière (FSF), est censé stabiliser un
non-système. En effet, à la différence des transactions commerciales internationales sur biens et services, « gérées 8 » par le système-GATI/üMC ou
des relations monétaires internationales et de change - « gérées» par le
système FMI ou des activités bancaires internationales, « gérées» par le
système Banque des règlements internationaux (BRI), la finance internationale, les mouvements de capitaux de toutes sortes, transitent par des marchés nationaux plus ou moins développés, plus ou moins ouverts, plus ou
moins domestiquement régulés. L'ensemble de ces marchés ne forme pas
un système. Donc pas de contrôle, ni de supervision, ni de régulation de
leurs transactions internationales, sauf dans le cadre de ce qui est prévu
dans les législations et réglementations nationales propres.
Cette lacune systémique majeure dans l'ordre économique global a été
durement ressentie lors des crises sud-est asiatiques de l'été 1997 où les
mouvements de capitaux erratiques et irrationnels ont joué, comme on le
7. Les sujets de désaccord au sein du G7 sont nombreux. La controverse sur le concept
de soutenabilité en matière de taux de change en représente un aspect important: flexibilité
totale des politiques de change ou à défaut, adoption du système dit du « currency board»
défendues par les États-Unis vs fixité ou semi-rigide (zones cibles) des politiques de
change, défendue par l'Europe et le Japon.
8. Les mots « surveillés» ou « supervisés » ou « mis sous observation » seraient plus
adéquats, sauf en ce qui concerne le GATI/OMC où l'observance des règles du nouveau
jeu commercial est contraignante, sous peine de sanctions.
272
REPENSER BRETION WOODS
sait, un rôle non négligeable dans la dé-stabilisation brutale des places
financières des économies concernées.
Cependant, l'absence de ce chaînon financier dans l'architecture économique mondiale présente une explication. Plus que la marchandise ou la
monnaie ou même le crédit bancaire, la finance, elle, est un produit inventé,
un produit mutant, un produit dérivé, plus virtuel que réel, un produit sui
generis, peut-on dire.
L'échec retentissant des négociations menées ces dernières années dans le
cadre de l'OCDE, à propos de « l'Accord multilatéral d'investissement»
(AMI) en est bien l'illustration9 •
Cependant, devant l'ampleur des dégâts causés par la finance sauvage,
peut-on dire, en Asie du Sud-Est en 1997, en Amérique latine: Mexique
(décembre 1994-1995) ; Brésil (janvier 1999), plus l'échec de l'AMI, la
Communauté du G7 ne pouvait plus continuer de jouer la politique de
l'autruche.
Par ailleurs, l'impossibilité pratique de monter un « système financier
international» géré par une organisation mondiale à l'image du GATTI
OMC ou du FMI ou de la BRI, ajoutée à l'aversion des pays occidentaux
pour les novations institutionnelles en matière de coopération internationale, n'ont guère laissé d'autre choix au G7 que celui de confier au FMI, en
sa qualité de «centre du système monétaire international! », le soin de
prendre en charge, pratiquement, la NAF dans sa version FSF.
En quoi consiste cette nouvelle mission confiée au FMI dans le cadre de
la NAFIFSF ? C'est le point que nous souhaiterions étudier dans le cadre de
la première partie de cette analyse. Nous nous demanderons, ensuite, en
quoi le modèle NAFIFSF tel que conçu par ses auteurs, le G7, et mis en
application par le FMI répond aux exigences de la stabilité financière globale et du progrès global à la fois dont la BM se veut désormais le porteparole et le champion. C'est à l'examen de cette question que nous consacrerons la deuxième partie de cette étude.
Une fois le profil de la NAFIFSF présenté, dans sa dimension strictement
financière, telle que proposée par le G7 et dans sa dimension humaine plus
large, telle que défendue par la BM, il s'agira de se demander comment
l'Afrique en développement perçoit le scénario actuellement en cours, à
travers le rôle assigné aux jumeaux de Bretton Woods: le FMI et la BM
dans la mise en place de la NAFIFSF.
C'est à cette perception africaine de l'initiation du G7 complétée par la
BM que nous consacrerons la troisième et dernière partie de cette analyse.
9. Le projet d'accord «AMI » vise à libérer les investissements internationaux des lois
et réglementations domestiques. Ce projet a été violemment combattu par certains pays
membres de l'OCDE en particulier la France qui y voyait une porte ouverte à la mainmise
américaine sur son industrie culturelle.
LES RÉFORMES DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
273
Le FMI, nouveau gestionnaire du risque financier global
Exit le FMI-pompier. Enter le FMI prophylactique
A regarder de près de quoi est faite la mission confiée par le G7, par
comité intérimaire 10 interposé, dans le cadre de la NAFIFSF, l'objectif visé
est clairement énoncé: créer les conditions propices pour empêcher dans
toute la mesure du possible la répétition des crises financières à la mexicaine, à la sud-est asiatique ou à la brésilienne, c'est-à-dire des crises qui
affectent des économies émergentes majeures dont le fonctionnement est
important, sinon stratégique quant à la stabilité et à la sécurité mêmes du
système global dans son entité.
Prévenir pour ne pas avoir à soigner, encore moins à guérir. Thérapie préventive plutôt que thérapie curative. C'est cela la nouvelle mission du
Fonds.
A) DES CAPACITÉS PRÉVENTIVES CONTESTABLES
Pourtant les performances passées de l'institution en matière de prévention de crises ne font pas l'unanimité. C'est le moins que l'on puisse dire.
L'épisode sud-est asiatique de l'été 1997 a été, à cet égard, une terrible
épreuve pour la crédibilité du Fonds. Il faudrait aussi reconnaître que le
déficit d'humilité qui a marqué la réaction de ses dirigeants, face à la
montée des critiques, méritées et non méritées, qui leur étaient adressées de
toutes parts - y compris de leurs alliés traditionnels - à l'occasion de la crise
sud-est asiatique n'a rien arrangé non plus. En face d'une BM, qui par la
voix de son président, M. Wolfensohn n'a pas craint de se remettre en cause
et d'avouer publiquement ses erreurs d'appréciation et de gestion, les plaidoyers pro domo des dirigeants du Fonds font curieusement... désordre.
Péché d'orgueil d'une institution qui se targue d'avoir « les meilleurs
économistes du monde» ? ou panique de ses dirigeants devant le démenti
permanent infligé par les faits à leurs discours apaisants et à leurs paris
absurdes de début et de milieu de crise ? Les deux, certainement.
B) LA NOUVELLE « LIGNE DE CRÉDIT DE PRÉVENTION»
La protection des bons élèves du Fonds.
A défaut de convaincre l'unanimité de ses grands mandants, les gouvernements du G7, sur sa capacité d'anticipation et de prévention des crises, le
FMI obtiendra, une fois de plus, le bénéfice du doute.
Mais, cette fois, le G7 n'a pas voulu parier de nouveau sur l'aptitude du
Fonds à anticiper les crises potentielles, sans moyens d'action supplémentaires. Aussi a-t-il décidé de doter l'institution d'une « ligne de crédit
de prévention» destinée à protéger les pays membres, dont les économies
10. Le Comité intérimaire est un Comité intergouvernemental, qu'on peut qualifier de
Comité de pilotage du FMI. n est composé de 24 membres représentant les 183 pays adhérents
au Fonds. Le Comité intérimaire est en fait l'image bretton-wodienne, par excellence, du G7.
274
REPENSER BREnON WOODS
sont saines et bien gouvernées, de tout danger de déstabilisation et de crise
venu d'un ailleurs proche ou lointain (effet de contagion).
«Ce nouvel instrument, la ligne de crédit d'urgence, dit le communiqué
du Comité intérimaire du FMI en date du 27 avri11999, est une composante
de l'effort mené actuellement dans le cadre du renforcement de l'architecture [... ] du système monétaire international! La nouvelle facilité permettra aux pays qui appliquent des politiques saines et soutenables de
maintenir leur stabilité, et ce, même en face d'une détérioration de la situation financière globale. Cette facilité fournira, compte tenu des liquidités
générales disponibles au Fonds, un instrument important de prévention des
crises en incitant davantage les pays concernés à appliquer des politiques
fortes, particulièrement en matière de gestion de la dette et de taux de
change soutenable; à adhérer aux normes et standards internationaux en
vigueur, à impliquer le secteur privé d'une manière constructive [dans la
prévention des crises] réduisant ainsi les risques de contagion des marchés
financiers. »
Une ligne de crédit pervers?
L'accord sur la ligne de crédit de prévention n'a pas été facile à réaliser.
Des ressources publiques supplémentaires mises à la disposition du FMI,
fût-ce au nom de la prévention des crises et de la stabilité financière globale
- ne renforceraient-elles pas le rôle de fait joué par le Fonds comme
« prêteur de dernier ressort» ? Une position qui est dévolue aux seules
banques centrales nationales et que cette institution ne saurait assumer;
- ne transformeraient-elles pas le Fonds en une agence de notation des
risques (risk-rating agency) et plus particulièrement des risques souverains,
à l'image d'un Moody's ou d'un Standard & Poor's ?
- n'inciteraient-elles pas les pays éligibles à la nouvelle ligne de crédit de
pratiquer des politiques économiques moins rigoureuses et plus
accommodantes ?
- ne constitueraient-elles pas pour ces mêmes pays éligibles un encouragement à s'endetter davantage auprès de créanciers, tentés d'affluer de
nouveau vers les places qu'ils avaient fuies en masse, il y a à peine vingt
mois, mais qui sont toujours à la recherche de gains rapides, élevés et, en
cas de besoin, remboursables sur les ressources de la ligne de crédit de
prévention ? De nouveau, débiteurs et créanciers chercheront à profiter du
« hasard moral », privatisant leurs gains et socialisant ou plutôt « multilatérisant » leurs pertes ;
- ne risqueraient-elles pas, enfin, de produire un effet négatif sur la crédibilité internationale et donc sur les conditions d'accès aux marchés financiers (coûts d'emprunts plus élevés) des pays bénéficiaires potentiels de la
ligne de crédit de prévention ?
Le FMI répond que non. C'est tout le contraire qui se produira. Un rôle
plus modeste pour le Fonds, dans la mesure où celui-ci n'aura plus, sauf
accident, à monter des opérations de sauvetage à la mexicaine, ou à la sudasiatique ou à la brésilienne. Une rigueur de gestion plus forte dans les pays
bénéficiaires, dans la mesure où la ligne de crédit de prévention sera aussi
LES RÉFORMES DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
275
conditionnelle sinon plus que les facilités classiques accordées par le
Fonds. Un accès plus facile et moins coûteux des pays concernés aux
marchés des capitaux, dans la mesure où leurs économies seront consolidées et rendues plus résistantes encore aux effets de contagion des crises
financières qui affecteraient des pays voisins ou lointains.
C) L'AFFAIRE DU PARTENARIAT AVEC LE SECTEUR PRIvÉ
Le joint est fait. Privatisation des gains, privatisation des pertes, privatisation de la NAFIFSF aussi. Le problème de l'implication du secteur privé
dans la coopération multilatérale pour le développement a toujours hanté
les institutions de Bretton Woods. Plus la BM, pourtant organisation de
développement, que le FMI, pourtant davantage exposé aux jeux des
marchés. La BM de ces vingt dernières années peut se targuer d'un passé et
d'un présent - secteur privé. L'institution a réussi à mettre en place diverses
formules de coopération, notamment des cofinancements de projets de
développement, avec des bailleurs de fonds privés. Mais pas de partenariat,
au sens que l'on donne généralement à ce mot et comme la BM l'aurait
souhaité. Le FMI, lui, fait exclusivement de la macro. Et la macro est par
définition publique. De ce fait, le Fonds n'a pas d'expérience privée. Et
c'est justement cela qu'on lui demande de développer dans le cadre de la
NAFIFSF et, plus précisément encore, dans le cadre de la prévention des
crises.
Les huit commandements du partenariat FMI-secteur privé
Sur quoi le partenariat FMI-secteur privé est-il censé porter? Le Comité
intérimaire du FMI propose huit domaines de coopération. Ces domaines
portent sur:
- une meilleure évaluation des risques d'investissement, d'endettement
et autres qui devraient être pris en compte dans l'ajustement des coûts (à la
hausse ou à la baisse) des transactions financières (emprunts bancaires,
obligataires, etc.) ;
- un renforcement des systèmes financiers domestiques et en particulier
une réglementation plus stricte des centres bancaires offshore, des crédits
interbancaires de court terme ainsi que des fonds dits de «couverture
risques hautement endettés» (highly leveraged hedge funds), c'est-à-dire
dont la base-capital propre est faible par rapport aux montants des
transactions;
- une gestion plus prudentielle de l'endettement de court terme et d'une
manière plus générale de la structure-maturité des engagements extérieurs
des pays et/ou des institutions concernés, compte tenu des niveaux de liquidité requise pour leur couverture;
- l'inclusion dans les emprunts obligataires souverains de dispositions
facilitant, le cas échéant, une résolution ordonnée des crises d'endettement;
- l'établissement de lignes (privées) de crédits de prévention et autres
arrangements similaires, de nature à favoriser la continuité des financements privés, particulièrement dans les moments difficiles (crises) que
pourraient connaître les pays ou les institutions privées concernés ;
276
REPENSER BRETION WOODS
- une plus large adhésion aux nonnes et standards internationalement
reconnus;
- le maintien d'une communication effective avec les marchés de capitaux privés;
- un système plus fiable et plus transparent de collecte et de dissémination de l'infonnation sur les flux de capitaux privés, particulièrement les
capitaux courts ainsi que sur les politiques économiques nationales et leurs
évaluations périodiques par le FMI.
Un partenariat ambitieux mais encore virtuel
Ce projet de partenariat avec le secteur privé est bien ambitieux et, à
certains égards, utopique. L'économie de marché est une économie de
risques, par définition et par vocation aussi. Et la prise, comme la gestion,
des risques de marché est une affaire privée, individuelle, non collective sauf
quand l'action commune en la matière garantit aux divers partenaires concernés meilleurs profits/moindres pertes/meilleure sécurité. La théorie des
jeux a, depuis longtemps, défini les règles, les conditions et les résultats
attendus de la compétition coopérative par opposition à la compétition non
coopérative.
Mais une multilatéralisation privée - publique (FMI, en l'occurrence)des risques de marché, est une entreprise bien plus étrange encore. Comment
imaginer, en effet, que des concurrents globaux, plus que jamais engagés
dans une course impitoyable aux parts de marché, acceptent de rendre publiques - et c'est bien de cela qu'il s'agit -leurs stratégies commerciales et
financières, leurs décisions de portefeuille, leurs propres évaluations des
risques macro (pays), des risques meso (secteurs) et/ou des risques micro
(projets), fût-ce au nom de la stabilité financière globale? Et que signifie à la
limite la notion même de stabilité pour des marchés ouverts, et qui sont le
siège d'une dynamique perpétuelle, faite d'arbitrages comparatifs (à
l'échelle du monde) pennanents, entre des rendements nets sur actifs, nominaux et réels, actuels, anticipés ou virtuels? Et que sont ces arbitrages de
marché, sinon des compromis mouvants, c'est-à-dire instables entre des
coûts, des risques, des gains et des pertes?
Le premier adjoint du directeur général du FMI, S. Fisher, a éloquemment
défini le sens et aussi les limites du partenariat FMI-secteur privé. «La
question de savoir comment impliquer le secteur privé dans la prévention,
l'atténuation et la solution des crises est une question critique mais non
encore entièrement résolue. Il y a deux façons de voir les choses: ou bien
définir ex ante, c'est-à-dire avant toute crise potentielle, les modalités de
coopération avec le secteur privé ; ou bien reconnaître que cela n'est guère
possible. Bien entendu, les deux approches sont pertinentes. [Ceci dit], on
pourrait toujours envisager la mise en place ex ante de quelques dispositions
concernant, par exemple, les contrats d'emprunts obligataires [émis par les
pays en développement] ou concernant les conditions auxquelles l'aide [du
Fonds] serait accordée [aux créanciers privés]. Cependant, les circonstances de chaque crise sont trop différentes pour appliquer ex post une fonnule
unique. Nous aurons à adapter nos méthodes à chaque situation, dans le but
LES RÉFORMES DU SYSTÈME DE BRETTON WOODS
277
de nous assurer de la participation du secteur privé d'une manière appropriée. Il est difficile d'anticiper comment les choses évolueront, dans un
domaine aussi délicat. Mais quelques principes de base devront néanmoins
être rappelés :
• les accords conclus [entre prêteurs et emprunteurs] doivent, dans toute
la mesure du possible, être respectés ; car ceci est la seule base sur
laquelle les marchés de capitaux privés peuvent opérer;
• les pays débiteurs doivent en toutes circonstances coopérer avec leurs
créanciers en vue de trouver des solutions aux problèmes qui pourraient
se poser;
• le secteur public [multilatéral, en l'occurrence, c'est-à-dire le FMI] ne
sera pas en mesure, dans certains cas, de fournir un financement suffisant
pour permettre à un pays [donné] de faire face à toutes ses obligations,
sans une contribution du secteur privé. (5. Fisher, conférence prononcée
à l'Institut de stratégie économique, Washington DC ,28 avril 1999.)
Une approche à la carte
Le message est clair. Le mise en place d'un partenariat FMI/secteur privé
est plus que souhaitable, nécessaire, dans la mise en place du projet. Mais
les modalités de ce partenariat sont encore à trouver dans le cadre d'une
approche qui sera nécessairement à la carte et où les bonnes ou moins
bonnes dispositions des créanciers privés, la nature, le volume et la structure
de l'endettement concerné, l'importance stratégique du pays débiteur et la
pression que le G7 - gouvernements et banques centrales réunis - est prêt à
exercer ou non en vue de trouver une solution aux problèmes posés, pèseront lourdement dans la balance. Il faudrait attendre les premières mises à
l'épreuve de ce partenariat pour se prononcer sur son efficacité, sinon sur sa
faisabilité.
La libéralisation ordonnée du compte capital de la balance des paie-
ments
A) DES MOUVEMENTS DE CAPITAUX MIEUX SURVEILLÉS
La libéralisation ordonnée du compte capital de la balance des paiements
- entendez par là la supervision des mouvements de capitaux - notamment
des capitaux courts, à l'entrée comme à la sortie, constitue un autre volet
important de la mission confiée au FMI dans le cadre de la NAFIF5F. Cette
question de « libéralisation ordonnée» que la crise du sud-est asiatique de
l'été 1997 a rendue plus actuelle et plus urgente que jamais remet en question, en fait, tant du point de vue idéologique que pratique, l'un des grands
fondements de l'économie globale; celui du dé-contrôle ou de la dérégulation totale des échanges et biens, de services et de capitaux. Comme
nous l'évoquions précédemment, l'ouverture, c'est-à-dire la convertibilité
précipitée du compte capital dans un certain nombre de pays en développement et plus particulièrement dans les pays émergents, sans le soutien d'une
infrastructure bancaire et boursière et plus généralement financière domestique appropriée, a largement contribué à la déstabilisation des marchés en
278
REPENSER BRETION WOODS
Asie du Sud-Est comme en Amérique latine, au cours des deux dernières
années. Le besoin de ne pas laisser les mouvements de capitaux privés
libres de toutes sortes de contrôles est une des convictions les mieux partagées parmi les pays du G7. Il faudrait encore rendre cette justice au FMI,
qui tout en étant favorable à la convertibilité des comptes courants n'a
jamais été un partisan inconditionnel de la convertibilité des comptes capital des balances de paiements de ses pays membres actuellement ou potentiellement éligibles à ses aides, c'est-à-dire la totalité des pays du Sud, et ce,
quel que soit leur niveau de développement.
B) UN DÉBAT ENCORE OUVERT
Cependant, le débat sur la nature, les modalités, la durée, les coûtslbénéfices de la libéralisation ordonnée ou soutenable, c'est-à-dire du contrôle
rationalisé et efficient des mouvements de capitaux, est un débat encore
ouvert.
Dans un langage tout en nuances qui contraste avec ses prises de position
spectaculaires en matière de progrès social et de développement humain,
comme nous l'avions évoqué plus haut, le président de la BM s'adressant
aux ministres des Finances de l'APECll réunis à Langkawi (Malaisie) en
mai dernier évoquait ce problème du contrôle en ces termes: « Du point de
vue des principes, nous croyons fermement en l'ouverture des marchés
de capitaux. Cependant, là où vous avez des économies et des marchés fragiles, il y a de bonnes raisons de rendre publiques [les informations relatives aux] flux de capitaux de court terme pour en moduler les volumes. »
Faisant pièce avec son homologue de la BM, le directeur général du FMI
commutait à Langkawi l'affaire du contrôle des mouvements de capitaux en
ces termes: « Un accord semble se faire sur le fait que les contrôles pourront se justifier quand il y a risque de crise, mais juste le temps de souffler
jusqu'à ce que les autres mesures fondamentales produisent leur effet. »
Quoi qu'il en soit, le FMI est invité, dans le cadre de sa gestion du FSF, à
poursuivre ses recherches en ce qui concerne le rythme, le calendrier et
l'ordonnancement (sequencing) de l'ouverture du compte capital dans les
pays émergents en particulier, et dans les pays en développement en général, notamment à la lumière de certaines expériences de contrôle qui ont fait
couler beaucoup d'encre et qui se sont avérées plus positives que l'on avait
anticipé : au Chili, en Inde, en Chine et mieux en Malaisie.
Il. L'APEC ou Asia Pacifie Economie Cooperation réunit les pays suivants: l' Australie, Bruneï, le Canada, le Chili, la Chine, Hong-Hong, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud, la
Malaisie, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Pérou, les Philippines, la
Russie, Singapour, la Thailande, les États-Unis et le Vietnam.
LES RÉFORMES DU SYSTÈME DE BRETTON WOODS
279
Le FMI: centrale d'information
A) UNE INSTITUTION BIEN OUTILLÉE
L'autre volet du rôle dévolu au FMI12 en sa qualité de gestionnaire du
risque global dans le cadre du projet de la NAFIFSF concerne l'information. Celle-ci a de multiples facettes. L'information est d'abord collecte et
dissémination à l'échelle la plus large possible de données chiffrées et
comparables dans le temps et dans l'espace sur les activités et les transactions économiques de biens : domestiques et internationales. Elle est aussi
instrument de surveillance, de supervision et de garantie de la transparence
et de la moralisation des politiques gouvernementales et des transactions
privées. Le FMI est la mieux outillée des institutions internationales pour
s'acquitter de ce rôle aux multiples aspects. Son système dit Special Data
Dissemination Standard (SOOS) de collecte et de circulation de l'information est opérationnel. Son «manuel et son code de bonne conduite en
matière de transparence fiscale» sont en voie d'être achevés. Son système
de standardisation en matière de comptabilité, d'auditing, de supervision
bancaire, de faillite, de gouvernance d'entreprise et de réglementation des
marchés boursiers et du secteur des assurances est avancé.
B) INFORMATION MACRO ET INFORMATION MICRO
Au niveau macroéconomique, il dépendra toujours des gouvernements
souverains de fournir ou de ne pas fournir l'information requise, de la rendre
publique ou de la garder confidentielle pour des raisons politiques ou stratégiques, voire sécuritaires. Mais les progrès enregistrés dans ce domaine
sont prometteurs. Les États sont mieux disposés aujourd'hui qu'hier à
rendre publics des documents gardés jalousement jusque-là par le Fonds:
lettres d'intention, memoranda sur les politiques économiques et financières nationales, délibérations du conseil d'administration, résultats des
consultations menées dans le cadre de l'article IV des statuts du Fonds, etc.
Au niveau micro, c'est-à-dire au niveau entreprises, les choses sont
beaucoup moins évidentes. La globalisation de la concurrence n'est pas
nécessairement synonyme de transparence de l'information. Comme nous
l'évoquions plus haut, la course aux parts de marché, particulièrement dans
une compétition globale, suppose rétention de l'information et secret des
affaires.
C) LE FMI DOIT DONNER L'EXEMPLE
Concluons ce volet de l'information par une note sur le FMI. Institution
secrète, introvertie, opaque, rigide, peu conviviale, maçonnique, non
responsable (non accountable), le Fonds n'a jamais cessé, fût-ce à son corps
défendant, de symboliser aux yeux de ses pays membres les plus démunis,
12. Le FMI a eu l'occasion de tester son image publique dans le cadre d'une évaluation
de la FASR, commanditée en 1996 à un groupe d'experts indépendants. Le Rapport d'évaluation n'a pas manqué de relever, entre autres, le déficit d'image du Fonds auprès de ses
pays membres, bénéficiaires dont la quasi-totalité est constitués de pays africains.
280
REPENSER BRETION WOODS
tout ce que l'ordre économique mondial passé et présent recèle d'injustice,
de manque d'équité et d'arrogance. Avec une image publique aussi détériorée, le FMI ne peut plus échapper aux exigences de transparence, de responsabilité et d'ouverture qu'il veut bien imposer à ses propres pays membres.
Un compact social pour la NAFIFSF
Tout le scénario de la NAFIFSF que nous venons de développer tourne, en
fait, autour du nouveau rôle assigné au FMI en sa qualité de gestionnaire du
risque global, après la succession des crises émergentes de ces vingt
derniers mois. Sur l'ensemble des mesures et actions envisagées dans le
cadre de la prévention des crises, la libéralisation ordonnée du compte capital (mouvements des capitaux), la dissémination de l'information, la
surveillance, la transparence fiscale et financière et la moralisation des transactions privées, on peut parler d'un consensus bretton-woodien qui unit le
FMI et la BM autour d'une même vision de la stabilité financière du
système économique global.
Le débat social absent
Cependant, à mesure que le champ de la NAFIFSF se restreignait aux
questions précédemment évoquées (le débat social, le débat sur le développement humain dans toutes ses dimensions), la BM, percevant le danger
représenté par ce chaînon manquant dans la reconfiguration le cas échéant
de l'ordre économique global à la suite du choc sud-est asiatique, n'a pas
tardé à se rebiffer.
Mais la grande innovation, cette fois, a été dans la manière dont la BM a
tenu à exprimer sa préoccupation, quant aux risques attachés à l'absence de
tout compact social dans l'initiative en voie d'être mise en place par le G7
et le FMI conjointement.
Dans le florilège des déclarations spectaculaires faites par le président de
l'institution, M. Wolfensohn, certaines méritent d'être reproduites ici.
Prenant le contre-pied de ses collègues du Fonds pour qui l'image de
l'économie mondiale est plutôt rassurante, M. Wolfensohn n'a pas hésité à
mettre les pieds dans le plat, comme on dit: « nous vivons dans un monde
qui graduellement va de mal en pis, et de mal en pis », affirmait-il en avril
dernier à Washington.
Dénonçant l'indifférence des architectes du nouveau FSF à la dimension
humaine dans le débat actuel sur la stabilité du système global, M. Wolfensoho ajoute: «Vous entendez parler d'ordre financier, de législation internationale sur les faillites, de transparence et bien d'autres problèmes. Ces
questions sont [certes] extrêmement importantes. Mais vous n'entendez
[rien], ni sur les hommes ni sur la structure sociale qui devrait être
développée. »
LES RÉFORMES DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
281
Dans un article récent écrit en commun avec A. Sen, dernier lauréat du
prix Nobel d'économie, le président de la BM se fait plus spécifique
encore: «La nouvelle architecture financière (NAF) actuellement en
discussion exige une approche participative et globale qui accorde une [plus
grande] attention aux interdépendances des libertés de développement
(interlinked developmentfreedoms). A moins que nous n'adoptions pareille
approche, la NAF risque d'être bâtie sur du sable. »
Le message est clair, direct et exprimé en des termes qui ne laissent pas
place à l'équivoque: ou la FSF actuellement en gestation réconcilie stabilité financière globale et développement humain, ou elle ne fera pas long
feu. Certes, le G7, par FMI et comité intérimaire interposés, n'a pas occulté
dans ses délibérations en marge de l'affaire FSF tout débat social, quel qu'il
soit. Le problème de la dette et plus particulièrement l'initiative FMI-BM
connue sous le nom de HIPC, tout comme le réaménagement de la facilité
élargie d'ajustement structurel (FASR) - deux questions importantes pour
l'Afrique sur lesquelles nous reviendrons plus loin - ont fait l'objet d'attention et de nouvelles propositions de la part des instances dirigeantes du
Fonds. Mais le compact social que la BM souhaite voir inclus dans le projet
de la NAFIFSF en préparation va bien au-delà.
Pour un code global de politique sociale
A) J. WOLFENSOHN, LE MACNAMARA DE LA FlN DU XXe SIÈCLE
C'est pour l'adoption d'un cadre global pour le développement (comprehensive development framework), d'un code global de politique sociale
(global code for social policy) comme composante intégrante de la NAF/
FSF que la BM se bat, avec une détermination et un volontarisme qui
rappellent la campagne menée par un autre grand président de l'institution,
R. Mac Namara, sur l'éradication de la pauvreté urbaine dans les années
1970. La BM ne manque pas d'arguments dans son combat pour une NAF/
FSF à visage humain. Le tableau de bord social dans une large partie du
Sud, y compris dans sa composante dite émergente, est proprement alarmant, non soutenable, pour parler un langage que le FMI affectionne bien.
L'illustre bien l'état des lieux de la pauvreté, indicateur le plus significatif
de la dégradation humaine. A la fin du xxe siècle, 1,5 milliard d'hommes,
de femmes et d'enfants continuent de vivre avec moins d'un dollar par
jour; 3 milliards avec moins de deux dollars par jour.
Au vu des projections actuelles sur la centaine de pays les plus démunis
du monde, seules l'Inde et la Chine seront en mesure de réduire de moitié
le niveau de leur pauvreté à l'horizon 2015 ! Cette aggravation de la misère
humaine dans le monde coïncide avec une régression continue de l'aide
officielle au développement (AOD) dont le niveau a baissé de 40 % au cours
de la décennie présente, passant de 60 milliards de dollars en 1990 à
33 milliards de dollars en 1998, à peine 0,22 % du PNB des pays donateurs,
soit le niveau le plus bas atteint au cours des cinquante dernières années!
282
REPENSER BRETTON WOODS
Les flux de capitaux privés de long terme en direction de cette partie la plus
sinistrée de la planète ne dépassent pas les 8 milliards de dollars comparés à
256 milliards de dollars de tous les pays en développement réunis !
B) UN TON ONUSIEN
A entendre M. Wolfensohn parler de pauvreté, de privation, d'exclusion,
on a l'impression de parcourir le dernier rapport du PNUD13 sur le développement humain. Un développement humain, rappelle le président de la
BM, menacé de régression et de dégradation, si la communauté internationale continue de penser stabilisation financière sans progrès social, économie globale sans accès équitable aux richesses produites.
Après l'échec de la conférence (ratée) des Nations unies sur le développement social à Copenhague en 1995, la BM revient en force avec un
compact qui rappelle et enrichit en même temps celui de son malheureux
homologue onusien. Un accès plus large et plus équitable aux services
sociaux, aux services humains de base: éducation, santé, eau potable, développement rural et urbain, emploi, non-discrimination sexuelle, protections
sociales, sécurité, droits de l'homme et du citoyen, solidarité, tolérance, etc.
C) EMPOWERMENT ET LlliERTÉS DE DÉVELOPPEMENT
Dans le compact social de la BM, la notion « d'empowerment» ou
d'habilitation, c'est-à-dire l'accès aux services sociaux et la participation
du citoyen au processus de décision, à la gestion des affaires de la cité, est
centrale. Ce sont là les constituants de ce que A. Sen appelle les libertés de
développement (developmentfreedooms) sans lesquelles aucune architecture, aucun «forum », aucune réforme de l'ordre économique mondial ne
sont viables à terme.
La croisade menée par le FMI pour une croissance dite de qualité (quality
growth) dans le cadre de la défense et l'illustration du FSF est promise à
l'échec, si elle n'est pas également fondée sur une lutte collective et solidaire contre la pauvreté, l'exclusion et les inégalités.
Ce langage n'émane pas d'une conférence d'économistes africains aigris,
mais de la BM, plus précisément de M. Wolfensohn, en personne. Et c'est
bien ce cheval de bataille-là que l'Afrique doit enfourcher pour dire son mot,
exprimer ses préoccupations et affirmer ses ambitions dans le débat actuel sur
la FSF, et sur le rôle dévolu aux jumeaux de Bretton Woods, le FMI et la BM,
dans sa mise en application. C'est à cela que nous consacrerons la troisième
et dernière partie de cette étude.
13. Le vocabulaire social onusien (PNUD) vient de s'enrichir d'un nouveau concept:
les biens publics mondiaux. Il s'agit «des objectifs politiques» (maintien de la paix, stabilité politique et financière) ; des «normes juridiques ou sociales» (standards industriels,
droits de l'homme); et des «biens communs» (écosystème). Ces trois types de bien
publics mondiaux symbolisent les interdépendances entre le besoin de stabilité financière
globale, le besoin de paix et de démocratie et le besoin de développement juste et durable.
Voir Les Biens publics à l'échelle du monde,' la coopération internationale du xxJ€ siècle,
Oxford, 1999.
LES RÉFORMES DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
283
L'Afrique bretton-woodienne : le passé et l'avenir
Une trêve rétrospective
A) LE DÉFI AFRICAIN, À LA PORTÉE DES JUMEAUX DE BRETION WOODS
L'Afrique et Bretton Woods! Une histoire vieille de quarante ans déjà;
où l'ombre l'emporte sur la lumière, la frustration sur l'espérance, l'échec
sur le succès. Une histoire - témoin de la coopération multilatérale moderne
face à l'un de ses grands défis de tous les temps - : ouvrir le continent le
plus démuni de tous sur la croissance, le développement, le progrès, le bienêtre et la modernité. Lorsque les jumeaux de Bretton Woods ont confronté
leur défi africain continental à l'aube des années 1960, ils ne manquaient ni
de savoir-faire, ni de référentiels conceptuels ou idéologiques, ni de
ressources financières, ni d'instruments d'intervention. Leur expérience
des terrains asiatique et latino-américain les avait dotés d'un stock de
connaissances remarquable sur ce que l'on appelait à l'époque, le sousdéveloppement, terme générique de toutes les dégradations de la condition
humaine dont le sous-continent indien était la plus significative et la plus
dramatique des illustrations. Leur expérience signifiait aussi une expertise
non moins remarquable en matière de promotion du développement dans
tous ses aspects courts et longs.
De même, le corpus conceptuel et théorique en matière de sous-développement et de développement était riche de tous les apports de l'immense
littérature sur la croissance (classique, néoclassique, structuraliste et néostructuraliste), à laquelle les débats politiques et idéologiques (Est-Ouest et
Nord-Sud notamment au sein du système des Nations unies) allaient donner
un nouveau souffle et de nouvelles dimensions.
Quant aux ressources financières et aux instruments d'intervention, FMI
et BM n'en étaient pas dépourvus. Certes, et en ce qui concerne les pays
africains, le guichet AID de la BM était pratiquement la seule voie qui leur
était ouverte pour accéder aux aides des institutions de Bretton Woods,
étant donné la nature et la conditionnalité des crédits FMI.
Mais ce guichet unique n'était pas dépourvu de moyens pour faire face
aux besoins les plus pressants d'un continent qui manquait de tout.
B) LE DÉFICIT DE PERCEPTION DE LA PRIORITÉ AFRICAINE
La véritable question n'était pas là. C'est en terme de priorité d'accès aux
ressources des deux institutions multilatérales que le problème se posait
dans les années 1960. Le défi africain présentait-il aux yeux des jumeaux de
Bretton Woods une urgence et une spécificité suffisantes pour justifier la
mise en place d'une stratégie d'aide au développement propre à la cinquantaine de pays du continent le plus pauvre de la planète? Personne ne
pouvait ignorer qu'en intégrant la BM et le FMI au lendemain même de leur
indépendance, les pays africains s'ouvraient pour la première fois de leur
284
REPENSER BRETION WOODS
histoire au monde, au développement et à la coopération; qu'ils y entraient
exsangues, dépourvus de ce qui fait les attributs d'une nation moderne: un
État, une administration, des structures, des institutions, une élite dirigeante, une connaissance des besoins et une vision de l'avenir; qu'ils y
venaient aussi porteurs de leur stock de valeurs, d'ambitions, d'espoirs,
d'inerties, d'atavismes, de visions du temps, de la communauté, de la solidarité, de la modernité et de l'authenticité.
Mais cette priorité et cette spécificité africaines ne pouvaient être reconnues comme telles que si la communauté internationale, symbolisée ici par
la BM et le FMI, acceptait, sinon de rompre, du moins de prendre une
certaine distance avec quatre types de consensus en même temps : celui
établi autour de l'infaillibilité de la sagesse conventionnelle « conventional
wisdom» bretton-woodienne dans le traitement du sous-développement
humain, quel qu'il soit et où qu'il soit; celui établi autour des vérités anthropologiques véhiculées à travers une littérature africaniste occidentale aux
desseins avoués et non avoués ; celui établi autour du caractère non ou sousstratégique de l'Afrique en comparaison de l'Asie ou de l'Amérique latine;
celui, enfin, établi autour du mode de coopération adapté aux besoins de
l'Afrique: l'aide humanitaire plus que l'aide au développement.
Force est d'admettre que la perception de cette urgence et de cette spécificité a été absente dès le départ, et que l'Afrique, réduite à une espèce de
Lumpenproletariat de la coopération internationale représentait pour les
jumeaux de Bretton Woods un champ d'intervention marginal par rapport à
l'Asie ou à l'Amérique latine.
C) L'ORPHELINE DE WASHINGTON
Il faudrait reconnaître que ce déficit de perception du vrai « challenge»
africain n'est pas étranger à la« négligence douce» pour ne pas dire autre
chose, dont ont fait preuve les anciennes métropoles européennes - la
France, le Royaume-Uni en particulier - dans la promotion du dossier africain auprès des instances de décision de la BM et du FMI. Où faudrait-il en
chercher la raison ? Dans la faiblesse relative de l'influence européenne au
sein des institutions de Bretton Woods, dominées par le pouvoir financier,
économique, politique et stratégique américain ? ou dans l'opposition entre
deux cultures de coopération et de développement: l'anglo-saxonne, libérale et extravertie et la franco-latine, paternaliste et préférentielle?
L'Afrique bretton-woodienne a été toujours une Afrique orpheline. Il lui
a manqué ce parrainage dont ses homologues asiatique et latino-américain
ont constamment bénéficié: le puissant lobby des États-Unis d'Amérique,
gouvernement et congrès réunis, qui a permis aux pays de ces deux continents-là d'accéder massivement aux ressources disponibles tant à la BM
qu'au FMI.
LES RÉFORMES DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
285
D) LES FRACTURES POLITICO-LINGUISTIQUES
Cela dit, ce n'est pas seulement de parrainage européen que l'Afrique
bretton-woodienne aura manqué. Son extrême atomisation politico-linguistique entre francophones, anglophones, arabophones et lusophones n'a pas
été de nature à promouvoir ses dossiers auprès de la BM et du FMII4.
L'état du développement humain africain, quarante ans après
Bretton Woods
A) LES TRENTE-CINQ SCÉLÉRATES
La brève rétrospective de l'état du développement humain en Afrique,
quarante ans ou presque après Bretton Woods, que nous allons tenter ici,
doit être bien comprise. Elle n'est ni le bilan d'une coopération particulière,
en l'occurrence celle entretenue depuis les années 1960 entre la cinquantaine de pays de notre continent d'un côté et le couple BM-FMI de l'autre,
ni une évaluation critique des politiques de développement nationales africaines au cours des quatre décennies passées. Elle est un constat de réalités
économiques, sociales, humaines, produits ou sous-produits de circonstances ordinaires et extraordinaires, domestiques et internationales ; de choix
voulus et non voulus; d'ambitions réalisées et frustrées.
Ce constat est essentiel autant par ce qu'il dit sur les réussites et les échecs
du passé que par ce qu'il révèle sur la perception africaine de l'avenir bretton-woodien dans le cadre du projet FSF, objet de la première partie de ce
papier. De cet avenir, dépendra non pas tout mais une bonne part de notre
progression ou de notre régression sur la voie de ce qu'A. Sen appelle « les
libertés de développement ».
Et c'est justement parce que le concept de développement humain est le
siège par excellence de ces libertés que nous l'avons choisi comme indicateur pour nous guider dans cette rétrospective qui vise à éclairer l'état des
lieux humains africains, en ces moments qui résonnent lourdement de stabilisation financière et de globalisation des marchés.
En l'année de disgrâce 1960
En 1960, c'est-à-dire à l'entrée de l'Mrique dans l'âge bretton-woodien,
sur les trente-trois pays classés par le PNUD dans le groupe dit à « indice
14. Le projet d'institutionnaliser la « Francophonie », en faisant une structure de coordination, voire de négociation internationale, constitue une donnée nouvelle dans les équilibres géo-politico-linguistiques africaines présents. La réunion des ministres des Finances
et d'ÉConomie des 52 pays francophones, tenue à Monaco les 14 et 15 avril 1999, se veut
une novation dans les relations institutionnelles que l'Afrique francophone entretient avec
l'Occident francophone (France, Belgique, Luxembourg, Canada et Suisse). La multilatéralisation de ces relations dans le cadre d'une organisation structurée, à l'image du Commonwealth britannique, a pour objectif de doter une grande majorité de pays africains, qui
comptent parmi les plus pauvres du continent, d'un espace de coopération occidentalo-africain spécifique et aussi d'un groupe de pression internationale, au sein duquel figurent
deux pays du G7 : la France et le Canada. Reste à savoir jusqu'où l'extrême hétérogénéité
économique de cet ensemble favorisera ou non l'action collective souhaitée.
286
REPENSER BRETION WOODS
de développement humain» (lDH) faible 15 , vingt-neuf sont africains. Sur
les trente et un pays classés dans le groupe à IDH moyen, huit seulement
sont africains. Enfin, sur les quarante pays classés dans le groupe des IDH
élevé, à peine deux sont africains.
Le constat est éloquent. Dans le « hit parade» du développement humain,
l'Afrique occupe le bas du tableau à 88 %, le milieu du tableau à 25 % et le
haut du tableau à 0,45 %. Aucun autre continent dans le monde n'était aussi
humainement sinistré que le nôtre, en cette année de disgrâce 1960. Certes,
l'Afrique occidentale plus que l'Afrique septentrionale ou orientale. Mais
à quelques décimales près, pas plus.
En ['année 1970, ou une décennie après
En 1970, soit dix années après, sur trente-six pays à IDH faible, trente et
un sont africains. Sur trente et un pays à IDH moyen, huit sont africains.
Enfin, sur quarante-cinq pays à IDH élevé, deux sont africains. Le même
tableau que dix ans plutôt. L'Afrique, au mieux, stagne. Une image sans
équivalent, ni en Asie, ni en Amérique latine, ni ailleurs.
En l'année 1980, ou deux décennies après
En 1980, soit vingt années après, sur trente-six pays à IDH faible, trente
et un sont africains. Sur trente et un pays à IDH moyen, huit sont africains.
Enfin, sur quarante-cinq pays à IDH élevé, deux sont africains (toujours les
mêmes). Les progrès réalisés ici et là, par rapport aux années 1960 ne changent rien au tableau général. L'Afrique est encore bloquée, enfoncée, seule,
dans un sous-développement récalcitrant et désespérant.
En ['année 1995 ou trente-cinq années après
En 1995, soit trente-cinq années, plus d'un tiers de siècle après, sur
quarante et un pays à IDH faible, trente et un sont africains. Sur soixantecinq pays à IDH moyen, dix sont africains. Enfin, sur soixante-quatre pays
à IDH élevé, deux, pas plus sont africains. Rien d'important à l'horizon.
Sauf quelques avancées - remarquables, il est vrai - au Maghreb (Tunisie/
ÉgypteIMaroc), ou en Afrique du Sud. A l'exception des Seychelles et de
l'île Maurice, classés parmi les grands, depuis 1960, le reste de l'Afrique
occupe la queue du peloton à 75 % et le milieu à 15 %.
L'Afrique est bien celle décrite par le président B. Campaoré : « le champion des indicateurs négatifs ».
15. Le concept« d'indice de développement humain» (lDH), inventé par le PNUD et
calculé annuellement depuis 1990 pour quelque 170 pays développés et en développement,
est bâti sur trois paramètres de base: l'espérance de vie à la naissance; le niveau d'éducation et le revenu réel par tête. En fonction de leur IDH, les pays retenus sont classés en trois
catégories: ceux à IDH élevé; ceux à IDH moyen; et ceux à IDH faible. La notation utilisée tend symptotiquement vers la valeur 1 pour les pays avancés et vers la valeur zéro pour
les pays retardés.
LES RÉFORMES DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
287
B) UNE AFRIQUE CONYALESCENTE MAIS ENCORE FRAGILE. LES ANNÉES
1995-2000
Le retour de la croissance
En attendant la parution des IDH africains pour l'année 1996 et les années
suivantes, notre évaluation de la santé économique et sociale africaine reposera sur un certain nombre d'indicateurs globaux, récemment publiés.
Le tableau de bord de l'économie africaine et en particulier subsaharienne
pour la période 1995-1999 plus les projections pour l'an 2000 est nettement
plus réconfortant. Virage pour le meilleur? Renaissance africaine, comme
le déclarait A. Ouattara, aux assises de la francophonie de Monaco en avril
1999 ? Un langage plus sobre aurait été plus indiqué.
La croissance annuelle du pm réel qui n'avait pas dépassé 1,6 % en moyenne
au cours de la période 1990-1994 a atteint 4,3 % entre 1995-1997. L'examen du
profil de cette croissance au cours des cinq dernières années révèle cependant
une certaine volatilité. En effet, outre que cette croissance a stagné en 1996 et
1997 autour de 4,8 %-4,6%, un taux qui reste malgré tout fort respectable, elle
s'est stabilisée en 1998 et 1999 à des niveaux plus bas, autour de 3,4%-3,2%.
Projetée à 5,1 % pour l'an 2000, la progression du pm réel africain laisserait
augurer en effet un retour à un cycle de croissance forte (entre 5 et 7 %), grâce à
l'efficacité de la première génération de réformes entreprises et au volontarisme
dont les pays africains font preuve dans leur mise en application.
Les retombées positives
La première retombée positive de cette croissance économique en hausse
est l'amélioration constatée dans l'un des indicateurs sociaux les plus
significatifs: le PIB/tête d'habitant, qui aura enregistré une hausse de 15%
en moyenne entre 1995 et 1997-1998 comparée à une baisse de 2 % au cours
de la première moitié des années 1990 et comparée surtout à une baisse
tendancielle de ce même indicateur entre 1965 et 1997.
Les progrès réalisés en matière de lutte contre l'inflation font également
partie des bonnes performances récentes de l'économie africaine. D'une
moyenne annuelle de + 33,6 % entre 1990-1994, les prix à la consommation
n'auront augmenté que de 28,8 % entre 1995 et 1997 (+ 10% en 1997).
Le déficit fiscal général (dons inclus) est passé de - 7,7 % du PIB en moyenne
et par an au cours de la période 1990-1994 à - 5,5 % entre 1995 et 1997.
Quant au déficit du compte courant de la balance des paiements, il est
passé de - 5,3 % du PIB à - 4,5 % entre les deux périodes considérées.
Des fragilités inquiétantes
Mais cette bonne conjoncture macroéconomique a aussi ses zones d'ombre.
La moitié des populations africaines continuent de vivre avec l'équivalent d'un
dollar américain parjour. L'épidémie du sida affecte encore 10 à 12% des populations africaines. Le remboursement de la dette extérieure dont le montant
global est de l'ordre de 200 milliards de dollars prélève quelque 15 milliards de
dollars par an sur les ressources africaines, soit l'équivalent des dépenses totales
d'éducation ou encore deux fois les dépenses totales de santé.
L'aide publique au développement (OAD) qui représente à elle seule 15 %
de la totalité des ressources des vingt-six pays africains francophones les
288
REPENSER BRETION WOODS
plus pauvres, a régressé à moins de Il milliards de dollars en 1996, comparée à 14 milliards de dollars en 1990.
Les réalités chiffrées évoquées ci-dessus le confinnent bien. Le continent africain, y compris dans sa partie la plus avancée, n'est pas un continent émergent,
mais un continent en développement. Au vu de ces réalités économiques et
sociales africaines-là, la question que nous devrions nous poser est la suivante:
en quoi notre continent est-il partie prenante dans la NAFIFSF actuellement en
gestation et sur quels domaines il doit porter son combat pour un ordre international plus équilibré, plus juste, plus équitable et plus humain.
C'est à cette double interrogation-là qu'il nous faudrait répondre dans la
dernière partie de cette étude.
L'Afrique et la NAFIFSF: malaise et réformes de « seconde génération»
A) LE PROJET NAFIFSF: LE MALAISE AFRICAIN
Le compact NAFIFSF dans sa version FMI ne pose pas problème aux pays
africains. De la prévention des crises à la bonne gouvernance macro-économique et entrepreneuriale (corporate), en passant par l'implication du secteur
privé et la mise sous observation des mouvements de capitaux, la dissémination de l'information et le renforcement de la transparence, l'Afrique se sent
en complète communion avec ces principes de base du nouveau code de
bonne conduite financière que les crises successives de ces deux dernières
années ont rendu urgent. Et même si la plupart des dispositions évoquées cidessus concernent en priorité les pays émergents avancés dont la stabilité est
importante pour le bon fonctionnement du marché financier dit « global », le
nouveau code de bonne conduite dont il s'agit est essentiel à la mise en place
d'un système financier international ordonné, surveillé et moralisé dont
l' Mrique ne peut qu'être partie prenante sinon à court terme, du moins à
moyen et long terme. Le malaise africain ne se situe pas au niveau des fondements financiers de l'initiative actuellement en gestation. Pas plus qu'il ne se
situe au niveau de l'institution - FMI - en sa qualité de gestionnaire, de droit
ou de fait, du nouveau risque global financier dont nous avons parlé abondamment dans cet article sauf sur un point: celui qui concerne la non-participation
effective de l'Afrique à l'architecture du nouveau code de bonne conduite
financière que le Fonds est chargé de mettre en application.
Le malaise africain est à rechercher plutôt dans le silence du projet NAFt
FSF sur tout ce qui concerne l'avenir de la coopération internationale pour
le développement - et le développement humain au sens le plus large du
terme - dont l'Afrique constitue l'enjeu majeur de ce nouveau millénaire.
B) LES RÉFORMES DE « SECONDE GÉNÉRATION»
L' Mrique est appelée à entrer dans l'ère des réformes dites de « seconde
génération », répète-t-on avec insistance dans les sphères de la BM comme dans
celles du FMI. Ces réformes post-ajustement structurel visent à apporter des
améliorations qualitatives et quantitatives dans les dix domaines suivants:
LES RÉFORMES DU SYSTÈME DE BRETTON WOODS
289
- l'environnement de l'investissement domestique et étranger qui devrait
être plus transparent et mieux réglementé;
- le secteur financier et le secteur privé qui devront être mieux structurés;
- la libéralisation commerciale et du secteur agricole ainsi que la réforme
du marché du travail qui devront être poursuivies ;
- la coopération régionale qui devrait être davantage approfondie et
ouverte mais sans être considérée pour autant comme un substitut à la globalisation des marchés;
- la capacité de formulation et d'application des réformes qui devrait être
renforcée;
- la productivité totale des facteurs de production qui devrait être
augmentée;
- les coûts des transactions qui devraient être révisés à la baisse ;
- la corruption qui doit être mieux contrôlée ;
- les infrastructures productives y compris les ressources humaines qui
devraient être améliorées;
- la formation politique qui devrait être réformée.
Soit. Mais que devrait cibler ce compact de réformes dites de « deuxième
génération» ? Une croissance africaine de qualité et une meilleure intégration de l'Afrique dans l'économie globale? Certes. Mais quid du progrès
social, de la justice de répartition, de « l' empowennent » du citoyen, en un
mot, des libertés de développement dont parle A. Sen, qui constituent des
priorités africaines absolues? Ni la croissance de qualité, ni l'intégration à
l'économie globale ne sont susceptibles par leurs propres vertus d'assurer à
l'Afrique ces libertés en question.
Pour un ordre économique global, stable et humain
A) L'AFRIQUE ET LA BM : MÊME COMBAT
Le malaise africain vis-à-vis de la NAFIFSF dont nous parlions plus haut
est celui-là même qu'exprime la BM vis-à-vis d'une initiative soucieuse de
stabilité financière globale et non de progrès social et le projet africain est
celui-là même que la BM a décidé de faire sien: donner à la nécessaire
stabilité financière globale un visage humain, non moins nécessaire. Et c'est
bien ce « cadre global pour le développement» et ce « code global de politique sociale» proposés par M. Wolfensohn qui constituent aujourd'hui le
champ du combat dans lequel l'Afrique et la communauté internationale
sont appelées à s'engager pleinement pour assurer et la stabilité et le progrès
et la pérennité du nouvel ordre global - financier, économique, social et
humain à la fois. Soutenir les institutions de Bretton Woods dans le nouveau
défi qui est le leur, mais en intégrant l'Afrique au sommet de l'agenda et des
priorités de la coopération internationale.
Et c'est justement dans le cadre de ce défi-là, africain certes, mais qui
concerne la coopération internationale pour le développement d'une
manière plus générale encore, que pourrait se poser la grande question institutionnelle bretton-woodienne - une question latente que ces dernières
années de crise ont rendue plus actuelle que certains voudraient le penser.
290
REPENSER BRETTON WOODS
En effet, si la mission essentielle, sinon exclusive, du futur FMI est de gérer
le nouveau risque financier global, un risque multidimensionnel, comme
nous l'avons vu précédemment, n'y aurait-il pas lieu alors de repenser la
vieille division bretton-woodienne du travail? Spécialiser totalement le
Fonds dans la gestion de la stabilité financière globale et spécialiser totalement la BM dans la gestion des affaires du développement dans ses trois
composantes : longue, moyenne et courte. Dans cette perspective, le transport à la BM sinon de toutes les activités assumées actuellement par le
Fonds, du moins de certaines d'entre elles plus intimement liées à la promotion du développement deviendrait nécessaire.
Au cours de la violente campagne anti-FMI déclenchée dans la foulée de
la crise asiatique de l'été 1997, certains sont allés jusqu'à réclamer la disparition pure et simple de l'Organisation-FMI. Et ce ne sont pas des voix du
Tiers monde qui ont été les plus extrêmes, à cet égard. Mais des voix occidentales des plus autorisées, symbolisées par des noms prestigieux qui ont
toujours compté parmi les plus chauds partisans d'un FMI pur et dur 16.
En s'ouvrant dès le début des années 1980 sur le financement des
programmes d'ajustement structurel (FAS et FASR), puis à partir de 1996
sur celui de la réduction de la dette conjointement avec la BM (Initiative
PPTE) - deux guichets dont les pays africains comptent parmi les plus
grands bénéficiaires - le FMI aura introduit deux novations importantes
dans sa politique de transfert de ressources:
• au niveau de la conditionnalité de ses crédits, dans la mesure où les
deux nouveaux guichets cités plus haut sont des guichets de type
concessionnel, comparés aux autres modes de transfert, en vigueur dans
le Fonds;
• au niveau de la structure-maturités de ses crédits, dans la mesure où
les deux Facilités d'ajustement structurel (FASR) et de réduction de la
dette (PPTE) sont des facilités de long terme, comparées aux autres
mécanismes de transferts du Fonds qui sont des instruments de court et
moyen terme 17 •
Certes, ces deux initiatives restent, comme l'ensemble des autres
mécanismes d'intervention du Fonds, ciblées sur un objectif de base: la
stabilisation/viabilisation des balances de paiements des pays concernés.
Mais l'évidence empirique, collectée en Afrique et ailleurs, plus que les
schémas théoriques, montre aussi :
• que stabilisation/viabilisation des équilibres extérieurs, ajustement structurel, réduction de la dette sont des composantes plus interdépendantes que
séquentielles d'un même processus: le processus de développement;
• que la gestion duale de ces composantes-là n'est pas toujours optimale,
du point de vue des pays bénéficiaires, en tout cas.
16. Citons parmi ces noms l'économie-vedette de Harvard, Jeffrey Sachs, l'expert émérite en matière de politique de change, Sébastian Edwards et bien d'autres...
17. Les crédits consentis par le FMI dans le cadre de ses mécanismes ordinaires (Politique des tranches de crédit et mécanisme élargi de crédit) ou spéciaux (Facilité de financements régulateurs) ou d'aide d'urgence, sont remboursables dans un délai maximum de 5
ans. En revanche, les prêts FAS sont remboursables dans un délai maximum de 10 ans.
LES RÉFORMES DU SYSTÈME DE BRETION WOODS
291
Et si cette évidence empirique-là n'a guère trouvé d'écho dans le débat
présent sur la NAGIFSF, elle finira bien par s'imposer et par initier, à court
ou à moyen terme, sinon une révision radicale, du moins un redéploiement
des attributions et des domaines d'interventions des deux institutions de
Bretton-Woods.
Et dans ce redéploiement-là, l'Mrique nous semble être une partie
prenante essentielle. Unifier la gestion des composantes évoquées ci-dessus
sous l'égide de l'institution qui s'occupe et se préoccupe le plus de développement, la BM, donnerait, en effet, à la coopération afro-Bretton-woodienne
un souffle, des perspectives, une flexibilité et une convivialité qui lui ont
toujours manqué.
En attendant ce redéploiement, et en guise de conclusion, quatre propositions pourraient être avancées :
- l'unification du Comité intérimaire (FMI) et du Comité de développement (BM), dans le cadre d'une structure plus représentative des intérêts et des priorités de l'ensemble des pays membres - et ce, en vue de
donner à la coopération bretton-woodienne avec l'Afrique et les pays du
Sud en général, une vision de développement plus globale et plus cohérente et d'ouvrir aussi une fenêtre Sud sur le débat actuellement en cours
sur le BAGIFSF. A défaut d'unification, la mise en place d'un mécanisme
de coordination et de supervision des deux comités cités nous paraît souhaitable, voire nécessaire pour réduire les dysfonctionnements - institutionnels ou autres - devenus particulièrement évidents, depuis la crise
asiatique de l'été 1997. La coordination souhaitée devrait inclure d'autres
institutions internationales porteuses, elles aussi, de projets pour le développement de l'Afrique, comme celui parrainé par le PNUD sous le titre
d'« Initiative spéciale pour l'Afrique ». Une initiative qui pourrait mobiliser autour d'elle des institutions d'aides multilatérales (BM et FMI),
régionales et bilatérales dans le cadre d'un « grand projet pour le développement de l'Afrique du XXIe siècle ».
- La dotation des deux mécanismes FASR et PPTE de ressources suffisantes pour permettre :
• au premier, de soutenir sur une base permanente l8 les efforts des pays
africains, engagés dans des réformes structurelles de long terme;
• au second, de financer l'annulation de la dette extérieure des pays africains - une demande légitime, équitable et urgente -, ou pour le moins,
18. Les opérations FASR sont financées principalement par des contributions des pays membres du FMI, sous la fonne de prêts et de dons consentis à un fonds fiduciaire créé à cet effet. Fin
février 1998, le total des montants engagés au titre des aides FASR était de l'ordre de Il milliard
de dollars pour l'ensemble des 80 pays éligibles, dont les pays africains constituent l'écrasante
majorité. Soit au rythme de 1,1 milliard de dollars par an depuis décembre 1997, date de la création de la Facilité. Fin février 1999, le total effectivement deboursé s'évaluait à 9 milliards de dollars environ, soit au rythme de 0,8 milliard par an. Fin 1999, toutes les ressources disponibles
auront été engagées. Les projections faites par le FMI révèlent que 1,5 milliard de DTS supplémentaires seront nécessaires pour faire face à la demande potentielle jusqu'à la fin 2000. Le FMI
est à l'heure actuelle à la recherche de nouvelles ressources de l'ordre de Il milliards de DTS
pour réapprovisionner la FASR. Ainsi, la pennanence des aides fournies par la FASR sera fonction de la générosité des grands donateurs occidentaux.
REPENSER BRETION WOODS
292
d'en réduire les charges dans des proportions plus conformes aux
besoins et aux capacités de remboursement des pays concemés 19 •
- Le renforcement de l'accès des pays africains aux aides concessionnelles de
la BM - guichetAIl)2o. Comme nous l'évoquions plus haut, l'Afrique n'ajamais
eu la part qui aurait dû être la sienne dans l'allocation des ressources disponibles
chez les jumeaux de Bretton Woods. Certes, ce guichet concessionnel fait face
périodiquement à des problèmes de reconstitution des ressources, particulièrement en ces moments d'austérité budgétaire généralisée et de baisse continue
des aides publiques au développement. Mais cela n'enlève rien au caractère prioritaire de l'accès africain aux ressources concessionnelles disponibles.
19. En ce qui concerne la fiscalité PPI'E, observons tout d'abord que sur41 éligibles, 33 sont
africains, dont un seul, l'Ouganda, a bénéficié d'une d'aide de 650 millions de dollars, qui représente une réduction de 20% de sa dette totale. Au cours de la période s'étalant entre juin 1999 et
mars 2001, quatre autres pays africains sont programmés pour recevoir une aide totale au titre de
la PPI'E d'un montant de 4 150 millions de dollars répartis comme suit:
n.bleaul
P8Y~
Aide en % du montant talai
Aide (millions $)
Date déboursemenl p1ivue
2900
juin 1999
Mali
250
décembre 1999
10
Bwkina Faso
200
.'1012000
1.
800
man200l
6
Mozambique
COle d'Ivoire
T"""
"SO
,
..
de ladene
57
AinSI, entre septembre 1996, date de la creatIon de l' trutIatIve PPI'E et mars 2001, 5 pays africains (Ouganda compris) sur 33 auront bénéficié de 4150 millions de dollars au titre de ladite
facilité, comparée à une dette extérieure africaine totale évaluée à 200 milliards de dollars.
Par ailleurs, l'accès aux aides PPI'E est soumis à des conditions qui peuvent s'avérer rédhibitoires pour certains pays africains. La période probatoire de 6 années consécutives de bonne
gouvernance économique, avant tout accès aux ressources PPI'E explique dans une large mesure
le nombre très réduit des pays africains ayant déjà bénéficié ou susceptibles de bénéficier dans un
avenir proche d'une réduction de leurs dettes extérieures.
20. Au cours des quatre décennies passées, le volume total des engagements AlD en Afrique
n'a pas dépassé les 18 milliards de dollars, soit une moyenne inférieure à 500 millions de dollars
par an répartis entre plus de 50 pays, qui comptent parmi les plus pauvres du monde. Certes, le
rythme des engagements AID a connu une accelération remarquable, notamment entre 19891993 (900 millions de dollars par an) et 1994-1998 (2465 millions de dollars par an). Mais en
termes de transfert net, les aides AlD à l'Afrique n'ont pas dépassé en moyenne 1 135 millions
de dollars par an entre 1993-1998 (992 millions de dollars en 1998).
LES RÉFORMES DU SYSTÈME DE BRETTON WOODS
293
Annexes
Tableau 3 - Indice du développement humain
1960-1995
valeur médiane*
~s
1960
1970
1980
1995
Afrique de l'Ouest
0,095
0,159
0,177
0,295
Afrique de l'Est
0,192
0,291
0,340
0,358
Pays
Afrique centrale
0,185
0,215
0,244
0,353
Sud de Afrique
0,245
0,307
0,342
0,378
Afrique du Nord
0,258
0,323
0,476
0,612
* : Calculs effectués à partir des données contenues dans divers Rapports du PNUD sur le
développement humain.
Tableau 4 - Réduction de la pauvreté en Afrique
Le tableau de bord économique et financier
Indicateurs actuels et performances requises
~s Nord
Indices
Nombre de pays
Ouest Centre Est
7
15
7
PIB réel
Taux croissante Annuel (%) :
-Actue1*
-An 2000**
-Requis
5,60
7,61
6,70
Coefficient marginal de capital.
Actuel
3,8
4,8
Taux d'épargne domestique.
Actuel (%PIB)
15,9
Taux d'investissement requis
(% PIB)
46
53
8,12 6,20
4,0
5,1
7,16
-
6,79
7,3
5,6
6,1
5,8
5,0
7,8
15,
7,7
19,6
14,2
14,9
21,3
36,5
48,9
45,5 37,8
40,4
33,0
Financement extérieur requis
(% PIB).
5,4
28,7
33,9
37,8 18,2
26,2
18,1
Flux AOD ***(% PIB). Actuel
3,8
13,5
7,3
15,6 11,8
(2)
12,3
8,9
26,6
22,2
13,9
9,2
(1)
Solde de financement (% PIB)
1,6
15,2
13
Afrique
Total
Sud subsaha- moyenne
rienne
Source: Commission économique pour l'Afrique (ONU)
* : Taux moyen pour la période 1996-99
** : Estimation
*** : Assistance officielle au développement
(1) : Nigeria non compris et (2). Afrique du Sud non comprise
11
6,4
-
CINQUIÈME PARTIE
ANNEXES
Allocution du CODESRIA
Mme Marie Angélique SAv ANÉ
Monsieur le Ministre,
Monsieur le représentant résident du PNUD,
Messieurs les représentants du corps diplomatique et des institutions internationales,
Mesdames, Messieurs,
Chers collègues et amis,
Au nom du Président du Comité exécutif du CODES RIA (le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique), je tiens à vous souhaiter la bienvenue et à vous remercier d'avoir bien voulu participer à ce symposium.
L'objectif de cette rencontre est de réfléchir et de faire des propositions sur les
réformes à opérer dans le système international qui tiennent compte des intérêts et
de la spécificité du continent.
En effet, depuis quelques années, nombre de groupes, dont la Commission sur la
gouvernance globale, s'interrogent sur les changements à apporter pour adapter les
institutions de la gouvernance globale au monde d'aujourd'hui. Ces groupes insistent sur les réformes des Nations unies, sur la démocratisation et la redéfinition
nécessaires des institutions principalement celles de Bretton Woods et l'üMC,
mais aussi sur un partenariat réel entre le Nord et le Sud, une responsabilité collective dans la gestion des biens communs, le sens de l'éthique dans les transactions
financières, la reconnaissance du rôle de la société civile.
L'Afrique a été absente ou faiblement représentée dans ces débats. Il est donc
important qu'elle apporte sa contribution surtout que la crise asiatique a fait de ce
débat un impératif.
En effet, depuis deux ans, l'économe mondiale est secouée par des crises persistantes. Ces crises financières ont touché les pays émergents d'Asie, les pays latinoaméricains, la Russie et certains pays d'Europe de l'Est. Aujourd'hui, la crise
financière frappe aux portes des pays développés d'Europe. Cette instabilité croissante a amené les institutions à réfléchir sur les réformes à apporter aux institutions
internationales et à l'ordre mondial. Or, l'Afrique est marginalisée dans ces débats.
298
REPENSER BRETION WOODS
D'où la nécessité d'un tel symposium pour ouvrir une réflexion plurielle sur les
attentes de l'Afrique.
Monsieur le Ministre,
Monsieur le représentant résident du PNUD,
Messieurs les représentants du corps diplomatique et des institutions internationales,
Mesdames, Messieurs,
Chers collègues et amis,
L'Afrique est certes peu touchée par l'instabilité financière et les mouvements de
capitaux à court terme. Mais, elle ne saurait se tenir en dehors des débats sur la
refonte de l'ordre international, car elle connaît, en dépit de l'amélioration de la
conjoncture, des difficultés structurelles: pauvreté, dépendance économique
accrue, crise profonde de la dette, etc. De ce point de vue, la réforme de l'ordre
international doit prendre en considération la nécessaire relance de la croissance et
du développement durable sur le continent. Ce symposium nous permettra de réfléchir profondément et de manière plurielle sur ces questions. Notre objectif étant de
produire des analyses rigoureuses en vue d'élaborer la contribution africaine à ce
débat de dimension internationale.
Monsieur le Ministre,
Monsieur le représentant résident du PNUD,
Messieurs les représentants du corps diplomatique et des institutions internationales,
Mesdames, Messieurs,
Chers collègues et amis,
Ce symposium s'inscrit dans les traditions de réflexion du CODESRIA. Notre institution a, depuis sa création en 1973, pris en charge des recherches dans le domaine
des sciences sociales dont l'économie et la finance ne sont que des composantes.
Dans cette direction, les grands dossiers du développement de l'Afrique ont été
ouverts de manière régulière afin de contribuer à la recherche de solutions idoines.
C'est ainsi que depuis le plan de Lagos 1980-2000 jusqu'à l'ajustement structurel
et l'avenir de la zone franc, les chercheurs africains n'ont cessé, au sien du
CODESRIA, de s'interroger sur la pertinence des choix et des priorités économiques
par rapport aux réalités du continent. Toutes ces recherches ont constitué des références et ont forgé une tradition aujourd'hui reconnue au niveau international. Chaque fois que le besoin se fait sentir, nous avons mobilisé la communauté
scientifique d'Afrique pour trouver des solutions par la recherche. Ce symposium
est une confirmation de cette orientation. Nous attendons, comme à l'accoutumée,
des résultats tangibles qui permettront aux grands décideurs politiques africains
d'opérer des choix appropriés. C'est aussi l'occasion de lancer un appel afin que
s'instaure un dialogue politique permanent entre les chercheurs et les décideurs.
Les résultats de la recherche doivent être perçus comme des instruments de la prise
de décision.
Monsieur le Ministre,
Monsieur le représentant résident du PNUD,
Messieurs les représentants du corps diplomatique et des institutions internationales,
Mesdames, Messieurs,
Chers collègues et amis,
ALLOCUTION DU CODESRIA
299
Si l'ordre international peut contribuer à la solution de nos problèmes, le plus
important doit venir de nous-mêmes, ce qui soulève l'importance des questions de
gouvernance. Si bien qu'i) devient clair que repenser Bretton Woods, c'est sans
doute militer pour l'avènement d'un ordre international plus équitable pour l'Afrique, mais suppose aussi la nécessité impérative d'édifier des sociétés démocratiques avec des systèmes économiques performants.
Monsieur le Ministre,
Monsieur le représentant résident du PNUD,
Messieurs les représentants du corps diplomatique et des institutions internationales,
Mesdames, Messieurs,
Chers collègues et amis,
Je ne saurai conclure mon propos sans remercier son Excellence Blaise Compaoré, président du Faso et président en exercice de l'OUA pour son appui moral et
matériel dans l'organisation de cette manifestation.
Nos remerciements vont aussi vers nos autres partenaires, le PNUD, le CRDI, la
CNUCED, la CEA, la Fondation FORD, l'OUA et OXFAM.
Enfin, Monsieur le Ministre, nous vous sommes très reconnaissants d'avoir pu
vous libérer de vos nombreuses charges pour présider cette manifestation. Soyez
notre interprète auprès de Monsieur le Président du Faso et de Monsieur le Premier
ministre pour leur dire toute la gratitude de notre institution.
Je vous remercie.
Ouagadougou, le Il juin 1999
(Allocution lue par Mme Marie-Angélique Savané, membre du comité exécutif
du CODE5RIA).
Allocution du représentant du PNUD
Afrique au symposium sur les propositions
de réforme des institutions
de Bretton Woods
M. Mbaya KANKWENDA
Ouagadougou, 9-11 juin 1999
Excellence Monsieur le Président du Faso,
Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Présidents d'Institutions,
Mesdames et Messieurs les Membres du Gouvernement,
Distingués Invités
Mesdames et Messieurs,
C'est pour moi un plaisir et un honneur de prendre la parole à l'occasion de
l'ouverture de ce symposium consacré à « Repenser les institutions de Bretton
Woods à partir de l'Afrique », au nom du Programme des Nations unies pour le
Développement et au nom de Madame ThelmaAwori, Directrice du PNUD Afrique.
Deux ans se sont écoulés depuis ce mois de juillet 1997 où la Thailande se mit
rapidement à épuiser ses réserves de change, dans une démarche effrénée, et vaine,
visant à freiner la chute de la monnaie nationale. Elle mettait ainsi en branle la crise
financière des pays du Sud-Est asiatique, crise qui allait s'étendre, par effet d' entraînement, dans toutes les parties du monde, aussi bien dans les pays en développement que dans les pays développés, avec des effets plus ou moins dévastateurs.
Malgré une intégration très limitée de leurs économies dans les marchés globaux
des capitaux, des biens et services et de la technologie, les pays africains n'ont pas
pour autant été épargnés par cette crise. D'abord, certains pays qui exportent traditionnellement vers les pays asiatiques ont vu leurs exportations diminuer sensiblement, aggravant ainsi la position de leur balance commerciale et de leurs
trésoreries. Ensuite, du fait de leurs difficultés et surtout de la forte dépréciation de
leur monnaie, les relations émergeantes d'investissement de capitaux asiatiques
dans certains pays africains se sont trouvées freinées. Par ailleurs, du fait précisément de cette dépréciation des monnaies asiatiques, la compétitivité sur des mar-
302
REPENSER BRETION WOODS
chés tiers des produits africains par rapport aux produits similaires asiatiques s'est
fortement dégradée, engendrant encore davantage des tensions au niveau de la
balance des paiements. Enfin, la crise a déclenché une méfiance générale envers ce
qu'on appelle les marchés émergeants qui a pénalisé les économies africaines intégrées ou en voie d'intégration dans l'économie globale, entraînant par exemple une
forte chute sur la bourse des valeurs de Johannesburg et l'économie sud-africaine,
affectant les perspectives de croissance de l'ensemble de la sous-région.
Ces remarques montrent clairement que l'Afrique n'est pas à l'abri de ce qui se
passe dans le monde; les économies africaines sont reliées aux marchés globaux
par diverses transactions portant sur les biens et services, les flux d'investissements
directs et de portefeuille et d'emprunts publics et privés ainsi que les technologies.
D'une certaine façon et dans une mesure qui varie d'un pays à l'autre, les économies africaines font partie du processus de mondialisation, avec ses risques et avantages potentiels.
A partir de ce constat, l'Afrique ne peut se permettre de rester à l'écart des débats
en cours, destinés à revoir les règles du jeu des relations économiques internationales, et en particulier susceptibles de contribuer à bâtir une nouvelle architecture
internationale.
La crise déclenchée en 1997 a en effet provoqué une multitude de débats sur les
questions financières et monétaires. Ces débats se déroulent à plusieurs niveaux:
au niveau des économistes et des universitaires, au niveau des responsables des
politiques macroéconomiques, au niveau des institutions internationales, au niveau
des responsables politiques des pays les plus riches du monde et enfin dans la
presse spécialisée.
Les grands thèmes de ces débats portent généralement sur (i) les causes profondes de la crise asiatique et les hypothèses explicatives de son déclenchement; (ii)
les mécanismes de sa très rapide propagation; (iii) les leçons de politique macroéconomique qu'on peut tirer de cette crise. Parmi ces dernières, on peut mentionner
notamment la plus ou moins grande libéralisation du secteur financier, la politique
du régime des changes, les politiques de gestion et de maîtrise des entrées et sorties
des capitaux à court, moyen et long terme, les mécanismes de prévention des crises
financières et enfin les réformes du système monétaire et financier international, de
façon à prévenir les crises comme celle dont il s'agit ici, et à mieux gérer d'autres
crises qui, malgré toutes les mesures de prévention, ne manqueront pas de survenir.
La voix de l'Afrique, ou mieux, les voix de l'Afrique ne se sont malheureusement pas fait beaucoup entendre dans l'ensemble de ces débats. Et c'est très dommage pour deux raisons: d'une part, leurs économies sont touchées par la crise
comme le reste du monde, et d'autre part, si les intérêts, les préoccupations et les
spécificités des économies africaines doivent être pris en compte dans la nouvelle
architecture financière internationale, il semble utile et nécessaire que les Africains, aussi bien les chercheurs que les responsables et les décideurs, y
réfléchissent et apportent leurs contributions aux discussions et négociations en
cours.
ALLOCUTION DU REPRÉSENTANT DU PNUD
303
Excellence Monsieur le Président du Faso,
Distingués Invités,
Mesdames et Messieurs,
La réalité est que la crise engendrée par la non-maîtrise des mouvements spéculatifs des capitaux en Asie n'est qu'un révélateur d'une crise plus profonde qui va
au-delà de la seule sphère financière et monétaire. Les racines s'enfoncent dans la
nature et la structure de l'économie mondiale elle-même, dans l'autonomie de plus
en plus grande de la sphère financière par rapport à sa base économique, ainsi que
dans l'absence d'une démocratie économique au niveau mondial et d'une autorité
ou d'un dispositif de régulation au niveau international.
Or, au centre de l'architecture économique et financière mondiale actuelle, se
trouvent les institutions de Bretton Woods.
Les discussions sur la réforme de leurs missions et mandats respectifs, ainsi que
sur leurs modes opératoires, ont débuté bien avant la crise asiatique et de ce fait,
montrent que le malaise et donc le besoin de réformes trouvent leurs origines et justifications dans les expériences déjà vécues antérieurement.
Tout au long de ces discussions et réflexions engagées au plan international,
l'Afrique a été absente, comme tenue à l'écart, comme simple objet, mise au pas ou
attelée à une dynamique dont elle n'était pas réellement partie prenante.
Pourtant, l'entrée de l'Afrique dans ce débat se justifie non pas seulement en raison de l'élargissement de la crise mondiale et de ses répercussions sur les économies africaines, elles-mêmes déjà en crise, mais parce que, plus que tout autre
continent, l'Afrique s'est efforcée, sous les auspices des institutions de Bretton
Woods, à conduire des politiques économiques et financières, inspirées pour ne pas
dire dictées, par ces mêmes institutions.
Par conséquent, l'Afrique se doit de tirer les enseignements de son expérience
avec les institutions de Bretton Woods et de participer aux débats et de se faire
entendre dans le processus de discussion et de réformes du système économique et
monétaire international.
Le but de ce symposium est précisément de permettre aux chercheurs et universitaires africains de procéder à cette réflexion et de nourrir les responsables et
décideurs au plus haut niveau des résultats et recommandations de cette réflexion,
afin que ces derniers soient mieux armés dans la gestion des économies nationales
et, dans la participation et la contribution aux débats portant sur la refonte du système financier international.
Le PNUD est particulièrement honoré d'avoir contribué, avec d'autres partenaires ici présents, à la tenue de cette rencontre. En effet tout ce qui permet aux Africains de se réunir pour réfléchir ensemble sur leurs problèmes et de délibérer sur les
meilleures options permettant de les résoudre nous tient à cœur et fait partie du
mandat de base du Bureau du PNUD pour l'Afrique. En outre, lors de la réunion de
tous les représentants résidents du PNUD-Afrique qui s'est tenue à Cotonou, au
Bénin, en février dernier, nous nous sommes en particulier engagés à travailler
davantage avec les institutions africaines de recherche en matière économique et
sociale, afin de les renforcer, d'accroître la coopération entre elles, afin, d'en faire
304
REPENSER BRETTON WOODS
des appuis de base pour les responsables africains. Ceci explicite donc notre intérêt,
notre participation et notre contribution à cette rencontre des économistes et chercheurs africains.
Nous voudrions donc féliciter chaleureusement les initiateurs du projet de ce
symposium, en premier chef, le CODES RIA pour avoir eu l'idée de cette rencontre.
Nous voudrions aussi remercier le chef de l'État, Président du Faso et le gouvernement pour l'intérêt qu'ils ont manifesté pour accueillir cette rencontre sur le sol
du Burkina et y contribuer de manière substantielle.
Excellence Monsieur le Président,
Non seulement vous avez accepté de parrainer cette importante rencontre africaine, mais vous avez aussi accepté de présider personnellement son ouverture et
d'en être le porte-parole et l'avocat auprès de vos pairs. La communauté scientifique africaine vous en est reconnaissante car elle ne demande que cela: être en dialogue permanent avec les responsables politiques du continent et au service de son
progrès.
Je voudrais enfin souligner qu'il ne serait pas indiqué que notre réflexion
s'amorce et s'arrête à notre seule rencontre. Nous souhaitons vivement que ceci ne
soit que le début de multiples réflexions de même nature et sur les mêmes thèmes,
car le débat sera loin d'être clos lorsque nous nous séparerons vendredi soir. Nous
souhaitons donc que les discussions entre les universitaires africains, les parlementaires, les responsables et représentants des divers segments de la société civile
puissent continuer, afin que tous puissent y participer pour en comprendre les
enjeux et faire des propositions constructives. Il y va de l'avenir du continent et de
sa place dans les relations économiques internationales de demain.
Pour notre part, le PNUD-Afrique, en coopération avec les autres partenaires
intéressés, continuera d'appuyer ce type d'initiatives qui nous semblent porteuses
de créativité dans la recherche de consensus bénéfiques pour l'Afrique.
Au nom du PNUD et de Mme Thelma Awori, Administrateur assistant et Directrice du Bureau Afrique du PNUD,
Au nom des responsables de l'Unité des politiques du PNUD-Afrique et au nom
de mes collègues du PNUD-Ouagadougou,
Je vous souhaite à toutes et à tous, la bienvenue, un agréable séjour au Burkina
Faso et surtout plein succès dans nos délibérations.
Je vous remercie de votre attention.
Rapport de la commission n° 1
LA PLACE DE L'AFRIQUE
DANS LE SYSTÈME INTERNATIüNAL »
«
La commission na l, dont le thème des travaux portait sur: « La place de l'Afrique dans le système international» a organisé sa démarche autour de deux points:
le diagnostic et le pronostic.
1) Le diagnostic
S'agissant du diagnostic, il convenait de faire l'analyse objective de la place de
l'Afrique dans le Système international et d'en dégager les déterminants.
Sur ce point, la commission na 1 relève la marginalité de la position africaine à
partir du constat d'une crise multidimensionnelle:
• la crise des économies africaines qui renforce le sous-développement et creuse
l'écart entre le Nord et le Sud;
• la crise des États africains qui relève l'illégitimité de la plupart des gouvernements, l'inadéquation des plans de développement par rapport aux réalités
africaines;
• la crise des marchés nationaux obérant les perspectives de développement
autocentré ;
• la crise de l'intégration régionale qui relativise la perception et l'action de
l'Afrique comme entité collective.
II) Le pronostic
S'agissant du pronostic, la commission na 1 recommande ce qui suit:
• la nécessité de mener une bataille de principes contre la fondation du système
monétaire international sur les monnaies dirigeantes;
306
REPENSER BRETION WOODS
• la nécessité d'aller au-delà des institutions de Bretton Woods notamment en
s'impliquant davantage à l'OMe ;
• l'élaboration d'un système africain de production des connaissances sur le système international;
• la constitution du cadre régional africain en instance de négociation avec les
institutions internationales;
• la restructuration interne des sociétés africaines.
BW RT Annexe 4 el « La place de l'Afrique dans le système international»
Ouagadougou, 10 juin 1999
Rapport de la commission n° 2
«
LA DETTE AFRICAINE»
La commission n° 2 a fait le constat que le poids de la dette extérieure des pays
africains constitue un obstacle majeur à la relance de la croissance et du processus
de développement économique et social du continent. De plus, le poids et le service
de la dette handicapent sérieusement la compétitivité, freinent leur participation
effective à la globalisation de l'économie mondiale et accroît davantage sa marginalisation.
Il a été également constaté que compte tenu de son poids (comme l'indique la
plupart des ratios) et de la faible capacité des économies africaines à générer des
devises que la probabilité du remboursement de la dette est extrêmement limitée.
Par ailleurs, il a été constaté que dans l'incapacité de rembourser leurs dettes, les
pays africains sont acculés à continuellement emprunter pour assurer le service de
la dette, créant ainsi un cercle vicieux bloquant tout le processus de développement.
La commission a également constaté que la dette africaine présente des particularités qui lui sont propres (l'importance des arriérés, le faible poids de la dette
extérieure privée, en contraste, l'importance du financement public multilatéral et
bilatéral.. .).
Les recherches d'une solution à la dette ne sont pas mutilées car, déjà en 1988,
l'OUA, la CEA et la BAD avaient sorti un document portant sur la « position commune africaine sur la dette extérieure ».
Plus récemment, les institutions de Bretton Woods ont lancé l'initiative « HIPC »
qui a suscité beaucoup de débats dans plusieurs milieux.
Les débats ont, pour la plupart, montré le caractère plus approprié de cette approche (notamment des critères d'éligibilité trop restrictifs, le délai exagérément long
pour pouvoir bénéficier d'une réduction de la dette, etc.
Par ailleurs, il est à craindre que les fonds HPCS pour la réduction de la dette
multilatérale qui sont alimentés à partir des contributions des pays créanciers ne
viennent en déduction de l'APD déjà en baisse tendancielle.
Procédant à une analyse historique du processus et des procédures d'endettement
des pays africains, la commission a constaté que, si les dirigeants africains portent
une lourde responsabilité dans l'état actuel de la dette, il n'en demeure pas moins
vrai que leurs partenaires au développement, aussi bien bilatéraux que multilatéraux portent én eux aussi une bonne part de responsabilité.
308
REPENSER BRETION WOODS
Trop souvent, les effets négatifs de la gouvernance dans les pays africains ont été
amplifiés par la mauvaise gouvernance dans les pays africains au niveau international.
Ainsi, la reconnaissance par les créanciers de cette part de responsabilité devraitelle placer les protagonistes dans une position plus équilibrée dans les négociations
portant sur le traitement de la dette.
La commission a considéré plusieurs options possibles dans la résolution du problème de la dette africaine.
Elle a d'emblée exclu la répudiation de la dette qui ne pourrait qu'entraîner des
confrontations néfastes.
Quant à la réduction des dettes bilatérales, elle n'a jamais pu à contribuer une
solution radicale et durable au problème de la dette jusqu'à ce jour.
Au terme des discussions intenses, la commission est arrivée à la conclusion que
la relance d'une croissance soutenue et durable dans le continent passe par une
annulation de la dette africaine.
A cet égard, il a été rappelé des précédents historiques d'annulation de dette
externe par des pays créanciers comme ce fut le cas entre l'Angleterre et les ÉtatsUnis.
Cette annulation des dettes africaines se justifie non seulement par le poids
excessif de cette dette et de ses effets économiques et sociaux, mais aussi par le
caractère spécifique de cette dette qui appelle un traitement de choc qu'exige
l'acuité de ce problème.
Toutefois, la commission considère qu'une telle approche nécessite un engagement formel des pays africains portant sur une survie d'ajustement au niveau
interne dont:
• une meilleure gouvernance économique (un état de droit, un environnement
réglementaire fiable et transparent. .. ) ;
• un plan détaillé pour la mobilisation et la gestion rationnelle des importantes
ressources nationales tant humaines, financières que naturelles;
• un plan de réformes macroéconomiques pour une reprise de la croissance des
procédures et des mécanismes de négociation des contrats d'endettement plus
rigoureux et transparents à l'instar de ce qui existe, par exemple, au Botswana.
La commission est consciente que la proposition d'annulation de la dette puisse
aller à l'encontre des règles actuelles qui régissent le fonctionnement des institutions de Bretton Woods.
Il est donc recommandé aux pays africains de se mettre ensemble pour formuler
un plan de plaidoyer auprès des principaux pays membres des institutions de Bretton Woods et de leurs opinions publiques, y compris les Parlements, pour une
modification des règles en vigueur.
Enfin, la commission recommande que les pays africains agissent collectivement, engagent des discussions avec les institutions de Bretton Woods, de façon à
accroître leur quote-part dans l'allocution des liquidités supplémentaires dérivées
de chaque changement des quotas; et ce afin de mieux tenir compte du niveau de
développement et d'endettement, à l'instar des fonds structurels de rUE pour les
régions défavorisées de l'Europe.
Rapport de la commission n° 3
«
LA RÉFORME DU SYSTÈME DE
BREITON WOODS»
Préambule
Nous nous sommes tous accordés sur la nécessité de réfonner le système de Bretton Woods pour intégrer les réalités induites par les difficultés structurelles auxquelles les économies africaines sont confrontées. Les récentes crises financières
asiatiques, la pauvreté croissante chez les populations africaines, et le fardeau sans
cesse croissant de la dette des États africains font qu'il faut nécessairement
« Repenser le système de Bretton Woods à partir d'une perspective africaine ».
Ainsi, une rencontre des économistes et experts africains a été organisée sous les
auspices du CODESRIA du 9 au Il juin 1999 à Ouagadougou (Burkina Faso).
La Commission na 3 a discuté du sous-thème: « La réfonne du système de Bretton Woods ».
Au cours des discussions, la commission a noté que l'Afrique tient à profiter des
réfonnes des institutions de Bretton Woods en cours initiées par M. Wolfensohn de
la Banque mondiale.
Cependant, ces réfonnes doivent être poussées davantage et intensifiées pour que
ces institutions (la Banque mondiale et le FMI) aient plus de pertinence dans leurs
efforts à l'endroit des problèmes économiques de l'Afrique. Donc, pour que le contrat social invoqué par M. Wolfensohn soit plus efficace, il.doit nécessairement
prendre en compte le contrat avec l'Afrique.
Tout le monde doit reconnaître la nécessité d'une nouvelle architecture mondiale
qui prendrait en compte la stabilité du système financier international, de même
que celle du système économique en général.
Cette nouvelle architecture doit intégrer les concepts d'équité, de justice sociale,
et d'allégement de la pauvreté.
Avec les crises africaines sans précédent marquées par de faibles monnaies, des
inégalités sociales, une pauvreté chronique, une dépendance de l'extérieur et un
lourd fardeau de la dette, le groupe est d'avis que les principaux objectifs de l'architecture mondiale proposée devraient être le développement de l'Afrique, et son
intégration dans le système économique mondial en tant qu'acteur clé.
Donc les réfonnes suggérées par M. Wolfensohn doivent être aptes à servir de
filet social de sécurité économique pour l'Afrique.
310
REPENSER BRETION WOODS
Perspectives
Pour atteindre ces objectifs, la commission recommande:
l. pour atteindre le taux de croissance annuel de 1% indispensable pour l'allégement de la pauvreté en Afrique d'ici l'an 2015 proposé par la CEA, il faut mettre
sur pied un projet fédérateur pour l'Afrique qui ouvrira à l'Afrique l'accès au marché financier international ;
2. il faudra pour ce faire injecter d'importants flux financiers en Afrique après la
période de l'ajustement afin que l'Afrique fasse partie de l'économie mondiale;
3. le sommet du G8 en cours doit accorder à l'Afrique le statut de la nation la
plus favorisée afin de soutenir les précaires économies africaines ;
4. avec plus de 51 % de la population africaine vivant en dessous du seuil de pauvreté, il est nécessaire d'inclure cette majorité de pauvres dans l'économie
mondiale;
5. le G8 peut également envisager de suspendre (au lieu d'annuler) la dette africaine jusqu'à ce que les économies africaines soient suffisamment relancées pour
être en mesure de rembourser leurs dettes ;
6. l'Afrique souffre d'une inefficacité institutionnelle navrante débouchant sur
une mauvaise utilisation des ressources.
Les institutions de Bretton Woods doivent dès lors s'assurer que les prêts accordés aux pays africains sont utilisés à bon escient et non détournés par des mains privées.
7. les pays africains doivent renforcer les capacités d'exploitation de leur production industrielle mais aussi profiter de leurs marchés intérieurs en encourageant
la concurrence entre eux ;
8. les institutions de Bretton Woods doivent veiller à ce que les produits industriels africains aient un libre accès aux marchés internationaux ;
9. pour que l'Afrique soit un acteur clé dans l'économie mondiale, elle doit
entreprendre une intégration économique et monétaire efficace ;
10. le groupe recommande en outre que:
a) le FMI joue un rôle de bailleur en dernière instance afin de mieux convenir à
l'Afrique,
b) les agents du FMI et de la Banque mondiale doivent cesser de se conduire
comme s'ils connaissent les problèmes des pays africains mieux que les peuples africains eux-mêmes. Par conséquent, ils doivent toujours permettre aux
pays africains d'indiquer les domaines nécessitant le plus d'interventions et
permettre une allocation de fonds à ces fins tout particulièrement. Ainsi donc,
le contrat social de M. Wolfensohn doit être accepté dans le sens destiné à des
domaines devant augmenter la productivité et améliorer le bien-être des populations,
c) le mouvement des capitaux dans l'économie mondiale doit être réglementé de
sorte qu'il ne dérègle pas l'économie mondiale,
d) les critères d'évaluation du personnel de la Banque mondiale ne doivent pas
se limiter au volume de prêts accordés, mais il faut aussi voir l'impact de ces
prêts sur la société.
Déclaration de Ouagadougou
Propositions africaines
pour une nouvelle architecture globale
Le régime de globalisation financière et de mondialisation des marchés
s'accompagne incontestablement d'une instabilité systémique qui occupe
toutes les institutions internationales. Les récentes crises financières en
Asie, en Russie et en Amérique latine ont permis de prendre conscience des
risques et des défaillances d'un système économique mondial de plus en
plus intégré. Il en découle un large consensus sur l'opportunité de repenser
l'architecture des relations économiques, financières et monétaires internationales.
L'Afrique est, à ce titre, directement concernée à trois (3) niveaux:
• quant aux risques de propagation des crises financières dans un contexte de mobilité intense des capitaux et aux effets de perte de compétitivité suite à la dépréciation des monnaies asiatiques;
• quant aux contraintes structurelles liées à la pauvreté accrue, au niveau
élevé d'endettement extérieur, au blocage du processus de développement malgré une conjoncture récemment favorable;
• enfin, en raison de la nécessité d'améliorer la gouvernance aussi bien au
niveau national que global.
En conséquence, des économistes et experts africains réunis à l'invitation
du CODESRIA du 9 au Il juin 1999 à Ouagadougou (Burkina Faso), reconnaissent l'urgence de repenser les institutions de Bretton Woods et l'ordre
mondial, en y apportant leur propre contribution.
L'ordre international
Les participants au symposium constatent la pression qu'exerce la mondialisation, en faveur de l'uniformisation des politiques et des choix de
société, à l'exclusion des préférences des populations et de leurs États.
312
REPENSER BRETION WOODS
Après la chute du mur de Berlin, le monde se trouve confronté au risque
de la construction d'un ordre unipolaire. Cette tendance, si elle se confirmait, constituerait une sérieuse régression au regard de l'exigence de pluralité et de démocratie.
Cette tendance est déjà perceptible dans certaines institutions internationales où les pays africains se trouvent de fait largement marginalisés; le
principe de leur développement étant désormais relativisé.
Compte tenu de cette situation, les participants recommandent:
• un élargissement de l'expression démocratique dans toute institution de
gouvernance ;
• une meilleure prise en compte de la diversité des situations historiques
et économiques ;
• la recherche de solutions adaptées à la crise de gouvernance;
• que la question du développement soit placée au cœur de toutes les
négociations relatives à la gouvernance en vue d'une répartition plus
équitable des ressources mondiales ;
• l'élaboration d'un système africain de production des connaissances
reflétant les réalités africaines ;
• le renforcement des capacités des institutions régionales africaines en
matière de financement du développement et le choix de la région
comme cadre de négociation avec les institutions internationales telles
que la Banque mondiale, le FMI et autres,l'üMe.
Le développement
Sur les questions de développement, les propositions sont les suivantes:
• engager une nouvelle phase de développement associant la saine gestion des équilibres macroéconomiques à l'amélioration du bien-être des
individus;
• concevoir un ensemble de réformes structurelles et sectorielles en vue
de construire une économie compétitive et d'assurer une croissance
soutenable;
• admettre qu'un tel processus exige une certaine dose d'interventions
publiques;
• de réaffirmer que la finalité ultime de tout projet de développement
durable est la satisfaction des besoins fondamentaux des populations
dans le respect des équilibres écologiques de la planète.
DÉCLARATION DE OUAGADOUGOU
313
Le commerce et les investissements
Sur la base de la nouvelle configuration du commerce mondial avec la
libéralisation accrue des échanges prévue par les accords de l'OMC et la
renégociation des conventions de. Lomé, les participants recommandent:
• que les économies les plus fragiles puissent bénéficier d'une plus
grande marge de manœuvre, prenant la forme d'une clause de la nation
la plus favorisée dans les traités internationaux; en particulier il est
nécessaire d'envisager avec les partenaires globaux des stratégies améliorant la compétitivité à long terme ;
• qu'il est nécessaire dans le contexte du nouveau commerce international stratégique et des choix d'investissements globaux, d'envisager la
promotion de l'intégration régionale.
Monnaie et finance
Prenant acte des effets pervers de l'instabilité d'es cours des monnaies
quel que soit le régime de change, et de la mobilité internationale des capitaux, les participants considèrent:
• la multipolarité du système monétaire international et la recherche
d'une stabilité tendancielle du cours des monnaies, comme principes
directeurs de la réforme du système de Bretton Woods ;
• qu'un contrôle adéquat et une réglementation appropriée des mouvements de capitaux spéculatifs s'imposent pour la stabilisation du système, et qu'ils devraient autoriser la collecte de ressources financières
affectées au développement. Sur ce plan, l'application de la taxe Tobin
offrirait des perspectives intéressantes si elle était collectée par une institution dépendante de l'ONU;
• qu'enfin, il est nécessaire de créer un conseil de sécurité économique
mondial ayant une perception plus large des enjeux de la globalisation.
La dette
Partant du constat d'un fardeau écrasant de la dette extérieure sur les économies africaines, et du caractère limité des solutions actuelles de traitement de cette dette, les participants recommandent:
• en premier lieu, d'envisager l'annulation totale ou la suspension des
créances restant dues, pour un délai suffisamment long en attendant que
les économies deviennent durablement solvables;
• en second lieu et en contrepartie de cette deuxième option, les États
africains s'engagent à consacrer les ressources dégagées à des investis-
314
REPENSER BRETION WOODS
sements productifs, en infrastructures complémentaires et en capital
humain;
• enfin, les participants recommandent que la Banque de règlements
internationaux et les institutions de Bretton Woods aident au retour vers
l'Afrique des capitaux détournés, tout en prenant les mesures visant à
empêcher de nouvelles sorties de capitaux illicites.
Disposition finale
Les participants recommandent que, sous l'impulsion du CODESRIA, soit
mis sur pied un groupe de travail chargé dans un délai à définir, d'élaborer
un programme économique pour l'Afrique du XXle siècle, et soit réuni tous
les deux ans, un forum d'évaluation des stratégies et des perspectives de
réformes.
Hakim Ben Hammouda (chef de département, CODESRIA)
Professeur Chicot Eboué (Universite de Nancy, Paris/France)
Professeur Luc Sindjoun (Université de Yaoundé II Cameroun)
Lamine Keita (Directeur du Centre d'analyse et de formulation de politiques de développement [CAFPD] - BamakolMali). Professeur Olu Ojakaye
(directeur du NISER, Nigeria).
Fait à Ouagadougou, le Il juin 1999
Table des matières
Les auteurs.............................................................................. 5
Introduction: Hakim Ben Hammouda et de Moustapha Kassé Il
PREMIÈRE PARTIE
Bilan du Système de Bretton Woods
SamiT Amin
1. La réforme des institutions de Bretton Woods et la
transformation nécessaire du système mondial.................... 35
Albert Ondo-Ossa
2. Le bilan du système de Bretton Woods
71
DEUXIÈME PARTIE
L'Afrique, Bretton Woods et le système international
Bernard Founou-Tchuigoua
3. Économie politique du consensus de Washington révisé 93
Jean-Pierre Fouda Owoundi
4. Le système de Bretton Woods et l'Afrique: réforme ou
positionnement concurrentiel ?..................................
109
Habib Ouane
S. Il Afrique dans la nouvelle donne commerciale
internationale.......................................................................... 123
Barthélemy Biao
6. Le soutien des institutions de Bretton Woods aux réformes économiques en Afrique: peut-on faire autrement?... 133
Jean-Jacques Ekomie
7. Convergence et stabilité internationale (le cas des pays
de la CEMAC)......................................................................... 153
REPENSER BRETfON WOODS
316
TROISIÈME PARTIE
L'Afrique, la dette et Bretton Woods
TounaMama
8. La question de la dette extérieure des pays africains : un
réexamen................................................................................. 169
Bruno Békolo-Ebé
9. Gestion de la liquidité internationale et financement du
développement: plaidoyer pour de nouvelles règles de
redistribution du seigneurage international.............
197
Gabriel Tati
10. A la recherche d'une alternative à la marginalisation
de l'Afrique subsaharienne.........
211
QUATRIÈME PARTIE
Réformer Bretton Woods pour l'Afrique
Chicot Eboué
11. Le FMI doit-il devenir le prêteur en dernier ressort
international ?
237
Amady Aly Dieng
12. Les institutions de Bretton Woods sont-elles
réformables?...................
259
Chedly Ayyari
13. Les réformes du système de Bretton Woods.................... 267
CINQUIÈME PARTIE
Annexes
Allocution du CODESRIA.............................................
Allocution du représentant du PNUD
297
301
Rapport de la commission n° 1 : « La place de l'Afrique dans
le système international»
305
Rapport de la commission n° 2 : « La dette africaine »
307
Rapport de la commission n° 3 : «La réfonne du système de
Bretton Woods »....................................................................... 309
Déclaration de Ouagadougou...........
311
Achevé d'imprimer en juin 2002
sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery
58500 Clamecy
Dépôt légal : juin 2002
Numéro d'impression: 206011
Imprimé en France
Collection
Bibliothèque du Codesria
L'expérience de modernisation de J'Afrique
été largement
appuyée :lans la période postcoloniale par les institution d
Bretton Woods. Ces xpériences vont connaître Wl échec dès le
début de années a av c la crise de la dette t le bai se v rtigineuse de
ur des me tières 'premières exp rtée par les pays
africain. L in~tituti n d Bretton Woods vont jouer un r'ie
actif dans la mise en plac d pl' gramm d'aju tement stru ture] qui auront pour objectif de réduire le déficits internes et
exlernes et de relancer la croi sance en Afriqu .
Plus de d ux décenni s après leur application, le bilan de réformes initié s par les instiLutions de Bretton Woods sur le contin nt
e. t décevant. En même temps, la cri e a iatique et les turbul nces
financière internationale ont ouvert un débat sur la refonte du
sy tème finan ier internaLi nal. Ce débat a su cité une pluralité
cl contributions prov nant d'univ r itaires, d'e perts, d' NG
ou de gOLiv rncments, en vue de définir une nouvelle gouvernance internationale plus efficace et plu ouvert aux préo cupations de pays en voie de dével ppement. L'Afrique est re~ tél'
ab ente et marginalisé dans e débat.
et ouvrage constitue un apport africain à la discussion sur la
g uv rnance mondiale, basé sur les ontributions d'économist 5
africains pré entées 1 r d'une l'en ontre internati na! rgani é
par 1 Code ria pour réfléchir à l'avenir des institution de
Bretton Wood à partir de l'Afrique.
ISBN: 2-84586-193-1
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