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Économie du Développement
Références africaines
Pensée Économique, développement et sous-développement
Tome 1
Moustapha KASSÉ
Économie du Développement
Références africaines
Pensée Économique, développement et sous-développement
Tome 1
Panafrika / Silex / Nouvelles du Sud
BP 16 658 Dakar Fann
www.edpanafrika.com
© Panafrika, 2009
ISBN: 978-2-912717-36-8
EAN: 9782912717368
"
A
Tous mes étudiants et Collègues des Universités africaines et des
Académies des Sciences et Techniques Hassan II de Rabat et du
Sénégal, mes souhaits de voir se constituer et se consolider une
véritable communauté scientifique africaine,
Avant propos
« L'offre des économistes a du mal à répondre à cette
amplification de la demande sociale d'où des
interrogations de la communauté scientifique sur sa
propre aptitude à tenir honorablement son rôle:
Incontestablement, la crise est intellectuelle. Après son
âge d'or, la Science économique a connu des années
noires: après trente années de certitude, l'heure des
incertitudes s'est ouverteI : «On ne sait plus prévoir,
on ne sait plus agir, on ne sait plus interpréter. Crise
de la prévision, tout d'abord face aux fluctuations
spectaculaires et erratiques des marchés et des
monnaies... Crise de la politique économique, ensuite,
face au chômage et aux désordres monétaires... Crise
de la pensée économique, enfin: s'il y a crise de la
politique économique, c'est que l'on ne sait plus très
bien analyser ce qui se passe, si l'on ne sait plus quoi
faire, c'est que l'on ne sait plus lire ».
A.GELEDAN2
J'ai enseigné l'Économie du Développement à plusieurs
générations d'étudiants depuis une trentaine d'années. L'évolution de
cette discipline de la science économique n'a pas été un fleuve
tranquille de sa phase ascendante, à son rejet brutal et, aujourd'hui à
sa réhabilitation. Le référentiel théorique, les méthodologies
d'approche des questions, les stratégies et politiques économiques et
mêmes les instruments et techniques d'évaluation ont souvent varié et
je les ai toujours diversement appréciés au gré de mes propres
convictions et certitudes d'économiste engagé. J'ai plusieurs fois
envisagé de systématiser les polycopies et notes de cours de mes
étudiants en un ouvrage. Deux événements m'ont alors dissuadé:
d'abord, l'avènement à la fin des annees 70 des Programmes
d'Ajustement Structurel à l'élaboration desquels mon ami Eliot
BERG3 avait généreusement voulu m'associer et ensuite, la chute, au
début des années 90, du socialisme réel en Europe de l'Est au
A. GELEDAN : Histoire des pensées économiques, . Sirey, 1988
C. STOFFAES : Fins de monde, Odile Jacob, 1987
3 Il était en charge d'élaborer pour la Banque mondiale les contrepropositions au Plan de Lagos. Il a alors produit le Rapport qui deviendra le
justificatif des Programmes d'Ajustement Structurel: « Le développement
accéléré en Afrique au Sud du Sahara- Programme indicatif d'action ».
1
2
9
moment où j'avais initié une évaluation critique et une rupture avec
certaines visions de l'orthodoxie marxiste. 4
Durant ces deux périodes historiques, l'Économie du
Développement est quasiment vouée aux gémonies par la domination
écrasante de la pensée néo-classiques et la prééminence de sa vision,
de se~ méthodes et de ses politiques. L'expérience nous apprend que
lorsqu'une théorie est dans cette phase ascendante, elle ne supporte
ni contestation, ni réfutation, ni falsifiabilité. C'était le cas de cette
analyse dominante portée par la Banque mondiale qui est devenue un
« maître à penser» de type nouveau puisque gardienne d'une épure
décrétée « infaillible» et vigoureusement défendue par une armada
de 6500 fonctionnaires qui s'appuient sur les services d'universitaires
certainement parmi les plus prestigieux, puisqu'appartenant à
l'environnement des fameux prix Nobel. Alors, il s'est installé un
manichéisme rarement vu dans l'histoire de la pensée sociale: d'un
côté ceux qui croient au dogme dominant et de l'autre ceux qui n'y
croient pas qui se voient refuser, au nom de la pertinence et de
l'efficacité, toute distanciation critique. On a complètement oublié
que l'économie pouvait se lire et s'écrire sur plusieurs modes
puisqu'elle est la servante des sociétés.
.
Le paradigme dominant finit par réduire la Science
économique à 10 énoncés irréfutables justifiés par les gardiens du
dogme : 1) la mondialisation est la voie inéluctable du bien-être, 2)
l'intervention publique est moins efficace que celle du privé, 3) la
primauté de l'économie sur le politique, 4) l'impératif de l'ouverture
extérieure pour un commerce sans entrave, 5) la baisse des taux
d'intérêt facilite la croissance, 6) l'éradication de l'inflation est un
impératif, 7) le combat acharné contre les nuisibles déficits publics 8)
la baisse de l'impôt des sociétés guide l'orientation massive des IDE,
9), la suppression de la législation protectrice du travail et du salaire
minimum, est une condition de rentabilité de l'entreprise, 10)
l'apologie de l'Asie qui est la dernière frontière du monde. Ce poncif
est celui des dirigeants de la Il)ondialisation. La Science économique
est transformée en une sorte de scholastique savamment couverte de
brillantine par des modèles quantitatifs qui ont réponse à tout. Des
moyens énormes sont mobilisés par les parrains de tous bords pour
propager, dans tous les milieux cette pensée devenue unique.
4 Dans une série de réflexions, j'avais partagé les critiques de beaucoup
d'intellectuels du système socialiste comme les académiciens NEMCHINOV,
TRAPEZNIKOV, et des économistes comme LIBERMANN, TINBERGEN et
bien d'autres comme Ota SICK, RICHTA etc.
5 Il est vrai que l'on confond sans nuance et à tort l'économie néoclassique à
la pensée libérale ou ultralibérale. Des précisions seront apportées
ultérieurement lorsque l'on étudiera les articulations de l'analyse
économique néo-classique.
10
Dans pareil contexte, les «Nouveaux Maîtres» s'offrent des
certitudes inébranlables et des vérités éternelles et dIsposent de
puissants moyens pour les imposer: stratégie médiatique et
communication, forte emprise sur la recherche et les chercheurs
particulièrement ceux des PSD. Ils ne souffrent ni controverses ni
compétition des méthodes et des réponses. Ils semblent nous dire
« Intellectuels et Chercheurs africains, surtout ceux au Sud du Sahara,
dormez tranquille, la Banque mondiale pense pour vous et placera vos
pays sur le chemin d'une croissance vertueuse ».6 Avec cette exclusion
implicite, la politique économique, comme le proclame la théorie de
l'agence, va se jouer à deux: les Institutions Financières Internationales d'un côté et les Gouvernements africains de l'autre. Les
premiers sont tantôt professeurs, médecins et gendarmes et les
seconds sont les sujets, il leur est demandé d'appliquer les recettes
tout en étant seuls comptables des résultats. Les universitaires et
chercheurs ne sont intégrés dans le jeu qu'au niveau des schémas
d'apprentissage: ils doivent y exercer les fonctions de renforcement
des capacités et de recyclage des fonctionnaires et auxiliaires des
Ministères techniques de l'économie et des finances aux modèles et
nouveaux instruments d'analyse, de diagnostic et de comptabilité des
bailleurs de fonds. En somme, ils sont appelés à disséminer les
nouvelles options dans leur espace par le biais de leurs enseignements, des séminaires de formation, des forums, et ateliers... (la
logique de la réunionite s'installe). Toute l'élite africaine sera
enfermée dans ce nouveau champ d'apprentissage: elle est
rémunérée, par des canaux divers (per diem, contrats de consultation,
animation de rencontres) , à ne jamais développer des controverses
ou la moindre pensée alternative. On a vite fait d'oublier que la
science économique a historiquement progressé par de vives
controverses qui sont source d'enrichissements et de progrès
importants. À l'évidence, une science sans débats internes cessera de
vivre.
Au bout de vingt ans d'application des Programmes
d'Ajustement, mon ami Eliot BERG est revenu m'inviter à la
restitution d'une recherche initiée par l'USAID et intitulée
« l'Ajustement Ajourné »7. Quel énorme aveu d'échec: comme le note
le proverbe Wolof « le fétu de paille restera un siècle dans le marigot,
6 L'efficacité des PAS ont fait l'objet de sévères critiques au sein même de la
littérature orthodoxe. L'argument essentiel formulé par des auteurs comme
KILLIL, DORNBUSCH, TAYLOR et FISHLOW, est que les PAS ont souvent
pour effet d'aggraver les problèmes qu'ils sont supposés résoudre, ou de
créer de sérieux effets secondaires indésirables. Les économistes les moins
orthodoxes ont été les plus virulents dans leurs critiques.
7 Eliot BERG: l'Ajustement Ajourné, Conférence patronnée par l'US-AID
Sénégal 1998
11
qu'il ne deviendra jamais un caïman ». À l'épreuve, ces politiques
d'ajustement ont échoué dans ce qui était leur objectif principal:
l'instauration d'un processus vertueux et irréversible de croissance
économique. Les faibles performances de ces politiques dites du
Consensus de Washington résultent, selon l'observation de J. E.
STIGLITZ8, de la confusion des moyens avec les fins: la libéralisation,
la recherche des grands équilibres, les privatisations sont prises
comme des fins plutôt que comme des moyens d'une croissance
durable, équitable et démocratique. Ensuite, elles se sont beaucoup
trop focalisées sur la stabilité des prix plutôt que la croissance et la
stabilité de la production. En outre, elles n'ont pas su reconnaître que
le renforcement des institutions financières est aussi important pour
la stabilité économique que la maîtrise des déficits budgétaires et de
la masse monétaire.
.Enfin, elles se sont concentrées sur les privatisations, mais
n'ont guère attaché la moindre importance à l'infrastructure
institutionnelle nécessaire au bon fonctionnement des marchés, et
particulièrement à la compétitivité.
Face à cette situation les PAS ont été abandonnés en catimini
sans autre forme de procès remplacés par les DSRP qui tentent
désespérément d'en conserver la substance. Conséquemment, les
querelles doctrinales vont progressivement s'estomper cela d'autant
plus que les couches intellectuelles protectrices désertent l'édifice ou
ne le défendent plus avec l'acharnement du début. Certains courants
de pensée économique parmi les plus conservateurs perçoivent la
nécessité de réhabiliter l'Économie du Développement. « La fille aux
mauvaises fréquentations» devient estimable et fréquentable. La
trajectoire de justification passe par la réconciliation entre la
croissance économique et le développement social auquel le
Programme des Nations Unies pour le Développement a donné ses
lettres de noblesse en créant le concept du Développement Humain
Durable (DHD). Plus qu'une simple notion, le Développement
Humain Durable (DHD) fait référence à un système complet de
modèles : modèles de production, modèles de reproduction sociale,
modèles de répartition, modèles de participation, modèles
d'institutionnalisation, modèles de socialisation. C'est aussi le PNUD
qui prend l'initiative de rouvrir le débat sur les questions essentielles
du développement économique après les propositions du Rapport
Dans ses deux ouvrages qui ont suivi sa sortie de la Banque mondiale en
grande désillusion en 2002 et Un autre monde: contre le
fanatisme du marché 2006), il a mis à la disposition de la communauté des
économistes des analyses pénétrantes sur l'architecture de l'économie
mondiale et la faillite de la gouvernance économique mondiale que devraient
réaliser les institutions financières internationales.
8
2000 (La
12
Willy BRANDT, de la COMMISSION SUD ou du FORUM DU TIERSMONDE.
Le projet fut confié à l'économiste pakistanais MAHBUB UL
HAQ qui a longtemps séjourné à la Banque mondiale. Pour la
première fois un Rapport international va se référer aux auteurs
classiques et bâtir son argumentaire sur KANT, QUESNAY, A.
SMITH, RICARDO, MARX, J.S. MILL et reconnaître que les individus
ne sauraient être réduits aux seules dimensions de «l'homo
économicus » et des principes de choix rationnels et maximisateurs.
Progressivement, le PNUD marque sa rupture d'avec la vision de la
Banque mondiale. Alors, il va s'en suivre un bouillonnement et un
regain d'intérêt pour les théories du développement. Le
développement est désormais compris comme la transformation de la
société, le passage de relations traditionnelles, de modes de pensée
traditionnels, de façons traditionnelles de traiter la santé et
l'éducation, de méthodes traditionnelles de 'production, vers des
approches plus « modernes »,
Cette nouvelle Économie du Développement regroupe
l'ensemble des pratiques théoriques qui s'éloignent du modèle
walrassien en reconnaissant les imperfections du marché et
l'incapacité des politiques de stabilisation et d'ajustement orthodoxes
(inspirées de ce modèle de base) à opérer les transformations
nécessaires à une reprise durable de la croissance dans les pays
africains.
Manifestement, il est devenu, aujourd'hui, plus enthousiasmant de
publier un ouvrage d'économie du développement notamment avec
des références à l'Afrique dont tout le monde souhaite qu'elle
« Retrouve sa place dans le 21ème siècle ». En effet, depuis la fin des
années 90, le dédain vis-à-vis de l'Économie du Développement n'est
plus de mise du fait que le développement se trouve « au cœur de
vives controverses et plus encore des avancées· conceptuelles'
marquantes au sein de la Science économique. 9 C'est cela qui
explique, sans doute, le foisonnement des Manuels d'Économie du
Développement: «les Dévelops» n'occupent plus une position
inférieure dans l'échelle des valeurs de la tribu des Économistes
9 RBüYER: L'année de la Régulation: «Qu'on en juge: la théorie de
l'information imparfaite et des contrats (principal/agence, STIGLITZ, 1987),
alimente la réflexion sur des caractéristiques essentielles d'une économie
rurale (BARDHAN, 1989). Les externalités associées aux problèmes de
coordination suscitent des formalisations traitant aussi bien de la croissance
endogène (LUCAS, 1993) que de la multiplicité des équilibres lorsque les
préférences et les stratégies sont interdépendantes (HüLF et STIGLITZ,
2001) ».
13
(Prenab BARDHAN, 2001)10. Enfin, « mille écoles peuvent
maintenant rivaliser» sans complexe ni culpabilisation.
Cet ouvrage vient s'ajouter à toutes ces réflexions avec un
triple questionnement sur:
• Les paradigmes du développement et du sous-développement
en référence à l'Afrique.
• La pertinence et la robustesse des théories répertoriées par
l'histoire de la pensée économique face aux réalités africaines.
• Les stratégies et politiques qui découlent de cette pensée
économique qui permettent de sortir de l'état du sousdéveloppement.
Ces trois problématiques sont au cœur de l'objet même de
l'Économie du Développement qui est en fait la corbeille de
problèmes de la science économique qu'il faut solliciter pour trouver
les réponses les plus idoines en matière de développement
économique et social.
Cet ouvrage se propose de mettre à la disposition des
chercheurs et étudiants, des experts, des intellectuels et des décideurs
le maximum de références et d'informations statistiques pour leur
permettre de prendre ~n charge et faire avancer la réflexion sur les
complexes et difficiles problèmes du développement africain.
10 Pendant longtemps, l'Économie du Développement revêtait une
importance secondaire comme l'illustre ce propos de Axel LEIJONHUFVUD
(1973) «La caste des prêtres, les Maths-Econs, appartient à urie sphère
supérieure à la fois aux Micro ou Macro, tandis que les Dévelops occupent
clairement une position encore inférieure. Cela tient au fait qu'ils n'ont pas
strictement respecté les tabous interdisant l'association avec les Polscis,
Sociogs et autres tribus. Les autres Écons les regardent avec suspicion car ils
mettent en danger la fibre morale de la tribu et ils soupçonnent même les
Dévelops de renoncer à la modélisation.
14
Introduction générale
« La crise du développement est aussi une crise de la
théorie du développement. La seule croissance
économique, même rapide, n'apporte pas de solution
aux problèmes sociaux, n'élimine pas la misère et le
chdmage. Pour amorcer un processus de
développement de longue haleine, il faut beaucoup
plus qu'une modernisation parcellaire de l'appareil de
production et le mirage d'une urbanisation effrénée ».
1. SachslI
Le concept du développement a suivi depuis son apparition
chez les économistes classiques, jusqu'à nos jours, une évolution
désordonnée: accepté au siècle dernier comme l'objectif de toutes les
nations, ses théories seront rejetées par la suite avec mépris par
l'orthodoxie néo-classique dominante. Actuellement réhabilité, il
intègre parfaitement le discours à la fois des économistes, des
politistes et des sociologues.
.
Dans la maïeutique de ·la science économique, doit-on
considérer l'économie du développement comme un savoir autonome
au même titre que la macroéconomie, la microéconomie, l'économie
internationale, les finances publiques ou alors est-elle simplement un
chapitre des théories macroéconomiques? Quel est exactement son
statut dans la Science économique?
.
1 jNaissance de l'~conomie du Développement
Si le développement économique a dominé la Science
économique dès son origine au 18ème siècle avec les travaux d'Adam
SMITH (1776), le débat sur l'économie du développement comme
problématique et questionnements spécifiques sur les pays sousdéveloppés commence seulement au lendemain de la Seconde Guerre
Mondiale et en pleine guerre froide. Confirmation, le Président des
États-Unis Harry TRUMAN, à l'occasion de son discours sur l'état de
l'Union, le 20 janvier 1949, utilise pour la première fois le terme de
développement pour justifier l'aide aux PSD dans le cadre de la lutte
contre le communisme en pleine expansion. Il y déclara clairement
que le devoir des pays du Nord capitalistes, qualifiés de pays
développés, est de diffuser leurs technologies et de distribuer leur
assistance aux pays qualifiés de « sous-développés », afin qu'ils se
rapprochent du modèle occidental de société. C'est dire que
11
Ignacy SACHS: Pour une économie politique du développement,
Flammarion, 1977 P.9
15
l'économie du développement a été forgée, en tant que discipline, il y
a une cinquantaine d'années. Au même moment se mettaient en place
le système de Bretton Woods et les principales institutions
internationales comme la Banque mondiale et le FMI. Branche très
importante de la science économique, on peut la définir comme
l'analyse économique appliquée au processus de développement et à
l'étude des pays en développement. Elle trace donc une frontière entre
la science économique, la géographie et la sociologie ce qui soulève
des problèmes fondamentaux sur sa définition et ses objectifs.
Aujourd'hui, les études d'économie du développement sont
essentielles au moins pour trois raisons:
La première est que la Science économique ne saurait se limiter
à l'explication des problèmes du développement à partir des hypothèses
exclusives de l'homo-economicus et de l'individualisme méthodologique, si tant est qu'elle a vocation à être la servante des sociétés, de
toutes les sociétés. D'ailleurs, comme nous le verrons plus loin, l'une des
critiques de l'analyse néo-classique concerne l'extrême fragilité des
hypothèses de l'homo-economicus et de la rationalité. Le holisme est
systématiquement ignoré même s'il est une caractéristique dominante
dans certaines sociétés. Dans le schéma néo-classique, la société se
réfère à des individus « émancipés» conscients. de leur existence et des
rapports sociaux qu'ils alimentent. Or, il n'en va pas ainsi dans la
plupart des pays en développement où la collectivité, le groupe priment
sur l'individu. La rationalité d'un individu ne dépend pas toujours et
uniquement de sa satisfaction personnelle, de son utilité (NDIAYE,
1999; SEN, 1983).
La . seconde raison provient du fait que les études du
développement dans des aires par essence précapitalistes et non
occidentales sont utiles et importantes. Elles nécessitent la recherche
d'instruments analytiques appropriés pour obtenir des· résultats
pertinents. Comme l'observe A HIRSCHMAN (1984), on ne saurait
aborder l'étude des économies sous-développées sans modifier
profondément, sous un certain nombre de rapports importants, les
instruments et données de l'analyse économique traditionnelle, axée sur
les pays industrialisés.
La troisième raison est que l'Économie du Développement
conduit, par la diversité des champs disciplinaires concernés, à
constater la difficulté à dissocier analyse scientifique et vision
idéologique.
16
11/
La difficulté de trouver un statut à l'économie du
développement dans la Science économique qui est devenue
une entreprise gigantesque.
La place de l'économie du développement dans le corpus
théorique de la Science Économique est fortement controversée.
Toutes les réflexions sur le développement soulèvent des controverses
et des clivages théoriques relatifs à la caractérisation du sousdéveloppement et aux stratégies à mettre en œuvre pour en sortir. Ces
réflexions théoriques peuvent se ramener à deux courants qui
correspondent à des visions différentes: le premier comprend les
analyses qui tentent de replacer l'économie du développement dans le
champ de l'économie néo-classique standard qui ignore notamment la
dimension historique du sous-développement et le deuxième courant
regroupe toutes les analyses alternatives qui postulent l'existence de
spécificités communes à un ensemble de pays condamnés à réaliser
des transformations qui les rendent aptes à déclencher un processus
auto-entretenu de croissance. C'est l'ensemble de ces théories qui
fondent l'économie du développement.
1°) Le premier courant considère l'économie du
développement comme un simple prolongement de
l'analyse macroéconomique.
Pour ces auteurs, il n'existe qu'une science économique et les
théories du développement doivent conforter ce mono-économisme et
ne peuvent se constituer comme une branche spécifique
Dans cette optique, la macroéconomie qui a connu un
iJ1lportant développement ces dernières années s'est formalisée
comme une théorie de l'équilibre global se fondant sur les grandeurs
caractéristiques de l'activité (circuit économique, agrégats, fonction
de production, de consommation et d'investissement, propension,
multiplicateur, accélérateur) et des démarches qui articulent ces
divers outils pour constituer des théories (théorie de l'équilibre
macroéconomique, théorie des fluctuations et de la croissance,
modélisation ou tentative de représentation abstraite de la totalité
d'un système productif) qui peuvent rendre compte des questions de
développement.
Dès lors, certains auteurs se fondant sur ces acquis de l'analyse
macroéconomique estiment que l'Économie du Développement ne
doit pas être une discipline autonome car sa problématique s'insère
parfaitement dans celle de la Macroéconomie. En effet, les modèles
normatifs agrégés comportant trois facteurs (travail, capital,
technologie) rendent bien compte des préoccupations de
développement, c'est-à-dire d'accroissement soutenu d'une grandeur
17
de dimension nationale comme le produit national ou le revenu
national.
Ainsi, en considérant que le Produit Global (Y) est constitué de
la Demande globale qui se compose de la Demande de Consommation
(C) et de la Demande d'Investissement (l), on peut écrire que:
Y=C+I
C = Co + cY
1 =10 - iY
avec
1 = Investiss~ment
C = Consommation
Co = Niveau incompressible de
la consommation
i = taux d'intérêt
Y= Produit global
En introduisant l'équation (1) et (2) dans la troisième, on
obtient:
Y=(CII+/,J
1
.
l-c+1
Certains auteurs ne sont pas loin de considérer que cet
équilibre est applicable à toute économie quelle qu'elle soit. La seule
precaution à prendre au plan analytique est une bonne estimation des
variations que sont la consommation, l'investissement, le taux
d'intérêt. La comptabilité nationale doit être en mesure d'offrir des
évaluations exhaustives par le biais des prix et des marchés.
Par ailleurs, pour passer de la statique à la dynamique, il suffit
de procéder à une dérivation du système global, ce qui permet le
déplacement du niveau d'équilibre de Y.
En écrivant que Y = [Cil
+ /,J
1
.
l-c+1
On peut constater que les variations de y peuvent être induites
par une variation d'un des paramètres Co, ID, C, i. Ce qui nous donne:
ay
1
ay
1
ay
ai
-
--=--aCII l-c+i
-=--a/II l-c+i
-=
1
(1-C+i)2
(C +/ )
Il
"
En considérant les phénomènes monétaires, les analyses
macroéconomiques retiennent certaines équations caractéristiques
pour le marché de la monnaie, à savoir: les équations de la demande
de monnaie, du fait que la demande de monnaie découle de trois (03)
18
motifs: de transaction, de spéculation et de précaution. Les deux
premiers sont les plus déterminants. En effet, la monnaie est
principalement un instrument de transaction. La demande
d'encaisses de transactions découle de la non synchronisation des flux
de recettes et de dépenses. Comme au niveau ,macroéconomique, les
dépenses de certains agents sont les revenus pour d'autres, on dira
que la Demande d'encaisses de transaction sera une fonction du
revenu global, cela permet d'écrire que:
(1)
Ml = M1(Y) ou encore Ml = k.P.Y.
Pour la demande pour des motifs de spéculation, elle est liée
au fait que la monnaie peut permettre des plus values sur le Capital.
Le spéculateur est celui qui achète des actifs financiers quand les taux
d'intérêt sont faibles et qui les revend quand ceux-ci augmentent. Cela
permet d'écrire que:
(2)
M2 = M2(i)
La demande totale de monnaie sera:
(3)
Md = Ml + M2.
Quant à l'offre, elle est une donnée exogène au système
Mo = Mo.
À l'équilibre, on a:
Mo = Md ou en encore Mo = M1(Y) + M2(i).
Là encore, des instruments de l'analyse monétaire sont
universalisables car les motifs de la monnaie se présentent de la
même manière dans tous les pays. Dès lors, les équations de
comportement sont les mêmes partout. C'est seulement le niveau des
grandeurs qui peut être différent d'un pays à l'autre.
Au total, sur le marché du produit comme sur celui de la
monnaie, l'analyse macroéconomique peut rendre compte des
préoccupations de l'économie du développement. On peut aboutir au
même résultat en prenant d'autres exemples comme la comptabilité
nationale ou même la modélisation normative macroéconomique.
Dans ce dernier cas, si on considère une fonction agrégée de
production (k, 1), une concurrence parfaite sur les marchés des
produits et des facteurs, un prix des facteurs égal à la production
marginale, il existe deux variantes de modèle normatif: celui à
coefficient fixe de HARROD-DOMAR et celui à coefficient flexible de
l'analyse néo-classique.
On pourrait bien établir que les questions de développement
et de croissance avec les concepts et outils qui ressortent des théories
explicatives relèvent des deux types de modèle.
Ainsi, la théorie du développement se pose deux questions :
.a première question est la suivante: étant donné certains
taux d'accroissement des inputs travail et capital, comment s'effectue
une expansion régulière et soutenue de la production?
19
(1)
Dans un modèle de type harrodien, il suffit d'écrire que
G.C = S avec G: taux de croissance, C: coefficient de
capital,
S: épargne.
Ce modèle contient deux grandeurs macroéconomiques:
l'Investissement et l'Épargne qui déterminent à la fois le processus de
croissance et celui de l'équilibre. En effet, en posant:
(2) G =
~y
Y
S = §.. et C = _1_
Y
~y
(3) On peut remplacer dans (1)
~y
1
SIS
_ . _ = - ou-=y ~y y
y
y
La politique de développement pourrait être comprise comme
une perturbation (macrodynamique) de l'équilibre soit à partir de
l'investissement (pour financer une politique agraire, industrielle,
technologique, etc.) ou de l'épargne (compression de consommation,
importation de ressources financières, endettement, etc.).
Quant à la seconde question, elle se formule comme suit:
l'économie considérée n'est pas au départ engagée dans un processus
d'expansion, va-t-elle s'en rapprocher ou s'en écarter?
Cela soulève la problématique de la stabilité de l'équilibre.
En somme, pour beaucoup d'auteurs, ce processus de
théorisation macroéconomique prend bel et bien en charge
l'économie du développement. Donc celle-ci ne doit pas se constituer
comme discipline autonome, elle n'est que le prolongement de la
macroéconomie.
L'économie du développement se démarque de cette dérive de
la théorie économique standard en renouant avec les traditions de
l'économie politique classique, en se servant des possibilités ouvertes
par l'économie keynésienne sur le rôle actif de l'État afin de limiter le
chômage et d'augmenter la croissance.
2°) La deuxième attitude théorique considère
l'économie du développement comme un chapitre
récent de la science économique.
« Le développement est en panne, sa théorie en crise et son
idéologie fait l'objet de doute. L'offensive généralisée enfaveur de la
libération des forces du marché, accompagnée de la réhabilitation
des thèmes idéologiques de la supériorité absolue de la propriété
privée, de la légitimation de l'inégalité sociale, l'anti étatisme tous
azimuts. Tout cela produit une intense corifusion ».
Samir AMIN12
12
S.AMIN : La faillite du développement
20
Cette position est soutenue par Samir AMIN. Le point de
départ de l'auteur est qu'il faut abandonner toute prétention
d'élaboration d'une théorie économique pure dont l'outillage
conceptuel se situerait à un niveau d'abstraction opérationnelle pour
l'analyse du fonctionnement des mécanismes d'une société.
La seule science possible est celle de la société car le fait social
est unique et comporte à la fois une dimension économique, sociale,
politique. Il n'existe aucune raison pour privilégier l'aspect
économique. Par ailleurs, l'art du développement veut précéder la
science qui seule peut expliquer le développement et le sousdéveloppement comme des faits historiques. L'économie du
développement serait alors pour Samir AMIN un chapitre très récent
de la science économique puisque, jusqu'à la première Guerre
Mondiale, la théorie économique ne nourrissait aucune préoccupation
d'analyse des systèmes et des structures. Celle-ci était totalement hors
du champ de la Science Économique. L'Économie du Développement
s'est donc constituée sous la pression des faits et des besoins urgents.
Elle s'est voulue dès l'origine au service des gouvernements engagés
dans l'action pratique du développement économique et social. Samir
AMIN conclut en observant « ainsi, comme la Science Économique
générale, l'Économie du Développement comportera nécessairement
deux (02) chapitres distincts: l'un d'analyse fondamentale qui, en
partant de l'observation. s'assigne comme objectif l'élaboration d'une
théorie du sous-développement et du développement et l'autre
d'application orientée vers l'action et la transformation des structures,
un art de gestion économique dérivé de la théorie du développement ».
Dans ce contexte, un problème méthodologique va se poser et
consistera à soumettre toutes les catégories de la science économique
à une sorte de test d'universalité pour mesurer leur domaine de
pertinence: problématique de la vérification de l'utilité de la trousse à
outils. C'est cela qui a obligé Samir AMIN à une remise en question
généralisée de toutes les théories économiques. Cette démarche laisse
ouverte certaines questions comme: quelles sont les frontières
correctes de la recherche économique et quelle est la nature de la
collaboration avec les autres Sciences Sociales? Qu'entend-on par
pertinence de tel ou tel jeu de concepts théoriques? Quelle relation
unit en économie, la Science positive et la politique? Peut-il exister
une Science Économique valable pour l'ensemble du monde i
Les difficultés méthodologiques qui ressortent de ces
interrogations expliquent la troisième thèse qui est celle des
économistes qui récusent la théorie mono-économiste dominante
dans L )ensée surtout universitaire.
21
3°) La troisième thèse considère que l'économie du
développement doit se constituer en discipline
autonome en s'assignant un double objectif: offrir
une représentation théorique cohérente du sousdéveloppement et indiquer les voies et moyens pour
en sortir.
Cette autonomie est une volonté de donner à la théorie du
développement, un statut scientifique par les questions qu'elle
soulève et les méthodes qui permettent d'y répondre. De ce fait, on
pourra débloquer l'analyse en brisant les moules étroits des concepts
systématiques et en remettant les idées en mouvement. Les
économistes ont, dans les pays développés, tendance à échafauder des
théories compliquées et complètement détachées du réel. Il en va
ainsi car la science économique dans ces pays fait partie du système
de croyances conçu moins pour révéler la vérité que pour rassurer les
citoyens sur l'organisation sociale. Ce luxe serait trop coûteux pour
des pays sous-développés vers lesquels, observe Jean ROBINSON,
« on exporte les doctrines afin de les empêcher de trouver une issue à
leur situation ».
Pour aboutir à l'élaboration d'une économie du
développement, il faut partir de la double incapacité de la théorie
économique de donner une représentation totale ou expressive du
sous-développement et indiquer des directions de transformation.
En effet, si l'on considère la théorie économique comme une
théorie de la coordination d'un système décentralisé, donc une théorie
des rapports décentralisés, donc une théorie des rapports marchands
comme l'autorise le texte de WALRAS, on s'aperçoit aisément que les
catégories utilisées sont impertinentes dans les formations sociales
sous-développées qui sont à dominante non capitaliste. La plupart
des échanges y sont non marchands, l'espace économique est
hétérogénéisé par des cloisons et barrières rendant le marché
totalement imparfait, la croissance ne peut être auto-entretenue par
suite de l'existence de multiples déséquilibres et enfin les régimes
autoritaires qui y prévalent ne connaissent pas de débat
démocratique, donc un processus de génération des choix collectifs
par interaction des choix individuels.
Si, en revanche, on confère à la théorie économique une
acception systématique pour en faire une théorie de l'équilibre stable
d'un système complexe, les catégories économiques usuelles n'ont
plus la même signification, ni la même portée analytique.
À titre d'illustration, l'équilibre ne signifie plus que l'aptitude
de l'organisation sociale ne peut pas être bloquée, l'optimum parétien
signifie que toute organisation ne fonctionne qu'en tant que jeu à
somme non nulle, la croissance équilibrée signifierait que toutes les
22
variables d'état augmentent au même taux. L'économie du
développement s'avère alors tout à fait indispensable pour interpréter
et transformer le sous-développement. En fait, les conclusions
théoriques dépendent avant tout, non pas des méthodes employées,
mais des questions que la théorie pose. L'analyse macroéconomique
qui transfère la réflexion théorique sur les mathématiques et la
statistique (considérées comme des fins et non comme des moyens)
est incapable de gérer les théories et problèmes du développement
économique et social qui ne peuvent relever que de l'économie
politique du développement.
111/ Que recouvre l'Économie du Développement?
La diversité des approches en économie du développement se
traduit par l'existence de plusieurs définitions du phénomène du
développement qui en est l'objet principal.
1°) À première approximation qu'est que le développement?
Selon KUZNETS, la notion de développement économique qui
se distingue de la croissance économique (élévation du revenu par
tête et du produit intérieur brut) combine trois éléments: une
croissance économique auto-entretenue, des changements structurels
de la production et le progrès technologique. Les historiens du
développement, les théoriciens du développement de la nouvelle école
institutionnelle et les économistes néoclassiques du développement
ajoutent à ces éléments la modernisation institutionnelle qui pennet
aux marchés d'orienter rationnellement les décisions économiques
des individus. Les théoriciens de la modernisation ajoutent le
développement politique et social à la liste tandis que l'école de
l'esprit d'entreprise insiste sur l'évolution socioculturelle. Enfin, les
défaillances du processus de croissance qu'ont connu les pays en
développement ont amené certains à ajouter l'augmentation du bienêtre au bénéfice du plus grand nombre à la liste des caractéristiques
du développement économique.
Maurice BYE rappelle que toute science est avant tout une
question de vocabulaire, c'est-à-dire un ensemble de concepts
clairement définis et toute définition devra servir l'analyse qui en
usera. Dans ce sens, la définition la plus consensuelle et la plus usitée
est celle proposée par F. PERROUX pour qui « le développement est
la combinaison des changements mentaux et sociaux d'une
population qui la rendent apte à faire croître, cumulativement et
durablement, son produit réel global ». Des auteurs comme P. Hugon
apporteront des enrichissements en ajoutant que le développement
est aussi « un processus de changements structurels accompagnant
l'accroissement de la productivité du travail sur une longue période. Il
23
est processus cumulatif caractérisé par la transformation des relations
sociales et des modes d'organisation liés à l'affectation du surplus à
des fins d'accumulation productive et conduisant ~ un accroissement
de la productivité et sa diffusion dans un espace donné » Il en va de
même pour A.O. HIRSCHMAN (1964) lorsqu'il observe que « dans la
typologie l'appellation économie du développement est réservée à l'un
des courants théoriques qui analysent les problèmes de
développement et de sous-développement. L'économie du développement se caractérise par le refus du mono-économisme (conception
unique de l'économie) et l'affirmation d'une communauté d'intérêt
entre pays riches et pays pauvres ». Dans la même veine J. R. HICKS
ajoute (en 1965) que « l'économie du sous-développement est un sujet
extrêmement important, mais ce n'est pas un sujet formel ou
théorique. C'est un sujet pratique qui implique le recours à toute
branche de la théorie qui le concerne... S'il y a une branche de la
théorie économique, qui le concerne spécialement, c'est la théorie du
commerce international ». Toutefois, « Si l'on veut plus de
développement, il faut d'abord plus d'économie» (Stephen ENKE,
1963)·
2°) Le développement peut aussi se définir à partir de
facteurs plus quantitatifs que qualitatifs: le développement comme croissance du revenu par habitant, le développement comme changement structurel et le développement
comme processus de dépendance.
a) Le développement assimilé à la c~oissance du ~evenu.
Plusieurs auteurs assimilent développement et croissance,
notamment celle du revenu national. Sans entrer dans le débat, on
observe qu'une variété de statistiques similaires exprime le revenu
d'une nation: Produit Intérieur Brut (PIB), Produit Intérieur Net
(PIN), Produit Domestique Brut (PDB), Produit Domestique Net
(PDN), etc. même si les différences entre ces statistiques sont
mineures : ces agrégats sont tous des mesures de la valeur monétaire
globale de tous les biens (récoltes, tissus, etc.) et tous les services
(transports, tailleurs, etc.) produits dans une année. Donc, la mesure
du développement pourrait indifféremment être le RN per capita, le
PIB par habitant, ou le PIN par habitant, etc.
Cette définition est la plus couramment utilisée bien que
comportant des limites qu'il importe de souligner avant d'aller plus
loin. Celles-ci sont de quatre ordres:
D'abord, le manque de précision dans les statistiques, surtout
pour les pays sous-développés. À grands traits les raisons tiennent à
divers facteurs: mauvaise quantification du nombre d'habitants, partie
importante du PIB qui n'est pas commercialisée et prend la forme
d'auto-eonsommation.
Ensuite, le revenu moyen peut être loin du revenu reçu par un
citoyen typique. Souvent, il est obtenu en divisant le PIE total par le
nombre d'habitants. Toutefois, la meilleure mesure serait le revenu
médian calculé en mettant en ordre tous les habitants, en allant du
plus pauvre au plus riche. Pour faire ce calcul, il faut connaître le
revenu de chaque individu, ce que les statistiques actuelles ne
permettent pas. Le degré de surestimation dépend du degré
d'inégalité dans la répartition des revenus. Selon les observations de
l'économiste Simon KUZNETS, au cours du développement
économique d'un pays, la répartition des revenus commence par
devenir plus inégalitaire, mais ensuite devient moins inégalitaire audelà d'un certain niveau du développement. L'implication est que
l'écart entre le PIE par habitant (le revenu moyen) et le revenu d'un
citoyen typique (le revenu médian) varie avec le niveau du
développement du pays.
En outre, les difficultés de comparaison du PIE/habitant entre
différents pays. La comparaison internationale suppose que l'on
rapporte les différentes devises nationales à une devise commune qui
sert d'étalon de valeur (généralement, c'est le dollar). Seulement les
fluctuations des taux de change rendent difficiles les comparaisons.
Enfin, le revenu n'est ni le niveau de vie ni le bonheur
national. Il est très compliqué de mesurer statistiquement le niveau
de vie, à fortiori celui du bonheur dans un pays. Les comparaisons
internationales sont tout aussi difficiles.
En définitive, pour éviter tous ces problèmes découlant de la
mesure du PIB, quelques économistes utilisent d'autres indices de
développement comme la production d'électricité par habitant,
l'espérance de vie, le nombre de lits d'hôpital par habitant, les
kilomètres de voierie par kilomètre carré du territoire, etc. Mais
comment peut-on ajouter des kilowatts d'électricité à des années
d'espérance de vie? L'Indice du Développement Humain (IDH) lancé
par le PNUD est maintenant souvent évoqué. C'est un indice
composite calculé à partir d'une moyenne pondérée des indices. Le
« poids» de chaque mesure entrant dans la moyenne pondérée est
calculé en utilisant une technique statistique appelée l'analyse
factorielle.
b) Le développement comme changement structurel
La mesure du développement par la croissance du revenu par
habitant est une mesure purement économique et quantitative et elle
écarte tout autre paramètre non économique. Mais le développement
d'un pays entraîne toute une série de changements, sur le plan social,
politique, psychologique, etc. autant que sur le plan économique.
25
Beaucoup d'auteurs font une distinction entre « croissance» (qu'ils
définissent comme un changement du niveau du revenu sans
changement des aspects non économiques de la société) et
« développement» (qu'ils définissent comme un changement
simultané des aspects sociaux, politiques, économiques de la
structure de la société).
Le problème consiste à déterminer les changements
spécifiques de la structure de la société qui constitueraient un
« développement» ..
c) Le développement comme processus de dépendance
Les pays sous-développés sont définis par une double
dépendance vis-à-vis de l'extérieur (exportations, importations, cours
des matières premières, aides extérieures, flux financiers) et de
facteurs internes (climat, conditions de production etc.). Tous ces
facteurs ne sont pas sous contrôle et créent des instabilités et des
risques sur le fonctionnement des économies. En prenant par
exemple les exportations, on s'aperçoit qu'elles sont souvent
dominées par un ou deux produits agricoles ou miniers, et les prix de
ces produits subissent souvent des fluctuations violentes (pour des
raisons que nous verrons plus tard). En l'espace d'un ou de deux ans,
le prix peut être multiplié (ou divisé) par 3 ou même par 5 (ex.
phosphates, sucre, cuivre, café, pétrole).
Bien évidemment, il est très difficile de mesurer le niveau
d'indépendance d'un pays ou de comparer le degré d'indépendance de
différents pays. Les indicateurs utilisés comme le taux d'insertion à
l'économie mondiale calculés à partir des éléments de la balance
commerciale peuvent s'avérer insuffisants.
La notion de développement a fait l'objet de diverses critiques.
D'abord, elle fait de. l'accumulation technico-économique le préalable
à tout changement social, ce qui revient à nier le caractère
indissociablement culturel des processus économiques et la
dimension multidimensionnelle du changement social. Ensuite, elle
traduirait la volonté des Occidentaux d'imposer leur modèle culturel.
Pour les tenants de cette thèse, le développement est un paradigme
occidental qui recouvre une expérience historique faussement
exemplaire, celle de l'Europe de l'Ouest et un ensemble de croyances
(croyance en un temps cumulatif et linéaire, croyance en l'attribution
à l'homme de la mission de dominer totalement la nature, croyance
en la raison calculatrice). Enfin, certains soulignent l'origine politique
du concept. Ainsi, la notion de pays sous-développés date-t-elle du
discours du Président américain H. TRUMAN de 1949. À l'époque, il
s'agissait de convaincre le contribuable américain d'aider les pays
sous-développés pour des raisons géopolitiques: il fallait limiter
l'expansion du communisme. Pour les américains, le système colonial
26
et surtout la mlsere contribuaient à l'essor des mouvements
révolutionnaires.
Encadré 1 . Quelques Critiques de la notion de développement.
Selon KUZNETS, la notion de développement économique qui se distingue de
la croissance économique (élévation du revenu par tête et du produit intérieur
brut) combine trois élaments : une croissance économique auto·entretenue,
des changements structurels de la production et le progrès technologique. Les
historiens du développement, les théoriciens du développement de la nouvelle
école institutionnelle et les économistes néoclassiques du développement
ajoutent à ces éléments la modernisation institutionnelle qui permet aux
marchés d'orienter rationnellement les décisions économiques des individus.
Les théoriciens de la modernisation ajoutent le développement politique et
social à la liste, tandis que l'école de l'esprit d'entreprise insiste sur l'évolution
socioculturelle. Enfin, les défaillances du processus de croissance qu'ont
connu les pays en développement ont amené certains à ajouter l'augmentation
du bien-être au bénéfice du plus grand nombre à la liste des caractéristiques
du développement économique.
La notion de développement a fait l'objet de diverses critiques. D'abord, elle fait
de l'accumulation technico-économique le préalable à tout changement social
ce qui revient à nier le caractère indissociablement culturel des processus
économiques et la dimension multidimensionnelle du changement social.
Ensuite, elle traduirait la volonté des Occidentaux d'imposer leur modèle
culturel. Pour les tenants de cette thèse, le développement est un paradigme
occidental qui recouvre une expérience historique faussement exemplaire,
celle de l'Europe de l'Ouest et un ensemble de croyances (croyance en un
temps cumulatif et linéaire, croyance en l'attribution à l'homme de la mission de
dominer totalement la nature, croyance en la raison calculatrice). Enfin,
certains soulignent l'origine politique du concept. Ainsi, la notion de pays sousdéveloppés date-t-elle du discours du Président américain H. TRUMAN de
1949. A l'époque, il s'agissait de convaincre le contribuable américain d'aider
les pays sous-développés non seulement pour des raisons géopolitiques (il
fallait limiter l'expansion du communisme.) Pour les américains, le système
colonial et surtout la misère contribuaient à l'essor des mouvements
révolutionnaires.
NI De la crise du développement à l'avènement du développement
durable
Aujourd'hui, beaucoup d'auteurs critiquent avec sévérité, le
développement, l'Économie du Développement ou les théories du
développement. C'est le cas de Samir AMIN lorsqu'il observe que « Le
développement est en panne, sa théorie en crise et son idéologie fait
l'objet de doute ».
Cette contestation intervient dans une période particulière de
l'évolution caractérisée par des ruptures graves des équilibres
27
naturels et environnementaux du fait des activités productives qui
gaspillent ou détruisent les ressources naturelles (surtout celles qui
sont non renouvelables), la biodiversité, la forêt, l'eau, les matières
premières, la pollution atmosphérique. Cette situation a conduit
beaucoup d'auteurs à se convertir au développement durable issu de la
commission BRUNDLAND (1987) qui est défini comme « le
développement qui est apte à satisfaire les besoins des générations
actuelles sans pour autant porter atteinte à ceux des générations
futures. Plus précisément, il s'agit, selon cette définition, d'une
tentative planétaire de synthèse entre, d'une part, la nécessité de
continuer le processus de développement avec la variante la plus
importante et la plus prioritaire, la lutte contre la pauvreté et, d'autre
part, la nécessité de sauvegarder l'environnement.
Le développement durable ainsi compris est multidimensionnel puisqu'il 'articule théorjquement trois dimensions
économique, sociale et écologique mais également il est un facteur de
croissance économique basée sur l'économie sociale et solidaire, l'écoconception, le biodégradable, le bio, la dématérialisation, le réemploiréparation-recyclage, les énergies renouvelables, le commerce
équitable, la relocalisation etc. Ce nouveau mode de développement
qui veut assurer l'épanouissement de tout le genre humain, présent et
à venir, partout et tout le temps soulève de nombreuses interrogations
même s'il entraîne des adhésions massives. S'agit-il comme l'observe
Jean MARC « d'une auberge espagnole, où chacun met très
exactement ce qui l'arrange, un vœu pieux, ou un parfait exemple de
schizophrénie, oU...un dialogue de sourds» ?
V/Les courants de pensée en économie du développement
Dans le domaine du développement, les recherches, réflexions et
pratiques sont extrêmement évolutives avec des différences
fondamentales de nature idéologique, théorique et méthodologique,
entre les écoles et courants de pensée. Il en résulte des controverses et
des débats riches alimentés par l'éventail des théories économiques,
leurs instruments et modèles. Donc, la discipline devrait tirer un grand
profit de ces approches. Cependant, les théories du développement se
sont affirmées comme un corpus distinct dans la science économique
dès lors qu'elles postulent l'existence de spécificités communes à un
ensemble de pays en même temps qu'elles adoptent l'idée que le
développement ne se réduit pas à la croissance. Ainsi, depuis un demisiècle, l'évolution de cette discipline reflète une tension entre, d'une
part, le corset d'un appareil analytique (l'analyse économique
« standard») qui a ses règles méthodologiques et son ambition
universaliste, d'autre part, les particularités auxquelles il s'agit de
28
l'adapter. Globalement, on peut distinguer, actuellement, quatre grands
courants de pensée en économie du développement:
Un premier courant qui réactive, à la lumière des travaux
récents sur la croissance endogène (GUELLEC et RALLE, 1996;
KRUGMAN, 1993 ; LUCAS, 1988 ; ROMER, 1986 ; etc.), les théories des
précurseurs du concept de croissance: croissance déséquilibrée de
HIRSCHMAN et le « Big push » de Rosenstein RODAN ;
Un deuxième courant qui privilégie, dans ses approches du
développement, les aspects liés à l'imperfection des marchés, la place et
le rôle des institutions dans la coordination des activités des agents
économiques. Ce courant, dénommé le courant de la régulation, remet
en cause la capacité du commissaire-priseur à assurer la convergence
des intérêts contradictoires des agents et accorde une grande
importance aux différentes institutions jouant un rôle dans la régulation
et le fonctionnement des économies ;
Un troisième courant qui renouvelle les analyses structuralistes
(Néo-institutionnaliste) à partir d'une critique des approches
orthodoxes de la stabilisation;
.
Un quatrième courant néo-marxiste qui remet en question la
pensée dominante tendant à s'uniformiser et qui préconise le
néolibéralisme et l'occidentalisation des sociétés en développement
comme perspectives exclusives. C'est cela le fondement du « Consensus
de Washington» qui consacre les politiques d'ajustements structurels.
Or, pour ce courant, les pays en voie de développement ne peuvent espérer
se développer à cause de l'impérialisme (rapports inégaux) c'est-à-dire leur
intégration historique d~ l'économie mondiale et le détournement du
surplus vers des accumulations improductives par les classes dominantes
(P. BARAN, 1957 ; S. AMIN, 1970 ; A G. FRANCK, 1978).
VII Périodisation de l'évolution de la pensée du
développement selon P .HUGON.
Dans une analyse fouillée et très rigoureuse P. HUGON (1991)
distingue trois moments, introduisant chacun un paradigme de
l'économie du développement:
1°) Le premier moment est celui de la décolonisation et
du début de construction des systèmes économiques
nationaux: deux concepts prédominent « État et
Développement»
À cette période l'objectif majeur était de forger un corpus
scientifique qui rompt avec la représentation coloniale, de sociétés sans
histoire et de peuples aux mentalités archaïques, traditionnelles. Il
fallait alors se tourner vers des problématiques alternatives fondatrices
29
de l'économie du développement, dans lesquelles,l'État est un pilier du
développement (MEIER & SEERS, 1987). Cette posture était justifiée
par l'inexistence d'une bourgeoisie nationale ou d'un secteur privé
national capable d'exploiter toutes les opportunités d'investissement
pour élever les forces productives.
Le schéma de cette école de développement est fortement
influencé par le contexte international issu de la seconde guerre
mondiale. Même Keynes a été minorisé lors des débats fondateurs des
institutions de Bretton Woods, l'interventionnisme est dans l'air du
temps. En effet, le Plan MARSHALL sert de modèle d'aide et de
financement des investissements nationaux de base et de construction
d'espaces régionaux. Ainsi, on comprend aisément que l'État soit au
centre des interrogations de la quasi-totalité des sciences sociales. Les
économistes le situent au cœur du processus de développement
économique: les juristes et politologues en font le noyau de référence,
comme les géographes, aménageurs du territoire, ou les historiens
privilégiant le cadre national. Les anthropologues ou ethnologues, les
géographes ruralistes soulignent, par contre, la spécificité des structures
africaines et le jeu d~ pratiques sociales. Ils se situent davantage au
niveau des petites échelles et des microsociétés. Cette première période
dans l'histoire de l'économie du développement a été influencée dans le
Tiers-Monde par les grandes thèses nationalistes et celles du
mouvement des non-alignés cherchant, à travers un développement
endogène à satisfaire les besoins sociaux de base des populations
(éducation, santé, infrastructures sociales). Cette politique volontariste
a cherché à s'adosser sur les potentialités internes. Les pays du TiersMonde cherchaient alors une troisième voie de développement.
Selon le continent, les problèmes du développement se posent
de manière différente. En Amérique Latine, on tente d'instaurer une
économie de marché tout en favorisant un protectionnisme éducateur
pouvant faire émerger une jeune industrie d'import substitution. Alors
qu'en Asie, les débats sont controversés sur le choix des techniques et
leur rôle au sein d'une économie de marché ou planifiée. D'autres
questions non moins importantes sont également posées et portent sur
les réformes agraires. En Afrique, au-delà de ces préoccupations, des
questions spécifiques tournent autour de l'ouverture des pré-carrés
coloniaux et de l'abolition des monopoles.
30
2°) Le deuxième moment est celui des années 70: le
moment de la radicalisation avec les succès politiques et
économiques de la tricontinentale qui revendique un Nouvel
Ordre Économique Mondial.
À la fin de la décennie soixante, la pensée dominante sur le
développement se radicalise. Elle réclame la prise en compte des
intérêts des pays du Tiers - Monde sur la scène internationale. Les
tenants de ce courant sont qualifiés de tiers-mondistes et élaborent les
nouvelles théories de l'impérialisme, de l'échange inégal, de
l'exploitation des masses de la périphérie par les bourgeoisies du centre,
des luttes sociales à l'échelle tricontinentale (Asie, Afrique et Amérique
Latine). Cette période sera marquée par la constitution d'un vaste
mouvement de solidarité des pays du Tiers-Monde autour de leurs
combats politiques et économiques, la formation du mouvement des
Non-Alignés, la constitution de puissants cartels (OPEP) et de groupes
de pression (Groupe des 77, Groupe des 15, etc.) et l'avènement de la
Tricontinentale. Les succès des guerres de libération nationale et la
révolution chinoise vont jouer un rôle important dans les nouvelles
perspectives du Tiers-Monde. Le contexte d'un monde bipolaire avec
des affrontements idéologiques conduit à un éclatement des écoles:
MAO TSE TOUNG dans la Nouvelle Démocratie Populaire préconise
que « mille écoles rivalisent et que mille fleurs fleurissent ».
Durant cette période apparaissent les premières remises en
question du Système Monétaire International (SMI)1 3 issu de Bretton
Woods: abandon de la parité fixe du dollar par rapport à l'or et
l'instauration des systèmes de changes flexibles (décision de NIXON
1971). Cette transition du SMI est renforcée par la première crise
pétrolière (1973) qui est la première victoire des pays en développement
membres de l'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole au devant
de la scène internationale augurant la première inversion des flux de
capitaux (pétrodollars) des pays développés vers les pays sousdé"'eloppés exportateurs de pétrole. Cette victoire va permettre de
poser le débat sur l'impératif d'un Nouvel Ordre Économique
International (NOEI) et l'instauration de rapports économiques et
financiers plus équilibrés.
Également, c'est dans ce contexte que l'on tente de définir une
troisième voie à équidistance entre les blocs capitaliste à économie de
marché et socialiste à économie planifiée. Les projets de
développement endogène font leur apparition.
13 Le SMI est un ensemble de pratiques qui régissent les mouvements de
biens et des capitaux, les comportements des Banques Centrales dans la
gestion des réserves officielles, le rôle de chef d'orchestre dévolu au FMI.
31
3°) Le troisième moment est celui de la crise des
années 80 et l'avènement de la libéralisation et de la
gestion capitaliste.
L'éclatement de la crise économique et financière mondiale des
années 70, en déréglant le système économico-financier international,
viendra extérioriser toutes les faiblesses structurelles des économies du
Tiers-Monde: la non émergence d'une agriculture performante et
diversifiée capable de satisfaire une demande alimentaire fortement
croissante, la persistance d'une industrie monopolaire peu compétitive
et extrêmement protégée, un sous-emploi des jeunes de plus en plus
massif, la pauvreté de masse, le double déficit des finances publiques et
de la balance des paiements. Pour juguler les nouveaux déséquilibres, il
est envisagé l'instauration d'une politique longue et certainement
pénible d'ajustement structurel.
Les institutions de Bretton-Woods, Banque mondiale et FMI,
vont exercer un leadership doctrinal. L'autonomisation de la sphère
financière et la gestion de la dette conduisent à privilégier les équilibres
macro-financiers et les ajustements de court terme (stabilisation). On
constate l'échec - ou l'utopie - du NOE!.
Enfin, les mouvements populaires et la montée des processus
démocratiques, de même que l'atténuation de l'apartheid en Afrique du
Sud, mettent en question des pouvoirs sans légitimité et mettent en
œuvre de nouveaux modes de gestion politique pouvant favoriser la
sécurité et l'émergence d'acteurs innovants.
Pour P.HUGON, « les années quatre-vingt sont caractérisées par
le dépérissement des théories globalisantes, le déplacement très net de
la recherche du rural vers l'urbain, et le poids croissant donné aux
acteurs et aux politiques. Au sein de l'économie domine une pensée
standard ou orthodoxe. La question de la transition vers le socialisme
fait place à celle de la transition vers le marché. Les concepts de "modes
de production, d'impérialisme, d'échange inégal, de développement des
rapports capitalistes, de classes sociales sont considérés comme
obsolètes, et ceux qui les emploient encore, comme des anciens
combattants... Au niveau politique, la construction des États-nations et
des partis uniques débouche aujourd'hui sur l'informalisation de l'État
et les tentatives de pluripartisme. Sur le plan économique, la phase de
l'État-développeur a fait place à des programmes d'équilibrages
financiers et de transition à l'économie de marché. Ces nouvelles
orientations sont une réponse à la crise africaine qui est à la fois
économique, sociale et politique ».
32
Encadré 2 • Petite histoire de la pensée du développement.
Dans leur contribution, lors de la seconde conférence européenne
sur le développement organisée par la Banque mondiale et le Co.nseil
d'Analyse Économique à Paris du 26 au 28 juin 2000 intitulée: «fifty years
of development » Paul COLLIER, David DOLLAR et Nicolas STEN résument
sommairement comme ils le soulignent les principaux changements dans
l'histoire de la pensée du développement. Ces changements sont dus d'une
part aux expériences dans les différents pays et d'autre part, aux évolutions
de la science économique.
Dans les années cinquante et soixante. De nombreux
économistes considéraient que le fonctionnement ne pouvait pas répondre
de manière satisfaisante aux problèmes particuliers des pays en
développement. L'État devait jouer un rôle majeur dans l'allocation des
ressources et, notamment, en matière d'investissement. La grande
dépression des années trente et la réussite à l'époque des expériences de
planification, que cela soit en URSS ou bien au Royaume-Uni au cours de la
Seconde Guerre expliquent une telle position. Même s'il existait des
différences sur la nature de la croissance équilibrée ou déséquilibrée, l'État
était amené à jouer un rôle essentiel. Seuls des économistes comme Peter
HAYEK, Gottfried HABERLER et Friedrich von HAYEK s'opposaient à ce
consensus. Un deuxième paradigme de la pensée du développement à
l'époque met en exergue son pessimisme vis à vis des stratégies de
développement fondées sur les exportations et, au contraire,
l'encouragement donné aux stratégies de substitution d'importation.
Dans les années soixante et soixante-dix. Plusieurs études de
nature microéconomiques mirent en évidence les distorsions de prix et les
inefficacités qui résultaient des stratégies de substitution à l'importation.
Parallèlement, la théorie économique a été amenée de plus en plus à
s'intéresser aux problèmes d'information et d'incitation et à la manière dont
les arrangements contractuels développés pouvaient soit résoudre, soit au
contraire, aggraver ces problèmes. C'est au cours des années soixante et
soixante dix que se sont également développées les études concernant la
mesure de la pauvreté et des inégalités et les analyses de la relation entre
concentration de revenus et la croissance, initiée par la courbe en (( U ..
renversée de Kuznets.
Les années quatre-vingt ont marqué un tournant. D'une part, la
disponibilité des données ainsi que les progrès en matière de traitement
informatique des données ont permis une analyse empirique d'un certain
nombre de mécanismes du développement. D'autre part, les maigres
résultats obtenus par les stratégies de développement mises en avant dans
les années cinquante ont conduit à la fois à une faible croissance et à des
problèmes d'ajustement et de dette.
Au cours des années quatre-vingt-dix:, L'accent a été mis sur le
rôle des institutions dans le développement et notamment l'importance des
systèmes juridiques et financiers. Des travaux ont été menés dans les
domaines de l'économie politique de la réforme et de la construction
institutionnelle. Le capital social (deoré de cohésion sociale, normes,
33
associations, réseaux d'influence) est maintenant analysé comme un facteur
important dans la mise en œuvre des politiques économiques des réformes,
ainsi que le fonctionnement des institutions. Parallèlement, un ensemble de
travaux a été consacré à l'efficacité du rôle de l'aide au développement. Ils
ont mis en évidence le rôle des institutions et des politiques dans les
résultats de cette aide.
VIII Quelle est la structure de cet ouvrage?
Cet ouvrage est une réflexion adossée sur l'Économie du
Développement avec des références à l'Afrique. Sa problématique est
fort simple dans le contexte de mondialisation irréversible et à la
lumière des enseignements de l'Économie du développement, quelles
sont les grandes questions qui se posent aux PSD en général et
africains en particulier? Quelles sont les réponses en termes de
stratégie et de politiques de développement?
D'un point de vue méthodologique, nous avons divisé cet
ouvrage en cinq parties logiquement articulées: Le contexte de
mondialisation (Partie introductive), Les Théories Économiques et le
développement (1), Le concept et la morphologie du sousdéveloppement, les options, les stratégies et les instruments de
gestion du développement (2), Les politiques sectorielles de
développement (3), Le financement du développement (4) et
L'intégration et l'insertion dans la mondialisation (5). Pour alléger le
volume de l'ouvrage, il a été scindé en deux tomes: le premier
comprend les deux premières parties qui forment les théories et
analyses du développement et du sous-développement et le second
tome est composé des trois dernières parties qui traitent des
stratégies et politiques de sortie du sous-développement.
La partie introductive analyse le contexte de mondialisation
qui conditionne tous les processus productifs, financiers, technologiques, sociaux et culturels qui permettent de mieux comprendre les
enjeux actuels du sous-développement et du développement. Quelle
compréhension avons nous de ce mot « fétiche » et polysémique ainsi
que de ses configurations? Est-elle un handicap ou une opportunité
surtout quand elle est présentée comme une réalité incontournable
qui condamne tous les pays à s'ajuster à ~et ordre (ou désordre)
mondial caractérisé par la formation et la complexification de
puissants pôles de compétition qui entreprennent un travail
gigantesque de disqualification à la fois des territoires et des États.
La première JXlrtie traite des Théories Économiques face au
développement et sous-développement. C est une revue sommaire de la
boîte des références sur laquelle s'appuient les économistes, les chercheurs
et les techniciens pour comprendre, expliquer,justifier et agir?
34
La Science économique est devenue aujourd'hui, une
entreprise extrêmement impressionnante par la quantité des
recherches, ouvrages et articles disponible pour l'analyse et l'action.
Au-delà des diversités d'approches et des méthodes, des controverses
et des désaccords multiples, cinq grandes familles de pensée
économique se sont particulièrement passionnées à la problématique
du développement: les classiques de A. SMITH à D. RICARDO, les
Keynésiens de J. M. KEYNES à ses condisciples HARROD, DOMAR,
J. ROBINSON, les marxistes de MARX à P. BARAN, de P. SWEEZY à
l'École de la régulation, la Synthèse néo-classique contemporaine de
JEVONS, MENGER, L. WALRAS à LUCAS et les structuralistes et
institutionnalistes qui forment un ensemble disparate d'auteurs allant
des « hétérodoxes» aux divers institutionnalistes et socioéconomistes. Cette catégorisation n'a qu'une valeur didactique au
regard de l'entrecroisement des analyses et des idées: en fait il
n'existe pas' entre les grandes familles de pensée des barrières
infranchissables tellement les méthodes, les références et parfois les
formulations sont voisinent. C'est la conséquence, que les théories
économiques ne sont pas toutes nées à la même époque et n'ont pas
eu à affronter les mêmes problèmes. 14
La deuxième partie présente une analyse des caractéristiques
constitutives du sous-développement et une introduction générale
aux objectifs, stratégies et instruments de gestion pour sortir du sousdéveloppement. En effet, quand les économistes analysent ce
phénomène, généralement, ils exhument un certain nombre de faits,
une batterie d'indicateurs, de structures de tous ordres qui suscitent
de vives controverses comme si ces éléments en eux-mêmes étaient
suffisants pour définir et caractériser le phénomène de sousdéveloppement. Ces diverses représentations du sous-développement
selon le mot de G. D. DEBERNIS15 se présentent souvent comme une
combinaison subtile de théories, de faits, d'intérêts, de pouvoirs, de
mythes. La science commence toujours par une bonne observation
des faits à partir de concepts et vocabulaires clairement définis. Dès
lors quels sont les faits caractéristiques du sous-développement?
Peut-on les réduire aux traits de structure et de fonctionnement qui
font apparaître la conséquence majeure des PSD à savoir leur
incapacité à briser « le cercle vicieux de la pauvreté ».16 Quelles sont
les stratégies et options de développement économique et social qui
14 . GALBRAITH: L'économie en perspective. Une histoire critique, Seuil,
1989
15 Gérard Destanne DEBERNIS: Le sous-développement, analyses ou
représe-tation, Revue Tiers-Monde, tome XV n° 57, Janvier 1974
16 Gunuer FRANK préfère le terme de « développement du sousdéveloppement» qui est l'intitulé de son ouvrage publié aux Éditions.
François Maspero
35
découlent de la morphologie du sous-développement? La finalité des
stratégies et politiques de développement étant l'élévation du niveau
de bien-être des populations, sa réalisation passe par la définition
d'options claires, d'institutions d'encadrement de la croissance, de
l'organisation de l'économie, de l'utilisation de techniques de décision
comme la planification, des analyses prospectives et enfin des acteurs.
Deux problèmes déterminants sont traités à ce niveau: la stratégie de
l'émergence à partir de la croissance économique et la planification
comme instrument de cohérence et d'exploration de l'avenir. Lorsque
l'on passe de l'économie du certain à celle de l'incertitude, l'outil de
planification devient indispensable pour l'État dans l'exercice de ses
fonctions d'impulsion et de régulation des économies.
La Troisième partie est relative aux stratégies et politiques
sectorielles. Le débat agriculture-industrie est maintenant très
largement tranché. Le décollage et la croissance des PSD peuvent-ils
encore se réaliser avec l'agriculture comme secteur moteur?
L'industrialisation est-elle encore possible? Quelle articulation entre
politique agricole et politique industrielle? Cette partie apprécie les
politiques à entreprendre au niveau: Premièrement de l'agriculture
considérée comme un secteur prioritaire devant accomplir des
fonctions motrices dans toute stratégie de développement avec une
analyse qui s'articule autour: des limites de l'agriculture paysanne:
pourquoi les résistances à la libéralisation du secteur; des axes d'une
autre politique agricole et de la fameuse question des subventions
agricoles à l'échelle mondiale. Deuxièmement de l'industrialisation
qui a joué dans l'histoire un rôle essentiel et contribué d'une part à
l'accumulation productive et à la formation et à l'accroissement du
capital physique par la production des biens d'équipement et d'autre
part, à l'augmentation de la productivité du travail. Dans cette
optique, trois (03) questions sont à résoudre: les distorsions
historiques en faveur des branches et techniques légères et
l'industrialisation de substitution aux importations; le dilemme
industrie lourde - industrie légère et l'articulation de l'industrie à
l'agriculture qui permette une transformation rapide des systèmes
agraires. Troisièmement de la problématique technologique et des
innovations: nous partons de l'idée qu'il n'existe pas de détermination technologique. Le vaste processus d'intellectualisation croissante du travail social condamne les formations sous-développées à
trouver des raccourcis. Dès lors que la science devient la base
théorique non seulement de maîtrise des forces de la nature mais
aussi de la direction méthodique orientée des processus sociaux de
développement de la société, la technologie revêt une importance
capitale. L'analyse s'organise autour de: l'évaluation du pool
technologique disponible et que l'on peut mettre ensemble dans un
processus de production; l'appréciation des enjeux technologiques
36
qui obligent le Tiers-Monde à progresser rapidement dans la
promotion de la révolution scientifique et technique et l'élaboration
d'une nouvelle politique technologique.
L'autre question analysée concerne la politique commerciale
qui a joué, contrairement aux expériences de la plupart des pays
africains, un rôle dynamique dans le processus de développement et
d'amélioration de la compétitivité des économies. Or, la question qui
se pose aujourd'hui est de savoir si les pays en développement
peuvent continuer à jouir des mêmes libertés qu'ils ont pu avoir par le
passé, pour mettre à contribution la politique commerciale dans la
construction de leurs stratégies de développement. Cette question est
d'autant plus importante que les réformes entreprises depuis
l'Uruguay Round réduisent l'usage des outils de la politique
commerciale et par conséquent laissent une marge limité aux PSD.
Certains se demandent d'ailleurs si l'avènement de l'OMC ne signifie
pas finalement la fin des politiques commerciales nationales.
La quatrième partie étudie le financement du développement.
En effet, pendant longtemps, il a été considéré que le développement
est entravé par la pénurie ou l'insuffisance de capitaux d'où les
besoins financiers énormes pour faire face d'une part aux
investissements productifs qui animent la croissance économique et
d'autre part aux dépenses publiques qui dépassent trop largement les
ressources. Pareille situation entraîne de lourds déficits financiers qui
ne peuvent se résoudre que par trois sources essentielles: le recours à
l'endettement, aux Investissements Directs Étrangers et à l'Aide
Publique au Déwloppement. Toutes ces sources sont externes et
appellent en conséquenœ l'instauration de politiques adéquates de
leur mobilisation en vue du financement du développement.
La cinquième partie est relative aux problèmes d'intégration
comme mode d'insertion dans le système mondial. La mondialisation
est entrain de déplacer systématiquement les frontières de la
production et des échanges commerciaux, financiers et technologiques en créant de vastes blocs de compétition qui affaiblissent
voire même gomment les États Nations. Face à cette configuration
multipolaire de la globalisation, si les faibles États africains veulent
survivre et prospérer, ils n'ont aucune autre alternative que
l'intégration économique, régionale ou sous-régionale. Ce sera leur
marchepied vers la mondialisation. Ils pourront alors disposer d'un
plus grand pouvoir de négociation et mieux exploiter les différentes
offres de partenariat émanant des différents blocs en compétition afin
de les faire évoluer vers la formation d'un véritable contrat mondial
de développement.
\insi structuré, cet ouvrage, à proprement parler, n'est pas un
manuel classique d'Économie et de théories du développement, son
37
ambition est beaucoup plus modeste bien qu'il s'adresse à un public
large et varié. Il s'organise autour de deux objectifs majeurs:
Mon premier objectif est une interpellation de toutes les élites
intellectuelles toutes disciplines confondues, des techniciens du
développement, des chercheurs et étudiants du Troisième Cycle pour
une réappropriation des questions du développement de l'Afrique. Ce
faisant, nous voulons convier toute l'intelligentsia africaine à une
réflexion d'ensemble sur nos propres problèmes en vue de leur
trouver nos propres solutions. Voilà pourquoi nous avons évité les
formulations sophistiquées qui sont souvent inaptes à l'explication et
à l'action. Les thèmes abordés offrent l'opportunité d'un
élargissement du débat. En effet, de la pertinence du diagnostic établi
à partir de l'examen minutieux des questions du sous-développement,
dépendront la qualité et l'efficacité des stratégies du développement.
De plus, la science économique a toujours progressé à partir de vives
controverses, ce qui en fait une doctrine antidogmatique.
Pourquoi cette référence à l'Afrique? Simplement parce que le
continent est traversé par une triple crise économique, politique et
sociale et qu'il peine toujours à sortir par le haut de l'état de sousdéveloppement. Cette référence est donc une invitation pour une plus
grande implication dans la formulation des problématiques de
développement et dans la recherche de solutions. Depuis le milieu des
années 70, l'Afrique est confrontée à l'approfondissement de ses
déficits macroéconomiques et macro-financiers, à la stagnation voire
au recul de sa production agricole comme industrielle, à
l'élargissement de la pauvreté de masse et au creusement de son
retard dans les domaines cruciaux des technologies de l'information,
de la communication, de l'innovation en somme de la nouvelle
économie du savoir. Incontestablement, il s'agit d'une crise profonde
de développement qui se manifeste à plusieurs niveaux dont trois sont
déterminants, à savoir:
• l'existence et la perpétuation d'une crise agro-alimentaire
persistante faisant du continent une zone d'insécurité
alimentaire endémique alors que d'autres régions connaissent
des surproductions parfois détruites pour équilibrer les
marchés;
• la double explosion démographique et urbaine qui accentue
les déséquilibres macroéconomiques tout en délitant
complètement tous les rapports sociaux et les relations
villes/campagnes;
• l'endettement asphyxiant qui n'a pourtant que très peu
contribué à la mise en place d'un réseau fonctionnel
d'infrastructures économiques et sociales, à l'amorce d'une
industrialisation fondée sur la valorisation des immenses
38
ressources naturelles, au financement de l'agriculture ainsi
que des transferts techniques.
S'agit-il d'une crise des modèles de développement, des
institutions de régulation des systèmes économiques et sociaux ou
alors plus gravement, ne s'agit-il pas d'une crise de la pensée du
développement? Toutes les études prévisionnelles ou prospectives
sur l'évolution du monde au-delà de l'an 2025 sont formelles:
l'Afrique restera à cette échéance au bas de l'échelon des nations,
c'est-à-dire, dans la catégorie des nations encore sous-développées. À
l'évidence, les prévisions sont loin d'être des prophéties, mais elles
imposent des interrogations rigoureuses sur ce qu'il faut faire pour
modifier ou conjurer les trajectoires négatives. Quels modèles de
développement et quelles stratégies faut-il adopter pour sortir le
Continent africain des scénarios tendanciels de marginalisation,
d'exclusions ou plus sévèrement de clochardisation dans un monde
globalisé avec un rétrécissement des espaces et des distances du fait
de la révolution des technologies de l'information et des
télécommunications.
Mon deuxième objectif est d'offrir surtout aux jeunes
chercheurs et aux étudiants une première grande synthèse qui leur
ouvre le maximum de références théoriques, d'instruments d'analyse
et de matériaux statistiques afin qu'ils aillent bien au-delà des sentiers
archi battus et des formulations de haute voltige du développement
qui n'ont que d'assez faibles liens avec les réalités africaines. La presse
foisonne de questions gênantes pour le monde des économistes
africains comme: Pourquoi des économistes universitaires et à quoi
servent leurs théories toujours divergentes ? Expertise et ambiguïté
de la science économique? Rhétorique et idéologie marquée par un
formalisme complètement désincarné avec au départ l'irréalisme des
hypothèses? Pourquoi une pensée économique quand les
économistes, selon le mot de Daniel COHEN, arrivent bien souvent
après la bataille?
Regardons le monde sans complaisance pour mieux mesurer
notre poids, l'écart qui se creuse et surtout le largage de notre
continent malgré l'immensité de ses ressources. Certainement les
solutions ne sont pas dans l'alchimie des formulations creuses qui
peuplent nos manuels et nos enseignements.
39
Partie Introductive
Afrique, contexte de Mondialisation
et sous-développement
«Le terme de mondialisation désigne l'ensemble des
phénomènes à travers lesquels la vie de chaque habitant de
la planète est liée, au moins en partie, à des décisions prises
en dehors de son propre pays ».
B. GUILLOCHON
17
Considérée comme une chance pour les uns, une menace pour
les autres, le phénomène de la mondialisation semble déterminer
désormais l'avenir de la planète et suscite des débats passionnés, des
controverses savantes et des proclamations politiques aussi simplistes
que péremptoires. Le phénomène s'est élargi au point d'affecter
aujourd'hui le politique, le social et le culturel. Cela soulève beaucoup
d'interrogations que résume parfaitement S.CORDELLIER18 à savoir:
• Que recouvre le concept?
• La mondialisation de la production et des échanges, phénomène
ancien, a-t-elle véritablement changé de contenu? Quels liens
avec la nouvelle Révolution Scientifique et Technique?
• Quelles sont les conséquences directes et indirectes de la
globalisation financière?
• Les multinationales sont-elles devenues globales? Quelles seront
les conséquences à moyen et long terme de la concurrence des
pays à bas salaires pour les vieux pays industrialisés?
• Qu'en est-il
réellement des
États-Nations?
Sont-ils
inéluctablement condamnés au déclin?
• Faut-il se résigner à abandonner toute ambition en matière de
politique économique et se contenter de constater les
contraintes? Que peuvent les politiques économiques?
• Que doivent faire les Pays qui sont marginalisés et obligés
d'évoluer en marge du système mondial?
• Mais d'abord, de quoi s'agit-il lorsqu'on parle de mondialisation?
En réalité, elle recouvre quatre significations:
• l'extension de l'économie de marché à l'ensemble de la planète 19 :
c'est une définition classique qui met l;accent sur la
synchronisation des marchés.
• l'ensemble du processus productif qui prendrait une dimension
mondialisée dans ses sphères réelles, monétaires et d'échange.
17 B. GUILLOCHON : La mondialisation une seule planète, des projets
divergents, Petite Encyclopédie Larousse.
18 Dossier de l'État du monde, Édition coordonnée par Serge CORDELLIER,
La Découverte 1997
19 Alternatives Économiques, Hors Série n°44, Page 52
42
•
•
l'internationalisation par les Firmes multinationales qui imposent
les règles du jeu international au détriment de toutes les autres
institutions;
l'économie globalisée, avec une régulation à l'échelle mondiale.
Bien que les termes de «mondialisation », «globalisation »,
« internationalisation» soient à la fois flous et empreints d'ambiguïté, chacun pense que leurs conséquences (sans pouvoir les
discerner avec précision) sont importantes. Pour certains
économistes, l'entrée dans la mondialisation se mesure par un
pourcentage significatif du PIB de la nation réalisé avec l'extérieur
alors que pour d'autres, ce pourcentage est moins significatif que la
« dépendance» ou «l'indépendance» de la nation vis-à-vis de
décisions prises par des acteurs de l'étranger: firmes ou États compte
tenu du caractère de «priee taker» ou de «priee maker» que
détiennent ces acteurs sur le marché mondial. Pour d'autres enfin, la
mondialisation s'exprime à travers l'ensemble des «mécanismes
d'accumulation à l'échelle mondiale» qui enrichit les partenaires les
plus riches et appauvrit les autres par l'échange inégal caractéristique
des distorsions dans le processus de formation des marchés
internationaux et de distribution des revenus.
A l'origine, la mondialisation était essentiellement perçue par
les auteurs comme un fait économique et financier qui indiquait la
suppression progressive de barrières douanières et réglementaires
pour les entreprises industrielles, commerciales et financières, ce qui
permettait leur déploiement sans entrave et la délocalisation de leurs
activités dans l'espace mondial. Les firmes multinationales se
trouveraient ainsi au cœur d'un processus productif de dimension
mondiale commandé par la recherche d'un profit maximal axé sur
l'exploitation des dotations factorielles naturelles des pays. Le
phénomène s'est par la suite élargi au point d'affecter aujourd'hui le
politique, le social et le culturel. Cela soulève beaucoup de problèmes
pour un concept aussi abusivement utilisé.
Manifestement, le sujet est vaste, complexe, largement
débattu, mais souvent sans analyses robustes avec des statistiques
crédibles. Selon la remarque de R. BOYER, « quand des ouvriers d'un
abattoir de poulets se mettent en grève pour contester un
aménagement de leurs horaires de travail, on décrète qu'ils se battent
contre la mondialisation qui impose sa rationalité aux entreprises de
ce secteur étroitement dépendant de ses performances à l'exportation.
Lorsqu'un gouvernement choisit de renoncer à exercer ses
prérogatives pour s'aligner sur les positions des lobbies favorables au
43
tout-déréglementation, il se justifie en se fondant sur les nouvelles
exigences de la mondialisation:w ».
Malgré sa forte présence dans plusieurs secteurs et dans
plusieurs régions du globe, la mondialisation n'est pas encore
universelle. Au contraire, une de ses particularités marquantes est
qu'elle est paradoxalement non homogène et fortement asymétrique,
dans la mesure où toutes les activités économiques, financières
comme culturelles ne se mondialisent ni au même rythme ni de la
même manière. Certaines, telles que la finance et les entreprises sont
mondialisées depuis des siècles, alors que d'autres sont encore
solidement chevillées dans des frontières géographiques nationales
dont elles portent les marques. C'est bel et bien une mondialisation à
plusieurs vitesses entraînant des chocs asymétriques.
Dans cette optique, la mondialisation considérée comme un
phénomène multiforme soulève beaucoup de questions quant à ses
liens avec les PSD qui évoluent encore à sa périphérie:
• Offre-t-elle les mêmes chances et les mêmes avantages à tous
les partenaires ou participants'~
• Quelles sont objectivement ses conséquences directes et
indirectes sur les différents partenaires, singulièrement les
plus faibles d'entre eux?al
• Pourra-t-elle contribuer positivement à la croissance
économique des pays d'Afrique sub-saharienne, au
développement de l'emploi, à l'éradication de la pauvreté et à
. la réduction des inégalités?
• Quel sort réserve-t-elle aux acteurs nationaux les plus fragiles
et les plus déficients .~
• Va-t-elle harmoniser les structures institutionnelles et les
normes et valeurs propres aux sociétés?
• Est-elle inéluctable ou contournable ?
Ces questions sont déterminantes pour les PSD, particulièrement
ceux au Sud du Sahara qui sont engagés dans un vaste chantier d'une
éradication de la pauvreté à l'horizon temporel 2015 qui correspond à
la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement
(OMD) du PNUD. Cela commande la mise en place de stratégies
claires de développement avec des investissements massifs dont la
part la plus importante ne devra provenir que de l'extérieur.
~tl
al
R. BOYER et la Mondialisation au-delà des mythes, La Découverte, 1997. 174 p.
Moustapha KASSÉ (2003): De l'UEMOA au NEPAD: le nouveau
régionalisme africain. Nouvelles du Sud, 256 p
44
Chapitre 1
Co'lfiguration multipolaire de la mondialisation
La mondialisation présente un caractère de contrastes et de
paradoxes. Les statistiques qui ressortent des Rapports mondiaux des
Organisations Internationales (Banque mondiale, PNUD, CNUCED,
CEA, BAD) montrent que depuis deux siècles le monde n'a jamais
produit autant de richesses, disposé d'autant de techniques et
pourtant, jamais il n'a été produit autant d'inégalités et de pauvreté
révélant ainsi la marque d'une humanité socialement clivée.
Le Produit mondial a connu au cours du siècle une croissance
exceptionnelle: en dollars de 1975, il est passé de 580 milliards en
1900 à 25000 milliards au milieu des années 90, ce qui représente en
moyenne 4500 dollars per capita. Seulement, ce tableau idyllique est
altéré par la succession de crises graves qui sont autant de périls
économiques, financiers et sociaux dont les dernières en date ont été
la déroute de certains Nouveaux Pays Industrialisés d'Asie et
d'Amérique Latine souvent proposés comme modèles de référence
pour sortir du sous-développement en une génération.
Ces crises répétées et de plus en plus profondes montrent
l'ampleur des risques, des incertitudes et des dysfonctionnements que
les Institutions Financières Internationales n'ont pu gérer, faute
d'instruments adéquats de régulation et de ressources suffisantes.
C'est ce qui est apparu dans le cas de la crise financière en Asie et
auparavant au Mexique, au Brésil et en Uruguay.
Tableau 1: PIB nominal dans le monde (en milliards de dollars)
Produit Intérieur brut
Économies
Asie de l'Est et
Pacifique
Europe et Asie
Centrale
Amérique Latine
et Caraïbes
Afrique de l'Est et
du Nord
Asie du Sud
Afrique
Subsaharienne
1990
2004
665783
2650867
3039976
1 107862
1 769739
2201 159
1 101 298
2021 995
2460991
547496
625311
401 923
880212
1 016267
298442
523310
621 879
-
2005
Source: World Bank Indlcalors CD Rom 2006, World Bank Indlcalors 2007.
45
À défaut d'un consensus sur la définition, les pratiques et les
tendances de l'économie mondiale, dans sa double sphère réelle et
financière, laissent apparaître une interdépendance que l'on pourrait
qualifier de mondialisation. Essayons de cerner de plus près ces
interdépendances pour bien en mesurer toutes les conséquences à la
fois sur les économies nationales et sur les différents acteurs:
• L'interdépendance par la production se caractérise par la
décomposition internationale des processus productifs qui s'appuie
sur un réseau de filiales ou de sous-traitants et le nomadisme de
segments entiers des appareils de production selon la logique des
avantages comparatifs i
• L'interdépendance par les marchés qui se traduit par la
disparition des frontières géographiques, l'abaissement des barrières
tarifaires et non tarifaires qui accélère alors les échanges
commerciaux i
• L'interdépendance financière qui procède d'une interconnexion
des places financières mondiales fonctipnnant vingt-quatre heures
sur vingt-quatre grâce à la conjugaison de trois éléments que sont la
déréglementation, le décloisonnement des marchés et la
désintermédiation i
• L'interdépendance par les Technologies de l'Information et de la
Communication (TIC) qui, avec les transports, intensifient la mobilité
et la flexibilité des capitaux, des biens, des services et des personnes.
Ce sont ces interdépendances qui déterminent les relations entre les
différents acteurs du jeu économique, financier, politique et social à
l'échelle mondiale. Les États doivent avoir une claire perception de
cette configuration mondiale pour en évaluer les coûts et les
opportunités par des politiques économiques et financières
appropriées.
Section 1 : L'interdépendance des systèmes productifs
dominés par les firmes multinationales.
Elle se caractérise par une division internationale du travail
qui unifie les processus productifs nationaux et s'appuie, en
conséquence, sur un réseau de filiales ou de sous-traitant qui opèrent
la délocalisation de segments entiers des appareils de production
selon la logique des avantages comparatifs. Cette structuration est le
fait des firmes multinationales qui façonnent l'espace mondial en
réseaux de production. Elles sont de plus en plus nombreuses,
puissantes et originaires de diverses zones. Cette stratégie
d'implantation leur permet de maximiser leurs profits à partir d'une
optimisation de la localisation de leur production.
Ce sont aujourd'hui, quelques 37 000 firmes multinationales
de tailles très inégales qui réalisent et contrôlent l'essentiel de la
46
production mondiale de biens et services, les 500 d'entre elles les plus
puissantes contrôlent presque 30 à 40 96 du PIB mondial soit 25 000
milliards de dollars. Celles-ci effectuent les 2/3 du commerce
international sous forme d'échanges internes avec leurs. 27 000
filiales soigneusement réparties dans l'espace mondial. De même, le
négoce international des produits de base est largement sous le
contrôle des firmes multinationales.
Le processus de délocalisation des activités industrielles
réalisé par les firmes multinationales sépare les lieux de production
ou de transformation de certaines marchandises de leurs lieux de
consommation. Il va s'amplifier sous l'influence de la Nouvelle
Révolution des Technologies de l'Information et de la
Communication, de la dématérialisation de capitaux et de l'extension
des aires géographiques du libéralisme. Il a surtout fortement
contribué au décollage industriel de la plupart des pays industrialisés
d'Asie. En effet, les transferts d'activités industrielles et de services du
Nord vers le Sud, appelés « délocalisations », sont l'une des causes les
plus spectaculaires de l'industrialisation rapide des pays asiatiques
même si par ailleurs, elle dévitalise les économies du Nord et y opère
une destruction des emplois. S'agit-il alors d'un « partage des
richesses ou d'un partage de la misère?» Sans nul doute i la
mondialisation libérale complètement soumise aux lois du marché et
du profit à court terme n'apportera pas de réponse à cette question.
Les Nouveaux Pays Industrialisés d'Asie et d'Amérique Latine
ont tiré profit de cette délocalisation en attirant des segments de
production industrielle, en valorisant leur dotation factorielle liée à
l'espace géographique, à la qualité des ressources humaines ou à
l'offre illimitée de main d'œuvre. Ils ont réussi à mettre en place un
tissu industriel dans les domaines des hautes technologies.
Certains États africains ont fait les mêmes tentatives avec la
création des Zones franches industrielles considérées comme des
moyens d'attirer les investissements étrangers, créer des emplois,
développer l'industrie nationale et les infrastructures, favoriser les
transferts de technologies et se procurer des devises. À l'exception de
l'île Maurice, les Zones Franches africaines ont produit des résultats
médiocres. Ce modèle de réussite procède des capitaux asiatiques qui
ont fait de Maurice leur base de pénétration du marché européen et
d'accès aux pays du Proche-Orient. Créée en 1970, la zone franche
couvre tout le pays, emploie 100 000 travailleurs et rapporte plus
d'un millier de milliard de dollars. En vingt ans, le taux de chômage
est tombé de 20 96 à 3 96. Elle a permis à l'Ile en quasi-pénurie de
main-d'œuvre de privilégier désormais les investissements à forte
valeur ajoutée avec des emplois qualifiés.
Les principales transformations en cours concernent la
multiplication des alliances et des fusions entre multinationales dans
47
les secteurs stratégiques comme les industries aéronautiques et les
télécommunications. La concentration transnationale augmente, de
même que l'investissement international.
Quelles que soient les modalités, la globalisation financière a
favorisé l'internationalisation de la production. Les entreprises se
sont Inrgement financinrisées pour se couvrir contre les risques
internationaux, en diversifiant leurs produits. Les investissements
directs ù l'étranger sont passés de moins de 40 milliards US $ en 1980
Il 200 milliards en 1995. Ils conduisent souvent à une délocalisation,
transfert à l'étranger d'une activité de production (segment ou
ensemble de la fabrication) localisée antérieurement sur le territoire
national. Il s'agit en fait d'une véritable décomposition internationale
du processus productif (LASSUDRIE-DUCHENE). Chacun des
segments est localisé dans des espaces différents, pour des raisons
liées aux coûts de production, aux dimensions du marché, à des
risques ou à des réglementations.
Section 2 : L'interdépendance des échanges commerciaux.
Le volume total des transactions quotidiennes sur les marchés
des changes est passé d'environ 10 à 20 milliards de dollars dans les
nnnées soixante dix à 1500 milliards de dollars en 1998. De 1983 à
1993, les achats et les ventes transfrontaliers de bons du trésor
américain sont passés de 30 à 500 milliards de dollars par an. Les
prêts bancaires internationaux ont progressé de 265 à 4200 milliards
de dollars entre 1975 et 1994. Le poids des échanges internationaux
dans l'économie ne s'est pas accru de manière considérable,
contrairement au discours fondamentaliste sur la mondialisation. Si
l'on prend les chiffres du commerce international, il est (en fait) à
peine supérieur au niveau de 1914 qui représente 20% du PIB
mondial.
Les services se sont enflés rapidement, particulièrement les
services supérieurs directement liés aux activités productives:
tourisme, fret et transit, communication et télécommunication. Le
tourisme a plus que doublé entre 1980 et 1996 pour devenir une
composante financière importante. La demande touristique accuse
des taux de croissance élevés avec un nombre de voyageurs qui passe
de 260 à 590 millions par an. Malgré les restrictions sévères, les
migrations internationales se poursuivent, de même que les envois de
fonds des émigrants. Ces envois ont atteint 58 milliards de dollars en
1996. Le volume des appels téléphoniques internationaux s'est envolé
entre 1990 et 1996, passant de 33 à 70 milliards de minutes. Les
voyages internes et les médias stimulent la croissance exponentielle
des échanges d'idées et d'informations.
48
L'OMC entend désormais régenter toutes les règles de la
l'accès aux marchés publics et les lois sur les
investissements. Elle impose aux États membres la prééminence des
quatre principes du libre-échange à savoir:
• le principe de la non discrimination i
• le principe de l'abaissement généralisé des droits de douane i
• l'interdiction des restrictions quantitatives;
• l'interdiction du dumping.
Ceux-ci doivent prévaloir sur toute autre considération qu'elle soit
culturelle. sociale ou écologique dans la régulation du commerce
international.
Cette intégration mondiale est tirée pal' des changements de
politiques visant fi promouvoir l'efficience économique via ln
libéralisation et la déréglementation des marchés nationaux et le
désengagement de l'État de nombreuses activités économiques, ainsi
que la restructuration de l'État providence. Mais ce sont surtout les
innovations récentes dans la technologie de l'information et des
communications qui favorisent l'intégration. Cependant celle-ci reste
très partielle au niveau mondial. Ainsi, les mouvements de main
d'œuvre sont encore restreints, les frontières étant fermées aux
individus sans qualification.
concurr~nce,
Tableau 2 : Montant des exportations par zone et en
milliards de dollars
(en
Montant
exporté
milliards de dollars)
Croissance (%)
Par niveau de développement
1990
2001
1990-2001
48
11
254
45
2212
167
996
291
115
37
805
237
3784
264
1570
599
+139.6%
+236,4%
+216.9%
+426,7%
+71,1%
+58,1%
+57.6%
+105,8%
2549
4802
+88,4%
92
49
20
14
425
169
51
30
+362,0%
+244,9%
155,0%
114,3%
Pays à faible revenu
Dont Inde
Pays à revenu moyen
Dont Chine
Pays à revenu élevé
Dont France
Ynion européenne
Etats-Unis
Total
Par zone géographique
Asie du Sud-est
Amérique Latine
Asie du Sud
Afrique Subsaharienne
Source: Calculs reahses par 1auteur a partir du Rapport de la CNUCED
49
Section 3: Interdépendance et globaUsation des marchés
ftnanciers.
Cette troisième interdépendance est rendue possible par
l'articulation
de
trois
éléments
qui
permettent
une
internationalisation sans entrave des marchés financiers:
• la désintermédiation. elle permet aux entreprises. à l'atat de
recourir directement aux marchés financiers sans passer par
les intermédiaires financiers et bancaires pour effectuer des
opérations de placement et d'emprunt. Ils peuvent accéder
directement aux marchés financiers pour satisfaire leur besoin
de financement:
• le décloisonnement qui se traduit par la suppression de
certains compartiments des marchés i
• la déréglementation: celle-ci indique l'abolition des
réglementations des marchés des changes pour faciliter la
circulation du capital.
Au début du 20ème siècle. les mouvements internationaux de
capitaux participent au processus de mondialisation de l'économie.
Mais le développement de la finance mondiale atteste d'une
déconnexion croissante entre les flux de capitaux et les besoins de
financement de l'économie réelle.
La globalisation financière se caractérise par l'interconnexion
des marchés financiers, par un essor de nouveaux produits financiers
et de nouveaux marchés émergents. On observe également une
organisation mondiale de la production dans certains secteurs
stratégiques. Les marchandises circulent de plus en plus librement
avec des coûts de transport décroissants, du fait de la
déréglementation et des progrès de télécommunication permettant
des baisses de tarifs. L'instantanéité des informations abolit temps et
_espace. La circulation des informations peut remplacer celle des
hommes (télé achat, télé travail). Les opérations financières génèrent
à l'infini ou presque des produits dérivés. Les produits négociés, bien
que de plus en plus sophistiqués, sont standardisés. Les transactions
papier prennent, ainsi, une grande ampleur par rapport aux
opérations physiques.
On observe une déconnexion entre les opérations réelles
(commerce et investissement) et la sphère finance-change.
L'intégration financière résulte de la mobilité des capitaux et la
substituabilité des actifs (BOURGllNAT). Le développement des
eurodollars (les dollars circulant hors des États-Unis) à partir de 1957
a marquê le début de la circulation internationale des capitaux hors
de tout contrôle étatique. Après le passage aux changes flottants,
l'accélération du processus de libéralisation de la finance
internationale date principalement de la fin des années 70. Les États à
50
la recherche de sources de financement pour leurs déficits, ont aboli
les principales règles qui contraignaient les mouvements de capitaux.
Les mutations et innovations financières sont simplement
démentielles et d'une rare ampleur avec le surdéveloppement de la
titrisation et des bourses ainsi que l'opacité des marchés de gré à gré
qui sont de nouveaux facteurs aggravants. Ces éléments installent
l'instabilité au cœur même du système financier avec le triomphe des
capitaux spéculatifs. La tourmente des marchés financiers mondiaux
provoquée par les crises financières asiatiques et celle des
subprimes des crédits immobiliers à risque aux États-Unis en
apportent les preuves les plus récentes.
Ainsi, les mutual funds aux États-Unis ont mobilisé quelques
2600 milliards de dollars en 1995 et les fonds de pension s'élèvent à
3600 milliards de dollars soit plus que l'encours des réserves de
change de toutes les banques centrales de la planète. Les transactions
opérées sur les marchés de change représentent environ 1500
milliards de dollars par jour, soit plus de 50 fois les flux réels de
marchandise. La valeur des titres côtés en bourse dans 80 pays a été
multipliée par 10 en 20 ans. Elle est passée de 1800 milliards en 1980
à 18 000 milliards en 1998. En clair, la sphère financière est
complètement déconnectée de la sphère réelle car chaque jour 1500
milliards de dollars changent de mains sans contre partie en termes
de biens et services. Ces chiffres montrent que les marchés financiers
ont acquis des pouvoirs très étendus qui leur permettent de contrôler
l'essentiel des circuits de financement à l'échelle mondiale et peuvent,
en conséquence, déterminer les rythmes de croissance des économies.
Le problème est comment mobiliser ces fonds d'investissements qui
hésitent à prendre la direction de l'Afrique?
La globalisation des marchés financiers laisse apparaître
d'abord un surdimensionnement des marchés qui rend les activités
des établissements financiers complètement incontrôlables et permet
aux acteurs financiers de promener librement leurs capitaux dans
l'espace mondial à la recherche de meilleures rémunérations. Cette
situation est largement expressive de la montée en puissance de la
finance internationale avec la création d'un marché unique de l'argent
au niveau planétaire. Cela va entraîner des dysfonctionnements quasi'
permanents du SMI et la multiplication des crises financières.
Ensuite, on note une réelle incapacité de mesurer le niveau optimal
dès moyens de paiement pour l'économie mondiale. Enfin les finances
illicites montent en puissance avec un produit mondial estimé à
environ 1000 milliards de dollars.
Désormais les actifs financiers peuvent se balader librement à
la rec: .Tche de meilleures rémunérations. Ces capitaux alimentent les
Investissements Directs Étrangers (IDE) qui s'orientent' vers les pays
présentant de bonnes politiques dans un environnement
51
institutionnel favorable et qui respectent les principes de bonne
gouvernance économique. Dans les années 80, les investissements
internationaux directs augmentent trois fois plus vite que le
commerce mondial. À partir des années 90, après avoir surtout
concerné les pays du Nord, ils se tournent de plus en plus vers les
pays en développement.
À la fin des années 1980, ces pays accueillaient environ 15 %
seulement des flux d'investissements directs, aujourd'hui ils en
ingèrent plus de 42 %. Les NPI d'Asie se taillent la part la plus
importante puisqu'ils intègrent 25 % des investissements étrangers
directs mondiaux, la Chine en accueillant à elle seule 15 %, soit 33
milliards de dollars sur 214,3 milliards, en 1994. Grâce à ces nouveaux
flux financiers et des taux de croissance deux fois supérieurs à la
moyenne mondiale sur une trentaine d'années, l'Asie apparaît de plus
en plus comme l'une des locomotives d'une économie mondiale en
proie au chômage et à la morosité, au niveau des grandes puissances
industrielles.
Les principales conséquences qui méritent de retenir
l'attention sont de trois ordres:
• La finance est de plus en plus déconnectée de la production:
surdéveloppement de la titrisation et des bourses;
• L'opacité des marchés de gré à gré facteur aggravant;
• L'instabilité s'installe au cœur du système financier avec le
triomphe des capitaux spéculatifs;
• Le risque crédit devient de plus en plus un produit financier.
Section 4: L'interdépendance par les Technologies de
l'Information et de la Communication.
Ce qui change véritablement dans la mondialisation
d'aujourd'hui, c'est l'ampleur et la profondeur de la Révolution des
Technologies de l'Information qui modifie qualitativement et
quantitativement les systèmes productifs avec la création de
nouveaux produits, permet les échanges en temps réel du fait de la
baisse drastique du coût des microprocesseurs et des
télécommunications et ouvre de nouveaux canaux de communication
et de distribution. La vraie révolution est dans l'innovation accélérée
qui permet l'amélioration de la productivité, donc la compétitivité.
Les technologies de l'information et de la communication sont
en train de modifier les systèmes productifs et les perspectives de la
croissance et de l'emploi. Elles déclenchent une explosion des
activités économiques, recomposent les territoires industriels et
interconnectent tous les marchés de la planète. Ce sont elles qui font
précisément du monde un village planétaire. Des millions de
kilomètres de fibres optiques se croisent en permanence et relient des
52
continents dans le temps et l'espace. Des contrats, des transactions et
des informations de tous ordres traversent les fuseaux horaires, les
frontières et les cultures. Les nouvelles routes commerciales sont des
éclats de laser et des rayons de satellites. Les marchandises
transportées sont le savoir et la technologie.
Les évolutions et les mutations technologiques accusent des
rythmes à la fois rapides et bouleversants. Les innovations qui en
résultent non seulement transforment structurellement les systèmes
productifs, mais permettent d'accélérer la croissance. Cela entraîne
selon P.CHAPIGNAC22 trois ruptures qui ont une tendance assez
nette à structurer les activités économiques autour du traitement de
l'information:
• la production de richesse déplace son centre de gravité de
l'activité productrice (la dialectique entre la machine et
l'homme) à la création (la conception et le pilotage
intellectuel). 11 va en résulter le déplacement de la source des
richesses vers l'activité de conception;
• les transactions de toutes natures ont tendance à s'imposer
comme principaux générateurs de la valeur ajoutée, ce qui
déjà se constate dans la structure des entreprises où les
fonctions commerciales, marketing et autres prennent une
. importance grandissante;
• le renversement des hiérarchies des actifs avec un caractère
dominant des actifs immatériels.
Il se crée alors à l'échelle mondiale un immense réservoir
technologique dont peuvent bénéficier tous les pays pour innover et
exploiter leur potentiel compétitif dans les secteurs industriel,
agricole et des services par acquisition de gains de productivité.
Certains pays en ont largement profité sous des formes comme la
«révolution verte» ou le développement d'industries lourdes ou
légères.
Ces éléments indiquent à souhait que la mondialisation est en
train de concevoir un nouveau modèle de société que l'on appelle
communément la société innovante dont les valeurs clés sont la
productivité, la compétitivité, l'efficacité, la rentabilité, l'optimisation,
la flexibilité, le contrôle, l'adaptabilité, la mesurabilité et la gestion.
Cette société sous-tend un projet axé sur l'apologie du meilleur et de
l'excellence. Elle privilégie les outils plutôt que les personnes, elle
accorde la priorité aux phénomènes et se soucie très peu des finalités.
Elle devrait entraîner de nouvelles réflexions car si on n'y prend
garde, sous couvert de progrès techniques, elle peut déboucher sur
une logique de compétition, de violence et d'exclusion. Par ailleurs,
22 P.CHAPIGNAC, Communication au Congrès IDT-Marchés et industries,
Paris, 1995
53
elle ramène en surface le débat sur les technologies et la
recomposition de l'emploi: la machine tue-t-elle l'emploi ou l'obliget-il à se déplacer et à se recomposer?2 3
Cependant, le Continent africain s'insère difficilement dans le
concert des nations: en marge de l'expansion industrielle mondiale, il
risque d'être exclu de la révolution mondiale des technologies de
l'information et des télécommunications (Rapports de 1999 et
2001)24. L'accélération des innovations technologiques risque de
produire plusieurs conséquences négatives sur le développement des
pays, notamment le creusement de l'écart entre les capacités d'accès
et d'utilisation des techniques au Nord et au Sud25 , les économies de
consommation des matières premières limitant les perspectives
d'exportation des PVD et l'approfondissement des inégalités des
revenus. Comme l'observait Carlo De Benedetti alors PDG
d'Olivetti, « le développement technologique actuel rendra les riches
encore plus riches et les pauvres encore plus pauvres ».
Section 5 : .Mondialisation multipolaire: la formation de
puissants pôles de compétition.
Jusqu'à la fin des années 80 tout le système de la
mondialisation était géré dans un cadre bipolaire. Mais avec
l'effondrement du Bloc Soviétique et l'exacerbation de certaines
crises, les contours d'une mondialisation encore plus multipolaire se
dessinent.
À l'observation, malgré cette forme multipolaire d'organisation et de gestion de la mondialisation, le monde reste fragile,
instable et imprévisible. Jamais la précarité n'a été aussi grande sur la
planète dans ses sphères économique, financière, politique et sociale
et même culturelle.•La rupture de la croissance fordienne à la fin des
années 60, consolidée et aggravée par le désordre monétaire
international a engendré des ruptures d'équilibre dans l'économie
mondiale, et face auxquelles tous les moyens exceptionnels de
régulation vont se révéler totalement inopérants.
L'inflation croît en même temps que le chômage (stagflation).
L'endettement fragilise les bases du système financier international
marqué par l'ampleur des bulles spéculatives et les fluctuations
anarchiques des devises. Le protectionnisme se réinstalle avec des
techniques plus sophistiquées échappant souvent à la surveillance de
23 J.B. Foucauld: Une nouvelle donne pour l'emploi, Revue Échanges et
projets, janvier 1994
24PNUD, RMDH de 2000 et 2001
25 La possibilité pour les PVD de trouver des raccourcis techniques et de
choisir le dernier et le meilleur équipement est assez restreinte.
54
l'OMC (la récente Conférence de Cancun vient d'en administrer la
preuve). Face à cette situation et au darwinisme économique, la
plupart des grandes nations industrielles organisent des espaces de
commerce privilégié (multiplication des organisations régionales) et
gèrent leurs complémentarités avec les nations voisines (prolifération
des Accords de Libre Échange).
c'est dans ce cadre que fonctionne le monde multipolaire qui
consacre 4 pôles de puissance qui tournent autour de l'abolition des
frontières par la libre circulation des marchandises, des capitaux, des
services, l'ouverture des marchés publics et l'élaboration des
politiques de coopération pour mieux affronter la concurrence:
l'Union Européenne (UE), l'Accord de Libre Échange Nord-américain
(ALENA), le Groupe Économique d'Asie Orientale(GEAO) qui se
compose des 6 pays de l'ASEAN plus le Japon, la Corée du Sud, Hong
Kong et Taiwan, et le MERCOSUR. Ces blocs économiques régionaux
sont les meilleurs instruments de compétitivité. En effet, la concurrence exige des pays et des entreprises un subtil dosage de
protectionnisme et de libre-échange, d'étatisme et de libéralisme.
Dans le monde des affaires, on se soucie bien peu des extrêmes: libre
échange sans entrave ou protectionnisme dur ou atténué). Le
modelage de l'espace mondial invite à des combinaisons complexes
qui seules sont à même d'atteindre la plus grande efficacité.
Jadis réservée aux PSD, la régionalisation devient la forme
d'organisation de l'économie mondiale, si bien que les relations
économiques et financières s'organisent en grande zone
géographique. Dans ce contexte, les accords régionaux sont des
accords préférentiels et accordent à certains pays des facilités d'accès
aux marchés intérieurs qui ne sont pas concédées aux autres. La part
du commerce mondial qui n'implique pas un des trois grands accords
que sont l'UE, l'ALENA et le GEAO ne représente que 15,6%.
Désormais, les relations commerciales sont fondées sur le principe
fort de la clause de la nation la plus favorisée. Tout pays exportateur
bénéficiaire de cette clause se voit automatiquement appliquer le tarif
douanier le plus favorable. Cette règle est incluse dans les accords de
rOMC qui, cependant, tolère beaucoup d'exceptions et de dérogations.
En conséquence, du point de vue strictement économique, la
mondialisation favorise la tendance au renforcement de la
régionalisation qui diminue l'efficacité des mesures nationales isolées
à la concurrence internationale et encourage les réponses.
D'autres éléments existent à côté de ces aspects purement
économiques, financiers et technologiques, préfigurant de ce fait les
changements spectaculaires comme par exemple le retour du
politique et du culturel qui n'ont plus le statut de variables muettes
d'une mondialisation qui repose sur l'exigence des « harmonies
universelles ».
55
Section 6: Des conséquences non économiques de la
mondialisation.
En accentuant les échanges des biens, des capitaux, des
technologies mais aussi des hommes, la mondialisation met en
contact des systèmes sociaux différents. Elle les déstructure et impose
ses modèles et ses valeurs propres selon les principes des « harmonies
universelles» indispensables au fonctionnement des marchés:
unification des valeurs culturelles, sociales et politiques et leur
soumission à la logique marchande. Deux phénomènes importants en
apportent la preuve.
Il Mondialisation et déstructuration des identités et valeurs
culturelles par l'échange inégal des cultures.
À la fin des années 60, H. MARCUSE prédisait dans son
célèbre ouvrage «l'homme unidimensionnel» la réduction de
l'individu à une seule facette: un conformisme asservi par la
technologie plutôt que par la terreur. Il déplorait la diffusion de la
culture de masse qui réduit le citoyen au rang de simple
consommateur. Une quinzaine d'années plus tard, Vance PACKARD
dans «La persuasion clandestine» dénonçait la stratégie des
industriels publicitaires visant à contrôler les mentalités des
consommateurs et uniformiser leur comportement. Aujourd'hui avec
la mondialisation, ces phénomènes prennent une dimension
insoupçonnée~6 et remettent à l'ordre du jour les craintes de
MARCUSE. Selon Théodore LEVITT il semble que «le temps des
différences régionales et nationales dues à la culture, aux normes et
aux structures sont des vestiges du passé »27.
Des intellectuels anglo-saxons avancent l'idée que la culture de
masse est vouée à s'étendre à partir du centre, en l'occurrence les
États-Unis, vers la périphérie qui est en fait le reste du monde28 . Cela
fait craindre l'instauration de l'hégémonie d'une seule puissance du
fait de « l'échange inégal entre les cultures ». On a beaucoup parlé du
«Mc Monde» ou encore de la «Mc Donaldisation» à quoi les
français tentent d'opposer «l'exception culturelle ». Ce débat est
entré dans la conscience commune. Et pour beaucoup d'auteurs, la
constitution d'un marché global entraîne la formation d'une culture
Cité par le Recteur Sélim ABOU lors du Colloque de Beyrouth sur la
mondialisation, 28 avril 1998
27 Théodor LEVITT : The marketing Imagination, cité par le Recteur Sélim
Abou
2H D.ROTHKOPF écrit dans ce sens que « Les Américains ne devraient pas
lier le fait que de toutes les nations du monde, la leur est la plus juste, la plus
tolérante et constitue le meilleur modèle pour l'avenir, in Foreign Policy
26
56
globale qui gomme toutes les identités nationales. L'idée classique et désormais banale - de l'unification humaine par la technique de
production, de transport, de communication, d'information, revient
en surface pour rendre compte de cette question de plus en plus
prégnante qui concerne l'avenir de la culture à l'âge du « tout
planétaire ».
Que vont devenir les valeurs culturelles nationales? Vont-elles
se modifier pour épouser les logiques de compétition ou alors serontelles étouffées ou gommées par la culture standardisée découlant de
la mondialisation?
Ces questions sont au cœur de la crise qui secoue les sociétés
africaines. En effet, la mondialisation, par les moyens de
communication de masse, diffuse un modèle culturel global, bouscule
toutes les valeurs et comportements autochtones et les pousse à des
formes multiples et complexes de refus et de résistance. Cheikh Anta
DIOP, dans un ouvrage consacré aux problèmes de la renaissance des
cultures africaines met l'accent sur l'exemple révélateur de Thèbes
sous la IBème dynastie. « Ekhanon fut un pharaon acquis à l'influence
orientale. Par ses réformes, il faillit diluer l'Égypte de son époque et
l'aliéner progressivement au profit des peuples d'Orient qui n'étaient
ni techniquement ni scientifiquement plus avancés. Le clergé de
Thèbes se dresse derrière Toutankhamon pour recouvrer sa liberté et
l'autonomie de la nation égyptienne, en ramenant la pensée de
l'époque des dieux, aux croyances et aux cultures de tradition
purement thébaines. Les Prêtres savaient tout simplement que
l'Orient de l'époque ne leur apportait rien de substantiel, même en
matière religieuse. Ils savaient également qu'en renonçant à leurs
dieux et à leur vision du monde sous-jacents à leurs institutions
religieuses, ils s'abandonnaient dangereusement à une aliénation
culturelle qui préparait progressivement l'extraversion de l'Égypte et
la perte d'identité du peuple pharaonique, la conquête de leur pays
par des modèles, des symboles et des instruments qu'ils n'avaient pas
élaborés et dont ils ne pourraient décider l'évolution. Mais les Prêtres
savaient aussi que l'impérialisme culturel est toujours contemporain
de l'impérialisme politique et économique »:.!9.
Le drame évité à Thèbes est le drame vécu par le Continent
africain qui doit se convaincre que « l'identité culturelle procède de
l'expression volontaire d'une authenticité qui prend racine dans le
génie de chaque peuple et dans les valeurs fondamentales qui la soustendent. Cette recherche de l'authenticité passe par un ressourcement
qui ne traduit pas un simple retour aux sources, mais intègre les
réalités et les impératifs du monde moderne. Elle implique une prise
de conscience lucide qui permette l'actualisation et le renouvellement
29
CA DIOP: Nations Nègres et Culture, Présence Africaine, 1956
57
des valeurs, interdisant ainsi la création de ghettos culturels. Il s'agit
de découvrir de nouvelles dimensions de la culture africaine. C'est
dire que le monde africain doit élaborer une stratégie culturelle
suffisamment efficace pour atténuer les impacts négatifs des modèles
culturels étrangers. Cela suppose un système de communication
fondé sur l'utilisation des langues nationales pour atteindre les
masses africaines, une coopération culturelle internationale et la
création d'instruments culturels destinés à favoriser les échanges, à
financer les industries cultuelles, à encourager les activités
intellectuelles.
11/ Mondialisation libérale: système économique libéral
doit rimer avec société démocratique.
Au plan politique, la mondialisation se traduit par un regain
d'intérêt pour les problèmes de démocratie, de paix, de sécurité et de
bonne gouvernance. Il est indiscutable que ces éléments sont des
préalables du développement économique et social.
Le débat est clos assez vite par l'imposition d'un ajustement
des PVD aux règles et normes démocratiques formelles et de bonne
gestion de tous les centres de pouvoir. C'est le socle minimal de la
nouvelle civilisation universelle de la démocratie et des droits de
l'homme. Il repose sur l'idée implicite de l'existence de valeurs
universelles dans lesquelles devait se reconnaître l'ensemble des
« citoyens du monde ». En effet, il apparaît clairement que « la
démocratie portative» dont parlait PARETO doit essentiellement
réglementer la circulation des élites. Elle repose sur les règles de la
démocratie représentative que l'Occident a mis des siècles à édifier
autour du concept de Parti politique:Jo • A-t-on le bon modèle? Et
dispose-t-on des instruments et des moyens pour le réaliser? Et enfin
comment résoudre l'équation très délicate des sanctions à appliquer
en cas de défaillance?
Alors que certains auteurs soutiennent que la mondialisation
annonce la fin des conflits ou «la fin de l'Histoire et le dernier
homme »3 1(FUKUYAMA), d'autres martèlent les préceptes de la
« pensée unique» qui font de la mondialisation la voie royale du
bonheur: plus le monde sera ouvert, plus la croissance sera élevée,
plus le bien-être se généralisera. Toutes les institutions et tous les
M. ROCARD dans son ouvrage Pour une autre Afrique, Éd. Flammarion
note que « les institutions africaines fondées sur des prises de
décisions collégiales et consensuelles et en ce sens ne sont pas inférieures. La
méthode en est l'arbre à palabre et l'instrument l'assemblée de village. Tout
se passe comme si l'Occident a remplacé la démocratie consensuelle africaine
par son produit la démocratie conflictuelle. »
31 F. FUKUYAMA: La fin de l'histoire,. Flammarion, Paris 1992
30
2001,
58
acteurs ont l'occasion d'y assister, sinon d'y participer, en direct ou
« en temps réel ». Cette vision idyllique ne correspond-t-elle pas à la
globalisation fortement asymétrique effectivement observée.
Qu'apporte-elle globalement au continent et au Sénégal?
Section 2.: La société civile mondiale en gestation et la
revendication d'une mondialisation maîtrisée et équitable.
La mondialisation qui s'accompagne d'une double dualité
richesse/pauvreté et chômage/travail a entraîné beaucoup de
critiques à l'encontre du système économique mondial incarné par les
institutions internationales que sont, la BM, le FMI et l'OMe. Ces
critiques émanent de plusieurs secteurs de l'opinion internationale et
sont traduites sous diverses plateformes à travers des organisations
autonomes qui, en conséquence, échappent plus ou moins au contrôle
des politiques. La multiplication de manifestations à l'occasion des
diverses rencontres des IFI et la convocation régulière du Forum
Social Mondial sont des preuves de la formation lente d'une société
civile internationale. autour de l'exigence d'un monde plus juste et
plus équitable et d'un retour à un meilleur équilibre dans les relations
internationales.
Pour toutes les organisations du Forum Mondial, si l'humanité
n'a jamais produit autant de richesses, jamais les inégalités et la
pauvreté n'ont été aussi fortes traduisant ainsi un environnement
international fortement dual. Ce dualisme entr~ pays du Nord et du
Sud peut s'identifier à travers la faillite du système éducatif, la montée
de la pauvreté de masse, la dégradation de la situation sociale. La
croissance et le développement sont bloqués, ce qui se manifeste à
travers la détérioration des indicateurs du cadre macroéconomique
suite à l'approfondissement du fardeau de la dette, l'effondrement des
termes de l'échange et la diminution de l'aide publique. Face à cette
situation dramatique, depuis plus d'une décennie, plusieurs
conférences internationales ont été convoquées mais les résultats
restent encore assez faibles: Initiative PPTE, Objectifs du millénaire
pour le Développement, Résolution 2626 de l'Assemblée Généraledes
Nations Unies relative à l'enveloppe d'aide publique au
développement (0,796 du PNB des pays riches).
La succession de « décennies perdues du développement» et
la marginalisation progressive des pays du Sud ont conféré aux ONG
de plus en plus nombreuses des rôles accrus. Selon les statistiques du
Comité d'Aide au Développement (CAO) de l'OCDE, les dons des
organisations privées bénévoles s'élevaient à 6 milliards de dollars en
1995, auxquels il faut ajouter 1,2 milliards de l'Aide Publique au
Développement (APD) qui transitent par ces organisations. En
définitive, sur l'ensemble des ressources financières vers les PSD, la
59
contribution des ONG représente 3,6%. Ces chiffres montrent
l'ampleur des moyens dont disposent les ONG pour mener leurs
actions directes au niveau des populations.
Le foisonnement, la diversité des interventions, la multiplicité
et la complexité de leurs relations, le poids économique, financier et
social qu'elles représentent, mettent en relief la place et le rôle des
ONG dans le processus d'aide au développement. Ces ONG
représentent une fr~ction de la société civile et se donnent pour
principale mission d'aider les populations défavorisées sans
distinction de nations, d'États ou de cultures.
Cette importance que prennent les ONG en Afrique· et
particulièrement au Sénégal appelle trois interrogations:
• Quel serait leur véritable rôle dans la réalisation des objectifs
du développement?
• Leur mode d'organisation et d'intervention leur permettent-ils
de contribuer efficacement à la réalisation des objectifs de
réduction de la pauvreté et de développement?
• Leurs formes actuelles sont-elles en phase avec les
transformations socio-politiques dans leur sphère d'évolution?
En d'autres termes, peuvent-elles passer d'une phase de
contestation à ceiles d'acteurs à part entière dans le processus
de mondialisation?
L'autorité morale exercée par ces organismes privés (qui vont
des Organisations Non Gouvernementales (ONG) aux Mouvements
Sociaux Internationaux) ont trois sources: aptitudes à proposer une
liste des thèmes à négocier dans les institutions internationales
(pouvoir de fait plus que de droiO, capacité de fournir des avis
d'expert en vue d'un travail d'influence (lobbying) et positionnement
dans les domaines sociaux, visant à l'émancipation des acteurs non
étatiques (autorité morale).
Les décideurs et tous les acteurs du jeu économique et social
des Pays en Développement devraient exploiter positivement toutes
ces opportunités qu'offrent les ONG et leurs mouvements sociaux. Au
niveau interne, cela leur permettrait de disposer d'une information
technique essentielle aux décideurs politiques pour légitimer certains
choix et contribuer à la préparation de certaines décisions et au
niveau mondial, de peser sur la recherche d'une égalité sociale dans le
monde et de donner écho aux revendications d'annulation de la dette,
d'instauration d'un commerce équitable etc. En effet, ces mouvements
sociaux de la société civile internationale sont profondément
réformistes et ont souvent pour objectif majeur d'aider la
mondialisation à prendre en charge ses membres les plus faibles.
Cette question est au cœur des débats de la Société Civile
Internationale regroupée autour du Forum Social Mondial et des
idéaux «altermondialistes ». Elle récuse le néo-libéralisme et ses
60
conséquences, et cherche un modèle alternatif. Cette idéologie est
rendue responsable des exclusions avec le démembrement des
sociétés traditionnelles. En outre, elle est vivement critiquée pour son
opposition à l'État providence, au Sud comme au Nord et pour
l'exigence, au nom de l'impératif de concurrence, de l'abandon des
protections et du soutien étatique à l'emploi, du démantèlement des
services publics et de la suppression des filets de sécurité sociale.
Section B : La question sécuritaire et la gestion des risques
réels ou supposés.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001 les questions de la
sécurité sont projetées au centre des préoccupations de tous les États,
des peuples et des entreprises de tous les domaines. Les chercheurs
en sciences économiques et politiques comme les stratèges accordent
désormais une importance de premier ordre aux questions
sécuritaires et de gestion des risques. Les attentats du 11 Septembre
soulèvent beaucoup d'interrogations qui, sans aucun doute,
concernent d'abord la gouvernance mondiale mais aussi les relations
Nord-Sud:
• Comment la politique étrangère menée par les États-Unis
depuis la guerre du Golfe a-t-elle créé un potentiel de haine
expliquant les attentats du 11 septembre?
• Quel est le pouvoir de conviction des intégristes partisans du
Jihad?
• Les terroristes ont-ils un projet?
• Quels sont ses liens avec l'argent: celui des affaires, celui de la
drogue et du crime, celui des hydrocarbures?
• Quel contenu économique potentiel peut prendre la nouvelle
configuration des alliances entre superpuissances après la fin
du monde bipolaire?
• Derrière ces questions conjoncturelles se pose l'interrogation
majeure à savoir si le triomphe du marché marque la fin de
l'histoire comme le pense F. FUKUYAMA ou bien se dirige-ton vers le choc des civilisations?
Les réponses à ces questions ont des répercussions directes
sur l'économie, selon au moins trois axes : d'abord le mode de
fonctionnement global de l'économie mondiale, ensuite la
transformation de certains secteurs aujourd'hui clés et enfin la prise
en compte des risques et des incertitudes. Depuis les années 90, avec
la chute du mur de Berlin marquant la disparition d'une
mondialisation bipolaire, l'humanité semblait s'engager dans un
processus inéluctable de globalisation marqué par la domination des
marchés, le développement des échanges et le recul du pouvoir de
61
régulation des États. Toutefois, cette tendance lourde est en train de
s'inverser avec un retour frénétique du politique sur l'économique. En
effet. les attentats ont ouvert la voie à une demande accrue d'État, de
protection et de régulation.
Tous les secteurs sont affectés directement ou indirectement,
certains plus que d'autres : énergie, transports, tourisme, nouvelles
technologies, banques, etc. Certains de ces secteurs sont
particulièrement structurants pour toute l'activité économique.' C'est
le cas notamment du pétrole dont les prix sont déterminants pour la
compétitivité, les échanges commerciaux et la circulation des
personnes et des services. Le traitement du risque, des incertitudes et
de la sécurité est devenu une question majeure, qui peut déboucher
sur une demande de plus d'État et conduire les entreprises à redéfinir
leurs orientations stratégiques.
Face à ces problèmes aujourd'hui décisifs, des économistes ont
tenté de clarifier l'évolution de l'économie mondiale après le 11
septembre 2001. Pour certains, beaucoup d'indicateurs caractéristiques montrent déjà de lourdes tendances récessives avec le freinage
de la croissance au niveau des économies du centre, la baisse des
activités productives, la détérioration des indicateurs monétaires et
financiers etc. Alors que pour d'autres, il ne s'agit que' de menaces
passagères sur une économie mondialisée solide qui, après quelques
turbulences dues au choc américain, devraient retrouver ses marques.
Dans l'optique que voilà, les acteurs de l'économie perdent confiance,
ce qui crée une morosité au niveau de certains secteurs d'activités:
krach boursier passager, ralentissement de la consommation,
renchérissement des prix du pétrole. perturbation des marchés du
transport aérien et du tourisme.
Le scénario catastrophe ne se dessine pas encore pour deux
raisons majeures: la solidité de l'architecture bancaire centrale de
l'ensemble des pays développés et leur solidarité par les rapides et
indispensables régulations de la finance pour empêcher que la
situation ne dégénère vers une crise financière qui provoquerait alors
une chute de l'activité productive et de service. Cependant, quel que
soit l'angle d'analyse, on observe déjà deux phénomènes: d'abord le
retour de l'État comme facteur de régulation, et ensuite la
réapparition de la question Nord-Sud c'est-à-dire la distance
grandissante entre ces deux pôles avec l'élargissement de la dualité
riches-pauvres, le développement des inégalités, la détérioration de la
situation sociale et l'exclusion. Dès lors, toute stratégie de lutte contre
la violence en général et la violence terroriste en particulier doit
reposer sur un combat sans merci contre le cercle vicieux de la
pauvreté et du désespoir. C'est la lutte pour le développement qui est
largement détournée par la vision qui domine le monde depuis une
62
vingtaine d'années et que l'on désigne par la mondialisation
néolibérale.
Comprendre et agir pour une paix juste rappelle que la
sécurité viendra d'abord et avant tout par l'appui constant à un
développement durable, l'instauration progressive d'une paix juste, le
respect intégral des droits humains et une généreuse ouverture aux
populations migrantes et réfugiées.
63
Chapitre 2
L'Afrique paria de la mondialisation entre
marginalisation, pauvreté et précarité
La distribution des revenus à l'échelle mondiale laisse
apparaître deux types d'inégalités: celles qui existent d'abord entre
les pays et celles observées au sein même des pays, qu'ils soient du
Nord ou du Sud. Aujourd'hui, on observe une très forte croissance des
inégalités à ces deux niveaux dont les causes sont assez controversées.
Généralement plusieurs facteurs sont évoqués pour expliquer ces
inégalités dont deux semblent faire consensus: la concurrence accrue
des pays à bas salaires particulièrement en Asie et qui justifie assez
largement la délocalisation industrielle, le progrès technique
« biaisé» au sens où ce dernier supprime de façon massive des postes
de travail non qualifié tout en augmentnnt la demande de travail
qualifié. C'est la raison pour laquelle HOANG NGOC LIEN estime que
la mondialisation n'a pas encore atteint les hommes car « loin de
s'être atténuées, les inégalités se sont creusées. Le fossé s'est agrandi
entre les revenus des salaires et ceux du patrimoine, entre la part des
salaires et celle du profit dans la valeur ajoutée. Pire, la reproduction
sociale continue de jouer à plein: la mobilité intergénérationnelle
entre les classes sociales ne s'est pas améliorée ».3:1
Section 1.= Les inégalités et leur portée: la difficulté de
réduire la fracture sociale.
Sur le premier type, les statistiques montrent que le monde est
en phase de polarisation, avec un fossé de plus en plus large entre les
pays pauvres et les pays riches. Concrètement, l'écart du revenu par
habitant entre les pays industrialisés et les pays en développement a
ainsi triplé, passant de 5 700 dollars en 1960 à 15400 dollars en 1993.
De plus sur les 23.000 milliards de dollars que représentait le PŒ
mondial en 1993, 18.000 milliards provenaient des pays industrialisés, contre seulement 5.000 milliards pour les pays en
développement. Encore plus significativement, le cinquième le plus
riche de la population mondiale dispose de plus de 80% des
ressources et le cinquième le plus pauvre de 1%. Quelques 2,7
milliards d'individus (sur 6 milliards) vivent avec moins de 2 euros
par jour et ils seront environ 4 milliards en 2015.
32 HOANG Ngoc La fracture
sociaLe: sommes-nous condamnés au
LibéraLisme, Arléa, P192
65
Au cours des trente dernières années, la part des 20% de
personnes les plus pauvres dans le revenu mondial est tombée de
2,3% à 1,4%. Dans le même temps, la part des 20% les plus riches
passait de 70% à 85%. L'écart de revenu entre les 20% plus riches et
les 2096 les plus pauvres a ainsi doublé, passant de 30/1 à 6/1. La
fortune des 358 milliardaires en dollars que compte la planète est
supérieure au revenu annuel cumulé des 45% d'habitants les plus
pauvres de la planète. Au cours des trois dernières décennies, la
proportion d'individus habitant des pays ayant connu une croissance
annuelle de leur revenu supérieure à 5% a plus que doublé (passant
de 12 à 27%), mais la proportion de la population mondiale
connaissant une croissance négative de ce revenu a plus que triplé,
passant de 5% à 18%.
Le second type d'inégalité est celle qui existe au sein même des
pays. En prenant l'exemple de la France, le revenu mensuel moyen
des ménages résidant dans ce pays était de 14 190 F en 1994. Mais
1096 des ménages disposaient alors de moins de 4 530 F alors que
10% des ménages gagnaient plus de 25 890 F, soit un écart P9/Pl de
5,7 plus important que l'écart des seuls salaires qui s'établissait à 3,2.
Dans les pays de l'OCDE, les inégalités salariales sont mesurées par le
ratio P9/Pl qui s'élevait, en 1990, à 2 en Norvège, 2,5 en Allemagne,
3,4 au Royaume-Uni et 4,5 aux États-Unis.
Ces inégalités font aujourd'hui l'objet d'intenses controverses
au niveau de l'analyse du développement. En effet, certains
économistes soutiennent avec force arguments que les inégalités sont
favorables à la croissance économique. Ils prennent appui sur les
prédictions de S. Kuznets et avancent que si la croissance accroît les
inégalités dans un premier temps, elle les' réduit ensuite.
Encadré 3 : Inégale répartition du revenu
Kuznet (prix Nobel 1971) montre que le rapport entre le PNB individuel et les
inégalités dans la répartition des revenus prend la forme d'une courbe en Il U ..
renversée. Lorsque les revenus individuels augmentent, les inégalités s'aggravent
un maximum pour un niveau intermédiaire de revenus, puis déclinent pour des
niveaux de revenus élevés. Cette question importante de la répartition des revenus
est sous-analysée dans la pensée économique.
Dans ce sens, depuis quelques années, les systèmes statistiques africains, de
même que les chercheurs, déploient, avec le financement des bailleurs de fonds
internationaux (SM, FMI, ACDI, CRDI ...), des efforts pour mesurer le seuil de
pauvreté, identifier les pauvres, saisir leurs profils, leurs liens de résidence. Sans nul
doute, ces efforts sont louables, motivés sans doute par la volonté de mettre à la
disposition des décideurs économiques et politiques des instruments nécessaires à
un ciblage pertinent de la politique de lutte contre la pauvreté. Mais il est curieux
d'observer que les statisticiens et les économistes ne manifestent que très peu
d'intérêt pour les riches et les mécanismes d'enrichissement ainsi que la répartition
des revenus.
66
À y regarder de près, cette assertion peut-être économiquement fondée mais ne convient pas dans la perspective de lutte
contre la pauvreté. Pour P. ENGELHARD3:J, il faut s'interroger pour
savoir à partir de quel seuil d'inégalité la croissance de la richesse des
uns ne compense plus la perte de richesse des autres? Rawls fournit
une piste intéressante dans le second principe de sa Théorie de la
justice sociale3 -1: lorsqu'il y a des riches, les pauvres sont souvent
moins pauvres que si tout le monde était pauvre. Mais alors sommesnous encore dans un univers où l'accroissement de la richesse des
riches garantit que la pauvreté des pauvres va diminuer? Et P.
ENGELHARD observe avec pertinence que deux ou trois cents
personnes parmi les plus riches de la planète ont un revenu qui
équivaut à celui de deux ou trois milliards de pauvres. Qu'une
inégalité permette à ces pauvres de vivre un peu mieux qu'ils ne le
feraient si la richesse était un peu moins mal répartie n'est pas très
vraisemblable.
Globalement, les inégalités se sont creusées entre les pays et
au sein de la plupart d'entre eux. Ainsi, dans les pays opulents
d'Europe occidentale, le nombre de pauvres n'a cessé d'augmenter
depuis vingt ans. Toutefois, ces inégalités et ces pauvretés excessives
deviennent inacceptables et dangereuses, car elles constituent le
terreau sur lequel se recrutent les terroristes qui menacent toutes les
démocraties du monde. Manifestement, les réseaux terroristes tirent
leur origine de la désespérance et des souffrances de la pauvreté que
vivent certains peuples souvent dans l'indifférence totale de la
communauté internationale. Les attentats du 11 Septembre sont
intervenus dans une conjoncture de profonde détérioration des
rapports Nord-Sud: dégradation des termes de l'échange,
approfondissement des déficits, massification de la pauvreté,
endettement qui hypothèque le financement du développement,
baisse de la croissance. Dans les diverses négociations internationales
à Seattle (OMC), à KYOTO sur le réchauffement de la terre négocié
par 160 nations, à Gènes (G8) et à Durban (ONU) dernièrement sur
l'esclavage, les pays du Sud ont fait beaucoup de concessions mais
n'ont presque rien obtenu en retour. Ces éléments entretiennent des
sentiments d'exclusion, de frustrations, de désespoir, tout cela sur
fond de pauvreté ambiante.:15
P.ENGELHARD: L'Afrique mirOir du monde? Plaidoyer pour une
nouvel' économie. Arléa, Paris, 1998, p.222
:14 J. Rawls : La théorie de la justice sociale
:15 Moustapha KASSÉ : Récession mondiale et terrorisme, Journal lnfo? du 2
fév.2002
;1:1
67
Section 2: L'Afrique paria de la mondialisation. Entre
pauvreté, précarité et exclusion, elle n'a pas encore de place
dans le 21 ème siècle36 •
La participation de l'Afrique à l'économie mondiale a
fortement diminué au cours des cinq dernières décennies aussi bien
du point de vue de son PIB, de ses exportations que des IDE reçus.
Selon l'OCDE, la part de l'Afrique dans le PIB mondial mesurée en
parité de pouvoir d'achat entre 1950-2000 a baissé d'un tiers alors
que sa part dans les exportations a été divisée par 3. Il en va de même
pour les investissements directs étrangers, comme cela a été établi
plus haut.
D'un autre côté, l'économie mondiale a une assez faible
incidence sur la croissance des économies africaines. Cela s'explique
d'abord par la base de son système productif composée
essentiellement de produits primaires et ensuite par son insertion
faible dans des réseaux diversifiés de commercialisation
On peut donc dire que les paramètres posés par la
mondialisation ignorent l'Afrique. Les investissements croisés, les
échanges internationaux sur la base de la croissance de la production
mondiale, la globalisation financière aussi bien que les réseaux
transnationaux et les firmes globales ne s'intéressent pas au
continent. À ces facteurs s'ajoutent d'autres qui sont endogènes et
contribuent à la marginalisation de l'Afrique. Au titre de ces facteurs
on peut citer:
J
• l'absence d'infrastructures adéquates de communication;
• l'étroitesse des marchés;
• les incertitudes et risques nés des conflits;
• la mauvaise qualité des administrations publiques.
Les Programmes d'Ajustement Structurel ont tenté
d'introduire des réformes qui avaient pour objectif l'assainissement
des économies en vue de la restauration de leur compétitivité
extérieure par la réduction des déficits budgétaires, une pression sur
les salaires, la suppression des subventions, la privatisation et le
dégraissage de la fonction publique. Une fois assainies, les économies
devraient amorcer une croissance durable tirée par les IDE et les
exportations. En définitive, on s'aperçoit qu'en fait l'assainissement
ne finit jamais, les IDE se font attendre, la croissance n'est pas
durable et la pauvreté est encore loin d'être éradiquée. Cela a
nécessité l'élaboration par la Communauté internationale « des
Banque Mondiale: L'Afrique peut-elle revendiquer sa place dans le
siècle?
1(,
68
21 ème
Objectifs du Millénaire pour le Développement, un pacte entre les
pays pour vaincre la pauvreté »:17
Il Pauvreté de masse aggravée par la défaillance des
systèmes traditionnels et modernes de protection sociale.
Le Continent africain est la région du monde la plus pauvre, sa
production moyenne par habitant à la fin des années 90 est inférieure
à ce qu'elle était en 1960, sa part dans le commerce mondial a reculé.
Au niveau social, la situation est simplement catastrophique avec 250
millions de personnes qui n'ont pas accès aux services de santé, 140
millions d'analphabètes et 2 millions d'enfants qui meurent chaque
année avant leur premier anniversaire.
Le bilan de 10 années de recherche et de lutte contre la
pauvreté est fortement contrasté. Les actions de lutte contre la misère
et la famine ont donné quelques résultats positifs indéniables avec
l'augmentation de la production alimentaire du système périphérique
et le recul de la faim. Toutefois, depuis les années 70, le nombre de
pauvres augmente au même rythme que la population
(KANKWENDA, 1999) sans que l'on soit en mesure de répondre aux
questions fondamentales à savoir: i) Comment mesurer la pauvreté?
ii) Quels sont les groupes les plus vulnérables? iii) Quelles sont les
conditions de vie des pauvres et des très pauvres? iv) Quelle politique
efficace faut-il mettre en œuvre?
À l'analyse tous les pays africains sont handicapés par une
crise sociale d'une très grande ampleur qui se manifeste dans
l'accroissement du couple pauvreté et chômage. Cela entraîne une
forte dégradation des conditions de vie: pénurie et insécurité
alimentaires, diverses épidémies, non-accès aux services de base. Ce
processus de paupérisation de masse s'accompagne paradoxalement
d'un affaiblissement des formes modernes comme traditionnelles de
protection sociale.
Le Continent africain administrait la force d'une indiscutable
« solidarité », découlant principalement d'un ensemble d'obligations
et de droits complexes destinés à préserver la cohésion du groupe et à
réduire l'incertitude économique. La logique du « don et du contredon », sans doute latente dans ce tissu d'obligations réciproques, avait
fini par instaurer un contrat-social implicite qui est en train de se
déliter dangereusement. Dès lors, la protection sociale cesse de
s'appuyer sur les réseaux de la famille élargie qui n'est plus en mesure
de répondre aux sollicitations de ses membres les plus faibles et les
plus démunis dans un contexte de crise économique. Au niveau des
structures formelles, les choses ne vont pas mieux, suite à la crise
37
PNUD : RMDH
2003 :
Les üMD
69
profonde du système public de sécurité sociale, symbole de « l'Étatprovidence ». Il accuse une triple crise:
• une crise d'efficacité: effets pervers de prélèvements
excessifs;
• une crise de légitimité: côté recettes: une redistribution à
rebours; côté dépenses: la solidarité déviée avec des
difficultés d'évaluation:
• et une crise d'adaptation.
Pris en tenaille entre l'accroissement soutenu des dépenses et
le tarissement des sources de financement, suite à l'assainissement
économique et financier, le fonctionnement du système de
redistribution et de protection sociale est de plus en plus bloqué. La
crise économique et financière va finir par liquider tous les filets de
protection et de redistribution. La conséquence est alors l'instauration
de la pauvreté, de la précarité et de l'exclusion. Les analyses sur la
pauvreté sont marquées par trois visions qui peuvent coexister ou
alterner dans un même pays: une vision technocratique, une vision
fondée sur l'assistance et une vision caritative.
La vision technocratique est celle des organisations
internationales. Elle est selon Bruno LAUTIER « exprimée sur le
mode de la pathologie ct emploie souvent un langage mi-médical, miguerrier: la pauvreté est une maladie à éradiquer et pour cela il faut
mettre en place des stratégies pour les pauvres». Il s'agit d'une
maladie du corps social et en conséquence, le réalisme imposant dc
limiter ses ambitions, il faut scinder la pauvreté en deux ou trois, pour
éliminer « une pauvreté absolue » qu'il est nécessaire de supprimer
en premier. Il est donc normal que cette vision mette l'accent sur les
éléments de quantification en vue de déterminer la proportion de
pauvreté absolue qu'une société peut supporter sans risque de faire
im ploser son ordrc social.
Cette vison implicite n'est pas appuyée par une bonne
connaissance des mécanismes et des facteurs de la pauvreté: les
causes macroéconomiques et structurelles (économie mondiale,
politiques internes introduites par les PAS, l'endettement) et les
causes sociales (double explosion démographique et urbaine,
exclusion économique et sociale, absence de protection socialc et
rupture des solidarités traditionnelles). Pour en sortir, il est
recommandé aux pays africains de poursuivre et d'approfondir
l'ajustement structurel qui est seul à même de relancer la croissance
économique pour éradiquer la pauvreté. Ce schéma appuyé par les IFI
postule que la croissance doit être tirée par les exportations. Ce
principe appliqué à l'Afrique a quelque chose de surréaliste avec les
exportations africaines qui ont régressé de 14%.
70
Figure
2 :
Population vivant avec moins de deux dollars
LA. PAU"VRETE
P = p u l " l I t - i o l n V"i'V~nt. a ..... e c r"1l"l<:JoL .... s
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L:I
11/ Étranglement et hypothèque du développement par
l'endettement.
À la fin de l'année 2000, les allègements promis s'élevaient à
34 milliards de dollars, ce qui ne représente que 1,6% de la dette
totale du tiers monde, et 15% de la dette des pays pauvres très
endettés (PPTE}IH. On est très loin des pourcentages annoncés
régulièrement à grand renfort médiatique. À cela s'ajoute le fait que
les quelques allègements fort partiels qui sont décidés sont étalés sur
plusieurs dizaines d'années et liés à certaines conditionnalitfs
politiques et économiques difficilement accessibles.
38 Moustapha KASSÉ: L'endettement de l'Afrique: quelles voies de sortie
après PPTE, Marchés Tropicaux n03000, C) mai 2003
71
Si la Banque Mondiale et le FMI ont lancé cette initiative, c'est
parce que la situation devenait trop" dramatique et était intenable. Il
fallait rendre la dette soutenable pour garantir la poursuite des
remboursements. D'ailleurs, le Rapport Statistique de la dette
extérieure de l'OCDE, paru en 2001, note que « la mise en œuvre
intégrale de l'Initiative ne se traduira pas par une diminution de la
valeur c...) de la dette, car les allègements prendront pour l'essentiel la
forme de remises d'intérêts et de dons destinés à financier le service
de la dette, et non de réductions directes de l'encours de cette dette ».
Le problème demeure donc entier. L'initiative PPTE, c'est un
coup de canif dans un baobab. Plus généralement, en 1980, le stock
de la dette des Pays En Développement (PED) s'élevait à 586
milliards de dollars; en 2000, il est passé à 2527 milliards de dollars,
il a donc été multiplié par plus de quatre. Dans le même temps, les
PED ont remboursé 4 096 milliards de dollars, soit sept fois leur dette
de 1980.
Figure 3 : La dette extérieure africaine de
millions de dollars
1982
à
2003
en
Montant de la dette
35000
30000
25000""..u·.....
20000
15000
5000
Selon le rapport Global Développement Finance 2001 de la
Banque Mondiale, les pays du Sud ont remboursé au Nord, en 1999;
137 milliards de dollars de plus que ce qu'ils ont reçu sous forme de
nouveaux prêts. En 2000, c'est 101 milliards de dollars! Le
mécanisme de la dette représente un transfert de richesses des
peuples du Sud aux détenteurs de capitaux du Nord. Alors que
demander de plus? Au Comité pour l'annulation de la dette du TiersMonde (CADTM), ainsi qu'à ATTAC, il faut dire que l'annulation
72
totale de la dette extérieure publique du Tiers-monde est, sans
conteste, le premier pas indispensable vers la construction d'un
monde où le but n'est pas le remboursement de la dette, mais la
satisfaction des besoins humains fondamentaux. La dette écrasante et
la trop grande pauvreté rendent impossible le financement des
investissements collectifs sans lesquels le développement ne peut
commencer.
Figure 4 : AJlégement de la dette
_~e. ge:I:n.eu.t" de
la
o:lert"e
o:le":I.x
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)0010:1"", o:le·u.x 1Yl.e s-.c~-e s
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o
o
111/ Synoptique des défaillances et des risques de l'Mrique
dans la mondialisation
En résumé, les risques probables de la mondialisation et de la
libéralisation sont à la fois économiques, politiques et sociales et se
présentent comme suit:
Au niveau économique
• faible capacité d'offre,
• insécurité alimentaire grandissante avec les deux boulets que
sont l'expansion démographique et l'urbanisation accélérée et
chaotique,
• secteur privé pas suffisamment développé avec de faibles
possibilités financières,
• techniques de production rudimentaires avec comme issue
fatale la faible productivité qui va plomber la compétitivité des
économies évoluant dans le contexte mondial de haute
concurrence et de compétitivité,
73
•
•
•
concurrence dans les débouchés extérieurs et sur le marché
domestique avec des conséquences dommageables aux
entreprises nationales,
suppression des préférences tarifaires et commerciales,
orientations défavorables des IDE qui ne trouvent pas encore
un environnement des affaires propice et sécurisé.
Au niveau technologique
•
•
•
•
faible capacité technique et technologique et tendance au
creusement de la fracture technologique et numérique. Mise à
l'écart de la société du savoir et de~ innovations;
insuffisance quantitative et qualitative du capital humain et
des institutions de recherche-développement;
déficience des systèmes de formation et de renforcement des
capacités du capital humain: éducation et santé;
transferts technologiques et innovations financièrement et
culturellement coûteux.
Au niveau social
•
•
•
processus contradictoire d'appauvrissement et d'affaiblissement
des formes modernes comme traditionnelles de protection
sociale;
l'offre de biens et services est calquée sur celle de l'Europe,
dont le revenu par tête est quarante fois plus élevé (18000
dollars contre 450) ;
absence de filet de protection pour atténuer la sévérité des
conséquences sociales des premières générations de PAS.
Au niveau politique
•
•
•
74
échec des modèles démocratiques et de gouvernance
mimétiques et imposés. La démocratie n'assure pas la
circulation des élites et la bonne gouvernance n'assure pas la
participation des peuples à la gestion des pouvoirs;
incapacité de l'État bienveillant de régulation des appareils
économiques, politiques et sociaux et de contribuer à
l'insertion des acteurs dans la mondialisation. Forte
imbrication de certains intérêts et développement de la
corruption qui gangrènent le fonctionnement de l'État;
confiance au marché comme régulateur de la vie économique
alors qu'il est traversé par de multiples distorsions qui le
rendent aveugle aux conditions des pauvres et des inorganisés.
IV/ Face au déclin de l'Aide Publique au Développement
(APD) à la fois insuffisante et mal orientée, la recherche de
systèmes et de politiques monétaires flexibles.
Plusieurs études réalisées sur le Système Monétaire
International (SMI) et le Système Monétaire Européen (SME)
montrent que l'une des tendances marquantes au sein de l'économie
mondiale, depuis 1945, consiste en un mouvement d'intégration
croissante entre les différentes économies nationales. Pour les pays
africains, cette solution bien que peu retenue ne sera certainement
pas évitable dans l'avenir.
À long terme, la stabilité de la monnaie d'un pays dépend de la
convergence de son économie et de la coordination de sa politique
avec celles de ses partenaires. De ce point de vue, le Zone Franc
comme accord de change peut découler de l'intégration croissante des
marchés financiers dans le cadre de la mondialisation de l'économie
avec la règle des 3 D (désintermédiation, déréglementation,
décloisonnement).
Aujourd'hui, les enjeux de la globalisation financière posent la
question du gouvernement du monde par les marchés financiers.
Ainsi, les citoyens de la planète ont commencé à suivre, en temps réel,
la fiche de santé de l'économie mondiale au travers des indices
financiers des grandes bourses (CAC 40, Indice Nikkei, Dow
Jones, ...). Dans ce contexte, les mécanismes de transmission de la
politique monétaire confèrent un rôle plus accru à la politique de
chan~e et, l'absence de celle-ci sera un sérieux handicap pour tout
pays ou groupe de pays.
L'ouverture internationale d'un pays est pertinente lorsque ses
produits sont compétitifs. Pour mesurer la compétitivité d'un pays et
ses variations, on utilise généralement le Taux de Change Effectif Réel
(TCER), qui apprécie la variation du taux de change effectif nominal
par rapport au taux d'équilibre (PPA). Le TCER donne une bonne
estimation des conséquences sur la balance extérieure des variations
du TCEN, liée aux modifications de prix résultant des changements
d'efficacité du système productif. Il procure une bonne appréciation
de l'évaluation des coûts de production domestique des biens
internationaux, ceux qui font l'objet d'une demande mondiale et qui
doivent guider la spécialisation. Pour que l'indice de compétitivité
reste stable, il faudrait que les coûts nationaux de production des
biens échangeables restent proches de ceux des autres pays
concurrents, et donc que l'inflation interne reste voisine de celle des
pays partenaires. Ce qui signifie, faut-il le rappeler sous une forme,
que toute hausse des prix internes qui serait supérieure à la hausse
des prix internationaux, pondérés par le taux nominal, entraînera une
baisse du TCER, c'est-à-dire une surévaluation du taux réel, et donc
75
une perte de compétitivité. Au contraire, pour améliorer la
compétitivité nationale, il convient de :
• Diminuer le taux nominal, c'est-à-dire dévaluer la monnaie
nationale ou
• diminuer le prix domestiques
• ou encore, augmenter les prix internationaux, par exemple
grâce à la production aux frontières.
On remarque que l'analyse ne conduit pas aux mêmes
décisions de politique économique selon que le pays se trouve en
régime de changes fixes ou variables.
La stabilité d'une monnaie peut être défendue par sa Banque
Centrale, mais pas indéfiniment. À long terme, la stabilité de la
monnaie d'un pays dépend de la convergence de son économie et de la
coordination de sa politique avec celles de ses partenaires. Dans les
pays en voie de développement, la difficulté s'accroît avec la nécessité
de donner à cette politique des objectifs à plus long terme. Il ne s'agit
plus seulement de rétablir l'équilibre extérieur par la politique
macroéconomique traditionnelle, mais d'assurer une croissance
durable de l'économie et d'initier une véritable politique de
développement.
Sous ce rapport, l'intégration régionale devrait être favorisée
par la mise en place d'un Système monétaire et de crédit en vue de
faciliter les échanges entre pays de la Zone. Ceci exigerait la création
d'une sorte de division régionale du travail (DRT) accompagnée de la
création d'un Système Monétaire Régional (SMR) établissant
• des règles de parité,
• des règles de stabilité,
• des règles de gestion monétaire. 39
Les soubresauts monétaires sont accompagnés par une baisse
importante de l'Aide Publique au Développement qui subit une
réduction depuis 1995, aussi bien en valeur absolue qu'en valeur
relative. La désaffection relative de l'Afrique profitait essentiellement
aux pays de l'Est européen. Dans les années 80, les pays donateurs
s'étaient fixés un objectif: porter le montant de l'APD à 0,7% du PNB,
le double des montants alloués à l'époque. Dans les faits, les budgets
de l'APD ont plutôt diminué presque de moitié. Globalement, ils sont
passés de 0,43% du PNB, en 1988, à 0,29%, en 2001. Parallèlement à
cette diminution, l'APD a évolué comme instrument de mise en œuvre
des Programmes d'Ajustements Structurels (PAS).« Les pays
donateurs sont devenus des inconditionnels de la conditionnalité ».
Moustapha KASSÉ : Le développement par l'intégration, chapitre4
intitulé: La création d'un ordre monétaire régional en Afrique de l'Ouest, .
NEAS, 1992
:19
76
Les multiples défis que l'Afrique doit relever dans le cadre d'un
développement durable qui réduise la pauvreté de masse, ne peuvent
être levés par le simple recours aux marchés financiers. Les récentes
crises financières de la mondialisation ont largement montré que les
IDE ne peuvent être un substitut à l'Aide Publique au Développement
qui doit en être le complément indispensable. Il faut alors améliorer
quantitativement et qualitativement l'APD. Il Ya alors un triple défi à
relever
• augmenter substantiellement les budgets de coopération
internationale en remettant concrètement à l'ordre du jour
l'objectif de 0,796 du PNB;
• réorienter ces budgets vers les objectifs de lutte contre la
pauvreté, de justice sociale et de développement humain.
Rappel: 7096 des 4, 5 milliards de personnes qui vivent avec
moins de 2$ US par jour sont des femmes et des enfants;
• réserver des montants suffisants pour les initiatives non
gouvernementales, en particulier pour les programmes de
sensibilisation et d'éducation du public et pour la concertation
organisée des organismes de coopération et de solidarité
internationale.
En définitive, cette analyse de la mondialisation montre que
notre époque est celle des «démocraties concurrentielles» c'est-àdire des démocraties qui promeuvent l'interaction permanente de la
politique et de l'économie, la prééminence du marché mondial et
l'obéissance des économies nationales.
Dans ce nouveau contexte, la politique économique sera une
politique internationale tournée vers le marché, où les méthodes
d'intervention n'auront plus rien à voir avec les politiques nationales
traditionnelles. Dès lors, une fois comprise et considérée comme une
nouvelle configuration de l'économie mondiale, la mondialisation
implique la question de l'insertion positive de l'économie sénégalaise
à sa logique.
À première vue, toutes les interdépendances analysées
révèlent à la fois les potentialités mais aussi les risques de la
globalisation pour l'Afrique. D'abord tous les paramètres qu'elle pose
ignorent pour une bonne part le continent. Et lorsqu'elle les intègre,
c'est pour l'introduire comme un support aux multinationales
(européennes, américaines, asiatiques) en termes d'approvisionnement régulier et stable en matières premières et de débouchés
solvables (ou solvabilisables). Autrement dit, ni les investissements
croisés, ni les échanges internationaux sur la base de la croissance de
la production mondiale, ni la globalisation financière, ni les réseaux
transnationaux, ni les firmes globales, nulle part dans. ce jargon de
grands et de riches, on trouvera une place de premier plan pour
l'Afrique.
77
Les théories et les pratiques de la mondialisation ont une
faible perception de l'État surtout, africain. Elle le confine au simple
rôle de gestionnaire des collectivités sous l'œil vigilant de multiples
observatoires que sont les institutions de gouvernance de l'économie
mondiale dont l'efficacité est fortement contestée. Ces observations
n'entament en rien le caractère inéluctable de la mondialisation.
Section 3: Les perspectives africaines d'insertion dans la
mondialisation.
Dans son rapport de 1996, le FMI montre qu'il serait illusoire
de rejeter la mondialisation car elle doit permettre aux pays, quel que
soit leur niveau. de développement, de saisir des opportunités. Dans
son sillage, certains économistes considèrent que la globalisation n'est
pas un jeu à somme nulle et que les pays en développement et les pays
industrialisés en tirent des effets d'entraînement réciproques,
conformément aux théories de l'échan~e international (RICARDO et
H;O.S.). Celles-ci soulignent par ailleurs que le commerce sans
entrave est favorable à tous les partenaires quelle que soit leur taille,
pourvu simplement qu'ils se spécialisent dans les productions où ils
ont les meilleures dotations factorielles naturelles. Il n'existe dès lors
aucun obstacle insurmontable...: si ce n'est l'État - au développement
des échanges. C'est cette logique qui préside à la création de l'OMC. À
l'appui, l'OMC montre que la valeur du commerce mondial de
marchandises s'est accrue en 1995 de 19%. Ainsi la valeur des
exportations mondiales passe de 164 milliards de dollars en 1960 à
4900 milliards en 1990. Le commerce mondial a été multiplié par 39.
Il n'en va pas de même pour l'Afrique dont la progression est
inférieure à la moyenne mondiale (5,4%).
Il Exigence de construction d'économies compétitives.
Quel que soit l'indicateur considéré, on s'aperçoit que l'Afrique
est marginalisée tout aussi bien dans le processus de production,
d'échanges que dans la distribution des investissements directs
étrangers. À cela viennent s'ajouter des termes de l'échange
complètement défavorables contribuant à la détérioration du pouvoir
d'achat des africains.
C'est dans ce contexte qu'il est demandé aux pays africains de
redresser leurs économies (ajustement structurel) et de les oU\Tir
sans entrave uvec la levée de toutes les restrictions tarifaires et non
tarifaires, l'annulation de toutes les subventions et l'instauration de
libres marchés.
Beaucoup de chercheurs récusent cette vision idéologique qui
finit par placer l'Afrique parmi les grands bénéficiaires de la
78
globalisation. L'argumentaire s'appuie sur deux éléments: l'un
théorique, fondé sur la compréhension de la théorie des avantages
comparatifs et l'autre plus pratique portant sur les subventions
agricoles. Prenons cette dernière question. Les politiques agricoles
restées jusqu'en 1986 à l'écart des négociations menées dans le cadre
du GATT sont depuis l'objet d'une âpre bataille entre les deux
puissances agricoles mondiales: les États-Unis et l'Europe de la PAC.
Or les deux puissances n'ont en rien respecté l'accord de
MARRAKECH qui postulait entre autres d'une part de faciliter les
importations de produits agricoles en abaissant les droits de douane,
et d'autre part d'améliorer les conditions de la concurrence entre pays
exportateurs en réduisant les subventions et les aides publiques aux
producteurs. Bien que la forme soit différente, l'agriculture
américaine reçoit désormais une aide supérieure à son collègue
européen. Ces subventions sont impérativement interdites aux
africains.
Figure 5: L'Afrique se marginalise dans le commerce
mondial.
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79
11/ Exigence d'une régionalisation de gré ou de force.
Quel que soit l'angle d'analyse, les mutations introduites par la
mondialisation ne se présentent pas comme un mauvais moment à
passer à tel enseigne que, telle roseau de la fable, il faille plier l'échine
et attendre que le beau temps revienne. Le monde est dans un
nouveau système d'économie sociale de marché, de compétition
économique et de démocratie concurrentielle dans lequel pour
survivre, il faut avoir des stratégies clairvoyantes, pertinentes et
complètes, une bonne maîtrise des savoirs et un très grand
professionnalisme4o •
Les analyses réalisées montrent que l'Afrique est à la
périphérie du système mondial, handicapée par d'innombrables
difficultés économiques et sociales. Celles-ci sont subséquentes d'une
part à la chute brutale des cours des matières premières provoquée
par la crise financière et économique mondiale, et d'autre part par les
conditions climatiques défavorables à l'agriculture et les problèmes
engendrés par J'instabilité et les conflits qui ont affecté une bonne
partie du continent. Malgré quelques embellies dans des pays limités
.(Tunisie, Maurice, Botswana, Burkina Faso, Ouganda, Afrique du
Sud) et dans certains secteurs, le bilan du développement se lit en
termes de contre-performances qui ont conduit progressivement le
continent à la marge des affaires du monde.
Cette situation se manifeste par la détérioration généralisée
des fondamentaux des économies nationales: faible taux de
croissance économique, inflation souvent galopante, endettement
massif, stagnation des économies, approfondissement du double
déficit chronique de la balance des paiements et des ·finances
publiques. Les économies africaines ont assez mal réagi aux chocs
externes comme la morosité de l'économie mondiale, la baisse des
cours des matières premières dont le pétrole, et la crise asiatique. Ces
chocs externes ont entraîné des effets désastreux sur le déficit
budgétaire, le taux d'inflation, la croissance du PIE, l'endettement et
le taux de change. À la fin des années 90, l'Afrique représente 12% de
la population mondiale mais fournit moins de 1% du PIE mondial. Les
résultats du développement industriel et agricole sont aussi modestes.
Il avait été mis en place une stratégie d'industrialisation par
substitution aux importations qui avait de faibles relations en aval
comme en amont avec le secteur agricole: les performances se sont
révélées décevantes. Au niveau des relations avec l'extérieur, la part
de l'Afrique dans les exportations est modeste. L'Afrique est complètement absente du commerce mondial dans les branches les plus
dynamiques des produits manufacturés et des services. Au plan social,
Moustapha KASSÉ: Partenariat et nouveau régionalisme en Afrique,
NouvellE:s Du Sud, 2~03
4U
80
la dégradation du bien-être s'élargit avec la montée de la pauvreté
dont le rythme de croissance est plus rapide que celui des revenus.
Ainsi, la dimension d'un vaste marché regroupant un
maximum d'entités économiques n'est-elle pas moins importante que
les conditions stables appropriées permettant aux forces de ce marché
de jouer pleinement dans le sens d'une relance des activités
économiques et du développement? Cette question est d'aut,!nt plus
fondée qu'aujourd'hui, nul ne doute que tout processus d'unification
économique et monétaire nécessite un certain nombre d'étapes successives qu'il serait dangereux d'inverser, au risque de conduire
l'intégration à l'inefficience ou à l'échec. Et cela, que l'on passe par des
intégrations sous-régionales (Afrique de l'Ouest, Afrique de l'Est,
Afrique centrale, Afrique du Nord et Afrique Australe, par exemple)
ou régionales.
L'espace économique du continent est subdivisé en cinq
régions qui développent chacune en son sein une ou plusieurs
initiatives d'intégration:
• en Afrique Centrale avec la Communauté Économique et
Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC), la Communauté
Économique des États de l'Afrique Centrale (CEEAC), la
Communauté Économique des Pays des Grands Lacs
(CEPGL),
• en Afrique de l'Est avec la Communauté Économique de
l'Afrique de l'Est (CEA),
• en Afrique du Nord avec l'Union du Maghreb Arabe (UMA),
• en Afrique Australe avec l'Union Douanière de l'Afrique
Australe (UDAA), la Communauté pour le Développement de
l'Afrique Australe (SADC), la Zone d'Échanges Préférentiels
(ZEP), le Marché Commun des États de l'Afrique de l'Est et de
l'Afrique Australe (COMESA)
• et en Afrique de l'Ouest avec la Communauté Économique des
États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'Union Économique
et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), l'Union du Fleuve
Mano (UFM).
Ces blocs fonctionnent de façon assez inégale et réalisent, par
moments, des résultats appréciables dans les domaines respectifs du
commerce intra régional, de la coordination des politiques
économiques et monétaires, de la mobilité des facteurs comme la
main d'œuvre et les capitaux. En définitive, il est attendu de tous ces
schémas d'intégration qu'ils contribuent non seulement au
développement de la taille des marchés, à la réduction des coûts de
transaction mais aussi à l'amélioration de la concurrence entre
producteurs.
81
Chapitre 3
Maîtrise du pétrole et de l'énergie dans la
géostratégie de régulation de la mondialisation
La situation énergétique mondiale est devenue une grande
préoccupation à la fois des décideurs politiques, de tous les acteurs de
la vie économique, de l'Agence Intern,\tionale de l'Énergie et des
scientifiques. Aujourd'hui, les systèmes productifs, les activités
industrielles et humaines reposent sur un modèle énergétique à base
de ressources non renouvelables, qu'elles soient fossiles (pétrole,
charbon et gaz) ou minérales (uranium). Plus précisément, le pétrole
s'est imposé comme principale source énergétique, et ses sousproduits sont déterminants pour les économies modernes, ce qui
entraîne une hausse constante de la demande mondiale alors même
que l'offre semble avoir du mal à suivre cette demande.
Section 1 : Le pétrole, une variable clé dans la géostratégie
et la compétitivité de l'économie mondiale avec des
accroissements des prix sans fin.
Dans ces conditions la flambée des prix du pétrole qui ont
franchi la barre fatidique des 100 dollars a suscité de vives
inquiétudes et des débats passionnés sur les véritables enjeux
géostratégiques planétaires du pétrole. Au début des années 70, le
prix du baril était de 2 doilars pour évoluer par la suite à 35 dollars en .
1980,80 en 2000 et maintenant 100 dollars et plus.
Figure 5 : Fluctuation des prix du pétrole
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83
La configuration de la planète en fonction des dotations
pétrolières laisse apparaître 4 groupes qui ont des perceptions
différentes de l'enjeu du pétrole dans les relations internationales:
• les pays riches, riches en pétrole comme les États-Unis et la
Russie.
• les pays riches et pauvres en pétrole comme l'Europe et le
Japon.
• les pays riches en pétrole et non encore industrialisés comme
les pays du Moyen-Orient et du Golfe, et de quelques
producteurs africains.
• les pays pauvres et pauvres en pétrole comme la plupart des
pays africains.
Cette configuration établit que le pétrole est une variable
stratégique en tant qu'instrument d'allocation des ressources
financières à l'échelle mondiale (superprofits des majors du pétrole
par exemple pour Exxon/Mobil490 milliards de francs, BP/Amoco!
Arco plus de 167 milliards de francs), Total/Petrofina/Elf 80 milliards
de francs et accroissement des réserves des pays producteurs comme
l'indique le tableau qui suit et comme facteur de régulation de la
compétition mondiale (par le biais des surcharges des coûts de
production) dans les échanges internationaux. Pour les pays pauvres,
le pétrole est l'un des facteurs des déséquilibres macroéconomiques
graves qui ont conduit à l'endettement massif. Toutes ces raisons
expliquent que cette matière première extrêmement sensible n'a
jamais été laissée uniquement aux forces du marché. Au contraire, les
États interviennent directement ou indirectement pour exiger ou
imposer une gestion concertée des stocks restants. Voilà pourquoi
beaucoup d'auteurs le considèrent comme un bien public
international.
En définitive le pétrole est à l'origine des trois crises qui
secouent actuellement le système mondialisé: la première crise est le
réchauffement climatique qui est à la base des perturbations comme
la sécheresse, les inondations et d'autres catastrophes naturelles dues
aux émissions des gaz à effet de serre, la deuxième crise est celle liée à
la recomposition de l'espace du Moyen-Orient, source principale
d'approvisionnement pétrolier des pays industrialisés et la troisième
crise est celle de la dette des pays en développement victimes de
l'augmentation des prix du pétrole. Ces pays sont condamnés à
continuer d'emprunter au Fonds Monétaire International (FMI) et à
la Banque Mondiale pour faire face à leurs déséquilibres externes.
À cela s'ajoute les fortes inégalités dans l'accès aux ressources
pétrolières qui se traduisent dans le fait que les 3/4 de la production
mondiale sont con.::ommés par les 1f4 de la population, soit 0,8 Tonne
Équivalent Pétrole par Habitant pour les PVD et 4,7 TEP pour les
pays industrialisés. Malgré ces faiblesses relatives des consommations
84
énergétiques, les factures pétrolières deviennent insoutenables pour
les PVD particulièrement les non producteurs.
La situation énergétique mondiale est aujourd'hui préoccupante.
La question se pose de savoir comment satisfaire des besoins
fortement croissants sous la contrainte de ressources limitées et la
nécessité du respect de l'environnement? Pour y répondre, il importe
d'opérer une analyse exacte de la carte de consommation mais aussi
de la production. C'est dire qu'il faut dépasser les explications
simplistes tendant à justifier les difficultés du jeu pétrolier mondial
par les pays producteurs qui agiraient indûment sur l'offre pour
accroître leur rente de situation ou par l'apparition de nouveaux
demandeurs comme la Chine qui consommerait trop.
Sans nul doute, la demande en pétrole a fortement augmenté
sous l'effet conjugué de plusieurs facteurs comme l'accélération de la
consommation aux États-Unis, en Europe et dans la plupart des pays
d'Asie provenant du retour de la croissance dans les principaux pays
industrialisés, du regain d'activité dans certains secteurs comme le
bâtiment, les travaux publics et surtout les transports. Mais elle
s'explique aussi par des calculs géostratégiques plus complexes liés
notamment à la gestion des risques par la recherche d'un
approvisionnement stable et sécurisé, à la recherche d'économie de
rente qui apparaît de plus en plus dans l'idée d'un réajustement
équilibré pour garantir les transferts intergénérationnels, à la volonté
de puissance et de domination. Au demeurant, pour rattraper leur
retard d'industrialisation, les pays émergents d'Asie pèsent de plus en
plus dans la consommation mondiale et continueront à exercer une
forte pression sur la demande dans les années à venir.
Figure 5: Réserves d'énergie par zone géographique
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85
Dans quel sens ces facteurs vont-ils évoluer? Le dilemme estil d'accroître l'offre ou de modifier le modèle de consommation
énergétique? Quels sont les choix énergétiques à moyen et long
terme? De quelles marges peuvent disposer les pays non
producteurs particulièrement les plus pauvres d'entre eux?
Section 2: Les choix énergétiques à moyen et long terme.
L'énergie consommée dans le monde provient, pour environ
des ressources en hydrocarbures qui sont par nature non
renouvelables. Tous les Instituts de recherches 'dans le domaine
établissent que le pétrole qui sort des puits mondiaux passera dans les
prochaines années par un «pic» qui empêchera l'offre des pays
producteurs de suivre la demande mondiale. En d'autres termes, les
capacités mondiales de production vont atteindre leur maximum
avant de décroître inéluctablement. Dans cette optique, l'AIE a
construit un scénario de «référence» qui montre que le stock
exploitable d'hydrocarbure liquide est de 45 ans, celui du gaz naturel
de 60 et celui du charbon de 250 ans, et qui en même temps évalue le
« pic» : si les tendances actuelles se maintiennent, la consommation
actuelle de 9 milliards de TPE devrait doubler aux environs de 2050 ;
le «pic» interviendrait à l'horizon de 2030 et les prix du pétrole
seront forcément liés à la proximité du pic de production. Le tableau
qui suit synthétise parfaitement les consommations des différentes
sources d'énergie, leurs réserves, leurs conséquences sur le climat et
les tendances actuelles relatives à l'évolution des prix.
60%,
Tableau 3= Évolution des énergies dans le monde
-
Importance el évolution prospective des énergies dans le monde
-.na
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ConoommBtiona
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ultimes: 1)5
ultimes;
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uttimes : 1400
ultimes :
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surgénénlteurs)
Prix
tendance forte
tendotnc.e forte
à la hausse
â la hausse
avec
l'épuisement
avec
l'épuisement
Source: Économie et Politique 620-621 Mars Avril 2000
86
T~ndance â
la
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pr'OQ<"eS
Tout le défi énergétique du 21 ème siècle se situe à ce niveau. En
effet, le scénario de l'AIE indique clairement que les mécanismes de
marché (tels qu'ils ont été modélisés par cette institution peu suspecte
de défiance à leur égard) ne fourniront pas d'incitations suffisamment
fortes pour éviter l'impasse énergétique planétaire. En effet, dans ce
cas de figure, les prix pourraient atteindre, selon les prévisions, les
300 $ le baril. Manifestement, il faut définir des choix de politique
énergétique, au plus vite, car 2030 est déjà là. Cette question
interpelle les décideurs politiques malgré leur vision bornée par leur
renouvellement à court terme, les scientifiques et les chercheurs de
toutes les disciplines qui ensemble devront repenser l'intégralité du
modèle énergétique depuis la production, la conversion et l'utilisation
de l'énergie dans les modes de vie.
Les réflexions en cours menées par les Instituts de Recherche
et divers scientifiques gravitent autour de trois axes fondamentaux à
partir desquels, il est souhaité que les pouvoirs publics élaborent des
politiques volontaristes. Il s'agit:
• du retour de la filière nucléaire comme axe central des
politiques énergétiques avec la fabrication de nouvelles
générations de réacteurs à haut rendement mais suffisamment
sûres pour être à l'abri du risque d'accidents grave, de type
Tchernobyl. En effet, l'énergie nucléaire semble être la
solution la plus robuste pour fournir de l'électricité aux
populations urbaines, sans accroître les désordres climatiques.
Il demeure que le développement du nucléaire relève
davantage de la politique industrielle;
• du développement des énergies renouvelables qui ne couvrent
actuellement que 10% des besoins mondiaux malgré les
avancées technologiques assez significatives, particulièrement
dans l'hydroélectricité;
• de la promotion des biocarburants qui font des percées
remarquables dans certains pays comme le Brésil.
Il reste que, comme toutes les sources alternatives aux
énergies fossiles, le nucléaire et les énergies renouvelables
comportent des contraintes. Les Pays industrialisés notamment les
États-Unis, l'Europe et 'le Japon ont engagé des investissements
lourds dans des programmes de recherche pour maîtriser les
nouvelles technologiques caractéristiques des énergies du futur.
Certains pays émergents comme la Chine, l'Inde et le Brésil mènent
des politiques similaires de recherche de sources substitutives.
L'Afrique risque, une fois encore, d'être laissée en rade alors qu'elle
pourrait selon le mot du Président Abdoulaye Wade « aspirer à être
demain le fournisseur d'énergie propre du monde»
87
Section 3: Les États africains et le pétrole: handicap
majeur au développement à la fois pour les producteurs et
les déficitaires.
.
Au regard de la flambée des prix du pétrole, il n'est guère
superflu de s'interroger sur les perdants et les gagnants du marché.
Les producteurs africains sont au nombre de 12 dont les plus
importants sont: le Nigéria avec 3,5% de la production mondiale et .
des revenus annuels moyens de 52 milliards de dollars, la Lybie avec
2,1% et 34 milliards, l'Algérie avec 2,2% et 46 milliards, l'Angola avec
1,6% et 25 milliards, le Gabon et le Congo Brazza 0,3% et
respectivement 4,70 milliards et 5,8. L'Afrique pétrolière ne perçoit
pas moins de 200 milliards de dollars de recettes annuelles
moyennes. Sans nul doute pour les pays déficitaires, il est connu
qu'ils doivent faire face à un accroissement insoutenable de la facture
pétrolière qui risque de compromettre leur processus de croissance et
les pousse à rentrer dans un cycle infernal d'endettement
international. Mais, parallèlement, les pays producteurs à leur tour
connaissent bien souvent un certain nombre d'effets pervers connus
sous l'expression de « syndrôme hollandais ».
Il Les pays africains pauvres et pauvres en pétrole étranglés
par la flambée des prix pétroliers.
En regardant la distribution de la consommation énergétique
on observe des inégalités criantes d'accès à cette ressource devenue
indispensable à la vie économique et sociale. En moyenne, un Africain
consomme 13 fois moins d'énergie qu'un Américain. Toutefois, dans
ce domaine comme dans bien d'autres, on observe un énorme
paradoxe africain: la production de pétrole du continent excède une
centaine de fois les besoins de consommation. La traduction
financière de ce paradoxe est d'un côté une accumulation importante
de réserves financières pour les producteurs et de l'autre une asphyxie
financière pour les non producteurs suite à un alourdissement de leur
facture pétrolière. En l'absence des plus gros producteurs africains (la
Libye, l'Algérie, le Nigéria, l'Angola, ...) les producteurs moyens
peuvent individuellement ou collectivement satisfaire largement la
demande sans grand préjudice pour leurs recettes d'exportation.
En conséquence, il importe d'œuvrer au plus vite, à la
résorption de cette fracture énergétique pour reprendre un concept
cher au Président Wade. Ce réajustement énergétique est d'autant
plus urgent que sur le Continent, trois phénomènes conjugués
(l'urbanisation accélérée, l'industrialisation et les réformes agraires)
vont accroître de façon substantielle la demande énergétique. Ces
facteurs vont· peser lourdement sur l'aggravation de la facture
pétrolière qui risque de compromettre sérieusement toutes les
88
prévisions de développement et de croissance, particulièrement pour
les Pays Africains Non Producteurs de Pétrole (PANPP) selon la
dénomination du Président Abdoulaye Wade. L'envol des prix du
baril de pétrole a complètement laminé leurs ressources financières
qui devraient servir à financer le développement, et augmenter la
taille de l'endettement. De fait, les annulations de la dette suite à la
Conférence du G8 de Greeneagles n'auront plus que de faibles effets
sur le développement social. Une nouvelle fois, les Objectifs du
Millénaire pour le Développement seront encore compromis.
Selon le Président A. WADE la facture pétrolière est
absolument insoutenable pour les pays africains non producteurs41 • À
titre d'exemple souligne-t-il, « la facture pétrolière du Sénégal a plus
que doublé entre 2002 et 2005 passant de 200 milliards de F CFA à
426 milliards de F CFA soit une surcharge cumulée de 320 milliards
de FCFA. Dans le même temps, les subventions pétrolières qui se
chiffraient à 23 milliards de FCFA en 2002 pourraient s'établir à 117
milliards de F CFA en 2006. » Cette situation est le lot de la quasitotalité des pays non producteurs comme le Burkina Faso, le Bénin, le
Niger, La Guinée, le Mali, le Maroc et Madagascar.
11/
Le pétrole une malédiction pour les pays producteurs
africains: le « syndrome hollandais »4 2
Les pays bénéficiaires d'une rente économique d'origine
minière sont souvent victimes d'un phénomène connu sous le nom
de «syndrome hollandais» qui traduit les dysfonctionnements de
l'économie qui la rendent incapables de bénéficier de cette rente. Les
ressources financières provenant de la rente peuvent être à la base de
cinq effets déséquilbrants sur l'ensemble de l'économie: un effet
sectoriel, un effet sur le taux de change, un effet demande, un effet sur
le budget, et un effet social.
Le premier effet de la rente est le développement hypertrophié
du secteur exportateur qui exerce un effet de polarisation sur les
facteurs de production à cause des opportunités de profit et de
salaires, sur son espace de localisation qui va se développer au
détriment des autres territoires. Le second effet est relatif à la
surévaluation de la monnaie nationale soit par la hausse des prix
intérieurs si le taux de change est fixe, soit par la progression du taux
Discours prononcé lors de l'ouverture de la Conférence ministérielle pour
la création de l'Association des Pays Non Producteurs de Pétrole (Dakar, 27
juillet 2006).
42 Le « syndrome hollandais» encore appelé Dutch diseuse est apparu avec
les découvertes de gaz naturel de la région de Groningue dans les années
1970, elles s'étaient traduites par des déséquilibres macroéconomiques et
une surévaluation dommageable de la monnaie nationale le florin.
41
89
de change nominal si le taux de change est flexible. Le troisième effet
provient de l'accroissement des revenus distribués de manière licite
ou illicite, dans les deux cas, ces revenus entraîneront des pressions
inflationnistes et une augmentation des importations dont l'incidence
sera immédiate sur la balance commerciale. Tout va se passer comme
si l'extérieur donne d'une main des revenus additionnels pour les
récupérer de l'autre. Le quatrième effet concerne le gonflement des
recettes budgétaires qui vont désormais dépendre des fluctuations de
la rente. Enfin le dernier effet est relatif au creusement des inégalités
internes et surtout au développement de la corruption au niveau des
acteurs liés directement ou indirectement à la valorisation de la rente.
Ces effets conjugués créent des disfonctionnements macroéconomiques qui font, en définitive, de la rente un handicap à la
croissance et au développement: tensions inflationnistes, appréciation du taux de change, modifications de la structure des prix relatifs
en faveur du secteur abrité, creusement des déficits et paradoxalement détérioration du pouvoir d'achat avec éventuellement une
persistance de la pauvreté.
Manifestement ce «syndrome hollandais est bel et bien
observable à l'échelon des pays producteurs de pétrole. On y observe
que la rente pétrolière quelque soit son niveau a desservi le développement économique en installant des mécanismes d'amplification des
déficits des finances publiques et de corruption qui finissent par
gangrener tous les équilibres macroéconomiques. En prenant le cas
des Pays du Golf, ils sont devenus par l'ampleur des revenus
pétroliers de grandes puissances financières qui restent encore
structurellement sous-développées. En 2003, ces revenus ont atteint
82 milliards de dollars en Arabie Saoudite, 27 en Iran, 25 aux
Émirats, 22 au Nigéria, 19 au Vénézuela et au Koweit, 13 en Libye
(pays de 2 millions d'habitants). Il convient d'y ajouter les ressources
financières tirées des exportations de gaz. Pourtant, aucun de ces pays
n'a réussi un quelconque décollage économique. Le Nigeria est la
meilleure illustration du faible impact de la manne pétrolière estimée
sur 25 ans à plus de 300 milliards de dollars versés aux gouvernements successifs. Ils représentent le 1/3 du PIB et les 2/3 des recettes
publiques, alors que le revenu par tête moyen est de 1 dollar par jour
(contre 3 dollars en 1980) et n'ont qu'une incidence bien limitée sur le
développement et la croissance. La situation n'est pas différente pour
un pays comme l'Arabie Saoudite avec une rente qui atteint une
moyenne annuelle d'environ 80 milliards de dollars soit 4 000 dollars
per capita.
En définitive, avec l'alternance rapide de phases de flambée
des prix et de phases récessives, les « États pétroliers » sont parmi
ceux qui ont connu le plus grand nombre de turbulences financières
et de surendettement.
90
Section 4: Résorption de la fracture énergétique et valorisation des potentialités par la coopération et l'intégration.
Le monde est contraint de sortir de la période d'énergie
abondante et bon marché: dans ce contexte, la définition de politique
énergétique vigoureuse devient une priorité particulièrement pour les
PNPP qui doivent éviter que la facture pétrolière ne devienne
insupportable au point de compromettre les faibles capacités de
financement du développement ansi que les perspectives
d'industrialisation. Ces pays ont des avantages relatifs pour les
énergies propres à savoir les énergies renouvelables, l'énergie
hydroélectrique et les biocarburants.
D'abord, il est établi que les énergies renouvelables peuvent
être d'un grand apport et doivent en conséquence être mises à forte
contribution. Ce type d'énergie offre de bonnes performances à
l'agriculture dans les pays où elle est fortement implantée (espace
d'implantation rural, centres urbains secondaires). Toutefois, pour
certains secteurs comme l'industrie ou les grandes mégalopoles,
l'énergie solaire ne peut point répondre adéquatement à la demande
du fait que sa production de masse appelle de grandes surfaces. La
consommation de ce type d'énergie est encore marginale sauf pour
l'Afrique du Sud et le Maroc qui tirent de cette source environ 4% de
leur consommation. Les autres pays en sont à moins de 2%.
Ensuite, le potentiel de développement hydroélectrique est
simplement abyssal. Le barrage d'Inga peut développer une puissance
permettant de couvrir la totalité des besoins énergétiques de
l'ensemble du continent africain comme l'avait déjà clairement
démontré Cheikh Anta OIOP43. À cela viendrait s'ajouter le potentiel
inépuisable de la Guinée Conakry considérée comme le Château d'eau
de l'Afrique de l'Ouest, les capacités sous-exploitées du Barrage de
CABORA BASSA, de MANANTALI dans le cadre de l'OMVS et
d'AKOSSOMBO au Ghana. D'ailleurs, l'Afrique n'exploite que moins
de 8% de son potentiel hydroélectrique nonobstant les crises latentes
de la fourniture d'électricité. La Banque mondiale porte d'énormes
responsabilités dans la non réalisation de ces projets: elle s'est
permanemment opposée aux projets de mise en valeur du potentiel
hydroélectrique avec des arguments technicistes non seulement
fallacieux mais qui manquaient de vision comme le désapprouvait
déjà Kwamé NKRUMAH.
Enfin, en matière de biocarburant les potentialités africaines
sont énormes. En effet, la production de carburant à base de végétaux
comme cela se fait par exemple au Brésil ou en Allemagne où de
43
C. Anta DIOP: Les fondements culturels d'un État Fédéral Mricain
91
l'huile pure de colza et d'autres oléagineux est très envisageable. Ce
biocarburant est aujourd'hui utilisé dans le transport qui est grand
consommateur d'énergie (de nombreux véhicules. voitures, camions.
tracteurs agricoles...). Techniquement. l'utilisation du biocarburant
ne nécessite que de légères modifications des moteurs et présente
l'avantage d'être plus écologique et bien moins onéreux.
En définitive. la question énergétique doit être replacée au
cœur des dispositifs de coopération et d'intégration. Ce cadre devrait
permettre une exploitation efficiente de toutes les potentialités pour
répondre aux besoins des États quelle que soit leur dotation
factorielle. Les expériences en cours doivent être approfondies et
élargies comme par exemple le Pool Énergétique d'Afrique Australe
(SAPP) même si elle traverse quelques difficultés et celle d'Afrique de
l'Ouest (la West African Power Pool) de la CEDEAO. L'indépendance
énergétique du Continent passera par de tels mécanismes de
coproduction et de solidarité.
Les pouvoirs publics doivent déterminer les objectifs, le
calendrier. les moyens octroyés pour atteindre les résultats escomptés
et agir dans trois directions:
• l'encouragement de la recherche et de la formation des
scientifiques. des ingénieurs et des techniciens
• la promotion des productions par des investissements, par des
incitations financières intéressantes (suppression des droits
de douane pour le matériel importé, facilités pour les
entreprises, les administrations)
• la motivation des particuliers candidats à la consommation
des énergies renouvelables.
Cette politique énergétique nécessite des moyens financiers
énormes qui peuvent provenir d'un Fonds d'Investissement du
Secteur de l'Energie. Elles peuvent aussi résulter de plusieurs
autres sources comme par exemple 44:
• le prélèvement sur la rente des PAPP au profit des pays non
producteurs (PANPP);
• financement par la Communauté internationale à partir des
ressources rendues disponibles par les annulations de dettes
au titre des Initiatives en 'faveur des Pays Pauvres et Très
Endettés (PPTE) et d'Allègement de la Dette Multilatérale
(IADM).
44 Cette opinion est à la base du Wade formula qui propose un partage des
excédents provenant des fluctuations des prix du pétrole.
92
Section 5 : Quelle solution pour les questions énergétiques?
Les débats intenses sur le pétrole qui agitent aujourd'hui les
milieux des décideurs politiques, les spécialistes du jeu pétrolier, les
scientifiques. les chercheurs, les journalistes et les simples citoyens
indiquent l'ampleur et la gravité des problèmes que suscite la flambée
actuelle des prix du pétrole. Tout le monde semble prendre
conscience que les besoins énergétiques vont croître dans des
proportions exponentielles, suite à l'expansion démographique,
l'urbanisation accélérée et l'accès au développement des pays du sud,
alors même que l'offre est déclinante.
Il faut s'orienter dès maintenant sur une triple voie. Il faut tout
d'abord engager une dynamique très forte d'économies d'énergie afin
d'obtenir une meilleure efficacité énergétique des hydrocarbures.
Ensuite, à très court terme, il faut développer l'emploi du gaz naturel
pour suppléer le pétrole - mais pendant à peine vingt ans - et,
surtout, s'engager dans la voie de subventions massives pour la
recherche et le développement dans le domaine des énergies
renouvelables et pour la construction des infrastructures nécessaires à
un régime énergétique fondé sur l'hydrogène. Il ne faut surtout pas
attendre la fin des énergies fossiles parce que la création de ces
infrastructures prendra entre vingt cinq et cinquante ans.
Nous pouvons espérer dans les prochaines décennies, une
augmentation de la demande énergétique mondiale induite par la
marche vers le développement des pays les moins avancés. Il serait
inacceptable qu'une pénurie d'énergie freine l'indispensable
mouvement de résorption des inégalités de niveau de vie entre les
peuples.
Une alternative souvent proposée serait la réorientation
profonde des Institutions Monétaires et Financières Internationales
avec la création d'un Fonds Monétaire Mondial pour le
développement de l'accès à une énergie respectueuse de l'atmosphère.
Ce Fonds viserait une création monétaire, sous la forme par exemple
de droits de tirage spéciaux (DTS), en vue de la distribution de crédits
à taux faibles, avec des critères d'allocation soutenant un
développement prenant en compte les défis environnementaux. Les
projets ne seraient plus jugés à l'aune de leur rentabilité financière
mais en fonction de leur efficacité sociale et environnementale.
Les Gouvernements africains ont souvent manqué de vision à
court, moyen et long termes, le renchérissement du cours du pétrole
était prévisible en raison de la demande de plus en plus forte, de
l'instabilité régriant dans certaines régions productrices et de
catastrophes naturelles de plus en plus dévastatrices. Pour éviter le
risque de voir leur économie ébranlée par l'ascension inexorable des
prix du pétrole, ils devraient sérieusement songer à réduire les
93
importations et la dépendance quasi-totale vis-à-vis de cette source
d'énergie en cherchant et en développant les énergies substitutives.
Propos d'étape sur la partie introductive
La mondialisation est devenue une réalité ultime, un
phénomène incontournable qui retient l'attention des chercheurs, du
public et des décideurs comme s'il s'agissait d'un phénomène
nouveau. À la fois vaste, complexe, largement débattue, elle est
souvent diabolisée au détriment d'analyses robustes avec des
statistiques crédibles. Incontestablement, notre époque connait un
niveau historiquement élevé d'interdépendance de la production, des
échanges, des systèmes financiers et d'une révolution technologique
sans précédent avec une extension géographique jamais égalée de
l'économie de marché. Les firmes multinationales productrices et
financières organisent à l'échelle de la planète la première véritable
division internationale du travail par relocalisation et délocalisation
de leurs activités en fonction des dotations factorielles des pays.
Cette mondialisation productive se double d'une globalisation
financière totalement déconnectée d'une part de toutes les règles qui
encadrent toute activité économique ou financière et d'autre part de la
sphère productive. Organisé sur les mêmes principes de la
mondialisation productive. le système financier caractérisé par les 3D,
collecte et place les capitaux dans le monde entier, opère la circulation
de l'épargne et des excédents financiers de tous ordres, spécule sur les
titres. les taux de change et les taux d'intérêt et fait courir les pires
risques à l'ensemble de l'économie mondiale.
La révolution des technologies de l'information et de la
communication déclenche une explosion des activités réorganisées
autour de l'intelligence et de la matière grise. Sur un très large
éventail de secteurs, elle bouleverse les savoirs et les savoirs faire et
déplace le centre de gravité de l'activité productrice : économie de
l'innovation, du savoir et de l'intelligence artificielle.
Toutes ces mutations conjuguées font exploser les échanges
commerciaux qui tendent à faire de la planète un vaste marché unique
où circulent librement les biens et services, les capitaux et les
technologies.
Cette nouvelle donne mondiale n'est pas en soi une calamité
mais constitue, plutôt, sur bien des points des avancées progressistes
qui ont une valeur positive. L'internationale est devenue «le genre
humain» ce n'est plus une simple espérance mais une réalité. Bien
sûr, les modèles économique, politique, social et culturel ainsi que les
environnements institutionnels seront conséquemment modifiés.
Quoi de plus normal puisque l'on connaît depuis longtemps que la
base matérielle commande et détermine toutes les superstructures.
94
Selon la théorie économique orthodoxe, tout le monde gagne
au libre-échange issu de la mondialisation. Toutefois, bon nombre de
pays et d'acteurs sociaux sont persuadés du contraire: s'il est vrai que
jamais l'humanité n'a produit autant de richesses et n'a disposé
d'autant de techniques, également jamais elle n'a produit autant
d'inégalités et de pauvreté traduisant ainsi un monde assez fortement
asymétrique. Cela va creuser et consolider les dualités externes et
internes aux sociétés, les irrégularités et les inégalités et approfondir
les exclusions des acteurs les plus démunis et les fragiles: en
l'occurrence les PSD. La dissolution des filets traditionnels de
protection sociale, les ruptures des solidarités familiales ainsi que la
restructuration des rapports sociaux (Mathieu, 1990 ; Vidal, 1992),
inscrivent en toute urgence à l'ordre du jour, la question sociale dans
la mondialisation.
Comment ces PSD peuvent-ils s'organiser pour tirer le
meilleur parti de ces avancées de l'humanité tout en étant très
vigilants sur les risques potentiels comme la crise pétrolière et
financière qui constitue des menaces graves pour le système
mondial? En effet, que deviendra le monde si le pétrole manque avec
un prix du baril aux environs de 200 ou 300 dollars? Qu'en sera-t-il
si cette situation est doublée d'une inflation galopante?
Face aux différentes contraintes inhérentes au processus,
quelles transformations socio-économiques doit opérer l'Afrique pour
profiter du phénomène? Ne doit-elle pas se démocratiser davantage,
former ses acteurs, transformer ses structures et adopter sa culture?
La mondialisation impose de nouvelles tâches à l'État africain qui au
lieu de s'affaiblir devrait plutôt se renforcer pour être à même
d'insérer ses acteurs dans ce système. Préparer les acteurs et
l'environnement à la compétition mondiale pour une insertion
gagnante dans ce système suppose des stratégies claires et planifiées
autour de quatre options jactions:
•
•
•
•
Le choix de son terrain
La connaissance de ses aptitudes
Le choix de ses acteurs
Savoir les préparer.
Quelles sont les réponses de la science économique qui est
devenue une entreprise gigantesque par l'ampleur de ses recherches
et de ses publications?
95
Première Partie
Les théories économiques du
développenlent et du sous-développement:
les grilles d'analyse
« Ce qu'on peut dire, c'est que la théorie est nécesssaire
mais qu'en soi elle n'est pas suffisante. C'est comme une
bonne voiture, elle peut vous conduire très rapidement au
but que vous désirez si vous savez vous en servir, mais elle
peut vous conduire aufossé si vous l'utilisez mal ».
Maurice ALLAIS
L'objet de cette partie est principalement d'étudier ce que nous
enseigne la Pensée Économique en vue d'en tirer toutes les leçons en
direction de l'élaboration d'une analyse rigoureuse du sousdéveloppement et de la maîtrise des politiques et autres outils qui
permettent de sortir de cet état. Que disent nos théories et que font
les professionnels de l'économie face au développement et au sousdéveloppement? Les connaissances économiques nous rendent-elles
plus aptes à la compréhension et à l'action dont la complémentarité
est une nécessité absolue? Au moment où l'Economie a
complètement soumis les sociétés humaines, on décèle de graves
impuissances pour les nations et les pays condamnés aux manques, à
la pauvreté et à l'exclusion. Dans ce contexte, il semble normal,
d'interroger les différents courants de la Pensée Économique pour
cerner les différentes propositions de théories économiques pouvant
contribuer à l'explication et à l'action. La multiplicité des théories et
les différentes controverses peuvent-elles permettre de mieux
appréhender les différentes facettes du sous-développement et les
moyens d'en sortir: accumulation productive, équilibre, options
sectorielles, fonctions de la monnaie, place des relations économiques
internationales ?
En abordant ces questions, les chercheurs et les analystes du
champ doivent prendre beaucoup de précautions, car dans les pays
industrialisés d'Europe, le développement a précédé la Science
Économique. En conséquence, celle-ci ne s'était guère préoccupée de
problèmes comme ceux qui, aujourd'hui se posent aux pays sousdéveloppés. Mais elle s'est plutôt intéressée par exemple aux
questions d'équilibre, c'est-à-dire à la recherche d'une utilisation
cohérente et optimale des ressources. Cette constatation explique le
flottement sémantique que l'on retrouve dans la littérature
économique de l'époque; des mots comme «Expansion»,
« Croissance».
« Développement », « Progrès » (en anglais
Expansion, Growth, Développement, Progress) ont des significations
diverses. Le concept le plus universel est celùi de la croissance qui est
devenue une exigence, toujours réitérée, des professionnels, des
98
politiques et des populations. Maintenant la croissance est accouplée
au mot « développement» et ils deviennent des exigences.
Comment la pensée économique a-t-elle abordé ces questions
dans les diverses formulations des auteurs? Quelles leçons peut-on
tirer des très anciens débats des économistes? Quels choix d'action
découlent des controverses doctrinales, des grandes polémiques des
différentes Écoles de pensée passées et contemporaines?
Cette partie comprendra six chapitres dont les cinq sont
relatifs chacun à un courant de pensée pour en rappeler les acquis
analytiques: l'analyse classique, l'analyse marxiste, les formulations
keynésiennes et post-keynésiennes, l'approche néo-classique et les
analyses contemporaines, comme les théories des institutions et de la
régulation qui marquent une délimitation entre les économistes
institutionnalistes et les gardiens de l'orthodoxie néo-classique. Le
sixième chapitre traite des heurs et lueurs de la croissance économique.
Au début des années 80, on divisait les économistes en quatre
grandes familles: les classiques, les keynésiens, les marxistes et les
néoclassiques :
• les classiques du 19èrnr siècle sont les tenants du libre-échange
et voient dans le marché à la fois le meilleur moyen de répartir
les produits. Ces idées forces font toute l'actualité de cette
École;
• Marx et les néo-marxistes ont introd~it une critique beaucoup
plus radicale du capitalisme et montré que les crises, les
inégalités, la paupérisation, le chômage caractérisent ce
système et révèlent sa nature profonde.
• Pour J.M. Keynes et ies siens, le marché n'est pas ce modèle
d'équilibre spontané et harmonieux que décrivent les
classiques. Les keynésiens pensent en termes macroéconomiques et admettent que le marché livré à lui-même
peut générer des situations de chômage chronique ou des
crises. Enfin, ils pensent que l'État doit intervenir dans la
régulation du circuit économique. Cependant, face aux failles
théoriques mises à jour et à l'épuisement des politiques
keynésiennes, ils ont dû se renouveler. Les néo-keynésiens ont
intégré de nombreux aspects de l'analyse néo-classique
(importance de l'offre, des anticipations rationnelles). Ils
accordent à l'État un rôle nouveau: sa fonction n'est plus
d'intervenir pour stimuler l'activité mais plutôt pour créer un
environnement favorable à la croissance (par la création
d'infrastructures, d'aides à la formation, à l'innovation).
• Les néo-classiques vont inventer une nouvelle façon
d'approcher l'économie à partir du modèle d'équilibre général
du marché de 1. WALRAS. Les soubassements théoriques ne
changent point: les agents économiques sont rationnels, ils
99
•
cherchent à optimiser leurs gains. En revanche, le cadre
d'application de la théorie s'est beaucoup étendu. Les
néoclassiques ne raisonnent plus vraiment à partir du seul
cadre du marché « pur et parfait» supposé équilibré. Ils ont
construit une infinité de modèles possibles: situations de
monopole, concurrence imparfaite, coûts de transaction. Ils
reconnaissent également que les divers agents économiques
(consommateurs ou producteurs) ne sont pas toujours bien
informés (économie de l'information) qu'ils agissent dans un
environnement incertain (théorie des jeux), que différents
comportements de la firme dépendent de son organisation
À ces courants traditionnels vient s'ajouter l'École
« structuraliste et institutionnaliste» parfois appelée École
« développementaliste» à partir de l'affirmation de la
spécificité du sous-développement caractérisé par la dépendance, la dégradation des termes de l'échange et le dualisme.
Aujourd'hui, la pensée économique s'est enrichie et élargie, de
nouveaux courants sont apparus. L'abondante littérature permet de
répertorier cinq grandes écoles de pensée: la théorie standard étendue,
les détracteurs de la pensée unique (avec ses multiples subdivisions), les
nouveaux théoriciens de l'économie solidaire, les héritiers de KEYNES et
les diverses variantes du libéralisme. D'autres classifications plus
simplistes distinguent les orthodoxes et les hétérodoxes.
Les théories économiques du développement se rattachent à
une ou plusieurs de ces familles qui fournissent l'essentiel des idées
fondamentales qui servent à interpréter et à reconstruire les
complexes réalités du sous-développement. Également, ces Écoles
offrent les éléments d'explication et produisent les différents
instruments d'action et de gestion des politiques économiques des
États et des grandes officines internationales du développement.
100
Encadré 4. L'Objet de l'Economie
La pensée économique a toujours distingué deux questions: la création
de richesse - son origine, sa nature, les causes de son accroissement et la répartition de cette richesse entre les hommes. Chaque école de
pensée les a traitées et articulées différemment. Adam SMITH ne traite
vraiment que de la première, dans son Enquête sur la nature et les
causes de la richesse des nations, le texte fondateur de l'économie
politique. David RICARDO présente ainsi son programme de recherche
dans une lettre de 1820 à MALTHUS: « L'économie politique est selon
vous une enquête sur la nature et les causes de la richesse. J'estime au
contraire qu'elle doit être définie comme une enquête au sujet de la
répartition du produit de "industrie (1), entre les classes qui concourent àsa
formation. On ne peut rapporter à aucune loi la quantité de richesses
produites mais on peut en imaginer une assez satisfaisante à leur répartition.
De jour en jour, je suis plus convaincu que la première étude est vaine et
décevante et que la seconde constitue l'objet propre de la science ".
Karl MARX Fait dériver à la fois la croissance de la richesse et sa
répartition de « lois tendancielles" du mode de production capitaliste.
Quant aux NÉOCLASSIQUES, ils considèrent que la seule question
scientifique est celle de l'efficacité de l'allocation de ressources rares,
donc de la croissance. Dans leurs modèles de base, la question de la
répartition est en partie subordonnée aux lois de l'efficacité et, pour le
reste, exogène. La rémunération de chaque facteur de production, travail,
capital, terre, est rigoureusement déterminée par les lois de l'efficacité,
mais les droits de propriété sur ces facteurs, qui déterminent la part qui
revient finalement à chacun, sont des données exogènes à l'analyse.
Pierre-Noël GIRAUD: Pourquoi privilégier la question de /'inégalité,
Problèmes politiques et sociaux n 0834, 11 février 2000 pp. 9-12
101
Chapitre 4
L'école classique: précurseurs du modèle
libéral et théoriciens de la richesse des
nations, des marchés libres et de la
spécialisation internationale
Il est impossible. avertit Jacques FREYSSINET, de collecter
tout ce qui, dans la littérature classique a trait aux pays sousdéveloppés; il serait peu honnête d'attribuer à leurs auteurs des idées
trop précises à partir de textes qui ne sont souvent que des incidentes
dans leurs développements généraux.
Pour comprendre l'apport des classiques à la formation de la
Science Économique, il faut se situer au double point de vue des faits
économiques et de la pensée sociale en général. Pour les faits
économiques, l'époque des auteurs classiques se caractérise par le
développement du capitalisme industriel avec des fortes incidences
sur l'agriculture. Selon Mouhamed DOWIDAR, «au cours de cette
phase, l'expansion industrielle atteint un point qualitatif qui se reflète
dans la révolution industrielle grâce à laquelle s'industrialise
l'économie nationale. La base industrielle qui se présente dans les
industries des biens de production s'édifie comme base non
seulement pour l'activité agricole mais pour l'ensemble de l'économie
nationale ».
Au point de vue de la pensée sociale, les traits caractéristiques
se situent d'abord, dans le triomphe de la vision scientifique des
choses qui remplace, sous l'influence des changements économiques,
la vision théologique, ensuite dans la formation des sciences sociales
et surtout de la théorie politique et économique et enfin, dans la
destruction de la base intellectuelle et morale de l'image de la société
ancienne.
Dans ce contexte, les auteurs classiques vont mettre de l'ordre
surtout dans la science économique. L'objet de cette science se
rapporte aux phénomènes de la production, de l'échange, de la
répartition du produit social. Au niveau de la production, il faut
chercher la richesse des nations pour mettre en place les conditions
de son expansion; d'où l'étude du rôle du travail, de la division du
travail et de son effet sur la productivité, du rôle du capital et de la
propriété foncière. De la valeur, on étudie les phénomènes de prix et
la répartition du produit social. Dans la ligne de l'étude viennent les
phénomènes monétaires et les échanges avec l'extérieur.
Telle est la vision qu'ont les classiques des phénomènes économiques quant à leur nature et leur délimitation. Le cadre analytique
103
retenu pour l'étude des questions économiques se fonde sur une
société composée de trois classes sociales définies selon leur place
dans le procès de production (la classe capitaliste, les propriétaires
fonciers et la classe ouvrière) où l'activité économique est orientée
vers le marché et effectuée par des individus du type «homo
economicus» et où domine la concurrence interne entre agents
économiques.
Les classiques étaient donc au plan des faits économiques
comme à celui méthodologique, mal placés et mal préparés pour
élaborer une analyse spécifique du sous-développement.
C'est dans quelques évaluations ponctuelles que certains
auteurs envisagent des situations de sous-développement, c'est-à-dire
des situations qui échappent à l'ordre naturel. Dans la Richesse des
Nations, A. SMITH indique que certaines régions sont placées en
dehors du mouvement historique, du progrès économique. Il explique
cela par le fait que ces régions sont éloignées des mers. L'étroitesse de
leur marché ne leur permet pas de bénéficier des avantages de la
division interne et externe du travail. Après SMITH, Stuart MILL a
analysé les différences des situations économiques des nations. Il note
dans ce sens que «la situation économique de la plupart des pays
d'Asie reste ce qu'elle a été depuis les origines de l'histoire connue, et
reste telle toutes les fois qu'elle n'est pas perturbée par des influences
étrangères». Cependant, l'auteur ne tente pas une explication
économique de cette stagnation séculaire. Pour lui, cela s'explique par
des raisons socio-politiques comme l'absence d'une structure
administrative.
.
N'ayant pas une approche claire du sous-développement, les
classiques peuvent-ils présenter des théories cohérentes de
développement?
Section 1 : Les analyses du développement et de la croissance chez
les classiques
Les classiques conçoivent le développement comme un
phénomène naturel et spontané dans une économie libre. En effet, les
théories élaborées par A. SMITH, RICARDO, S. MILL se réfèrent à un
ordre naturel d'où est censé partir le progrès économique. Cet ordre
naturel est à la fois immanent, spontané et bienfaisant. Sa réalisation
nécessite trois conditions: la liberté politique (pour assurer la
sécurité de la propriété), la liberté économique (non intervention
systématique de l'Etat) et la concurrence. Il faut alors analyser les
axes de la théorie du développement et l'état stationnaire conçu
comme l'étape ultime du progrès économique.
104
Il Problématique du développement ramenée à raccumulation
productive.
La formulation de départ est celle. de SMITH pour qui la
spécialisation et la division du travail sont les éléments essentiels de
la Richesse des Nations. Ils opèrent dans un cadre institutionnel où
domine la propriété privée des instruments de production. Dans ce
cadre, le développement économique et social doit aboutir à une
augmentation quantitative et qualitative des facteurs de production, à
une offre adéquate de la main d'œuvre, des ressources nationales
disponibles et à un volume appréciable de capital. C'est ce dernier
élément qui est décisif, car comme l'affirme S. MILL, « c'est lui qui
peut limiter le développement industriel et agricole d'un pays ». Or,
son expansion obéit à la loi de l'accumulation. Tous les classiques
s'accordent sur la problématique centrale selon laquelle le volume du
capital est fonction des perspectives de profit et du comportement de
l'intérêt qui module à la fois la demande d'investissement et l'offre
d'épargne qui est une renonciation.à une dépense de consommation
improductive. La croissance sera une fonction de l'accroissement du
capital, lui-même est fonction de l'accroissement de l'épargne.
David RICARDO est encore plus systématique que SMITH
dans l'analyse du processus de développement à long terme. Il a voulu
comprendre la nature de la richesse des nations et les lois qui
gouvernent la distribution des marchandises. Il établit que la
détermination d'une théorie cohérente de la répartition est un
préalable majeur à la compréhension de tout mécanisme de
développement d'un système économique. C'est à partir des lois qui
gouvernent les parts distribuées qu'il construit son modèle
macroéconomique de développement.
Le moteur de la croissance est le profit. Cependant, observe-til, la masse et le taux du profit dépendent eux-mêmes de la
confrontation avec la masse et le taux de salaire avec lesquels ils
entrent en concurrence pour le partage du revenu national.
Le mouvement du salaire nominal est commandé pour
l'essentiel par les prix des aliments, lesquels dépendent de la rente
foncière. La hausse du salaire nominal (par la loi de la population)
bloquera la croissance du profit donc celle de l'investissement et de
l'économie toute entière.
On retiendra que chez D. RICARDO, le postulat des
rendements décroissants dans l'agriculture est à la base de la théorie
de la baisse du taux de profit et de la relation particulière salaireprofit. Le caractère fixe de l'offre de terre et par conséquent les
difficultés rencontrées pour satisfaire la demande de subsistance des
travailleurs additionnels dont le capital accru exige l'utilisation. Cette
thèse sera présente dans beaucoup de formulations actuelles
105
d'économie et de politique de développement. Autrement dit, les
surplus qui se forment sont utilisés à l'achat de produits vivriers par
suite de l'inefficience des politiques agraires.
Au total, D. RICARDO établit, contrairement à S. MILL, que si
l'accumulation du capital s'accompagne d'un degré d'intensité
capitalistique croissante, le salaire réel stagne autour du niveau de
subsistance, et le sentier de croissance de l'économie sera perturbé
par des déviations occasionnelles dues au plein-emploi.
En définitive, l'accumulation est la base du développement
économique. Il importe, dans une politique, de chercher à élever le
fonds d'accumulation au détriment de la consommation
improductive. Cette conclusion est très actuelle et se retrouve dans les
théories contemporaines du développement. C'est la fameuse option
«affamer pour développer ». Cependant pour les classiques,
l'expansion n'est pas éternelle, sa limite est l'état stationnaire.
11/ La question de l'état stationnaire: les risques de crise et
de stagnation.
L'État stationnaire a occupé une place importante dans la
conception des auteurs classiques. Il procède d'une élévation du
salaire nominal et de la rente résultant d'une augmentation de la
production. Cette élévation bloque la croissance du profit donc de
l'investissement et de l'économie toute entière. On parvient ainsi à
l'état stationnaire à l'issue duquel aucun progrès important ne sera
plus possible. Cette hantise de l'État stationnaire a dominé la théorie
économique pendant une bonne partie du 19ème siècle. Il faut dire que
cette phase ne correspond pas à une anticipation correcte de l'évolution
du capitalisme. Même si ces dernières années il y a eu de nouvelles
théories de l'État stationnaire. Celui-ci est intégré dans un modèle
théorique d'absence de croissance (Alvin HANSEN, Club de ROME).
Ces deux aspects établissent toute l'actualité de l'analyse du
développement chez les classiques qui, bien que n'ayant pas eu une
présentation du sous-développement, ont fourni des éléments
(accumulation du capital, profit et salaire, évolution démographique)
qui peuvent constituer un point de départ pour les théories du
développement.
Section 2 : A. SMITH fondateur de l'Économie politique et
père spirituel du libéralisme contemporain.
Le modèle d'Adam SMITH remonte à 1776 et porte sur la
richesse des Nations. Pourquoi commencer si tôt?
Les anciennes idées, les premiers modèles, sont plus simples,
plus faciles à comprendre, que ceux qui les ont suivis.
106
Il Sur quoi repose la richesse d'une nation?
•
•
•
Un facteur causal: le degré de la division du travail
Un facteur permissif: le sol, le climat, les ressources naturelles
Un autre facteur : les lois, les coutumes et traditions les
attitudes et habitudes
1°) les Avantages de la division du travail
La division d'un travail en un grand nombre de tâches plus
simples, et l'affectation d'une tâche simple, au lieu du travail complet,
à un ouvrier, augmente la productivité. Ceci est bien illustré par le
fameux passage d'Adam Smith concernant une fabrique d'épingles.
On se fera plus aisément une idée des effets de la division du travail
sur l'industrie générale de la société, si l'on observe comment ces
effets opèrent dans quelques manufactures particulières.
Prenons un exemple dans une manufacture de la plus petite
importance, mais où la division du travail s'est fait souvent
remarquer: une manufacture d'épingles.
2°) Le processus d'auto-renforcement de la croissance
économique
Dans l'analyse d'A, SMITH, la croissance de la Nation peut
être renforcée par quatre facteurs agissant seuls ou ensemble qui
sont:
• Une spécialisation approfondie rendue possible par un
élargissement du marché provenant
• Un accroissement de la densité de la population, qui
s'agglomère en des villes. Smith cite le cas d'un menuisier de
campagne, qui est obligé, pour gagner sa vie, de faire tout ce
qui se rapporte de loin ou de près au travail de bois, et qui
perd par ailleurs une grande partie de son temps à des déplacements entre les domiciles de ses clients. Un menuisier de la
ville peut au contraire se spécialiser. il ne fabriquera que des
meubles (par exemple), puisqu'il a suffisamment de clients.
• Une réduction des coûts de transport à l'intérieure du pays,
provenant par exemple de la construction de canaux de
navigation ou (après la mort de Smith) de la construction de
chemins de fer. Cela rend possible les ventes à un plus grand
nombre de clients sans payer de frais de transports prohibitifs.
• Un accroissement du commerce international. Cet accroissement peut être dû à: de nouvelles découvertes géographiques, la signature d'un traité de paix entre deux nations qui
étaient en guerre et à la réduction de coûts des moyens de
107
1
transports (notamment l'invention du bateau à vapeur après la
mort de Smith).
L'accroissement de la division du travail qui suit
l'élargissement du marché augmente la productivité des travailleurs et
partant, diminue les coûts de production. Par ailleurs, la réduction de
coûts de production implique une augmentation des profits, qui sont
réinvestis dans de plus grandes fabriques avec plus de machines
spécialisées, permettant une division encore accrue, etc.
À long terme, l'accroissement de l'emploi dans ces fabriques
agrandies augmente la masse des salaires, qui permet une
augmentation de la population, qui cause un accroissement de la
densité de la population, qui élargit le marché, etc~
Encadré 5: De la nature et des causes de la richesse des nations (1776)
« Ainsi, en écartant entièrement tous ces systèmes ou de préférence ou
d'entraves, le système simple et facile de la liberté naturelle vient se
présenter de lui-même et se trouve tout établi. Tout homme, tant qu'il
n'enfreint pas les lois de la justice, demeure en pleine liberté de suivre la
route que lui montre son intérêt, et de porter où il lui plaît son industrie et
son capital, concurremment avec ceux de tout autre homme ou de toute
autre classe d'hommes. Le souverain se trouve entièrement débarrassé
d'une charge qu'il ne pourrait essayer de remplir sans s'exposer
infailliblement à se voir sans cesse trompé de mille manières, et pour
l'accomplissement convenable de laquelle il n'y a aucune sagesse humaine
ni connaissances qui puissent suffire la charge d'être le surintendant de
l'industrie des particuliers et de la diriger vers les emplois les mieux assortis
à l'intérêt général de la société. Dans le système de la liberté naturelle, le
souverain n'a que trois devoirs à remplir; trois devoirs, à la vérité, d'une
haute importance, mais clairs, simples et à la portée d'une intelligence
ordinaire.
Le premier, c'est le devoir de défendre la société de tout acte de violence
ou d'invasion de la part des autres sociétés indépendantes. Le second, c'est
le devoir de protéger, autant qu'il est possible, chaque membre de la société
contre l'injustice ou l'oppression de tout autre membre, ou bien le devoir
d'établir une administration exacte de la justice. Et le troisième, c'est le
devoir d'ériger et d'entretenir certains ouvrages publics et certaines
institutions que l'intérêt privé d'un particulier ou de quelques particuliers ne
pourrait jamais les porter à ériger ou à entretenir, parce que jamais le profit
n'en rembourserait la dépense à un particulier ou à quelques particuliers,
quoiqu'a l'égard d'une grande société ce profit fasse beaucoup plus que
rembourser les dépenses...
Adam SMITH: Recherche sur la nature et les causes de la richesse
des nations, livre IV, éd. 1843, traduction de 1843 du comte Garnier, reprise
par Osnabruck, Zeller, 1966
108
11/ Le rôle primordial du marché libre
Il Y a un libre mouvement des produits, des travailleurs, du
capital, de la propriété des terres. Spécifiquement, les prix des
produits ne sont pas contrôlés par le gouvernement, les gens peuvent
changer de métier sans restriction, on peut investir des fonds dans
n'importe quel secteur économique sans avoir besoin d'obtenir des
permissions spéciales ou des licences (en contraste, par exemple, au
système médiéval de corporations), le terrain peut s'acheter et se
vendre.
10) Un premier avantage du marché libre: à court terme,
l'offre d'un produit par ses fournisseurs est mise en égalité
avec la demande pour le produit par les clients, à cause du
jeu des prix.
Soit une plage avec un marché de poissons, supposons que les
pêcheurs reviennent un jour avec une maigre récolte. Le prix du
poisson augmentera, diminuant la quantité de poisson que veulent
·acheter les ménagères. À un certain prix, il y aura juste suffisamment
de clients pour faire écouler les poissons. Supposons que le
lendemain, les pêcheurs débarquent avec une grande quantité de
poissons. Ils sont obligés de vendre le poisson avant qu'il ne
pourrisse. Ils feront diminuer le prix; les ménagères achèteront plus
de ce poisson si bon marché. À un certain prix, il y aura suffisamment
d'achats pour vendre tous les poissons. Ce phénomène, répété dans
tous les secteurs de l'économie, assure que toute la production
commercialisée est vendue, et que le peuple est fourni de tout ce qu'il
veut, dans la limite de ses moyens financiers. Cet avantage du marché
libre dépend de l'absence de restrictions sur les prix, autrement dit la
liberté des prix.
) Un deuxième avantage du marché libre: à long terme,
le prix est égal au coftt de production.
2
0
Comme on vient de le voir, à court terme, de jour en jour, le
prix du poisson subit des fluctuations. Mais supposons qu'à long
terme, en moyenne, les pêcheurs gagnent beaucoup. De plus en plus
de jeunes gens deviendront des pêcheurs. L'augmentation du nombre
de pêcheurs augmentera le produit total de la pêche, ce qui entraînera
plus de concurrence et une diminution des prix. Par contre,
supposons qu'en moyenne, après soustraction de ses frais pour
l'essence, etc., un pêcheur gagne moins qu'il ne pourrait avoir dans un
autre métier. Dans ces conditions, les pêcheurs abandonneraient leurs
bateaux pour d'autres métiers, réduisant le produit total de la pêche et
109
augmentant les prix. Le nombre de pêcheurs se stabilisera quand le
prix moyen de poisson leur permettra de retirer un revenu (après
dépenses) égal au revenu qu'ils auraient gagné en suivant un autre
métier. Ce revenu minimal pour que les pêcheurs n'abandonnent pas
leur métier peut être considéré comme un « pseudo-salaire» que le
maître pêcheur se paye lui-même.
En conclusion, en faisant abstraction des fluctuations
éphémères, le prix moyen à long terme sera égal au coût de
production, si on considère le « pseudo-salaire» comme une partie
des coûts. Ce deuxième avantage du marché libre dépend de la liberté
de l'emploi.
3°) Le cas spécial de l'offre du travail.
L'offre du travail dépend finalement du nombre d'ouvriers.
Mais quel est le « coût de production» d'un ouvrier? Supposons que
le salaire est à peine suffisant pour nourrir l'ouvrier et sa famille. De
temps en temps, il y a des famines et des épidémies. La population ne
s'accroît pas sous ces conditions. Par contre, supposons qu'à cause
d'une insuffisance d'ouvriers, les employeurs rivalisent pour obtenir
la main-d'œuvre; pour attirer du personnel, ils payent un salaire
supérieur au minimum de subsistance. Alors, les enfants des ouvriers,
bien nourris. survivent en plus grand nombre, provoquant une
augmentation de la population ouvrière.
4°) Les limites du marché libre
Les avantages du marché libre (à court terme, le peuple est
fourni en toute chose tout ce qu'il veut et peut payer. et que. à long
terme. le prix moyen n'est pas au-dessus du coût de production)
impliquent que la meilleure politique est une politique de « laisserfaire ». En effet, la Richesse des nations est une polémique contre le
dirigisme de l'État. Cela dit. Smith reconnaît certaines limites au
marché libre. au « laisser-faire ».
L'État doit lutter contre le monopole
Il est tout naturel, dit Smith. que les marchands d'une place
essayent de se mettre d'accord pour augmenter les prix. quitte à
réduire la quantité vendue. Le gouvernement doit prendre des
mesures contre de telles actions.
L'État doit réaliser les dépenses sociales: voirie, défense,
éducah'on, qui sont génératrices d'externalités positives
Une autre limitation du marché libre, que Smith ne mentionne
qu'en passant. mais qui est vraiment d'une importance cruciale:
110
l'action du marché libre peut laisser inchangé, ou même aggraver
l'inégalité de la répartition des revenus. En effet, ceux qui ne peuvent
pas payer ne déterminent pas ce qui sera produit. Par exemple, si des
gens sans argent veulent du pain, et des gens riches veulent des
carrosses, ce sont ces derniers qui seront produits.
5°) Les perspectives à long terme
Pendant une très longue période qui pourrait s'étaler sur des
siècles, le taux de croissance de la productivité peut excéder le taux de
croissance de la population, impliquant un accroissement à long
terme du revenu par habitant. Finalement, une très forte densité de la
population (SMITH cite le cas de la Chine) peut mettre fin à la
croissance, en raison de la pénurie de terre cultivable par tête.
Section ~: D.R1CARDO: «la grosse tête» de l'École
Classique, la référence de la théorie de la rente et du
commerce international.
MARX dira de D. RICARDO qu'il est le plus rigoureux et le
plus complet de l'École Classique Anglaise. Sommité de l'Économie
politique, il publie en 1817 la première édition des principes de
l'économie politique et des impôts. RICARDO écrivait en un temps où
la Grande Bretagne avait subi une augmentation vertigineuse du prix
des grains, provoquée par de mauvaises conditions météorologiques
et par une série de guerres (1790-1815). La situation était aggravée
par des taxes très fortes sur les céréales importées (les infâmes « Corn
Laws», dont l'un des articles stipulait que les taxes douanières
devaient être d'autant plus lourdes que le prix des céréales importées
était peu élevé). Ces lois avaient été votées par un Parlement élu selon
un système de franchise médiéval, où les grands propriétaires fonciers
disposaient de la majorité des voix. Ceux-ci, évidemment, tiraient des
gros bénéfices du gonflement des prix de leurs récoltes.
Deux des formulations théoriques peuvent être retenues car
elles constituent encore des références: la théorie de la rente et celle
de la spécialisation dans le cadre des relations économiques
internationales.
Il La Théorie de la rente
Selon Ricardo, la rente est le revenu dû au fait que les coûts de
production sont divers pour le même produit. Chaque producteur
reçoit une différence entre le prix de vente qui est le même pour tous
et son coût de production qui n'est pas identique aux autres.
111
Dans son analyse de la rente différentielle, D. Ricardo
distingue plusieurs catégories de terre:
•
•
•
la première: bonne, où les coûts de production sont faibles pour une
certaine quantité;
la deuxième: moins bonne, avec des coûts de production plus élevés
pour une certaine quantité;
la troisième: encore moins bonne, avec des coûts de production
encore plus élevés.
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~
~-""""'--"""'----1~-=-'L....-_-----v--~Avec beaucoup de catégories de terre (p.ex. 2000), la ligne
brisée du coût de production devient une courbe régulière.
Si le propriétaire ne gagne pas un certain minimum, il
abandonnera ses champs pour travailler comme «ouvrier» (maind'œuvre) sur la terre des autres. Ce minimum pour que le propriétaire
n'abandonne pas la culture de sa terre est inclus dans les coûts de
production (il s'agit d'un «pseudo-salaire »s comme celui des
pêcheurs discuté plus haut). Si maintenant le prix est fixé à 42
Fcfa/kg par une demande de 35 kg sur le marché libre (premier
graphique), ou par un décret du gouvernement, alors le troisième
producteur reçoit juste assez de revenu pour ne pas abandonner ses
terres. Mais le premier producteur a des coûts de 12 FCFA/kg, y
compris le minimum de revenu pour qu'il continue à cultiver, reçoit
également 42 FCFA/kg. Le surplus de (42-12) = 30 Fcfa/kg est appelé
112
rente. La rente se calcule individuellement. Dans notre exemple, la
rente du premier propriétaire est égale à (42-12) Fcfa/kg x 10 kg =
300 Fcfa: la rente du deuxième propriétaire est égale à (42-24)
Fcfa/kg x 15 kg = 270 Fcfa; la rente du troisième propriétaire est
égale à o. Il faut toutefois. noter que le concept de la rente utilisé par
un économiste est indépendant de l'acte de louer la terre, et n'a rien à
voir avec la « rente viagère ».
Le même raisonnement peut s'appliquer en dehors du secteur
agricole. Par exemple, si l'industrie sidérurgique d'un pays comprend
plusieurs entreprises produisant l'acier avec divers coûts de
production, les entreprises les plus efficaces reçoivent une rente.
D'ailleurs les recherches économiques ont réactualisé la théorie de la
rente dans l'étude de phénomène comme la corruption. Selon les
théoriciens de l'École du Public Choice (BUCHANAN, TULLOCK,
TOLLISON), la demande de corruption est le fait des chasseurs de
rente.
11/ Les perspectives à long terme.
Le niveau du salaire réel perçu par ouvrier reste constant à
cause du mécanisme démographique décrit ci-dessus. L'ouvrier est
payé à peine plus qu'il faut pour survivre et reproduire sa famille. Le
« salaire réel» est le pouvoir d'achat du salaire nominal (le salaire en
argent). Quand le prix de la nourriture augmente, les entrepreneurs
sont obligés d'augmenter le salaire nominal pour que leurs ouvriers
ne meurent pas de faim. Le pouvoir d'achat du salaire demeure
constant.
Les profits gagnés par les entrepreneurs commencent par
s'accroître mais ensuite sont graduellement réduits à zéro. Les
entrepreneurs réinvestissent leurs profits dans des fabriques plus
importantes. La multiplication du nombre de fabriques, et
l'accroissement de la productivité dans chaque fabrique qui fait suite
à une division du travail plus poussée, augmentent dans un premier
temps la masse totale de profits qui reviennent aux entrepreneurs.
Mais l'accroissement de· la population .rendu possible par
l'accroissement de l'emploi dans les nouvelles fabriques implique une
demande accrue pour les produits alimentaires. Puisque le nombre
d'entrepreneurs plus le nombre de propriétaires fonciers est
négligeable par rapport au nombre d'ouvriers, la population et son
taux d'accroissement, sont essentiellement égaux au nombre
d'ouvriers et leur taux d'accroissement. La production d'une plus
grande masse d'aliments ne se fait qu'à un prix de vente plus élevé.
Les entrepreneurs sont forcés de payer un salaire nominal plus grand
à leurs ouvriers pour que ceux-ci puissent continuer à acheter leurs
moyens de subsistance, réduisant ainsi ce qui reste aux entrepreneurs.
113
comme profit. Finalement, la hausse du prix des salaires étrangle les
profits, mettant fin à l'investissement, l'accroissement de l'industrie,
l'accroissement du nombre de positions salariées, l'accroissement de
la population, l'accroissement du prix des produits alimentaires,
l'accroissement des rentes.
Encadré 6 : Réactualisation de la théorie de la recherche de rente.
Les systèmes administratifs de nombreux pays en développement se
caractérisent par diverses formes de clientélisme, de népotisme ou de
corruption. L'intervention de l'État offre, de par les emplois et les législations,
des possibilités de rente. Les individus et les groupes de pression seront
incités à investir des ressources pour rechercher des rentes et obtenir des
privilèges au lieu de rechercher à accroître la production. Les responsables
politiques offriront des rentes en échange de rémunérations monétaires et/ou
de soutien politique. Cette recherche de rente entraîne un gaspillage de
ressources et un facteur de violence politiaue pour s'approprier des rentes.
111/ RICARDO découvre le commerce international et
formule la loi de l'avantage comparatif.
Avec la « loi de l'avantage comparatif », RICARDO· veut
prouver que deux pays peuvent chacun tirer avantage du commerce
entre eux, même si un des pays peut fabriquer avec plus d'effectivité
tous les produits qui sont traités entre les deux. Cette loi est à la fois
très importante et fondée sur une analyse subtile. De ce fait, la théorie
ricardienne mérite et exige une longue explication. Pour faciliter la
démarche (quitte à la prolonger), nous aUons commencer par
l'analyse d'un cas plus évident que celui envisagé par Ricardo: les
conditions « d'avantage absolu ».
1 0) Le commerce sous des conditions d'avantage
absolu
Considérons deux pays, que l'on peut appeler « Sénégal» et
« France» ; dans chaque pays il n'y a que deux produits, que l'on peut
appeler « lait» et « arachides» .
Supposons qu'au Sénégal, chaque personne, si elle consacre
l'intégralité de son temps à l'élevage ou à cultiver son champ
d'arachide, puisse produire respectivement 1 litre de lait ou 3 kg
d'arachides (par jour, en moyenne pendant l'année). Ainsi si la moitié
de la population est composée d'éleveurs à plein temps et si l'autre
moitié est constituée d'agriculteurs à plein temps, alors la production
moyenne par personne par jour sera 0,5 litre de lait plus 1,5 kg
d'arachides.
114
a
c
1
a
Gmpbiquc 1
Sur le graphique 1, la quantité de lait est mesurée sur l'axe
vertical et la quantité d'arachides est mesurée sur l'axe horizontal. Le
point (a) représente la production moyenne si tout le monde ne
produit que du lait; le point (c) représente la production moyenne si
tout le temps est affecté à la production d'arachides, et le point (h),
avec les coordonnées (0,5 lait, 1,5 arachides) représente la production
moyenne si le temps de travail de la population est réparti également
entre l'élevage et l'agricujture.
115
Toutes les combinaisons de production possible par habitant
pour la population sénégalaise tombent sur la ligne « Possibilité de
production»
du graphique (2). En l'absence du commerce
international, les possibilités de consommation ouvertes aux
sénégalais sont égales aux possibilités de production puisque tout ce
qui est consommé au pays doit avoir été produit au pays.
Toujours en l'absence du commerce international, on peut
prouver qu'au Sénégal, le prix d'un litre de lait sera égal au prix de
trois kilogrammes d'arachides. Supposons maintenant qu'en France,
où les conditions climatiques sont différentes du Sénégal, chaque
personne puisse produire 2 litres de lait ou 1 kg d'arachides. Les
possibilités de production de la France sont montrées dans le
graphique (3).
En l'absence du commerce international, le prix en France de
2 litres de lait est égal au prix d'un kg d'arachides. On remarque que le
premier fermier français peut produire plus de lait par jour que son
confrère sénégalais (2 litres au lieu de 1) et que le fermier sénégalais
peut produire plus d'arachides que son confrère français (3 contre 1).
On dit que la France bénéficie d'un avantage absolu dans la
production de lait et que le Sénégal bénéficie d'un avantage absolu
dans la production d'arachides.
Dans ces conditions, les bénéfices du commerce international
sont clairs. Pour les rendre aussi clairs que possible, on suppose que
le coût du transport est négligeable comparé aux coûts des produits.
Le prix du commerce international doit se situer entre:
1 lait = 0,5 arachide et 1 lait = 3 arachides.
Si le commerce international se fait au prix de: 1 litre de lait = 2
kilogrammes d'arachides, les français sont satisfaits (de même que les
sénégalais) car d'une part ils peuvent obtenir autant de lait qu'avant,
en le produisant eux-mêmes et d'autre part ils peuvent obtenir plus
d'arachides qu'avant l'ouverture du commerce international, en
produisant du lait pour l'échanger contre des arachides sénégalaises.
C'est dire en définitive que les deux pays tirent des bénéfices
du commerce international entre eux. Ricardo veut prouver que les
deux pays tireront des bénéfices du commerce international, même si
un des pays peut fabriquer plus efficacement chacun des produits
échangés.
Changeons maintenant les hypothèses posées au paragraphe
précédent et envisageons le cas suivant:
Chaque citoyen peut produire par jour :
Français
2 litres de lait ou 4 kg d'arachides
Sénégalais
1 litre de lait ou 3 kg d'arachides
116
Lait
Possibilités (choix) de
consommation = production avant le
commerce international.
2
-----------------Possibilités (choix) de
consommation -:;:. production avant le
commerce international, avec 1 lait
s'échangeant contre 2,5 arachides
(,2
{
{
2
J
4
,
A1iiis
Il faut noter que sous les nouvelles hypothèses, les Français
peuvent produire plus de lait et plus d'arachides que les Sénégalais.
Les Sénégalais ne bénéficient d'avantage absolu dans la fabrication
d'aucun produit.
Le graphique ci-dessus montre les possibilités de production
dans les deux pays suivant ces hypothèses.
En l'absence du commerce international, les possibilités de
consommation sont égales aux possibilités de production. Au Sénégal,
1 litre de lait s'échange contre 3 kg d'arachides. En France, 2 litres de
lait s'échangent contre 4 kg d'arachides, soit 1 litre de lait contre 2 kg
d'arachides.
Peut-il y avoir du commerce international dans ces
conditions? (on suppose, comme avant, que le coût du transport est
négligeable).
La France serait prête à exporter du lait contre des arachides
importées du Sénégal, pourvu que 1 litre de lait s'échange contre plus
de 2 kg d'arachides. Le Sénégal voudrait bien exporter des arachides
contre du lait importé de la France, pourvu que 1 litre de lait
s'échange contre au moins 3 kg d'arachides. Donc il y aura commerce
international pour un prix d'échange entre:
1 lait = 2 arachides et 1 lait = 3 arachides
Si le prix d'échange international est: lait = 2,5 arachides
117
Au Sénégal, il est plus rentable de produire des arachides et de
les exporter contre du lait, que de produire du lait soi-même. Donc
tout le monde au Sénégal produira des arachides, soit pour les
manger, soit pour les échanger contre du lait français. Si les
Sénégalais échangent toutes leurs arachides contre du lait, ils
pourront consommer:
I,Olaif
1.
'd
3 arac h1 es x
== 1,2 aIt par personne par jour, et zéro
2.5arachides
arachides (puisque toutes les arachides sont exportées). Si les
Sénégalais mangent toute leur récolte, ils auront une quantité nulle de
lait et 3 arachides. Si les Sénégalais exportent la moitié de leurs
arachides, ils consomment 0,6 litres de lait et 1,5 kg d'arachides. Une
ligne brisée sur le graphique montre toutes les possibilités de
consommation offertes aux Sénégalais après l'établissement du
commerce internationale à un taux de 1 lait = 2,5 arachides. Les
Français ne produiront que du lait. S'ils consomment toute leur
production. ils auront une quantité de lait égale à 2 et une quantité
d'arachides égale à zéro: s'ils exportent toute leur production, leur
consommation de lait sera nulle et leur consommation d'arachides
sera égale à 5. Une ligne brisée sur le graphique montre toutes les
possibilités de consommation offertes aux Français après
l'établissement du commerce international.
Comme pour les conditions du paragraphe précédent, les
conclusions sont quasi identiques car les deux pays sont satisfaits. 11
faut noter seulement que la France retient un avantage absolu et dans
la production du lait et dans la production d'arachides. Mais au
Sénégal, la productivité d'arachides est 3 fois celle du lait et en
France, la productivité d'arachides est 2 fois celle du lait. On dit que le
Sénégal a un avantage comparatif dans la production d'arachides,
c'est-à-dire qu'il a une plus grande (productivité d'arachides
comparée à sa productivité de lait) au Sénégal que la productivité
d'arachides comparée à sa productivité de lait en France. De manière
similaire, au Sénégal, la productivité de lait est 0,33 fois celle
d'arachides et en France, la productivité de lait est 0,50 fois celle
d'arachides et la France a un avantage comparatif darts la production
de lait.
2°) Définition de la loi de l'avantage comparatif
Si dans deux pays les productivités relatives de deux produits
sont différents, c'est-à-dire si le rapport :
118
Productivité dans la fabrication du premier produit
Productivité dans la fabrication du deuxième produit
n'est pas le même dans ces deux pays, alors le commerce international
leur permettra de consommer d'avantage qu'ils n'auraient pu le faire
en l'absence de commerce international, et ils auront intérêt à
pratiquer celui-ci. Chaque pays exportera le produit pour lequel il
bénéficie d'un avantage comparatif. Cette loi est valable même si l'un
des pays bénéficie d'un avantage absolu dans la fabrication des deux
produits.
On n'a pas encore discuté la détermination du niveau exact du
prix d'échange international. Supposons que le Sénégal soit énorme et
que la France soit petite. Les Sénégalais voudront importer beaucoup
de lait de la France, peut-être plus que la production totale de la
France, tandis que les quelques Français ne voudront qu'une quantité
relativement petite de la récolte sénégalaise. Dans ces conditions, les
Sénégalais p~yeront cher pour obtenir le lait, et les termes de
l'échange seront près de la limite de 1 litre de lait = 3 kg d'arachides,
peut-être à 1 lait = 2,9998 arachides. Les Sénégalais ne retireront
qu'un très petit bénéfice du commerce international; les Français
gagneront près de l'avantage maximal possible. Maintenant,
supposons que la France soit grande et le Sénégal soit petit. Les
millions de Français voudront beaucoup d'arachides, les quelques
sénégalais voudront peu de lait; et le prix d'échange s'établira près de
la limite: 1 lait = 2 arachides, peut-être à 1 lait = 2,0001 arachides.
Les Français ne retireront qu'un très petit bénéfice du commerce; les
Sénégalais en retireront presque l'avantage maximal. C'est une
situation où il est avantageux d'être un petit pays.
En conclusion, le prix d'échange est déterminé par la grandeur
relative de la demande de chaque pays pour le produit de l'autre. Le
pays voulant acheter plus payera plus cher, mais en tout cas, le prix
d'échange ne dépassera pas les limites établies par les prix qui
auraient prévalu dans chaque pays en l'absence du commerce
international.
Finalement, on peut considérer les frais de transport (qui
jusqu'ici ont été supposés négligeables). La conclusion à retenir est
que le commerce international sera bénéficiaire aux deux pays,
pourvu que les prix de transport ne soient pas trop élevés. Supposons,
par exemple, que les coûts pour transporter 2,75 kg d'arachide du
Sénégal en France et 1,0 litre de lait de la France au Sénégal soient
égaux à 0,5 arachides. Il peut y avoir du commerce entre les deux
pays: les Sénégalais exportent 2,75 kg d'arachides, le transporteur
soustrait 0,5 kg comme commission et livre 2,25 kg aux Français en
échange d'un litre de lait, qu'il retourne aux Sénégalais.
119
•
•
•
Du point de vue du Sénégal, 1 lait s'échange contre 2,75
arachides.
Du point de vue de la France, 1 lait s'échange contre 2,25
arachides
Les autres 0,50 kg d'arachides servent à payer le transport (si
le transporteur veut boire, il est libre d'échanger ses arachides
contre du lait).
3°) Les hypothèses sous,-jacentes à la loi de l'avantage comparatif
La loi de l'avantage comparatif implique que chaque pays
devrait s'ouvrir au commerce international, en se spécialisant dans la
production des biens pour lesquels il retient un avantage comparatif,
et qui seront exportés en échange des importations. Néanmoins,
presque aucun pays ne suit entièrement une politique de libre
échange. Puisque la logique du modèle de Ricardo est correcte, la
plupart des justifications des politiques limitant la spécialisation et le
commerce international commencent par nier une des hypothèses
sous-jacentes à la loi.
L'analyse de D.RICARDO suppose que: les produits
s'échangent entre nations, mais pas la main d'œuvre, ni le capital; à
l'intérieur de chaque pays, il y a un libre mouvement des facteurs de
production (travailleurs, capital, terres) entre les différents secteurs
de l'économie.
.
Une prétendue absence de libre mouvement des travailleurs
est souvent avancée comme justification pour une politique de
protectionnisme contre les importations des produits concurrents des
vieilles industries nationales. Par exemple, on dit aux États-Unis: «
Les pays en voie de développement ont un avantage comparatif pour
les textiles, les EU pour les produits agricoles et pour la construction
des avions. Selon RICARDO, nous devrons importer les textiles, et
exporter plus de blé et d'avions. Mais nous savons que si nous
admettons des importations illimitées de textiles, nos fabriques en ce
domaine feraient faillite et leurs ouvriers, au lieu d'aller en campagne
comme agriculteurs ou en Californie pour construire des avions,
resteraient pour la plupart en chômage.»
Ricardo suppose que l'ouverture du pays au commerce
international ne causera pas de problèmes de répartition du revenu,
ou que les problèmes éventuels de répartition du revenu sont sans
intérêt, ou que ces problèmes peuvent être résolus sans difficultés.
Mais on peut démontrer (la preuve est compliquée et dépasse le cadre
de cet ouvrage) que les importations par les pays riches des produits
de pays pauvres tendent à égaliser le niveau du salaire entre pays
riche et pays pauvre; ce qui est un problème plein d'intérêt, et une
120
raison citée par les syndicats des pays riches pour limiter les
importations en provenance des pays pauvres. Parallèlement à la
réduction des salaires, il y aura des ouvriers mis en chômage dans les
entreprises qui font faillite à cause de la compétitivité des
importations.
L'analyse est « statique», pour un temps.
La loi de l'avantage comparatif peut impliquer, par exemple,
qu'à un moment donné, le Sénégal devrait se spécialiser dans la
production d'arachides pour l'exportation. Mais la loi ne prétend pas
que le Sénégal devrait éternellement exporter des arachides: les
conditions économiques changent et peuvent être modifiées par la
politique économique. Il demeure qu'un pays habitué à une économie
spécialisée dans les exportations d'un ou deux produits risque de se
spécialiser encore plus dans ces secteurs avec des dépenses publiques
pour des routes et des chemins de fer pour évacuer les produits
d'exportation, des instituts agronomes spécialisés dans les cultures
dominantes, etc. ; quand le pays aurait peut-être mieux fait à long
terme en investissant dans la diversification vers d'autres cultures ou
dans l'établissement de nouvelles industries, pour changer sa
spécialisation.
C'est dans ce cadre qu'intervient l'argument de « l'industrie
naissante» . Selon cet argument, pour établir une nouvelle branche
d'industrie dans un pays, il faut limiter les importations (par exemple,
en imposant de forts droits de douane) pendant un premier temps,
durant lequel les entrepreneurs du pays apprennent à bien mener leur
industrie. Dans un deuxième temps, après que les entrepreneurs
nationaux auront appris leur métier, le pays pourra exporter le
produit qu'il importait auparavant. Ceci est un argument qui dépend
du passage du temps (pour un argument « dynamique ») ; tandis que
la loi de RICARDO s'applique pour un moment donné (c'est une
analyse « statique »).
121
Chapitres
Analyse marxiste: accumulation productive,
baisse tendancielle du taux de profit et survie
du capitalisme
Les conditions en Angleterre représentent l'avenir d'autres
ici ....f des ] lois naturelles de la
pays. «Il .... s'agit
production capitaliste,
des tendances qui se manifestent et
se réalisent avec une nécessité de fer. Le pays le plus
développé industriellement ne fait que montrer à ceux qui le
suivent sur l'échelle industrielle l'image de leur propre
avenir ».
K.MARX45
« Le marxisme demeure d'actualité et il reste un instrument
indispensable bien que sur beaucoup de détails, ses analyses
se soient révélées critiquables ».
R. HEILBRONER4 6
Quel est l'intérêt d'étudier l'analyse marxiste du
développement au moment où le système du socialisme réel s'est
effondré, perdant sa compétition avec le capitalisme qui, aujourd'hui,
s'impose comme système mondial? Faut-il dire « Adieu )) à MARX ou
alors «À bientôt KARL)) comme l'écrit avec force de conviction J.
ZIGLER? Le marxisme est-il encore pertinent aujourd'hui?
Ces questions sont assez récurrentes, toutefois, elles n'ont pas
grande signification dans la mesure où le marxisme est et demeure
avant tout une théorie économique, politique et sociale qui permet
d'approcher la réalité fût-elle celle du sous-développement. Dans ce
sens, il a établi que «le pays industriellement le plus développé
montre au pays moins développé l'image de son propre
développement à venir )). Quant au caractère pertinent ou dépassé du
marxisme, un seul exemple, les classiques continuent d'inspirer des
visions et des approches économiques depuis le 19ème siècle et
pourtant, leurs analyses font partie du référentiel de la pensée du
développement: richesse des nations, division du travail, théories des
marchés libres, avantages comparatifs etc.
Globalement et depuis l'École Marginaliste (1870), jusqu'à la
synthèse néo-classique, les économistes de la pensée dominante ont
accordé peu d'intérêt à Marx et se refusent à l'admettre dans les rangs
45
46
K.MARX : Introduction à la première édition allemande du Capital.
Robert HEILBRONER : Marxisme pour ou contre
123
des « grands théoriciens» de la pensée économique. Ils se sont
toujours invariablement refusés à dialoguer avec les marxistes en
arguant leur faiblesse d'idéologisation excessive de leur analyse et non
réalisation des prédictions sur le capitalisme. Certes le capitalisme
évolue et se transforme radicalement pour surmonter ses
contradictions. Il est totalement naïf de croire que cette évolution
pose des problèmes théoriques dont toutes les réponses se trouvent
dans « Le Capital ». Scientifiquement, elles ne peuvent s'y trouver. La
validité actuelle de certaines thèses fondamentales du marxisme
compréhension et confrontation des analyses avec la réalité.
D'abord, Marx présente une approche de la révolution
industrielle dans une optique tout à fait différente de celle des
classiques pour qui le développement économique s'interprète en
termes de variations de la production, du capital, du salaire, des
profits et de la rente. MARX prend le contre-pied de toutes ces
conceptions et développe une analyse implacable du capitalisme et de
ses contradictions. Ensuite, les disciples de Marx continuent
d'apporter de nombreuses contributions pour une meilleure
compréhensi<;m des trajectoires du capitalisme contemporain, ses
diverses contradictions et ses issues. Enfin, le marxisme, de ce fait, se
présente comme la critique la plus imparable et la plus complète du
capitalisme contemporain et de son orientation néolibérale. Sous ce
rapport, il continue, malgré sa baisse d'influence politique, d'être un
courant de pensée, une référence dont se réclament des chercheurs et
des politiques à la recherche d'une alternative à l'unilatéralisme
capitaliste mondial. Toutes ces raisons font qu'il est capital de réaliser
une analyse exhaustive du marxisme pour mieux cerner ses divers
apports à la pensée sociale.
Section 1: Bref rappel des principales thèses de l'analyse
approfondie du stade capitaliste47
La préoccupation n'est pas de présenter une analyse
exhaustive de la Théorie marxiste du mode de production capitaliste
mais de procéder à quelques rappels de l'étape capitaliste en
Angleterre qui présente un triple intérêt pour l'économie du
Cette section est basée sur Le Capital de Karl Marx. L'ouvrage est en trois
livres dans la traduction française disponible aux Éditions sociales. Ces trois
livres comprennent huit tomes. Sauf avis contraire, les références ici sont à
cette édition. Dans le premier livre sont réunis les chapitres 4,5 de la
dernière (quatrième) édition allemande du Capital: donc il y a un décalage
dans la numérotation des chapitres entre les versions originales et sa
traduction française. Ces précisions sont données pour un repérage de nos
références: Marx, tout le monde en parle mais de rares auteurs l'ont lu
(excepté J. SCHUMPETER)
47
124
développement. En premier lieu, l'Angleterre préfigure l'avenir du
capitalisme mondial. Dès l'Introduction à la première édition
allemande du Capital, Marx observe qu' »Il s'agit ... ici ....[des] lois
naturelles de la production capitaliste,
des tendances qui se
manifestent et se réalisent avec une nécessité de fer. Le pays le plus
développé industriellement ne fait que montrer à ceux qui le suivent
sur l'échelle industrielle l'image de leur propre avenir ». En second
lieu, certains aspects de la théorie marxiste concernant les pays
capitalistes sont le point de départ des théories sur l'impérialisme, sur
le colonialisme même si les formalisations sont surtout dues aux
disciples (notamment LENINE, MAO). MARX et ENGELS ont écrit
peu sur l'impérialisme (par exemple, le chapitre du Capital intitulé
« La théorie moderne de la colonisation» n'a absolument rien à voir
avec les conditions d'un pays comme le Sénégal.
Il Les quatre conditions de base pour atteindre rétape
capitaliste: r« aliénation» des moyens de production.
En résumé, MARX dégage quatre conditions qui sous-tendent
la formation d'un mode de production capitaliste à savoir:
1) Les moyens de production sont « aliénés» dans le sens qu'ils
n'appartiennent plus aux ouvriers qui les emploient.
2) Les produits sont des «marchandises»t c'est-à-dire qu'ils
sont fabriqués pour être vendus, et non pour satisfaire les
besoins directs de leurs pmducteurs.
3) Le travail est une marchandise, qui peut être vendue et
achetée comme n'importe quelle autre marchandise.
4) Le capital est mobile entre les secteurs économiques
Sur la première condition, les moyens de production sont
aliénés» dans le sens qu'ils n'appartiennent plus aux ouvriers qui
les emploient. Dans le secteur agricole, les paysans sont expropriés de
leurs terres. La plupart des champs sont convertis en pâturage ou
même en réserves de chasse; le reste est organisé en grandes fermes
cultivées aVec la main-d'œuvre embauchée. Les grands propriétaires
remplacent les petits paysans cultivant leurs propres champs. Les
paysans expropriés deviennent les premiers prolétaires (ouvriers
n'ayant aucune autre ressource que leur force de travail). Pour cette
raison, l'expropriation des paysans marque le commencement du
stade capitaliste. Dans le secteur industriel, les machines deviennent
trop chères pour les ouvriers individuels. Même quand les usines
n'étaient pas motorisées et lorsque les machines étaient simples,
l'organisation d'une entreprise comme la fabrique d'épingles décrites
par Adam Smith dépassait le budget des ouvriers. Et par la suite, ce
type de fabrique a été remplacé par des usines avec des machines
«
125
beaucoup plus productives et plus chères. (MARX remarque qu'au
temps de SMITH, dix hommes travaillant ensemble pouvaient
fabriquer 48 000 épingles par jour, et une seule femme pouvait
surveiller quatre de ces machines). Donc l'artisan possédant ses
propres outils est remplacé par un ouvrier travaillant avec les
machines d'un patron capitaliste.
La seconde condition postule que dans un Mode de Production
Capitaliste, les produits sont des « marchandises », c'est-à-dire qu'ils
sont faits pour être vendus, et non pour remplir les besoins directs de
leur producteur. Par exemple, le patron de l'usine Bata ne fabrique
pas des milliers de souliers par jour avec l'intention de les porter luimême, par contre, une récolte faite par un paysan surtout pour
nourrir sa famille n'est pas une marchandise.
La troisième condition est que le travail est une il:archandise,
qui peut être vendue et achetée. Un ouvrier vend sa force de travail à
celui qui paye son salaire. Dans l'époque féodale, à cause des
restrictions des compagnies et des lois attachant un serf à son
seigneur, une personne n'avait pas cette possibilité de vendre sa force
de travail où il voulait.
La quatrième condition est relative au fait que le capital est
mobile entre les secteurs économiques: on est libre d'investir son
argent comme on veut.
Les conditions (2), (3) et (4) forment ensemble l'hypothèse du
marché libre; mais il faut noter la nuance entre la définition du même
concept chez SMITH et chez MARX.
11/ La réévaluation critique de la théorie de la valeur.
Une théorie de la valeur répond à la question, « quelle est la
valeur d'un produit (ou d'un service) ? ». La valeur de quelque chose
n'est pas nécessairement égale à son prix -après tout, on peut dire
que quelque chose se vend pour « plus que cela vaut» ou pour
« moins que cela vaut ».
De nos jours, la question de la théorie de la valeur est peu
étudiée par les économistes non-marxistes, qui d'ailleurs donnent une
réponse différente de celle de MARX. Mais le concept de la valeur
était un problème important pour les économistes dit « classiques»
(notamment SMITH et RICARDO). Et la théorie de la valeur est au
centre de l'analyse faite par MARX dans le Capital: on ne peut pas
comprendre le reste de cet ouvrage si on n'a pas compris sa théorie de
la valeur.
126
1°) La « théorie de la valeur travail» de MARX
MARX commence par se poser la question, comment des biens
et des services, des marchandises - de nature tout à fait différente l'or, le fer, les services d'un tailleur, etc. peuvent-ils s'échanger à
travers les mécanismes d'achat et de vente? On peut échanger
quelques grammes d'or (qui coûtent mille francs) contre bea\lcoup de
kilogrammes de fer (qui coûtent mille francs) et on peut échanger les
deux contre une certaine quantité, qui ne peut pas être pesée, 'des
services d'un tailleur (qui coûtent également mille francs). Ces trois
marchandises (or, fer, couture) doivent avoir quelque chose en
commun qui permet l'échange au même prix. La «chose en
commun» ne peut pas être la valeur subjective (que Marx appelle
«valeur d'usage») attachée à la marchandise par le client; car
l'appréciation d'un produit varie avec la personne. Par exemple, un
individu trouve la glace au café délicieuse, mais la glace à la pistache
dégoûtante; son frère adore la glace à la pistache mais pense que la
glace au café est nauséabonde; néanmoins, une glace à café se vend au
même prix qu'une glace à la pistache. L'air, qui a une grande valeur
pour tous ceux qui désirent respirer, est gratuit. Donc la « chose en
commun» ne peut pas être l'appréciation subjective, la valeur d'usage.
Pour MARX, la « chose en commun» aux marchandises qui
permet l'échange de diverses marchandises et qui détermine quelle
quantité de l'une s'échangera contre celle de l'autre, est que toutes
sont produites avec le travail humain. Dans ce sens, on définira la
« valeur d'échange» d'un produit ou d'un service comme la quantité
de travail nécessaire pour fabriquer ce produit ou ce service.
Il faut apporter quelques nuances à cette définition. En effet,
le même produit peut être fabriqué avec des différentes quantités de
travail dans des pays différents ou à des époques différentes,
dépendant du progrès technique, etc. Dans le même pays au même
temps, le même produit peut être fabriqué avec des quantités de
travail diverses: par exemple, un forgeron peut être plus ou moins
habile que la moyenne des forgerons. Dans la définition ci-dessus, par
«travail nécessaire », il faut comprendre la moyenne du travail
nécessaire à une époque déterminée dans un pays déterminé; Marx
appelle ce concept le « travail socialement nécessaire ».
Ensuite, il y a des travailleurs non-qualifiés et des travailleurs
qualifiés (ingénieurs, docteurs, mécaniciens, etc.). Les travailleurs
qualifiés sont plus productifs que les travailleurs sans qualification;
par conséquent ils sont mieux payés. Puisque la qualification d'un
travailleur est elle-même le produit du travail (le travail des
professeurs, le travail incorporé dans les bâtiments de l'école, etc.),
Marx appelle le travail qualifié par un entraînement le «travail
complexe» ; et il appelle le travail non-qualifié le « travail simple ». Si
127
un ingénieur est trois fois plus productif qu'un ouvrier non-qualifié,
on peut convertir ses heures de travail complexe en leur équivalent
d'heures de travail simple en multipliant par trois. Dans la définition
ci-dessus, par « quantité de travail, il faut comprendre le nombre total
d'heures de travail simple, après que les heures de travail complexe
aient été converties en leur équivalent d'heures de travail simple
(non-qualifié).
Enfin, si le produit est fabriqué non seulement avec du travail
direct, mais aussi avec des matières premières, la valeur du produit
final comprend le travail incorporé dans la production des matières
premières. Par exemple, la valeur d'un fer à cheval comprend non
seulement le travail du forgeron, mais aussi le travail qui a produit le
fer brut. Le travail incorporé dans les outils et les machines est traité
d'une façon similaire. Dans la définition ci-dessus, par « travail », il
faut comprendre le travail indirect (des ouvriers) plus le travail
indirect (incorporé dans les matières premières et dans les outils et
les machines).
Finalement, la définition de la valeur d'échange d'une
marchandise est le nombre d'heures de travail simple (ou leur
équivalent) direct et indirect, socialement nécessaire, en moyenne,
pour fabriquer la marchandise. En bref, la valeur d'échange d'une
marchandise est le nombre d'heures de travail de sa fabrication.
Quand Marx utilise le terme « valeur» sans autre spécification, il se
réfère à la valeur d'échange et non à la valeur d'usage.
L'essence même de la définition est très simple et facile à
comprendre, mais il faut l'appliquer de façon rigoureuse. La valeur
n'est pas la même chose que la quantité produite. Par exemple, si à
cause d'un développement de la productivité au cours de trente ans, le
PIB d'un pays double sans augmentation du nombre d'heures de
travail de sa population, la valeur du PIB n'a pas augmenté. Si la
quantité des produits et services fabriqués dans un pays double avec
une réduction du nombre d'heures de travail, la valeur du PIB a
diminué, en dépit de l'augmentation de sa masse.
2°) La première version de la détermination des prix
Marx donne deux explications différentes de la détermination
des prix. Celle-ci est utilisée dans tout le premier livre du Capital dans
tout le deuxième livre et dans la première section du troisième livre,
soit les premières 1.600 pages. (La deuxième explication des prix est
discutée dans ces notes à partir du §.1.3.2.12).
• Les marchandises s'échangent en proportion de leurs prix.
Si un gramme d'or coûte 1000 francs et un kilogramme de fer
coûte 50 francs, alors un gramme d'or s'échangera contre 20 kg de
128
fer. Les proportions des prix déterminent les proportions des
marchandises qui s'échangent.
Théorème sur la première version de la détermination des prix: les
marchandises s'échangent en proportion de leur valeur, c'est·à·dire que
le prix est proportionnel au nombre d'heures de travail incorporées dans
la marchandise.
Si un kg d'un produit A incorpore deux fois autant de travail
qu'un kg d'un produit B. le prix de A (par kg) sera deux fois le prix de
B (par kg).
Il faut noter qu'il existe une différence entre une définition et
un théorème. Une définition ne dépend que de son auteur. Un
théorème est une déclaration que l'on peut vérifier ou rejeter. Par
exemple, je peux définir la « salinité» d'une substance comme le
pourcentage du nombre de ses molécules qui ont la formule chimique
NaCI. Un autre peut définir la « salinité» d'une substance comme le
pourcentage de son poids composé de molécules NaCI. L'autre a le
droit à sa définition et moi j'ai le droit à la mienne. Mais si je prétends
que les prix des substances sont proportionnels à la salinité, j'avance
un théorème que l'on peut vérifier ou rejeter en observant les faits.
Marx donne une définition de la valeur et avance le théorème qui
affirme que les prix sont proportionnels aux valeurs ainsi définies
On a vu que le prix est (ou serait) proportionnel à la quantité
de travail nécessaire pour fabriquer la marchandise. Cela implique
qu'un produit incorporant deux fois autant de travail qu'un autre
aurait un prix deux fois plus grand; mais cela ne dit pas ce que sera ce
prix en termes de la devise nationale (livres sterling par exemple). Au
temps où écrivait Marx, les devises étaient basées sur l'étalon d'or: on
pouvait librement échanger des devises pour de l'or. Supposons
qu'une livre sterling s'échangeait pour 30 grammes d'or. L'or est une
marchandise. dont la production exige du travail pour l'extraire du sol
et la transporter en Angleterre. Supposons qu'une heure de travail
produit en moyenne 10 g d'or. Alors une livre sterling serait l'équivalent
de 3 heures de travail; un produit incorporant deux heures de travail
s'échangerait contre 20 g d'or =2/3 livre sterling, etc.
De nos jours, les devises nationales ne sont plus basées sur
l'or. L'État imprime des morceaux de papier qui s'échangent contre ...
d'autres morceaux de papier. Pour simplifier un processus
macroéconomique réellement compliqué, on peut dire que les prix
sont déterminés par la quantité de monnaie en circulation. Si dans
une économie il y a en circulation des morceaux de papier ayant un
total de 800 millions de «pesos» imprimés sur eux, s'échangeant
contre le produit de 2 millions d'heures de travail, alors chaque heure
de travail serait l'équivalent de 400 pesos.
129
L'origine des profits et la décomposition de la valeur d'un
produit48
Pourquoi y a-t-il une augmentation du PŒ/habitant dans un
pays? À cause d'une augmentation de machines, de bâtiments
d'usine, de matières premières, .. , en bref, une augmentation des
moyens de production, L'accumulation des moyens de production
implique qu'il y ait un investissement pour les acheter. D'où
proviennent les fonds pour cet investissement? Des profits, répond
Marx. D'où proviennent les profits?
Le profit au niveau global de la société ne peut être généré que
par l'achat à bon marché et la revènte à prix cher, dit Marx, parce que
pour chaque veinard qui achète une marchandise à bas prix, il y a un
malchanceux qui lui a vendu la marchandise à bas prix, et pour
chaque personne bienheureuse qui réussit à vendre chère, il y a un
client malheureux qui a dû acheter cher, de sorte que les gains des uns
sont compensés par les pertes des autres. En moyenne, les
marchandises doivent se vendre à leur valeur.
Pour découvrir l'origine des profits, il faut analyser plus
profondément la détermination de la valeur d'un produit. L'industrietype (selon les termes de Marx) était une filature de coton; prenons
donc une filature comme exemple concret. La valeur de son produit
(fil de coton) est égale aux heures de travail incorporées dans la
production du fil : valeur du produit = travail total,
La valeur attribuée aux machines dépend de leur usure.
Supposons qu'une machine à filer produit 100 kilomètres de fil avant
d'être complètement usée, et que la fabrication de la machine prend
200 heures. Dans ces conditions, on attribue 0,002 heures de travail
(= 200 heures/ 100.000 mètres) par mètre de fil, au compte d'usure
de la machine à filer. Les matières pour le fil comprennent non
seulement le coton, mais aussi le charbon pour alimenter le moteur à
vapeur qui fait tourner la machine à filer. etc.
Puisque par hypothèse le prix de toute marchandise est égal à
sa valeur, le coût du capital investi en machines et matières premières
est égal à la valeur incorporé dans ces choses: cette valeur est
transmise intégralement au produit fabriqué. Puisque le capital
investi en travail indirect ne crée pas de nouvelle valeur, mais
seulement une transformation de la forme d'une quantité constante
de valeur, Marx appelle en conséquence « capital constant» l'argent
que le patron d'une fabrique investit en machines et en matières
premières. La valeur ajoutée provient du travail direct.
F.R. MAHIEU, J.CARTELIER, C.BENETI'I, S de BRUNOFF: Marx et
"Économie politique: Essais sur les « Théories sur la plus-value », Presses
Universitaires de Grenoble, F. Maspéro 1977
4H
130
Donc on a:
Valeur du produit = valeur du capital constant + travail direct.
Quelle est la valeur du travail des ouvriers de la fabrique, le
direct» ? Posée de cette manière, dit Marx, la question est
absurde: par définition, la valeur d'une heure de travail est une heure
de travail (c'est comme demander le prix d'un franc: par définition le
prix d'un franc est un franc). Mais on peut demander: quelle est la
valeur du salaire payé aux ouvriers? Les ouvriers dépensent leur
salaire pour acheter de la nourriture, des vêtements, etc. et la valeur
de la nourriture, du vêtement, etc. peut être mesurée par le nombre
d'heures de travail nécessaire pour produire ces biens. Suivant un
raisonnement que nous verrons plus tard, la théorie marxiste aboutit
à la conclusion que le salaire plane au niveau minimal de subsistance
pour l'ouvrier et sa famille. Dans la mesure où le salaire est juste
suffisant pour payer la « production» démographique des salariés,
l'ouvrier est payé à sa valeur. En considérant que la valeur des
produits que l'on peut acheter avec le salaire journalier est égale à
cinq heures, rien ne dit que les ouvriers vont travailler 5 heures par
jour pour recevoir ce salaire. La journée de travail à l'usine peut
durer, par exemple 11 heures. Les ouvriers n'ont pas le choix: ne
possédant eux-mêmes pas de moyen de ptoduction, ils doivent
travailler aux conditions imposées par les capitalistes pour ne pas
mourir de faim. Donc (suivant notre exemple), un capitaliste qui
investit l'équivalent monétaire de cinq heures de travail pour payer
des salaires, reçoit 11 heures de travail d'un ouvrier. Le capital investi
en salaires, en travail direct, produit plus de valeur qu'il ne coûte.
Pour cette raison, Marx appelle « capital variable» le capital investi
en salaires. La différence entre la valeur du salaire et le nombre
d'heures de travail acheté avec ce salaire est appelée « plus-value».
Dans notre exemple, la plus-value est égale à (11 heures- 5 heures) = 6
heuI'es de travail.
Donc on a finalement: valeur du produit = capital constant +
capital variable + plus-value.
Marx distingue entre la « valeur du travail », qui est une
tautologie (une heure de travail vaut une heure de tr~ail) et la
« valeur de la force de travail », qui est ce que nous avons appelé la
valeur de salaire. On notera que dans le schéma aléatoire ici présenté,
toutes les marchandises, y compris la force de travail des ouvriers, se
vendent à leur valeur; néanmoins la plus-value génère un profit.
Nous sommes en mesure de donner quelques définitions.
Il y a une « exploitation» de la classe ouvrière parce qu'une
partie de son produit (la plus-value) est reçue par les membres d'une
autre classe, la bourgeoisie, qui, elle, ne travaille pas.
.
« travail
131
Le «taux d'exploitation», aussi appelé «le taux de plus-value»,
est le suivant, dans notre exemple: 6 heures/s heures = 120%).
Les heures correspondant au salaire, au capital variable,
peuvent aussi être appelées le «travail payé»; et les heures
correspondant au reste de la journée de travail, à la plus-value,
peuvent être appelées « le travail non-payé ». Un capitaliste voulant
faire un profit doit nécessairement garder ses ouvriers dans la
fabrique au moins aussi longtemps que la valeur de leur salaire; audelà de ces heures, il gagne un surplus: donc «heure de travail
nécessaire» est un synonyme pour «travail payé» et «heures de
surtravail» est un synonyme pour «travail non-payé ». Ne pas
confondre «travail nécessaire» (V) avec «travail socialement
nécessaire (C + V + Pl en moyenne pour toute l'industrie).
En bref: taux d'exploitation
= taux de plus-value=
P1
plus-value
v
capital variable
travail non-payé
travail payé
surtravail
travail nécessaire
Il faut bien noter que le taux de plus-value n'est pas le même
que le taux de profit. Le taux de profit sera défini rigoureusement
dans les développements antérieurs.
Les économistes classiques, y compris SMITH et RICARDO,
avaient élaboré la théorie de la valeur travail avant Marx. Eux aussi
pensaient que la valeur d'un produit est, en dernière instance, le
travail humain direct et indirect qui l'a créé. La contribution originale
de Marx, là où il approfondit l'analyse de ses prédécesseurs, est le
concept de la plus-value.
3°) La répartition de la plus-value
Au moment où un produit est fabriqué, le capitaliste industriel
a la mainmise sur un produit ayant une certaine valeur (20 heures,
par exemple), qui lui a coûté une certaine somme pour usure des
machines, matières premières et salaires (16 heures, par exemple). Si
le capitaliste industriel vend son produit directement au grand public
pour sa valeur, et s'il ne paie pas d'impôts, il garde tous les profits
(qui seront l'équivalent d'une plus-value de 4 heures selon notre
exemple). Mais normalement, un capitaliste industriel n'a pas
l'organisation pour faire écouler toute sa production au public. Donc
il vend le produit pour moins que l'équivalent monétaire de 20 heures
à un grossiste. La perte de l'industriel dans ce cas peut être comparée
132
à la situation où il vend directement au public pour l'équivalent de 20
heures. Cette perte est exactement compensée par le gain du grossiste
qui achète pour moins que 20 heures. Le commerçant en gros vend
(pour moins que 20) au commerçant de détail, qui vend au public
pour 20. Ainsi, les quatre heures de plus-value ont été partagées entre
le capitaliste industriel, le commerçant en gros, et le commerçant en
détail. Si l'État prélève des impôts, il prend aussi une partie des 4
heures de plus-value. En bref, une fois le produit fabriqué, sa valeur
ne change pas par suite de changements de possesseurs: les
vendeurs, les revendeurs et les re-revendeurs ne font que partager
entre eux la plus-value provenant de la fabrication. Chaque capitaliste
réinvestit une partie de son revenu net après paiement des impôts et il
dépense le reste pour la consommation de services et des biens de
luxe.
4°) Analyse des effets d'un accroissement de la productivité
du travail.
En considérant que dans l'industrie de dentelle, on fabrique
mètres de dentelle en utilisant une journée de travail de 10 heures
(payée avec un salaire qui s'échange contre des biens de
consommation ayant une valeur de 5 heures), plus des matières
premières valant 10 heures, plus des machines dont l'usure par jour
est l'équivalent de 10 heures de travail; en conséquence la valeur de la
dentelle sera (10 + 10 + 10) = 30 heures, soit 1 heure par mètre. Si 90
francs sont l'équivalent monétaire de chaque heure de travail
incorporée dans la production d'une marchandise, alors les 30 mètres
de dentelle se vendront pour (30 mètres) x (lheure/mètre) x (90
francs/heure) = 2700 F. Les coûts de production seront 10 x 90 F
(pour l'usure des machines) plus 10 x 90 F (pour les matières
premières) plus 5 x 90 F (pour les salaires), soit 900 + 900 + 450 =
2250 F. les profits seront: 2700 (ventes) moins 2250 (dépenses), soit
2700· - 2250 = 450 F. Les 450 F des profits sont l'équivalent de
450/90 = 5 heures de plus-value. En présumant qu'un entrepreneur
découvre une nouvelle méthode de fabrication, avec le même nombre
d'ouvriers qu'avant, il augmente la production de 20% qui passe de 30
à 36 mètres. Il faut augmenter la quantité de matières premières de
20% (la valeur de matières premières passe de 10 à 12 heures), mais la
nouvelle maèhine ne coûte pas plus que l'ancienne. Dans un premier
temps, quand toutes les autres usines utilisent encore l'ancienne
méthode, l'entrepicneur peut vendre sa dentelle à l'ancien prix de 90
F le mètre. En effet, puisque la valeur d'un produit est le nombre
d'heures de travail en moyenne socialement nécessaires pour sa
production, et puisque l'industrie de dentelle continue pour le
moment d'utiliser l'ancienne méthode de production en moyenne, 1
30
133
mètre de dentelle vaut encore 1 heure de travail (et 36 mètres valent
36 heures). Ne voyant pas pourquoi il devrait faire des cadeaux aux
clients, l'entrepreneur qui innove vend ses 36 mètres pour 36 x 90 F =
3240 F. Ses dépenses sont (10 + 12 + 5 hures) x 90 F/heure = 27 x 90
F = 2450 F. il retire donc un profit de 3240 - 2430 = 810 F. il faut
noter que puisque le salaire vaut toujours 5 heures (comme dans
toute autre usine) et la longueur de la journée de travail reste fixée à
10 heures (comme dans toute autre usine), en conséquence le
montant de la plus-value reste inchangée à 10- 5 = 5 heures. Il est
évident que cette situation ne peut pas continuer. Tous les autres
patrons de l'industrie de dentelle, voyant que leur collègue innovateur
gagne 810 F où ils gagnent 450 F, vont se procurer la nouvelle
machine. Ils vont essayer d'écouler autant de dentelle que possible, en
vue de gros profits; la concurrence entre eux va mener à une
réduction du prix. Le prix ne cessera de diminuer que quand la
dentelle se vendra à sa nouvelle valeur. Quelle est cette valeur? Sous
les nouvelles conditions de production, 36 mètres de produit valent
32 heures de travail, donc chaque mètre vaut 32/36 d'heures. Le prix
équivalent est (32/36) x 90 F = 80 F; les coûts sont (27 heures) x
(90F/heures) = 2430 F ; les profits retombent à 2880 - 2430 = 450 F.
En conclusion, une augmentation de la productivité donne des
surprofits temporaires aux premières firmes qui adoptent la nouvelle
méthode. Mais après que toutes les firmes dans l'industrie auront
adopté la nouvelle méthode, la concurrence parmi elles réduira le prix
du produit jusqu'à l'équivalent monétaire de la nouvelle valeur du
produit. (La valeur par unité .du produit est réduite parce que
l'augmentation de la productivité a réduit le montant de travail
incorporé dans chaque unité de produit). Une fois que la marchandise
se vend à sa valeur, la valeur des profits est exactement égale à la
valeur de la plus-value; et en supposant que la valeur du salaire et la
longueur de la journée de travail restent inchangées, la quantité de la
plus-value est constante. Donc une augmentation de la productivité,
ceteris paribus, n'augmente pas le montant des profits (abstraction
faite des surprofits temporaires)
Section 2: Le marxisme comme première pensée critique
de l'économie politique de l'École Classique.
La deuxième moitié du 19ème siècle était un âge d'or de la
science, avec des découvertes fondamentales dans la physique, dans
les sciences naturelles, etc. C'est sans doute ce qui explique que Marx
se proposait d'écrire une théorie scientifique de l'évolution des
sociétés humaines avec des analogies assez évidentes avec les travaux
de Charles Darwin sur l'évolution des espèces animales et de l'espèce
humaine (publiés en 1859). En effet à cette époque trois hypothèses
134
caractérisaient la philosophie de la science: d'abord l'existence de lois
logiques qui peuvent être découvertes, ensuite" ces lois s'appliquent
en tout temps et en tout lieu et enfin leur· applicationperniet la
prévision des· événements futurs. Toutes ces caractéristiques se
retrouvent dans l'œuvre de Marx.
Le. point de départ de Marx est l'évaluation critique de la
pensée économique de l'École Classique Anglaise. A.SMITH et
D.RICARDO ont élaboré la théorie de la valeur travail selon laquelle
la valeur des marchandises vient du travail humain· socialement mis
pour leur fabrication. C'est cette théorie que reprend et précise MARX
et de laquelle il tracte notamment la théorie de la plus-value qui fut la
première explication. scientifique de l'exploitation des travailleurs.
Pour A. Smith .et D. Ricardo comme pour Marx, lathéorie de la ,valeur
(couplée avec la théorie de la plus-value) constitue l'approche à partir
de laquelle' il était possible de comprendre à la fois la répartition dp
revenu national et la croissance du capitalisme.
,
MARx commence par observer que RICARDO a découvert
l'une des lois essentielles du développement de la société capitaliste:
laloi tendancielle de la baisse du taux de profit,' mais il l'explique par
l'augmentation de la valeur des produits agricoles découlant de la
prétendue loi de la population de MALTHUS: les produits tendent
naturellement· à baisser parce que, dans le procès de production, .le
surcroît· ·de subsistances' .nécessaires ..exige un travail, toujours
croissant. MARX observe à· ée propos « les. économistes, qui,comme
RICARDO, considèrent la production capitaliste comme une forme
définitive, constatent qu'elle 'se crée elle-même ses limites et
attribuent cette conséquence, non· pas à laproduetion mais à la
nature; dans la théorie de la rente». Il démontre alors que la baisse
tendancielle du taux de profit ne découle pas .de circonstances
accidentelles étrangères au régime capitaliste mais au contraire, elle
est l'essence même de ce régime qui implique l'accroissement du
capital constant et la diminution relative du capital variable. C'est
cette découverte qui établit clairement que le capitalisme contient en
lui.,.même la loi qui l'achemine vers sa destruction~ .Dans cette
direction, MARX écrit que « ce qui inquiète RICARDO, c'est que le
taux du profit; stimulant de la production eL de l'accumulation
capitaliste, soit menacé par' le développement même de la
production ». Dès lors, le capitalisme apparaît comme une forme, non
pas absolue et définitive, maisrelative et transitoire;
Enfin, la dernière erreur de RICARDO est selon MARX qu'il
n'a pas pu rendre compte du phénomène des crises capitalistes.
Celles-ci ont pourtant jalonné la marche' du système à cette époque.
Ces crises ont eu lieu, en Grande Bretagne pendant les années 1815,
1825, 1840 (profonde), 1863, 1873 (crise de très longue durée),1890,
1913,1920 et 1933 (extrêmement ample et profonde). Chaque crise a
135
duré plusieurs années. Elles revêtent, de plus en plus, une sévérité
croissante. Elles ne procèdent plus, désormais, des mauvaises
conditions climatiques mais proviennent exclusivement des actions
humaines qui créent une situation où il y a à la fois le chômage des
hommes et des machines (inutilisées) ainsi que la mévente de la
production (crise de surproduction dont J .B. SAY disait qu'elle était
impossible). En somme, pour Marx l'erreur de RICARDO est de
n'avoir jamais pu rendre compte du phénomène des crises
capitalistes. En effet, RICARDO admet à la fois que le profit apparaît
simultanément comme condition et comme impulsion pour
l'accumulation et que la production capitaliste vise à satisfaire les
besoins. Dès lors, se pose la question de savoir si la production
capitaliste a pour moteur le profit ou les, besoins? RICARDO utilise
les deux explications pour défendre le développement illimité de la
production capitaliste. Les contradictions profondes du régime vont
complètement lui échapper. En conséquence, l'économie politique
classique va s'avérer impuissante à rendre compte des crises
inhérentes au système capitaliste.
Ces limites de l'analyse ricardienne, vont amener MARX à
procéder à un renversement qui permettra de mieux comprendre le
fonctionnement du mode de production capitaliste et de saisir toutes
ses contradictions internes. Ce renversement comporte trois moments
théoriques essentiels: d'abord, l'application du matérialisme
historique à la solution des problèmes de l'Économie politique qui va
permettre de découvrir le caractère transitoire et relatif de MPC;
ensuite, l'analyse de l'aliénation du travail et du fétichisme de la
marchandise, ce qui permet de découvrir, au-delà de l'apparence de la
circulation des choses, la réalité des rapports sociaux de production et
enfin, la découverte du caractère contradictoire de ces rapports.
Le modèle de développement marxiste devient transparent à
travers l'analyse du processus de réalisation des présupposés du
capital. Prenons l'exemple du salaire réel de la main-d'œuvre
industrielle, notamment leur ravalement au niveau de subsistance.
Sur la question, on observe un glissement entre les idées de Smith,
Ricardo et Marx. A. Smith, optimiste, estimait que le taux
d'accroissement de la productivité pouvait être maintenu au-delà du
taux d'accroissement de la population pendant une longue période
(peut-être des siècles), en fournissant un niveau de vie croissant aux
ouvriers. Alors que Ricardo, en pessimiste, pensait que dans quelques
décennies, l'accroissement de la population plus rapide que
l'accroissement de la production alimentaire mettrait fin à toute
croissance du salaire réel. Marx aboutit à la même conclusion que le
salaire réel n'augmenterait pas, mais pour une raison différente: le
chômage chronique causé par la mécanisation du travail, plutôt que le
manque d'aliments, empêcherait la hausse des salaires réels.
136
Section 3 : Les modèles marxistes de développement.
Le concept de départ pour une analyse des modèles de
développement est l'accumulation primitive que MARX étudie pour
dégager les conditions de l'apparition du capitalisme comme rapport
de production.
Il Le concept d'accumulation primitive fondement de la
transition vers le capitalisme.
Dans la huitième section du livre du capital, MARX présente
simultanément le concept « d'accumulation primitive» qui recouvre
tout processus historique de réalisation des présupposés du capital et
une forme historique déterminée de réalisation de ces présupposés du
capital.
1 0)
L'analyse des présupposés du capital
Le capital est un rapport de production, et comme tel, il est le
produit d'un procès de production capitaliste. Donc, les présupposés
du capital sont les présupposés du procès de production qui suppose:
l'achat de la force de travail, la prise de possession des moyens de
production, une circulation étendue des marchandises pour que le
travailleur vende sa force de travail; il faut qu'il puisse en disposer à
son gré, il doit être un travailleur libre. Mais il doit aussi être obligé de
vendre sa force de travail pour subsister. Au total, il doit être séparé
de ses moyens de production. Il doit être libre de tout rapport social
lui permettant de subsister.
Pour que naisse le rapport de production capitaliste, il faut
aussi que le travailleur trouve un marché, un acheteur pour sa
marchandise. Le capital ne peut exploiter le travailleur s'il ne dispose
pas des moyens de production à mettre à sa disposition.
Enfin, le dernier présupposé du capital postule l'unité du
procès de production et de circulation. Pour que le travailleur puisse
utiliser son salaire à acheter les marchandises nécessaires à sa
subsistance, il faut que la circulation se soit emparée d'une certaine
quantité de produits.
2°) L'accumulation primitive comme concept d'une transition
vers le capitalisme.
La question se pose de savoir comment on doit analyser un
processus d'accumulation primitive, c'est-à-dire réaliser des
présupposés du capital. Nous posons que l'accumulation primitive est
137
le concept d'une transition vers le capitalisme. Elle est le concept des
processus historiques et sociaux qui assurent le passage d'une forme
non capitaliste vers le capitalisme. Schématiquement, ces processus
peuvent être représentatifs d'un développement capitaliste qui
s'effectue comme suit :
Forme non capitaliste
(Sous-développement)
Forme capitaliste
- - - - - - - - . . Dissolution
~
. . . f - - - - - - - - - - Combinaison
Pour la dissolution, on peut observer que comprendre la
genèse du capital, c'est comprendre le processus de dissolution des.
formes antérieures. Cette compréhension nécessite l'analyse des
contradictions de ces formes. Ce sont les contradictions d'une forme
économique qui déterminent sa dissolution et la possibilité
d'émergence du capital.
Pour ce qui est de la combinaison, c'est un processus de mise en
relation des éléments issus de la dissolution et il constitue le
commencement de fonctionnement du mode capitaliste de production.
La phase de destruction des formes économiques antérieures
me siècle. En Europe, et seulement pour les pays
débute depuis le
non européens intégrés au système mondial, l'extension des échanges
internationaux s'est traduite par une décomposition de leurs formes
économiques sans que cette décomposition soit suivie d'une extension
importante du capitalisme~ Ce phénomène historique constitue le
facteur initial de la formation de structures sous-développées.
Par ce biais, on explique la formation du sous-développement.
Ainsi, le dualisme rural constitue un effet de surface d'une
accumulation primitive avortée.
Les politiques d'instauration des présupposés du capital
émanent de l'avènement d'un capitalisme réel, c'est-à-dire un mode
de production où le capital investit le procès de production et le
procès de travail.
l-r
138
JlI Altemative socialiste ou voie non capitaliste du développement
La richesse de l'analyse marxiste réside dans le fait qu'elle
autorise l'approche d'un modèle alternatif au capitalisme.
 ce niveau de l'analyse, la démarche est de réunir les
éléments épars en vue de dégager les lignes directives d'une théorie de
la transition vers le socialisme dans des formations caractérisées par
un faible niveau des forces productives et une situation de domination
extérieure.
.
Observons que MARX et ENGELS se sont toujours défendus
d'être les tenants d'un dogme figé et sans vie, ni de schémas rigides et
définitifs qui auraient le pouvoir magique d'expliquer toute la réalité
objective dans toute sa complexité. C'est une méprise que d'avoir une
telle opinion de leurs travaux. Hommes de sciences, ils étaient plus
soucieux de pénétrer le réel pour en extraire les éléments qui peuvent
fonder une praxis sociale49 • Dans la problématique de la transition, la
doctrine ne pouvait être achevée car cela signifierait que MARX et
ENGELS pourraient devancer «le rythme historique réel des
masses »50. En conséquence, ils n'ont fait que ce qui était possible de
faire; poser* les pierres angulaires et le cadre méthode. Jique pour
appréhender assez correctement le projet socialiste· et les diverses
voies qui pourraient y mener.
De fait, les directions analytiques sont ainsi nettement
spécifiées. 11 s'agit en premier lieu de s'interroger sur la signification
exacte du socialisme. Cette interrogation en évitant de piétiner sur les
mots doit avancer dans les idées vers la découvert.e des principes
fondamentaux totalement dépouillés des mythet; et de
l'obscurantisme introduits par la propagande et le dogmatisme. Ce
n'est que par cette approche que l'on peut mettre en lumière les lois
universelles du socialisme les plus diverses. Il s'agit en second lieu, de
formuler les voies de passage entendues comme les préalables à
réunir pour créer tel ou tel état socialiste. Ces préalables relèvent
aussi bien de la conjoncture interne que de .la situation externe.
49 MARX rappelle dans «L'idéologie allemande» (. Sociales, 1965) qu'à
l'encontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la terre, c'est
de la terre au ciel que l'on monte ici ou par des hommes dans leur activité
réelle, et c'est à partir de leur processus de vie réel que l'on représente aussi
le développement des reflets et des échos idéologiques de processus vital.
50 Perry ANDERSON: Sur le marxisme occidental, Petite Collect. F.
MASPÉRO, p. 13, LENINE (œuvres complètes, t. IV) affirme plus nettement
encore que nous ne tenons nullement la doctrine de MARX pour quelque
chose d'achevé ... nous sommes persuadés qu'elle a seulement posé les
pierres angulaires de la science que les socialistes doivent faire progresser
dans toutes les directions s'ils ne veulent pas retarder sOI' la vie.
139
Postulée en ces termes non occultes, la transition ne laisse
transparaître aucune voie royale vers le socialisme.
a) Les fondements du socialisme
Les idées socialistes remontent très loin dans l'histoire de
l'humanité, depuis la République de Platon jusqu'aux ébauches de
sociétés communistes de Thomas MORE et Giovanni CAMPANELA.
En effet, à partir d'une critique de. l'ordre social, ces auteurs
vont s'attacher à imaginer de nouvelles formes d'organisation sociale
plus justes et plus harmonieuses pour une suppression radicale de
toutes les formes d'inégalités. MORE et CAMPANELA font un effort
de développement systémàtique de ces nouvelles cités humaines. Le
premier imagine une île qui porte l'idéal communiste où le travail de
chacun contribue à l'épanouissement de l'ensemble de la collectivité.
Le gouvernement, dans cet ordre social, aura à assurer une double
tâche: diriger la production économique et organiser une répartition
égalitaire du produit social. Dans le même ordre d'idées, Giovanni
CAMPANELA développe la nécessité de construire une société fondée
sur l'amQur et qui devra vaincre toutes les formes de division et
d'opposition pour arriver à une harmonie universelle excluant toute
inégalité sociale51 •
Ces idées de socialisation de la vie ont pour finalité la création
de rapports sociaux plus harmonieux lesquels excluent toute
propriété privée. Elles joueront, comme le note Henri DENIS, un rôle
décisif à partir du 18ème siècle dans la formation des grandes doctrines
socialistes.
C'est surtout au 19ème siècle, avec la généralisation et
l'approfondissement des rapports de production capitalistes que les
systèmes socialistes des « grands utopistes» apparaissent. La France
et l'Angleterre seront les pays d'élaboration de ces systèmes de
pensée. L'Angleterre était un champ de réflexion car dans le pays se
forme la première grande industrie qui selon F. ENGELS « développe
d'une part les conflits qui font d'un bouleversement du mode de
production une nécessite inéluctable et d'autre part, elle seule
développe dans ces gigantesques forces productives elles-mêmes, les
moyens de résoudre aussi ces conflits »5 2 • La France présentera
d'autres traits permettant l'apparition d'idées socialistes. Dès la fin du
18ème siècle jusqu'au milieu du 19ème siècle, elle connaît, selon Georges
GOGNIOT, une vie orageuse, saturée de mouvements politiques et
51
H. DENIS: Histoire de la pensée économique. Collection «Théruis», pp.
79-120.
F. ENGELS: Socialisme utopique et socialisme scientifique, p.
MARX et F. ENGELS, Œuvres choisies. Éditions. du Progrès.
52
140
126.
in K.
sociaux, d'évènements et d'idées53. Elle propagera, comme l'observe
LENINE, par toute l'Europe les idées du socialisme.
Ce courant du socialisme prémarxiste de Saint-Simon (17701825) à R. OWEN (1771-1858) en passant par C. FOURIER (17721837) remet en question toutes les formes d'exploitation et propose
un nouvel ordre économique et social ayant pour but d'affranchir les
travailleurs de la tutelle du capital. Ces changements radicaux seront
le fait des savants et des techniciens. Dans cette ligne de pensée,
Saint-Simon pense qu'il revient aux philosophes et aux techniciens de
concevoir un système d'organisation sociale meilleur et d'inciter les
gouvernements à le mettre en application. Cette organisation sociale
doit être absolument débarrassée de tous les maux comme
l'ignorance, le parasitisme et la misère. En plus, la direction des
hommes doit y faire place à l'administration des choses; ce qui
annonce le dépérissement de l'État que MARX reprendra. Quant à
l'industrie, elle doit s'organiser en dehors des interventions
maladroites des pouvoirs publics. Sur ce point, Saint-Simon sera
vivement critiqué par MARX qui défendra plutôt la socialisation des
moyens de production. Cette idée est fortement présente dans les
analyses de FOURNIER pour qui l'harmonie universelle ne peut être
atteinte que si la société arrive à exclure l'appropriation privée, à
supprimer toute exploitation de l'homme par l'homme, donc à réaliser
profondément une totale socialisation de la vie économique et sociale.
Au total, ce courant prémarxiste avait perçu, parfois avec beaucoup de
clairvoyance, les tares du système socioéconomique et l'opportunité
d'opérer la création de nouvelles sociétés qui corrigent toutes les
inégalités et les injustices. Selon tous ces auteurs, les transformations
décisives des édifices sociaux doivent être conçues par les intellectuels
et les techniciens et réalisées par les masses populaires.
Ces analyses ont été sévèrement critiquées par MARX et
ENGELS. Ces critiques se situent à trois (03) niveaux :
• En premier lieu, il est reproché aux socialistes prémarxistes de
n'avoir pas s.aisi le rôle politique du prolétariat dans la lutte
pour la liquidation du capital. Pourtant, ces auteurs ne
pouvaient pas sérieusement appréhender ce rôle fondamental
du prolétariat car les conflits issus de l'ordre capitaliste
n'étaient qu'en devenir. Dans ces conditions, comme le
reconnaît F. ENGELS, le prolétariat était absolument
incapable d'avoir une action politique indépendante.
53 G. COGNIOT: le socialisme utopique de Saint-Simon et FOURIER, le
socialisme petit bourgeois de Proudhon, les cahiers du CERM, n° 3, 1963.
141
•
•
En second lieu, le nouveau système social proposé est sorti de
la raison pensante et non des contradictions caractéristiques
du mode de production capitaliste. Or écrit ENGELS « ce n'est
pas dans la tête des hommes, dans leur compréhension
croissante de la vérité et de la justice éternelle, mais dans les
modifications du mode de production et d'échanges qu'il faut
chercher les causes dernières de toutes les modifications
sociales et de tous les bouleversements politiques: il faut les
chercher non dans la philosophie mais dans l'économie de
l'époque considérée »54.
En troisième lieu, la vision du monde, si généreuse qu'elle soit,
reste utopique. C'est le propos d'un décalage entre une vision
abstraite de l'esprit et l'architecture complexe de la réalité
objective. D'ailleurs, ces projets une fois élaborés, sont
octroyés de l'extérieur; ce qui traduit une absence
d'investigation sur les moyens effectifs de leur matérialisation.
Comme pour excuser ces lacunes, ENGELS s'efforce de
montrer pourquoi ces courants socialistes ne pouvaient aboutir à
l'élaboration de théories correctes du socialisme. Dans cette optique,
il note qu' « à l'immaturité de la production capitaliste, à l'immaturité
des classes, répondit l'immaturité des théories. La solution des
problèmes sociaux qui restait cachée dans les rapports économiques
embryonnaires, devait être tirée du cerveau» 55.
De fait, les théories ainsi élaborées par les élites en dehors des
structures productives et sociales effectives ne sont pas en mesure
d'indiquer les causes profondes qui légitiment l'arrivée d'une nouvelle
formation économique et sociale, et de désigner les moyens précis
qu'il importe de mettre en œuvre pour accéder à cette formation
sociale socialiste.
MARX et ENGELS se porteront comme les successeurs
légitimes des conceptions les plus avancées des socialistes utopiques.
C'est cela qui explique la boutade d'ENGELS qui rattache le
socialisme au fond des idées existantes. Pour ramener ces conceptions
sur le plan scientifique, il fallait les placer sur le terrain du réel. Dès
lors, il ne s'agit plus simplement d'inventer par la pensée de nouveaux
modèles de société et des moyens d'éliminer les anomalies de la
société capitaliste. Ces modèles et ces moyens sont à découvrir dans
les faits matériels de la production. Donc le socialisme scientifique
découlera des contradictions du mode de production capitaliste. Ces
contradictions soulignées, trouvent leur solution sur le plan
54
55
F. ENGELS, op. cit., p. 143.
F. ENGELS, op. city. p. 143.
142
économique et politique. Quels sont alors les fondements du
socialisme?
Selon P. JALEE56, le socialisme scientifique de MARX repose
sur deux (02) piliers: la socialisation de l'économie et l'avènement
d'un pouvoir politique d'essence populaire et démocratique capable
d'assumer une gestion adéquate des instruments de production
socialisés.
La socialisation de l'économie passe par un impératif qui est
l'abolition de la propriété privée des moyens de production,
d'échange, de crédit et de transport. Selon ENGELS, cette prise de
possession des moyens de production par la société, élimine la
production marchande et par suite, la domination du produit sur le
producteur. L'anarchie à l'intérieur de la production sociale est
remplacée par l'organisation planifiée conscientes? Cette socialisation
n'est profondément qu'un moyen au service d'une fin ultime: la
socialisation de la vie de l'hommes8 • En effet, F. ENGELS observe que
la propriété d'ttat sur les forces productives n'est pas la solution du
conflit, mais elle renferme en elle le moyen formel, la façon
d'approcher la solutions9 . On peut donc déjà remarquer que la
socialisation intervient dans une société capitaliste où «les forces
productives sont devenues trop grandes pour toute autre direction
que la sienne ».
Pour ce qui concerne le pouvoir public, il revêt une nature et
des formes différentes et doit également avoir des fonctions
exorbitantes par rapport à l'ancien appareil d'ttllt. Celui-ci était
considéré comme un instrument au service du capital ayant de
puissantes fonctions répressives. Désormais, il doit subir de
profondes transformations pour pouvoir accomplir pleinement la
socialisation de la vie économique, politique et sociale. Il doit
également assurer une démocratie réelle et non formelle, c'est-à-dire
une démocratie qui garantisse une participation effective des
travailleurs à la gestion aussi bien de l'économie que de l'ttat. Une
telle démocratie exclut toute fonction répressive. En plus, une fois
toutes tâches accomplies, l'appareil d'ttat doit dépérir. On retrouve là
une idée des socialistes prémarxistes que MARX et ENGELS
reformulent. En effet, lorsque l'ttat représente réellement la société
globale, il devient superflu i alors le gouvernement des personnes fera
place à l'administration des choses et à la direction des opérations de
Pierre JALEE: Le projet socialiste: approche marxiste. Petite Collection, F.
MASPÉRO, Paris, 1976.
57 F. ENGELS, op. city. p. 161.
58 Qui de ce fait pourra faire lui-même sa propre histoire en pleine
conscience. En somme, ce sera le fond du régime de la nécessité à celui de la
liberté.
59 F. ENGELS, op. city. p. 156.
56
143
production. ENGELS précise que l'État en réalité n'est pas aboli, mais
il s'éteint60 •
À ces deux (02) piliers, on pourrait en ajouter un troisième qui
aurait trait à l'idéologie et à 'la culture. Selon R. GARAUDY, il se
traduirait par « une révolution socialiste dans l'idéologie et la culture
présentant le double caractère de détruire les aliénations engendrées
dans l'esprit des hommes{ll ... et de créer les conditions permettant
l'accès de tous aux acquisitions millénaires de la science et de la
culture »b2.
Cette rapide analyse des éléments de base du socialisme
scientifique de MARX et ENGELS appelle deux (02) observations
essentielles pour nos développements futurs.
La première est que le socialisme ainsi envisagé prend la suite
d'une formation sociale capitaliste très développée, donc arrivée à la
pleine utilisation de ses capacités de production. La contradiction
entre la socialisation excessive de la production et la forme privée
d'appropriation des résultats en est la preuve la plus évidente. En
conséquence, dans des formations qui ne connaissent pas le même
niveau de développement des forces productives, les problèmes
peuvent se poser tout autrement. Cela introduit précisément une
nouvelle conceptualisation du projet socialiste63 •
Cette première,observation en appelle une seconde qui lui est
directement liée. Une vision globale des analyses de MARX et
d'ENGELS permet d'établir une étroite dépendance du socialisme à
F. ENGELS, op. city. p. 159.
De ce point de vue, le Pro Henri BARTOLI souligne les effets aliénants de
l'argent. Il observe que « la monnaie devenue pouvoir et fin ... corrompt les
rapports du travail, la vie politique, la justice, la presse, le sport, la vie privée,
l'art, la charité même. Le temps où les choses mêmes qui jusqu'alors étaient
communiquées, jamais échangées; données, jamais vendues, requises
jamais achetées -vertu, amour, opinion, science, conscience, etc. tout enfin
passe dans le commerce atteint de capitalisme de ce temps tout autant que le
capitalisme du siècle passé» - in H. BARTOLI: Hypothèses marxistes
(travail et condition humaine, . Fayard, Paris, 1963, P.72).
b2 Roger GARAUDY: Pour un modèle français du socialisme. Collection idées
actuelles; NRF, Gallimard, Paris, 1970.
03 On peut dire que toute imitation mécanique où tentative de construire un
modèle socialiste sur ces bases dans les formations sous-développées
mépriseraient carrément les réalités objectives. En conséquence, le décalage
entre la théorie et le réel ouvre une voie sûre à l'échec. LENINE administre
de ce point de vue une magistrale leçon de recherche non dogmatique d'une
transition vers le socialisme, assise sur le niveau effectif de développement
des forces productives. Tous les problèmes théoriques ouverts à la discussion
des intellectuels du parti ont été brutalement résolus dans le sang par
STALINE qui a physiquement liquidé tous les protagonistes. Le combat cessa
faute de combattants.
bo
b,
144
l'égard de la structure économique et sociale. À y réfléchir, cette
liaison postule l'existence d'une pluralité de modèles socialistes. En
effet, le projet socialiste sera différent selon que la transition s'amorce
à partir d'une base capitaliste avancée ou de structures socioéconomiques de faible niveau. Or, comme nous l'avons établi, la
transition a toujours un caractère organique propre qui détermine les
formes que prend le socialisme.
Deux (02) faits viennent appuyer cette thèse. Le premier de
nature théorique nous est fourni par LENINE qui observe que ni la
régularité, ni la proportionnalité, ni l'harmonie n'ont jamais existé
dans le monde capitaliste et en conséquence, les pays qui construisent
le socialisme peuvent présenter un régime politique et une structure
d'État différents. De ce fait, il était convaincu que chaque nouvelle
révolution devait dépasser les modèles socialistes existants et offrir de
nouvelles formes. Le deuxième fait découle de l'expérience historique
des pays socialistes d'Europe de l'Est, d'Asie et d'Afrique. Cette
expérience laisse apparaître des variétés structurelles traduisant des
projets socialistes différents. On est alors tout fondé à établir, comme
le fait G. AIMARD, une véritable typologie politico-économique du
socialisme64 pour saisir la pluralité des modèles et les implications
profondes notamment pour des formations sous-développées
caractérisées par une immaturité des structures sociales et des
rapports de production. Cette pluralité est encore plus nette lorsque
l'on envisage les voies d'accès.
h)
Les voies d'accès au socialisme
Cette réflexion est propre aux disciples dont le plus
prestigieux est sous ce rapport V. LÉNINE. Les voies d'accès au
socialisme ont fait l'objet de deux (02) conceptions diamétralement
opposées concernant les moyens à mettre en œuvre. Pour la première,
la transition n'intervient qu'après une rupture révolutionnaire
violente. Les classes au pouvoir ne sont pas de nature à capituler et
abandonner pacifiquement le pouvoir politique. Cet abandon ne peut
provenir que de l'issue d'une lutte violente que la classe ouvrière
assume par ses organisations d'avant-garde. La thèse pose le
problème de la violence dans l'histoire65 • La seconde thèse défend le
passage pacifique au socialisme comme une voie possible. Dans le
64 G. AIMARD : Typologie politico-économique du socialisme. Revue
algérienne des Sciences Juridiques, vol. VII, n° 1, mars 1970.
65 Ce problème des conditions de la révolution a fait l'objet de vives
polémiques dans les mouvements de libération. F. FANON figure en bonne
place Oes damnés de la terre, . F. MASPf:RO) parmi les défenseurs de la lutte
violente mais à côté de CHE GUEVARA Oa guerre de guérilla).
145
fond, il importe cependant d'observer que l'histoire offre une pluralité
de voies de passage au socialisme. Il en est précisément ainsi parce
que l'accès au socialisme dépend aussi bien de facteurs internes que
de la conjoncture extérieure. Dans ce sens, Roger GARAUDY rappelle
avec beaucoup d'à-propos, que la révolution ne se définit aucunement
par une stricte violence mais par un changement profond dans les
rapports de production. Il observe que «les deux (02) possibilités,
violente et pacifique, sont toujours ouvertes et leur actualisation
dépend de la conjoncture 66. En clair, la question ne peut se
résoudre dans l'absolu et les expériences concrètes montrent des
processus d'accès multiformes dont aucun n'est pur67• Donc il n'y a là
aucune mécanique, les voies de passage dépendent à la fois des
traditions de lutte, de l'état des classes sociales et de leur degré
d'organisation et des rapports des forces sociales à l'échelle mondiale.
L'intérêt de cette idée de pluralité des voies de passage est
d'introduire par une autre fenêtre la pluralité des modèles car les
structures que des forces radicales conséquemment préparées
mettent en place peuvent être qualitativement différentes et celles
qu'installent d'autres forces négociant prudemment le passage.
En définitive, on peut retenir de l'examen de la théorie du
socialisme scientifique que celui-ci se définit par des critères précis
qui sont en réalité des objectifs. Les critères sont, d'abord l'avènement
d'un pouvoir prolétarien capable de diriger la vie économique,
politique et sociale et d'améliorer de façon soutenue les conditions
matérielles68 d'existence des masses laborieuses et ensuite, l'extension
de la propriété sociale qui apporte une mutation radicale dans les
rapports sociaux de production de manière à garantir une réelle
participation des producteurs à la direction et à la gestion des unités
de production. Ces principes sont altérés par les structures
li)
Roger GARAUDY, op. cil. p. 305.
F. ENGELS, sur la question est très pragmatique. Il écrit «pour moi, en
tant que révolutionnaire, tout moyen conduisant au but est valable, le plus
violent comme celui qui semble le plus pacifique». De même, MARX observe
que «nous agirons contre les gouvernements bourgeois pacifiquement là où
cela est possible, par les armes quand cela est nécessaire». LENINE ne dit
pas autre chose dans la polémique avec les gauchistes qui ignorent
l'opportunité du compromis.
68 Denis CLERC dans article marxisme et nouveaux problèmes» (Économie
et humanisme, mai-juin, 1977) souligne cet aspect productiviste du
marxisme car dans la doctrine, la mission du prolétariat est de se servir de sa
suprématie politique pour accroître au plus vite la masse des forces
productives. L'auteur, à tort me semble-t-il, condamne cette problématique
productiviste sans laquelle toute amélioration des conditions d'existence
serait illusoire. Personne ne peut raisonnablement soutenir un socialisme de
la pauvreté ou une socialisation de la misère.
66
67
146
économiques et sociales au départ de la transition de sorte qu'à
l'arrivée, la formation socialiste révèlera des particularités qui la
différencient du schéma idéal.
À la lumière de ces analyses, il devient possible de formuler
avec plus de précision les éléments de base d'une théorie de la
transition entendue comme une phase organiquement complexe,
structurée et préparatoire au socialisme.
Dans ce cas, la formation sociale en transition se caractérise
par un ensemble de composantes structurales dont une est
dominante'. Chaque composante est un mode de production que les
stratégies mises en place sur le plan politique, économique et social
bousculent ou renforcent.
Ainsi, dans la transition, le problème de l'État - qui est un
appareil et non l'expression de la société - doit être réglé. Par son
contenu social et son organisation, il doit être à mesure de diriger et
de conduire les changements fondamentaux. Il est en permanence
menacé par le phénomène bureaucratique qui peut le transformer en
un gigantesque appareil hautement répressif et inefficace. C'est dans
ce sens que LENINE recommandait d'utiliser les «orientations
ouvrières pour défendre les ouvriers contre leur État » 69.
Sur le plan économique également, les tâches de transition
sont complexes. Le problème central est de savoir comment arriver au
renforcement du secteur socialiste pour qu'il soit suffisamment large
et efficace pour introduire les changements dans les rapports de
production et améliorer les conditions sociales d'existence. En fait, la
socialisation des instruments de production est un moyen au service
d'une élévation continue du niveau des forces productives sans
laquelle la transition ne produit autre chose qu'une socialisation de la
misère et de la pauvreté. Il faut alors que le nouvel appareil de l'État
soit capable d'assumer ses fonctions de gestionnaire. À l'évidence,
l'exercice de fonctions économiques exorbitantes aboutit à une
inefficacité, donc au gaspillage des ressources et à la stagnation.
Tout compte fait, une juste solution de ces problèmes de la
transition nécessite une correcte appréciation de la structure centrale
de la formation en transition et des rapports sociaux impliqués. C'est
à partir de leur connaissance qu'il est possible d'établir une
périodisation du processus de transition qui, selon P. JACQUEMOT,
«désigne les changements effectivement opérés dans l'état des
rapports sociaux fondamentaux et principalement quant au rôle des
69 N. BOUKHARINE était parfaitement conscient de la gravité du
phénomène bureaucratique; ce qui l'amenait à observer que «dans les pores
de notre gigantesque appareil sont nichés des éléments de dégénérescence
bureaucratique absolument indifférents aux intérêts des masses, à leur vie, à
leurs intérêts matériels et culturel».
147
producteurs immédiats dans l'articulation des procès de production et
de répartition du produit social» 70. En somme, cette périodisation
permettra de saisir les divers facteurs perturbateurs et les obstacles
qui retardent les progrès du socialisme et d'envisager les moyens à
mettre en œuvre pour les lever.
Tous ces éléments indiquent que pour les formations sousdéveloppées qui partent avec de sérieux handicaps économiques et
sociaux, il est impérieux de définir avec clarté le projet socialiste de
société qui ne soit ni une copie mécanique, ni une utopie, ni une
aventure. Ces travers ne peuvent être évités que si le projet est rivé
aux réalités objectives, donc au réel.
Section 4: Deux limites du marxisme originel: la baisse
tendancielle et la chute inéluctable du capitalisme.
Ricardo avait lui aussi prédit la fin du système capitaliste, en
se basant sur une analyse de classes économiques. Comme on l'a fait
pour Ricardo, il s'agit maintenant de mette en exergue les aspects du
modèle de Marx qui sont toujours applicables et ceux qui ne le sont
pas aux conditions d'aujourd'hui; et pour les parties inapplicables,
d'analyser si c'est à cause d'un changement au niveau des conditions
de la société sur lesquelles le modèle était fondé, ou à cause de
problèmes dans la logique en lui-même.
Il Les implications de la deuxième version de la détermination
des prix sur la loi de la baisse tendancielle du taux de profit.
L'assertion de MARX Selon laquelle le taux de profit moyen
est égal à PLI (C'+V) est fondée sur l'argument que le montant global
" des profits est égal au montant global de la plus-value, PL.
Mais rien ne prouve que les prix s'ajusteront de telle façon que
le montant global de profits soit égal au montant global de plus-value.
MARX essaye de le prouver, mais si on examine ses arguments
attentivement (par exemple, le passage au chapitre 10 du troisième
livre du Capital apparaissant sur les pages 176-177 des Éditions
sociales, tome VI), on s'aperçoit qu'il avance des arguments
circulaires, c'est-à-dire qu'il proclame que les profits sont égaux à la
plus-value parce que les profits sont égaux à la plus-value.
En fait, un entrepreneur n'a aucune raison d'augmenter la
composition organique de sa fabrique si cela réduit son taux de profit.
Comme exemple concret, on peut reprendre l'usine de dentelle
analysée plus haut. Pour simplifier considérablement, on utilise la
formule « sans nuance» pour calculer le taux de profit.
70
Pierre JACQUEMOT, op. Cit. p. 598.
148
On vous rappelle que dans un premier temps (voir ligne 1 du
tableau suivant), on fabriquait 30 mètres de dentelle en utilisant un
capital constant ayant une valeur de 20 heures mis en œuvre par des
ouvriers qui recevaient un salaire d'une valeur de 5 heures pour une
journée qui durait 10 heures. Suivant la première version de la
détermination des prix, la dentelle se vendait pour sa valeur, soit go f
le mètre. Les revenus provenant des ventes seraient (30 mètres) x (go
f/mètre) = 2700 F; les dépenses seraient (20 heures + 5 heures) x
(gof/heure) = 2250 F; les profits seraient 2700 - 2250 = 450 F et le
taux de profit serait 450/2250 = 0,2 = 20%. Si en plus, on suppose
que le capital constant et le capital variable se vendent à leur valeur
(ce sera le cas si l'industrie qui produit le capital a une composition
organique égale à la composition organique moyenne de toutes les
industries du pays, et si on suppose par ailleurs que le taux de profit
moyen du pays est de 20%, alors la deuxième version de la
détermination des prix implique aussi un prix de go F par mètre de
dentelle, puisque ce prix donne un rendement de 20% à l'industrie
dentelle.
Maintenant, nous supposons que dans un deuxième temps
Oigne 2A du tableau), un patron d'une usine découvre une nouvelle
méthode pour fabriquer la dentelle. Avec cette méthode, du capital
constant valant 22 heures plus 10 heures de travail produisent 36
mètres de dentelle. Pour le moment, puisque toutes les autres
fabriques produisent la dentelle avec l'ancienne méthode pour la
vendre à go f/mètre, lui aussi peut vendre au prix des autres. Cela lui
permet de récupérer un profit de 810 francs sur la vente de 36 mètres
pour un taux de profit de 33,3%.
Mais les autres chefs d'usine, en voyant les surprofits gagnés
par celui qui innove, adopteront bientôt la nouvelle méthode. Selon la
première version de la détermination des prix, à cause de la
compétition entre fabricants, le prix de la dentelle sera baissé jusqu'à
sa nouvelle valeur (compte tenu de la nouvelle méthode de
production), c'est-à-dire 8/g d'heure de travail, direct et indirect, par
mètre de dentelle, soit 80 f/mètre. Comme l'indique la ligne 2B du
tableau, ceci impliquerait un taux de profit de 450/2430 = 18,5%.
Selon la deuxième version de la détermination des prix, la
concurrence entre fabricants cessera de réduire le prix une fois que le
taux de profit dans l'industrie de dentelle est égal au taux de profit
moyen pour l'ensemble du pays, c'est-à-dire 20% (si le taux de profit
était vraiment réduit à 18,5%, des capitalistes abandonneraient
l'industrie de dentelle pour d'autres secteurs ayant un taux de 20%
réduisant ainsi la production et créant une pénurie de dentelle qui
augmenterait son prix). Avec la nouvelle méthode de production, les
dépenses pour capital constant (22 x go F) et pour capital variable (5
x go F) sont au total, 2430. Un taux de profit de 20% sur 2430 F de
149
dépenses donne des profits au montant de (0,2 x 2430) = 480 F.
Ajoutant ces profits aux dépenses, on sait que le revenu provenant de
ventes est 2430 + 486 = 2916 F. Si 36 mètres de dentelle se vendent
pour 2916 F, alors un mètre de dentelle se vend pour 2916/36 = 81
francs (voir la ligne 2 C du tableau).
La quantité de plus-value n'a rien à voir avec la nature ou la
quantité du produit fabriqué: la plus-value est définie simplement
comme la longueur de la journée de travail moins la valeur du salaire.
Comme on peut le constater, en comparant la ligne 1 avec la ligne 2 C,
les profits ne restent pas en proportion constante avec la plus-value
(en ligne 1, la proportion est de 90 francs de profits par heure de plusvalue, en ligne 2 C, la proportion est de 97,2 francs par heure de plusvalue). Rien n'empêche que toutes les industries du pays subissent les
mêmes changements que l'industrie de dentelle: un accroissement de
la composition organique et de la productivité, accompagné d'une
réduction du prix, sans réduction du taux de profit, ni augmentation
du taux de la plus-value..
En conclusion, la «loi de la baisse tendancielle du taux de
profit» est contestable parce qu'elle repose sur un faux raisonnement
comme quoi le profit global dans un pays serait égal à la plus-value
globale. On peut avancer toutes sortes d'arguments qui auraient
comme implication une baisse tendancielle du taux de profit (voir par
exemple, le modèle de Ricardo). Il se passe que le raisonnement
avancé par Marx est un sophisme.
11/ Pourquoi les sociétés capitalistes ne se sont elles pas
effondrées? Pourquoi « le capitalisme moribond se porte-til toujours bien ? »
À cause des profits de l'impérialisme (discuté sous
« LÉNINE») et de l'échange inégal avec le tiers-monde.
À cause de l'augmentation du niveau de salaires dans les
pays capitalistes avancées et des changements politiques.
Une multiplication du niveau de salaires, depuis le temps de
Marx dans les pays capitalistes industrialisés a enlevé la misère de la
classe ouvrière et dans le même temps a fourni un débouché pour la
production élargie de ces pays.
En effet, la proportion du PIB attribuée aux salaires en divers
pays riches a été si stable que certains considèrent la stabilité de la
production (salaire)/(PIB total) comme une «loi» économique (la
soi-disant «loi de Bowley»). Aux États-Unis, par exemple, la
proportion de salaires dans le PIB a à peine varié de 67% au cours des
dernières cinquante années (l'autre tiers du PIB prend la forme de
profits et de rentes).
150
En conclusion, l'évidence empirique démentit ce que Marx
appelle la «loi absolue, générale, de l'accumulation capitaliste» au
cadre des pays capitalistes avancés.
L'amélioration des conditions de la classe ouvrière était due
non seulement à des causes économiques (l'augmentation de la
productivité), mais aussi à des causes politiques. Il est instructif à cet
égard de réviser brièvement l'histoire du parlement anglais. Des
réformes électorales augmentant le pourcentage d'adulte mâles qui
avaient le droit de voter ont eu lieu en 1832, 1867, 1885 et 1918 (les
femmes âgées d'au moins 30 ans ont acquis le droit de vote en 1918 ;
les femmes âgées de 21 à 30 ans, en 1928).
Avant la réforme de 1832, le parlement était élu, surtout par la
grande et la petite noblesse, en suivant un mélange chaotique de lois
médiévales. Après la réforme de 1832, les représentants des
industrialistes avaient une légère majorité sur les représentants de la
noblesse. Sous ce régime, les infâmes « Corn Laws » furent annulées
en 1846, permettant l'importation du blé sans paiement de tarif
douanier; et une série de lois de réforme des conditions de travail
furent passées, commençant en 1833. Après la majorité des électeurs
étaient la petite noblesse et la classe moyenne en campagne, la classe
moyenne et les cadres en ville. Les parlementaires ainsi élus ont
renforcé les lois portant sur les conditions de travail et ont légalisé
l'action syndicale. Après la réforme électorale de 1885, la majorité de
la population pouvait voter, y compris la majorité des ouvriers
industriels et agricoles. S'il était raisonnable de penser, en 1848 que
«le gouvernement moderne n'était qu'un comité qui gère les affaires
commune de la classe bourgeoise toute entière» (Marx et Engels,
Manifeste communiste), cette thèse devient très difficile à défendre
une fois que toute la population choisit les membres du parlement.
Dans des pays autres que l'Angleterre, notamment
l'Allemagne, des lois socialistes furent passées même avant que la
majorité de la population ait eu le droit au vote, justement avec
l'objectif d'éviter une situation qui engendrerait une révolution
prolétarienne.
1°) À cause de l'adoption des mesures keynésiennes
Les crises économiques, causées largement par des imbalances
entre l'offre de fonds pour l'investissement (l'épargne) et la demande
pour les investissements au niveau global de l'économie, sont
devenues de plus en plus graves jusqu'à la crise qui débuta en 1929 et
toucha son fond en 1933. Depuis lors, l'adoption de mesures
keynésiennes a évité des crises majeures (<< dépressions») dans les
pays capitalistes avancés toutefois, la mise au point exacte de
l'économie n'a pas été perfectionnée, de manière qu'il se passe encore
151
des crises mineures (( récessions»). Essentiellement, le gouvernement compense l'épargne excessive avec des dépenses au-delà des
recettes budgétaires. Ainsi, pour rétablir la balance entre l'offre et la
demande au niveau global, l'État peut imprimer de l'argent pour
acheter la production de l'économie que le secteur privé ne peut
acheter soi-même.
2°) La monopolisation reste comme un problème
fondamentalement irrésolu dans les pays capitalistes.
Dans les pays capitalistes avancés, de plus en plus d'industries
deviennent concentrées dans les mains de quelques firmes géantes, et
les firmes géantes deviennent toujours plus gigantesques. Plusieurs
facteurs contrecarrent, sans éliminer, ce problème de
monopolisation :
• la compétition internationale (par exemple, le géant Fiat
contre le géant Volkswagen),
• l'émergence de nouvelles industries qui ne sont pas encore
concentrées dans les mains de quelques producteurs (par
exemple, la fabrication de transistors),
• la compétition entre diverses industries (par exemple, on peut
remplacer le cuivre par l'aluminium si le cuivre devient trop
cher),
• la législation contre le monopole,
• un esprit de « vivre et laisser vivre» dans les industries
dominées par quelques compagnies (par exemple, la
compagnie Renault n'a pas comme objectif la destruction des
compagnies Peugeot et Citroën),
• et finalement, l'absence de profondes crises économiques qui
élimineraient périodiquement un grand nombre de firmes
faibles.
3°) Que reste-t-il de la théorie de la valeur travail ?
Nous avons vu que dans le système capitaliste, les prix de
marchandises ne sont pas proportionnels aux valeurs des
marchandises, et que le montant global des profits n'est pas égal au
montant global de la plus-value. Quoique superficiellement
attrayante, la théorie de la valeur travail élaborée par Marx ne permet
pas le calcul des prix, et elle ne permet pas le calcul du taux de
croissance de l'économie à travers l'accumulation de moyens de
production, puisqu'elle ne permet pas le calcul du montant de profits
qui financerait cette accumulation.
152
Ayant fait cette critique de la théorie de la valeur marxiste, il
faut ajouter qu'aucune autre théorie de la valeur n'est entièrement
satisfaisante, non plus.
Un objectif central de la théorie de la valeur marxiste est
d'éviter l'attribution de la création d'une valeur à des entités
abstraites telles que « le capital» et « la terre» (selon Marx, seul le
travail crée la valeur). Il est vrai que le capital, conçu comme un fonds
d'argent, ne crée aucun produit en soi-même. Mais quand on
considère le capital conçu comme un stock de machines et d'autres
moyens de production, on voit que les machines créent des produits,
et on voit que la valeur de la production d'une machine peut être plus
grande que le montant du travail nécessaire pour construire la
machine elle-même. Prenons un exemple concret. Nous supposons
que 10 hommes travaillant un an peuvent fabriquer 100 tonnes de
briques (la matière première, l'argile est gratuite); ou bien que 5
hommes puissent passer un an à construire une machine, et la
machine, qui dure une année, peut être utilisée par 5 ouvriers pour
fabriquer 108 tonnes de briques. Puisque le travail total est le même
dans les deux cas, dix hommes-années de travail, où peut on attribuer
les 8 tonnes de plus fabriquées, sinon au capital investi en la
machine?
Pour affecter efficacement des fonds d'investissement limités,
même un État communiste devrait agir comme s'il essayait de
maximiser les profits sur ses investissements. (En effet, le
gouvernement soviétique exige le paiement d'un taux d'intérêt sur les
investissements faits dans ses industries, mais pour ne pas insulter la
mémoire de Marx, on appelle cela: « la facturation d'un loyer pour le
capital» au lieu de «l'extraction d'un taux de profit ))).
Section 5 : La contribution positive du marxisme à la pensée
du développement.
Après la chute du socialisme en Europe de l'Est et la défaite
des Partis Communistes dans les pays du socialisme réel, la question
se pose de savoir ce qui reste de Marx? En d'autre terme, le marxisme
inspire-t-il encore la pensée économique et sociale? Ces réflexions
sont menées partout dans le monde mais avec des contributions de
réactualisation plus massives et plus remarquables particulièrement
dans les Universités américaines avec entre autres P. BARAN, P.
SWEEZY, Samuel BOWLES (Univesité du Massachusets),
R.HEILBRONER (School for Social Research), A. MELTZER.
153
1/ Le premier aspect positif de la théorie marxiste est la
concentration sur le « surplus» économique: les analyses
de P. BARAN et P. SWEEZV
P. BARAN et P. SWEEZY observent à partir de l'analyse
marxiste que toute les sociétés fussent-elle d'une extrême pauvreté
produisent plus que le minimum absolument nécessaire pour la
subsistance de leur population, laissant un surplus. Ainsi, en prenant
le Sénégal où le revenu par habitant est très faible, il est commun de
constater, même dans l'agriculture, la formation d'un surplus qui peut
être assez substantiel. On peut analyser la nature d'une société, dit
MARX, à partir de l'étude des modalités de la formation et de la
dépense de ce surplus économique. Les utilisations possibles du
surplus selon les classes sociales: construction de grandes mosquées,
d'édifices communautaires, les dépenses de consommation de luxe,
l'investissement, le loisir.
.
Cette question revêt aujourd'hui une importance capitale car
les PSD sont caractérisés par des déficits importants d'épargne ce qui
fait qu'ils comptent sur les transferts de capitaux pour financer les
investissements productifs. Pourtant une épargne existe même si elle
est assez faible. Il importe de la mobiliser comme le font maintenant
les systèmes financiers décentralisés et les tontines en vue de leur
utilisation à des fins productives. Dans la société socialiste, le surplus
serait réparti entre l'investissement, d'une part et l'accroissement du
loisir (réduction des heures de travail) et de la consommation de la
population entière de l'autre.
11/ Un deuxième aspect positif de l'approche marxiste est sa
concentration sur les liens entre politique et économique
Sous plusieurs angles, l'analyse marxiste est une méthode
globale expliquant la très forte imbrication dialectique des variables
économiques et non économiques, de l'infrastructure matérielle et de
la superstructure. Toutefois, la sphère économique est la plus
déterminante en dernière instance. Toutefois, même si par moments,
les événements politiques ne sont pas sans influence sur l'économie,
surtout à court terme, les facteurs économiques seraient
fondamentaux, dès que l'on raisonne à long terme. Sur un autre plan,
MARX établit que les méthodes de production, les «moyens de
production» déterminent les «relations de production», c'est-à-dire
les relations entre les hommes et les choses (matières premières,
outils, produits) et les relations entre les hommes et les hommes.
ENGELS ajoutera .dans «Socialisme utopique et socialisme
scientifique» que « nos idées juridiques, philosophiques et religieuses
sont les produits plus ou moins directs de conditions économiques
154
régnant dans une société donnée». Toutefois, on peut critiquer cette
approche marxiste qui présume une causalité unilatérale de
l'économie vers la politique cela doit être nuancé car il n'existe pas de
corrélation intangible entre les facteurs économiques qui causent les
événements politiques et les facteurs politiques ou sociaux.
En considérant la question de la répartition du revenu
national, elle constitue le talon d'Achille des économistes non
marxistes qui ignorent le problème et soutiennent que la croissance
du PIB est un bon objectif mais ils ne cherchent pas à savoir qui sont
les bénéficiaires de la croissance. Il est vrai que les marginalistes à
partir de la théorie de la valeur utilité, ont tenté de reconstruire toute
la théorie de la répartition du revenu national. Pour eux, sur un
marché de concurrence pure et parfaite, les facteurs de production
sont rémunérés en fonction de leur utilité marginale. La productivité
du dernier travailleur employé détermine le salaire de l'ensemble des
travailleurs. La rente foncière et l'intérêt du capital se déterminent de
la même façon. Quant au profit, le marginalisme fait éclater le
concept: il se décompose en intérêt du capital d'une part, en
rémunération du travail de direction d'autre part. Le profit pur
n'existe qu'en tant que rente de monopole qui disparaît en régime de
concurrence pure et parfaite.
111/ Un troisième aspect positif de la théorie marxiste est la
constatation que les «lois» économiques changent avec la
société.
En effet, le comportement économique des hommes en
période capitaliste est différent de ce qu'il était à l'époque féodale.
Notez le contraste entre ce point de vue et celui de Smith. Marx dira
clairement que chaque société crée non seulement les conditions pour
la reproduction de la même société pour la prochaine génération de
ses habitants, mais crée aussi, graduellement, les conditions qui
mèneront à la destruction de l'organisation présente du pays, et le
passage à un nouveau niveau de société plus évoluée.
La nature de la société change à travers l'histoire, dans ses
aspects sociaux, économiques, politiques, religieux, psychologiques,
etc. Par exemple, les lois du jeu économique d'une société féodale sont
tout à fait différentes des lois du jeu économique d'une société
capitaliste. Les « règles internes» de la société changent mais les lois
scientifiques qui déterminent les règles internes d'une société ne
changent pas. On peut faire le rapprochement avec une société privée
qui peut modifier ses règles internes d'une année à l'autre, mais
toujours sous le contrôle des lois du pays.
155
IV/La théorie économique marxiste répond à différentes
questions que les théories économiques non marxistes
n'envisagent pas.
Ce phénomène cause fréquemment des malentendus. On peut
illustrer ce point avec le chapitre du Capital intitulé «la différence
dans les taux de salaires nationaux» (le chapitre 22 du premier livre).
La première chose à remarquer est la brièveté du chapitre (seulement
5 pages dans un ouvrage de 2300 pages). En effet, Marx s'intéresse
beaucoup plus à l'évolution du niveau de salaire dans un pays et à la
répartition des revenus à l'intérieur d'un pays, qu'aux comparaisons
internationales. Pour Marx les différences dans les facteurs suivants
sont en dernière analyse les causes de différence entre salaires
nationaux. Il s'agit notamment de :
• la répartition de l'effectif de la main d'œuvre entre hommes,
femmes et enfants ;
• la longueur de la journée de travail ;
• le prix des produits alimentaires (le même salaire réel coûte
plus dans un pays où la nourriture est plus chère) ;
• la longueur de la journée de travail ;
• le prix des produits alimentaires (lè même salaire réel coûte
plus dans un pays où la nourriture est plus chère) ;
• le niveau moyen de qualification et d'entraînement des
ouvriers;
• le standard de vie (ce qui est considéré comme le minimum de
subsistance varie d'un pays à un autre) ;
• l'intensité du travail ;
• et la productivité du travail.
Marx observa que souvent le salaire par jour était plus élevé en
Angleterre que dans les pays les moins développés du continent
européen, tandis que le salaire par unité de produit était plus bas en
Angleterre. Ceci serait le cas, par exemple, si le salaire anglais par jour
était 1,5 fois le salaire français, tandis que chaque ouvrier anglais
fabriquait 2 fois autant de produit par jour qu'un ouvrier français.
Mais après avoir fait cette observation, MARX rejette l'idée que le
niveau moyen du salaire dans un pays est proportionnel au niveau
moyen de productivité dans le pays: dans ce sens, il note que
« Monsieur H. Carey cherche à démontrer que les différents salaires
nationaux sont entre eux comme les degrés de productivité de travail
national. La conclusion qu'il veut tirer de ce rapport international,
c'est qu'en général la rétribution du travailleur suit la même
proportion que la productivité de son travail. Notre analyse de la
plus-value prouverait la fausseté de cette conclusion» (Marx,
Capital, Livre premier, chapitre 22).
156
Dans la plupart de ses réflexions, Marx considère comme
donné le niveau réel du salaire et procède à une analyse de la
répartition des revenus dans un pays capitaliste, en relation avec la
lutte des classes. Par exemple, il observe que La valeur de laforce de
travail (c'est-à-dire le niveau des salaires) est déterminée par la
valeur des nécessités de vie habituellement requises par un
travailleur moyen. Tandis que la forme de ces nécessités peut varier
à travers l'histoire, leur quantité est connue pour une société
déterminée, et peut ainsi être traitée comme une magnitude
constante. (Marx, Capital, quatrième édition allemande, livre
premier, chapitre 15).
Ainsi, quand on regarde les facteurs que Marx mentionne en
passant comme déterminant le niveau national du salaire, un niveau
qu'il traite comme une quantité déterminée pour son analyse, on voit
que ce qu'il prend comme « une magnitude constante» est le sujet de
la théorie non marxiste de l'économie du développement. En effet,
cette dernière essaie d'expliquer des changements dans le niveau de
vie (les « nécessités de vie habituellement requises par le travailleur
moyen») en termes de changements de productivité du travail et de
différences internationales dans la· propension à travailler (<< la
productivité et l'intensité du travail») ; les différences de productivité
sont en partie expliquées par la théorie du capital humain ( « le niveau
moyen d'entraînement des ouvriers », etc.).
De la même manière, les économistes non marxistes
considèrent comme des données, les conditions que l'analyse
marxiste essaie d'expliquer sur le comportement économique des
hommes (par exemple l'effort de maximiser leurs revenus), les lois de
base de la société (par exemple la propriété privée), la répartition des
revenus, la répartition du pouvoir politique, etc.
En conclusion, une difficulté pour la comparaison entre la
théorie économique marxiste et la théorie économique non marxiste
est que ces deux théories répondent à des questions différentes.
157
Chapitre 6
La révolution keynésienne et néo-keynésienne
de l'analyse de la croissance économique et du
développement
L'importance de l'analyse keynésienne dans le domaine du
développement économique et de la croissance tient moins à
l'élaboration par KEYNES d'un modèle complet du développement
que par son approche des problèmes et les instruments utilisés. J.M.
KEYNES n'est pas à proprement parler un théoricien du
développement et de la croissance seulement; toutefois, il a joué en la
matière un rôle fondamental. D'abord. ses théories ont inspiré sur
une trentaine d'années les politiques économiques de sortie de crise et
de relance de la croissance. En effet. aucune crise économique
sérieuse n'a secoué le système capitaliste mondial depuis 1940
jusqu'au début des années 70. Keynes a indiqué avec simplicité les
politiques économiques de reprise et de régulation de la croissance
que les gouvernements ont mise en place avec succès, ce qui s'est
traduit par l'avènement des « Trente Glorieuses années de croissance
(1945-75) » dans le monde capitaliste. Ces résultats ont fait dire à des
analystes que si le « capitalisme moribond» décrit par Marx, se porte
bien, c'est grâce à la thérapie keynésienne. Ensuite, les principaux
théoriciens de la croissance sont des disciples, ou alors très fortement
influencés par Keynes. Ce sont notamment HICKS, HANSEN,
HARROD, DOMAR et SCHUMPETER, qui ont continué ou
approfondi toute l'analyse économique du maître sur la question
centrale de la croissance. Enfin, les premiers outils analytiques et
conceptuels des théories de la croissance et du développement sont
keynésiens. Ce sont la consommation, le revenu, l'épargne,
l'investissement. C'est le multiplicateur que KEYNES a emprunté à
KAHN et qui permet de passer d'un investissement donné à
l'accroissement du revenu:
En écrivant Y = C(Y) + l ,en dérivant, on obtient:
dY = c'·dY + dl
dY(I- c') = dl
dY =dl[_I_J
J-c'
Le multiplicateur est accouplé à l'accélérateur que KEYNES a
emprunté à AFfALION et qui traduit quel est l'effet inverse d'un
accroissement du revenu sur le montant de l'investissement. C'est
surtout HARROD qui introduit l'accélérateur dans la théorie de la
159
croissance et cherche à la combiner avec le multiplicateur pour
prendre une vue d'ensemble de la dialectique des liens entre le revenu
et l'investissement.
Que reste-t-il de l'analyse keynésienne, après les multiples
remises en cause de sa pensée? Les recettes de politique économique
peuvent-elles encore servir?
Section 1 : L'analyse keynésienne
Examinons le système des idées de l'orthodoxie keynésienne
dans leur suite logique et leur enchaînement. Le point de départ de
J .M. KEYNES est qu'il faut chercher la solution des problèmes
économiques de la société non pas du côté de l'offre de ressources
(leur rareté. leur valeur, leur combinaison optimale, la rémunération
des facteurs de production) mais du côté de la demande qui garantit
la réalisation de ces ressources. Cette conception amène Keynes à la
critique puis au rejet brutal, bien après MARX, de la loi de J.B SAY
selon laquelle la surproduction est impossible car l'offre engendre
automatiquement sa demande. Elle est possible, dit KEYNES et de
façon durable. Keynes avance le problème de la demande effective et
de ses deux composantes: la consommation et l'épargne. À l'analyse,
chaque homme a deux utilisations possibles de son revenu: le
consommer ou l'épargner. La fameuse loi psychologique humaine
veut que plus le revenu s'élève plus la fraction épargnée s'élève aussi.
Si bien que dans les sociétés en expansion, de même que dans les
sociétés riches, la propension à consommer diminue, la propension à
épargner augmente.
Tout va bien tant que l'épargne accumulée est toute entière
investie. Mais l'égalité entre l'épargne et l'investissement est un
hasard parce que l'un et l'autre ne sont pas commandés par les
mêmes forces. L'épargne dépend de la propension à épargner pour un
revenu donné, alors que l'investissement dépend d'une autre force
psychologique, l'incitation à investir elle-même commandée par la
différence entre le taux d'intérêt et l'efficacité marginale du capital.
Le système keynésien s'enchaîne comme suit:
160
Figure 6 : Enchaînement du système keynésien
:lA
Efficacité mal"c~ina le dH
capital
Revenu
Offre
Fonction Demande de
monnaIe
•
Taux
Fonction de
consommation
(\'illtèl'èt
Multiplicateur
FonLlion
d'invcstisscmen t
--.
Dcmande d'investissement + demande de
COlt som ma1ion
Épargne
Consommation
Demande
effective
}'roouction
Cette analyse permet d'établir l'articulation entre les
différentes variables du circuit économique et de comprendre
l'enchaînement des variables des politiques économiques préconisées
par KEYNES. Celles-ci sont de trois ordres:
• La politique monétaire qui stimule l'investissement
productif privé et public;
• La politique de finances publiques par une fiscalité
redistributive.
• La politique d'investissement.
Ces trois politiques doivent être expliquées par suite de
l'intérêt que leur portent encore beaucoup de techniciens du
développement. Toutefois, la préoccupation n'est pas une analyse de
théorie économique mais une représentation du schéma keynésien et
les analyses les plus pénétrantes pour le développement.
161
Il La politique d'investissement
Alain BARRERE observe que « KEYNES était trop attaché au
système économique dominant pour préconiser· son abandon
immédiat et pour le rejeter sans en avoir tiré ce qu'il était susceptible
de donner. C'est la raison pour laquelle il recommande la stimulation
de l'investissement privé comme meilleur moyen de développer le
volume de l'emploi. De plus, il cherche ce développement par une
politique bancaire compatible avec le jeu normal du système ».
L'idée centrale de l'analyse keynésienne est la demande
effective, somme des dépenses de consommation et des investissements supposés. En définitive c'est elle qui détermine le niveau de
l'emploi et celui du revenu. P. Samuelson dira à ce propos que « Les
grandes lignes fondamentales sont acceptées par tous les économistes
de toutes les Écoles, par beaucoup d'auteurs y compris ceux qui ne
partagent pas les mesures spécifiques de politique économique ».
La dynamique du développement réside dans le jeu des
variables que sont la consommation et l'investissement. Réglons la
question de la consommation qui est· une fonction du revenu. La
dépendance fonctionnelle amène Keynes à conclure que lorsque les
revenus augmentent la consommation augmente, mais pas dans les
mêmes proportions. Cela est relié à la loi psychologique fondamentale
caractéristique des sociétés riches. Dès lors, pour maintenir une
croissance constante du revenu national, il faut augmenter les
investissements appelés à absorber l'excédent d'épargne.
Le rôle de l'investissement dans le dispositif keynésien est
central. Il note dans ce sens que « Pour une valeur donnée de ce que
nous appelons la propension de la communauté à consommer, c'est le
montant de l'investissement courant qui détermine le. niveau
d'équilibre de l'emploi, le niveau où rien n'incite plus les
entrepreneurs pris dans leur ensemble à développer ni à contracter
l'emploi» (Théorie générale PP52-52).
Dans la « Théorie générale », le montant de l'investissement
dépend de deux facteurs: l'efficacité marginale du capital qui augure
des avantages attendus à long terme des investissements actuels, et le
taux d'intérêt. L'efficacité marginale du capital dépend avant tout de
l'évaluation des profits futurs, des perspectives favorables de
l'économie, des révolutions techniques, des risques encourus, des
incertitudes, etc. Le taux d'intérêt est l'autre composante de
l'investissement. Mais il est un paramètre monétaire
162
11/ La politique monétaire de stimulation de l'investissement
La politique monétaire de KEYNES est fort simple: puisque
l'investissement se développe tant que l'efficacité marginale du capital
est supérieure au taux de l'intérêt, il faut s'efforcer d'élever la
première et d'abaisser le second. Seulement, il est difficile d'obtenir
une élévation de l'efficacité marginale dès lors que la politique
monétaire se résout à une politique de maniement du taux de
l'intérêt. C'est sur cette base que l'on écrit la fonction d'investissement
de la manière suivante:
1 = (, - jj
où U) est un paramètre monétaire et Ci) le taux d'intérêt.
On établit ainsi que le volume de l'investissement varie pour
un certain niveau donné (la) en sens inverse par rapport au taux de
l'intérêt. Pour accroître l'investissement, il faut baisser le taux
d'intérêt à long terme. Or, dans sa théorie de l'intérêt, son niveau est
déterminé par l'action combinée de l'offre et de la demande sur les
encaisses monétaires. C'est dire que l'intérêt est un phénomène
purement monétaire exprimant les automatismes du marché de la
monnaie: la demande et l'offre. La première que Keynes appelle aussi
la préférence pour la liquidité dépend de trois motifs: le motif de
transaction découlant des besoins engendrés par la circulation de la
monnaie etdes marchandises; le motif de précaution étroitement lié
au premier et le motif de spéculation, cause directe des variations
imprévues de la préférence pour la liquidité, qui influe sur la
dynamique du taux de l'intérêt
L'action régulatrice de la monnaie et du crédit, la modification
du volume de l'offre de monnaie s'opèrent à partir de deux actions qui
portent respectivement sur une expansion de la masse monétaire et
sur les créances à long terme.
Le premier point part de l'idée que plus la monnaie est
abondante, plus il est bon marché, donc il faut accroître la masse
monétaire. Bien entendu, il pourrait en-résulter une élévation des prix
donc un approfondissement de l'inflation mais celle-ci ne serait pas
ruineuse si elle arrive à provoquer une hausse de l'efficacité marginale
du capital. Il y a là une politique de financement de l'investissement
que nous préconisons dans les développements ultérieurs. Car
l'inflation peut jouer un rôle dans le processus d'accumulation si elle
est utilisée à bon escient.
Pour ce qui est du second moyen, il consiste en une action
indirecte sur le marché des capitaux par l'intermédiaire des créances à
long terme, c'est-à-dire que pour obtenir une baisse des taux
d'intérêts, les Autorités monétaires achètent des titres et font ainsi
163
monter les cours des valeurs ce qui fait apparaître un taux d'intérêt
plus bas.
On voit alors que les actions sur les déterminants monétaires
et de crédit n'exercent une influence sur le développement qu'en
agissant sur le processus d'investissement. Toutefois, si
l'augmentation de l'offre de monnaie n'entraîne pas une diminution
du taux de l'intérêt (trappe de la liquidité), la régulation monétaire et
du crédit apparaît comme impuissante.
Au total, toutes les politiques tournent autour de la
stimulation de l'investissement. Sous ce rapport, KEYNES observe
que le Secteur Privé est à lui seul incapable d'assurer le niveau
optimum d'investissement nécessaire pour une expansion soutenue
de l'économie. L'État devra alors intervenir non pas seulement pour
fixer un cadre général, mais pour participer, en permanence et de
l'intérieur, à la direction de l'Économie.
Quelles formes, quelle ampleur doit revêtir cette intervention
de l'État? J .M. KEYNES est peu explicite sur ces points; il s'intéresse
à la théorie de l'intervention non pas à sa pratique. Seulement l'État
n'est autorisé à intervenir que là, et quand il ne gène pas le secteur
privé et peut, au contraire, lui apporter une aide. Il s'agit de compléter
l'investissement privé, non de le concurrencer.
Au· total, le contrôle de l'investissement global apparaît à
KEYNES, comme la meilleure manière d'assurer le développement, le
plein emploi. La baisse du taux de l'intérêt ne peut être poursuivie
indéfiniment, et l'élévation de l'efficacité du capital n'est pas facile à
réaliser. L'État devra intervenir pour maintenir l'investissement à un
niveau capable d'assurer la poursuite de l'expansion. Donc l'État doit
combler la marge que laisse apparaître la défaillance de l'investissement privé. 11 peut le faire à travers sa politique budgétaire.
III/ La politique budgétaire
c'est le troisième volet des politiques keynésiennes. La
politique de développement et de réalisation de plein emploi peut
utiliser le canal des Finances Publiques. Selon A. BARRERE, les
principes se ramènent à deux points essentiels: l'autorité publique
doit combattre par la fiscalité l'insuffisance de la propension à
consommer; les dépenses publiques doivent exercer une action
compensatrice susceptible de maintenir la dépense globale au niveau
requis par l'expansion ou le plein emploi.
Sur le premier point, l'objectif visé est principalement, par une
autre redistribution des revenus, à accroître les capacités de
consommation sans lesquelles la menace de surproduction ne sera
pas levée. Il s'agit donc d'une fiscalité redistributive qui consiste à
prélever sur les revenus élevés des classes épargnantes au profit des
164
classes où les besoins non satisfaits sont importants. Les revenus
moyens ou faibles alimentent alors une plus grande dépense.
Le second point concerne l'action compensatrice des finances
publiques. KEYNES note que c'est du côté de la dépense
d'investissement que doit porter l'effort à cause des effets
multiplicatifs. Ceci conduit alors à deux (02) conclusions:
•
•
d'abord, l'Autorité Publique doit effectuer des décaissements
tels que le volume de la dépense globale soit maintenu à un
niveau suffisant pour absorber la totalité de la production:
Capacités de consommation = capacités de production;
ensuite le financement de ces décaissements peut s'opérer soit
par emprunt, soit par création de monnaie.
Ces différentes actions peuvent et doivent être agencées dans
le cadre d'une politique financière cohérente, connue sous le vocable
de déficit systématique. Il s'agit théoriquement d'opposer au
déséquilibre économique (désiré, voulu) un déséquilibre financier de
sens contraire. C'est dire que le déficit autrefois condamné est
systématiquement recherché pour provoquer un effet compensateur.
En conclusion, toutes les politiques de développement
actuellement revendiquées pour les Pays sous-développés, se
réclament de ce corps de théories keynésiennes. En clair, J.M.
KEYNES inspire les politiques monétaires de financement des
investissements productifs et les politiques de déficits budgétaires
pour soutenir le niveau des activités. Des réflexions intéressantes sur
ce deuxième point sont réalisées par Paul BARAN qui voit dans le
déficit budgétaire des pays capitalistes un facteur essentiel de
régulation et de lutte contre la crise de surproduction.
Section 2 : L'approche post-keynésienne du développement
et de la croissance.
À la fin des années 30, beaucoup de disciples de Keynes vont
tenter d'ad,apter le modèle du maître à l'analyse du développement et
de la croissance à long terme. Cette analyse post-keynésienne
concerne principalement trois (03) auteurs qui présentent de ce point
de vue un intérêt incontestable. Ce sont:
•
•
•
HARROD et DOMAR qui ont découvert le premier modèle
formalisé de croissance.
KALECKI qui a plutôt exposé une variante du keynésianisme
classique en matière de développement.
Joan ROBINSON et Nicolas KALDOR qui ont soutenu une
analyse de l'accumulation du Capital en vue du développement.
165
En 1939, R.F HARROD, étudie dans un article célèbre « les
principes fondamentaux de l'économie dynamique. Au même
moment HANSEN développe sa théorie de la stagnation. Ce sera
surtout dans l'après-guerre qu'une pléiade d'économistes se
réclamant de J .M. Keynes écrivent plusieurs ouvrages sur la théorie
keynésienne de la croissance. Ce mouvement se' poursuivra jusqu'à
N.KALDOR et SOLOW. Ces auteurs posent trois groupes de
problèmes: d'abord les déterminants de la croissance potentielle du
revenu national, conditions assurant une croissance économique dite
auto-entretenue (self sustained growth); l'équilibre dynamique, y
compris les facteurs qui le détruisent et ceux qui le restaurent. En ce
qui concerne les facteurs de la croissance à long terme, les recherches
sont principalement empiriques alors que la croissance autoentretenue et de l'équilibre dynamique ont permis l'élaboration de
modèles théoriques dont certains restent encore très consistants. Cela
amènera SOLOW à affirmer que «La théorie moderne de la
croissance économique est consacrée essentiellement à analyser les
conditions de l'état d'équilibre et à déterminer si une économie qui,
initialement n'est pas en état d'équilibre, pourra le devenir en
respectant certaines règles du jeu dans son développement». C'est
surtout N. KALDOR qui va formuler, dès 1958, un groupe de faits
«faits stylisés» (stylised facts) caractérisant la croissance autoentretenue; il s'agit de:
•
•
•
•
La stabilité du taux de croissance de la productivité du travail
et du revenu national (avec une croissance démographique
constante) ;
La stabilité du taux de croissance du capital ainsi que du
rapport travail/ capital, c'est-à-dire de la masse du capital par
unité de travail ;
La tendance à la constance du rapport capital-produit, c'est-àdire de la masse de capital par unité de production;
La stabilité du taux de profit ainsi que de la part du profit dans
le revenu national.
La théorie doit alors établir comment se réunissent les
conditions de la croissance auto-entretenue et de déterminer si
l'économie est capable de compenser automatiquement les écarts par
rapport à cette ligne de développement. La théorie keynésienne de la
croissance tente de résoudre ces problèmes à partir des équations du
modèle de HARROD-DOMAR.
166
Il Le modèle HARROD-DOMAR
On peut dire que l'approche post-keynésienne a pour point de
départ les tentatives de dynamisation du système keynésien originel.
En 1948, HARROD publiait son ouvrage «Vers une théorie de la
dynamique économique ». Dans la même période, E. DOMAR publie
à son tour, quelques articles présentant les mêmes orientations et les
mêmes préoccupations que R. HARROD. Tous ces travaux tournent
autour des conditions de la reproduction, de la croissance et dans une
optique keynésienne. Dans cette direction d'ailleurs, HARROD
observe que «la seule remarque critique que je me hasarderais à
faire, c'est que le système de KEYNES est encore statique. D'ailleurs
poursuit-il, la théorie macroéconomique statique est un fondement
indispensable à l'élaboration de toute théorie dynamique ».
Le problème théorique que soulève la dynamisation du
système keynésien, réside dans le fait que KEYNES a toujours traité
l'investissement comme un simple instrument de création du revenu
(effet multiplicateur) en ignorant les effets sur les capacités
productives.
Or, il n'existe pas d'investissements courants sans
accumulation de capital, c'est-à-dire un accroissement de la capacité
productive. Il s'agit de considérer le double aspect de l'investissement
d'abord en tant que facteur générateur de revenu et ensuite en tant
que facteur créateur de capacité productive. L'équilibre dynamique
qui s'établit sera caractérisé par l'accroissement simultané des
revenus et des capacités de production. Les post-keynésiens
s'attèleront à l'étude des conditions d'avènement d'un équilibr(
dynamique. Ces travaux vont permettre l'élaboration d'instruments
conceptuels nécessaires pour l'analyse du processus du
développement économique et social.
Étudions de plus près le modèle de croissance de HARROD.
1°) La relation du modèle
La croissance est définie en termes de revenu ou de produit. Le
·
. : G == -~y
taux d,
accrOIssement
s "eCrIt
y
La production d'un niveau accru de produit requiert un
investissement nouveau net Cl). Or, l'investissement dans
l'équipement en capital nécessaire à l'accroissement du produit d'une
. , s "eCrIt:
. C == - 1
umte
~y
Où C est le capital output ratio ou encore le coefficient du capital.
167
Étant donné la propension moyenne de la communauté à
épargner, un niveau donné de produit sera associé à un volume donné
d "epargne : s =-S
y
Il est alors possible de définir la relation: G· C = s que
HARRüD qualifie de fondamentale et qui reflète G =~, le mariage
,
C
du principe de l'accélérateur et du multiplicateur.
2°) Les variables du modèle
Le Capital recouvre non seulement les biens capitaux mais
aussi les biens de toute sorte de produits par le système. Pour le taux
de croissance (G) ne différencie pas les différents secteurs de
production. Enfin, l'épargne est la fraction non consommée du
revenu.
Dans son analyse, HARRüD distingue trois (03) taux de
croissance:
• Ga = le taux réel observé de croissance réalisé par l'économie,
• Gn = le tàux naturel de croissance qui constitue le taux le plus
élevé d'accroissement soutenu du produit. Il est limité par
l'accroissement de l'offre de main-d'œuvre et le progrès
technique,
• Gw = le taux garanti de croissance. C'est le taux
d'accroissement qui satisfait les opérateurs économiques.
Des différences fondamentales existent entre ces trois (03)
taux et c'est à partir de ces différences que HARRüD appréhende les
mouvements possibles d'un système dynamique.
•
•
•
Ainsi,
Ga dépend du comportement réel de l'investissement et du
produit,
Gn est le taux d'équilibre compatible avec l'offre de maind'œuvre et le progrès technique,
Gw est le taux compatible avec l'épargne de la communauté.
Ainsi, on peut réécrire l'équation fondamentale comme suit:
S
Ga=-
C
S
Gw=C
Gw·Ga
168
=s
Cependant, ces trois (03) formes de l'équation fondamentale
n'ont pas à s'égaliser à un moment donné, si deuX (02) d'entre elles
peuvent être égales, elles ne le seront pas à la troisième.
3°) Le fonctionnement du modèle
De son modèle, HARROD déduit qu'il existe deux (02) sources
potentielles de déséquilibre ou d'incompatibilité: l'inégalité entre les
taux réels et garanti de croissance; l'inégalité entre les taux naturels
et garanti de croissance.
Ainsi, lorsque le taux garanti assurant la satisfaction des
entrepreneurs est plus petit que le taux naturel Gw -< Gn assurant la
satisfaction de tous les producteurs, l'économie traverse une phase
d'essor et celui-ci est d'autant plus accentué que l'écart est plus grand.
À l'inverse, l'économie traversera une dépression. Au total, dans le
modèle, l'épargne joue apparemment un rôle primordial. Ce qui
explique que des évaluations rapides mais fausses ont voulu rattacher
HARROD aux néo-classiques. En effet, on constate que pour
HARROD, une valeur élevée de l'épargne joue le rôle exactement
contraire à celui qu'elle joue dans le modèle néo-classique.
Pour lui, loin de permettre un taux élevé de croissance, elle
constitue un obstacle à cette dernière. Par ailleurs, HARROD a
toujours refusé de lier le taux d'intérêt au capital output ratio, comme
le voulaient les néo-classiques. Pour lui, le taux d'intérêt n'est qu'un
phénomène monétaire et nulle part, il n'essaie d'introduire le concept
de fonction de production, où même d'égaliser taux d'intérêt et taux
de profit.
Tel est l'essentiel de l'articulation de l'analyse d'HARROD qui
cherche à donner une base objective à une politique de croissance
correspondant aux forces réelles d'une économie.
11/ Les autres modèles de croissance des autres néo-keynésiens
La problématique de la croissance et du développement se
retrouve chez d'autres néo-keynésiens comme KALECKI, HICKS, Mrs
Joan RONINSON et Nicolas KALDOR. Ces deux derniers auteurs ont
marqué les théories actuelles et méritent que l'on s'y arrête.
169
1°) Les analyses de Joan ROBINSON
Le défi dynamique de HARROD devant être relevé par J
ROBINSON, préoccupé par la croissance à long terme et dont le point
de départ est constitué par une rigoureuse analyse critique de la
pensée néo-classique. Le système de J. ROBINSON présente une
analyse de l'accumulation de longue période. Les aspects essentiels du
système peuvent être ramenés:
• aux flux des revenus,
• à la détermination du taux de profit,
• aux conditions d'une croissance régulière,
• au rôle du progrès technique,
• à l'effet de la consommation desréntiers sur l'accumulation,
• au produit marginal du capital et au produit marginal de
l'investissement.
Sur cette base, l'auteur étudie quelle est la relation entre le
taux de croissance de la production et la croissance du stock du
capital dans le temps? Dans tout système économique en expansion,
le taux d'accumulation maximum possible est limité par le taux
d'accroissement de la force du travail et le taux auquel le progrès
technique accroît la productivité par homme. Pour J. ROBINSON,
une économie qui se développe à ce taux maximum possible avec un
taux de profit constant est à l'âge d'or. J. ROBINSON rejette l'optique
néo-classique car cette dernière n'a jamais pu définir un taux de profit
en dehors du produit marginal du capital. Pour elle, la quantité de
capital n'a aucun sens si le taux de profit n'est pas préalablement
déterminé, d'où le rejet de toute théorie qui tenterait de déduire le
taux de profit de la quantité de capital.
Au total, dans l'analyse de J. ROBINSON, le caractère « dual»
de la relation entre le taux de profit et le taux de croissance est
particulièrement mis en évidence. Cependant, elle montre qu'il existe
une relation double entre le taux de profit et le taux d'investissement,
de sorte que ce dernier est le déterminant majeur du premier mais le
taux de profit affecte aussi l'investissement à travers les anticipations.
2°) Les approches de Nicolas KALDOR
N. KALDOR se propose d'élaborer une théorie dynamique de
la production (1959) avec une méthode keynésienne et dans la lignée
de RICARDO et MARX.
Il débute son analyse avec un modèle de type HARROD
exprimé en termes d'accroissement du capital physique: G K =
= épargne; V =
170
~
(S
V
ratio du stock de capital). Seulement, KALDOR
diverge avec HARRüD car il suppose que toutes 'les épargnes sont
égales aux profits globaux.
Ce qui suppose que les salariés n'épargnent pas et que les
titulaires de profits ne consomment pas. KALDüR obtient les
résultats suivants:
p
s=-y
P
1
Y
Y
-=-=GK
P =GKK
Y
Y
y
P
P
K
Y K
-=_.-
!.-. = GK
K
La dernière équation indique que le taux explicite de profit du
est égal au taux de croissance du capital.
capital,
%
L'objectif de KALDüR est d'élaborer un modèle permettant de
promouvoir un équilibre de croissance régulier qui peut être défini
comme un modèle où « le taux d'accroissement du produit par tête est
égal au taux d'accroissement de la productivité de l'équipement, les
deux étant en outre égaux au taux d'accroissement de l'investissement
(fixe) par travailleur et au taux de croissance des salaires ».
Comme le note l'auteur, le modèle est keynésien dans son
mode de fonctionnement, c'est-à-dire que les décisions de dépense
des entrepreneurs sont l'élément prem~er, les revenus sont
secondaires. Il n'est absolument pas néo-classique car les facteurs
technologiques (productivités marginales ou ratio marginal de
substitution) ne jouent aucun rôle dans la détermination des salaires
et des profits. Une fonction de production au sens d'une relation de
valeur entre le capital et le travail n'existe pas.
En conclusion, si nous avons insisté sur les analyses
keynésiennes et néo-keynésiennes, c'est parce qu'elles inspirent les
politiques de développement, qe même que les politiques de
croissance. Elles ont particulièrement tenté d'abord, de donner une
traduction simple mais totale de la dynamique de croissance et
ensuite, de dégager les bases d'une politique effective de croissance
optimale.
Elles' ont insisté sur l'investissement auluuuuü:: ~ûnsidéré
comme variable stratégique de la croissance. Elles ont initié une série
de recherches sur le coefficient du capital, forme transformé du
171
multiplicateur. Enfin, l'ensemble des concepts keynésiens converge
vers la confection de modèles dont certains, sous une forme
mathématique très élaborée. Ces modèles finissent par devenir des
sortes de représentation Schématiques des principales variables qui
président au dynamisme de la croissance.
111/ Mise à mort et réhabilitation de la pensée keynésienne.
Le keynésianisme a été mis en berne durant toute la période
ascendante des approches libérales néo-classiques. Critiqué et
presque marginalisé par la pensée orthodoxe, il a été pendant une
période fortement remis en cause. La synthèse néo-classique, comme
nous l'analyserons, était construite autour de convictions fortes: les
marchés des biens et du travail sont concurrentiels, il n'existe pas
d'externalités, l'information est parfaite, l'État doit s'abstenir
d'intervenir dans le circuit économique. Parallèlement, les politiques
économiques construites à partir de la vulgate keynésienne simple
sont vigoureusement rejetées dans les années 70 car jugées incapables
de résoudre la nouvelle crise économique et financière: inflation,
chômage, déficits internes et externes, faible croissance économique
Aujourd'hui, on observe un retour du keynésianisme avec une
nouvelle génération de théoriciens qui reconstruisent d'une
architecture inspirée du Maître : G. MANKIV, G.AKERLüFF,
J.STIGLITZ, S. FISHER D.RüMER, E. PHELPS... Ces auteurs ont
souvent été appelés «les poissons de mer »71 par opposition «aux
poissons d'eau douce» Ils conservent les principes de base du
keynésianisme comme l'imperfection des marchés et l'intervention de
l'État. Les cycles économiques réels, observe G.MANKIV,
représentent des imperfections de marché. Comme par ailleurs, l'État
est le pilote de la machine économique et doit intervenir pour
réamorcer la pompe de la consommation ou de la production. » (G.
MANKIV).
La dénomination fait rHérence à la lOCllE::·tion géographique de leurs
Universités d'attache, Boston et Colombia situee.. . en bor;~;~re de mer alors
que l'autre courant tenant de l'orthodoXie sont dal,z dc~ Universités des
Grands Lacs comme Chicago.
71
172
-:~
Chapitre 7
L'analyse néo-classique: les nouveaux
fondamentaux du libéralisme et du libre
échange
L'analyse néo-classique est celle sur laquelle on commet les
plus graves erreurs d'interprétation, de délimitation, de
caractérisation et de composition 72 • Globalement cette École de
pensée regroupe les économistes, inspirés à la fois par l'École
Classique et l'analyse keynésienne, conçoivent la société comme un
ensemble d'individus libres et égaux, raisonnent au niveau microéconomique à partir d'hypothèses sur le comportement des agents à
la fois rationnels et calculateurs cherchant à maximiser leur utilité
(consommateur) ou leur profit (producteur) sous la contrainte de
leurs ressources. Ces agents comme producteurs ou consommateurs
évoluent sur des marchés de concurrence pure et parfaite.
Beaucoup d'analystes s'autorisent à parler de l'École néoclassique souvent assimilée au libéralisme, sans jamais prendre la
précaution de préciser les contenus des idées et les figures de proue
qui forment ce courant de pensée présenté comme dominant dans la
science économique73 • Elle est diversement appelée théorie standard,
orthodoxie ou maître-pilier du libéralisme. Toutefois, des défauts de
précision sont à la base soit d'une trop grande réduction qui ne se
référent qu'aux pionniers A. MARSHALL, PIGOU, CARL MENGER,
STANLEY JEVONS, WALRAS ou d'une trop grande extension en
incluant tous les auteurs qui ont constitué la synthèse contemporaine,
de MILTON FRIEDMAN, HAYEK, jusqu'aux théoriciens de la
croissance endogène LUCAS et ROMER én passant par Solow et la
figure de proue du «néolibéralisme» Milton Friedman qui
poursuivra les travaux de l'École néo-classique, en inversant les
objectifs de l'interventionnisme monétaire.
Le credo fondateur du courant d'analyse néoclassique est parti
de trois auteurs STANLEY JEVONS, Carl MENGER ET LEON
WALRAS successivement bâtisseurs de l'École de Cambridge, de
Vienne et de Lausanne. Ils avaient déclenché entre 1871 et 1874 sans
jamais s'être rencontrés, ni échangé aucun élément de leurs
B. Guerrien : L'économie néo-classique, Col. Repères, La Découverte, 1991,
Du même auteur: La théorie néo-classique. Bilan et perspective du modèle
d'équilibre général. Économica, 1989
73 Cette École est qualifiée de gardienne de l'orthodoxie en sciences
économiques, de constructeur du modèle standard de l'analyse économique
et d'inspiratrice de la pensée unique
72
173
recherches respectives la révolution marginaliste d'où émergera
l'économie néoclassique qui s'impose aujourd'hui comme théorie
économique dominante. Ce trio se proposait surtout de faire table
rase du passé afin de reconstruire la science économique sur des
bases nouvelles. Toutefois, l'histoire révèle que dans leurs analyses,
les éléments de continuité l'emportent sur ceux de la rupture. C'est
pourquoi d'ailleurs, Veblen fondateur de l'institutionnalisme, a forgé
l'expression néoclassique pour dire que la rupture avec les classiques
n'est pas aussi nette qu'on le laisse croire.
Pourquoi cette pensée a-t-elle eu un tel rayonnement et joueelle, aujourd'hui un rôle aussi déterminant? Est-ce par la robustesse
de ses analyses ou la pertinence de ses propositions de politique
économique? Ou alors cela procède-t-il de sa force de persuasion, de
légitimation des politiques économiques libérales? En fait, leur
principal ajout à l'analyse classique procède d'une part de leur
approche plus formalisée (avec l'utilisation des techniques
quantitatives) et systématique en termes de marché et d'équilibre et
d'autre part de la généralisation du raisonnement marginaliste. À
l'origine, les auteurs néo-classiques avaient repris les principales
idées de l'École Classique notamment leur approche formalisée et
systématique en termes d'économie de marché, d'équilibre global,
d'intervention minimale de l'État, de neutralité de la monnaie et de
libre concurrence. «Ainsi, on trouve dans la théorie néo-classique la
conviction du caractère universel des lois économiques. Jevons,
Menger ainsi que leurs successeurs actuels affirment plus nettement
la similitude entre l'économie et les sciences naturelles, ce qui se
traduit par l'utilisation de plus en plus intensive - et parfois exclusive
- du langage n-tathématique. Walras estime même que l'économie
politique pure doit devenir une branche des mathématiques.
Cette conviction n'est toutefois pas partagée par Menger qui,
en dépit de son libéralisme radical, se positionne comme hétérodoxe
sur l'échiquier de la pensée économique moderne »74.
Ce positionnement théorique les avaient amené à rejeter en
bloc les théories marxistes et à opérer un examen critique de l'analyse
keynésienne dont ils proposent une modernisation de l'appareillage
théorique dans le but de lui permettre de mieux cerner les nouveaux
problèmes macroéconomiques et surtout de corriger les insuffisances
qui sont à l'origine des mauvais résultats des politiques économiques.
La pensée néo-classique est loin d'être homogène. Ces tenants
de la nouvelle orthodoxie constituent une galaxie d'auteurs et de
courants qui se présentent comme suit:
74 Gilles DOSTALER: «Orthodoxie et hétérodox;t- : t4ne ,::eille histoire »,
Alternatives Économiques, Hors-série 57, 2003
174
1) Les précurseurs
Étienne de Condillac
Antoine Augustin Cournot
(171 5- 1 780)
(1801-1877)
Hermann
Heinrich
Gossen
Arsène Dupuit
'(1804-1 866)
(18n-1858)
2) Les fondateurs: la révolution marginaliste
L'école de
Lausanne
(Équilibre
général)
L'école anglaise
(Cambridge)
L'école
autrichienne
(Vienne)
Léon Walras (1834
1910)
Yilfredo Pareto (1848·
1923)
S. Jevons (1835-1882)
Carl Menger (1840-1921)
A.Marshali (1842-1924)
A. C.Pigou (1877·1959)
F.Y. Wieser (1851-1926)
E. Bôhm Bawerk (18501914)
3) Les courants néo-classiques contemporains
Le
courant
de La
synthèse La nouvelle école
l'équilibre général keynéso-classique
classique
John Hicks (1904-1989)
Paul Samuelson (né 1915)
~~~;)rt
Lucas (né en
Kenneth Arrow (né 1921) Robert.M.Solow (né 1924)
Gérard Debreu (né 1921)
Maurice Allais (né 1911)
Cette diversité des auteurs et des analyses rend l'exposé plus
difficile du fait de l'absence de points de vue consensuels sur les
grandes questions de théorie économique. L'objectif de ce chapitre est
de présenter sommairement, au moins, les principaux points
d'accord: les principales hypothèses du modèle d'analyse et les
approches proposées pour le développement et la croissance, deux
cibles majeures pour les pays sous-développés.
Section 1: Les fondements théoriques de l'analyse néoclassique.
",
Les néoclassiques sont les héritiers critiques des classiques. Ils
se focalisent surtout sur l'analyse marginaliste et cherchent à fonder
'l'analyse économique sur de nouvelles hypothèses: la rationalité
économique, l'individualisme méthodologique et la supériorité du
modèle du marché qu'il soit pur et parfait, ou imparfait et dont les
175
mécanismes jouent un rôle régulateur conduisant à un équilibre
optimal de l'ensemble du système économique.
Le soubassement théorique, à la différence des classiques et de
Marx, se fonde sur une analyse des comportements individuels à
partir des présupposés de l'individualisme méthodologique.
L'individu est identifié par une fonction dont les paramètres sont ses
préférences, ses dotations en compétences et en capital et moyennant
quoi, il maximise sa satisfaction. Avec de nouveaux instruments
mathématiques, les théoriciens néoclassiques formalisent le
processus d'interaction sur les marchés des agents économiques qui
cherchent toujours à optimiser leurs gains, qu'ils soient producteurs
ou consommateurs.
Dans une optique marginaliste, la théorie de la productivité
marginale devient l'un des principaux fondements théoriques de la
pensée néo-classique75 • Cette démarche explique que dans une
situation donnée la rémunération des facteurs de production
s'effectue à partir du principe unique de leur productivité marginale.
Cependant, la fonction de production est elle-même l'élément
le plus simple mais aussi le plus essentiel de la théorie de productivité
marginale. Pour un état donné des techniques de production, la
fonction de production peut être comprise comme dérivant des
diverses combinaisons productives. En effet, en supposant qu'il existe
une certaine relation quantitative entre le volume du revenu national
(ou du produit) et le volume des ressources en travail et en capital
utilisées, il est possible d'estimer, sous certaines conditions
raisonnables, cette relation sous la forme d'une fonction de
production et de recourir à un appareil mathématique approprié
d'analyse fonctionnelle pour quantifier certaines interrelations de la
production.
Ainsi, on peut écrire que: = f (K. L. N) (où Y = produit, K = le
capital, L = le travail, N = terre). On suppose que chacun des facteurs
de production (K, L, N) est capable de se diviser infiniment. En
différenciant, on obtient:
dY
= dK ay +dL ay +dN ay
aK
où
aL
aN
dY = accroissement de la production
dK = accroissement du capital
dL = accroissement du travail
~ = produit marginal du capital
K
7;
Carlo BENETTI : Valeur et Répartition, François Maspéro
176
&'
c;, =
/iL
=
produit marginal du travail
produit marginal de la terre·
Ainsi, la valeur de la production est déterminée comme la
somme des produits de la grandeur de chacun des facteurs de
production et de son produit marginal. Quant à la part de chacun des
facteurs, elle est déterminée fonctionnellement une fois l'équilibre
réalisé et qui coïncide avec le plein emploi. On peut faire alors les
déductions suivantes: si l'offre globale de capital s'accroît plus
rapidement que l'offre de la main-d'œuvre, le prix d'offre du capital
tendra à baisser, la densité du capital augmentera; ce qui correspond
à une baisse de la productivité marginale du capital. Un raisonnement
inverse peut être établi pour le travail, donc quelle que soit la
situation de l'offre de main d'œuvre, toutes les personnes désirant
travailler peuvent trouver un emploi, pour peu qu'elles acceptent le
salaire prévalant sur le marché. Ces analyses sont extrêmement
éloignées de celles de KEYNES et des néo-keynésiens.
Par ailleurs, la densité du capital dépendant des prix relatifs
du travail et du capital, le prix du capital résulte de l'équilibre qui
s'établit entre l'offre d'épargne et la demande de capital. Cela
correspond en fait au taux d'intérêt. Seulement, hormis l'intérêt,
représentant la rémunération du capital, il n'existe pas dans une
économie d'équilibre au sens de WALRAS, de profit. Ce dernier dans
la pensée néoclassique se trouve exclu du système d'équilibre général
et ramène à la théorie du taux de l'intérêt.
On peut le montrer en prenant:
(1) y = f(K, L)
et considérant Py , Pk, PI, les prix du produit et des facteurs,
nous pouvons écrire l'équation comptable suivante: Prix de vente =
Coût de production, c'est-à-dire
(2) Pl'Y = PkK + ~L
Le minimum du coût de production est obtenu par
différenciation de ces deux équations, soit:
( ) ay = P"
et
ay = PL
3 aK
aL
Pl'
Pl'
En remplaçant les prix dans l'équation (2), on obtient:
ar
( ) y =
K + ay L
4
aK
aL
Au bout du compte, l'utilisation des fonctions de production a
stimulé tout un ensemble de recherches consacrées à l'estimation
quantitative du rôle exercé par les divers facteurs de production pour
177
garantir le niveau potentiellement possible du revenu national, ou du
produit, ainsi que de leur taux de croissance. C'est pourquoi, lorsque
l'on évalue les fondements théoriques de la fonction de production
néo-classique, il faut en même temps comprendre les interrelations
technico-économiques réelles et les processus de la croissance qui
peuvent être analysés à l'aide des fonctions de productions dites
d'ingénierie.
Dans les années 50 et 60 on va observer un processus qui a
pris le nom de « renaissance néo-classique» et au cours duquel les
théoriciens de l'école ont proposé une modernisation notable de leur
appareil théorique et analytique dans le but d'étudier de nouveaux
problèmes macro-économiques, en particulier là où le keynésianisme
avait commis de notables erreurs théoriques qui sont à l'origine de
mauvais résultats de politique économique. Dans leur synthèse, les
auteurs de la renaissance néo-classique montrent que, malgré leurs
divergences de points de vue, ils vont tenter d'élaborer une théorie
économique pure dans la tradition walrasienne, c'est-à-dire un
« corpUS» théorique constitué de concepts explicatifs des aspects les
plus caractéristiques du fonctionnement de l'économie capitaliste.
Sous ce rapport, la pensée dite néo-classique est tout à la fois
une idéologie, une vision du monde, un ensemble de politiques et une
collection de théories qui ne sont pas nécessairement cohérentes les
unes avec les autres" (DOSTALER, 2001, p. 107) mais qui sont unies
autour de l'économique définie par un champ sémantique où
s'articulent la rareté, le besoin, les fins, les moyens. Dans ce contexte,
la Science Économique aurait pour objet principal la détermination
des lois de l'allocation optimale des moyens rares à usage alternatif.
L'équilibre du producteur comme celui du consommateur se constitue
sur le postulat de base d'une psychologie hédonistique à partir duquel
on passe à une théorie générale des prix de marché qui englobe
finalement l'investissement (allocation optimale des capitali}!:) et le
salaire (allocation optimale du facteur travail).
Qu'est ce qui fonde la prééminence de la pensée néo-classique
dans la science économique contemporaine? Est-ce sa cohérence
théorique, la robustesse de ses formulations, sa capacité d'illustrer et
de défendre l'économie de marché, de justifier l'économie libérale?
Toutes ces questions renvoient à la confrontation entre les tenants de
l'orthodoxie et ceux de l'hétérodoxie, aux forces et faiblesses des deux
courants qui dominent la pensée économique contemporaine bien
qu'aucun de ces deux courants ne présente véritablement une parfaite
homogénéité des formulations théoriques, doctrinale et
méthodologiques.
Quelle analyse du développement soutiennent et défendent les
auteurs de la pensée néo-classique?
178
Section 2: Synthèse néo-classique et développement:
pourquoi et comment faire une croissance durable.
La plupart des discours se réclamant de la théorie néoclassique mettent au centre de leur préoccupation en matière de
développement la question de la croissance économique. Autant les
classiques se demandaient comment faire pour amorcer la croissance,
la problématique des néo-classique est de savoir « comment faire
pour que la croissance dure? ». Cette problématique ressemble fort à
celle que pose J .M. KEYNES. Au-delà de l'interprétation de la théorie
keynésienne comme une « théorie de l'équilibre de sous-emploi »,
comme un cas particulier de l'équilibre général du système
économique, les problèrries soulevés par la théorie néo-classique de la
croissance, sont identiques à ceux que KEYNES a tenté de résoudre à
savoir la croissance potentielle du revenu national à long terme, les
conditions de l'équilibre dynamique et la question de l'adaptation de
l'économie. Les néo-classiques, vont finalement inclure le
keynésianisme en le modifiant, en l'élargissant et en le modernisant.
Cette identité des problèmes montre à souhait que
l'apparition de la théorie néo-classique de la croissance a été dans une
certaine mesure fortement influencée par le keynésianisme, plus
précisément encore, elle s'est développée à partir de la critique, en
particulier des aspects technico-économiques du processus de la
croissance conçu par J.M.KEYNES. Le point de départ des auteurs
néo-classiques, est formé par la trame des idées développées par les
auteurs classiques: supériorité de l'économie de marché, bienfaits de
la libre concurrence (sous certaines conditions), non intervention de
l'État, libre circulation des marchandises (pas de protectionnisme),
concurrence pure et parfaite.
Cette double filiation (entre Classiques et Keynes) fait que les
auteurs néo-classiques retiennent (de leurs devanciers), en matière de
développement économique, trois volets essentiels à partir desquels,
ils échafaudent leurs modèles d'analyse et d'action:
• l'accumulation du capital fondement des modèles de
croissance économique les plus réputés de l'École (celui de
SOLOW, de SWAN, et MEADE.)
• Le modèle des échanges internationaux basé sur la théorie
ricardienne des coûts comparatifs prolongée et approfondie
par J.VINER, HABERLER, HECKSHER-OHLIN
• La promotion de l'économie du marché et la non intervention
de l'État.
• La politique monétaire
Le premier volet de la théorie néo-classique du développement
se formule en termes de croissance économique qui est fonction de
179
l'articulation des deux facteurs déterminants que sont le travail et le
capital. Or, l'accroissement de la productivité du travail qui se traduit
par une hausse du salaire réel résulte du processus d'accumulation du
capital dont le rythme dépend à son tour du prix du capital ou prix
d'offre de l'épargne.
L'accumulation du capital, en induisant une élévation des
salaires réels renforce la participation des salariés au produit, et
partant, réduit le taux moyen de rentabilité du capital. Donc les idées
du profit d'accumulation, de développement sont étrangères au
modèle néo-classique. Elles n'apparaissent dans le modèle que
lorsque J'on s'écarte de l'équilibre. En ce point, la rémunération du
capital doit être égale dans toutes ses applications; ce qui correspond
au taux d'intérêt. Si des profits apparaissent, c'est que la
rémunération du capital dans le secteur est supérieure à la
rémunération moyenne d'équilibre. Le modèle apparaît ainsi à la fois
comme une théorie de la production et de la répartition de la valeur ce
qui le différencie de la théorie marxiste de l'exploitation car, ici,
chacun des facteurs de production est un participant autonome à la
création de la valeur et, de ce fait un partenaire égal dans son partage.
Les principales conclusions de cette analyse sont que la
croissance s'explique faiblement par la croissance des facteurs. Le
facteur explicatif essentiel serait le progrès technique mais ce n'est là
qu'un mot que l'on s'est efforcé de préciser en le décomposant en
progrès technique autonome (les innovations), en progrès technique
incorporé dans le facteur capital (perfectionnement des nouvelles
machines), en progrès technique incorporé dans le facteur travail
(capital humain et accroissement de la formation et de l'éducation:
learning by doing).
Il serait intéressant de voir cette analyse néo-classique à
travers trois (03) modèles: de SOLOW, DE T.W.SWAN et J.
MEADE; Il est vrai qu'il existe bien d'autres modèles mais ceux-ci
sont les plus caractéristiques et inspirent plus les politiques de
croissance.
Pour ce qui concerne R. SOLOW76 et W. SWAN, leur modèle se
fonde sur les hypothèses de base de la fonction production néoclassique en tant que modèle de croissance économique. Les thèses
fondamentales en sont les suivantes:
• Il est retenu deux facteurs de production-le travail et le
capital- de même caractère fabriquant un produit de même
nature. En somme, le bien composite unique est produit par
du travail et du capital. De plus, le travail augmente à des
rythmes constants.
76
Théorie du. capital et taux de rendement.
180
•
•
•
•
•
Avec la libre concurrence, la rémunération des facteurs de
production correspond à leurs produits marginaux, c'est-àdire que le salaire est égal au produit marginal du travail, le
profit (intérêt) est égal au produit marginal du capital. C'est
pourquoi, la répartition du revenu exprime en même temps
l'apport productif de chacun des facteurs dans le coût de
production.
La libre concurrence, la libre substituabilité du travail et du
capital, ainsi que la libre variation de la rémunération des
facteurs de production conformément à la dynamique du
travail et du capital, garantissent le plein -emploi de toutes les
ressources.
Toute la partie non consommée du produit, c'est-à-dire
l'épargne est investie c'est-à-dire que le problème de la
demande n'existe pas
L'élargissement de la production n'influe pas sur
l'augmentation de l'efficacité; la productivité des facteurs
décroît, les conditions de production restant les mêmes
Le progrès technique a un caractère neutre, autonome, il
s'élève dans une égale mesure l'efficacité de tous les facteurs
de production.
Le modèle est une parfaite illustration du thème commun à A.
SMITH, S. MILL et A. LEWIS, à savoir la connexion entre
l'accumulation du capital et la croissance de la force de travail
productif.
Concernant le modèle de J. MEADE, il porte sur la recherche
de l'équilibre dynamique et, l'aspect néo-classique de son modèle
réside dans le fait qu'il utilise les hypothèses de concurrence pure et
parfaite dans une analyse de productivité marginale d'équilibre
général, afin de déterminer les prix relatifs des facteurs de
production. Dans cette optique les conditions de stabilité du taux de
croissance sont les suivantes: l'élasticité de substitution doit être
égale à 1; le progrès technique est neutre par rapport à tous les
facteurs; la part des épargnes prélevées sur le revenu des trois
facteurs est une grandeur constante. Dans ces conditions en
supposant constant les taux de croissance démographique et de
progrès technique, le taux de croissance de la production globale
tendra toujours vers un niveau constant donné représentant la
croissance économique équilibrée.
Ces modèles expliquent le niveau éventuel de la production
mais ils ne disent rien sur les conditions de sa réalisation. C'est
181
•
i
pourquoi ils sont sévèrement critiqués particulièrement par les
marxistes, les néo-ricardiens et les tenants de l'analyse hétérodoxe77 •
En définitive, la conception de la régulation de l'économie s'est
forgée dans le creuset de la discussion relative aux facteurs qui
déterminent en dernière analyse les rythmes du développement
économique dans une situation concrète donnée: les conditions de la
réalisation, c'est-à-dire la demande, ou bien les conditions de la
production, donc l'offre de ressources économiques. La discussion qui
a été soulevée à ce sujet opposait keynésiens et néo-classiques. Les
premiers voient les causes de la rupture de l'équilibre dynamique,
tant à court terme qu'à long terme, du côté de la demande, dans son
excès ou son insuffisance alors que les seconds accordent une
importance primordiale aux facteurs qui se rattachaient à la
production et à l'offre de ressources, au rapport coût-prix, à la
combinaison optimale des ressources, à l'efficacité de la production,
c'est-à-dire à tout ce qui détermine le potentiel économique
Le deuxième volet de l'analyse néo-classique concerne le
modèle des échanges internationaux selon lequel le libre-échange est
la clef pour une organisation efficace de la production mondiale.
L'analyse ricardienne avait établi, depuis 1817, que l'existence des
écarts de coûts relatifs de production entre pays, doit pousser à la
spécialisation et à l'ouverture de l'échange international. En effet,
chaque pays dispose d'un avantage relatif (ou comparatiD même les
plus pauvres qui ont de faibles productivités globales de leurs facteurs
de production. Ils ont intérêt à se spécialiser dans les secteurs où ils
sont relativement les moins désavantagés et à s'ouvrir au commerce
international. Le fondement de cette analyse du modèle néo-classique
de l'échange international est l'approche élaborée par HECKSCHEROHLIN-SAMUELSON selon laquelle chaque pays doit se spécialiser
dans la production des biens pour lesquels il dispose de meilleures
dotations factorielles. (facteurs abondants et donc peu coûteux).
Enfin le troisième volet est relatif au mode de régulation du
système économique. Globalement les néo-classiques accordent une
confiance absolue aux mécanismes du marché qui ont une force
régulatrice supérieure à condition de garantir la libre concurrence.
L'Etat, compte tenu de ses dépenses grandissantes, est un facteur de
déstabilisation. Toutes leurs constructions théoriques néo-classiques
visent à démontrer que la stabilité de la croissance peut être garantie
non pas, comme l'estimait Keynes et ses successeurs, par une activité
compensatoire de l'État avec ses dépenses inflationnistes, mais par la
Voir sur ce point, l'excellente réflexion de R. E. ROwrHORN: NeoClassical Economies and ies critics a marxisview et de Carlo BENETII:
Valeur et Répartition. Presse~ Universitaires de Grenoble 1974
Tl
182
politique monétaire et de crédit de la Banque Centrale. En effet, en
opposition aux formulations keynésiennes, le courant monétariste
conduit particulièrement par M.FRIEDMAN7B dans les années 50. se
base sur les capacités autorégulatrices des marchés. La manipulation
de la demande effective par l'État ne peut qu'entraîner l'inflation. Dès
lors, la politique économique doit limiter les dépenses publiques et
contrôler l'expansion de la masse monétaire génératrice d'une
inflation toujours ruineuse pour l'activité économique.
La théorie néoclassique ne permet pas encore l'élaboration
d'une politique économique cohérente et complète qui ne suscite de
vives controverses entre les divers courants qui la composent. En ne
prenant en compte que les relations techniques, elle a totalement
oublié des aspects déterminants de la politique économique qui est en
définitive une interaction de nombreux facteurs.
7H Friedman: « .\ theorical framework for monetaI")' analvsis »,Journal of Political Economv
0°2,1970
183
18 4
Chapitre 8
Théories structuralistes et institutionnalistes
du sous-développement et du développement:
approches Tiers-Mondistes et néo-marxistes
«Le progrès que représente pour l'analyse du sousdéveloppement la démarche historique par rapport à la
présentation fonctionnelle est évident. Si le développement
est un scandale historique, un phénomène exceptionnel
étroitement limité, le sous-développement doit lui aussi,
être analysé dans l'histoire. L'erreur serait de ne pas
pousser plus loin la réflexion et de faire du sousdéveloppement l'état commun de toutes les économies qui
n'ont pas connu la mutation révolutionnaire que
constituent le décollage ou l'industrialisation ».
J. FREYSSINET79
Dans un article introductif aux Cahiers de nSEA consacrés
spécialement au sous-développement. F. PERROUX propose. trois
outils d'analyse du sous-développement: la domination, la
désarticulation et la non-couverture des coûts de l'homme. Ces outils
prennent racine dans une approche selon laquelle le sousdéveloppement n'est ni une étape naturelle ou une manifestation
originale et spécifique, ni un phénomène conjoncturel, ni un retard de
développement encore moins une étape dans une ligne d'évolution
historique. Il est le produit de l'histoire de pays insérés dans la
division internationale capitaliste du travail qui a façonné toutes leurs
structures économiques, politiques, institutionnelles et sociales.
L'un des premiers apports de cette approche est alors une
perception plus lucide du rôle de l'histoire économique dans la
compréhension et surtout de l'importance des facteurs «nonéconomiques» dans le fonctionnement et la transformation des
systèmes économiques, comme celle du degré d'information des
agents responsables des décisions économiques. Une meilleure
connaissance des structures permet d'établir toute l'importance du
non-économique dans les chaînes de décision qui entraînent la
transformation des ensembles économiques complexes comme le
sous-développement. Ce dernier se caractérisant alors par la
particularité des structures de pays dominés dont la croissance pour
cette raison est vouée au blocage. Il devient dès lors l'alternative
7')
J. FREYSSINET: Le concept de sous-développement p173
185
radicale à la théorie de la croissance transmise et soulève des
questions relativement à son origine et son essence profonde.
Dans les années 50, la plupart des économistes notamment
ceux d'Amérique Latine regroupés au sien du CEPAL ont tenté de
répondre à ces questions dans le cadre de leur recherche d'un projet
national de développement. Des auteurs comme R. PREBISCH,
H.SINGER, SUNKEL, C. FURTADO et André GUNDER FRANK, Ruy
Mauro MARINI, Fernando H. CARDOSO, Vania BAMBIRRA,
Osvaldo SUNKEL, et T.DOS SANTOS, les plus éminents chercheurs
de cette époque avaient émis le point de vue que le sousdéveloppement était un processus historique spécifique, demandant
un effort de théorisation autonome. Ces réflexions sur ce cadre
historique seront à la base de la « théorie du sous-développement ».
En effet, selon FURTADO « le sous:"développement n'est pas une
étape par laquelle sont nécessairement passées les économies les plus
avancées. C'est une situation particulière, conséquence de l'expansion
de ces économies les plus riches, qui cherchent à utiliser les
ressources naturelles et la main-d'œuvre des zones d'économie précapitaliste ».80 Ainsi, C. FURTADO met en évidence que la
théorisation de la croissance doit tenir compte des facteurs
psychologiques ou sociaux qui influent sur le développement d'une
communauté. La simple quantification des variables s'avère
insuffisante pour expliquer la praxis des agents productifs car la
« prévision économique doit se contenter par obligation d'établir un
champ de possibilités» et le profit que l'homme peut tirer d'un
horizon d'action plus ample, seule l'histoire sociale peut l'expliquer.
Lorsque C. FURTADO s'attache à délimiter l'objet théorique
du structuralisme, il cite expressément F. PERROUX pour souligner
ce que l'on doit comprendre par « structure» : « proportions et
relations qui caractérisent un ensemble économique localisé dans le
temps et l'espace ». En effet, F. PERROUX avance « Les trois outils
d'analyse du sous-développement» qui sont, en fait, des réponses
articulées à ces questions: le sous-développement est le produit de la
domination (influence asymétrique et irréversible) exercée par des
puissances extérieures sur les pays périphériques. Cette domination
qui fut une agression économique véritable a entraîné la destruction
de l'équilibre ancien des économies et s'est traduite par une
déstructuration, une désarticulation des structures qui se manifeste
Kil
Celso FURTADO : Le nouveau Brésil: Publié dans la Revue Carta
Capital de décembre
Brésils
186
2002.
Traduction: Sandrine Lartoux pour Autres
concrètement non pas dans les termes ambigus d'un chiffre unique,
fut-il le PNB par tête, mais dans un phéqomène à la fois beaucoup
plus profond et beaucoup plus complexe: la « non-couverture des
coûts de l'homme ». Ces trois concepts foyers (la domination, la
désarticulation et la non-couverture des coûts de l'homme) se
retrouvent dans toutes les réflexions des auteurs qui se réclament du
structuralisme avec par moment des formulations, des méthodes
d'approche, des référentiels théoriques différents.
Toutefois, C. FURTADO va plus loin que PERROUX dans ses
analyses théoriques. D'abord, il démonte avec rigueur les modèles
économiques comme « a-historiques », « statiques» et « abstraits ».
Certains auteurs ont tenté de construire des modèles pour leur
insuffler une "dynamique" ou d'introduire, d'une manière ou d'une
autre, le temps (axe diachronique) dans leurs postulats théoriques
mais sans grands résultats. Ensuite, C. FURTADO se démarque
clairement en observant que le « structuralisme économique» latinoaméricain n'a rien à voir avec "l'école structuraliste française". Car ce
que l'on entend par pensée « structuraliste» en économie n'a pas de
lien direct avec l'école structuraliste française dont l'idée générale a
été de souligner l'importance de l'axe des synchronies dans l'analyse
sociale et d'établir une syntaxe des disparités entre les organisations
sociales.
Le structuralisme économique, École de pensée qui surgit
dans la première moitié des années 60 parmi les économistes latinoaméricains, a pour objet principal de mettre en valeur l'importance
des paramètres non-économiques des modèles macro-économiques.
Comme le "comportement des variables économiques dépend en
grande mesure de ces paramètres", ceux-ci doivent faire l'objet d'une
étude méticuleuse. Cette observation est particulièrement pertinente
en ce qui concerne les. systèmes économiques hétérogènes,
socialement et techniquement, comme c'est le cas des économies
sous-développées.
Malgré tout, les structuralistes de tous bords partagent trois
lignes de pensée qui sont: l'analyse historique, les incidences des
modes d'insertion à l'économie mondiale des pays sous-développés et
les politiques et stratégies de développement. Ces thèmes constituent
souvent le point de départ des réflexions et recherches des
structuralistes. Bien que plurielles, les auteurs convergent vers le rejet
des analyses à prétention technicistes centrées essentiellement sur
des variables strictement économiques. Le sous-développement dans
ces conceptions ne peut se comprendre sans prendre en considération
le processus historique de la formation des structures économiques et
sociales et leurs interactions dans le processus de dé';~!;:;ppemcnt ou
de sous-développement.
187
Ces idées fondatrices du structuralisme révèlent deux
interprétations, deux lignes d'approche différentes: l'approche
libérale qui considère l'état de sous-développement comme un retard
dans le développement, elle prend sa source dans l'analyse de l'École
Classique et la deuxième qui considère le sous-développement comme
le produit du développement du capitalisme mondial, cette analyse se
réfère souvent au marxisme. On trouve aussi des auteurs qui
échappent à cette classification et qui développent des réflexions
synthétiques indépendantes. C'est pourquoi, la variété des auteurs et
la diversité de leurs méthodologies dépassent de loin cette
présentation certainement trop réductrice de la richesse et de la
profondeur des recherches des structuralistes.
T a hl eau 4
:
R'esume'des d eux me'th o d o021es
d' approch e
1
Champi
Méthode
Théorie
hypothé.ticodéductive
[1][11]
Terrain
induction
(particularisme)
Action
(normatiO
(universalisme)
Approche globale
''!l du développement
Systémique'lil ~(systémisme, néo(holisme) marxisme,
dépendantisme.
structuralisme)
Analytique
(individualis
me
méthodologi
que)
Modélisation du
développement
(néoclassique,
anthropologie
formaliste, école
standard élargie)
Anthropologie
économique du
développement
Historicisme
Institutionnalis
me
Théoricoempirique. ex :
travaux
économétriques
sectoriels. Tests
empiriques et
d'efficience
Développem
ent intégral
et intégré.
Nouvel ordre
économique.
Réforme des
structures
Choix de
projets.
microréalisations.
systèmes
incitatifs.
prix et
marché
Source: Ph. HUGON, art, CIL p. 174.
Section 1 : La première École de pensée économique du
Tiers-monde: la formation de l'approche structurale du
développement à la CEPAL.
La création de la Commission Économique pour l'Amérique
Latine et les Caraïbes (CEPAL) en 1945 ':i?.rque la naissance du
structuralisme. En effet l'élaboration de ;. q·.èse structuraliste est
188
essentiellement associée aux écrits de cett-e Agence des Nations Unies
et, plus particulièrement, aux travaux de son premier Directeur,
RPREBISCH, considéré comme le père du structuralisme.
Les économistes latino-américains, dans leurs efforts pour
expliquer pourquoi la croissance économique n'avançait pas plus
rapidement en Amérique Latine dans les années 1950, en vinrent à
penser que certains aspects des structures économiques de leurs pays
en étaient la cause. Pour cela, pour être bref nous nous intéresserons
aux analyses faites par ces économistes à partir des années 50 basées
particulièrement sur la détérioration des termes de l'échange et sur la
théorie de la substitution aux importations avant d'étudier un
renouvellement de la théorie structuraliste du développement.
Les idées développées par les anciens structuralistes
(J.NOYOLA-VASQUEZ, A.PINTO, L.PRETRSCH, H. SINGER,
O.SUNKEL, M.TAVARES) en vogue dans les années 50 et 60 ont été
fortement influencées par les théories keynésienne et postkeynésiennes
qui existaient sur le rôle positif et nécessaire de l'État face à
l'inefficacité des mécanismes de marche, sur la nécessite de créer et
d'étudier la « demande effective» interne afin de stimuler l'activité
économique et proposer une explication du phénomène inflationniste
a partir des facteurs sociaux ou réels et par le courant néostructuraliste qui traite des liens entre répartition du revenu et
formation des prix et du taux de profit.
Également les structuralistes remettent en cause l'analyse
ricardienne et la théorie néoclassique (version HOS) du commerce
international selon laquelle les différences de dotations relatives en
facteurs de production entraînent la spécialisation internationale et
une tendance à l'égalisation (relative ou absolue) de la rémunération
des facteurs de production entre les coéchangistes. Cette tendance
devrait permettre de rapprocher les niveaux de développement : le
commerce se porterait alors comme un instrument de réduction des
inégalités entre les nations. La liberté du commerce conduirait à
réduire l'écart de revenu entre les pays riches et les pays pauvres.
Contrairement à cette analyse, les structuralistes découvrent dans
l'ouverture extérieure l'explication de la condition permanente du
sous-développement en Amérique Latine car les forces du marché ne
poussent pas vers l'égalité de la rémunération des facteurs de
production et des revenus.
La principale conclusion à tirer de la théorie d'HECKSCHEROHLIN, que l'on retrouve dans une multitude d'ouvrages et d'articles
d'auteurs consacrés aux rapports économiques internationaux est que
chaque pays a tendance à se spécialiser dans la fabrication et
l'exportation de marchandises exigeant de llumlm::uA fadeurs \de
production qui y sont relativement abondants et, de ce fait,
relativement bon marché. Ohlin souligne que la division interna189
tionale du travail est également influencée par les conditions de la
demande à l'intérieur de chaque pays, mais selon la plupart des
auteurs néo-classiques contemporains, ce facteur ne revêt habituellement pas une importance décisive et ne porte pas atteinte au
principe susmentionné. De ce fait, affirment-ils, le commerce
international est avantageux pour tous ceux qui y participent, car les
ressources productives de tous les pays sont utilisées de la manière la
plus efficace et, grâce à la division du travail et du commerce, chaque
pays reçoit avec un minimum de frais plus de marchandises qu'il n'en
aurait pu fabriquer lui-même. Selon cette théorie, le marché
capitaliste mondial serait une sphère d'échanges «réciproquement
avantageux» et les intérêts de tous les pays sont réglés par l'harmonie
naturelle.
Les traits distinctifs suivants caractérisent, selon PREBISCH,
les États industriels (<< centre ») et les pays producteurs de denrées
agricoles et de matières premières (<< périphérie») :
• détérioration des termes de l'échange pour la périphérie et
leur amélioration pour les principaux centres de l'économie
mondiale;
• économie intégrée au centre; à la périphérie, économie
productrice de denrées alimentaires et de matières premières,
de préférence monoculture, reposant sur des méthodes de
production précapitalistes ;
• impulsions de la conjoncture au centre; intenses
transpositions de ces impulsions des centres à la périphérie;
• accumulation rapide du capital et intense progrès technique
avec accroissement de la productivité et des revenus au
centre; faible accumulation du capital, progrès technique
insignifiant, faible productivité et faibles revenus réels à la
périphérie;
• à la périphérie, part considérable du commerce extérieur dans
le revenu national exerçant une influence décisive sur la
conjoncture; faible part au centre où les investissements
intérieurs et non le commerce extérieur exercent une influence
décisive sur la conjoncture;
• tendance chronique à la dépression au centre; à l'inflation
chronique à la périphérie;
.
• chômage au centre; sous-emploi et faibles productivités du
travail à la périphérie.
Ainsi, pour les structuralistes, l'unique voie pour rompre cette
insertion régressive qui contraint la ;'I>nphérie à rester sous
développée et conduit donc à une «spécIai!Jatïon 2~pauvrissant»
réside dans l'impulsion d'un développement illllo;s'ti. d La mise en
190
œuvre du processus d'industrialisation doit permettre d'améliorer a la
fois la répartition internationale des fruits du progrès technique
(l'industrialisation considérée comme véhicule premier du progrès
technologique devait contribuer à réduire l'écart technologique qui est
à la base de l'accentuation des différences structurelles entre le centre
et la périphérie) et la répartition interne du revenu national (via
l'absorption d'un montant croissant de main d'œuvre)
L'accent mis par la CEPAL sur les vertus magiques de
l'industrialisation doit permettre d'élever le niveau de vie des masses
populaires sans même mettre en place une politique de
"redistribution des revenus", ou même une réforme agraire.
Somme toute, ces politiques structuralistes de développement
ont été suivies avec succès par certains pays comme le Brésil,
l'Argentine et le Mexique, notamment en matière de décollage de
l'industrialisation, même si ces résultats ont tendance à être oubliés à
un moment à cause des nombreux soubresauts politiques puis de la
crise de la dette des années 80 qu'a connu la région latino-américaine.
Si bien que le structuralisme fondateur a pu sembler définitivement
dépassé, pour certains, ou bien à renouveler et c'est ce projet
théorique de renouvellement (de régénération) que constitue le néostructuralisme.
Section 2: La riposte libérale de l'analyse du sousdéveloppement: les thèses de C. CLARK à W.W. ROSTOW.
Renouant avec la tradition historique du siècle dernier, la
période contemporaine a vu certaines analyses visant à déterminer les
étapes du développement et de la croissance. Pour ces auteurs, il
existerait un sentier sinon optimal, du moins obligé, de la croissance;
un certain nombre d'étapes par lesquelles il est nécessaire que les
différents pays passent. Cette analyse se retrouve souvent dans la
littérature économique libérale. Elle est particulièrement soulignée
par HIGGINS lorsqu'il observe que «Ce qui s'est produit dans les
pays européens au 18 et 19ème siècles, c'est ce que nous désirons voir
se produire maintenant en Asie, en Afrique et en Amérique Latine»
Dànc l'idée est bien claire, : les mutations qui se sont passées à une
époque historique , dans certains pays qui sont maintenant
industrialisés et les PSD sont en retard par rapport à cette évolution,
l'application des mêmes techniques et des mêmes modèles de
développement leur permettront de sortir de l'état de sousdéveloppement.
Une série d'auteurs ont défendu ces idées parmi eux Colin'
CLARK mais surtout ROSTOW dont les approches continuent encore
d'inspirer les approches libérales du sous-développement.
191
La première approche est de Colin CLARK. Il considère qu'il
existe une corrélation entre la répartition de la population et le niveau
du revenu par tête. La proportion de la population occupée dans les
activités primaires c'est-à-dire l'agriculture, la pêche, l'élevage est
fonction inverse du revenu par tête. Au contraire, l'emploi de la maind'œuvre dans le secteur secondaire augmente avec le niveau du
produit par tête. Le secteur tertiaire va lui aussi croître lorsqu'on aura
atteint la phase supérieure du développement. De sorte qu'il y a un
développement successif des secteurs les uns après les autres. Le
secteur primaire va se dégonfler au profit du secondaire, puis les deux
premiers au profit du secteur tertiaire. Les PSD sont des pays qui ont
encore une forte proportion de leur population dans le primaire.
Cette analyse qui a eu ses heures de gloire, est largement
démentie par l'évolution des faits. En effet, on observe aujourd'hui
dans la quasi totalité des PSD une hypertrophie des activités tertiaires
qui sont plus signe de sous-développement que de développement.
D'ailleurs, S. AMIN fait de cette distorsion en faveur des activités
tertiaires une caractéristique du sous-développement.
La deuxième approche est celle de Rostow
La « philosophie» de l'histoire de ROSTOW se résume dans le
fait que, selon lui, toute société lancée sur la voie de l'industrialisation
indépendamment de sa force sociale, parcourt cinq stades: la société
traditionnelle, les conditions préalables de ce démarrage, les progrès
vers la maturité, l'ère de la consommation de masse. Le déterminisme
très primaire de ce découpage a provoqué de multiples contestations.
Si ce livre a fait tant de bruit c'est essentiellement pour deux raisons
(hormis l'heureuse image du « take- off») : c'est d'une part parce que
avec la doctrine des conditions préalables l'économie politique
dominante a cru un moment tenir le modèle capable à la fois d'être
offert aux pays sous-développés comme l'image de leur futur
développement, et exporter ces mêmes pays sous-développés à la
patience. Rostow s'attache en effet à démontrer l'identité de ces
conditions préalables avec les conditions historiques de naissance du
capitalisme, et l'inévitable longueur du mûrissement de ces préalables.
'.
192
eve1oppement.
rh'
1 eral e du SOUS- d'
Ta hl eaus: Analyse
1
L'analyse libérale
le sous-développement un retard de
développement. La théorie du développement linéaire de
ROSTOW (1960)
Les étapes
Les caractéristiques des étapes de la
croissance
Situation
contemporaine
La société
traditionnelle
Société agricole. stationnaire. la terre est la
seule source de richesse. Perspectives de
changement faibles. Société hiérarchisée
Les P.M.A.
Les conditions
préalables au
décollage
Apparition du profil. développement de
l'agriculture. idées nouvelles. Apparition d'un
Etat centralisé. l'épargne et l'investissement
augmentent
Pays en
développement
intermédiaires
Le décoflage ou
Emergence de branches motrices. La
croissance devient habituelle el crée un
processus cumulatif, inégalités sociales
Les N.P.1.
" take off"
La marche vers
la maturité
Apparition d'industries nouvelles,
augmentation de la productivité agricole
(exode rural), idée de progrès
Corée du Sud?
L'ère de la
consommation
de masse
Besoins essentiels satisfaits, organisation
efficace'mais contraignante, développement
de la proteclion sociale, développement du
secteur tertiaire
Pays occidentaux
développés
p.E.C.a. ?
De même que J. SCHUMPETER a fait rentrer le socialisme
dans la théorie de même ROSTOW y a-t-il fait pénétrer les pays sous
développés, D'autre part, avec sa cinquième étape, l'ère de la
consommation de masse, ROSTOW pose sous la forme moderne; le
problème de maturité .Cette ère de la consommation de masse se
définit, Selon Rostow, par le flit que le moteur de la croissance, dans
les sociétés mures , se situe dans le secteur des biens de
consommation , le secteur de biens d'équipement abandonnant le
rôle entraînant qu'il avait jusque là·. ROSTOW développe une idée
qu'on a vu exister en germe chez KEYNES et chez d'autres. Ou, pour
s'exprimer plus justement, Rostow insiste sur cette idée mais ne la
développe pas. Il n'existe en effet chez lui, ni analyses des raisons
pour lesquelles, à un moment déterminé les besoins d'investissement
devraient abandonner leur rôle moteur au régime capitaliste, ni
analyse des raisons pour lesquelles les besoins de la consommation
devraient tôt ou tard approcher de la saturation, ni esquisse d'une
solution possible à cette situation préoccupante. En effet la seule
consolation réelle qu'offre ROSTOW au régime c'est qu'a l'en croire,
toutes les sociétés futures (socialistes) auront un jour à affronter les
mêmes problèmes.
193
Section 3= Les néo-marxistes et les formulations d'une
approche du développement à la lumière de l'œuvre de Marx.
Dans la théorie marxiste l'évolution de la société obéit à des
lois scientifiques, qui devraient impliquer que toute société devrait
suivre les mêmes étapes d'évolution. Dés lors, l'histoire est une
succession des modes de production qui, à partir du communisme
primitif, sont passés par des stades plus ou moins enchevêtrés, qui
peuvent se classer pour simplifier, au moins en Europe: en société
esclavagiste, société féodale, en société capitaliste et en société
socialiste. Cette succession des modes de production est la base
matérielle de l'histoire humaine. Elle s'accompagne d'uh
accroissement de la productivité sociale du travail, ou si l'on veut, des
valeurs d'usage produites par unité de temps et par producteur. Avec
le capitalisme, la productivité augmente de façon exponentielle, ne
trouvant d'autre limite que dans les rapports de production
capitalistes eux-mêmes (limites qui s'expriment dans les crises, les
guerres... ou dans les révolutions prolétariennes). C'est dire, en
définitive, que l'évolution de la société obéit à des lois scientifiques,
qui devraient impliquer que toute société devrait suivre les mêmes
étapes d'évolution. 81 • Toutefois comme l'observe R. GARAUDY, « le
matérialisme historique de MARX n'est donc ni une méthode de
déduction, ni une méthode de réduction: l'on ne peut ni déduire les
superstructures de la base, ni réduire les superstructures à la base.
L'on peut dire seulement que la superstructure et la base sont des
moments d'une même totalité organique dans laquelle les rapports de
la société (considérée comme un système ou une totalité vivante),
avec le milieu naturel qui l'entoure, jouent un rôle majeur» Cette
supposition semblerait confirmée par une position de Marx montrant
que « Le pays le plus développé industriellement ne fait que montrer
à ceux qui suivent sur l'échelle industriel l'image de leur propre
avenir »82. Pourtant, dans sa fameuse lettre écrite en 1881 à une
Russe nommée Vera Zassoulitch, Marx observe clairement que les
développements analysés dans son livre Le Capital ne seraient
81 Certains interprètent MARX et ENGELS en disant qu'il faut nécessairement
passer par toutes les étapes, et d'autres interprètent Marx et Engels en disant
qu'un pays peut sauter des étapes. Le lecteur intéressé au «problème du
socialisme en un seul pays» peut se référer a deux passages écrits en 1845 et
1847 (mais publiés MARX et ENGELS, l'Idéologie allemande (éditions sociales,
pages 63-64), et Engels, Principes du communiste, question XIX (Éditions
sociales. annexe au manifeste communiste, page 87).
82 K. MARX : Préface à la première édition allemande. Certains interprètent
Marx et Engels en disant qu'il faut nécessairement passer par toutes les
étapes, et d'autres interprètent Marx et Engels en disant qu'un pays peut
sauter des étapes.
194
inévitables que pour les pays qui s'étaient déjà engagés sur la voie
capitaliste, notamment, avec l'expropriation de petits paysans de
leurs terres. Une société (dans ce cas, la Russie) qui garderait la
propriété communale de terres pourrait passer directement du
féodalisme au socialisme, en sautant l'étape capitaliste.
Ce débat fut repris dans le cadre du Mode de Production
Asiatique qui introduisait les découvertes de formes particulières de
transition vers une Formation Sociale socialiste B3 qui fasse l'économie
de la phase proprement capitaliste. Et les expériences concrètes des
pays comme la Chine, la Mongolie et le Viêt-Nam semblaient montrer
qu'un pays peut devenir socialiste sans passer préalablement par une
étape capitaliste, quelle que soit l'idée que se faisait K. Marx sur ce
sujet.
Au temps où il écrivait « Le Capital », Marx était convaincu
que la première révolution prolétarienne aurait lieu dans le pays
capitaliste le plus développé, l'Angleterre. Vers la fin de sa vie, il
pensa que la première révolution pourrait bien se dérouler en un pays
sous-développé (la Russie), mais à condition qu'une révolution russe
soit l'étincelle d'une révolution dans le reste de l'Europe, sinon les
pays capitalistes écraseraient le nouveau régime de Russie: « Il s'agit,
dès lors, de savoir si la communauté paysanne russe, cette forme
déjà composée de l'antique propriété commune du sol, passera
directement à la forme communiste supérieure de la propriété
foncière ou bien si elle doit survivre d'abord au même processus de
dissolution qu'elle a subi au cours du développement historique de
l'Occident. La seule réponse qu'on puisse faire aujourd'hui à cette
question est la suivante: si la révolution russe donne le signal d'une
révolution ouvrière en Occident, et que toutes deux se complètent, la
propriété commune actuelle de la Russie pourra servir de point de
départ à une évolution communiste. »84
Il faut rappeler qu~ dans nos développements antérieurs, nous
avions montré que le capitalisme porte en lui une contradiction fatale,
la baisse tendanciellè du taux de profit. Or, les recherches des
structuralistes marxistes comme S. AMIN, EMMANUEL, G. FRANK,
G.DHOQUOIS, C. PALLOIX entre autres, vont établir, après une
analyse du fonctionnement du capitalisme au Centre et à la
Périphérie, que le système central est sauvé d'une chute inéluctable.
Il Le capitalisme à la périphérie ou la définition du sousdéveloppement comme une structure plutôt que comme un
niveau du revenu par habitant.
Moustapha KASSÉ : Du sous-développement au Socialisme: réflexion sur
la transition, Silex
84 MARX et ENGELS: Introduction à l'édition russe (1882) du Manifeste
H3
195
C'est au chapitre II que se développe la partie centrale de
l'ouvrage de Samir AMIN, non plus cette fois ci en termes de modèle
de fonctionnement, mais en termes de modes de production et de
formations sociales. Cette partie qui est la plus importante renouvelle
de façon magistrale l'analys,e du « sous-développement» concept qui,
comme le dit S. AMIN, en occulte la réalité, celle d'une formation
sociale capitaliste domir.ée, exploitée et façonnée par l'impérialisme.
La problématique amorcée constitue l'élément dominant de
l'analyse. Le moment premier est de partir de ce qui est la base, les
fondements internes des dites Formations sociales à savoir des modes
de production antérieurs à la pénétration capitaliste, soit la
connaissance des modes de production précapitalistes, tel que le
mode de production asiatique pour lequel il se propose l'expression
de mode de production tributaire pour sa variante africaine. Il
s'oppose à deux variantes antagoniques de l'analyse du sousdéveloppement, l'une qui est celle de l'idéologie bourgeoise consistant
à faire du sous-développement un retard ou un blocage correspondant
au maintien des sociétés traditionnelles (thèse du dualisme), l'autre
(marxiste) qui tend à vouloir expliquer le sous-développement
uniquement à travers des causes externes (l'impérialisme).
La transition au capitalisme périphérique85 à savoir la
construction d'une formation sociale capitaliste spécifique à là
périphérie à partir de la colonisation et de l'exportation de capital sur
la base des modes de production précapitalistes. La théorie de la
transition au capitalisme périphérique livre deux séries de résultats:
d'une part, en ce qui concerne les conditions nécessaires pour que
s'établisse le mode de production capitaliste à la périphérie « celles-ci
sont au nombre de deux essentiellement: la prolétarisation et
l'accumulation du capital argent (p16S) ce qui insiste' sur la
dissolution des anciens rapports pour libérer la force de travail
nécessaire à l'établissement de rapports de production capitalistes,
libération obtenue le plus souvent par la violence; Et d'autre part en
cc qui concerne la dynamique de l'accumulation: «Le mode de
production, capitaliste tend à devenir exclusif c'est-à-dire à détruire
les autres modes de production. Sur ce point Samir AMIN développe
la spécificité du mode de production capitaliste dans les formations
sociales capitalistes de la périphérie qui me parait résider dans la
carence des rapports de production à dominer le développement des
forces productives, ce qui conduit d'un côté à la non industrialisation, .
et de l'autre à la consolidation des rapports
" s.. \.\II!\
196
: pp 163-193,
Le développement du capitalisme périphérique ou le
développement du sous-développement (PP197-338) qui selon
S.AMIN se manifeste par trois distorsions:
• une distorsion décisive en faveur des activités exportatrices
qui absorberont la fraction motrice des capitaux en
provenance du centre;
• une distorsion en faveur des activités tertiaires qui traduit les
contradictions particulières au capitalisme périphérique et les
structures originales des formations périphériques
• une distorsion dans les choix des branches de l'industrie en
faveur des branches et techniques légères, accessoirement en
faveur des techniques légères (P198)
• Les formations sociales capitalistes périphériques 8b avec plus
spécialement une caractérisation des formations sociales
africaines de la périphérie partagent trois caractéristiques
communes:
• la prédominance du capitalisme agraire et commercial dans le
secteur national,
• la constitution d'une bourgeoisie locale dans le sillage du
capital étranger dominant,
• la tendance au développement bureaucratique original, propre
à la périphérie contemporaine (P36o). Cette troisième
caractéristique engagerait les formations sociales vers
un « capitalisme d'État» parfaitement compatible avec les
exigences du centre et la reproduction des rapports
capitalistes internes aux Pays sous-développés 87 • La question
des relations (spécialisation et échange inégal) entre Centre et
Périph.érie. Ces deux points sont étroitement imbriqués:
spécialisation internationale inégale
• Tout cela établit avec clarté que les pays pauvres d'aujourd'hui
n'ont pas la même structure que les pays riches du siècle
passé. Donc ils n'auront pas la même histoire qu'ont eue les
pays riches. Nous retrouvons les caractéristiques structurelles
distinctives des pays pauvres (ou « périphériques») et que
soulignent presque tous les auteurs structuralistes de F.
PERROUX aux autres:
• Dualisme. Il y a de très fortes différences de productivité entre
un secteur moderne (mines, industries, plantations
commerciales, ...) et les autres secteurs de l'économie
(agriculture traditionne1le, .etc.). Ce thème a fait l'objet d'une
abondante littérature depuis son introduction comipe
86
87
Ibid: pp 339-376
Ibid :P 37 2
197
préoccupation de recherche par BOEKE (1953). C'est surtout
C. FURTADO qui construira autour de cette situation
structurelle toute sa construction du sous-développement.
« Le cas le plus simple est celui de la coexistence d'entreprises
étrangères productrices d'une marchandise d'exportation,
avec un large secteur d'économie de subsistance, coexistence
qui peut durer pendant de longues périodes. Le cas le plus
complexe est celui où une économie présente trois secteurs: le
premier essentiellement de subsistance, le second tourné
surtout vers l'exportation, le troisième étant un noyau
industriel lié au marché interne, suffisamment diversifié pour
produire une partie des biens de capital dont l'économie a
besoin pour se développer »88. Dans un cas comme dans
l'autre FURTAD089 montre que l'économie sera bloquée,
analyse partagée par S. AMIN
• Désarticulation. Il y a peu d'échange intersectoriel ou entre
industries. Dans un pays développé, les produits finis d'une
industrie sont souvent les matières premières d'une autre
industrie du pays (par exemple, l'acier provenant d'une
sidérurgie est une matière première pour une fabrique de
camions, et les camions sont des pièces d'équipement utilisées
par la sidérurgie) ; dans un pays sous-développé, les matières
premières-du secteur industriel sont importées, et les produits
finis sont exportés ou consommés par les ménagères': ils sont
rarement utilisés par les autres industries du pays.
• Domination extérieure. Le pays pauvre a peu d'autonomie ;
une large partie de son économie est sous le contrôle effectif
.des étrangers.
Celso FURTADO dans ses deux ouvrages publiés aux Presses
Universitaires de France: Développement et sous-développement (1966,
P.149) et Théorie du développement économique (1970)
89 Les caractéristiques du structuralisme qui apparaissent dans Théorie du
développement économique, dans son « Annexe méthodologique» ou dans
ses chapitres 14, 16, 18 et 20, évoquent une interprétation du
"structuralisme" proche de celles d'auteurs comme A. HIRSCHMAN, W.
LEWIS, R. NURKSE et ROSENSTEIN RODAN et de ce que l'on entend alors
par le terme « dépendance». Il s'agit d'un ouvrage qui déchiffre les
phénomènes économiques à partir d'une « matrice structurale » caractérisée
par la manière dont les variables exogènes et endogènes entrent en relation
et se déterminent réciproquement C. Furtado souligne dès le départ que les
modèles économiques contiennent un « nombre indéterminé de structures»
88
198
11/ L'accumulation à l'échelle mondiale9o permet d'éviter la
chute du capitalisme au Centre.
Il est théoriquement possible pour le système capitaliste de
continuer indéfiniment en fait de régler théoriquement et
pratiquement la contradiction de la baisse du taux de profit. Il serait
alors assez naïf de baser sa politique sur une disparition imminente
du capitalisme au niveau des pays riches. En effet, Samir AMIN opère
une certaine réduction instantanément au plan du concept
d'économie mondiale qu'il identifie à l'économie mondiale capitaliste
et à l'accumulation mondiale du capital d'où le titre de l'ouvrage. En
clair, au lieu de se tenir sur le terrain des rapports de production et du
développement des forces productives, il se situe à un niveau écran
qui est celui de l'accumulation du capital. Cela apparaît très
nettement lorsqu'il écrit que « L'accumulation, la reproduction
élargie, est une loi interne essentielle du mode de production
capitaliste, et sans doute du mode de production socialiste; mais elle
n'est pas une loi interne du fonctionnement des modes de production
précapitalistes ». Dès lors, qu'il admet ce qui est juste qu' « aucune
formation socio- économique concrète contemporaine ne peut être
saisie en dehors de ce système », le système mondial se définit par
l'accumulation à l'échelle mondiale et les mécanismes de cette
accumulation, ce qui le conduit à traiter l'accumulation au niveau de
l'économie mondiale comme un transfert de plus-value de la
périphérie vers le centre.
'Jo Samir .-\,\IIN / L 't/cmllll/I(/fiOIi ,) l'étuelle 1I10llrliaie
199
Figure 7 : Analyse structuraliste: Accumulation et enrichissement au
centre. Accumulation échelle mondiale
Accumulation et Développent au Centre
Accumulation échelle mondiale
1
/
Désarticulation
Distorsions structurelles
et faible productivité
1
Domination! Sous développement à la périphérie
Prebisch, Furtado, Singer, Emmanuel, Amin
Sunkel, G. Frank et Maurini
-
,
Non couverture coût
de l'Homme
Appauvrissement
C'est le thème fondamental de l'échange inégal d'Arghiri
EMMANUEL qui observe que « les relations entre les formations du
monde développé (le centre) et celles du monde « sous développé»
(la périphérie) se soldent par des flux de transferts de valeur, qui
constitue l'essence du problème de l'accumulation à l'échelle
mondiale. Chaque fois que le mode de production capitaliste entre en
rapport avec des modes de production qu'il se soumet, apparaissent
des transferts de valeur des derniers vers le premier qui révèlent des
mécanismes de l'accumulation primitive. Ces mécanismes ne se
situent pas seulement dans la préhistoire du capitalisme: ils sont
aussi contemporains. Ce sont des formes renouvelées, mais
persistantes de l'accumulation primitive au bénéfice du centre qui
constituent le domaine de la théorie de l'accumulation à l'échelle
mondiale» .
Cette analyse qui nous situe au plan de l'économie mondiale
marque un progrès certain. En effet, ce qui est au centre du capital de
Karl Marx, c'est l'action des rapports de productions capitalistes interne en mode de production essentiellement national -sur le
développement des forces productives, à travers les mécanismes de
l'économie du capital, qu'ils soient du type de la reproduction élargie
du capital social ou de l'accumulation primitive du capital, pour
reproduire les rapports de production. Le passage du cadre national
au cadre mondial exige que nous nous placions sur la base des
rapports de production définissant le rôle de l'accumulation du
capital à l'échelle mondial vis-à-vis de la production de ces mêmes
200
rapports. Le mérite de l'analyse, et cela est d'une première importance, est de nous engager sur cette voie.
« La théorie des relations économiques internationales pose
mal son problème, plus exactement elle pose un faux problème. Elle
procède en effet de l'hypothèse que les partenaires dans les relations
internationales sont des économistes capitalistes « pures ». Le cadre
de raisonnement n'est pas différent pour l'analyse de l'échange
international ainsi appréhendé de celui conçu pour l'analyse de
l'accumulation interne: on se place dans le cadre dune production
capitaliste. Cette hypothèse conserve un sens pour l'analyse de
l'échange international entre « pays développés », toutefois, elle n'a
pas de sens pour ce qui concerne l'échange entre « pays développés »
et « pays sous développés ». À ce niveau, on doit se placer dans le
cadre d'un raisonnement complètement différent: celui des relations
d'échange entre les formations socio économiques différentes. Quelles
sont ces formations en présence? Là est le vrai problème ». En effet,
le capitalisme au Centre diffère de celui de la périphérie.
1 0)
Le fonctionnement du capitalisme au Centre
En ce qui concerne l'analyse des formations socio
économiques capitalistes dominantes, un des apports essentiel de
Samir AMIN tient au refus de connecter « le modèle de
fonctionnement» du capitalisme au Centre de son insertion dans
l'économie mondiale, à le séparer de l'espace impérialiste mondial
dans lequel il fonctionne concrètement.
En ce qui concerne le modèle de fonctionnement, si Samir
AMIN ne se croit pas tenu de développer largement son analyse - on
aurait espérer un renouvellement - c'est qu'il se réfère très
étroitement d'une part à une vision marxiste classique quant aux
stades de développement historique du capitalisme et d'autre part à la
formulation du modèle de fonctionnement du capitalisme américain
de notre temps, tels que développé par BARAN ET SWEEZY.91 Vis-àvis des stades de développement du capitalisme au centre, Samir
AMIN distingue trois étapes très classiques:
• la période de constitution du capitalisme ...que l'on peut
définir par le caractère mercantile dominant du capitalisme;
• la période d'épanouissement du mode de production
capitaliste au centre, caractérisé par la révolution industrielle,
la dominance essentielle du capital industriel nouveau et la
forme concurrentielle du marché capitaliste.... ;
• la période impérialiste des monopoles - au sens léniniste de
l'expression - qui débute à la fin du 19ème siècle.
QI
Du groupe rattaché à la «MONTHLY REWIEW»
201
Tout modèle de fonctionnement capitaliste au centre est
réductible au modèle Américain. De plus le modèle DE BARAN ET
SWEEZY s'applique semble- t'-il à la totalité de la phase retenue, si
bien que l'auteur ne dit pas un mot sur la thèse du capitaliste
monopoliste d'État. Par ailleurs Samir Amin n'explore pas les
transformations du capitalisme monopoliste contemporain qui évolue
manifestement vers une phase de «concurrence internationale des
monopoles» (G.DE BERNIS). En bref, il recouvre d'une même
identité des périodes évolutives au sein de la phase du capitalisme
monopoliste: capitalisme monopoliste industriel et financier,
capitalisme monopoliste d'État, capitalisme de concurrence
internationale des monopoles. L'auteur se place sur le terrain du
modèle de fonctionnement uniquement, et cela en des termes très
voisins à ceux de BARAN ET SWEEZY, que ce soit le capitalisme
concurrentiel ou pour le capitalisme monopoliste , c'est-à-dire à
travers le mode de création et d'absorption du surplus - en liaison
avec le problème de la baisse tendancielle du taux de profit - d'où se
dégage la fonction des relations extérieures du centre avec la
périphérie: « Les relations internationales (commerce et exportations
de capitaux) conservent les mêmes fonctions pour le capital central,
c'est-à-dire comqattre la baisse tendancielle du taux de profit: en
élargissant les marchés et en exploitant des zones nouvelles ou le taux
de la plus value est plus élevé qu'au centre et en réduisant le coût de la
force de travail et du capital constant .Que l'on en déduise pas que
capitalisme concurrentiel et capitalisme monopoliste sont réductibles
l'un à l'autre sur le plan de la fonction des relations extérieures, car le
capitaliste monopoliste se caractérise par une exportation de capital
qui induit une nouvelle division internationale du travail entre le
centre et la périphérie.
Quoi qu'il en soit, sur le point de l'analyse du capitalisme
monopoliste Samir AMIN tente une synthèse des thèses de Baran et
Sweezy d'un coté et du collectif R RICHTA de l'autre sur la révolution
scientifique et technique, comme aggravation des contradictions au
centre, accentuant l'exportation du capital du centre vers la
périphérie.
Au fond des choses, Samir Amin ne débouche pas vraiment sur
une analyse de la formation sociale capitaliste au centre, se
cantonnant en réalité sur un modèle de fonctionnement capitaliste
« ouvert» sur la périphérie.
2°) La périphérie au cœur des mécanismes de
sauvetage du système capitaliste au Centre.
Les contre tendances à la baisse du taux de profit au centre
tiennent à une série de raisons qui justifient le maintien et même le
202
renforcement du système capitaliste. Elles sont pour Samir AMIN au
nombre de 4 dont la dernière mérite une évaluation particulière au
regard du rôle que joue la périphérie dans le sauvetage global du
système capitaliste au niveau central.
Première raison: Une augmentation des salaires. Parmi les
conséquences de l'augmentation des salaires qui vise un double
objectif d'une part la réduction des tensions sociales et d'autre part la
provision d'un marché pour les manufactures, que les ouvriers ont les
moyens d'acheter.
Deuxième raison: L'adoption de mesures « Keynésiennes»
pour balancer le niveau global de l'offre et de la demande dans
l'économie en jouant avec le surplus ou le déficit budgétaire, et avec la
quantité de monnaie mise en circulation. C'est le double effet de la
conjugaison des politiques budgétaires et monétaires qui stimule la
demande globale et déclenche le cercle vertueux de hausse par l'effet
combiné du multiplicateur (KAHN) et de l'accélérateur (AFTALION).
La conception de l'indemnité de chômage comme une politique
économique est souhaitable: elle n'est pas un pis-aller chez Keynes.
Troisième raison
L'absorption d'un
«surplus
économique» par le gouvernement en forme de grandes dépenses
publiques pour l'armement, la « race de l'espace », etc. Le rôle de ce
genre de dépense dans le maintien du système capitaliste a été
souligné par les économistes BARAN et SWEEZY.
Quatrième raison : L'exploitation des colonies et par la
suite des pays indépendants du Tiers-Monde. Le mécanisme passe
. par les relations économiques internationales qui contribuent à la
ruine de la périphérie par les divers transferts visibles et invisibles à
travers les termes de l'échange et l'échange inégal. La dêtérioration
des termes de l'échange des pays pauvres permet, du point de vue des
pays riches. d'importer à prix bas et d'exporter à prix élevé.
L'investissement direct aux colonies et ensuite au Tiers-monde est
caractérisé par un taux de profit élevé (exemple: pétrole. cuivre,
banane....)
1111 La question des relations (spécialisation et échange
inégal) entre le centre et la périphérie92
Ces deux points (spécialisation et échange inégal) sont
étroitement imbriqués à la spécialisation internationale inégale. Ils
ont été développés par tous les structuralistes d'inspiration marxiste:
R. PREBISCH, C. FURTADO, A. EMMANUEL, S. AMIN. G. FRANK,
92
A.EMMANUEL : L'Échange inégal
Samir AMIN: Le Développement inégal mais aussi et surtout L'Afrique de
l'Ouest bloquée. Paris Éditions. de Minuit, 1971
203
C. PALLOIX, T. SVENTES, M. MAURINI, Vis-à-vis de la
spécialisation, ou de la division internationale du travail entre le
centre et la périphérie, Samir AMIN souligne l'apparition d'une
nouvelle division du travail, issue de la nécessité pour le centre de
surmonter ses contradictions dans deux voies la première étant celle
de « l'intégration de l'Europe de l'Est dans les échanges internes du
centre» la seconde étant énoncée comme suit: « La seconde direction
possible c'est la spécialisation du Tiers-Monde, dans la production
industrielle classique (y compris celle de biens d'équipement), le
centre se réservant les activités ultra modernes (automation,
électronique, conquête de l'espace, atome). Notre époque est en effet
celle de la révolution scientifique et technique extraordinaire. Celle ci
rend caducs les modes classiques de l'accumulation, marqués par
l'évolution de la composition organique du capital...Les pays sousdéveloppés se spécialiseraient alors dans des productions classiques
qui n'exigent que du travail simple, y compris les productions
industrielles lourdes classiques (sidérurgie, chimie, etc.) »
Tout d'abord il n'est pas certain que cette nouvelle
spécialisation dans les productions classiques, à forte composition
organique du capital et à faible composition organique du travail
(travail simple), se généralise car elle est en contradiction avec la
dépendance technologique et politique de la périphérie. En effet, ces
pôles industriels classiques engendrent l'apparition d'un prolétariat
urbain qui induit forcément une activation de la lutte des classes;
aussi certains pays sous-développés (Maroc par exemple) refusent
ostensiblement les bases de l'industrialisation (sidérurgie, CHimie).
Par ailleurs, pour des raisons de sécurité du capital, le centre préfère
importer de la main d'œuvre dans son espace que réallouer ses
activités de production chaque fois que cela est possible. D'autre part,
l'implantation de bases industrielles classiques peut être le support à condition que les formations sociales de la périphérie le veuillent d'un procès autonome d'engineering, conduisant à briser la
dépendance technologique. Il faut saisir les contradictions dans leur
dynamique et agir sur elles.
Section 4: : Structuralisme et Institutionnalisme:
nouvelles recherches des économistes.
les
À l'origine, les fondateurs de l'économie du développement, en
l'occurrence les structuralistes et les marxistes, manifestaient déjà le
plus grand scepticisme quant à l'aptitude du marché à promouvoir
une accumulation régulière du capit::: ~ dans les économies
développées, et plus encore leur rattrapagt. ~.~.;- ~es auires pays (MEIR
[1995].) Ils soutiennent ainsi que l'État devrait ~empl. _er le marché,
responsable des crises et disfonctionnements répétés des économies.
204
Cette réflexion est aujourd'hui prolongée par celle des
institutionnalistes comme D. NORTH.
Après une longue période de vive contestation de la part des
néo-classiques (pour qui la pauvreté des paysans des pays du « TiersMonde »93 était loin d'être un obstacle au développement d'une
rationalité d'homo-economicus et donc d'une réponse aux signaux des
prix que véhiculent le marché [SHULTZ)), les économistes du
développement contemporains semblent aller vers une certaine
convergence: le reno,Uveau du structuralisme et la prise en compte
des institutions. L'échec des politiques antérieures prônant
uniquement le marché ou l'État semble être le moteur de cette
nouvelle configuration.
Il Vers un renouveau de l'approche structuraliste et
institutionnaliste du développement.
Pour favoriser le développement, faut-il plus ou moins d'État?
(SEN, 1988). D'un coté le consensus de Washington, qui donnait 10
prescriptions libérales aux pays en difficulté, semble aujourd'hui être
remis en cause, depuis les années 1990. Si à l'observation, il était
admis que l'omniprésence du pouvoir public, comme en Union
Soviétique, suggère que le « tout Etat» est voué à l'échec, aujourd'hui
d'autres faits dévoilent les imperfections des marchés qui inclinent au
retour de l'État dans le système économique et social:
• D'abord la crise asiatique. En effet ce consensus formulait des
principes généraux valables pour tous les pays: discipline
budgétaire, réformes fiscales clarifiant les incitations
économiques, élimination des barrières à l'échange
internationale et à la concurrence etc. John WILLIAMSON,
auteur de ce consensus, reconnait même que ces mesures
auraient dues être accompagnées par «la construction
d'institutions
clés telles qu'une
Banque Centrale
indépendante, une administration budgétaire forte, des juges
indépendants et incorruptibles et des agences en vu de
développer les missions de productivité. »
• Ensuite, les nombreuses recherches (nouvelle microéconomie,
nouvelle macroéconomie) montrent les limites du marché,
mettant en exergue le rôle des coordinations hors marché dans
l'apparition de sentiers de croissance ou d'équilibres plus
favorables que ceux qui résulteraient du marché uniquement.
Cela fait dire à HOFF ET STIGLITZ que «maintenant, la
théorie formalisée s'étend à de nombreux domaines de
93 Terme anciennement utilisé pour désigner les pays en voie de
développement.
205
•
l'information imparfaite et des contrats incomplets» et que
« dans de nombreuses configurations, des interactions hors
marché donnent lieu à des complémentarités qui peuvent être
associées à des équilibres multiples. »
Enfin les recherches économiques actuelles de certains auteurs
notamment les travaux de D. NORTH découvrent le rôle
primordial des institutions dans le développement et la
croissance. Elles établissent empiriquement que les écarts
constatés au niveau des revenus et des productivités ainsi que
les différences dans les performances proviennent
principalement de la qualité des institutions.
Figure 9 : Vers une approche systémique et institutionnaliste du
développement: le tournant des années 1990.
La conception du développement
en 2001 :
L'achèvement du
programme de
recherche de la
TEG montre la
généralité des
failles du marché
La diversité
des expériences
nationales et
J'expérience e
la transition
des économies
suviétlques
appellent un
renouvellement
théorique
1. État et marché sont plus
complémentaires que substituts
2. Trappes à la pauvreté,
multiplicité des facteurs qui font
obstacle au développement
3. l'ensemble des institutions,
normes, modes de gouvernement
conditionnement le développement
/
L'application
du consensus
de
Washington
n'empêche
pas des cri ses
majeures
Les recherches
contemporai nes
formalisent certaines
intuitions à l'origine
des analyses du
développement
(externalitès,coordinati
on, rendement
croissant. croissance
endogène
Source: R. Boyer: L'Année de la régulation 2001. Économie, Institutions, Pouvoirs
Presse de Sciences-Po.
Dans son Rapport Mondial sur k Oëveloppement 2007, la
Banque Mondiale, qui était pourtant l'un clt::::, pri!lcij:''l.ux défenseurs
du « consensus de Washington », reconnaît la resprn~:~'lbi1ité de l'État
dans les économies en développement, notamment par
206
l'investissement dans la jeunesse et son rôle de l'assister de l'entrée à
l'école à l'insertion économique et sociale. De plus, l'exploitation des
ressources naturelles engendre des externalités. Le marché à lui seul
ne peut réguler ces externalités car les agents en produisent
excessivement s'elles sont négatives et peu s'ils sont positives. Il
appartient à l'État de canaliser les premières et d'inciter les secondes
(éducation, santé...). C'est aussi à lui de gérer les questions comme la
préservation de ces ressources naturelles et donc de l'environnement.
Depuis les années 70, les pays en développement prennent de plus en
plus conscience du rôle de celui-ci car leurs économies en dépendent
considérablement. En outre, par les politiques de redistribution (de
revenus et d'actifs), l'État peut veiller à atténuer les distorsions
sociales et réduire la pauvreté. Ainsi, il ne s'agit plus de choisir entre
l'État et le marché, mais plutôt d'une juste association de ces deux
institutions. Le rôle de chacune d'entre elles n'est plus à contester,
tout comme leur insuffisance à nier. Il s'agit maintenant pour les pays
en développement de pouvoir pallier aux dérives du marché par des
interventions efficientes du pouvoir public.
II/ Le rôle des institutions dans le développement.
Beaucoup de recherches théoriques et empiriques établissent
aujourd'hui, toute l'importance que jouent les institutions dans le
développement et la croissance. En effet, l'évolution institutionnelle
d'une économie est déterminée par l'interaction entre les institutions
et les organisations: les premières représentant les règles du jeu et les
secondes les joueurs constitués de groupes d'individus mus par des
objectifs communs. Selon D. NORTH, les institutions sont alors une
'combinaison de contraintes mises en place par les individus et qui sont
de deux ordres: les contraintes formelles (règles, loi, constitutions) et les
contraintes informelles (normes de comportement, conventions, codes de
conduite auto imposés). D'autres définitions mettent l'accent sur les
organismes, les procédures, les réglementations, les coûts de
transaction, les droits de propriété, les normes en somme tout
élément permettant surtout de réduire les coûts de transaction,
d'économiser de l'information et de représenter la rationalité des
agents au regard du problème de coordination. Ainsi, au sens le plus
large, les institutions peuvent être comprises comme des règles
sociales reconnues et suivies par une même communauté qui
contraignent les actions des agents.
Les institutions qui sont requises pour le développement sont
de deux types: d'abord celles qui encouragent le développement des
activités de marché en développant la confiance et en diminuant les
coûts de transaction (droit des contrats, normes de comportement
facilitant la confiance etc.) et ensuite celles qui canalisent le pouvoir
207
de l'État vers la protection de la propriété et non pas l'exploitation
(séparation des pouvoirs, fédéralisme, normes anti-corruption etc.).
En effet, les institutions représentent une condition nécessaire pour
un fonctionnement harmonieux des marchés.: le temps et
l'incertitude qui caractérisent, tout processus de marché incitent les
agents à suivre des règles communes qui conduisent à l'émergence et
au développement des institutions qui permettent, à leur tour, en
fournissant des modèles stables d'interaction, de réduire l'incertitude
qui prévaut sur le marché.
Dès lors, la clé du développement découle de la complémentarité
entre l'État et le marché. Aussi, les arrangements institutionnels
intermédiaires peuvent être des catalyseurs. Les institutions sont des
règles sociales reconnues et suivies par une même communauté qui
contraignent les actions des agents. Définies d'une façon aussi large,
elles comprennent des règles non imposées mais volontairement
suivies comme la solidarité sociale ainsi que des règles imposées de
façon externe comme les systèmes juridiques. Les règles externes sont
des règles formelles et constituent le système juridique.
L'établissement de règles de droit est un préalable essentiel au
développement car les acteurs économiques doivent connaître les
règles du jeu pour élaborer des stratégies économiques. Toutefois,
certaines normes sociales sont suivies spontanément par les individus
sans qu'ils y soient contraints par la loi (normes sociales
internalisées). 11 s'agit de règles de morale, de solidarité ou de
politesse qui établissent la confiance et réduisent les coûts de
transaction entre les agents. Quand ces règles permettent d'accroître
la production elles sont quelquefois appelées « capital social» sous ce
rapport, elles ont fait l'objet d'une attention récente des chercheurs
pour comprendre trois aspects de la micro-économie du
développement : la réussite de petits groupes ethniques ou religieux
(un phénomène beaucoup observé au Sénégal), la gestion de
l'environnement naturel et la microfinance.
Les institutions comprennent également les organisations qui
sont des combinaisons de faèteurs de production ordonnées suivant
des règles hiérarchiques pour atteindre certains objectifs. Aussi, toute
organisation repose sur des institutions et toute institution demande
des organisations pour être mise en œuvre.
À ce niveau, la théorie économique des institutions soulève
trois problèmes auxquels elle tente d'apporter des réponses souvent
en divorce avec les analyses de la théorie standard:
• Pourquoi les pays qui ont été capables de créer et de
développer des institutions propices au développement et à la
croissance sont-ils si peu nombreux?
• Quelles sont les institutions qui portent le développement .~
208
•
Que doivent faire les PSD pour mettre en œuvre de bonnes
institutions?
Les réponses à ce questionnement se ramènent à une
évaluation des institutions qui portent le développement et ensuite à
l'étude de leur fonctionnement en vue de leur mise en œuvre au
niveau des PSD. Ces institutions sont de trois ordres:
•
•
•
•
•
•
Les variables significatives: la protection des droits de
propriété, le droit des contrats, les libertés civiles, les droits
politiques et la démocratie, l'instabilité politique, les
institutions qui supportent la coopération.
Mais toutes ces variables ne sont pas des institutions: les
droits de propriété, l'instabilité sont des résultats, la
fragmentation ethnique une condition, les barrières
commerciales, la prime au marché noir reflètent des options
de politiques économiques.
L'émergence d'un environnement favorable aux acteurs de
l'économie et à un fonctionnement concurrentiel des marchés.
Les évolutions actuelles de l'économie du développement
proposent au moins deux autres formes de coordination, outre
le marché et l'État:
D'abord la firme qui assure une fonction d'allocation des
ressources. WILLIAMSON (1985) montre qu'en présence de
coûts de transaction importants liés au recours du marché, ou
encore à la difficulté de la collecte et du traitement de
l'information, l'organisation peut développer des routines
d'allocation des ressources et de circulation des informations
plus efficaces, et par conséquent constitue un lieu
d'accumulation de compétences et de savoirs spécifiques;
Ensuite la société civile qui est un système où s'établissent des
conventions, des règles, des habitudes qui permettent et
facilitent par la suite les transactions proprement
économiques à travers la formation de réseaux (Granovetter),
la création et le maintien de la confiance, la coopération. Elle
entretient aussi des relations avec les organisations car elle lui
impose des règles qui ne sont pas forcément reconnues par le
marché ni par l'État.
Il apparaît ainsi que le duo État/Marché était trop simpliste
car l'économie étant en réalité un concours de facteurs plus nombreux
et plus complexes. Cela fait que l'économie du développement est
devenue systémique et institutionnaliste et impose une vision
dynamique et non plus statique ou dogmatique. La place de l'État s'en
209
trouve renouvelée au même titre que l'importance du marché, mais
aussi des institutions.
1111 L'évolution des thèses structuralistes vers le néostructuralisme.
Indubitablement, le courant néo-structuraliste s'inspire du
structuralisme traditionnel. Beaucoup des contributions de la pensée
structuraliste sont encore pertinentes et sont reprises et enrichies par
les « nouveaux structuralistes» parmi lesquels on peut citer
F.FAJNZYLBER, R. F. FRENCH DAVIS, A FISHLOW, A. FOXLEY,
N.LUSTIG, P. MELLER,J, ROS, M. TAVARES, L.TAYLORetc.
Ces auteurs reconnaissent que l'apport principal du courant
structuraliste est d'avoir mis en évidence l'importance des aspects
structurels dans l'analyse des économistes du tiers monde à travers
l'idée selon laquelle, l'insertion internation~le défavorable des pays
sous développés est le reflet des différences de structure entre les pays
du centre et ceux de la périphérie.
L'approche néo-structuraliste attribut un rôle primordial aux
différentes dimensions de l'hétérogénéité structurelle: l'hétérogénéité
des marchés extérieurs, la diversité des réponses à des incitations
suivant les régions et les segments du marché (les petites et grandes
entreprises, les entreprises rurales et urbaines, les firmes naissantes
ou déjà bien implantées ), les degrés de mobilité des ressources et de
flexibilité des prix qui dépendent de l'intensité de la réponse des
différents secteurs et marchés et des perceptions et des anticipations
des agents économiques (cf. F.FRENCH-DAVIS L-(1993).
Les néo-structuralistes acceptent également l'idée des
structuralistes selon la quelle l'unique voie des pays sous développés,
de sortir du système Centre 1 Périphérie qui entrave leur
développement est d'impulser un développement industriel.
Dans cette dynamique, comme les structuralistes anciens, ils
sont favorables à l'intervention de l'État afin d'encourager le
processus d'industrialisation. Contrairement à l'analyse libérale, qui
conçoit le développement comme un· simple produit du
fonctionnement spontané du marché (où l'ajustement par les prix
serait le principal mécanisme menant au développement), l'approche
structuraliste et néo-structuraliste envisage le processus de
développement comme étant plutôt le produit d'un effort délibéré des
pouvoirs publics dans les économies périphériques caractérisées par
une profonde hétérogénéité structurelle. D'ailleurs, le jeu spontané
des forces du marché s'est traduit dans la région latino-américaine
par une tendance structurelle vers le déséquilibre externe, le chômage
structurel et les déséquilibres intersectoriels.
210
Pour des micro marchés caractérisés par leur étroitesse et la
nécessité d'utiliser des technologies exigeant de grandes échelles de
production pour des raisons de rentabilité, cette intégration régionale
est considérée comme pouvant offrir aux économies de la région une
opportunité de spécialisation industrielle, qui leur permettrait aussi
de réduire la sous utilisation du capital et l'inefficacité des processus
de production, cependant, en même temps qu'il reconnaît les apports
estimables de la pensée structurelle. Le néo-structuralisme prend acte
des insuffisances des politiques de développement d'inspiration
structuraliste (la stratégie de substitution aux importations)
expérimentées dans le continent latino-américain. Durant trois
décennies, les néo-structuralistes ont observé des visions contradictoires: un pessimisme exagéré par rapport aux possibilités
d'exportations, une confiance excessive dans les vertus de l'intervention de l'État dans l'économie, la négligence des aspects monétaires et financiers et la sous-estimation de la nécessité d'un ajustement à court terme de l'économie, ajustement devant suivre des voies
bien entendu différentes de celles prônées par les néolibéraux.
Dans ce contexte, ils réaffirment certes la nécessite du rôle de
l'État dans la promotion du développement économique (le marché
doit être assisté par les politiques gouvernementales) mais son rôle
doit être circonscrit clairement de sorte à éviter les erreurs liées à une
confiance excessive dans les vertus de l'intervention de l'État dans
l'économie. La formule ne consiste donc pas à revenir à une
régulation extensive et non sélective de VÉtat, comme cela a été le cas
en Amérique Latine lors de la mise en œuvre de la stratégie de
substitution aux importations, ou à préconiser la libéralisation
générale des marchés, comme dans le schéma néolibéral, mais à
rechercher la complémentarité (mis en avant par l'approche
structuraliste) entre l'État et le secteur privé.
En d'autres termes, il faut dépasser le « faux dilemme» entre
l'État et le marché par une participation active et complémentaire
public/privé dans l'élaboration de la stratégie de développement.
(BERTHOMIEU, C. EHRHART 2000). Les néo-structuralistes
soutiennent que « des contrepoids institutionnels sont nécessaires
pour compenser les pressions asymétriques en faveur de plus
d'intervention» (J.RAMOS et O. SUNKEL 1993).
Les néo-structuralistes considèrent l'industrialisation fondée
sur la substitution comme une étape initiale nécessaire du processus
de développement. Néanmoins, ces derniers pensent que ce processus
a été maintenu trop longtemps et qu'il est temps maintenant de tirer
profit de la. capacité industrielle créée au moyen de la stratégie de
substitution en passant à la seconde étape, celle de l'exportation de
produits non traditionnels et spécialement les biens manufacturés.
Enfin, les néo structuralistes critiquent de ce fait le pessimisme
211
exagéré quant aux possibilités d'exportation des pays latinoaméricains qui a résulté de la mise en pratique de l'industrialisation
de substitution aux importations.
Au terme de cette analyse, on peut retenir que la position des
économistes du courant structuraliste et particulièrement les
économistes de la CEPAL a évolué: dans les années 50, en raison du
caractère asymétrique de la relation entre le centre et la périphérie,
l'approche structuraliste s'était focalisée sur l'industrialisation par
substitution aux importations; dans les années 90, la réponse
proposée par le courant néo- structuraliste au phénomène de
globalisation économique est la recherche et l'atteinte d'une
compétitivité internationale accrue.
212
Chapitre 9
Entremêlement des théories et modèles
de la croissance
«Le vif regain d'intérêt que connaît actuellement la
théorie de la croissance, qui a pris naisssance dans les
articles de ROMER (1986)et de LUCAS (1988 à partir de
ses Leçons sur Marshal de 1985) ne montre encore aucun
signe d'épuisement. L'heure n'est pas au bilan mais
l'attention portée à la théorie de la croissance s'est
partagée en trois phases successives durant le dernier
demi-siècle. La première correspondait aux travaux de
HARROD (1948) et de DOMAR (1947). La seconde vague
a été celle du développement du modèle néo-classique. La
troisième vague, née d'une réaction aux oublis et aux
déficiences du modèle néo-classique».
Robert SOLOW94
La croissance économique est généralement définie comme
l'augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes longues de
la dimension et de la structure d'une économie. Cette dimension, à
l'échelle de la nation, est mesurée par deux indicateurs : le Produit
Intérieur Brut (PŒ) et le Produit National Brut (PNB). Pour qu'il y ait
croissance, il faut non seulement qu'il y ait augmentation de la
production, mais aussi que ce mouvement ascendant soit durable et
non aléatoire (on parle parfois de croissance pour traduire le
mouvement d'augmentation de la production à court terme, le terme
approprié dans ce cas est expansion). La croissance s'accompagne de
changement de structure, des modifications des conditions de la
production: investissement en hausse, modification des qualifications
de la main-d'œuvre, incorporation du progrès technique par les
machines nouvelles, nouvelles habitudes de consommation,
modification des anticipations des entrepreneurs; elle s'accompagne
également de mutations sectorielles.
Toutefois, dans le cas des PSD, la production d'une matière
première d'origine agricole ou minière peut augmenter brusquement
du fait de meilleures conditions climatiques ou d'une hausse des cours
mondiaux accroissant ainsi la production. Mais cet accroissement de la
production, qu'un hasard climatique ou une chute des cours peuvent
effacer le lendemain, n'est pas synonyme de croissance. On parlera de
R.SüLüW: Perspectives on Growth Theory, The Journal of Economie
Perspectives,1994
94
213
croissance si l'augmentation de la production est le fait de nouvelles
techniques, de l'amélioration des qualifications du travail, d'investis,sements supplémentaires, etc.
Différentes réflexions sur la situation actuelle du continent se
ramènent parfois a trois interrogations majeures: Pourquoi la
massification de la pauvreté en Afrique? Pourquoi des pays comme la
Corée du Sud, la Chine de Taiwan et certains NPI ont maintenant un
revenu réel par tête vingt fois supérieur à celui de l'écrasante majorité
des pays subsahariens qui pourtant étaient au même niveau de
développement en 1960? Certains pays comme la Côte d'Ivoire, le
Ghana et le Sénégal avaient même un niveau de revenu per capita
plus élevé. Quelle est la politique économique capable d'élever le
rythme de croissance des économies afin de sortir de la trappe de la
pauvreté et amorcer le rattrapage de ces pays qui ont résolu les
problèmes essentiels du sous-développement en l'intervalle d'une
génération?
Les théories enseignent que la croissance forte et durable dans
l'équité est la solution aux difficultés économiques de l'Afrique. La
réduction de la pamTeté est directement corrélée au niveau de la
croissance. Depuis les Classiques jusqu'aux théoriciens de la
croissance endogène la croissance et le développement résultent
fondamentalement de l'accumulation du capital qui permet
simultanément d'élargir les capacités de production et la productivité
des facteurs.
Manifestement ces pays accusent une faible base autonome
comme l'établit la quantité impressionnante de matériaux statistiques
rassemblés. Dès lors. s'ils veulent s'en sortir et lever tous les obstacles
qui s'opposent à l'expansion, ils doivent faire de la croissance l'objectif
économique et politique majeur. C'est pourquoi la croissance pour ces
pays doit atteindre des performances. Elle doit y être rapide avec les
taux les plus élevés possibles compte tenu bien sûr des ressources
naturelles, financières et humaines qu'ils peuvent mobiliser. En outre,
la croissance doit être régulière et débarrassée de toute fluctuation trop
forte, en baisse comme en hausse. Enfin, elle doit être équilibrée, c'està-dire que les capacités de production et de consommation doivent
correspondre et s'ajuster en permanence.
En d'autres termes. la croissance doit être au premier rang de
toutes les priorités, c'est-à-dire qu'il doit y avoir une organisation, une
articulation des facteurs de la croissance telle qu'entre deux périodes
un agrégat significatif de l'activité économique soit le plus élevé
possible. Que faire pour y aboutir? Deux problèmes sont à régler:
- les actions de type macro-économique dans le cadre de la
politique générale,
-les actions ponctuelles pour élever le taux de croissance.
214
Les actions globales soulèvent la question des orientations de
nature stratégique pour savoir comment mener la politique d'ensemble
de la croissance. À ce propos, deux tendances s'opposent entre
croissance balancée (développement équilibré) et croissance non
balancée (développement déséquilibré).
Figure 9 : Processus de la croissance
- Stabilité macroéconomique
- Investissement en capital humain
- Système financier adapté et sûr
- Bonne politique de développement
-Environnement institutionnel
stable
Accumulation
du Capital
- Accroissement du
capital humain
- Investissement
Emploi
Utilisation efficace
du capital humain
sur le marché du
travail
Progrès
technique
- Amélioration de
laproductivité
- Evolution
technologique
Un bref rappel des théories est indispensable pour bien
comprendre les schémas de croissance et leurs déterminants.
Section 1: Rappel des théories de la croissance et des
schémas d'accumulation productive.
Le monde des théories de la croissance est à la fois varié,
complexe et fortement nuancé dans les formulations.
Dans leur ouvrage sur « Les nouvelles Théories de la
croissance», Dominique GUELLEC et Pierre RALLE s'interrogent de
savoir: Pourquoi, la richesse produite dans les pays les plus développés
a-t-elle été multipliée par 14 depuis 1820 ? Pourquoi, depuis la Seconde
Guerre Mondiale, le Japon a-t-il une croissance beaucoup plus rapide
que les pays occidentaux? Pourquoi les pays africains veulent-ils une
croissance rapide et au taux le plus élevé? 95Différentes théories de la
croissance, depuis le 17'rnc siècle jusqu'à nos jours, cherchent toujours
les réponses à ces questions. Le tableau suivant offre un panorama
historique des théories et des auteurs depuis la naissance de l'École
Classique jusqu'à nos jours.
GUELLEC et P.R.\LLE : Les /I01llJe//es théo/ùs rie la croùsm/ce. Collect. Repères, . La
Découverte 2003
'li.
215
Tableau 6 : Synopsis des principales théories de la croissance
Théories de la
croissance
Origine de la
croissance
A. Smith (1776)
Division du travail
D. Ricardo (1817)
Réinvestissement
productif du surplus
R. Malthus (1799)
Réinvestissement
productif du surplus)
K. Marx (1867)
Accumulation du capital
J. A Schumpeter
(1911, 1939)
Grappes d'innovations
Modèle
postkeynésien
R. Harrod (1939),
E. Domar (1946)
Le taux de croissance est
fonction du rapport entre
le taux d'épargne et le
taux d'investissement
Modèle
néoclassique
R. Solow (1956)
Population et progrès
technique « exogène»
Modèle du club de
Rome
Meadows (1972)
Ressources naturelles
Théorie de la
régulation
M. Aglietta (1976)
R. Boyer (1986)
Théories de la
croissance
endogène
P. Romer (1986), R.
Barro (1990), R.
Lucas (1988)
Traits
caractéristiques
Croissance illimitée
Croissance limitée en
raison du ren<~ement
décroissant des terres
Croissance limitée en
raison de la loi de
population
Croissance limitée dans
le monde de production
capitaliste en raison de
la baisse tendancielle
du taux de profit
Instabilité de la
croissance, théorie
explicative du cycle
long type Kondratiev
Instabilité de la
croissance
Caractère transitoire de
la croissance en
l'absence de progrès
technique
Croissance finie en
raison de l'explosion
démographique, de la
pollution et de la
consommation
énergétique
Articulation entre régime
de productivité et régime
de demande
Diversité dans le temps
et dans l'espace des
types de croissance
Capital physique;
technologie; capital
humain; capital public;
intermédiaires financiers
Caractère « endogène»
de la croissance;
réhabilitation de l'État;
prise en compte de
l'histoire.
Source: Angus Maddlson. l'Economie Mondiale 1820-1992. OCDE. 1995.
216
Toutefois, les théoriciens, quelles que soient leurs sensibilités
particulières, partagent:
•
•
•
une analyse du sous-développement menée en termes
quantitatifs et d'économiste,
une approche méthodologique de modélisation du processus de
croissance économique;
une politique économique de croissance non pas optimum,
mais celle qui pourrait être la plus souhaitable parmi celles qui
sont possibles.
L'étude de ces trois éléments permet d'évaluer les contours des
théories qui portent à la fois les instruments et les politiques
économiques. L'approche quantitative se veut une analyse du sousdéveloppement qui se fonde exclusivement sur des critères
quantifiables. Pour beaucoup d'auteurs, cette méthode présente au
moins deux avantages. D'une part, face à l'extrême enchevêtrement
des faits, la théorie doit privilégier ceux qui sont les plus édifiants, les
plus décisifs, finalement ceux qui peuvent être quantifiables. Cette
caractéristique finit par leur conférer une valeur intrinsèque
incontestable. D'autre part, la démarche mettant en avant des faits
mesurables répond à un souci d'objectivité et d'impartialité doctrinale
car en définitive, elle se borne à rassembler des faits, à faire un bilan
des certitudes. Elle pourrait alors, pense-t-on, fournir une base
commune à tous le~ économistes, quelle que soit leur orientation
idéologique. Cet empirisme a fait qu'en fin de compte, cette forme
d'analyse a permis de rassembler un matériau statistique
extrêmement appréciable sur les pays en voie de développement.
Le point de départ de toutes les théories est la reconnaissance
du rôle fondamental de l'accumulation du capital dans tout processus
de croissance et de développement. Cette découverte majeure
provient des économistes classiques qui ont formulé au 18ème et le
19ème siècle les premières interrogations sur la croissance. Leurs
analyses sont marquées d'une part par l'optimisme d'Adam SMITH et
d'autre part par le pessimisme de RICARDO et de MALTHUS.
L'approche ricardienne admet que la croissance économique est
tributaire du profit qui est perçu par les industriels; cependant, avec
la rente différentielle au fur et à mesure que la population s'accroît, la
demande des biens de subsistance augmente ainsi que le prix des
biens et la rente des propriétaires fonciers. Donc à long terme le profit
tend vers zéro, les capitalistes ne vont plus investir, le stock de capital
se stabilise vers un bas niveau. C'est alors l'arrêt de l'accumulation du
capital qui va conduire le système vers un. état stationnaire qui peut
être évitée grâce au concours du progrès technique et à la libre
importation des produits étrangers.
217
K MARX a pris le contre-pied de l'école classique libérale et
développé une analyse qui remet en .cause la possibilité d'une
croissance durable dans une économie capitalistique. En effet, le
mode de production capitaliste est caractérisé par l'absence de
coordination des producteurs individuels; l'anarchie des activités
entraîne des risques de surproduction car la régulation par le marché
n'intervient qu'à posteriori. La concurrence conduit les entrepreneurs
capitalistes à augmenter sans cesse leur effort d'investissement, il en
résulte une augmentation de la composition organique du capital et
une tendance à la baisse du profit qui va alors bloquer le processus
d'accumulation entraînant l'économie capitaliste dans une crise
irrémédiable. À la différence des classiques, l'état stationnaire
provient chez KMARX du progrès technique et du changement des
méthodes de production et non de la rareté.
L'approche de la croissance par J.SCHUMPETER met l'accent
sur des facteurs importants comme l'introduction de nouveaux
producteurs, l'introduction d'une nouvelle forme de production,
l'ouverture de nouveaux marchés, la découverte et la conquête de
nouvelles sources de matières premières et la mise en œuvre d'une
nouvelle méthode d'organisation du travail. L'innovation est mise en
œuvre par l'entrepreneur qui tire un profit grâce au monopole
temporaire que lui confère l'innovation
C'est surtout Keynes et ses disciples qui vont élaborer les
modèles de croissance qui mettent en évidence l'importance de
l'investissement dans les fluctuations de l'activité économique. Nous
avons suffisamment insisté sur les travaux de R. HARROD pour qui
l'investissement exerce un double effet dans l'économie: un effet de
revenu qui détermine le revenu et la demande globale (avec
amplification par le biais du multiplicateur qui exprime l'aspect
demande) et un effet de capacité par lequel, il accroît également la
capacité de production: c'est l'aspect offre.
La confrontation des deux aspects, offre et demande, fait
apparaître une dissymétrie que souligne DOMAR : du coté de l'offre,
c'est le montant de l'investissement (1) qui détermine la croissance
alors que du côté de la demande, c'est plutôt la croissance de
J'investissement (delta 1).
Tous les modèles de croissance qui s'appuient sur les théories
keynésienne et néo-classique accordent à l'investissement une fonction
motrice. L'enchaînement est simple: le taux de croissance étant une
fonction du taux d'accumulation du capital ou encore du taux
d'investissement. Comme on l'a souligné plus haut pour réaliser un
taux de croissance élevé, il faut investir en capital physique ou social le
plus élevée possible du revenu national. On affame pour équiper car
des ressources sont extraites ainsi de la consommation. Évidemment,
la théorie ne dit strictement rien sur le pourcentage du revenu national
218
qu'il faut consacrer chaque année à l'investissement. W. ROSTOW
avance un pourcentage compris entre 15 et 20% du RN. Seulement ses
chiffres restent très arbitraires. Pourquoi pas plus et pourquoi pas
moins? Pour lever cette indétermination relative au niveau requis de
l'épargne, des recherches ont été entreprises par MAHALANOBIS dans
le cas des PSD (Inde) et par N. NEWMANN, J. TOBIN, M. ALLAIS, O.
LANGE et TINBERGEN pour les pays industrialisés. Les résultats
obtenus à partir d'évaluations économétriques se réduisent
principalement à l'idée qu'une politique de croissance doit chercher un
juste équilibre entre les intérêts des générations présentes et ceux des
générations à venir. L'investissement doit être distribué avec cette
considération de ne léser personne. Les hommes d'aujourd'hui se
doivent d'être raisonnables et évaluer avec hauteur toutes les
conséquences de leurs actes de consommation. Il faut qu'ils résistent à
toutes les tentations même celles qui suscitent dans les coins et recoins
de leur existence la plus envahissante et active publicité. En somme, on
est à la lisière des questions non économiques.
Les travaux de Von NEWMANN vont alors tenter d'opérer un
lien entre taux d'intérêt et taux de croissance pour évaluer avec plus de
rigueur la répartition optimale du revenu entre investissement et
consommation. Seulement le modèle élaboré s'est vite révélé comme
totalement inapproprié car trop simple et bâti sur une trame
d'hypothèses fragiles comme l'abondance des facteurs, l'égalité entre
épargne et investissement, l'absence de progrès techniques,
d'économies d'échelle. Toutes ces hypothèses n'ont rien de commun
avec la réalité des PSD.
La croissance équilibrée sera particulièrement défendue par R.
NURSKE et approfondie par R. ROSENSTEIN-RODAN. Le processus
de croissance devrait concerner tous les secteurs de l'économie qui se
développeront alors dans une proportion mutuelle correcte ou ne se
développeront pas du tout. Concrètement, il s'agit d'organiser une
intervention généralisée dans tous les secteurs. Ainsi, l'accroissement
de l'offre induisant celui de la demande, les fameux cercles vicieux de la
pauvreté seront levés par suite de l'élargissement des dimensions du
marché subséquent aux revenus distribués. En plus, un autre avantage
de cette politique réside dans les économies externes qu'elle autorise et
qui pourront être optimalisées par une démultiplication des secteurs
d'intervention.
Cette analyse a été très vivement controversée. Ainsi, F.
MACHLUP rejette tout aussi bien le concept que les formulations
analytiques. 11 observera d'abord que le concept « est un mot qui a tant
de significations que l'on ne sait jamais de quoi parlent ceux qui
l'emploient: il faut donc l'effacer du vocabulaire des :;~. . ·~~t; ». Quatlt
aux analyses, elles sont si globales qu'elles ne peuvent être expressives
des changements réels à opérer. A.O. HIRSCHMAN ajoute que cette
219
théorie de la croissance balancée est une application mécanique des
résultats de l'analyse du processus de croissance des pays industriels
avancés. Elle est donc inadaptée aux pays sous-développés car son
application exige une énorme somme de ces aptitudes qui sont rares
dans ces pays. En d'autres termes, ajoute A.O. HIRSCHMAN si un pays
est en mesure d'appliquer la théorie de la croissance équilibrée, il ne
serait pas sous-développé au départ.
Cette insatisfaction théorique a fortement contribué à
l'élaboration par HIRSCHMAN de la théorie de la croissance
déséquilibrée. L'approche se fonde sur des séquences de déséquilibres
successifs qui portent sur les investissements d'infrastructures et les
investissements directement productifs. Chaque progrès dans la
séquence est induit par un déséquilibre antérieur et provoque à son
tour un nouveau déséquilibre qui appelle une nouvelle avancée. C'est
donc une série infinie d'effets d'entraînement qui affecte de proche en
proche l'économie dans son ensemble. 11 faut donc amorcer la
croissance par des pôles des secteurs décisifs pouvant exercer des effets
entraînants sur d'autres secteurs. La polarisation est la politique de
croissance la plus opportune.
En déterminant ainsi les domaines d'intervention, les analystes
soulèvent la question de moyens. Que la croissance soit équilibrée ou
déséquilibrée, son niveau est fonction de celui de l'investissement. Une
politique de croissance se ramène à investir chaque année une part, la
plus importante possible, du revenu national. De plus, pour qu'elle soit
équilibrée, il faut que l'investissement soit égal à l'épargne. En somme,
le problème de la croissance devient avant tout un problème d'épargne.
On redécouvre alors l'ordonnance de ROSTOW selon laquelle les pays
sous-développés n'atteindront des taux de croissance élevés que s'ils
épargnent et réalisent des investissements élevés. Les expériences des
NPI d'Asie semblent confirmer cette constatation comme l'atteste
l'évolution suivante du taux d'épargne (épargne brut sur PIE) :
Tahl eaU7: Évo1utlon d utaux d" el argIle
196s 1<)92 Variation 1965-92
1953
Japon
8
+23
31
34
8
Corée
+27
~s
5
+1<)
20
~<)
Taïwan
6
Hong-Kong
31
31
+10
Singapour
30
40
Philippines
21
16,5
-4,S
1<)
Thaïlande
+IS,S
34,6
Malaisie
+14
24
~e--J.
Indonésie
8
~:")
- _ . _ . -:2S
Chine
::\8
2S
--~
-
Source: Banque Mondiale: World Tables, 1994
220
Cependant, Éric BOUfEILL'ER et Michel FOUGUIN nuancent
le rôle de l'épargne dans la croissance des pays asiatiques en soulignant
que « le niveau d'épargne n'est pas une condition préalable du
"décollage" économique de ces pays. L'épargne de la Corée du Sud, par
exemple, était nulle dans les années 50». Les auteurs soutiennent
même l'idée que l'épargne élevée est une conséquènce de la croissance
rapide. En effet, observent-ils, les agents économiques considèrent,
dans un premier temps, que les surplus de revenus, qu'ils obtiennent
sont provisoires et qu'il vaut mieux les mettre de côté pour les temps
difficiles. La croissance rapide de l'épargne seule rend la croissance
rapide sur le long terme. Ce n'est pas l'équilibre qui permet au cycliste
d'aller vite, mais la vitesse qui lui permet d'être en équilibre.
Cette forme de détermination du taux de croissance aboutit à
une impasse théorique car les proportions du revenu consacrées à
l'investissement et à la consommation ne sont précisées ni
théoriquement ni pratiquement. La politique de fixation des taux de
croissance devra ne se fonder exclusivement que sUr un jeu de
scénarios.
Une autre orientation, dans la détermination des taux de croissance
part de la formule améliorée de HARROD selon laquelle
G = S- C où le taux de croissance est fonction d'une seule variable: le
taux d'accumulation du capital. Cette formule peut s'écrire aussi g.c.
= s où g est le taux de croissance ; c le coefficient du capital et s le
taux épargné.
Cette formule se verra affecter un tel pouvoir magique qu'on
n'hésitera pas à en déduire une série de conclusions ponctuelles. Cette
équation permet formellement d'envisager deux actions possibles pour
fixer le niveau du taux de croissance g : une qui part de c (taux
d'investissement) et une autre qui s'appuie sur s (taux d'épargne).
La structure de la formule montre que si s est donnée, le taux de
croissance gvarie en sens inverse de celui de c. Autrement dit, (g) sera
d'autant plus grand que (c) est petit. La politique économique à
laquelle on est renvoyé se fonde sur la recherche systématique
d'équipements de très faible intensité capitalistique. En clair, le modèle
d'industrialisation devra développer les branches et techniques légères.
La seconde action se fonde sur l'épargne. Si c est donné, le taux de
croissance dépendra du taux d'épargne (s). On revient à l'idée que la
croissance est fondamentalement un problème d'épargne. Cette
variable est cependant résiduelle car elle se définit comme la partie non
consommée des .revenus. L'impasse théorique soulignée plus haut se
représente à nouveau.
Par ailleurs, on peut ramener cette équation à une identité si
l'on admet que:
221
AYSI
g = -- , s = -- et C =-YYAY
alors nous pouvons écrire:
AYISIS
------ =- ou bien encore - =y AYYYY
comme 1 = S, l'équation indiquée devient identité.
Il Les théories de la croissance après KEYNES
La théorie keynésienne comportait trois ruptures
fondamentales: l'introduction du temps, le lien entre phénomènes
réels et monétaires, et l'impossibilité de concevoir l'équilibre comme
état naturel de l'économie. C'est sur ces bases que, dans les années
quarante, l'économie politique posera les problèmes de la croissance.
Sur le « fil du rasoir» (Harrod) n'est rien d'autre que la traduction,
sur le long terme, de l'impossibilité d'assurer ex ante l'égalité entre
épargne et investissement.
En renouant avec la théorie classique de la croissance et de la
répartition, KALDOR, ROBINSON et PASINETTI ont démontré
qu'une croissance équilibrée est possible grâce à une modification de
la répartition du revenu. Plus fondamentalement, ils démontrent que
le taux de croissance d'une économie ne dépend que du taux
d'acèumulation, variable dont seuls les capitalistes disposent du
contrôle. Toutefois, les néo cambridgiens, dans une perspective
keynésienne et kaleckienne qui se voulait critique de la pensée
néoclassique et marginaliste, construisent une théorie de la croissance
et de l'accumulation sans le capital. En ce sens, le capital y est réduit,
in fine, à une masse d'argent, à un ensemble de moyens de
production. La croissance reste ainsi, de fait, confiée à un progrès
technique exogène considéré comme neutre, autrement dit, il ne
modifie pas la répartition de la richesse, donc la nature du processus
d'accumulation. ln fine, le problème de la croissance, tel qu'il est posé
jusqu'aux années 1980, n'est qu'un problème de croissance à
l'équilibre. On maintient une vision matérielle de la richesse, dont les
sources restent non expliquées par les modèles.
Ainsi, les différences avec le modèle néoclassique et postkeynésien de Solow ne sont que marginales, bien qu'on ne puisse pas
nier leur importance. Chez Solow, c'est la ;)::.:::!aite substituabilité des
facteurs de production et la flexibilité p.... ,:~ 'tè des prix qui assure
l'équilibre de la croissance, croissance qui s'av~re n"'~'e rien d'autre
que la reproduction, à l'infini dans le temps, de l'éta:( présent des
222
choses, une sorte de faux mouvement. Dans le modèle de Solow, la
croissance n'est qu'un phénomène temporaire. Sous l'hypothèse des
rendements décroissants - hypothèse nécessaire au maintien d'une
théorie de l'efficience du marché et de l'équité de la répartition du
revenu - la théorie économique ne peut tout simplement concevoir
l'accroissement de la richesse autrement qu'en assumant une sphère
non économique - celle de la science - qui produirait les sources des
gains de productivité.
Avec SOLOW, l'économie a néanmoins découvert que le
capital et le travail ne peuvent pas expliquer à eux seuls la croissance.
Un résidu apparaît: ce résidu peut atteindre 80 % de la croissance.
Autrement dit, le capital et le travail ne pourraient expliquer que 20 %
de la croissance. Que retenir de tout cela? L'économie politique
renonce à expliquer comment on produit la richesse. Au reste,
comment la théorie économique de la croissance aurait-elle pu
concevoir la croissance en restant dans un monde maudit de rareté
des ressources et des rendements décroissants?
11/ Le renouvellement de l'analyse: la croissance endogène
Ce sont justement les rendements factoriels « non
décroissants» (la productivité marginale des facteurs capital et travail
ne diminue pas en fonction de leur emploi croissant dans la
production dès lors que leur qualité peut s'accroître et évoluer) et la
non rareté des ressources (en particulier, c'est le travail qui, en tant
que capital humain, devient une ressource reproductible et
accumulable) qui sont au cœur des tentatives d'une nouvelle
formulation des problèmes de la croissance dans les années 1980. En
effet, les théoriciens de la croissance endogène procèdent à une
critique sévère des modèles néo-classiques sous deux angles. D'abord,
ils remettent en cause le cadre théorique néo-classique et notamment
celui de la fonction de production dont découlent toutes les propriétés
de la dynamique économique. Le principal reproche théorique fait à
ces modèles de croissance est l'absence d'explication de la croissance
à long terme: le taux de croissance des variables par tête à l'état
régulier est égal au taux de croissance du progrès technique exogène
donc inexpliqué. La seconde critique est d'ordre empirique dans la
mesure où les modèles néo-classiques n'expliquent pas la persistance
des inégalités de revenus entre pays.
Comment ont été construits les modèles de croissance
endogène? La construction des modèles de croissance endogène
procède de la remise en cause de la décroissance de la productivité
marginale. Le retour à Adam Smith semblait la seule voie possible, en
incorporant les apports de SCHUMPETER, d'ARROW, de KALDOR et
de MARSHALL. Quatre idées fondamentales sont alors intégrées dans
223
le modèle de croissance équilibrée de Solow de 1956 : la division du
travail est une source endogène de la prospérité (SMITH),
l'innovation est le moteur de la croissance (SCHUMPETER),
l'innovation naît d'un processus d'apprentissage de learning by doing
(Arrow), le progrès technique est une fonction de l'accumulation
(KALDOR) et des externalités (MARSHALL) générées dans le temps
par l'investissement. Ces théories ont alors été intégrées dans le
modèle de SOLOW, tout en maintenant l'hypothèse de la capacité
autorégulatrice du marché... bien que l'intervention de l'État soit
affirmée comme souhaitable pour garantir les infrastructures
nécessaires à la production, pour garantir la protection de la propriété
intellectuelle, pour garantir également un développement adéquat du
capital humain, mais aussi, d'une partie de la R & D.
Développés à partir du premier modèle présenté par ROMER
en 1986, les modèles de croissance endogène intègrent ainsi les
concepts d'externalité, d'apprentissage et de capital humain, pour
concevoir la possibilité d'un progrès technique endogène. Autrement
dit, les sources du progrès technique permettant la croissance de la
richesse doivent être recherchées à l'intérieur de la production - mais
au-delà du capital et du travail- et en dehors du marché. En résolvant
très habilement la contrainte des rendements décroissants qu'impose
l'hypothèse de la concurrence pure et parfaite et la théorie de la
répartition fondée sur la productivité marginale des facteurs, ces
modèles laissent apparaître un processus de production de capital
humain par du capital humain.
Mais quels sont les fondements théoriques du capital
humain? Doit-on les chercher du côté du concept de travail vivant?
En réalité, le concept de capital humain, suivant la définition du
mainstream (orthodoxie), désigne l'ensemble des capacités
intellectuelles et physiques incorporées aux individus (ou groupe
d'individus) et pouvant leur permettre de participer de manière
efficiente et efficace à l'activité de production. Il englobe divers
éléments tels que l'état de santé, la force physique, les connaissances,
les qualifications, la nutrition. Pour G. BECKER, le capital humain
correspond à la valeur actualisée des revenus futurs que l'individu
attend de son travail, compte tenu de ses aptitudes, de ses capacités,
de sa qualification, de son expérience. Que le capital humain soit
considéré comme un facteur de croissance n'est pas une idée nouvelle.
Déjà au 16ème siècle, Jean BODIN observait qu'« il n'ya de richesse que
d'hommes ». Le capital humain comme facteur de production est
introduit dans l'analyse économique depuis une trentaine d'années Le
concept de capital humain est fréquemment utilisé en économie
depuis au moins une trentaine d'années (SCHULTZ, 1961, BECKER,
1964, GBECKER et LUCAS 1988).
224
Il est maintenant acquis que le niveau de développement d'un
pays est étroitement lié à son niveau d'instruction au point même d'en
dépendre. L'éducation dans ce cadre devient un facteur d'efficacité
qui élève la productivité des travailleurs et contribue de cette manière
à augmenter la production. L'éducation est ainsi associée aux autres
facteurs traditionnels (capital et travail) pour expliquer les
performances et les contre-performances. Diverses études ont essayé
de tester et de quantifier l'impact de l'éducation sur la croissance
économique. Pour cela il y a deux (2) points:
-l'impact global de l'éducation sur la croissance. Par deux méthodes
différentes d'évaluation, DENISON (1961) et SCHULTZ (1962) ont
abouti à des résultats similaires. Ainsi DENISON calcule que 23% de
la croissance des États-Unis entre 1930-1960 était imputable à
l'accroissement de l'éducation. SCHULTZ par sa méthode du taux de
rendement, est arrivé lui aussi à la même conclusion que l'éducation
contribue pour une bonne part à la croissance américaine.
- les effets indirects de l'éducation sur la croissance économique qui
s'articulent autour de deux points essentiels, d'une part les
externalités positives que l'éducation engendre et d'autre part la
liaison entre l'éducation et les autres types de ressources humaine
comme la santé, la nutrition, la pauvreté, la fécondité etc....
Section 2 : Détenninants et mesure de la croissance.
Après avoir défini la croissance, on peut se poser la question
suivante: quels sont donc les facteurs qui font qu'à un moment donné
l'économie connaît une forte croissance, une stagnation ou une
croissance négative ? La croissance provient de l'augmentation
quantitative et/ou qualitative de deux principaux facteurs de
production : le travail et le capital. Elle dépend aussi du progrès
technique, des ressources naturelles que nous possédons et subit
l'influence des politiques économiques, des facteurs institutionnels,
voire sociaux et culturels.
Il Les détenninants de la croissance
Les facteurs de la croissance sont de quatre ordres le travail, le
capital, la technologie et les institutions.
1°) Le travail
Il dépend avant tout des individus qui composent une
population, plus précisément la population active, c'est-à-dire la
population en âge de travailler exerçant ou recherchant un emploi. La
population active constitue le premier déterminant de la quantité du
225
facteur travail. Elle dépend à son tour de plusieurs facteurs: croissance
démographique, mobilité sectorielle et géographique, migration des
populations. Le second déterminant de la quantité du facteur travail est
la durée du travail. La qualité du facteur travail dépend quant à lui de
l'âge moyen des travailleurs, du capital humain (connaissances et
'jualifications) ou de l'instruction et de l'intensité du travail. Dans les
l~onditions actuelles de production, il est établi que le capital humain
joue un rôle important. Les théories économiques modernes formulées
par W. SCHULTZ et G. BECKER96 établissent un lien entre croissance
et investissement dans l'éducation: il n'est de richesse que d'hommes.
Les pays qui ont les investissements dans l'éducation les plus élevés
sont ceux qui ont les taux de croissance les plus élevés.
2°) Lc capital
Le capital représente l'ensemble des biens matériels permettant
de créer d'autres biens. La quantité de capital utilisé résulte des
invcstissements nouveaux, de l'amortissement du capital existant et du
taux d'utilisation de ce capital. Sa qualité est fonction de son âge et de
la technologie. Il est admis qu'un taux d'investissement élevé (rapport
cntre l'investissement et le PIE) permet d'accroître l'accumulation du
capital, d'augmenter les capacités de production de l'économie et de
stimuler sa croissance économique. Cela dépend de la nature des
investissements qui composent le stock de capital selon qu'il s'agit soit
d'investissements nets ou d'investissements de remplacement, soit
d'investissements productifs, de la construction de logements,
d'équipements collectifs.
3°) Lc progrès technique
Celui-ci concerne aussi bien la technologie (mise au point de
produits nouveaux, utilisation de nouveaux procédés de fabrication)
que les progrès dans l'organisation du système productif dans son
ensemble (orientation, spécialisation) et de l'entreprise (gestion,
organisation du travail). La principale source du progrès technique
réside dans les progrès scientitiques réalisés par les centres de
recherches aussi bien publics que privés, les entreprises et surtout
l'uni\'{~rsité, à travers la
recherche appliquée, la recherche
développement et la recherche fondamentale. S'il existe un bon relais
cntre les fruits de la recherche et les entreprises, il est indéniable
qu'une économie qui investit dans la recherche réalisera une croissance
plus élevée que celle qui ne le fait pas. Le progrès technique
'u, . (; L' 1] J .EC cr 1'. R. \LLE : Lcs nouvclles rhéories Je la croissance, Colleer. Repères,
l.a Découverte 2(111.,
226
s'aœomoagne généralement d'une amélioration de la productivité du
faeœur travail. C'est pourquoi le progrès technologique est aujourd'hui
la def de la compétitivité.
Ces trois principaux facteurs peuvent être résumés dans une
équation de la manière suivante: Y = F(K. L, T). La production Y est
fonction du capital K et du travail L utilisés ainsi que de la
technologie T qui détermine la manière dont les deux premiers
facteurs sont combinés. Le progrès technique permet à des facteurs de
production donnés d'obtenir au cours d'une période une augmentation
df' la production. Toutefois il existe 3 façons dont le progrès technique
p'.'ut influer sur les facteurs de production:
- On dira que le progrès technique est neutre au sens de
HARROD s'il porte sur le travail et permet une croissance du produit
au cours de laquelle le rapport capital-produit reste inchangé à coût
réel du capital inchangé. C'est dire qu'il y a neutralité au sens de
HARROD lorsque le progrès technique permet d'augmenter l'efficacité
du travail.
- On dira que le progrès technique est neutre au sens de Solow
s'il porte sur le capital et permet une croissance du produit au cours de
laquelle le produit par tête reste inchangé pour un taux de salaire réel
inchangé. Donc il y a neutralité du progrès technique au sens de Solow
lorsque le progrès technique permet d'augmenter l'efficacité du capital.
- On dira que le progrès technique est neutre au sens de Hicks
s'il porte sur le produit. À proportion des facteurs inchangée la
répartition reste inchangée. Ainsi il y a neutralité au sens de Hicks
lorsque le progrès technique permet d'augmenter l'efficacité des
facteurs capital et travail.
Dans la fonction de COBB-DOUGLAS les trois formes de
neutralité sont équivalentes. C'est pourquoi les économistes l'utilisent
généralement. En notant le capital K et le travail L la fonction de
COBB-DOUGLAS s'écrit:
y
= AKl"L
lÎ
dans laquelle A , (l " â sont les paramètres, A est le coefficient de
proportionnalité ou le progrès technique, a' et â des indices qui
caractérisent l'int1uence de chacun des facteurs sur le volume de la
production, c'est-à-dire, les coefficients d'élasticité de la production par
rapport au capital et au travail. Cl' et â sont calculés par la méthode
des moindres carrés.
â
Si l'on dérive la fonction Y = A K li' L par K et L, on
obtient les indices correspondants des produits marginaùx du capital et
du travail.
227
dY
,Y
-={/ -
et
dY
~Y
-={/-
dK
K
dL
L
La production augmente avec K et L, ce qui signifie que ces
facteurs de production ont une productivité marginale positive.
Par conséquent, les coefficients {/' et â caractérisent le rapport
entre la productivité marginale et la productivité moyenne des facteurs.
La transformation logarithmique de cette fonction de
production permet de déterminer la part respective de chacun des deux
facteurs dans l'explication de la production. On a alors sous forme
logarithmique:
log Y = log A + (/ log K + â log L
1
Le tableau suivant donne les résultats qui ont été trouvés dans
le cas de l'économie américaine.
Tableau 8 : Part des facteurs travail et capital dans la
fonction de production aux États-Unis entre 1899-1922
,
1
Y=ALaKfJ
1-.
1
a) Séries chronologiques
Série 1
Série Il
Série III
Série IV
b) Analyses en coupes
instantanées
1889
1899
1904
1909
1914
1919
Moyenne
228
a
fJ
a+fJ
A
0,81
0,78
0,73
0,63
0,23
0,15
0,25
0,30
1,04
0,93
0,98
0,93
0,84
1,38
1,21
1,35
0.51
0,62
0,65
0,63
0,61
0,76
0,43
0,33
0,31
0,34
0,37
0,25
0,94
0,95
0,96
0,97
0,98
1,01
58,34
106,43
107,40
90,99
81,66
24
0,63
0,34
0,97
4,21
1
1
!
1
1
1
1
1
La spécification de ce modèle a conduit de nombreux auteurs à
procéder à des vérifications empiriques et statistiques du modèle de
Solow. Les études empiriques ont montré aussi que la spécification de
la fonction de production du modèle néo-classique semble incapable
d'expliquer l'ampleur de la croissance. Dans son article publié en
1957.97 Robert SOLOW a effectué une analyse empirique du taux de
croissance en essayant d'imputer comptablement celui-ci aux
croissances respectives du capital. du travail. et du progrès technique.
En effet, en prenant la dérivée logarithmique de la fonction de
production on aboutit à la formule:
y
-=(1
y
AL A
-+a-+K
L A
,K
Cette équation montre que la croissance de la production est une
moyenne pondérée de la croissance du capital. du travail et du
terme A. Le terme AlA est appelé croissance de la productivité totale
des facteurs ou croissance de la productivité multifactorielle. Beaucoup
d'économistes comme SOLOW, EDWARD, DENISON et Dale
JORGENSON ont cherché à expliquer les sources de la croissance au
moyen de cette équation. La plus part de ces travaux aboutissent à la
même conclusion: les facteurs capital et travail expliquent une faible
part de la croissance de la production. Pour Solow et Denison le terme
expliquerait 80% de la croissance américaine. L'une des
interprétations de la croissance c'e la productivité totale des facteurs
consiste à l'attribuer ail progrès technique. Pour ces économistes, le
prog~ès technique est une variable qui est très difficile à cerner et à
mesurer. Mais du fait ce l'existence d'un écart de taux de croissance
inexpliqué on va assiste~ vers la tin des années 80 au rejet du modèle
de croissance néo-classique. Ce rejet va alors considérablement
renouveler l'analyse des théories de croissance et sera à l'origine de ce
qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler les théories de la croissance
endogène.
J. TINBERGEN a introduit le. facteur temps e rt dans une
fonction homogène pour refléter les mouvements de la fonction de
production statique sous l'influence de tout un ensemble de
changements qualitatifs réunis sous le terme général de progrès
technique.
AlA
'F
R.S( lU )\'Ç • Technological change and the Aggregate Production Function
229
Dans ce cas, la fonction s'écrit:
Dans l'hypothèse où â + â = 1 (puisque la fonction est homogène
et linéaire) la différenciation logarithmique de cette fonction donne:
y=a'k+(l':""a')/+r
où y = taux de croissance de la production ou du revenu
k = taux de croissance du capital
1=
taux de croissance de la main-d'œuvre
r =
taux de croissance de la production par suite de la
hausse de l'efficacité générale ou du progrès technique
Après les travaux de J. TINBERGEN, d'autres économistes
notamment R. SOLOW, KENDRICK et E. DENISON ont approfondi
l'analyse des facteurs de croissance sur la base de la fonction dynamisée
deCOBB-D
4°) Les facteurs institutionnels
Ces aspects sont d'une importance déterminante. En effet, le
gouvernement qui prône la croissance doit s'atteler à fournir un cadre
macroéconomique et institutionnel incitatif, motivant, et en même
temps favorable à l'entreprise et à l'investissement productif: dans
l'infrastructure, l'éducation et la formation ; dans les industries
naissantes (non pas indéfiniment et aveuglément mais
temporairement) et les PMI et dans les activités exportatrices.
11/ Comment mesurer la croissance
Pour mesurer le taux de croissance de la production d'un pays,
il faut comparer l'évolution du PIE entre deux périodes. Mais, il faut
signaler que l'augmentation du PIE en valeur peut être la résultante
d'un effet quantitatif (augmentation en volume: par exemple des
tonnes de riz produits) ou d'un effet prix (accroissement du niveau
général des prix), qui dans ce dernier cas masque une stagnation. C'est
pourquoi, l'on retient le PIE en volume ou PIE réel pour mesurer la
croissance(PIE en valeur corrigé de l'évolution des prix).
Le taux de croissance se définit alors comme la variation
relative du PIE en volume d'une année à une autre. D'ailleurs une fois
connu, on peut projeter la production future selon la formule:
où
230
Yt = Yo (1 + r)t
Yt = production à l'année terminale
Ya = production à l'année de base
r = taux de croissance.
Un taux de croissance positif signifie que la production du pays
a augmenté entre les deux périodes. Mais, le PIE étant une grandeur
globale, son augmentation signifie t-elle pour autant que l'économie
toute entière se porte bien? Cela n'est effectivement pas le cas, car en
dépit de l'augmentation globale de la production intérieure qu'il
traduit, la croissance économique s'accompagne d'une modification des
structures économiques. L'exemple du Sénégal est édifiant à ce sujet.
En tant que pays agricole, la croissance économique du Sénégal peut
être générée par une augmentation de la production agricole, tandis
qu'au même moment la production industrielle et les services
(tourisme par exemple) peuvent connaître un déclin.
De même, au niveau du secteur agricole, l'augmentation de la
production peut provenir du Bassin Arachidier tandis que la Zone du
Fleuve connaît peut être une stagnation. Cela revient à dire que la
croissance économique d'un pays repose sur la production de certains
secteurs, régions et produits qui connaissent une augmentation
soutenue. En d'autres termes, nous voulons montrer que la croissance
économique ne signifie pas que tous les secteurs (agriculture, industrie,
pêche, tourisme, etc.) connaissent une augmentation de leur
production. C'est cela qui justifie la distribution établie par la théorie
économique entre croissance équilibrée (investissement proportionnels
dans tous les secteurs) et croissance déséquilibrée qui part des pôles
moteurs (pétrole, mine).
Une analyse de l'origine de la croissance permet éventuellement
d'identifier les secteurs, les régions et les produits qui en sont la cause.
Il suffit pour ce faire de calculer et de comparer les parts respectives de
chaque produit, de chaque secteur et de chaque région dans le PIE
global pour s'en apercevoir. En conséquence, il faut garder à l'esprit
qu'un taux de croissance élevé du PIE en volume peut aussi
s'accompagner de la baisse de certaines productions et du déclin
économique de certaines régions. C'est pourquoi on souligne que la
notion de développement est plus riche que la notion de croissance.
Section 3: Le débat des années 70 sur la croissance des
PSD: croissance déséquilibrée et croissance équilibrée
Il La thèse de NURSKSE et ROSENSTEIN-RODAN
Pour ces deux auteurs, le développement doit se faire de façon
équilibrée, c'est-à-dire en lançant la quasi-totalité des activités
industrielles et agricoles modernes simultanément. C'est la thèse de la
« croissance proportionnée» (NURSKE) qui est censée créer des
231
complémentarités entre les firmes et entre les branches. Ainsi se
créeront des économies externes pour les firmes. Par ailleurs, il est
prévu que l'offre simultanée dans une multitude de branches, en
distribuant des revenus, constitue une demande nouvelle pour chaque
production et permet ledécollage du marché intérieur. Il faut enfin ne
pas négliger les infrastructures économiques et sociales (lES) qui,
seules, permettent les communications, les transports, l'éducation et
la santé de la main-d'œuvre. Concrètement, il s'agit de créer un big
push (ROSENSTEIN-RODAN) dont le financement ne peut être
trouvé que dans l'aide extérieure. voire l'endettement.
Au regard des principes de l'école libérale. cette approche
apparaît paradoxale pour trois raisons:
elle néglige d'abord le principe de la spécialisation en
fonction des avantages comparatifs, qu'il s'inspire de RICARDO ou de
HECKESCHER-OHLIN-SAMUELSON ;
elle renforce le dualisme des économies sousdéveloppées dans la mesure où l'agriculture traditionnelle n'est pas
directement concernée par le « big push » ;
elle dilue la capacité d'investissement, par définition
limitée, sur une masse de petits projets dont la viabilité n'est que
rarement assurée (problèmes d'économies d'échelle).
11/ La thèse d'HIRSCHMAN et PERROUX
Pour HIRSCHMAN, les difficultés du développement sont
d'abord dues à l'indécision engendrée par des situations complexes et
des comportements· contradictoires. Si le planificateur pense le
développement en fonction du groupe, la crainte d'un renforcement
des inégalités inhibera bien des investissements. Inversement, si l'on
favorise l'entrepreneur individuel, celui-ci sera rarement coopératif et
cherchera plus qu'ailleurs son bénéfice personnel en spéculant sans
contribuer au développement. Il faut donc « examiner dans quelles
conditions les décisions peuvent être provoquées par des dispositifs
d'entraînement ou des mécanismes d'induction ». Maximiser la part
des décisions induites ou routinières devient alors l'objectif du
développement.
Les effets d'entraînement induisent les décisions
d'investissement. Ainsi, la création volontariste d'une industrie A
diminuera les coûts de production pour une industrie B utilisant les
produits de A ~omme ·consomrilations intermédiaires (effet
d'entraînement en aval). Inversement, l'indilstrie A constituera un
débouché pour une industrie C approYisionnant A en consommations
intermédiaires (effet d'entraîneinent en amont). Dans les deux cas,
l'investissement sera considérablement facilité par la présence de
l'industrie A.
232
III IDes critiques de la croissance aux interrogations sur le
développement.
Cependant, dès les premiers temps, des voix s'élevèrent aussi
bien au nord qu'au Sud, pour rappeler que les êtres humains devaient
être l'objet du développement et non pas seulement son agent. On
retrouve d'ailleurs ces idées dans les écrits des plus grands
philosophes. ARISTOTE déclare ainsi que «de toute évidence, la
richesse n'est pas la chose que nous cherchons, car elle est seulement
utile et sert à une fin autre ». Qu'est ce qu'une « bonne» croissance
économique?
C'est une croissance qui favorise toutes les dimensions du
développement humain. C'est une croissance qui:
• génère le plein emploi et la sécurité des moyens de
subsistance;
• encourage la liberté et le contrôle de l'individu sur sa
destinée;
• distribue les avantages équitablement;
• favorise la cohésion et la coopération sociales;
• préserve l'avenir du développement humain.
Ce ne sont que des objectifs, et les pays peuvent réussir à en
promouvoir certains et pas d'autres. Ce qui compte, c'est de les
considérer comme des instruments permettant d'évaluer les progrès
réalisés. Un pays qui réussit est capable de convertir l'accroissement
de sa richesse en progrès sur le plan du développement humain.
Section 4: Une nouvelle approche de l'économie politique
du développement: les théories et modèles de la croissance
endogène.
Depuis le début des années 80, on assiste à une percée d'une
nouvelle approche théorique de la croissance, notamment à travers
les théories de la croissance endogène, suite aux travaux DE RaMER,
BARRO ET LUCAS et autres. Ces théories accordent le primat à
l'accumulation du capi~al et une place prépondérante à la politique
économique dont le champ est situé au niveau de l'accumulation des
connaissances, du capital humain, des dépenses d'infrastructures
publiques et de re~herche pour créer et maintenir les conditions d'une
croissance dur()~::,l('. La croissance économique doit être reliée aux
caractéristique:, internes cie l'économie. Les auteurs sont en rupture
avec la théoŒ~ néoclassique sur au moins trois points: d'abord, le
taux de croissance dépend des comportements des agents et des
caractéristiques du système économique, ensuite le taux ne s'annule
pas à long terme malgré l'accumulation dé facteurs de production et
233
enfin dans les modèles le progrès technique est rémunéré et
l'innovation technologique s'effectue grâce à l'accroissement du temps
de formation ou des ressources consacrées à' la recherchedéveloppement.
Les théories de la croissance endogène identifient quatre
déterminants de la croissance: le capital physique, le capital humain,
le capital public et l'innovation technologique. Cependant,
l'accumulation de tels facteurs ne suffit pas à engendrer une
croissance auto-entretenue, encore faut-il la présence d'un
mécariisme qui empêche ou compense la diminution des productivités
marginales des facteurs de production au fur et à mesure de leur
accumulation. C'est en introduisant les externalités dans l'analyse que
les modèles parviennent à résoudre ce problème .11 y a externalité
lorsque les décisions de consommation ou de production d'un agent
affectent la situation autrement que par les relations de marché.
234
Figure 10 : Modèle de la croissance endogène
1
Système d'accumulation: Investissements
1
1
/
\
:;apital physique
Innovations
Technoloaiaues
IEaPital humainll
1
~
Institutions
et capital
social
Externalités positives
Efficacité des acteurs:
productivité et compétitivité
Croissance économique
1
endoaène
1
1
1
J
ï
Accès aux
marchés
1
Accroissement du PIS
1
Accroissement des
emplois et des revenus
1
Développement humain par accès
aux services sociaux de base
Les théories de la croissance endogène ont élaboré trois
modèles qui ont brtement contribué à éclairer les articulations des
235
facteurs de la croissance comme les ressources humaines et les
institutions qui génèrent les innovations technologiques servant de
locomotive à la croissance économique. On peut rappeler qu'il s'agit
du modèle du prix Nobel, ROMER (1986 ET 1990), DE LUCAS (1988)
et de BARRO (1990). Ces modèles ont une caractéristique commune
qui est que l'externalité positive peut provenir soit du capital physique
(même si les biens en question sont publics), soit du capital humain
« learning by doing », soit des innovations teehnologiques.
Cela signifie que l'investissement dans l'éducation et la santé
améliore directement le bien-être des populations mais contribue
également au renforcement des différentes formes du capital humain.
Dans une économie mondiale où les capitaux, les biens et les
technologies circulent librement, ce sont les ressources humaines qui
vont différencier les performances. Dans ces conditions, les politiques
éducatives comme celles relatives à la santé deviennent des
composantes
Les recherches économiques corroborent largement le retour
d'un vieux débat entre croissance et développement. Ces nouvelles
théories de la croissance plus adaptées au contexte de l'Afrique sont,
par ailleurs, largement confortées par les expériences historiques de
développement observées dans le monde, notamment aux États-Unis
entre les années 50 et 70, en Europe dans la période dite des « Trente
glorieuses» années de croissance (1945-1975) et dans les économies
émergentes d'Asie. Ces expériences ont pour dénominateur commun
l'utilisation pleine et entière des principales sources de la croissance,
à savoir:
• le capital physique comprenant les infrastructures de base,
c'est-à-dire les routes, les chemins de fer, les infrastructures
portuaires et aéroportuaires, les ouvrages hydro-agricoles, les
télécommunications et l'énergie;
• et le capital humain dont les composantes sont l'éducation, la
santé et la nutrition.
Le concept de capital humain désigne la population valorisée
par l'éducation et la santé. 11 faut expliciter un peu plus les raisons qui
fondent l'investissement dans le capital humain. Il est maintenant
établi que dans un marché où les produits, les capitaux et les
technologies circulent et s'échangent librement, ce sont les ressources
humaines qui différencient les performances des divers pays. En
conséquence, l'investissement dans l'éducation se présente comme
une composante essentielle de la politique économique. Il est bien
établi que pour un niveau donné de PIE par tête, les pays à fort taux
de scolarisation ont enregistré un taux de ·.:îùissance plus élevé que
celui des pays à faible taux de scolarisation.
236
Il Le facteur le plus déterminant de la croissance est le
capital physique qui se compose des l'infrastructures de
base
De façon générale, ces infrastructures comprennent:
•
•
•
•
•
•
les réseaux routiers (routes internationales reliant le pays à
certains de ses voisins, routes nationales et départementales,
routes urbaines et pistes de désenclavement) et le réseau
d'assainissement;
les infrastructures portuaires et les projets d'extension des
ports secondaires ;
les infrastructures ferroviaires ;
les infrastructures de télécommunication;
le réseau de fourniture d'eau et d'électricité;
les infrastructures aéroportuaires.
Dans la quasi-totalité des pays africains, la caractéristique
marquante de ces infrastructures est leur insuffisance quantitative et
leur état de délabrement très avancé: moins de 30% des routes
revêtues sont en bon état, la plupart des ports secondaires ne sont
plus fonctionnels, la fréquence des délestages sur la fourniture de
l'énergie électrique en dit long sur la vétusté du matériel de
production. 9 8
L'état actuel de ces infrastructures interdit de parler de
marché et de libre circulation des biens, des personnes et des services.
Elles constituent alors des contraintes sur la production et les
exportations des entreprises installées et ajoutent à la morosité du
climat des affaires dans nos pays, en détournant ainsi les flux
d'investissements directs étrangers.
C'est pourquoi le développement des infrastructures de base
relance les enjeux de l'intégration. Plusieurs gains peuvent être
associés à cette intégration qui découle entre autres facteurs, de
l'élargissement des marchés, de l'accroissement du stock de capital
humain et de la meilleure répartition des ressources productives. En
effet, le problème crucial que rencontrent les firmes implantées en
Afrique demeure la faiblesse des débouchés pour leur production.
Cela résulte d'une part de la faiblesse de la demande intérieure
solvable; et d'autre part de l'étroitesse des marchés des facteurs de
production, des biens et des services. En permettant l'extension et le
décloisonnement de ces marchés dans une optique de croissance
endogène, l'intégration serait très bénéfique.
98
Banque Mondiale:
développement, 1994
RDM de 1994:
Une infrastructure pour le
237
L'État est le principal producteur des biens publics d'infrastructures.
En effet, ces biens publics ne peuvent pas être produits par le marché sauf
dans les cas exceptionnels des biens publics mixtes comme les radios
privées et les routes à péage. Les agents privés ne sont pas incités à les
produire du fait qu'ils sont difficiles à rentabiliser. Par ailleurs, les
consommateurs peuvent en bénéficier sans couvrir les frais d'accès.
De plus, en présence de bien public, il n'y a pas d'efficience
parétienne,
l'environnement
écono-mique
devenant
non
décomposable. Globalement, les infrastructures, comme la sécurité
nationale, la défense nationale, l'éclairage public, sont des biens
publics que le marché n'est pas incité à produire. Ces biens publics
produisent des externalités positives, c'est à dire que l'agent privé qui
les produirait aurait un avantage marginal à le produire comparé à ce
que la collectivité dans son ensemble tirerait comme avantage de cette
production. D'où la nécessité pour l'État de les offrir, d'autant plus
que leur impact positif sur le processus de croissance et de
développement est avéré.
11/ Le capital humain variable principale de la croissance:
Les modèles de ROMER, LUCAS et BARRO.
L'une des grandes découvertes de l'analyse économique
contemporaine est relative à la théorie du capital humain à partir des
recherches de trois auteurs: SCHULTZ en 1983, G. BECKER,
RüMER en 1986 et en particulier LUCAS en 1988
L'investissement dans le capital humain est au cœur des
stratégies mises en œuvre par de nombreux pays pour promouvoir la
prospérité économique, l'emploi et la cohésion sociale. Les individus,
les organisations et les nations sont de plus en plus conscients qu'un
haut niveau de connaissances et de compétences est essentiel pour
leur sécurité et leur réussite. L'accord sur ces principes a suscité sur le
plan politique aussi bien que social de nouvelles attentes concernant
la réalisation d'objectifs économiques et sociaux ambitieux, grâce à un
investissement accru dans le capital humain. Cependant les
investissements ne seront productifs que s'ils sont bien adaptés à
leurs objectifs.
Manifestement, les insuffisances quantitatives et qualitatives
des infrastructures physiques de base, les faiblesses des systèmes
éducatifs et de santé comme la dégradation des sols sont les facteurs
qui bloquent l'élévation de la productivité et de la compétitivité des
économies africaines. Elles expliquent alors les faibles performances
du continent. Considérons l'exemple 0~S maladies tropicales
endémiques. Non seulcrnent celles-ci dété~ ;"re:-lt la qualité du capital
humain mais elles entraînent des coûts e!~ves. "insi, l'Afrique
enregistre annuellement 300 à 500 millions de cas de 1Jaludisme qui
238
occasionnent environ un million de décès et coûtent 2 milliards de
dollars. Il en va de même pour le t1éau que constitue le SIDA. De plus,
vivant sous les Tropiques, environ 60% des africains souffrent
d'endémies graves et paralysantes qui ont été éradiquées dans
d'autres régions du monde. Les 45% de la population africaine sont
âgés de 15 ans et vont alors exercer de fortes pressions sur les
structures éducatives et de santé.
Le concept de capital humain désigne la population valorisée
par l'éducation et la santé. Par ailleurs, certains travaux sur le capital
humain ont montré qu'entre les années 50 et 70, la contribution de
l'éducation à la croissance économique se serait élevée à 12% au
Royaume-Uni, 14% en Belgique, 16% aux États-Unis. Plus
récemment, une étude de la Banque Mondiale datant de 1993 et
portant sur 113 pays révèle que l'éducation primaire est le facteur qui
a contribué le plus à la croissance des économies, en particulier celle
des pays d'Asie de l'Est. La corrélation est bien confirmée que pour un
niveau donné de PIB par tête, les pays à fort taux de scolarisation ont
enregistré un taux de croissance plus élevé que celui des pays à faible
taux de scolarisation. Dès lors, dans un marché où les produits, les
capitaux et les technologies circulent et s'échangent librement, ce sont
les ressources humaines qui différencient les performances des divers
pays. Ce qui fait dire à L. STOLERU que l'investissement dans
l'éducation se présente comme une composante essentielle de la
politique économique. .
En somme. le développement du capitaJ humain constitue un
outil aussi bien pour assurer une croissance économique que pour
lutter contre la pauvreté. De surcroît, dans un monde dominé par les
Nouvelles Technologies de J'Information et de la Communication
(NTIC), le savoir est un facteur majeur de la productivité des
individus et des nations. Les effets externes du type «learning by
doing »qui découlent de l'activité du capital humain permettent alors
d'accroître la productivité des agents qui en bénéficient. Ainsi, à
l'échelle globale, plus l'approvisionnement en capital humain est
élevé, plus la production par tête est importante. Les recherches
théoriques comme empiriques (SCHULTZ, ROMER99 ET LUCAS)
Paul ROMER note que « Les idées devraient constituer notre principale
préoccupation car elles sont des biens économiques d'une importance
extrême, bien plus grande que celle des éléments sur lesquels la plupart des
modèles économiques mettent l'accent. Dans un monde physiquement
limité, c'est la découverte de grandes idées, conjointement avec la découverte
de millions de petites idées qui rend possible une croissance économique
durable. Les idées sont les instructions qui nous permettent d'organiser des
ressources physiques limitées selon des combinaisons toujours plus
performantes» (ROMER, 1996)
99
239
établissent une corrélation posItIve entre éducation et croissance
économique. En effet, l'éducation crée des facteurs et des comportements favorables à la croissance économique. contribue à
l'amélioration de la productivité du travailleur, confère aux individus
des capacités à saisir toutes les opportunités de production,
d'imagination et de création, développe l'esprit d'entreprise, de
compétition et de recherche du progrès et enfin permet à l'économie
de disposer d'une main d'œuvre qualifiée.
Dans une période caractérisée par les TIC et l'intelligence
artificielle marquée, l'éducation devient un facteur déterminant de la
performance et de la capacité compétitive des économies. Ces
techniques ne peuvent être mises en œuvre que par t!t~ travailleurs
ayant les compétences et les niveaux de qualification requis. Puisque
l'éducation est un moyen privilégié d'accumulation du capital
humain, ,les dépenses publiques consacrées à ce secteur apportent
alors une contribution essentielle au processus de croissance.
D'ailleurs, ce rôle prépondérant de l'éducation est parfaitement
confirmé au plan empirique par les recherches de SCHULTZ (1998)
qui ont montré que les périodes de croissance soutenue de la
. production vont souvent de pair avec des améliorations en matière
d'instruction, de santé, de nutrition et de morbidité.
Après le capital physique, le capital humain et le capital de la
connaissance. certains économistes ajoutent maintenant aux
déterminants de la croissance un capital social. Selon COLLIER
(1998), la notion de capital social englobe la cohérence sociale et
culturelle interne de la société, les normes et les valeurs qui
gouvernent les interactions entre les individus et les institutions dans
le cadre desquelles ces normes ct valeurs entrent en jeu.
Encadré 7: Le modèle de ROMER
Le modèle de ROMER fait ressortir le rôle déterminant du capital
humain, source d'accélération de la croissance économique, L'argument
peut être résumé de la manière suivante:
L'économie produit trois biens:
•
•
240
le premier est un bien de consommation produit à l'aide de maind'œuvre, de capital humain et de biens durables ou d'équipement.
La production de ce bien se caractérise, en outre, par des
rendements d'échelle constants;
le deuxième bien, qui est le bien d'équipement est produit de la
même manière que le premier de telle sorte que les quantités de
ressources que sa production nécessite soient proportionnelles à
celles engagées dans la production d'une unité de bien
consommable.
•
La gamme de biens d'équipement utilisable dépend toutefois du
nombre ou de la quantité d'inventions ou de "designs" disponibles.
Cette quantité qui correspond au troisième bien, ne résulte pas
d'efforts de recherche désintéressés, mais obéît plutôt aux mêmes
activités de production des deux premiers types de biens. L'intensité
de l'activité de recherche dépend évidemment de l'importance du
capital humain qui lui est affecté ou qui est attiré, mais elle dépend
aussi de l'expérience collective déjà acquise dans ce domaine. Alors
qu'il est vrai que toule invention donne lieu à un brevet d'invention
qui permet à son auteur de contrôler son utilisation, il reste
néanmoins que. exploitable à travers l'information technique
transmise par le nouveau bien d'équipement, elle devient alors
fonction à la fois du capital humain qui lui est alloué et du stock de
technologie déjà disponible.
À la différence du modèle traditionnel de SOLOW où le revenu et la
consommation par habitant augmentent le long du sentier de croissance
régulière au rythme d'un progrès technique exogène, l'introduction de
l'activité de recherche dans le cadre d'analyse permet une endogénéisation
de la croissance et offre une explication de la diversité des rythmes
observés entre pays. En effet, on peut définir la croissance régulière par
l'égalité entre le taux de croissance du stock du capital matériel, de la
production et du stock d'invention (en supposant que la taille de la
population active est constante). De ce fait, ce taux de croissance commun
devient alors une fonction croissante du capital humain attiré dans l'activité
de recherche. Dès lors et de manière indirecte, compte tenu d'une répartition
d'équilibre du capital humain entre activité de production de biens et activité
de recherche, il devient également une fonction croissante du stock de
capital humain total.
De cette analyse se sont dégagées des conclusions de politique
économique assez importantes;
•
•
La première est que bien qu'elle soit un objectif généralement
commercial, toute invention génère des effets externes positifs
pour l'activité de recherche et de développement de manière
générale. Il en découle que sans intervention de l'État, le
marché n'est pas capable de fournir la quantité optimale
d'inventions ; indirectement il n'est pas capable d'attirer
suffisamment de capital humain vers la recherche et le
développement.
L'objectif d'efficience dicterait alors soit une subvention à cette
dernière activité, soit une subvention à la formation du capital
humain qui s'orienterait de lui-même vers une activité qui
produit des effets externes. Plusieurs pays en développement
auraient alors des taux de croissance économique faibles parce
qu'ils ont des dotations faibles en capital humain.
241
L'intégration dans l'économie mondiale par l'ouverture sur les
échanges avec l'extérieur et la libéralisation leur permettrait, selon
cette approche, de bénéficier de l'ensemble du stock technologique
disponible à l'échelle internationale ainsi que des externalités qui en
découlent.
Le modèle de LUCAS met l'accent sur l'investissement en
capital humain, comme source de progrès technique et comporte deux
secteurs: le secteur de la produGtion et le secteur de la formation du
capital humain. Les travailleurs consacrent une part de leur temps à
l'activité de production et l'autre part à la formation. Le niveau total
de la production dépend ainsi du stock de capital physique disponible
et du niveau de capital humain proportionné au temps consacré à la
production par les salariés. S'inspirant des travaux d'UZAWA (1965)
LUCAS formule l'hypothèse de linéarité de l'accumulation du capital
humain. En effet, la formation de capital humain dépend des
décisions des agents microéconomiques.
Dans le modèle de LUCAS (1988) le progrès technique est
endogène car il dépend des comportements individuels. Toutefois il
existe un effet externe de l'éducation car les individus en sousestiment le rendement. En conséquence: la croissance trouve son
origine dans les décisions individuelles même si à long terme les taux
de croissance dépendent uniquement de paramètres exogènes. L'État
qui gère les externalités, doit mettre en œuvre les politiques propres à
aiguiller l'économie de l'équilibre concurrentiel qui résulte des
décisions individuelles vers l'optimum social où la croissance est plus
forte. Donc il faut des politiques publiques d'éducation agissant sur la
croissance.
Le modèle de BARRO (1990) illustre le rôle de l'Etat non
plus comme gérant des économies externes et réconciliant équilibre
concurrentiel et optimum social, mais comme le fournisseur de biens
particuliers. Conception très ancienne qui remonte à A. SMITH pour
qui l'État doit défendre le droit de propriété, assurer la défense
nationale et entretenir les édifices publics. BARRO considère l'État
comme le fournisseur de biens et services collectifs caractérisés par
un manque d'incitation des privés à les produire. L'hypothèse de
BARRO est que les dépenses publiques permettent de financer des
biens collectifs dont chaque agent consomme la même quantité.
BARRO fait aussi l'hypothèse que les dépenses publiques sont
financées par impôt proportionnel prélevé sur l'ensemble des
revenus.
Ainsi, les dépenses publiques concourent à la productivité des
facteurs (infrastructures, dépenses de recherche,...). Quand un
individu investit, il accroît les recettes de l'État et donc permet de
fournir plus de biens collectifs qui améliorent la productivité
?42
marginale du capital. L'équilibre concurrentiel est sous-optimal car
les agents privés ne tiennent pas compte de cet effet qui est analogue
à un effet externe et n'investissent pas suffisamment par rapport à
l'optimum en raison de la différence positive entre la productivité
marginale sociale et privée du capital. L'État peut provoquer l'égalité
des deux grâce à l'imposition d'une taxe proportionnelle sur la
production.
L'analyse de BARRO suggère d'étudier l'impact de la fourniture de biens publics comme de bonnes institutions sur la
productivité des facteurs et donc sur la croissance. En effet, si l'État
définit un cadre institutionnel tel que le respect de l'État de droit soit
assuré, les coûts de transaction seront réduits, les échanges accrus et
la croissance stimulée. Cette analyse rejoint, de ce point de vue, les
idées développées par les « néo-institutionnalistes ».
Section 5 : Les issues de la croissance
Les recherches récentes tendent à créer un lien entre taux de
croissance et réduction de la pauvreté et établissent qu'une croissance
longue viendra à bout de la pauvreté. Les études DE DEMERY ET
WALTON (1998) montrent que si l'Afrique veut réduire de moitié la
pauvreté, elle doit réaliser des taux de croissance réguliers d'au moins
7% sur une période de 25 ans. L'investissement devrait alors passer de
l'ordre de 35 à 40% du PIB de chaque pays ce qui représente environ
65 milliards de dollars. Même en mobilisant le volume global de
l'épargne intérieure, les excédents en devises, l'aide extérieure et les
capacités d'endettement, le challenge est quasiment impossible. Il
faut alors recourir à l'épargne extérieure et aux IDE pour atteindre cet
objectif de croissance économique. Il suffit alors d'enclencher une
telle croissance par des investissements lourds.
243
Tableau Q : Taux de croissance et d'investissement
nécessaires afin de diminuer la pauvreté en Afrique de 50%
d'ici à 2015
saus..n
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Centre
6.70
9,12
73
5.6
4B.9
455
14.6
28.9
30,9
17,6
201
Nord
Est
l8
,~
~,
s.o.
Sud
6.20
6.1
37,B
Ahjue(nqwne)
6.79
5.0
B,O
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12,5
Afrique
subsiharlenœ
7,16
S,.
40,0
17,4
22,6
ScurŒCIIIIllIIGI «DlIIlIflwe ~II rl,fnj.Je (ID). ~NrfC Report onAlita ~ditl-Abtb~ [1II.,1999}
Il s'y ajoute que contrairement à d'autres régions notamment
l'Asie et l'Amérique Latîne, la production moyenne de l'Afrique, par
habitant et en prix constants, à la fin des années 1990 était inférieure
à ce qu'elle était il y a trente ans et que sa production industrielle
comme sa part dans le commerce mondial ont reculé. Plus grave
encore, le Continent est en passe d'être laissé à la marge de la
révolution mondiale des technologies de l'information et de la
communication.
À l'analyse; il est peu probable qu'une croissance, même
rapide, résorbe la pauvreté dans des délais acceptables. Il est encore
invraisemblable que cette croissance puisse être tirée par Jes seules
exportations, comme la Banque mondiale l'a longtemps cru au mépris
de l'histoire économique- y compris celle des pays asiatiques. Ce qui
est selon P. ENGELHARD un grand aveuglement intellectuel 100.
L'auteur passe en revue les quatre postulats implicites ou explicites
qui sous-tendent l'ajustement:
•
100
La croissance économique viendra à bout de la pauvreté. En
admettant cette articulation, il convient de savoir ce qu'il faut
faire si la croissance ne suffit pas à réduire la pauvreté. La
critique prend du relief quand on sait qu'il faut un taux de
P. Engelhard: L'Afrique miroir du monde? Arlea 1998, 222p
244
•
•
•
croissance minimal oscillant entre 7 et 10%, or celui-ci est bien
en-dessous de ce chiffre
La croissance des « riches» a nécessairement un effet
d'entraînement sur le revenu des pauvres. Ce postulat est
fragile car la structure de la distribution des revenus est mal
connue dans tous les pays et au même moment. Ensuite, il
n'existe presque nulle part un État capable de redistribuer les
richesses. Enfin mais pour ce qu'on en sait, les inégalités sont
telles qu'elles exercent plutôt des effets négatifs 101.
Il n'y a de croissance que dans une économie non déficitaire.
Engelhard a parfaitement raison de souligner le caractère
fétichiste de ce postulat et qui n'est, de surcroît; jamais vérifié
historiquement lO2 •
La croissance saine est celle qui est tirée par les exportations et
les IDE. Théoriquement comme pratiquement, cette assertion
est fortement discutable
L'échec des PAS et l'impuissance des théories et praxis de la
croissance ont relancé les recherches et réflexions sur de nouvelles
visions et l'élaboration de programmes alternatifs pour l'avenir fondé
sur le développement. Pour être complet, celui-ci ne peut avoir pour
centre que l'homme et sa volonté de transformation de la société dans
laquelle il vit. En effet, durant les années 70 -80, la crise de la dette
avait polarisé l'attention vers la recherche de solutions aux problèmes
des déséquilibres externes et internes à court terme. Les réflexions
sur le développement et la stratégie de développement à long terme
sont totalement reléguées à l'arrière-plan. Conséquemment, l'analyse
économique du développement, comme le développement lui-même,
sont passés aux oubliettes. C'était l'époque où, selon PRENAB
BARDHAN, l'économie du développement a été une jeune fille aux
mauvaises fréquentations (l'anthropologie, la psychologie, la science
politique, etc.) dans sa quête pour comprendre le changement
structurel103 • Les principaux sujets de préoccupation d'études et de
recherches portaient sur les conditions de la croissance, la
stabilisation, l'endettement, l'aide extérieure pour s'achever sur
l'Ajustement Structurel.
101 Mc Namara alors président de la Banque Mondiale écrivait que« les
politiques qui ont pour effet d'enrichir les riches n'enrichissent pas la nation.
Au contraire, elles entraînent inévitablement le déséquilibre économique et
l'instabilité sociale.
lm Le postulat ne tIent que si l'endettement est insoutenable au point de compromettre
les équilibres à moyen er long terme.
lm Cité par Elsa "\ssidon
245
Propos d'étape sur la Première partie
Toutes les théories passées en revue des classiques à la
synthèse néo-classique servent de cadre de référence à la fois aux
analyses du sous-développement et aux politiques et stratégies du
développement. Elles partent toutes de l'idée qu'à l'intérieur d'une
société, le développement se fonde sur la combinaison de la force de
travail et des moyens de production dont une partie sert à
reconstituer les moyens de production (amortissement du capita1), à
recomposer la force de travail (nourriture, logement, formation). Sur
cette base le développement et la croissance sont régulés par des
processus amples et profonds de génération et d'absorption du
surplus compris comme la différence entre la production qu'une
société veut ou peut réaliser et la part de cette production nécessaire
pour recomposer les forces productives ayant permis cette
production. En effet, ce surplus peut avoir trois (03) usages partiels:
•
•
•
accroître les moyens de production,
améliorer la force de travail,
financer les dépenses improductives.
Toutes les théories du développement et de la croissance avec
des outils, des méthodes et des démarches différents s'efforcent
d'apporter des réponses à la formation et à l'utilisation des surplus
(encore appelés profits, plus-value, fonds accumulés selon les auteurs,
les écoles, épargne).
Dans cette optique, les théories de la croissance qui s'appuient
sur l'augmentation soutenue d'une grandeur de dimension nationale
ont fini par s'imposer. C'est d'ailleurs la crise de 1929 qui a amené les
économistes à « réinventer» la problématique de la croissance et à
retrouver la trace des Grands Ancêtres A. SMITH, et D. RICARDO et
mieux quelquefois, à s'apercevoir de l'existence de MARX. Cela
correspond à la première vague dont parlait R.SOLOW avec les
modèles des néo-keynésiens HARROD -DOMAR.
Toutefois, il convient d'observer aujourd'hui que les théories
de la 'croissance, si elles ont amené une quantité impressionnante
d'études empiriques rigoureuses sur la dynamique des sociétés
(surtout capitalistes), si elles fournissent de formulations astucieuses
et sophistiquées, elles orit quelque peu échoué devant ce qui étaient
leurs deux (02) objectifs essentiels:
•
•
246
donner une traduction simple mais totale de la dynamique de
la croissance,
et dégager les bases d'une politique effective de croissance
optimale.
Les modèles élaborés en direction particulièrement des PSD
souffrent d'un excès de globalisme et de mécanismes qui les rend
parfois impropres à l'explication et à l'action. Aucun d'eux n'a
entièrement réussi à appréhender la complexité du phénomène de la
croissance car ces modèles reposent pour la plupart sur un petit
nombre d'hypothèses schématiques. C'est la raison pour laquelle,
aucun de ces modèles n'a pu véritablement mener à des découvertes
théoriques de grande importance qui n'aient été faites sous d'autres
formes avec d'autres méthodes.
Ce sont ces insatisfactions qui expliquent la multiplication des
recherches théoriques actuelles, cela d'autant plus que pour les pays
sous-développés, la question centrale n'est pas,: « Que faire pour
assurer une croissance rapide et harmonieuse?» mais « Que faire
pour commencer à croître?» Dans cette optique, la théorie doit
changer de terrain et s'orienter vers des processus plus amples qui
impliquent la prise en charge de la réalité des structures, des systèmes
productifs et celles des acteurs de terrain. En effet, maintenant il est
bien connu que la croissance est le produit de la combinaison de
plusieurs facteurs dont le moteur est variable d'un pays à un autre.
Également des changements doivent s'opérer au niveau des
méthodes. Les processus de modélisation doivent être améliorés par
des réflexions sur les hypothèses implicites d'homoeconomicus et de
rationalité.
Ce sont là quelques corrections de trajectoire, de nouveaux
axes de réflexion que tentent d'ouvrir plusieurs auteurs regroupés
sous le vocable de « structuralistes », qui partagent une vision
historico-séquentielle du développement et qui incorporent dans
l'analyse aussi bien les stryctures que les institutions comme l'État
dont ils font, désormais, une lecture économique et notamment sa
double action d'abord sur la macroéconomie et ensuite sur lui-même.
L'étude de la morphologie du sous-développement devrait
permettre de mieux appréhender les réalités de ces pays qui font
l'objet de multiples controverses au sein de la pensée économique du
développement.
247
248
Deuxième partie
Morphologie du sous-développement
et introduction
Cette partie de l'ouvrage est certainement la plus importante
car elle traite de la morphologie du sous-développement et présente
249
une introduction générale aux objectifs, stratégies et instruments de
gestion de ce phénomène. Depuis le temps que les économistes
débattent des questions du sous-développement, ils sont encore dans
l'incapacité de formuler une définition consensuelle du phénomène. Il
est tantôt compris négativement comme tout ce qui est en dessous du
développement ou alors plus positivement, il est analysé comme l'état
d'une économie qui ne peut surmonter le cercle vicieux de la pauvreté
et enclencher un processus cumulatif de production de richesses pour
satisfaire les besoins de base. Cette conception normative est souvent
sévèrement critiquée et remplacée par un état de retard économique
identifié par un certain nombre de critères quantitatifs et
mesurables comm~ le PIE, le Revenu par habitant, etc. Cette
méthodologie introduite par les Institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI et autres) permet alors une
classification des PSD en pays à faible revenu, pays à revenu moyen,
pays moins avancé, pays pauvre très endetté, etc.
Le sous-développement exprimant une réalité complexe et
variée qui suscite autant de controverses, la meilleure démarche
méthodologique est d'en établir une morphologie qui permet d'en
cerner toutes les caractéristiques les plus essentielles. Cette
connaissance factuelle du phénomène permettra alors de mieux
comprendre « ce qui est et ce qu'il faut faire ». Dans ce cadre on
circonscrit plus clairement les objectifs que les pays se fixent, les
stratégies et les politiques qu'ils mettent en place et les instruments
de gestion du développement qu'ils utilisent. Les stratégies et
politiques de développement vont apparaître comme des tests de
validité des théories et des instruments de l'analyse économique. Ces
politiques et stratégies montreront leurs capacités à :
•
•
•
élever le niveau des forces productives matérielles et
humaines;
construire des systèmes productifs performants et capables
d'une insertion gagnante dans la mondialisation devenue
inéluctable;
relever le niveau de vie des populations.
C'est en réalisant de tels objectifs, que ces politiques et
stratégies s'avéreront pertinentes pour sortir les pays du sousdéveloppement.
Dans cette optique, cette deuxième partie comprendra cinq
chapilres:
•
250
Ce premier chapitre analyse précisément les traits typiques du
sous-dévelQppement qu'il importe de prendre en compte dans
l'élaboration des politiques économiques. Cette morphologie
•
•
•
est présentée sous deux cat'égories de caractéristiques
économiques et non économiques du sous-développement.
Le second chapitre traite des questions démographiques et
d'urbanisation qui sont deux éléments que les analystes
présentent souvent comme un handicap majeur au
développement. Bien que le Continent soit relativement souspeuplé, sa croissance démographique est explosive et, pendant
un temps, supérieure à celle de la production. Cette expansion
démographique est accompagnée par une urbanisation
accélérée, deux phénomènes conjugués qui risquent de
générer des problèmes socio-économiques et environnementaux graves en somme des ruptures d'équilibre comme
l'amplification de la crise alimentaire. Alors où en est le débat
théorique autrement dit, la démographie est-elle un frein ou
une opportunité pour le développement et social l'Afrique? Le
vieux débat introduit par Malthus ne réapparaît-il pas
aujourd'hui à savoir « les hommes peuvent se reproduire plus
rapidement que les ressources naturelles dont ils ont besoin pour
survivre. En conséquence, la population humaine en arriverait
finalement à dépasser les capacités de son environnement, ce qui
pourrait conduire à sa propre disparition? ».
Le troisième chapitre est une introduction générale aux
objectifs, stratégies et instruments de gestion du
développement, Les objectifs du développement économique
élément premier et déterminant de la stratégie dépendent
d'une part des finalités de la société et, d'autre part de la
structure socio-économique de celle-ci ainsi que des
instruments d'action et de gestion. Pour des PSD caractérisés
par· le faible niveau des forces productives matérielles et
humaines, la croissance est l'objectif auquel tout le système
économique et social doit être subordonné. Le choix d'une
stratégie est d'une importance capitale et devrait permettre de
coordonner les objectifs, les moyens et les acteurs dans une
société marquée par la coexistence de plusieurs structures
obéissant à une pluralité de centres de décision et l'existence
de beaucoup de contraintes de nature diverse. Bien
évidemment, la stratégie de développement et de croissance
doit se traduire concrètement d'une part dans le choix de
leviers qui la feront passer dans les faits et d'autre part, dans le
choix des instruments adéquats de la politique économique et
financière. La planification s'offre alors comme un instrument
de pilotage d'une gestion économique à moyen et long terme.
Le quatrième chapitre est relatif aux insiitutiuu:s ù't;u~adrement
et de gouvernance et au retour de l'État dans le jeu économique.
Depuis longtemps la corrélation entre institutions et
251
•
développement à été bien établie. L'avènement du « tout
marché» avait plus ou moins distendu ce lien que la recherche
a maintenant parfaitement rétabli suite aux nombreux
programmes de recherche sur les institutions. La stratégie du
développement n'est plus uniquement d'ordre économique;
elle est aussi d'ordre humain et institutionnel, c'est ce que
montrent les développements dans ce chapitre. L'État est ainsi
réhabilité et réinséré dans le jeu économique et social.
Le cinquième chapitre analyse le modèle proposé de libéralisation des économies africaines à savoir les Programmes
d'Ajustement Structurel issus du Consensus de Washington.
L'importance et la diversité des questions soulevées dans cette
partie rendent indispensable de repréciser les concepts de stratégie et
de politique de développement pour éviter toute confusion sur ces
idées clefs. D'abord, le développement doit être strictement distingué
du concept de croissance. La croissance économique est comprise
. comme « l'augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes
longues ... d'un indicateur de dimension; pour la Nation, le produit
national brut ou net en termes réels »104. En fait, dans une optique de
croissance, ce qui croit, c'est directement le produit mais elle n'éclaire
ni sur les facteurs causatifs qui auraient pu la rendre plus forte, ni sur
le jeu des structures favorables ou non; ni sur la répartition des fruits.
C'est pourquoi on peut bien concevoir, comme nous le verrons plus
loin « une croissance appauvrissante » qui se produit lorsqu'un pays
améliore ses performances sans que certains acteurs ou secteurs
économiques en bénéficient. Au contraire, le développement est un
phénomène moins répétitif et moins quantitatif.
Selon François PERROUX, le développement débouche sur
des strucqIres sociales, des institutions, des habitudes d'esprit qui ne
sont pas justiciables de formes courantes des équilibres micro et
macroéconomiques. En somme, le développement englobe et soutient
la croissance. C'est sur cette base que, F. PERROUX définit alors le
développement comme « la combinaison de changements mentaux et
sociaux d'une population qui la rendent apte à faire croître
cumulativement et durablement, son produit réel global ». En
d'autres termes, si la notion de croissance est partielle et strictement
quantitative, celle de développement est plutôt synthétique, à la fois
quantitative et qualitative. C'est pourquoi le concept de
développement est beaucoup plus riche que celui de croissance; il
peut s'observer dans les expériences historiques des pays une
croissance sans développement.
104
François PERROUX: l'Économie du xx" siècle, pp. 558-559.. PUF.
252
Le concept de politique économique est, à son tour, assez
controversé et fait l'objet de plusieurs compréhensions. Ainsi,
MEYNAUD la définit comme « l'ensemble des décisions gouvernementales en matière économique, gouvernement étant pris au sens
large comme couvrant les diverses autorités publiques d'un pays
donné » 105. Alors que pour O. FANTINI, la politique économique est
« l'ensemble des règles et d'actes par lesquels l'État intervient au nom
de l'intérêt général dans la vie publique et privée ». Dans l'Encyclopédie
de l'économie et de la gestion « la politique économique est une action
délibérée de la puissance publique se traduisant par la mobilisation
d'un certain nombre de moyens pour atteindre des objectifs définis en
fonction d'une certaine philosophie ou idéologie »106. La définition
proposée par le « Dictionnaire d'économie» est plus large encore « La
politique économique vise à la réalisation d'un certain nombre
d'objectifs économiques et sociaux parmi lesquels figurent notamment
la croissance du niveau de vie et du produit national brut, le pleinemploi des ressources en hommes et en équipements, la stabilité des
prix, l'équilibre des échanges et des paiements extérieurs. Une
hiérarchie de ces divers objectifs est fréquemment établie en fonction
d'une part des contraintes et de l'environnement économique et social
du moment, d'autre part des conceptions politiques des dirigeants ». 107
Le Professeur TINBERGEN avance une parfaite synthèse en
considérant, qu'en définitive, « la politique économique consiste dans
la manipulation délibérée d'un certain nombre de moyens mis en
œuvre pour atteindre certaines fins ».
De cette claire définition, il peut ressortir que les politiques de
développement pourraient être comprises comme les diverses options
sectorielles initiées par les pouvoirs publics pour atteindre des
objectifs préalablement définis. Cela suppose l'utilisation de moyens
matériels et financiers appropriés mais aussi le recours à des
techniques et structures institutionnelles de gestion du développement ainsi que des mutations des structures d'encadrement
culturelles et mentales qui accompagnent ces politiques.
MEYNAUD : Politique Économique comparée
Encyclopédie de l'économie et de la gestion, . Hachette, 1994, P.349
107 Dictionnaire d'économie et des faits économiques et sociaux, . Foucher,
1999, P 46 4
105
106
253
254
Chapitre 10
Les caractéristiques économiques et non
économiques du sous-développement
Il est après tout assez facile de définir à priori une politique de
développement et de se livrer à un volontarisme économique pour
l'appliquer. Il n'est pas sûr qu'une telle méthode puisse donner des
résultats probants, réalistes et efficaces. Sans aucun doute, la
meilleure démarche consiste à analyser au préalable les structures et
le fonctionnement· d'une économie sous-développée avant de définir
les politiques de développement qu'il importe de mener. Au départ, il
sied de mettre en lumière les structures économiques et sociales
auxquelles s'applique la politique de développement dont il faut
préalablement dégager les principes généraux qui guident son
élaboration.
Section 1: Les Caractéristiques d'une économie sousdéveloppée.
L'analyse du sous-développement et de ses diverses
représentations constitue, depuis un quart de siècle, selon G.D. DE
BERNIS. le microcosme de l'évolution de la théorie économique. En
effet, lorsque l'on traite d'une économie sous-développée, on a
l'habitude d'énumérer un certain nombre de caractéristiques
communes soit quantitatives (critères) ou/et qualitatives (typologie
structurelle historique) ; toutefois, une énumération même exhaustive
ne suffit pas à produire une définition cohérente. Or c'est d'une
définition dont la théorie a besoin comme outil d'analyse. René
GENDARME a réùni 21 définitions du sous-développement, ce qui est
une bonne indication de la complexité du phénomène mais également
de sa diversité.
Il est impossible de lister toutes ces définitions, mais au moins
trois semblent assez caractéristiques. La première est celle des
Nations-Unies qui comprennent le sous-développement comme « la
non 'exploitation optimale de toutes les ressources économiques et
humaines disponibles sur un territoire ». La limite saute aux yeux car
l'optimum de mise en valeur se retrouve sur tous les espaces
territoriaux si tant est que ce concept ait un sens scientifique. La
deuxième compréhension, la plus usuelle, assimile le sousdéveloppement à un retard en comparaison avec des pays qui ont
atteint un niveau avancé de production, de consommation et
d'échange. Cette vision est à la fois simpliste et artificielle, ce que nous
255
avons souligné dans le découpage grossier des étapes de la croissance
de W.ROSTOW. Une troisième tentative de définition provient des
structuralistes, F. PERROUX, C.FURTADO qui voient dans le sousdéveloppement un processus historique autonome et non pas une
étape par laquelle serait passées les économies ayant déjà atteint un
certain stade supérieur de développement. Il est un phénomène
contemporain du développement, conséquence de la façon dont la
révolution industrielle s'est déroulée jusqu'à nos jours ». Cette
définition n'est pas très éloignée de celle des marxistes qui
considèrent le sous-développement comme le produit du
développement capitaliste, une déstructuration sectorielle issue de la
domination impérialiste. Dans cette ligne de pensée, Samir AMIN
estime que l'analyse du sous-développement occulte la réalité qui est
celle d'une formation sociale capitaliste dominée, exploitée et
façonnée par l'impérialisme. « La transition au capitalisme
périphérique est alors la construction d'une formation sociale
capitaliste spécifique à la périphérie à partir de la colonisation et de
l'exportation de capital sur la base des modes de production
précapitalistes »108
Ces quelques trois définitions montrent l'impossibilité d'un
consensus sur l'appréciation du phénomène. 109
Maurice BYE avertit clairement que « La science est d'abord
vocabulaire, ensemble de concepts clairement définis. Toute
définition doit servir l'analyse qui en usera. Il faut donc savoir, pour
donner un sens au terme « sous-développement, à quel service ce mot
se trouve destiné.» 110 L'ambiguïté et l'imprécision du concept
explique, sans nul doute, que la littérature économique le concernant
relève d'abord d'un domaine de controverses, d'évolution rapide des
faits et de confusion de l'analyse et de la norme. ll1 Pourtant, il faudrait
pouvoir en rendre compte comme d'une pensée vivante, même
lorsqu'elle s'accompagne inévitablement de branches mortes l12 •
Beaucoup d'auteurs, face à la diversité des approches, finissent par
108 Samir AMIN: L'accumulation à l'échelle mondiale, IFAN-Dakar,
Anthropos, 1971 PPI63-193·
109 Yves LACOSTE soulignera que « le sous-développement est un
phénomène à la fois global et éminemment complexe qui se manifeste dans
chaque territoire par une imbrication de symptômes économiques,
sociologiques et démographiques et il procède d'une combinaison de facteurs
imbriqués les uns aux autres. Cette combinaison n'est pas statique, elle
évolue sous l'effet d'un jeu de forces complexes»
110 Maurice BYE: Préface à l'ouvrage de J.FREYSSINET, Le concept de sousdéveloppement
III G.Destanne DEBERNIS : op. cit. p 103
112
G. Destanne DEBERNIS : Sous-développement, analyses ou
représentations, Revue Tiers-Monde, tome XV, n037 Janvier-Mars 1974
256
traiter d'une économie sous-développée par une énumération de
critères et d'indicateurs du sous-développement (voire la douzaine de
critères répertoriés par Yves LACOSTE et qui constituent le
fondement même de l'analyse critériologique). Il reste qu'une
énumération, même exhaustive, ne suffit pas à offrir une définition
cohérente. Or c'est d'une telle définition que nous avons besoin
comme outil d'analyse.
Dans ce cadre, l'analyse du sous-développement se présente
comme une combinaison subtile de faits, d'intérêts, de théories, de
pouvoirs et de mythes au sein de laquelle cependant, les
enchaînements s'expliquent fort bien. Pour dépasser cette diversité
apparente et rechercher les éléments qui permettent une
caractérisation acceptable de l'état de sous-développement, on va
considérer une économie sous-développée d'abord par sa structure
productive primaire et dualiste, ensuite par son fonctionnement
instable et dépendant, et enfin par son incapacité à rompre le « cercle
vicieux de la pauvreté». Cette interprétation s'efforce de regrouper
des traits de structures et de fonctionnement en vue de faire
apparaître la conséquence majeure: le cercle vicieux de la pauvreté.
Il La première caractéristique est la structure primaire et dualiste
1°) L'économie sous-développée est une économie
dominée par des activités productives primaires
d'origine agricole et minière
Toutes les statistiques établissent qu'une économie sousdéveloppée se caractérise par la prédominance des activités
économiques primaires d'origine agricole et minière correspondant à
la valorisation des ressources du sol et du sous-sol. Ces activités
occupent la plus grande partie de la population active et fournissent
l'essentiel de la production intérieure et des exportations.
En ce qui concerne la population active, plus de 60%, sont
concentrés dans le secteur agricole et les exploitations minières. Le
secteur des industries de transformation n'emploie qu'une très faible
partie de cette force de travail, tandis que l'on enregistre dans
beaucoup de pays à une hypertrophie du secteur tertiaire composé
essentiellement de l'économie informelle qui a connu une expansion
extraordinaire dans la quasi-t-otalité des PSD. Ce qui s'explique par le
développement d'activités commerciales et d'exportation dans les
régions côtières, les ports, les grandes agglomérations urbaines ; la
prolifération d'intermédiaires de tous ordres, de courtiers, de
changeurs, de prêteurs ou d'usuriers, de trafiquants divers et le
développement des services personnels (domestiques) en raison du
faible coût de la main-d'œuvre faisant suite à l'exode rural massif.
257
Tableau 10: Pourcentage de la main d'œuvre utilisée dans
l'agriculture, l'indu~trie et les services en Afrique.
1
Année
Agriculture
(en%)
Industrie
(en%)
Services
(en%)
1980
1985
70
!
67
1990
65
1996
62
1
11
19
1
1
i
21
1
13
15
1
22
1
i
1
1
12
1
1
23
,
1
Source: BAD, Rapport sur le developpement en Afrique, ;::.nnee 2005
La conséquence de cette répartition de la population active est
une utilisation improductive de la force de travail et, plus
particulièrement, le chômage déguisé dans l'agriculture qui se traduit
par une productivité marginale du travail nulle et une baisse du
rendement par actif rural. Il est devenu important pour les politiques
agricoles d'évaluer avec exactitude le chômage déguisé. Cela peut se
faire en calculant le nombre d'hommes qu'il faut dans l'agriculture
pour obtenir une certaine production, compte tenu des cultures, des
techniques et de l'équipement.
La situation de sous-développement est aussi révélée par la
structure primaire de la Production Intérieure du pays. Celle-ci se
compose principalement de produits agricoles et miniers à savoir:
•
•
•
les produits agricoles servant à la subsistance de la
population ;
les matières premières agricoles affectées à l'exportation;
les matières premières minières destinées à l'exportation,
Quant à la production industrielle, sa part dans le PIB est
faible. Cette donne sectorielle sera approfondie dans l'analyse des
politiques économiques dans les deux secteurs que sont l'agriculture
et l'industrie
Enfin les exportations sont révélatrices de la situation de sousdéveloppement. Celles-ci se concentrent sur un ou deux grands
produits de base (d'origine agricole ou minière).
L'étude de la structure de la production intérieure et des
exportations fait apparaître le caractère paradoxal de la spécialisation
dans les pays sous-développés: la spécialisation est très forte par
rapport au commerce extérieur, mais elle est très faible par rapport au
marché intérieur, de sorte que ces pays doivent importer de l'étranger
certains produits de consommation qu'ils ne réussissent pas à
produire eux-mêmes.
258
2°) Le sous-développement est marqué par un dualisme
sectoriel de l'économie
L'économie sous-développée est dualiste en ce sens qu'elle
comprend deux secteurs économiques juxtaposés ayant de très faibles
relations interindustrielles: un_secteur précapitaliste et un secteur
moderne d'essence capitaliste qui se subdivise en un sous-secteur
constitué d'un capitalisme étranger et un sous-secteur capitaliste
autochtone très faiblement industriel, mais surtout commercial et
immobilier.
L'économie dualiste est une économie « désarticulée» selon
l'expression de M. François Perroux, c'est-à-dire qu'il n'existe entre
les deux secteurs que de très faibles relations. Le premier secteur
développé est articulé au système mondial dont il est le
prolongement alors que le secteur autochtone stagne et ne reçoit pas
de l'extérieur les impulsions nécessaires.
L'étude du caractère dualiste et désarticulé des économies
sous-développées apparaît mieux encore quand on discute du rôle
joué par les firmes étrangères dans le pays sous-développé: pour
apprécier ce rôle, on peut se placer à divers points de vue de
l'orientation des activités, de la distribution des revenus, des
investissements et au point de vue social.
11/ La deuxième caractéristique est relative au fonctionnement d'une économie sous-développée.
1°) le fonctionnement de l'économie sous-développée est
instable
C'est le premier trait caractéristique du fonctionnement d'une
économie sous-développée. Il se manifeste à un triple niveau celui de
la production, des exportations et des termes de l'échange.
D'abord concernant la production, son instabilité provient de
la forte corrélation de la production agricole aux aléas de la nature:
de bonnes récoltes peuvent alterner avec de mauvaises. Pour ce qui
est de la production minière, son volume est fonction du volume des
exportations, qui elle-même dépend de la demande extérieure des
acheteurs étrangers et des firmes étrangères qui dressent des plans de
production pour l'ensemble de leur espace mondial d'implantation,
sans tenir compte des intérêts particuliers des pays producteurs où
elles exercent une partie de leurs activités.
Ensuite pour ce qui est des exportations: les débouchés sont
soumis à de fortes fluctuations liées à plusieurs facteurs (lui
échappent complètement aux pays producteurs: fluctuations du
volume des exportations ainsi que celles des prix. Les conséquences
de cette instabilité dans les exportations sont graves pour l'économie
259
sous-développée: évolution erratique des recettes d'exportation qui
provoquent d'une part des fluctuations décalées dans les importations
et aggravent d'autre part la situation générale de l'économie sousdéveloppée en ce sens que les phases d'expansion favorisent le
développement de productions marginales ou additionnelles qui
provoquent en fin de compte une surproduction. De plus, l'instabilité
des prix des produits exportés incite les acheteurs étrangers à
développer les produits de substitution (produits synthétiques) qui
ont des prix prévisibles et facilitent ainsi le calcul des coûts de
production.
Enfin, dans le domaine des termes de l'échange sur lesquels
nous reviendrons plus en détail, dans le cas des PSD, les prix à
l'exportation sont, en première analyse, les prix des produits
primaires; les prix à l'importation sont les prix des produits
manufacturés importés. Dans ce contexte, l'instabilité des prix à
l'exportation des produits primaires explique l'instabilité des termes
de l'échange de ces PSD. Le phénomène le plus important en ce qui
concerne les termes de l'échange est leur évolution de longue période
qui peut être caractérisée par deux mouvements opposés: la
détérioration et l'amélioration.
Dans ses travaux M. Raul PREBISCH constate que les
changements observés dans les termes de l'échange indiquent que les
PSD ont permis la croissance du niveau de vie dans les pays
industrialisés sans recevoir, dans le prix de leurs propres produits,
une contribution équivalente à leur propre niveau de vie. « Tandis
que les centres gardèrent l'entier bénéfice du développement
technique de leurs industries, les contrées périphériques transférèrent
une part des fruits de leur propre progrès technique ». On notera que
les théoriciens de l'échange inégal s'inscrivent dans les mêmes lignes
de conclusion. Cependant, pour C. P. KINDLEBERGER, le problème
central des pays sous-développés n'est pas tant celui des termes de
l'échange que celui de la très faible mobilité des ressources. Cette
immobilité relative est aggravée par la technologie utilisée dans les
productions primaires, qui permet souvent une entrée facile dans une
activité économique, mais une sortie difficile en raison des faibles
possibilités d'adaptation de l'économie sous-développée: « le
développement économique est accéléré davantage par la recherche
d'une qualification pour la force de travail à tous les niveaux, par le
flux de capitaux nouveaux, par la flexibilité et l'action de
l'entrepreneur, que par des efforts en vue de manipuler les termes de
l'échange ».
260
2°)
le fonctionnement dépendant de l'économie.
L'économie des PSD est triplement dépendante de l'extérieur.
Globalement ce sont des économies qui fonctionnent par et pour
l'économie mondiale.
La première dépendance se manifeste vis-à-vis des grandes
firmes multinationales qui exploitent les matières premières agricoles
et minières et qui en assurent les exportations. Cette dépendance est
la conséquence de la spécialisation.
La seconde dépendance concerne les importations de biens
manufacturés et de services. En analysant les importations des PSD,
on constate trois postes importants:
•
•
•
les biens d'équipement et de consommation intermédiaire
destinés aux industries locales;
les importations de produits alimentaires destinées à couvrir
le déficit alimentaire;
les biens de consommation finale de luxe de la minorité
privilégiée par la fortune.
Cette dernière catégorie de biens de consommation a fait
l'objet de plusieurs réflexions à cause de son incidence négative sur
l'équilibre extérieur. À l'heure de la mondialisation, beaucoup de
moyens permettent le jeu de l'effet de démonstration et un
mimétisme de consommation se tradl,lit dans les pays sous
développés par une aspiration à des niveaux de vie de type américain
ou européen. Cet effet entraîne un accroissement des importations de
biens de consommation, souvent non essentiels, ce qui provoque des
déséquilibres de la balance des paiements et une utilisation
improductive des devises obtenues par les exportations ou par l'aide
extérieure.
Tableau 11: Composition des exportations régionales:
part des matières premières en %.
RéJdon
Amérique du Nord
Europe Occidentale
Asie
Amérique Latine
Afrique
2000-2002
10 10,7
9,4 9.4
6,5 6,6
18,419,3
12,Q 1!),8
Source: BAD, Rapport sur le Developpement en Afrique, 2005
La troisième dépendance est relative aux importations de
capital en provenance de l'étranger. Le déficit d'épargne contraint les
261
PSD à recourir aux Investissements Directs Étrangers pour financer
les investissements, à l'Aide Publique au Développement et aux divers
prêts des Institutions Financières Internationales. Cette mobilisation
de ressources externes demeure indispensable malgré les
observations pertinentes et opportunes de A. LEWIS, qui écrit:
« Aucune nation n'est assez pauvre pour ne pas pouvoir épargner 12%
de son revenu national, si elle le désire; la pauvreté n'a jamais
empêché les nations de se lancer dans les guerres, ou de gaspiller
leurs substances d'autres façons. Moins que les autres, ces nations ne
peuvent plaider la pauvreté; dans lesquelles 40% environ du Revenu
National sont détenus par les 10% supérieurs des titulaires de revenu,
vivant luxueusement de leurs' rentes.' Dans de tels pays,
l'investissement productif est faible, non pas parce qu'il n'y pas de
surplus, mais parce que le surplus est utilisé ... à construire des
pyramides, des temples et d'autres biens durables de consommation,
au lieu de créer du capital productif. Si ce surplus allait sous forme de
produits aux capitalistes ou, sous forme d'impôts, à des
gouvernements ayant une inclination pour la productivité, des
niveaux beaucoup plus élevés d'investissement seraient possibles sans
inflation » (p. 23 6). 113
Tableau 12 : Les IDE en Afrique et dans le monde de
' courants,
2005 en ml'n'lard s d e d 0 nars EU aux IlrlX
1980
à
Années
1980
1990
2000
2001
2002
2003
2004
2005
Monde
55,3
201,6
1409,5
832,2
617, 7
557,8
710,5
916,3
Economies en
développement
7,7
35,9
254,6
210,5
162,1
172,8
260,2
320,7
Afrique
0,4
2,8
9,6
19,9
13
18,5
17,2
30,7
Economies en
développement
d'Asie
0,66
22,6
148
112
96,1
110,1
156,6
199,6
Source: CNUCED, Manuel de Statistiques 2006,
113
A. LEWIS: The Them)' of Economie Growth (1956),
262
III/ La. troisième caractéristique: le sous-développement
comme incapacité à briser le « Cercle Vicieux de la Pauvreté»
Le cercle vicieux de la pauvreté se définit comme une sorte de
causation circulaire selon laquelle la pauvreté engendre la pauvreté à
travers des revenus très faibles et en conséquence une épargne faibl~
pour permettre un investissement substantiel générateur de
croissance, donc d'accroissement des revenus. Tout se passe comme
s'il existait des mécanismes qui empêcheraient le pays sous-développé
de connaître un accroissement d'activité. Cette notion peut revêtir
deux aspects: un aspect stationnaire qui induit ce que R. NURKSE
appelle un équilibre de sous-développement et un aspect dynamique à
partir de processus cumulatif renforçant la constellation circulaire de
forces maintenant l'économie sous développée en état de pauvreté.
Cet aspect a été mis en relief par G. MYRDAL qui a étudié ces
processus cumulatifs de croissance ou de régression, qui augmentent
les inégalités entre régions à l'intérieur des nations ou entre nations à
l'intérieur de la communauté internationale.
Figure 11 : Cercle vicieux de la pauvreté
DUCO'Œ
DE
L'OFFRE
GLOBALE
DU Côté
DELA
DEMANDE
GLOBALE
1°) L'aspect stationnaire
L'équilibre de sous-développement peut s'expliquer d'abord
par la formation du capital nouveau, limitée par l'insuffisance de
l'épargne résultant du faible niveau du revenu réel, l'offre de capital
est alors déficiente. Également, la demande de capital est déficiente
263
parce que les occasions d'investissement sont insuffisantes et
l'incitation à investir inexistante. On constate au niveau des PSD trois
situations:
•
•
•
une demande de consommation intérieure faible, par suite des
faibles niveaux de revenus, ce qui déprime la demande
d'investissement dans toutes ces branches,
une absence de main d'œuvre qualifiée nécessaire à
l'application des techniques modernes de production,
une insuffisance des infrastructures économiques sans
lesquelles une entreprise de type moderne ne peut s'établir et
se développer. Lesdites infrastructures sont les ports, les voies
de communication, le système bancaire, les centres de
production et de distribution de l'énergie.
Pareille situation produit deux conséquences particulières:
d'abord, l'investissement international privé se concentre dans les
activités d'exportation et non dans la production pour le marché
intérieur. En effet, les capitaux privés tendent toujours à se déplacer
vers les pays où existe un marché massif et prospère, non vers les pays
où le capital est peu abondant et où sa productivité marginale serait
pour cette raison plus élevée. Ensuite, si une épargne se forme dans
un pays sous-développé, chez les titulaires de revenus élevés (et on
sait combien la répartition du revenu est inégale dans un tel pays),
elle n'est pas affectée à l'investissement productif, mais à des emplois
souvent improductifs et peu favorables à la croissance de l'économie
(placements dans les pays étrangers développés, thésaurisation sous
des formes diverses, constructions résidentielles de luxe, encaisses
spéculatives.) Dans les PSD, les titulaires de hauts revenus ont parfois
des excédents substantiels d'épargne mais le principal problème est
de savoir comment détourner cette épargne vers des emplois plus
productifs.
2°) L'aspect dynamique du cercle "icieu.~
Il s'agit d'un élargissement du cercle conformément à l'analyse
de G. MYRDAL qui considère qu'autant le développement appelle le
développement, la pauvreté appelle une plus grande pauvreté. G.
MYRDAL a mis en relief ces processus cumulatifs de croissance ou de
régression, qui augmentent les inégalités entre régions à l'intérieur
des nations ou entre nations à l'intérieur de la communauté
internationale. En effet, le jeu des forces du marché a pour
conséquence que tout centre d'expansion industriel ou commercial
exerce une attraction d'hommes, de marchandises et de services, de
capitaux, de vie intellectuelle et sociale et diffuse deux séries d'effets:
264
•
•
d'appauvrissement des reglOns moins favorisées (backwash
effects), qui se manifestent sous des formes diverses:
émigration des éléments jeunes et actifs de la population,
émigration des capitaux, le système bancaire captant les
épargnes des régions pauvres pour les orienter vers les régions
en plein essor, disparition des industries concurrencées par
celles des régions développées qui disposent de marchés plus
vastes et travaillent dans la zone des rendements croissants,
régressions de l'agriculture qui demeure l'activité
prédominante mais dont le niveau de productivité est en
baisse, insuffisance des services publics (routes, voies ferrées,
services sociaux, etc.)
d'entraînement (spread effects) sur les régions environnantes,
qui balancent les effets d'appauvrissement. Mais ces effets
sont d'autant plus faibles que le pays est plus pauvre; leur
intensité est fonction du niveau de développement.
En appliquant ce schéma à l'économie internationale, on en
déduit que les relations internationales, les échanges d'hommes, de
produits et de capitaux, se font en faveur des centres développés
tandis qu'ils vont dans le sens d'un appauvrissement progressif des
régions sous-développées: élimination de .l'artisanat local,
développement des productions primaires en vue de l'exportation
vers les régions développées, exportation de capitaux par les
capitalistes des pays sous-développées, qui justifie la formule selon
laquelle on ne prête qu'aux riches.
Comme les effets d'entraînement sont faibles ou nuls dans les
pays sous-développés, les effets d'appauvrissement s'exercent sans y
être de quelque façon contrebalancés.
L'étude du « cercle vicieux de la pauvreté» dans ses aspects
statistique et dynamique nous conduit à deux conclusions: d'abord,
elle met en relief les nécessités nationales d'une politique de
développement et indique les voies d'action qui doivent être suivies,
et ensuite elle montre que la croissance des économies sousdéveloppées impose une prise de vue mondiale des problèmes à
résoudre et appelle des solutions à l'échelle mondiale.
De même que les phénomènes de sous-développement
traduisent tabsence d'une communauté internationale structurée et
organisée, le succès de tout effort de développement dépendra de
l'instauration dans les consciences, dans les institutions et dans les
politiques, du désir de réaliser une telle communauté.
265
3°) Une vision de la Banque mondiale des cercles de
causalité,
Cette approche très proche de fanalyse « des cercles vicieux »
consiste à proposer la configuration de notions à fortes interactions
cumulatives des cercles de causalité qui peuvent être dits soit
vertueux, soit vicieux. «La réussite dans un volet d'un des cercles
facilitera l'amélioration dans d'autres, mais on peine à concevoir que
l'Afrique prenne sa juste place au 21 ème siècle à moins qu'il n'y ait
progrès dans la résolution des problèmes dans tous les cercles. Le
programme en chantier peut être réparti dans quatre de ces cercles :
amélioration de la gouvernance et résolution des conflits;
investissement dans la population; augmentation de la compétitivité
et diversification de l'économie; enfin, réduction de la dépendance
envers l'aide et renforcement des partenariats »114.
Figure 12 : Cercles de causalité selon la Banque mondiale
1.
Amélioration de la
gouvernance et résolution
des conflits
2.
1nvestlssement
dans la population
3.
Augmentation de la
compétitivité et
diversification de
l'économie
4.
Réduction de la
dépendance vis-à-vis de
l'aide et renforcement
des partenariats
114 Banque Mondiale: L'Afrique peut-elle revendiquer sa place au 21 ème siècle p 47 et
sUIvantes
266
IV/ L'Approche marxiste du sous-développement à travers
l'analyse de S. AMIN
Les formations sociales périphériques constituent la partie
centrale de l'ouvrage de Samir AMIN qui mène son analyse non plus
en termes de mode de fonctionnement, mais en termes de mode de
production et de formations sociales. La construction d'une formation
sociale capitaliste spécifique à la périphérie s'effectue à partir de la
colonisation et de l'exportation de capital sur la base des modes de
production précapitalistes.
La théorie de la transition au capitalisme périphérique livre
deux séries de résultats: d'une part, en ce qui concerne les conditions
nécessaires pour que s'établisse le mode de production capitaliste à la
périphérie « celles-ci sont au nombre de deux essentiellement: la
prolétarisation et l'accumulation du capital argent1l5 ce qui insiste sur
la dissolution des anciens rapports pour libérer la force de travail
nécessaire à l'établissement de rapports de production capitalistes,
libération obtenue le plus souvent par la violence, et d'autre part en ce
qui concerne la dynamique de l'accumulation: « Le mode de
production capitaliste tend à devenir exclusif c'est-à-dire à détruire
les autres modes de production. Sur ce dernier point Samir AMIN
développe la spécificité du mode de production capitaliste dans les
formations sociales capitalistes de la périphérie qui réside dans la
carence des rapports de production à dominer le développement des
forces productives, ce qui conduit d'un côté à la non industrialisation,
et de l'autre à la consolidation des rapports de production capitalistes.
Le développement du capitalisme périphérique ou le
développement du sous-développement se manifeste selon S. AMIN
par trois distorsions :1l6
•
•
•
une distorsion décisive en faveur des activités exportatrices
qui absorberont la fraction motrice des capitaux en
provenance du centre;
une distorsion en faveur des activités tertiaires qui traduit les
contradictions particulières au capitalisme périphérique et les
structures originales des formations périphériques ;
une distorsion dans les choix des branches de l'industrie en
faveur des branches légères, accessoirement en faveur des
techniques légères.
Plus spécifiquement, les formations sociales capitalistes
périphériques africaines partagent trois caractéristiques communes:
115
116
S.AMIN : idem p 165
S.AMIN : idem pp. 197-338
267
•
•
•
la prédominance du capitalisme agraire et commercial dans le
secteur national,
la constitution d'une bourgeoisie locale dans le sillage du
capital étranger dominant,
la tendance du développement bureaucratique original, propre
à la périphérie contemporaine.
Cette troisième caractéristique engagerait les formations sociales
vers un« capitalisme d'État» parfaitement compatible avec les
exigences du centre et la reproduction des rapports capitalistes
internes aux pays sous-développés. 1I7
Section 2: Les caractéristiques extra-économiques du
développement
Le Japon est le seul pays de peuplement non blanc et de
culture non occidentale à avoir réussi à faire fonctionner efficacement
un système politique démocratique et une économie libérale
performante en ne se fondant que sur ses valeurs propres de
civilisation. L'une de ces valeurs est l'investissement sur l'homme
considéré comme le capital le plus précieux. Dans ces conditions, un
PSD ne peut entreprendre et réussir un développement durable que si
les structures d'encadrement sont compatibles avec les stratégies et
politiques de développement.
On peut se demander au premier abord si l'économiste a
quelque compétence pour étudier les rapports entre civisme et
développement. Dans la pensée économique néo-classique
dominante, le développement se réduit à des conceptions strictement
économiques et ne met en jeu que des variables de même genre,
techniques et quantifiables, découlant des postulats de rationalité de
l'homo-economicus qui est une créature se présentant de façon isolée
sur le marché, dépourvu de passé historique, d'opinions politiques et ~
de relations sociales en dehors des simples échanges marchands.
Dans cette optique, les relations hors marché et les institutions
n'entrant pas dans le cadre du marché sont supposées n'avoir aucune
répercussion significative sur les activités de développement
économique et social. En conséquence, les économies ont une nature
statique et dépourvue de passé, le changement et les évolutions
marquantes ne résultent que des seules variables économiques et
technologiques. Ainsi débarrassées des relations sociales et de leur
dynamisme historique, les économies sont réduites à de simples
appareils techniques servant à l'allocatior. ~t::; ressources rares. Cela
117
Moustapha KASSÉ : La transition du sous-dével0pP:?ll1.... ,r au "ocialisme, .
~9
268
.
permet aux théoriciens de s'installer dans un monde d'hypothèses
universelles et de modèles formels.
. Toutefois, il est généralement admis que les performances
économiques dérisoires des politiques de développement appliquées
depuis plus de deux décennies prennent leur source pour l'essentiel
dans le caractère réducteur de ces analyses étroites et simplistes qui
ignorent la complexitê des réalités socio-économiques des PSD.
Cette vision technocratique du développement est
fondamentalement erronée. Il est aujourd'hui globalement admis que
la viabilité de toute stratégie de développement dépend d'une
multitude de paramètres extra-économiques. En effet, il est
impossible d'étudier les problèmes du développement sans prendre
en considération le contexte social de l'activité, les relations que les
hommes nouent entre eux et les choses. En conséquence, tout
développement économique doit, à mon sens, s'insérer dans une
synergie sociale. Deux attitudes sont alors possibles: celle de
l'ingénieur qui s'en remet à la mécanique et à la technique et celle du
biologiste qui tient compte de tous les éléments de l'environnement.
Cette deuxième vision est plus féconde et exige alors de
compléter l'analyse en intégrant des variables non économiques. Cette
opinion peut être appuyée par le référentiel d'économistes classiques
comme contemporains qui, dans leurs esquisses d'une théorie valable
de la croissance et du développement, font une très grande place aux
variables extra-économiques. Déjà, J. S. MILL, dans ses Principes
d'Économie Politique (1848), observait qu'au titre des moyens de
réaliser l'accumulation du capital dans les autres pays, il faut ajouter
« JO) un meilleur gouvernement; 2 0) l'amélioration de l'infonnation
du public, le déclin des usages ou des superstitions qui empêchent
l'efficacité de l'industrie; la croissance de l'activité mentale qui éveille
les esprits à de nouveaux objets de désir; 30) l'introduction des arts
étrangers et l'importation du capital étranger», Dans la même lignée
de réflexion A. MARSGHALL note que « la longue période est celle où il
faut faire intervenir non seulement la possibilité de variation du capital
fixe, mais encore de nombreux autres facteurs variables tels que l'état
des connaissances, les goûts des sujets économiques, etc.... »,
C'est surtout J, SCHUMPETER qui va insister sur ces
variables non économiques déterminantes: « Abandonnons le
domaine des considérations purement économiques, tournons-nous
maintenant vers le complément culturel de l'économie capitaliste, si
nous voulons parler le langage de Marx, et vers la mentalité qui
caractérise la société capitaliste, en particulier la classe bourgeoise »,
C'est après avoir étudié la « Civilisation du Capitalisme» que
Schumpeter répond à la question de savoir si le ~2;!!3.!isme peut
survivre, Ce système dit-il n'est pas menacé sur le plan proprement
économique, « il est en péril parce que les murs qui le soutiennent
269
sont croulants: les structures sociales protectrices, les idéologies et
les représentations mentales liées au capitalisme sont menacées de
destruction ou en voie de transformation ».
Le professeur YOSHIMORI s'est posé la question de savoir
« Pourquoi les japonais se sont mis à se développer, à s'industrialiser
et pourquoi les japonais ont-ils réussi sur le plan économique? C'est
paradoxalement la réponse japonaise donnée au défi occidental.
Avant la moitié du siècle dernier, les japonais vivaient tranquillement,
en paix, isolés du reste du monde, dans de petites îles où le système
féodal avait réglé la vie pendant près de trois siècles. Un jour, vers le
milieu du siècle dernier, un bateau noir était venu. Il s'agissait d'un
bateau Américain qui avait forcé la porte du Japon en raison du
ravitaillement pour les Américains qui naviguaient entre les ÉtatsUnis et la Chine. Les japonais voyaient de plus en plus les pays
asiatiques colonisés par les puissances occidentales (la Chine, d'autres
pays), et ceci était ressenti par les japonais comme une réelle menace
à l'intégrité nationale du Japon. La seule solution pour les japonais
face à ce défi technologique tout à fait énorme est de concurrencer les
Occidentaux sur leur propre terrain, c'est-à-dire en empruntant, en
assimilant systématiquement les· technologies occidentales. Les
japonais étaient, et sont aussi fiers, fiers de la tradition, et ce n'était
pas facile pour les japonais, à cette époque-là, de faire quelque chose,
d'adopter les produits de la civilisation occidentale. Donc, on a
inventé une formule: même si on assimile au Japon les technologies
occidentales. C'est par le biais de l'âme japonaise que les japonais le
feront. C'est ainsi que l'âme japonaise et la technologie occidentale
étaient devenues une espèce de slogan pour les japonais. Et le but de
cette assimilation de la technologie occidentale était de préserver au
Japon son intégrité territoriale et également son identité politique et
culturelle dues. Ce sont ces deux éléments, l'un géographique et
l'autre historique, qui sont à la base de la modernisation et de
l'industrialisation du Japon. »
Dans le même sens, le Professeur LISSOUBA observe que
« certaines réalités culturelles peuvent constituer de graves entraves
aux efforts de développement. Il nous faut pour cela admettre
d'emblée deux postulats: Tout d'abord, le développement n'est pas
seulement croissance ni synonyme d'extension de marchés. Il appelle
toutes les dimensions de l'homme, comme l'ont rappelé les
précédents orateurs, une analyse simultanée des politiques au sens
strict, des politiques économique, des idéologies, ce mot étant pris
dans son acception qui privilégie le culturel, ou dialogue avec le réel ».
270
Encadré 8. Culture, créativité et marchés
Dans son Rapport mondial sur la culture, A.SEN montre que la réussite qui
était au départ l'apanage du Japon, s'est progressivement généralisée à
toute la région et qu'elle a donné naissance à de nouvelles théories sur le
rôle de la culture asiatique dans la réussite économique aussi bien que dans
l'affirmation politique. La question est donc d'évaluer le potentiel économique
des valeurs culturelles de l'Asie. Sa démarche s'appuie sur les constatations
suivantes:
•
•
•
•
•
Les valeurs culturelles de l'Europe ont paru tout d'abord les plus
fécondes pour expliquer sa suprématie;
Ensuite, l'héritage des règles des traditions, et des valeurs propres
aux Samouraï ont été invoqués pour expliquer l'industrialisation
rapide du Japon;
Récemment d'autres régions asiatiques ont connu la même réussite.
L'attention s'est alors portée sur les vertus spécifiques du
confucianisme, un lien culturelle qui unit le Japon, La Chine et la
majeure partie de l'Asie orientale;
Les valeurs du Bouddhisme radicalement différentes de celles du
confucianisme, sont aujourd'hui sollicitées pour expliquer la réussite
récente de la Thaïlande et de ses voisins on y ajoute le potentiel
économique de l'Islam pour rendre compte de l'essor de l'Indonésie;
Plus récemment encore, l'Inde connait une croissance économique
supérieure à celle de l'Europe et de l'Amérique. Les interprétations
passés qui présentaient l'apathie et le fatalisme comme les causes
de la stagnation sont prises de court pour expliquer le dynamisme
actuel.
Amartya SEN en tire deux conclusions: la culture européenne n'est
pas la seule voie vers une modernisation réussie et le développement de
l'Asie orientale présente certaines particularités, notamment un rôle plus
marqué de l'éducation et de la formation, ainsi que l'établissement des
relations plus harmonieuses et plus coopératives entre le marché et l'État.
Mais ceux ne sont pas là des aspects propres aux " valeurs asiatiques» en
tant que telles, ni des exemples que d'autres pays ne peuvent suivre. À
chacun ses valeurs, à chacun son idéal de progrès, à chacun sa route pour
s'en approcher.
Source: Amartva SEN (Prix Nobe/1998)
Dès lors, il faut identifier l'ensemble des conceptions, des
valeurs éthiques, des croyances, des idéologies et des représentations
des « faiseurs de développement» qui ont longtemps été masquées
par des modèles de développement qui semblaient fonctionner sans
elles. Ces variables sociologiques, morales, politiques et sociales ont la
forte capacité de commander ou d'orienter l'activité économique
comme l'ont clairement établi les travaux de Max WEBER sur
271
l'influence de l'éthique protestante dans le décollage économique des
pays capitalistes ou ceux de SOMBART sur la contribution de la
mentalité juive dans la réalisation de la révolution industrielle en
Europe.
Pour ce deuxième auteur, trois attitudes paraissent
essentielles pour le développement économique et social, du fait des
valeurs qu'elles véhiculent et qui influencent très fortement la
croissance économique et le développement mais auxquelles il faut
ajouter deux autres:
•
•
•
•
•
l'attitude à l'égard du travail social considéré comme le
principal créateur des biens matériels et des services;
l'attitude à l'égard du progrès perçu au double niveau d'une
quête permanente des innovations créatrices et de
l'accumulation de ressources à des fins d'investissements
productifs;
l'attitude à l'égard du temps, autrement dit le temps est-il un
bien rare qui a un prix ou alors est-il l'attribut d'une divinité?
l'attitude face à la corruption
l'attitude à l'égard du service public.
Altitude à
l'égard du
travail
AtlilUde il
l'égard du
progrès
""".11 p,rÎ"", 1
Altitude
face à la
corruption
..
'--
272
Altitude à
l'égard du
temps
Volonté de
transformer son
état: acceptation
du développement
Acceptation de
SOli ':tat : refus
du changement
Altitude active
à l'égard du
développement
Altitude à
l'égard du
travail
Développement
ou processus
cumulatif de
transformation
Immobilisme
Stagnation
régression
Attitude il l'égard
de l'Etat et du
service public
Ces cinq attitudes forment les structures mentales ou
l'outillage mental compris comme l'ensemble des concepts, des
croyances et des représentations qui ont cours dans une société et que
l'on peut infléchir dans un sens favorable au développement. Elles
expliquent pour une très large part la conception que l'homme se fait
de ses relations avec les principaux facteurs de croissance, conception
active ou conception passive. acceptation de son état ou volonté de le
transformer et de l'améliorer. C'est pour cette raison qu'il est souvent
souligné que le développement est une question de mentalité. On
comprend dans cette optique le rôle éminemment positif que peut
jouer le civisme accepté comme un ensemble de valeurs et de
comportements qui agissent sur la conscience de l'être humain, pour
lui inculquer une attitude positive, se traduisant par le respect de soimême, le respect d'autrui, le respect des institutions que les
populations se sont données librement. Les règles de civisme
invoquées ou imposées par un donneur d'ordre peuvent alors
entraîner des attitudes favorables au développement économique.
. La crise persistante des économies africaines malgré
l'application par les pays africains depuis plus de deux décennies, des
programmes d'ajustement structurel ravivent le débat sur les modèles
de développement et leur pertinence. Ceux-ci reposaient sur trois
postulats majeurs à savoir:
•
•
•
une conception mécaniste et linéaire de l'histoire et du
développement selon laquelle toutes les sociétés humaines
passeront par les mêmes stades avant de décoller;
une approche technocratique de la gestion et du
développement institutionnels, qui part de l'idée que la
modernisation passe obligatoirement par un mimétisme à
l'égard de la civilisation occidentale;
et une conception ethnocentrique de la culture fondée sur
l'idée que toutes les sociétés doivent tendre à épouser les
mêmes valeurs que celles des pays développés, notamment
l'esprit d'entreprise, la recherche du profit maximum, la
sécurité matérielle et l'intérêt personnel.
La conclusion toute logique de cet ensemble de postulats est
que le développement du continent africain devra être impulsé de
l'extérieur. Il suffit simplement d'organiser la mobilité des capitaux,
de transférer les technologies et les cultures qui les accompagnent.
Pour rompre avec cette philosophie, il importe d'analyser les valeurs
socio-culturelles ainsi que les attitudes et comportements des acteurs
face à ces valeurs.
273
Il Les attitudes à l'égard du travail
Le travail est à la fois le fondement de la valeur des biens et
services et la principale source de la richesse des nations. Ce propos
peut être illustré par certains exemples bien édifiants:
•
•
•
un exemple religieux: « tu gagneras ton pain à la sueur de ton
front », recommandation du Tout-Puissant à Moïse sur le
Mont Sinaï;
un exemple de théorie économique: la valeur d'un bien est
déterminé par le temps de travail socialement utilisé pour sa
fabrication ;
des exemples de politique économique: les différentes
révolutions industrielles en Europe et dans le Monde se sont
déroulées dans des conditions de travail surexploité. Plus
édifiant encore sont les « ateliers de sueur» qui ont permis
aux pays asiatiques de vaincre le sous-développement dans
l'intervalle d'une génération et d'être le pôle émergent qui
fournira plus de la moitié du surcroît de la production
mondiale.
La question qui découle de ces exemples est celle de savoir
quelle est l'attitude des acteurs sociaux à l'égard du travail? Trois
faits massifs méritent d'être soulignés et sérieusement analysés. Le
premier concerne les cérémonies familiales et les nombreuses
activités de loisirs qui démobilisent tout le corps social et
particulièrement sa composante la plus valide: la jeunesse. Le second
est relatif à la multiplicité des fêtes officielles qui sont des charges
exorbitantes pour les entreprises et partant diminuent, leur
compétitivité structurale. Le troisième fait est la faible productivité du
facteur travail dans tous les secteurs d'activité. En prenant le cas de
l'agriculture on s'aperçoit que les hommes consacrent au travail 103
jours, soit 600 heures par an et les femmes 155 jours, soit 1.100
heures. Dans les mêmes climats et sur les mêmes sols, le rendement
moyen par actif rural et par hectare cultivé est presque 10 fois plus
élevé en Asie.
Que faut-il alors faire pour promouvoir une société de travail,
c'est-à-dire une société qui se construit autour des valeurs qui
agissent sur la conscience des citoyens pour leur inculquer en
permanence des attitudes favorables au travail productif et créatif. Il
faut certainement aller bien au-delà de simples appels à la conscience
professionnelle.
274
11/ L'attitude à l'égard du progrès matériel
Si nous réduisons le progrès matériel à deux variables
fondamentales, l'acceptation des innovations technologiques et
l'accumulation productive, il devient intéressant de savoir si la
recherche de ce progrès est tenue pour une finalité de l'activité des
citoyens sénégalais.
Pour ce qui est des innovations, la réceptivité des sénégalais
est presque parfaite: vivacité d'esprit, intelligence ouverte à toutes
mutations, très forte propension à l'initiation, système éducatif et de
formation de bon niveau. Toutes ces raisons font que la dotation de
notre pays en ressources humaines est une des meilleures en Afrique
francophone. Cette situation est renforcée par la présence d'une
Université qui est aujourd'hui un des pôles de compétence et
d'excellence de la sous-région.
Concernant l'autre volet du progrès (à savoir l'accu.nulation),
elle soulève les questions suivantes: la richesse est-elle source de
consommation, moyen de prestige ou instrument de progrès
économique par accumulation et investissement? Commençons par
élucider le lien entre accumulation et développement. Notre pays a
besoin d'une croissance rapide, accélérée, harmonieuse et aux taux le
plus élevé possible compte tenu des ressources disponibles. Or, le
taux de croissance est une fonction directe du taux d'accumulation,
donc de l'épargne. ET} conséquence, il ne peut exister de
développement sans une conciliation entre les capacités de génération
et d'absorption des surplus. Historiquement, les richesses qui se
formaient étaient systématiquement détruites par des mécanismes
divers (cérémonies, legs, dons, ...) ; cela pour maintenir la cohésion et
empêcher toute différenciation sociale remarquable. Cette tradition
s'est renforcée aujourd'hui entraînant une véritable dilapidation des
ressources à l'occasion de cérémonies de tous ordres. L'interférence
de deux valeurs l'une traditionnelle et l'autre moderne le « pouvoir
d'achat» entraîne une surenchère dans les dépenses somptuaires qui
finissent par liquider ou amoindrir les capacités d'épargne des
individus. Les ressources publiques comme celles provenant de la
corruption seront détournées par les individus au profit de la famille
élargie ou des groupes ethniques. La conséquence est que l'épargne
sera faible ainsi que les possibilités de financer les investissements
personnels.
Il nous faut réfléchir sur les expériences des pays asiatiques
dont le mode d'organisation sociale n'est pas trop éloigné du notre.
L'individu y acquiert son identité par son appartenance à la famille.
La société est un tout où l'individu, quel qu'il soit, est enfermé dans
un réseau de relations préétablies. Toutefois, les relations interpersonnelles sont très fortement hiérarchisées si bien que chacun
275
cherchera à établir des liens sociaux verticaux (de supeneur à
inférieur), plutôt qu'horizontaux (entre égaux). Selon la formule de
CONFUCIUS « Que le prince soit prince, que le sujet soit sujet, que le
père soit père et que le fils soit fils ». Dans ces sociétés asiatiques, les
taux d'épargne sont très élevés car les agents économiques
considèrent, dans un premier temps, que les surplus de revenus qu'ils
obtiennent sont provisoires et qu'il vaut mieux les mettre de côté pour
les temps difficiles. Différemment, le système africain, par ses réseaux
de solidarité, offre un filet permanent de sécurité sociale.
Comment ajuster les comportements d'épargne des individus
pour qu'ils soient d'une part plus favorables à l'investissement et
d'autre part mieux corrélés aux risques et à l'incertitude? Comment
imposer un civisme dans la gestion des ressources individuelles?
Faut-il agir sur le modèle de consommation, sur l'environnement
social ou sur les incitations?
1111 L'attitude à l'égard du temps
La question est importante. Il s'agit de savoir si le temps est un
élément sur lequel l'homme n'à aucune prise ou alors si le temps est
un bien rare qui doit être aménagé et qui a un prix. Dans la société
sénégalaise d'aujourd'hui, c'est la première perception qui prévaut, ce
qui se traduit par un attentisme dans l'élaboration comme dans
l'exécution des décisions.
IV1 L'attitude à l'égard de la corruption
Cette question est décisive dans les économies de marché où la
transparence devrait permettre un fonctionnement efficace des
relations marchandes et des règles de compétition. Les Institutions
Financières Internationales s'intéressent bien après les théoriciens, à
l'économie politique de la corruption.
Analysant ce phénomène, un auteur comme le Prix Nobel G.
BECKER estime qu'il s'agit de la confrontation d'une offre et d'une
demande selon les principes de l'économie du crime qui permet à des
individus de disposer d'avantages indus sans payer ou d'une rente de
situation. Les contractants comparent les gains probables et les
risques potentiels.
En revanche, pour la société comme pour les citoyens la
corruption . impose des coûts moraux, politiques, sociaux et
économiqùes. Ces coûts économiques se traduisent par le gaspillage
des fonds publics, l'octroi de rentes de situation parasitaires, la
concurrence déloyale pour les entreprises, des pertes de revenus
budgétaires et de crédibilité pour l'ensemble du système social. Par
ailleurs, elle remet en question l'égalité de traitement des citoyens et
276
l'égalité des chances des entreprises en régime de concurrence. En
conséquence, si on laisse la corruption s'incruster et se développer, il
va se former des échanges sociaux complexes avec des réseaux qui
vont viser à sécuriser les transactions délictueuses hors marché au
détriment de l'économie nationale.
Que convient-il de faire? Souvent les sociétés démocratiques
organisent des mobilisations anti-corruption en appelant au civisme
et aux valeurs républicaines. Est ce suffisant?
V/L'attitude à l'égard de l'État et du service public
Les économistes ont beaucoup discuté ces dernières années
sur les fonctions de l'État avec la critique de l'interventionnisme par
les institutions financières internationales. À la limite, l'État doit se
cantonner à un rôle de veilleur de nuit sur l'économie nationale. Il
devrait se recentrer sur deux fonctions principales: l'une de
production des externalités positives, à savoir la sécurité, l'éducation,
la santé, l'environnement, et l'autre de corrections des dysfonctionnements des marchés. Cependant cette analyse est très partielle car
l'État est un instrument irremplaçable dans le développement
économique et social. En Asie, il a joué un rôle massif et efficace dans
l'organisation de l'économie et dans l'allocation des ressources vers
des projets porteurs. Les problèmes qui sont soulevés concernent
plutôt l'État africain qui accuse en vérité une faillite instrumentale par
suite d'une marginalisation par le haut de la part du système mondial
et d'une précarisation par le bas par le secteur informel. La faillite est
aussi financière et se manifeste dans le déficit budgétaire chronique,
le déficit du secteur public, l'endettement interne et externe. À la
racine du mal on découvre le caractère patrimonial et prédateur du
système étatique, du fait des comportements anti-civiques vis-à-vis
des biens collectifs.
À plusieurs occasions les hommes politiques dénoncent cette
situation sans réussir à éliminer les malversations financières, la
gestion non transparente et gabégique du secteur public, la
démultiplication des passe-droits, la promotion et la protection de
l'incompétence, la violation des règles d'une compétition stimulante,
etc. Pour sûr, de tels comportements conduisent le pays à la ruine.
La formule consacrée est aujourd'hui la bonne gouvernance
qui est un moyen et un objectif de développement garantissant la
participation populaire, la stabilité politique, le développement
institutionnel et le respect des droits de l'homme. Les réformes et
l'amélioration de l'économie sont donc indissociables des réformes de
l'Etat et de son système de gouvernance. Sous ce rapport, les
questions essentielles qui se posent au niveau de la gouvernance ont
trait à:
277
•
•
•
•
•
une organisation plus efficiente du secteur public, plus
responsable, plus transparente et plus axée sur la satisfaction
des besoins des populations ;
une organisation et une gestion plus efficiente des ressources
humaines;
un renforcement des capacités de formulation des politiques
gouvernementales et de suivi de leur application;
un renforcement des systèmes de contre-pouvoirs (pouvoir
législatif, judiciaire, société civile, groupe de pression) afin de
leur donner la capacité de suivre et d'évaluer les politiques
élaborées et appliquées ;
un renforcement de l'état de droit et des libertés fondamentales.
La bonne gouvernance ainsi analysée appelle un ensemble de
comportements civiques des citoyens concernés par la chose
publique.
Il reste beaucoup d'autres attitudes importantes qui devraient
être analysées comme par exemple celles concernant la confiance qui
facilite les transactions entre agents économiques et celles relatives à
l'acceptation des décisions dans un système démocratique ou
également« le patriotisme économique ».
278
Figure 13
FACTEURS HUMAINS
FACTEURS MATÉRIELS
Contraintes
socioculturelles
Manque
d'i nfrastructure
de base
•i
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:! 1
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••
Politiques de prix
inadéquates
Mauvais
fonctionnement des
1nstitutions :
État- Marché
Evolution des
marchés mondiaux
li
t
~
FACTEURS ECONOMIQUES
279
Section 3 :Techniques de quantification du sous-développement
Un phénomène aussi complexe que le sous-développement
est-il mesurable? Beaucoup d'auteurs se sont essayés à trouver des
indicateurs de mesure qui soient précis et quantifiables.
Il La critériologie
Les premiêres tentatives sont réalisées par Yves LACOSTElIB
sous le nom de critériologie. Cette méthode selon J. FREYSSINET est
née « d'une volonté d'objectivité et d'empirisme, elle veut se'
débarrasser de tout préjugé scientifique, de tout postulat de valeur
implicite pour se consacrer à l'observation des faits. Cette méthode
présente un double intérêt. En premier lieu, face à l'enchevêtrement
souvent souligné des facteurs, la critériologie réalise une sélection et
une mise en œuvre des facteurs communs à tous les pays sousdéveloppés et, parmi ces facteurs, sélection de ceux qui sont jugés
essentiels. En second lieu, la critériologie répond à un souci
d'objectivité, s'opposant à la partialité des analyses doctrinales.» La
critériologie devrait fournir une base commune à tous les économistes
quelle que soit leur orientation idéologique »119.
Ces critères sont au nombre d'une quinzaine pouvant se
classer en 6 catégories:
•
•
•
•
•
118
119
les critères liés à la production et concernent la prééminence
des activités agricoles et minières, l'hypertrophie des activités
tertiaires, la faible industrialisation, la faible productivité, les
techniques de production arriérées, etc.
critères d'ordre démographique; taux élevé de natalité, de
fécondité et de mortalité, explosion démographique, jeunesse
de la population, etc.
les critères relatifs à la consommation: faible consommation
d'énergie, faible niveau de consommation alimentaire, etc.
critères sociaux: structures sociales déséquilibrées avec
faiblesse des classes moyennes, structures sociales
désarticulées avec absence de mobilité sociale verticale, faibles
niveaux de revenus, des infrastructures sanitaires, pauvreté de
masse, chômage endémique affectant surtout les jeunes,
précarité de la condition féminine, etc.
critères politiques :. détérioration de l'espace politique, faible
démocratisation,' régimes autoritaires,
administration
inefficiente et corruption, etc.
Yves LACOSTE: Les pays sous-développés
J. FREYSSINET: op.cit. pIS
280
•
critères d'ordre spatial: territoires désarticulés.
Encadré 9 . Les indicateurs du développement
L'Arithmétique Politique fondée par William PETTY , établissait en
nombres, poids, mesures» la richesse relative des nations ... sous le
contrôle attentif des princes. Avec la naissance des comptabilités nationales,
le développement comparé des nations s'évalue à coup d'agrégats
macroéconomiques (Produit national, Disponibilité alimentaire globale...) et
détermine les rapports macro-géographiques: Nord / Sud, Tiers-Monde,
Pays Moins Avancés, etc. En apparence, ce type d'évaluation a peu de sens
sur le plan micro-économique: comment savoir que vous êtes plus sousdéveloppé que moi ?
Néanmoins, compte tenu de nouvelles exigences éthiques, les
indicateurs du développement désignent autant la réussite économique
d'une nation que l'amélioration du bien-être d'une ou plusieurs personnes.
Sur cette base macro et microéconomique, ces indices sont produits
exclusivement par les grandes institutions du développement qui les
inscrivent à la fois dans le passé par leurs constats, dans le présent par les
modes de l'expertise dans le futur comme impératif suprême.
Faut-il se contenter des indicateurs des institutions de
développement ? Ces indicateurs sont dérivés de leurs conceptions
théoriques, par exemple en matière de compétitivité internationale ou de
développement humain. Depuis 1990, il existe une intense compétition sur
le cc marché des indicateurs» entre la Banque Mondiale et le Programme
des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Ainsi le rapport du
PNUD de 1992 est un modèle de contestation à la fois du FMI et de la
Banque Mondiale. La première institution n'a pas exercé son autorité vis à
vis des pays riches mais a abusé de la conditionnalité vis à vis des pays
pauvres. La Banque n'a pas su être l'intermédiaire financier capable de
recycler les excédents des pays riches en faveur du développement des
pays pauvres. Réciproquement la Banque accuse le PNUD de normer son
Indice du Développement Humain (IDH ) sur le niveau des pays les plus
riches.
Mais le développement ne passe pas forcément par les institutions.
En considérant la pauvreté comme un des symptômes majeurs du sous
développement, les agents économiques concernés n'attendent pas
passivement les projets des experts et réagissent stratégiquement aux
contraintes de leur milieu. Existe t-il des indicateurs du développement
révélés ou décentralisés ? On peut ainsi distinguer le catalogue des
indicateurs de développement autour du PNB, la recherche d'une vision
synthétique du développement humain, et s'interroger enfin sur l'opposition
entre les conceptions normatives du développement cc décrété» et les
paradoxes du développement cc révélé ».
Francois Réais Mahieu
cc
281
11/ Les critères de la comptabilité nationale
Parmi les indicateurs utilisés pour mesurer le sousdéveloppement, on repère deux indices de la comptabilité nationale
qui, principalement, a pour objet de représenter de façon simplifiée
l'ensemble des opérations qui se déroulent dans le cadre de l'activité
économique d'un pays. Ces deux indicateurs sont le Produit Intérieur
Brut et le Revenu National. Ces deux indicateurs se retrouvent dans
tous les Rapports des Institutions Financières Internationales comme
la Banque mondiale, le FMI et le PNUD et sont qualifiés
d'instruments fiables de mesure permettant une comparaison
internationale du niveau d'activités économiques et sociales des pays.
Le sous-développement est alors repéré par un niveau faible du PIB
ou du RN par tête d'habitant. Ainsi tous les pays ayant un revenu
national inférieur à 500 dollars rentrent dans la catégorie des PSD.
Toutefois, le PNUD se démarque de plus en plus de cette appréciation
et privilégie l'Indice de. Développement Humain Durable qui est
annuellement calculé pour tous les pays membres de l'ONU et qui
sont classés en conséquence par le niveau que prend cet indicateur.
À partir de cette méthode, la Banque mondiale établit un
classement des pays en quatre groupes:
• le groupe de pays à faible revenu ayant moins de 785 dollars,
• le groupe de pays à revenu intermédiaire compris entre· 786 et
3125 dollars,
• le groupe de pays à revenu intermédiaire de la tranche
supérieure entre 3126 et 9655 dollars,
• le groupe de pays à revenu élevé au-delà de 9656 dollars.
Quelle est l'origine de ces indicateurs et surtout, ont-ils le
degré de fiabilité et de pertinence qui leur est accordé?
) le Produit Intérieur Brut (pm), l'étalon intentational
de mesure du niveau des activités économiques et
sociales.
1
0
L'agrégat Produit National concerne plus précisément la
production finale qui se rapporte à la valeur de l'ensemble des biens
et services produis et non utilisés à des fins de consommation
intermédiaire productive. Autrement dit, il s'agit de l'ensemble des
richesses créées et affectées aux différentes utilisations finales
(Consommation Finales, FBCF, variation des stocks, exportationsY20.
Ainsi peut-on écrire la relation suivante:
120 Moustapha KASSÉ: « Éléments de Comptabilité Nationale
de 1ère Année de-Sciences Économiques, FASEG, Dakar, 1994
282
»,
Polycopie
Production Finale= CF + Investissements + Exportations nettes avec:
• CF = Consommation Finale
• Investissements=FBCF+Variation des stocks
• Exportations nettes = Solde positif ou négatif de
l'Excédent des Exportations sur les Importations.
Le deuxième membre de cette égalité constitue la Demande
finale qui recouvre tous les emplois en biens et services ·sauf la
consommation intermédiaire. D'un autre point de vue, cette
production finale (qui exclut les utilisations intermédiaires
productives) peut se concevoir comme représentant la sommation de
la contribution productive nette de tous les secteurs institutionnels à
la formation du produit global; or cette contribution productive étant
constituée par la valeur ajoutée du secteur, cela permet la deuxième
relation suivante:
Production Finale = Somme des Valeurs Ajoutées Brutes
marchandes et non marchandes
Cette optique permet alors de calculer le Produit
Intérieur Brut
PIB =VAB (marchande et non marchande)
+ 1VA grevant les produits
+Droits de douane et taxes assimilées
-Ajustement pour services bancaires imputés
Dès lors, dans la sphère réelle on dispose de trois méthodes
d'évaluation du Produit Intérieur Brut121 :
D'abord la Valeur ajoutée
• Valeur ajoutée = Valeur de la production - Dépenses
intermédiaires afférentes à cette production
Le Produit Intérieur Brut
• PIB= somme des valeurs ajoutées des activités
• PIB= somme des revenus distribués dans l'économie
Le Produit Intérieur Brut
• PIB=somme des dépenses finales
121 André MARTENS-B DECALUWE: Le cadre comptable macroéconomique
et les pays en développement HMH, Canada 1996, p. 35
283
Encadré 10. Les problèmes liés à la mesure par le PIB
Le PNB est toujours le principal indicateur malgré les critiques
habituelles ayant trait à la distribution, la sous-estimation des services, la
non prise en compte des activités non marchandes. la dégradation du
capital écologique ou humain. Des critiques plus récentes montrent que
l'augmentation du PNB peut diminuer le bien-être. soit à court terme (en
aggravant le sort des plus pauvres) ou à long terme en dégradant la qualité
de l'environnement et plus généralement de la vie.
La relation PNBI population doit être appréciée en fonction des deux
éléments de la relation. A une richesse relativement faible du point de vue
du PNB devrait être associée la richesse de la population (il n'est de
richesse que d'hommes). Comment dès lors laisser des pays comme la
Chine et l'Inde au milieu des pays les plus pauvres de la planète?
À un PNB très faible, peut correspondre un optimum, soit un état
d'équilibre réalisable, préféré à tous les autres. Un développement décrété
peut très bien se traduire par des situations sub-optimales par rapport à la
situation précédente. En d'autres termes, les compensations du
développement (l'augmentation du revenu national) ne rétablissent pas la
mise en cause des préférences individuelles.
D'autre part, il faut estimer ce PNB dans une unité de compte
internationale, à savoir le $ US au risque de nombreuses distorsions. La
correction la: plus fréquente consiste à utiliser la Parité de Pouvoir d'achat
(PPA).
Le principal problème dans une économie ouverte tient à la prise en
compte des prix (l'économie est fatalement price-taker). Comment calculer
un PNB en dollars à partir des données en monnaie locale? On propose
alors, au moyen de la parité des pouvoirs d'achat (PPA) de corriger le PNB
évalué au taux de change nominal par les prix et plus généralement par des
facteurs de conversion.
La Parité des Pouvoirs d'Achat équivaut au nombre d'unités d'une
monnaie étrangère requises pour acheter les mêmes montants de
marchandises et services sur un marché d'un pays donné qu'un dollar
achèterait aux USA. Encore faut-il parier sur une valeur d'échange
incontestable entre les deux marchandises, ce que contestait déjà
RICARDO (1817).
La PPA permet un premier reclassement qui favorise les USA (par
définition), les NPI et un certain nombre de « petits» pays (Suisse, Belgique,
Autriche, Luxembourg). Mais le calcul est déjà fluctuant et le calcul en PPA
apporte quelquefois des surprises médiatiques, pouvant très bien faire
apparaître la Chine ou la Russie dans les cinq premières « puissances»
économiques mondiales (Cf. la base des données du CEPII in fine)
Source: François Régis Mahieu
284
2°) le revenu national.
En reprenant le tableau général des comptes intégrés des
secteurs institutionnels, bn observe qu'à partir de la VAB et des
subventions d'exploitation éventuellement reçues, sont assurés le
règlement des salaires (y compris les charges sociales) ainsi que le
paiement des impôts liés à la prqduction. Ensuite l'EBE (excédent
brut d'exploitation) ainsi obtenu, avec l'apport éventuel de certains
revenus complémentaires, servira à payer les dividendes, les intérêts,
les loyers, les impôts sur le revenu et sur le patrimoine, les primes
d'assurance, etc. Ainsi le compte d'exploitation et le compte de revenu
des sociétés et quasi-sociétés non financières montrent comment la
valeur ajoutée, c'est-à-dire la contribution des entreprises au produit
intérieur, est répartie entre divers groupes d'agents économiques.
Cette valeur ajoutée constitue donc la source des revenus des agents
économiques. Ce qui permet d'écrire:
Somme des Valeurs ajoutées= Somme des Revenus créés par
la production
Or, on avait démontré précédemment que
Somme des Valeurs ajoutées=Production Finale. Alors dans
l'optique du revenu de la comptabilité nationale, on peut écrire:
Production Finale=Somme des revenus créés par la
production
Au niveau du TEE, le calcul s'effectue de la manière suivante:
PIE =Rémunération des salariés
+Impôts liés à la production et à l'importation
+EBE
-Subventions d'exploitation
De cette échelle de revenus, le circuit devrait se refermer par
l'analyse de la dépense, bien que cet indicateur ne bénéficie d'aucune
importance. Étant donné que les utilisations finales faites de la
production finale (somme des valeurs ajoutées) sont en valeur, elles
constituent alors les dépenses des agents économiques. C'est du reste
ce qui justifie l'expression optique de la dépense qui permet de décrire
les relations suivantes :
Production finale = somme des Dépenses à caractère finale
De ce point de vue, on procède au niveau du TEE (Tableau
économique d'ensemble) pour la détermination du PIE de la manière
suivante:
PIE = Consommation finale
+FBCF
+Variations de stocks
+Exportations de biens et services
-Importations de biens et services
285
En somme, le PIB ainsi calculé étant identique dans les trois
méthodes d'évaluation, on remarquera que les trois optiques de la
comptabilité nationale représentent en fait trois points de vue
différents sur une même réalité. En effet, c'est au cours du processus
productif que se forment les revenus et les emplois faits des biens et
services ainsi créés, exprimés en valeur et qui forment les dépenses
des agents économiques. 122
3°) Ces instruments de mesure ont-ils le caractère
infaillible et pertinent qui leur est prêté?
Ce n'est pas l'objet de notre propos mais il faut souligner que
la Comptabilité nationale n'est pas un instrument neutre et présente
d'innombrables limites techniques et même idéologiques surtout
quant elle est appliquée aux PSD dont les économies sont
désarticulées, déséquilibrées et les marchés touchés de part en part de
multiples distorsions qui leur donnent toujours un fonctionnement
imparfait. Selon J. MARZEWESKI, la comptabilité nationale est à la
fois utile à la théorie économique et indispensable à la politique
économique' des États. L'interdépendance de plus en plus étroite qui
s'établit entre ses agents fait qu'une économie moderne ne peut
fonctionner qu'à condition de disposer d'un mécanisme de
coordination. Or, le jeu du marché est souvent faussé, obligeant l'État
à prendre à sa charge la tâche ingrate mais indispensable d'arbitre
général. 123 La comptabilité nationale est le produit de l'analyse néoclassique qui situe dans le marché (au sens large) le point de départ et
le point d'arrivée de l'activité économique et donne de ce fait une
définition particulière des sujets et des rapports de production.
Dans cette optique, observe une critique de la CN, « comme
l'activité économique y est censée avoir pour objet, la satisfaction de
ses besoins ou de ceux des autres (production pour la consommation),
le personnage essentiel en est le consommateur, défini par un revenu,
un pouvoir d'achat (contrainte budgétaire). Les rapports qui
s'établissent entre les hommes pris comme une collection d'individus,
sont des rapports de comparaison des besoins et des possibilités de
les satisfaire en fonction de la plus ou moins grande rareté des biens
et services disponibles révélés par les quatre grands marchés des
biens et services, du travail, de la monnaie et de change. La société
ainsi décrite est une société sans classes, sans groupes d'aucune sorte,
122
123
Moustapha KASSÉ : op.cit. Pp54 et suivantes
J MARZEWSKI : La Comptabilité nationale, . Cujas
286
où les individus exercent tour à tour des fonctions de production, de
consommation, d'épargne, d'investissement, etc.»124
Il existe des remarques plus techniques encore, relatives au
cadre comptable, à la définition des agents économiques, aux comptes
et à leur articulation, au secteur financier et à l'allocation par les
marchés. À ces limites viennent s'ajouter d'autres propres aux
structures des PSD: caractère désarticulé de l'économie, les trop
fortes inégalités de revenu, l'importance des re'ations hors marchés
(autoconsommation), les multiples distorsions des marchés et la
montée d'une nébuleuse: le secteur informel. L'insuffisance de
l'appareil statistique de collecte et de traitement des données vient
couronner cette kyrielle d'insuffisances qui appelle une utilisation
prudente des indicateurs de la CN.
IIII Les critères du développement humain
À partir de son Rapport de 1994, le PNUD va jouer un rôle
déterminant dans la réflexion théorique, la conception et la définition
de la problématique du développement. Ce Rapport en dissociant le
cycle de la croissance de celui du développement, marque un tournant
significatif dans la rupture avec l'économisme dominant. 11 est
observé que « le nouveau paradigme du développement devra être axé
sur les gens, considérer la croissance comme un moyen et non comme
une fin, préserver les perspectives offertes aux générations actuelles
comme aux générations futures, et respecter les écosystèmes dont
dépend l'existence de tous les êtres humains. Ce paradigme du
développement doit permettre à tous les individus de développer
pleinement leurs capacités pour les utiliser au mieux dans tous les
domaines: économique, social, éulturel et politique ». (PNUD, 1994).
L'homme est ainsi replacé au cœur de la logique du
développement. Désormais, la qualité de la vie d'une population ne se
réduit plus à l'importance de son PIB. Le contenu de ce dernier, la
façon dont il est réparti avec plus ou moins d'inégalités, la capacité de
chacun à pouvoir accéder aux services de base que sont l'école, la
santé, le logement ou l'eau courante et la qualité des services en
question, tous ces éléments jouent autant, sinon davantage que le
simple niveau du PIB.
la) Définition et structure de l'IDH
Le développement humain étant défini comme étant le
processus d'élargissement des possibilités s'offrant aux individus de la
collectivité (une longue vie, une bonne santé, une accession à la
4 J.c. DELAUNAY: Essai marxiste sur la Comptabilité nationale, Éditions
Sociales.
12
287
connaissance, aux biens matériels, à l'emploi et au revenu) pour un '
niveau de vie décent. Toute mesute du niveau du développement
humain atteint par cette collectivité doit tenir compte nécessairement
de ces différents éléments. L'indicateur du développement humain
(IDH) sera alors un indice composite qui apprécie la situation
moyenne d'un pays à partir de trois dimensions représentées à
travers:
•
•
•
le niveau de longévité exprimé par l'espérance de vie à la
naissance;
le niveau d'éducation mesuré aux 2/3 par le taux
d'alphabétisation et au 1/3 par le taux de scolarisation toutes
catégories confondues ;
et le niveau décent évalué par le revenu par habitant exprimé
en francs constants, c'est-à-dire corrigé des différences de
pouvoir d'achat (PPA).
Pour calculer l'indice du développement humain (IDH) pour une
population ou une catégorie de population donnée, on doit disposer de
ces trois variables, :
•
•
•
soit Xl la mesure de la longévité et de la bonne santé de cette
population: l'espérance de vie à la naissance étant la variable la
plus appropriée au stade actuel de la recherche pour refléter cet
aspect du développement humain;
X2 l'acquisition des connaissances: le taux de scolarisation et
celui d'alphabétisation;
et X3 la richesse de la population: le revenu.
Pour le calcul de l'IDH, on définit pour chacune des ces variables
un seuil (ici on a retenu le maximum et le minimum) jugé acceptable au
sein de la population à étudier. Puis on calcule pour chaque individu j de
la population la valeur des écarts ou le manque (en pourcentage) pour
chaque variable i par rapport au seuil défini (indice Iij). Pour chaque
individu j on fait la moyenne arithmétique simple (Ij). Alors l'IDH;
l'indicateur recherché pour l'individu j est égal à la différence' par
rapport à l'unité de cette moyenne Ij :
La 1 ère étape
On calcule pour chaque catégorie de la population un indicateur
de manque (Iij) par rapport à chaque variable. Cet indicateur est défini
comme suit:
288
La 2 ème étape
Pour chaque tranche j de la population, on calcule la moyenne
arithmétique simple des indicateurs Iij de manque sur les trois variables
Xl, X2 et X3 ; soit Ij
La 3 ème étape
Alors l'indice du développement humain (IDH) pour la catégorie
j de la population est égal à:
(IDH)j = 1- Ij
Modalités de calcul de l'IDH
Des valeurs minimales et maximales ont été fixées pour chacun
des indicateurs cités plus haut:
Espérance de vie à la naissance: 25 - 85 ans;
Alphabétisation des adultes: 0% - 100% ;
Taux de scolarisation: 0% - 100% ;
PIE réel par habitant: 100$ - 40.000$
Les indicateurs qui entrent dans la composition de l'IDH se
calculent selon la formule générale:
IDH = (val. réelle Xi - val. minimale xi)/(val. maximale Xi - val.
minimale Xi)
Par exemple, si l'espérance de vie à la naissance est de 47,7 ans
au Sénégal, la valeur de l'indicateur d'espérance de vie du Sénégal sera
alors: (47,7 - 25)/(85 - 25) = 0,378
La composition de l'indicateur de revenu est un peu plus
complexe. La valeur du seul (y*) est fixée au revenu mondial moyen de
1992, soit 5120 dollars en PPA (parité pouvoir d'achat), et tout revenu
supérieur à ce seuil est ajusté en appliquant la formule de l'utilité
marginale décroissante du revenu:
W(y) = Y* pour o<y<y*
= y* + 2(y_y*)1/2) poury*!:Y!:2y*
= y* + 2(y*1/2) + 3(y-2Y*1/3) pour 2Y*!:Y!:3Y*
La valeur corrigée du revenu maximum de 40.000$ PPA se
calcule comme suit:
289
Selon cette formule, la valeur corrigée du revenu maximum de
PPA s'établit à 6311 PPA.
Le principal problème est qu'elle opère une très forte correction
du revenu au delà de la valeur de seuil, ce qui pénalise de fait les pays
dans lesquels le revenu est supérieur à cette valeur. C'est pour cette
raison que des perfectionnements ont été apportés pour le traitement de
la variable revenu afin de remédier à ce problème. C'est ainsi que
l'indicateur du revenu est calculé selon la formule suivante:
40.000$
W(y) = (LOG(y) - LOG(Ymi,J) / (LOG(!}maxJ - LDG(Ymi,J)
Cette façon de procéder comporte plusieurs avantages. Tout
d'abord, la correction du revenu est moins sévère que la formule utilisée
précédemment. Ensuite, elle s'applique à tous les niveaux de revenus et
non à ceux qui dépassent un certain seuil. Enfin, elle évite de pénaliser
les pays à revenu intermédiaire.
L'IDR est alors la moyenne arithmétique de la somme des
indicateurs de durée de vie, du niveau d'éducation et du PIB
réel corrigé par habitant
2°) Le classement des pays selon l'IDH. Quels
enseignements peut-on tirer de l'IDH annuellement calculé
par les RMDH.
Pendant une bonne décennie, les Rapports Mondiaux sur le
Développement Humain (RMDH)12 5 se sont attelés à la conception et
à la construction d'indicateurs de mesure et de comparaison des
niveaux de pauvreté et de développement humain dans le monde qui
dépassent le cadre restrictif du PNB. L'élaboration de ces indicateurs
a permis de mesurer l'énorme retard des pays d'Afrique subsaharienne en matière de développement humain et conséquemment,
l'état de leur pauvreté.
125 Moustapha KASSÉ: Consultation pour le PNUD sur «Le Rapport
Mondial sur le Développement Humain: quelques éléments de réflexion sur
sa pertinence pour l'Afrique Subsaharienne »
290
ns emond e
Ta hleaUl~ : Indicateurs econODUQues et sOCIaux dal
PIB/hbten
1998 (en
francs
français de
1999)
Pays de
l'OCDE
Europe de
l'Est et CEl
Amérique
Latine
Asie de l'Est
(Chine
incluse)
Pays arabes
Asie du Sud
(Inde incluse)
Afrique
subsaharienne
Ensemble du
monde
Taux
Espéranc
d'alphabétisa
e de vie tion des plus
(en
de 15 ans (en
années)
%)
lDH
134000
76,4
97,4
0,89
40900
68,9
98,6
0,78
43000
69,7
87,7
0,76
23500
70,2
83,4
0,72
27300
66
59,7
0,63
13900
63
54,3
0,5 6
10600
48,9
58,5
0,46
43000
66,9
78,8
0,71
Source: Rapport mondIal sur le developpement humain, 2000
Le RMDH de 2000 révèle ainsi que l'IDH de l'Afrique
Subsaharienne atteint en moyenne 0,46; ce qui traduit un gap de
0,536 en matière de développement humain. Depuis 1990, environ 35
des 50 pays classés derniers en fonction de l'IDH sont africains.
Compte tenu de l'aggravation de la pauvreté et des inégalités dans le
monde, et particulièrement dans les PVD, il apparaît aujourd'hui
nécessaire d'aller au-delà de l'aspect statistique des analyses menées
pour adopter une démarche dynamique qui fasse le lien entre ces
indicateurs de qualité de vie et le profil de la croissance économique.
Cela renvoie aux différents acteurs pouvant améliorer le niveau des
indicateurs. En effet, on peut difficilement nier qu'il est plus facile
d'être en bonne santé dans un pays riche que dans un pays de
l'OCDE: l'ensemble des pays de cet espace affiche un niveau d'lDH
plus élevé (0,9 soit 10 % en dessous du meilleur niveau). En revanche,
pour la quarantaine de pays les moins avancés du point de vue du
revenu par tête, l'IDH moyen est à 0,44. De plus, on constate que les
vingt pays où l'IDH a reculé depuis 1990 sont tous des pays où le
revenu par tête a également diminué, à l'exception du Botswana. On
ne peut arguer qu'il existe forcément un lien de cause à effet.
Seulement, la pandémie du sida qui frappe massivement l'Afrique
subsaharienne provoque à la fois une chute de l'espérance de vie et
291
une baisse de la capacité productive des pays concernés. Alors qu'à
l'inverse, les pays où l'IDH a le plus augmenté sont aussi ceux où la
croissance du revenu par tête a été particulièrement forte, telle la
Corée du Sud.
2°) Quelles sont les limites.de l'IDH?
D'abord, l'état actuel des statistiques montre que les bases de
données sociales sont inexistantes ou alors totalement dérisoires. Les
deux premiers indicateurs peuvent être évoqués pour illustrer les
problèmes liés à la qualité des données, et le dernier à sa
. significativité quand on sait que non seulement les revenus et leur
répartition sont inconnus mais que les activités du secteur informel
pouvant aller jusqu'à 60% du PNB sont non prises en compte dans
l'évaluation de l'indice. Le PNUD n'utilise que les données
disponibles. Toutefois pour avoir l'espérance de vie à la naissance, il
faut disposer d'une table de mortalité récente qui se calcule lors de
l'analyse des données de recensement. Cependant la plupart des pays
Mricains n'ont pas respecté la périodicité décennale des
recensements, par exemple le dernier recensement du Togo date de
1984, celui de la République démocratique du Congo date de 1984,
celui du Cameroun date de 1987, celui du Sénégal date de 1988 pour
ne citer que ceux-là. On a besoin des effectifs de la population récente
pour avoir le dénominateur de la plupart des indicateurs qui rentrent
dans le calcul de l'IDH. Les effectifs sont obsolètes, ce qui augmente
l'imprécision de la qualité des résultats.
Ensuite, à l'échelle globale, l'IDH présente un grand intérêt en
ce qu'il permet de classer les pays, mais au plan strictement intérieur,
il demande des corrections multisectorielles. Si par' exemple un pays
est dernier du point de vue de l'IDH, sur quelle variable devra-t-il
s'appuyer pour redresser sa situation? Il existe d'autres indicateurs
spécifiques du développement humain: pour mieux faire ressortir les
disparités entre sexes ou inégalités de genre, les indicateurs de base
(espérance de vie à la naiSsance, alphabétisation et taux de
scolarisation, revenus) ont été ajustés en tenant compte des écarts
entre hommes et femmes.
Enfin, une limite de l'IDH est l'importance secondaire
accordée aux revenus dans le calcul de l'indice. En prenant l'exemple
de la France et de l'Argentine, le premier pays a un revenu de 18430
dollars par habitant (corrigé PPA) avec une note de 0,948 et le second
pays a un PIE de 5120 dollars avec une note IDH de 0,948. La
différence de 13310 entre ces deux pays se réduit à 225 dollars une
fois l'ajustement réalisé. En fait, la déflation des revenus rend l'indice
très peu expressif.
292
En définitive, il apparaît nettement que l'IDH est un
instrument de comparaison internationale. Toutefois, il ne permet
pas de savoir quelle est sa composante qui sera la cible du programme
pour améliorer le niveau ou le classement du pays dans la hiérarchie
internationale établie. Si l'indicateur est performant pour faire des
comparaisons entre pays, il l'est moins au niveau opérationnel dans le
pays. On sait que dans tel pays, ou tel district sanitaire, la qualité des
soins est mauvaise, mais on ne sait pas sur quelle variable jouer pour
améliorer la qualité des soins (7).
Encadré 11. Un indice synthétique de bien-être économique soutenable?
La notion de «développement soutenable» a été introduite en 1987
par la commission mondiale sur l'environnement et le développement dans
son rapport sur « Our common future ». Après que la Banque Mondiale lui
ait consacré son rapport sur le développement de 1992, l'écologie sera
sans doute "une des principales entrées de l'IDH. Le rapport sur le
développement humain tente de donner quelques indices sur
l'environnement et la pollution mais ceux-ci restent épars dans les
premières versions. Les problèmes du « développement soutenable» sont
analysés dans le rapport annuel du World Resources Institute des Nations
Unies sans pour autant fournir un indice synthétique. À ce titre, l'indice du
développement économique soutenable ( Index of Sustainable Economie
Welfare, ISEW) de Herman Daly et John Cobb tente de mesurer le bienêtre économique à long terme en corrigeant l'indicateur de la
consommation des ménages par des facteurs environnementaux et
sociaux. Cet indice renforce le constat pessimiste sur la divergence entre la
croissance économique et le bien-être. Il permet de pénaliser les pays les
plus destructeurs du cadre de vie. Par exemple, le Royaume-Uni n'a pas
augmenté son ISEW depuis 1950 malgré une augmentation du PNB de
200%.
François R. MAHIEU
293
294
Chapitre 11
Démographie et urbanisation accélérée: frein
ou chance du développement
« Avec 5 milliards et demi répartis pour un quart dans
les pays riches et trois quarts dans les pays pauvres, nous
avons déjà d'énormes problèmes. Qu'en sera-t-il demain
avec à peu près la même population dans les pays riches
mais 4 à 5 milliards de plus dans les pays pauvres? Ce
rapport sera de 1 à 9. Et aux tensions géopolitiques
s'ajouteront avec acuité des problèmes écologiques...Face
à ce problème certains cherchent une solution
démographique. Or, c'est elle qui conduit à 10 milliards en
2050 et à 12 milliards en 2050. Car si rien ne changeait
on pourrait être à 70 milliards. »
Jacques VALIN125
« Un nénuphar sur un étang double sa surface tous les
jours. Sachant qu'illuifaut trente jours pour couvrir tout
l'étang, étouffant alors toute vie aquatique, quand en
aura-t-il couvert la moitié, dernière limite pour agir ?» ..
Les riches s'enrichissent et les pauvres ont des enfants ..
Existe-t-il des limites physiques à la poursuite de
l'expansion démographique? Combien d'êtres humains
peuvent être accueillis par notre planète avec quelles
conditions d'existence et pendant combien de temps ?».
Club de Rome: Halte à la croissance126
La démographie a de tout le temps préoccupé tous les
chercheurs en sciences sociales: économistes, philosophes,
sociologues et politiques. Cela s'est traduit dans l'extrême variété des
doctrines et théories démographiques malheureusement réduites
souvent à l'approche de MALTHUS 127 qui su paniquer des générations
de personnes sur les effets de l'explosion des « bouches à nourrir»
sur notre propre bien-être. Cette vision contraste avec celle d'A.
SMITH qui lie la loi du peuplement avec celle de l'offre et de la
125 ].Vl\LIN : Pratiques de fécondité, Revue Histoire de Développement, nO d'octobre
1993.
126 Club de Rome: Ce mot ouvre la préface du Rapport MEADüWS, cette
formule de pure logique appelle là limitation des naissances avant qu'il ne
soit trop tard.
127 L'Essai sur la Population de Malthus, a souvent été interprété en dehors
de son contexte de la « Révolution démographique en Europe» au XIXème
siècle et sa pression sur l'économie.
295
demande. «C'est ainsi que la demande d'Hommes règle nécessairement la production des Hommes, comme fait la demande à
l'égard de toute autre marchandise: elle hâte la production quand
celle-ci marche trop lentement et l'arrête quand elle va trop vite. C'est
cette demande qui règle et qui détermine l'état où est la propagation
des hommes dans tous les pays du monde dans l'Amérique
septentrionale, en Europe et en Chine ».128
C'est pourquoi, « Il n'est de richesses que d'Hommes» cette
idée émise par Jean BODIN (1530-1596) dans un contexte de
mercantilisme, révèle toute l'importance attachée à la question
démographique dans la stratégie de création de richesses. Elle sera
reprise par différents auteurs à des moments historiques déterminés.
L'Homme joue un double rôle: d'un coté il est le bénéficiaire ultime
et de l'autre il constitue l'intrant essentiel du mouvement de
croissance et de transformation de la production. L'homme est ainsi
placé au cœur du processus de développement économique car les
deux entretiennent des rapports très étroits. Pour que le
développement économique soit effectif il convient d'orienter la
variable démographique par un ensemble de mesures qualitatives et
quantitatives à savoir la formation, l'éducation, les politiques
natalistes et antinatalistes. Ce qui mène vers les conceptions du
capital humain comme composante essentielle des théories de la
crOIssance.
Presque tous les économistes, depuis l'École classique
jusqu'aux contemporains, se sont intéressés aux problèmes démographiques pour découvrir les logiques d'évolution des populations.
Dans sa réflexion sur l'unité et la diversité du Tiers-Monde, Yves
LACOSTE en est venu, vers la fin des années 1970, à considérer qu'un
critère commun et presque unique unissait ses constituants:
l'ampleur de la croissance démographique. Dans les PSDS, ce
phénomène n'a jamais eu d'équivalent, la croissance démographique
toujours supérieure à 2% par an, elle reste sensiblement inférieure à
ce seuil dans le reste du monde. Elle n'a jamais dépassé 1% l'an dans
l'Europe du 19ème siècle. À cette époque, la croissance démographique
résultait d'une évolution endogène de la société dans sa production,
ses techniques médicales et sa pratique de l'hygiène.
Pour la plupart des PSD marqués par une explosion
démographique, ce phénomène est analysé à la fois comme signe et cause
de sous~éveloppement. D'abord, elle est signe de sous~éveloppement en
ce qu'elle traduit des attitudes à l'égard de la vie quotidienne, des relations
personnelles et sociales (plus de mise dans des sociétés marquées par
l'allongement de l'espérance de vie), de l'investissement dans l'éducation
ou encore de la sécurité sociale (où l'enfant est coûteux plus qu'utile).
128
A. SMITH: La richesse des Nations
296
Ensuite, elle est cause dans la mesure où elle provoque des tensions
supplémentaires dans des économies peu productives où la proportion
d'inactifs s'est brutalement accrue, tant par l'accroissement du nombre des
personnes âgées que par le fourmillement des enfants: deux
conséquences des progrès «importés» de la médecine de masse.
Dans les années 70; le Club de Rome s'appuyant sur l'analyse
néo-classique de l'optimum économique (versus optimum de
population) alerte l'opinion mondiale, dans un style extrêmement
malthusien, que l'humanité court à la catastrophe si on ne limite pas
les naissances. Les enjeux démographiques sont de nouveau posés en
relation avec la croissance et le développement économique et social.
La démographie mondiale a connu au fil des temps de
nombreuses mutations qu'il faut comprendre et intégrer dans les
processus de développement. Ces mutations dues à de nombreux et
complexes facteurs comme les guerres, les maladies, les calamités
naturelles, les progrès de la médecine constituent-elles un avantage
ou un handicap pour le développement et la croissance?
Les individus comme les pays n'ayant pas le même niveau
d'avancement, l'inégalité ainsi observée entraîne des mouvements de
populations des pays moins développés vers ceux qui sont plus
développés. Cette migration qui prend de plus en plus de l'ampleur
au cours de ces dernières années se fait entre continents, entre pays,
au sein du même pays. Elle est alors un des facteurs de la croissance
des grandes métropoles africaines, qui a, par moment atteint 10 %
par an et serait difficilement supportable avec les normes
convenables d'équipement et d'infrastructures sociales de l'Europe
d'avant-guerre; elle est, bien évidemment, inconcevable selon les
références de l'Europe d'aujourd'hui.
De là découlent plusieurs interrogations : Quels sont les
facteurs de la croissance démographique? Qu'est ce qui explique les
migrations à l'échelle nationale et internationale? Quelles en sont les
conséquences? Les tendances démographiques globales et urbaines
en Afrique sont-elles un handicap ou une chance?
297
Section 1 : Les théories et pratique démographiques.
Les relations entre la croissance démographique, les
changements technologiques et le niveau de vie ont donné lieu à de
multiples analyses. La plus célèbre, celle de MALTHUS soutient que
le niveau de la population s'auto-équilibrera et surtout stagnera. Si
elle a pu être pertinente pour une grande partie de notre histoire, les
changements observés depuis 1750 la remettront en cause. Nous y
considérons plusieurs modèles couvrant la transition entre les trois
régimes distincts ayant caractérisé le processus de développement
économique: les régimes « althusien », « post-malthusien », et
« croissance moderne».
Tableau 14 : quelques éléments théoriques
le courant
malthusien
~
L'ouvrage de
Malthus: Essai
sur le principe de
population
(1798), dont la
première édition
était anonyme
est d'abord un
pamphlet contre
les partisans de
la loi sur les
pauvres.
~ Pour Malthus,
la population
croît selon une
progression
géométrique
(double tous les
vingt-cinq ans)
tandis que les
subsistances
croissent selon
une progression
arithmétique.
~
Dès lors, soit
la population
accepte
volontairement
de limiter sa
croissance (soit
la morale
298
Le courant
populationniste
~
Ce sont les
mercantilistes qui
initient ce courant.
Ils reprennent la
formule de J. Bodin
selon laquelle « il
n'est de richesse
que d'hommes ».
~ La croissance de
la population a une
influence positive
par plusieurs
canaux :
- l'augmentation de
la demande qui en
résulte incite à
accroître la
production;
- elle pousse à une
organisation plus
efficace de la
production d'où des
gains de
productivité;
- une population
plus grande permet
d'étaler lesfrais
généraux d'une
société.
L'optimum de
population
~
L'idée
d'optimum de
population cherche
à réconcilier les
deux courants
précédents.
~ Du point de vue
économique, le
critère de
l'optimum de
peuplement est la
réalisation du
produit (ou du
revenu) maximal
par habitant.
~ Certains
éléments
définissent le
niveau optimal de
la population: état
des techniques,
volume des
ressources
utilisables,
équipement
technique,
possibilités du
commerce
extérieur).
Le courant
marxiste
~
Pour Marx, la
surpopulation
n'est pas liée à
une
démographie
trop dynamique
des classes les
plus pauvres de
la société. Elle
résulte du mode
d'organisation
des économies et
de la répartition
des richesses.
~La
surpopulation
est le produit du
mode de
production
capitaliste parce
qu'elle est utile à
l'accumulation
c1e 1 ichesse.
~ Les
capitalistes ont,
en effet, intérêt à
avoir des
hommes en trop
qui constitueront·
l'armée de
réserve
le courant
malthusien
restreinte ou
abstention du
mariage), soit la
population sera
détruite par la
guerre, la
famine, la peste.
Aider les pauvres
revient à
encourager la
croissance
démographique
età terme sa
destruction.
Le courant
DODulationniste
L'optimum de
DODulation
~
Par opposition
aux malthusiens, A.
Sauvy souligne
qu'à « chaque fois
que se produit une
différence, un écart
entre deux
grandeurs, deux
choses qui
devraient être au
même niveau, il y a
deux façons de
rétablir l'équilibre,
aligner vers le haut
ou vers le bas. En
annonçant qu'il y a
excès de quelque
chose, l'optique
malthusienne
suggère
instinctivement de
niveler par le
bas ».
~D'autres
éléments
définissent la
structure optimale
de la population:
structure par âge,
rapport entre la
population active
et non active, entre
consommateurs et
producteurs,
structure
professionnelle de
la population,
répartition
géographique de la
population.
Le courant
marxiste
industrielle.
Cette dernière
permet un
maintien d'un
taux de chômage
élevé et bloque le
niveau de
salaire. Ce
dernier reste
ainsi au
minimum vital et
permet
l'augmentation
de la plus-value.
~ La théorie
~ La pauvreté
malthusienne de
est une logique
la population est
du mode de
un des piliers de
production
la théorie de
capitaliste et non
l'État
d'un excès de
~ Enfin, des
population.
stationnaire de
éléments
Ricardo.
L'accroissement
définissent
Schumpeter dans
démographique
l'optimum dans le
peut
être absorbé
son ouvrage:
temps: rythme de
à condition
Histoire de
croissance de la
l'analyse
population, rythme que le système de
économique,
répartition des
du progrès
souligne combien
revenus se
technique, taux de
Malthus doit à
trouve modifié.
croissance du
Toute politique
Botero età
revenu national.
démographique
Quesnay pour la
construction de
serait ainsi
sa théorie.
inutile.
Source: Problèmes economlques, (Mars 2000), " S'x ml/ltards d'hommes...
et après? '>, n° 2656-2657 p. 30-31
Il Les, approches Malthusiennes et néo malthusiennes
Thomas MALTHUS (1766-1834)129 était un prêtre britannique,
mais également un économiste libéral. Sa thèse est bien connue de
tout le monde: la population croît selon les termes d'une suite
géométrique (1, 2,4, 8, 16...), alors que les subsistances (la production
agricole) croient selon les termes d'une suite arithmétique (1, 2, 3, 4,
5...). D'où le fait est qu'il y aura nécessairement pénurie! MALTHUS
ici se sert de la « loi des rendements décroissants» de la production
12'1 Problèmes économiques, (Mars
après? », n° 2656-2657 p 30-31
2000), «
Six milliards d'hommes... et
299
agricole pour expliquer ce décalage entre les ressources et la
population. On notera cependant que MALTHUS écrivait à une
période où la transition démographique était à son paroxysme en
Angleterre, c'est-à-dire avec un accroissement naturel considérable. Il
est alors important de prendre en compte ce contexte pour mieux
comprendre le caractère alarmant de la thèse de MALTHUS. Pour lui,
la seule solution (radicale) reste la contrainte morale, c'est-à-dire
l'abstinence et la chasteté, puisqu'il faut à tout prix limiter la
croissance démographique, pour éviter qu'elle ne dépasse les
potentialités de la production.
Ces idées de MALTHUS ont été poursuivies et approfondies
par les néo-malthusiens qui avancent un certain nombre d'arguments
qui plaident en faveur d'une croissance démographique faible (mais
ces arguments concernent plus directement le développement que la
croissance économique en tant que telle). Ainsi à l'échelle
microéconomique, le premier argument consiste à dire que réduire le
nombre d'enfants par femmes permet d'augmenter le niveau de vie.
Au niveau macroéconomique, les ressources naturelles étant limitées,
le fait de ne pas maîtriser la croissance démographique, implique que
l'on surexploite le sort des générations futures. Finalement le
malthusianisme préconise une faible croissance démographique pour
assurer une meilleure croissance économique (ou en tous les cas ne
pas l'entraver). Mais les arguments du courant « récent» restent des
arguments essentiellement qualitatifs, c'est-à-dire qui concernent le
développement plutôt que l'augmentation des richesses (quantitatifs).
Mais aujourd'hui, si ce discours néo-malthusien est particulièrement alimenté par la forte croissance démographique des pays du
Tiers-Monde, il est pourtant théoriquement critiqué par un ensemble
d'auteurs qui s'appuient sur des arguments développés d'abord par
les contemporains de MALTHUS et approfondis par les théoriciens de
la croissance endogène qui voient en l'homme «le capital le plus
précieux ».
1°) Les critiques de l'approche malthusienne et le populatimmisme
Jean BODIN (1530-1596)130 développait, bien avant
MALTHUS, l'idée qu'« Il n'est de richesses que d'Hommes ». Cette
thèse populationniste est l'opposé de la thèse de MALTHUS. Des
auteurs comme VAUBAN, F. QUESNAY et J. BODIN voyaient dans
l'Homme la seule richesse d'un royaume. Leurs tQéories étaient que si
les Hommes sont la force d'une nation et que leur nombre augmente,
la production suivra et le pays n'en sera que plus puissant. Ce qui
130
Voir Problèmes économiques (op. dt.)
300
revient à dire que la croissance démographique est un facteur
permissif de la croissance économique.
c'est surtout Karl MARX (1818-1883)13 1 qui fut un des
premiers à rejeter les thèses de MALTHUS· et surtout l'idée de « loi
naturelle» indépendante des conditions de production. Pour lui, la
surpopulation n'est que relative et la conséquence de l'état des
techniques à un moment donné. Pour lui, les limites de la planète
évoluent avec le progrès technique et le niveau de développement:
«La surpopulation relative n'a pas la moindre relation avec les
moyens de subsistances comme tels mais avec la manière de les
produire »13 2 Le courant néo populationnisme est souvent illustré par
la thèse d'Esther BOSERUP (milieu des années soixante), encore
appelée la thèse de la pression créatrice: la croissance de la
population fait pression sur l'amélioration des techniques de
production (hausse du progrès technique et de l'innovation favorisée).
En fait, pour cet auteur, ce n'est pas la richesse qui détermine la
population, mais la population qui détermine la richesse, grâce
notamment à cette pression créatrice qu'elle génère.
En .définitive, pour les néo populationnistes, la croissance
démographique ne constitue en rien un frein mais plutôt un stimulant
pour la croissance économique.
2°) La thèse d'A. Sauvy ou la thèse de l'optimum de population
Selon les études de cet auteur, il n'y a pas de corrélation
directe entre croissance démographique et croissance économique,
puisque tous les cas existent. En effet, on peut avoir le cas d'une faible
croissance démographique avec en parallèle une faible croissance
économique (exemple de la France entre les deux guerres) ou bien
encore la situation d'une forte croissance de la population avec une
faible croissance économique (exemple du Tiers-Monde) ou enfin le
cas d'une faible croissance démographique et d'une forte croissance
économique (exemple du Japon dans les années soixante-dix, quatrevingt). Pour A. SAUVYI33 , il est nécessaire de faire une étude cas par
cas, puisqu'il n'existe pas de cas général où la corrélation entre
croissance démographique et croissance économique serait directe.
Tout dépend du pays et de sa situation (pyramide des âges, choix
sociaux et politiques, etc.).
Voir Problèmes économiques (op. cit.)
K MARX, Œuvres, tome 2, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1977).
133 Voir Problèmes économiques (op. cit.)
131
132
301
11/ Les thèses natalistes
Les politiques natalistes ou antinatalistes peuvent aussi
• influencer la fécondité et la natalité. Il est possible ainsi, que le fait de
verser des allocations familiales à des familles en difficultés
matérielles, permette de soutenir la fécondité. Rares sont pourtant les
pays qui consacrent des sommes très importantes à soutenir
massivement la fécondité. En France, une politique nataliste timide a
été mise en place pendant la seconde guerre mondiale, sous le
gouvernement PETAIN 134, et semble avoir joué un rôle dans la reprise
de la natalité. Elle n'explique cependant pas le baby boom, car celui-ci
a été observé dans d'autres pays où aucune politique nataliste n'avait
été mise en place.
À l'inverse, il semble bien clair que les politiques antinatalistes, comme celles mises en oeuvre par le gouvernement
Chinois, puissent exercer des effets très nets sur la fécondité et la
natalité, avec des conséquences sévères sur la pyramide des âges,
comme l'illustre cette pyramide des âges de la Chine.
Figure 14 : Pyramide des âges de la Chine en
2005
China: 2005
Pli'lE
70
FEMf'lE
r)l)
$0
,J(I
30
20
l'~'
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20
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60
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PopU].jtiori (in rt)llllOIlS)
·~ûOt·(€':
lI.S.
CeTI'SI.J~ f).,.Jre-.j.u.
[n\'';-r"rl.;.tlon..ll u·jt,)
a.Qr~';-.
Quelques statistiques commencent à être recueillies sur des
indicateurs qui peuvent renseigner sur les comportements en matière
de reproduction. Mais l'interprétation de ces indicateurs reste limitée
par l'absence de données systématiques et par la difficulté même de
comprendre les décisions liées à la fécond~~~. Ces indicateurs sont les
suivants :
134
Gouvernement installé en France après l'occupation allemande en 1940
302
•
•
Pourcentage de femmes d'une population qui vivent en union
consensuelle (terme utilisé pour désigner la vie en couple par
consentement mutuel), ce qui inclut non seulement les
femmes mariées, mais aussi toutes les autres formes de vie en
couple durable.
Pourcentage de femmes d'une population qui ont entre 15 et
49 ans (l'âge de la fécondité). C'est le seul indicateur clair, plus
il y a de femmes d'âge fécond dans une population, plus il y a
de naissances dans cette population, en raison de l'effet de
taille. Le tableau 1 nous donne ici l'évolution de la proportion
de femmes fécondes au niveau mondial.
Tableau 15: Pourcentage de femmes fécondes (15-49 ans)
au niveau mondial
Année
Milliers
1950
1960
1970
1980
1990
2000
2010
2020
2030
2040
2050
623947
70696 6
8553 25
1058 712
1315357
1559721
1763 267
1878362
1984 651
20379 6 5
2063159
Pourcentage
49,4
46,8
4 6 ,4
47,9
50,2
51,6
51,8
49,7
48,5
46,8
45,3
..
Source: World population Prospects: the 2004 reVISlon population
database
Les chiffres après 2005 sont des prévisions basées sur une
hypothèse moyenne d'évolution de la fécondité. On comprend mieux
en regardant ces chiffres pourquoi la population mondiale va
augmenter jusqu'en 2050, alors que pourtant les taux de reproduction
ou les indices de fécondité sont en dessous du seuil de reproduction
dans déjà la moitié de l'humanité.
• Pourcentage de femmes qui utilisent des moyens
contraceptifs: il existe des chiffres dans les pays occidentaux,
basés sur des enquêtes ou sur des chiffres recueillis par les
services de santé, mais les données restent fragmentaires, pas
nécessairement fiables et de toute façon difficiles à interpréter.
On profitera ici de l'occasion pour faire la distinction entre la
303
fertilité et la fécondité, deux mots qui sont parfois considérés
comme synonymes mais qui pourtant ont un sens différent en
démographie. La· fertilité, désigne normalement la possibilité
biologique d'avoir des enfants. C'est donc le contraire de la
stérilité. La fécondité, c'est le fait d'avoir effectivement des
enfants. Une femme fertile peut donc rester inféconde. Par
contre, une femme féconde est forcément fertile. Pour
comprendre la différence, il suffit de songer au cas des femmes
fertiles (qui peuvent avoir des enfants parce que non stériles)
mais qui restent infécondes parce qu'elles ne veulent pas avoir
d'enfants et qu'elles utilisent par exemple des moyens
contraceptifs.
• Nombre d'avortements : le nombre d'avortements déclarés,
dans les pays où l'avortement est légal, comme en France (où
il reste néanmoins encadré sévèrement par la loi et souvent
mal accepté par les populations dans les faits), reste assez peu
élevé. Il est difficile de penser que c'est la possibilité légale
d'avorter qui est à l'origine de la baisse de la fécondité.
Section 2· : La démographie au niveau mondiale
À partir des années 1950, les pays industrialisés sont rentrés
dans une transition démographique. Avant d'aborder ce sujet, il
convient de faire l'historique de la population mondiale.
Il Historique de la population humaine.
La population humaine a connu une augmentation plus ou
moins permanente delluis l'apparition de la vie sur la terre, mais la
croissance s'est accélérée depuis deux cents ans et jusqu'à une période
très récente. On peut distinguer quatre phases dans l'histoire
démographique de l'humanité:
• L'ère préagricole : elle a duré certainement cinq cent mille ans
et se caractérise par une densité démographique assez faible:
le taux de natalité était probablement élevé, mais le taux de
mortalité l'était également presque, le rythme d'accroissement
naturel était très faible. À la fin de cette phase la population
du globe atteignait peut être un maximum de cent millions
d'habitants.
• La phase de l'agriculture sédentaire à la Révolution
industrielle est marquée par l'introduction de l'agriculture
sédentaire. La Révolution industrielle, survenue à la fin du
18ème siècle et au début du 19ème siècle voit l'accroissement de
la production alimentaire ce qui va entraîner une baisse du
taux de mortalité, une élévation de l'espérance de vie et
304
•
•
l'accélération progressive de la croissance démographique. En
1800, la population mondiale s'élève à environ 1.7 milliards
d'habitants.
La troisième phase va de la Révolution industrielle à la
Seconde Guerre Mondiale avec le démarrage de la croissance
économique moderne et le renforcement du potentiel
démographique de la terre. Aux innovations industrielles
correspondent des innovations agricoles, qui permettent le
transfert d'actifs vers l'industrie, tout en élevant suffisamment
vite la productivité des travailleurs agricoles restant pour
assurer l'alimentation d'une population urbaine en expansion.
Les importants progrès dans beaucoup de domaines vont
améliorer la croissance démographique: la médecine,
l'hygiène et l'industrie pharmaceutique, facteurs qui réduisent
le taux de mortalité. La croissance démographique s'accélère
pour atteindre 1% par an environ au moment de la Seconde
Guerre Mondiale. Quand cette troisième ère démographique
prend fin, en 1945, la population mondiale est légèrement
inférieure à 2.5 milliards d'habitants.
La dernière phase est celle d'après-guerre marquée par de
nouveaux développements révolutionnaires dans la
production alimentaire et la lutte contre les maladies. Les
techniques introduites au cours de l'ère précédente dans les
pays développés connaissent une extension mondiale. La
chute brutale des taux de mortalité dans de nombreuses
régions porte le taux d'accroissement naturel à 2%, voire 3%
ce qui instaure désormais l'ère du doublement de la
population mondiale qui va atteindre 5 milliards d'habitants
en 1987 pour dépasser dans ce troisième millénaire 6 milliards
d'habitants.
À l'évidence, cette quatrième ère sera marquée par un
ralentissement de l'accroissement démographique. De nombreux pays
en développement suivent les pays industriels sur la voie d'une
transition démographique.
III La transition démographique depuis 1950
Le demi-siècle qui vient de s'écouler est marqué par la
généralisation et l'accélération de la démographie dans l'ensemble du
monde. Dans le même temps, la croissance de la population mondiale
s'est sensiblement ralentie. En moins de cinquante ans elle aura tout
de même doublé passant de 3 milliards en 1960 à 6 milliards en 1999.
Si le chiffre des 7 milliards d'habitants devrait être atteint entre 2010
305
et 2015, la croissance devrait, au-delà, nettement ralentir sauf en
Afrique.
Deux «révolutions» ont provoqué ces rapides bouleversements
démographiques: la révolution sanitaire et la révolution
contraceptive. D'abord l'amélioration des conditions sanitaires (accès
à l'eau potable, construction d'égouts, ou encore couverture vaccinale)
a été déterminante dans l'allongement de l'espérance de vie. Les pays
en développement ont ainsi gagné en moyenne près de vingt deux
années. Il reste aujourd'hui peu de pays dans lesquels l'espérance de
vie demeure inférieure à 45 ans. Ensuite un mouvement de baisse de
fécondité a lieu en l'espace de quelques décennies sur l'ensemble de la
planète, quelle que soit, la culture ou la géographie des pays.
La transition démographique cause une augmentation
dramatique des disparités démographiques d'un pays à l'autre avec
des pays surpeuplés et des pays sous peuplés comme l'indique le
tableau qui suit:
Tableau 16 : répartition de la population mondiale
Principales régions du
monde
Population
courante
1998 (en
millions)
Monde
Pays développés
Pays moins développés
Afrique
Amérique du Nord
Amérique
Latine
Caraïbes
Océanie
Asie
Europe
et
59 26
1178
474 8
763
301
500
,3°
3604
728
Accroissement
naturel
annuel dela
pouulation
1,4
0,1
1,7
2,5
0,6
1,8
1,1
1,5
-0,1
Source: Population Reference Bureau (1998), World Population Data Sheet.
Les régions à taux de fécondité élevé comme l'Afrique et l'Amérique
Latine ont un produit national brut (PNB) par habitant plus bas et une
croissance démographique annuelle plus élevée que les régions plus
développées.
306
Section 3 : Les tendances démographiques globales en Afrique.
Le Continent Africain, à l'opposé du Nord est caractérisé par
une croissance relativement importante de sa population. Déjà en
1995, la population de l'Afrique était estimée par les Nations Unies à
728 millions d'habitants. À la même date la population du monde
était de 5,72 milliards de personnes. L'Afrique représentait ainsi
12,7% de la population mondiale. En 1998, d'après l'hebdomadaire
« Problèmes économiques », elle est estimée à 763 millions soit une
croissance moyenne annuel de 1,18%. Ainsi, les taux de croissance les
plus élevés se situent dans les pays les plus pauvres, donc en majorité
en Afrique, qui sont les moins préparés à offrir les services de base et
les emplois nécessaires aux effectifs croissants des jeunes. Dans 62
pays d'Afrique principalement, d'Asie et d'Amérique latine, plus de
40% de la population sont âgés de moins de 15 ans. L'Afrique, région
du monde où la croissance démographique est la plus rapide, est aussi
la plus jeune: l'âge moyen y est seulement de 18 ans.
On peut exprimer le potentiel de croissance d'une population
en calculant son temps de doublement. Pour une population au
rythme d'augmentation constant, celui-ci s'élève à 70 environ, divisé
par le taux de croissance. Ainsi, la population qui s'accroît de 1% par
an double en 70 ans, tandis que celle qui augmente constamment de
2% par an doublera exactement en 35 ans.
La formule de l'accroissement exponentiel est:
Pt = Po e rt où Po représente la population de l'année de
référence, Pt la population au bout de tannées, e la base du logarithme
et r le taux d'accroissement annuel. Si Pt =2Po, alors: 2Po = Po e rt
2
= e rt
Il s'ensuit que 2 = e7 (approximativement). Cela signifie que rt,
égal à la multiplication du taux d'accroissement et du nombre
d'années, doit être égal à 0,7. Par exemple, avec un taux
d'accroissement annuel de 2%, 0,02 X 35 = 0,7.
Il Le recul de la mortalité et l'amélioration de l'esPérance de vie
Tous les pays africains ont entamé leur transition dans la
mesure où la baisse de la mortalité est un constat général partagé par
tous. Mais les situations sont très diverses: si dans certains pays la
mortalité a beaucoup baissé, d'autres payent encore un lourd tribut.
307
Tableau 17 : Évolution des indicateurs de mortalité
Période
1950 -1955
1960 -1965
1970 -1975
1980 -1985
1990 -1995
Taux brut de
mortalité (en %0)
Afrique Monde
Espérance de vie
Afrique Monde
26,8
19,8
37,8 46,4
22,9
15,6
4 2 ,0 52,3
19,2
11,7
46,0 57,9
16,5
10,3
49.4 61,3
9,3
53,0 64.4
13,7
,
..
Source: FrancIs GENDREAU. Demographies Afncames, Editions ESTM.
11/ La transition démographique, conséquence du processus
de modernisation économique et sociale.
Le taux brut de natalité du continent est encore élevé (42%0)
même si son évolution récente marque une tendance à la baisse: il
aurait diminué de près de 15% depuis les années cinquante. Les
différents pays africains connaissent ainsi une fécondité encore forte.
En 1999, dans onze d'entre eux, tous situés dans l'Afrique
continentale noire, les femmes ont en moyenne au moins 7 enfants. À
l'opposé, six pays ont un indice synthétique de fécondité inférieur à 4.
Les théoriciens de la transition démographique font de la
démo-économie et tentent alors d'établir le lien entre l'évolution
générale de la population et celle de l'économie. Les auteurs
accordent aux facteurs économiques et sociaux un rôle prépondérant
(NOTESTEIN, DAVIS, THOMPSON, A. LANDRY). Pour ces auteurs,
les changements démographiques apparaissent comme la
conséquence de la « vie industrielle-urbaine» (NORSTEIN, 1945), de
l' « industrialisation» (THOMPSON), de la «modernisation ou
du développement socio-économique ». Selon Annie VIDAL
«paradigme central de la science démographique, la transition
s'entend comme le passage d'un régime traditionnel d'équilibre
démographique à mortalité et fécondité fortes, à un régime moderne
d'équilibre, à mortalité et fécondité basses »135
135 Annie VIADAL : La pensée démographique, Édit. PUG, Collection
L'économie en plus, 1994
308
Mais a-t-on affaire à une théorie, à un schéma, à un modèle? S'il Ya
accord sur la signification du concept, la question de son statut
demeure controversée. Pour J, C. CHESNMS, trois paradigmes
peuvent être envisagés: d'abord, le principe d'antériorité de la baisse
de la mortalité, ensuite le modèle de la transition reproductive en
deux phases (limitation des mariages, puis limitation des naissances)
et enfin l'influence de l'entrée dans la croissance économique
moderne... sur le déclenchement de la baisse séculaire de la fécondité.
. Cela apparaît dans les trois phases qui montrent que la corrélation
entre développement économique n'est pas figée et passe par trois
phases. La première est celle que MALTHUS a bien analysé et elle se
traduit par des taux de natalité et de mortalité élevés. La croissance
démographique est alors rythmée par les phénomènes naturels
comme les famines et les épidémies. D'où la fameuse boutade de
MALTHUS: « Au banquet de la nature, il n'y a point de couverts pour
eux ; la nature leur commande de partir et elle ne manquera pas de
mettre ce commandement en exécution ». Dans la deuxième phase
interviennent deux phénomènes: d'une part les progrès de la
médecine abaissent le taux de mortalité et d'autre part les ménages
prennent conscience des charges des enfants et de l'amélioration du
statut social de la femme pour adopter des comportements qui vont
faire baisser la natalité. La troisième phase est celle d'un équilibre de
bas niveau démographique.
Figure 15 : La transition démographique
La transition démographique
taux
r - - - - - 'lccroisscm<'nt
démographique
maximal
nl;;-rt;ï,t~
- - - -
Phasci:=J
L
.Phase.,,-'=2
-_
____ _
tCIUPS
Phase 3
309
L'Afrique est au début de la seconde phase avec cependant un
écart entre taux de natalité et de mortalité pas encore assez écrasé
particulièrement au niveau des couches populaires où l'on observe
encore des rigidités des comportements démographiques. Différentes
statistiques démographiques concordent pour établir que l'explosion
démographique africaine va se poursuivre pour les années à venir
comme en témoigne le tableau qui suit établissant les évolutions
marquantes d'ici 2025 :
Tableau 18 : Population rurale et urbaine de l'Afrique par
grande région en 1990 et 2025 (en milliers d'habitants).
Rural~
Est
Centre
Sud
Ouest
Sud du
Sahara
Urbaine
Totale
1990
2025
1990
2025
1990
2025
154013
43596
17761
130740
288398
70014
21010
213290
,
42860
26458
22465
62962
254138
122328
59123
294165
196873
70054
40086
193072
542536
192342
80133
507455
345970
592712
154745
729754
500715
1322466
Source: NatIOns-Unies, World Urbamsatlon Prospects.
La population de l'Afrique Sud Saharienne devrait passer de
millions d'habitants en 1990 à 1,300 milliard en 2025 ce qui
équivaut à une multiplication par 5 dans la période. Selon E.V. de
WALLE, l'Afrique détient le record mondial de la fécondité avec 6 à 8
enfants par femme en moyenne... Du côté de la mortalité, les
projections supposent que l'espérance de vie continuera à augmenter
de deux ans tous les 5 ans. Les progrès de la médecine, de l'hygiène,
de l'agriculture ont contribué à l'augmentation de la population. Cette
dernière est inégalement repartie dans l'espace d'un pays, d'une
région ou d'un continent.
Dans la plupart des cas la ville reste le principal bénéficiaire.
C'est autant dire que l'un des corollaires de la croissance
démographique est sans conteste l'urbanisation. Cette dernière
correspond à l'arrivée des populations rurales dans les principales
villes provoquant ainsi une explosion démographique. La question qui
se pose alors est celle de savoir: la ville est-elle un facteur ou un frein
au développement ?quels sont les problèmes posés et les solutions
préconisées i
Pour répondre à ces questions nous allons analyser comment
la ville pourrait être un facteur de croissance ou un frein au
développement.
500
310
\
Section 4 : Urbanisation et développement: la ville est-elle
encore un facteur de croissance et de développement G
Au niveau des pays industrialisés, la ville a joué un rôle
primordial. Le phénomène d'urbanisation semble être déclenché en
Angleterre pendant la seconde moitié du 18ème siècle par la naissance
de l'industrie à laquelle elle a fortement contribué.
Tirant les leçons de cette expérience, la pensée économique,
toutes tendances confondues, a considéré la ville comme un
important facteur de développement et d'émancipation économique
et sociale du fait précisément des inégalités favorables des revenus,
des effets d'attraction et de polarisation des activités industrielles et
des infrastructures de base, de la meilleure connexion avec les
marchés internes et externes etc. Également, dans les villes s'établit
un nouveau type de division du travail. À une répartition des tâches
fondées sur l'âge, le sexe, l'ethnie, succède une organisation liée aux
aptitudes des individus. La ville connaît par voie de conséquence une
structuration en classes sociales qui n'existait pas toujours dans la
société rurale. Les migrations réalisées vers 'la ville provoquent un
brassage ethnique qui favorise l'évolution des structures sociales. La
ville constitue également un centre de décision économique, politique
et administrative. La concentration des élites qui s'y réalise est un
facteur de dynamisme. La ville diffuse son influence sur le milieu
rural ambiant et contribue à l'évolution de celui-ci. On note en
particulier que les structures foncières, les techniques de production
se transforment plus rapidement à proximité de la ville et que la
mobilité de ces structures se réduit au fur et à mesure que l'on
s'éloigne.
Partout dans le monde les tendances à l'urbanisation sont
devenues lourdes: actuellement plus de 45% de la population vivent
dans des zones urbaines et ce chiffre pourrait passer à 60% vers 2030.
Dans les faits, la dynamique urbaine est particulièrement portée par
les PSD d'Asie, d'Afrique et d'Amérique Latine. Toutefois,
contrairement au rôle qu'a joué la ville dans le développement des
pays industrialisés, dans les pays du tiers monde, la ville apparaît
comme un poids, un cancer, un frein au développement. En effet,
dans ces pays le phénomène urbain commence à poser de sérieux
problèmes relatifs à l'emploi, au logement, aux transports, à
l'assainissement, à la santé, à l'éducation. Cela présage que les villes
sont des volcans en ébullition.
311
Il Urbanisation accélérée et chaotique en Afrique.
S'il est vrai que l'existence des villes est un phénomène ancien
en Afrique, c'est néanmoins la colonisation qui lui a imprimé le
caractère qu'elle connaît de nos jours. Les grandes villes actuelles ont
été choisies en fonction des considérations liées aux besoins de la
colonisation. Les ports maritimes ont été généralement favorisés:
Lagos, Dakar, Abidjan, Luanda... et la: localisation des grands centres
urbains reste marquée par. cette extraversion. Dès cette époque, les
investissements ont été concentrés dans des capitales où résidait
l'essentiel des cadres dirigeants de l'administration coloniale. En
dehors des vieilles villes marchandes sahélo-soudanaises et de la
civilisation Yoruba, les villes de l'Afrique noire sont nées avec la
colonisation comme ville-capitale administrative ou ville-portuaire.
Elles ont pour site des points privilégiés de la ligne d'interface océancontinent, les intersections de lignes de transport intérieur et les
points de rupture de fret : escales sur les fleuves (Kinshasa 1881),
intersection ferroviaire, contact fleuvel chemin de fer et lac
(Kisangani).
Depuis les indépendances, la croissance urbaine a été
explosive et chaotique avec un taux de croissance d'environ 10% par
an jusque dans les années 1990. En 1950, on dénombrait pour
l'ensemble de l'Afrique, 3 villes millionnaires, 25 en 1990, 30 en 1995
et 42 en l'an 2000. Elles concernent maintenant plus de 40 % de la
population totale. De 1950 à 1990, la population urbaine a été
multipliée par 10 en Afrique sub-saharienne, tandis que la population
totale triplait. Cette dynamique urbaine procède de la conjugaison de
plusieurs facteurs: forte concentration des activités économiques et
sociales et des infrastructures, faillites des politiques agricoles etc. Les
initiatives peuvent aussi provenir de décision politique pour
décongestionner la grande agglomération ou alors se démarquer de
l'empreinte coloniale : la capitale de la Côte d'Ivoire transférée à
Yàmoussoukro (1983) et celle du Nigéria à Abuja (1974),
Ouagadougou 2000. Aujourd'hui, les plus grandes villes d'Afrique se
hissent dans le groupe des 10 villes les plus peuplées du monde
dépassant les 10 millions d'habitants parmi elles, le Caire et Lagos.
Cette dernière agglomération au rythme actuel de sa croissance
comptera 25 millions en 2025. À ces mégalopoles s'ajoutent Kinshasa
(4 million d'habitants), Alexandrie et Alger (3,5 million d'habitants),
puis viennent Casablanca, Tripoli, Abidjan et le Cap.
En définitive, si l'urbanisation africaine a été tardive, elle est
en train de s'accélérer avec rapidité. Cette évolution apparaît
clairement dans le tableau qui suit:
312
Tableau
(en %)
.
19 :
Proportion de la population urbaine de
1960
à
2006
Sous-réglons
1960
1975
1985
2000
2004
2005
2006
Afrique
Afrique
Afrique
Afrique
Afrique
13,4
7,3
30,0
18,2
42,2
20,0
12,8
40,5
29,6
46,5
26,0
18,9
47,7
39,3
52,1
36,6
29,4
58,1
52,2
61,1
-
-
-
184
33,6
25,6
8,3
32,1
1,6
8,2
60,3
68,7
72,4
77,8
-
21,4
7,1
31,7
40,4
Occidentale
Orientale
du Nord
Centrale
Australe
Total Afrique
Monde
Régions
développées
Régions en
développement
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
391
396
40,1
-
-
-
Source: Afnque contemporaine du 1er tnmestre 1988, BAD statlstlcs
pocketbook 2007.
Ce tableau révèle que l'Afrique connait un rythme élevé
d'urbanisation depuis les indépendances. En effet, la population
urbaine est passée logiquement de 18,4% en 1960 à 40,1% de nos
jours. Le Maghreb reste la région la plus urbanisée avec 58,1% de
citadins en 2000. %. Malgré cette accélération urbaine, le continent
compte parmi les moins urbanisés. En effet, le monde affichait en
2000 un taux d'urbanisation de 48,2% pour les PSD et une moyenne
de 77,8% pour les pays développés.
Certains économistes et urbanistes tentent de démontrer que
la ville est un moteur indispensable du développement, de la
modernité et de la socialisation et la campagne en est le pourvoyeur
de
sa
main-d'œuvre,
éventuellement
de
ses
approvisionnements surtout alimentaires. Pourtant, pour le Bureau
International du Travail (BIT), au delà d'un million d'habitants, la
ville pose de nombreux problèmes de gestion avec des charges de plus
en plus lourdes pour les différents équipements urbains, les
réseaux d'eau, d'assainissement, d'électricité, de voies publiques, de
transports. De façon globale, toutes les villes africaines posent à des
degrés divers des problèmes liés:
• aux infrastructures de base: routes, électricité, écoles,
structures de santé
• au foncier et à la crise du logement l'étalement spatial et la
fragmentation du tissu urbain manifestent l'impossibilité des
autorités à canaliser l'avancée anarchique du front
d'urbanisation ou la surdensification des centres. On
rappellera que 40 à 70 % des citadins vivent dans des
constructions illégales.
313
•
•
•
•
aux transports la question est posée en termes d'inégalité
spatiale pour les classes populaires rejetées en périphérie qui
doivent effectuer de longs déplacements journaliers vers le
centre pour y exercer leurs activités marchandes.
À l'environnement : accès à l'eau potable, évacuation ou
traitement des déchets.
À l'insécurité dO~lnée importante de la vie urbaine:
l'insécurité sanitaire plane sur les quartiers d'habitat spontané
et se double de l'insécurité foncière menaçant les familles
récemment installées
À la pauvreté et au chômage
Tous ces problèmes montrent que le phénomène urbain
constitue une préoccupation majeure, même dans le cas des centres
urbains moins peuplés car le rythme. de leur croissance
démographique est sans rapport avec des capacités de productions
économiques. C'est surtout sous la pression des émeutes des
banlieues que le monde a pris conscience de l'ampleur du phénomène
urbain avec les implosions des bidonville, taudis, gourbi, ghetto,
sIum, township, favela, mocambo...Des vocables qui évoquent les
espaces qu'on pourrait qualifier d'infra-urbains qui exprime l'extrême
précarité. 136
Une urbanisation accélérée a des effets négatifs· sur le
développement: importance du chômage, impossibilité d'assurer une
croissance urbaine cohérente, développement des bidonvilles dans
lesquels vit un prolétariat misérable, coût considérable des
infrastructures urbaines, prélèvements en moyens financiers et en
personnel qui aboutissent à un sous équipement du reste du pays.
L'hypertrophie urbaine peut ainsi devenir une cause nouvelle de
mauvais développement en entretenant et en amplifiant les inégalités.
D'autre part le développement ne peut résulter de la simple
croissance d'une ville tentaculaire. Il implique un aménagement de la
hiérarchie urbaine de manière à ce qu'il se crée une spécialisation
fonctionnelle des villes et une complémentarité dans leurs activités et
dans leurs zones d'influences. Or cette condition est rarement
satisfaite dans les pays en voie de développement: de nombreuses
régions ne sont soumises à l'attraction d'aucun centre urbain
important. Les zones d'attraction urbaine sont souvent isolées et non
intégrées ni hiérarchisées, la grande ville tend à exercer son emprise
sur l'ensemble du pays (voir indice de primatie tableau 4) et empêche
136 Mike DAVIS: Le Pire des mondes possibles. De l'explosion urbaine au
bidonville global, traduit de l'anglais par Jacques MAILHOS Éditions La
Découverte, 252 pages.
314
ainsi l'industrialisation des centres secondaires en l'absence de
politiques volontaristes.
Il apparaît donc en conclusion sur ce point que la politique
d'aménagement urbain devrait être l'une des principales
préoccupations des responsables du développement, mais
l'observation nous montre que dans la réalité l'urbanisation est
souvent le domaine de l'anarchie.
11/ Corrélation entre défis démographiques et crise économique.
Quel est le rapport existant entre la démographie et
l'économie? La démographie est-elle une variable favorable ou
défavorable à la croissance économique? Qu'en est-il aujourd'hui des
analyses malthusiennes? Y'a-t-il une corrélation entre démographie
et économie (démo économie)? Plus précisément encore, la
croissance économique africaine est-elle capable d'absorber le croît
démographique? La question n'est pas nouvelle bien qu'elle ne trouve
pas encore une réponse adéquate c'est-à-dire la population optimale
en relation avec les ressources disponibles. A. SAUVY a tenté de
trouver l'optimum de population en relation avec les disponibilités en
ressources dans un espace donné. Les résultats des recherches dans le
domaine sont assez minces. On sait seulement que pour résorber le
croît démographique, un pays doit maximiser sa croissance
économique et minimiser la variable démographique. La Chine, le
Japon et même l'Inde jadis surpeuplés s'en sortent, aujourd'hui, en
réalisant des processus soutenus de croissance souvent supérieur à
deux chiffres et en tentant de limiter de manière drastique leur
accroissement démographique. Un Nigéria de 400 millions
d'habitants, un Mali, un Sénégal et Burkina de 40 à 50 millions, un
Kenya avec 100 millions peuvent-ils s'en sortir au regard de leur
situation de crise économique. du caractère très peu diversifié de
leurs systèmes productifs, de l'extrême faiblesse de leur rythme de
croissance et de leur taux élevé de croît démographique? Comme le
note E.V. de WALLE « aujourd'hui, confrontés à une masse croissante
de main-d'œuvre sous-employée, il faut raisonner en termes de
capital humain, de productivité, de qualification et de nivèau
d'instruction. L'accumulation de paysans illettrés sur des terres
fragiles n'offre guère de potentiel de croissance économique pas plus
que le trop-plein qui s'écoule vers des villes sans infrastructures et
sans industries».137
Il semble que la jeunesse de la population africaine est un
atout de taille. Qu'en est-il exactement?
1;'7 Étienne van de WALLE : La démographie de l'Afrique au Sud du Sahara, Revue
Etude, octobre 1993.
315
111/ La jeunesse de la population africaine est-ce vraiment un
atoutG
À l'heure actuelle, on compte 1,3 milliard de jeunes âgés entre
et 24 ans dans l'ensemble des pays en développement.
La question de la jeunesse est relativement nouvelle dans le
domaine de l'économie du développement. Cependant, elle n'est rien
d'autre qu'une nouvelle facette des théories sur le capital humain de
la nouvelle école de Chicago. La théorie du capital humain « aide à
rendre compte des phénomènes comme les différences de salaires
selon les personnes et selon les lieux, la forme des profits des salaires
selon l'âge, la relation entre âge et salaires, et l'effet de la
spécialisation sur la compétence.
Dans les pays en développement, particulièrement en Afrique
ou les jeunes constituent une large part de la population, la question
de la jeunesse commence à être une préoccupation majeure. Mieux,
on commence à prendre conscience du poids qu'elle pourrait jouer
dans le processus de développement à long terme, bien que, selon la
Banque mondiale, près de· la moitié de cette population est
actuellement sans travail. En plus, un nombre considérable de jeunes
ne sait ni lire ni écrire. C'est dire que la scolarité secondaire et
l'acquisition des compétences correspondantes ne peuvent avoir de
sens que si la scolarité primaire a pleinement porté ses fruits. D'où
l'impérieuse nécessité de porter les efforts d'éducation à ce niveau.
12
Figure 16 : Représentation du chômage dans le monde
bu, da chtlmAgo (poo...nl'O.'
60
50
3ll
o
Moyen.
O' ..nl&
A.f,! \Je
du"~:;,;d~
E.'op. &
As,e
conl,al.
As,a da
lEst &
Ptr.1liqul!
/\MOOli".labne
Asie
& ClII,bo.
du Sud
Ah1Que
lubnh.,itnne
_
Source: Banque Mondiale, RMD 2007, Not&: '_r' b2.,re ple:ne dénote le taux
de chômage des jeunes dans un seul pays; la port:0n cla i .·.· indiqIJe le taux
de chômage des adultes dans le même pays.
316
Dans son Rapport de 2007 portant sur « Le développement et
la prochaine génération », la Banque mondiale souligne que la
prédominance de la jeunesse comporte des risques mais ouvre aussi
des opportunités immenses. En effet, comme le souligne Paul
WOLFOWITZ, Président de la Banque mondiale, « Le fait qu'un
nombre aussi important de jeunes vivent dans les pays en
développement présente de grandes opportunités, mais aussi des
risques. Cela présente de grandes opportunités dans la mesure où de
nombreux pays auront une main-d'œuvre plus nombreuse et plus
qualifiée, et moins de personnes à charge. Mais il faut que ces jeunes
soient bien préparés de manière à créer et trouver de bons emplois»1 38
Le premier aspect soulève le volume important d'investissements
à consentir sur la jeunesse et qui ne sont pas toujours à la portée des
États. En prenant simplement le cas de l'éducation, les investissements
requis pour le primaire et le secondaire se chiffrent à environ 70
milliards de dollars pour les PED : cela représente 3% de leur PIE. Il
convient d'y ajouter d'autres charges comme la préservation contre
les grandes pandémies et la création d'emplois.
Aussi, la situation de la jeunesse actuelle en Afrique offre une
opportunité unique pour accélérer la croissance et réduire la pauvreté
moyennant trois actions déterminantes :
• Investir massivement dans l'éducation avec une amélioration
permanente de la qualité des systèmes éducatifs en évitant les
effets d'éviction
• Répondre à la demande de compétences
• Faciliter l'accès au marché du travail
Toutes ces mesures rentrent dans la politique de formation
d'un capital humain plus productif capable de porter les innovations.
Il s'agira principalement d'investissements dans l'éducation, mais
aussi dans la santé, garantir l'accès au marché par une meilleure
planification de l'emploi, auxquels la Banque mondiale ajoutera
l'exercice du civisme.
I3H François Bourguignon, économiste en chef et premier vice-président de la
Banque Mondiale pour l'économie du développement.
317
Encadré 12. L'investissement dans les jeunes est très rentable :
Estimation des effets à long terme et interactifs de l'investissement dans le
capital humain
Des chercheurs ont adapté un modèle à générations imbriquées qui a
servi à estimer l'impact macroéconomique du sida pour l'appliquer récemment à
une gamme plus élargie d'investissements dans le capital humain en Afrique: <c En
tuant essentiellement les jeunes adultes, le sida ne fait pas que détruire le capital
humain qu'ils incarnent, il prive leurs enfants des choses mêmes dont ils ont besoin
pour devenir des adultes économiquement productifs -les soins des parents, leurs
connaissances et leur capacité à financer l'éducation ". Dans une étude récente qui
modélise explicitement les effets de l'enseignement secondaire, les auteurs
estiment que l'épidémie du sida, qui a frappé le Kenya en 1990, a réduit le capital
humain et le revenu par habitant à tel point que l'on ne retrouvera pas les niveaux
de 1990 avant 2030. Un investissement dans l'éducation - sous la forme d'un
programme de 30 ans pour subventionner l'enseignement secondaire, d'un coût de
l'ordre de 0,9 % du PIB, à compter de 2000 et passant à 1,8 % du PIB en 2020 se traduira par un revenu par habitant supérieur de 7 % au niveau qui aurait été
atteint sans cette intervention, les avantages continuant de se produire bien au-delà
de 2040. la valeur actuelle nette des avantages, à des taux d'actualisation
réalistes, serait 2 à 3,5 fois supérieure à celle des coûts - un investissement fort
rentable. En raison de la synergie qui a toujours existé entre l'enseignement postprimaire et la santé des jeunes adultes, il serait encore plus avantageux d'associer
à cette subvention des mesures directes pour lutter contre l'épidémie du sida et
traiter ses victimes. Un programme associant une subvention moins importante et
des mesures pour lutter contre la pandémie et traiter ses victimes permettrait
d'obtenir, avec le même montant d'argent, des avantages encore plus
spectaculaires. Ces avantages sont imputables non pas seulement au fait que l'on
sauve des vies humaines, mais aussi au fait que l'on est encouragé à investir
davantage dans l'éducation suite à la réduction de la mortalité.
Source Banque Mondiale, Rapport mondial sur le développement 2007
318
Section 5 : La problématique de la migration internationale
«Pour l'émigration,· on peut. se poser la question de
savoir si elle est gérée collectivement ou si elle est
uniquement la réponse d'individus face à des problèmes
économiques ou sociaux. Que peut-on dire par exemple de
la grande migration européenne vers l'Amérique du
Nord? Etait-ce la gestion collective d'un excédent
démographique ou un exutoire pour des problèmes
individuels? Ce mouvement a, en fin de compte, été
bénéfique, et pour l'Europe et pour les nouvelles
populations d'Amérique du Nord. ... Si l'on imagine
comme l'ont dit certains sans aucun fondement que 50
millions d'africains débarquent en Europe, qu'est ce que
cela va changer? En soit le chiffre paraît important mais
que représente-t-il par rapport à 500 millions
d'européens? Un dixième. Si nous ne sommes pas
capables de gérer cela, nous sommes vraiment minables.
Cela ne modifiera pas nos problèmes... Les mouvements
migratoires sont indispensables pour renouveler une
société ».
Jacques VALIN.
Il Le phénomène migratoire
Les facteurs explicatifs des migrations sont à la fois nombreux
et très complexes. Certains sont dus à des situations d'ordre
économique, des troubles, des guerres, aux famines, aux effets
d'imitation, bref, à la recherche de meilleures conditions de travail et
de bien être.
L'une des causes principale de la migration des personnes est
l'amélioration des conditions de vie des migrants. En effet, ces
populations vivant dans la misère, sans travail ne trouvent d'autres
solutions que de quitter leur région, leur pays, voire leur continent.
En agissant ainsi, les migrants espèrent trouver ailleurs, mieux que ce
qu'il y a chez eux. Les personnes quittent aussi leur lieu d'origine pour
une meilleure gestion du risque.
Le modèle HARRIS-TüDARü montre le passage du secteur
rural au secteur urbain et soulève le passage du domaine du certain au
domaine du risque. Selon BAUDASSE 139 (2003), il est clair en effet
que si l'espérance de revenu dans le secteur urbain est suffisamment
grande, celle-ci peut compenser le risque encouru: il faudra pour que
les individus acceptent de migrer que l'équivalent certain (espérance
139 BAUDASSE T., « Les théories économiques des migrations », laboratoire
d'économie d'Orléans, document n° 2003-01
319
de gain diminuée de la prime de risque) de la loterie consti!Uée par
l'activité urbaine soit supérieure au revenu rural (supposé certain), il
faut et il suffit donc que l'espérance de gain en ville soit supérieure à
la somme du revenu rural et de la prime de risque.
Encadré 13. Modèle Harris-Todaro
Dans leur article pionnier de 1970, Harris et Todaro présentent un
modèle d'équilibre général à deux secteurs: rural et urbain, ce dernier se
caractérisant par la persistance du chômage à l'équilibre. Les stocks de
capital par secteur sont fixes, de même que l'offre totale de travail.
Le problème central à analyser est celui de l'alloc<'ltion de la maind'œuvre entre les secteurs.
Leur conclusion est que le mouvement de la main d'œuvre du milieu
rural vers le milieu urbain se poursuit jusqu'à ce que le salaire agricole (W A)
E
égalise le salaire espéré en milieu urbain (W U). Ce dernier est égal au
salaire urbain (Wu) que multiplie le taux d'emploi en milieu urbain, qui
mesure la probabilité perçue par un chercheur d'emploi d'être embauché
dans le secteur manufacturier.
Lu E
W A = W U = Wu (LU + Cu)
Lu, Cu: respectivement l'emploi et le chômage en milieu urbain.
Source: MAROUANI M. A., (1999), « Libéralisation commerciale et
emploi en Tunisie: un modèle d'équilibre général avec salaire d'efficience ».
httpllwww.dal.prd.fr
Les individus migrent également afin d'améliorer leur revenu
relatif dans un groupe de référence. Ce groupe de référence est selon
certains auteurs, le secteur d'émigration, par exemple le village de
provenance des migrants potentiels. La migration est vue comme une
manière d'accroître la place de la famille ou du ménage dans le
village. Ceci se fait alors en envoyant certains membres de cette
famille en ville pour travailler.
Notons que la migration se fait le plus souvent des pays en
développement vers les pays développés. Les migrants sont en
majorité des jeunes, et de plus en plus de femmes.
320
Encadré 14 . La migration comme gestion du risque
Si on reprend les observations faites par Fiels (1975), le revenu
urbain serait plus de deux (2) fois supérieur au revenu rural, tandis que le
taux d'emploi serait rarement inférieur à 80 %. Supposons un individu
risquophobe dont la fonction d'utilité dans /'incertain serait U(x) =j; ,
supposons que l'activité urbaine fournisse un revenu de 200 avec la
probabilité de 0.8 et 0 avec une probabilité de 0.2, et l'activité agricole un
revenu de 100 avec certitude:
- l'espérance d'utilité de l'activité agricole est de ..)100 = 10
- l'espérance d'utilité de l'activité urbaine est 0.8*..)200 + 0.2*.JO
=
11.31
La migration est donc avantageuse dans un tel cas, malgré
l'aversion pour le risque.
Source: Thierry Baudasse (2003), " Les théories économiques des
migrations", Laboratoire d'économie d'Orléans, document N° 2003-01,
pages 14 et 15
La migration volontaire a débuté il y a 200 ans. On distingue
différentes typologies de migrations: La migration de travail qui
est difficile à évaluer en raison du manque de chiffres dû à l'existence
du secteur informel. Ces flux migratoires concernent 100 millions
d'individus. Selon des évaluations récentes, les principaux foyers
d'accueil des migrants de travail se trouvaient en Inde et au Canada.
De nombreux pays tels que l'Espagne, l'Italie, La France, les ÉtatsUnis emploient une main d'œuvre abondante saisonnière étrangère
au moment de la culture ou de la récolte manuelle de certains fruits et
légumes. Ces travailleurs sont le plus souvent mal logés, mal payés et
avec une couverture sociale imparfaite ou inexistante, tout en étant
exposés aux pesticides et à diverses infections. La migration des
réfugiés est justifiée par des mouvements de contrainte telles les
persécutions ethniques, religieuses, régimes politiques injustes, les
guerres civiles. 50% de ces déplacements concernent l'Afrique
subsaharienne.
11/ Les mutations et tendances de la migration internationale.
La migration mondiale a connu quatre grandes mutations au
cours des 50 années qui ont suivi la seconde Guerre Mondiale.
La première concerne la chute de l'émigration des citoyens
européens, en raison d'importants mouvements au sein de l'Europe Cy
compris la Turquie). En 2000, les étrangers d'origine européenne
constituent 10.3 % contre 1.3 % en 1950. L'Europe de l'Ouest et du
Sud ont accueilli des migrants provenant de l'Asie, du Moyen-Orient
et de l'Afrique. Aussi, depuis l'effondrement de l'Union Soviétique,
321
l'Europe de l'Ouest a reçu les migrants de l'Europe de l'Est. L'effectif
des migrants de l'Europe est donc monté en flèche dépassant celui des
États-Unis, et ceci sans compter l'effectif des clandestins.
La seconde mutation est celle de l'immigration de l'Europe de
l'Est vers l'Ouest, avec l'ouverture des économies Polonaises et
Roumaines, et la chute du mur de Berlin. Les flux provenant de ces
économies ont quadruplé entre 1985 et 1989, plus d'un million de
personnes par an jusqu'en 1993.
La troisième mutation est celle qui concerne l'Amérique Latine
d'antan, grand pôle d'immigration, est devenue un important foyer
d'émigration. En 1960, elle comporte 1.8 million d'immigrés.Cette
situation est causée par la présence de son voisin au Nord plus
prospère.
La quatrième mutation a lieu après la seconde Guerre
Mondiale. Une importante vague de mIgrants en provenance d'Asie,
d'Afrique et du Moyen Orient a été observée. La première phase du
processus d'industrialisation et de transition démographique a fait le
piège de la pauvreté et déclenché une importante poussée
d'émigration.
_
En 2005, le nombre de migrants· dans le monde est évalué
entre 185 et 192 millions, soit environ 2.9 % de la population
mondiale totale. 63 % des migrants vivent dans les pays développés
contre 34 % dans les pays en développement. L'Amérique de Nord et
l'Océanie comptent plus de 10 % de migrants, l'Afrique, l'Amérique
Latine et l'Asie moins de 2% de la population de chaque région. En
2050, les démographes prévoient 230 millions de migrants pour une
population totale de 9 milliards. Le tableau 14 retrace l'effectif et le
pourcentage des migrants dans le monde.
T a hleau 1Q : Efiecti"ides mIgrants d ans 1emond e
Pop.
Migrants
Réfugiés
Régions
%
totale
(milliers)
(milliers)
(milliers)
Pays
développés
1193872
104119
59,57
5008
Pays en
développement
487670 9
70662
40,43
13 6 3 1
(667757)
(10 458)
(5,98)
(6551)
9,31
6060
(dont pays
les moins
avancés)
Afrique
322
795 6 71
16277
Régions
Asie
Europe
Amérique
Latine et
Caraïbes
Amérique
du Nord
Océanie
Pop.
totale
(milliers)
Migrants
(milliers)
3679737
%
Réfugiés
(milliers)
49781
28,48
8450
727986
56100
32,09
5649
520229
5944
3,40
576
3159 15
40844
23,37
1051
3 1 043
5835
3,34
85
100
21871
Monde
6070581
Source: Migration humame.
174781
Une des nouvelles tendances de la migration internationale est
le nombre croissant des femmes migrantes. Selon le Fonds des
Nations Unis pour la Population, (UNFPA)14 0 , les femmes
représentent aujourd'hui près de la moitié des migrants
internationaux dans le monde entier, elles sont 95 millions. Pour
certaines femmes, la migration ouvre les portes d'un monde nouveau,
leur apportant plus d'égalité, un soulagement à l'oppression et à la
discrimination qui limitent leur liberté et réduit leur potentiel.
Chaque année, ces femmes envoient dans leur pays d'origine des
centaines de millions de dollars. Cet argent permettra de nourrir des
personnes, de les habiller mieux, d'instruire des enfants, bref à lutter
contre la pauvreté. Plus d'un (1) million de dollars en rapatriement de
salaire ont été envoyés au Sri Lanka en 1999, 62 % ont été versés par
les femmes. Aux Philippines, six (6) milliards sont envoyés par an,
dont le tiers par les femmes. Ces dernières envoient un montant
moindre que les hommes, mais elles le font régulièrement.
III/ Les effets des mouvements migratoires
Les migrants échappent aux impôts dans leur pays d'origine,
mais sont imposés dans les pays d'accueil. De même, ils renoncent à
certains services pour en bénéficier dans les pays d'immigration. Ces
services peuvent être la défense nationale, la protection policière,
l'environnement naturel, les écoles publiques. Cependant, les migrants ne
peuvent pas déterminer à leur niveau le gain ou la perte due à l'émigration.
140 UNFPA, (2006), « État de la population en 2006, les femmes et la
migration internationale ».
httpll www.unfpa.org
323
1
Effets dans le pays d'origine
0
)
L'émigration suppose qu'un ou plusieurs individus renoncent
à certains services dans leur pays d'origine. Le poids de cette
renonciation ne se sent pas dans la mesure où la protection policière
par exemple, ne va pas croître.
Par contre, le fait d'échapper aux impôts peut avoir des
conséquences pour les finances du pays. En effet, les individus ont
tendance à migrer au début de l'âge adulte; ce qui signifie qu'ils
n'auront pas à payer l'impôt sur le revenu, alors qu'ils ont bénéficié de
l'enseignement public aux frais du contribuable.
2
0
)
Effets dans les pays d'accueil
En général, l'on pense que les émigrés utilisent plus de
services qu'ils ne payent d'impôts dans les pays d'accueil; ce qui n'est
pas le cas.
Aux États Unis, au Canada et même dans l'Union Européenne,
jusqu'à la fin des années 80, les immigrés payaient plus d'impôts par
rapport aux services dont ils bénéficiaient. Mais la situation s'est
inversée au cours de ces dernières années. Les immigrants utilisent
plus de ressources par rapport aux impôts qu'ils versent. Les
immigrés illégaux payent plus d'impôts que les légaux.
Le continent Africain est l'un des continents dont le flux
migratoire est de plus en plus croissant. Depuis 1990, on observe une
expansion des migrations clandestines dans toute l'Afrique.
IV/Les flux migratoires africains
Les pays africains sont confrontés à de nombreuses difficultés.
En effet, ces pays enregistrent le taux de croissance démographique le
plus rapide (3%) pour un taux mondial de 1.7 %. L'effectif de la
population qui était de 221 millions en 1950 sera de 1.3 milliards en
2025 et 1.76 milliards en 2050. La pauvreté est quasi présente dans
presque tous ces pays. Aussi, le taux de croissance du PŒ qui était de
6% par an entre 1965 et 1970 est passé à près de 0% à la fin des
années 1980 et au début des années 1990. Comme nous l'avons déjà
vu, globalement, la proportion des populations vivant dans l'extrême
pauvreté avec moins d'un dollar par jour, est passée de 56 % entre
1965 et 1969, à 65 % entre 1995 et 1999. L'endettement extérieur de
ces pays est en forte croissance; Il a multiplié de 3,3 fois en 20 ans,
passant de 60.6 milliards de dollars en 1980, à 206.1 milliards de
dollars en 2000. Devant les difficultés auxquelles ils font face dans
leur pays, les jeunes africains, filles et garçons, espèrent trouver en
Europe et aux États-Unis de meilleures conditions de vie et de travail.
Les principaux continents de migration sont alors l'Europe et les
324
États-Unis. Il existe une pluralité de voies de passage
particulièrement pour l'immigration clandestine. Les chiffres tirés de
différentes sources montrent que le nombre de migrants sud
sahariens accédant au Maghreb par ses frontières sahariennes est
entre 65000 et 80000 annuellement au cours des dernières années.
80% des migrants se dirigent vers la Libye et 20 % vers l'Algérie.
En ce qui concerne les États-Unis, les immigrants africains
sont en majorité des professionnels, des cadres et des techniciens. Le
nombre des immigrants entre 1980 et 1990 a doublé, passant de
2900 à 5800 annuellement (figure 2).1 4 1 Selon l'Organisation
Internationale du Travail (OIT) en 2005, 160 à 250 milliards de
dollars sont envoyés par les émigrés dans leur pays d'origine.
Figure 17: Immigrants africains admis aux États-Unis 19881998
Mill. . . . .
60
45
l,
30
IS
o
1987
1989
1991
1993
1995
1997
Source: ARUN PL, (2006), cc Le visas de diversité des États-Unis provoque
une fuite des cerveaux en Afrique ". http//www.prb.org
Les migrations internationales des africains, c'est-à-dire les
migrations ordinaires de travail sans compter les guerres civiles se
font surtout sur le continent lui-même. L'Afrique de l'Ouest en est un
exemple.
141 Après avoir échappés «aux passeurs escrocs », à la noyade, aux
barbelés, les candidats arrivent enfin à destination. Une fois en Europe ou
aux États-Unis, certains déchantent. En effet, pour la plupart sans formation,
ni diplôme, certains ont du mal à trouver un travail, d'autres plus chanceux
arrivent à travailler mais dans la clandestinité en effectuant des travaux
agricoles, de gardiennage. Ils arrivent par conséquent à faire des transferts
dans leur pays. Cependant, les moins chanceux seront rapatriés faute de
papiers. Lors de leur rapatriement, les migrants sont abandonnés à leur sort.
L'exemple le plus récent est celui du rapatriement des immigrés africains par
le canal du désert. Ceux-ci sont balancés d'un pays à un autre, abandonnés aux
frontières maghrébines, dont les autorités s'empressent de, s'en débarrasser.
325
V/La migration interne: le cas de l'Mrique de l'Ouest
La mobilité a joué un rôle important dans l'adaptation des
populations Ouest- africaines aux mutations de leur environnement.
En effet, les indépendances et l'entrée dans l'économie de marché ont
entraîné des changements dans le paysage économique. Les
exportations se développent très rapidement, entraînant une
croissance rapide dans les zones de culture de rente. Selon le Club du
sahel (1998), on a surtout assisté à une taxation de cette richesse par
les jeunes États, et à sa redistribution pour la création de relais
administratifs dans le territoire et pour le développement dans les
capitales.
Cette mutation a entraîné la migration de la population Ouestafricaine, qui a suivi trois (3) grandes directions:
•
•
•
un mouvement du Nord vers le Sud du pays,
un mouvement général de l'intérieur de la région vers les
zones côtières,
un mouvement rapide des campagnes vers les villes.
On observe sur l'encadré 7 un déplacement des populations
des pays enclavés tels que le Niger, le Mali, le Burkina Faso, mais
aussi côtiers, tels la Mauritanie, la Guinée (en raison de la
répression), le Ghana (en raison du déclin) vers les pays côtiers
notamment la Côte d'Ivoire, le Cameroun, le Nigeria. Cette attractivité
était due au développement des cultures de rente pour le cas de la
Côte d'Ivoire, de l'exploitation du pétrole pour le Nigeria. Ces pays ont
connu la plus forte croissance de ces dernières années avec un taux
326
d'immigration de 0.4 % par an. En 1990, l'effectif de la population
étrangère en Côte d'Ivoire est de 4.512.515 pour une population
résidante totale de 12.568.011. Cinq ans plutôt, les étrangers étaient
de 3.175.585 pour une population résidante de 10.092.735 comme
nous le montre le tableau 4. On peut observer que les migrants
s'établissent aussi bien dans le milieu rural que dans le milieu urbain.
En 1990, on compte 2-485.124 étrangers résidants dans le milieu
rural contre 1.496.687 dans le milieu urbain.
Tableau 20: Perspectives d'évolution de la population
résidente totale et de la population étrangère (par milliers)
en Côte d'Ivoire de 1965 à 1990.
Population
résidente
Population
étrangère totale
Population
étrangère en
milieu rural
Effectif
%
Population
étrangère en
milieu urbain
0/0
Effectif
0/0
Effectif
Effectif
23.3
4210000
980000
764128
6709600
1 506020
12.4
16.7 741 892
34.6
27.1 . 1 152591
2218651
34.31
23.0 1 066060
8189544
10092735
3175585
31.5
1 678898 28.8 1 496687
35.2
1990
2485124 36
12568011
4512515
35.4
2027392
35.8
,
Source: CODESRIA, (1987) cc Population et developpement en Aff/que ",
édité par Hedi JEMA, page 149
1965
1975
1980
1985
Les flux migratoires nécessitent donc une meilleure gestion de
la part des différentes parties concernées.
VII Gestion efficace de la migration
Plusieurs études scientifiques, conférences et initiatives ont
été mises en œuvre afin de trouver des solutions, qui permettront de
mieux gérer la migration.
1°) Les études scientifiques de gestion de la migration
HARRIS ET TODAR014 2 ont essayé de trouver des solutions à
travers diverses études. Ils préconisent une Policy mix143 . Ceci
permettra d'une part de limiter physiquement les migrations et
d'autre part à la distribution d'une subvention aux salaires urbains.
H2
Voir encadré 13
1~3
Traditionnellement, le concept de policy mU: est entendu au sens large à
savoir l'ensemble des combinaisons possibles entre politique budgétaire et
politique monétaire. Ici, il renvoie à une stratégie croisée, une combinaison
deux politiques pour gerer la migration.
327
En procédant à une limitation de la migration, on s'assure qu'aucune
ressource ne sera gaspillée du fait de la non utilisation de facteur de
production (chômage) et en subventionnant de manière adéquate
l'emploi urbain, on s'assure que la production manufacturière
s'établira au niveau désiré par la société, malgré l'existence du salaire
minimum urbain. BHAGWATI ET SRINIVASAN (1974)1 44 proposent
une politique qui consiste à distribuer un subside au salaire aussi bien
dans le secteur urbain que le s,ecteur rural. Cette politique permettra
d'augmenter l'emploi et la production dans -le secteur urbain, cette
augmentation d'emploi ne va pas attirer d'avantage de ruraux qui sont
à la quête d'un emploi en ville, du fait de l'existence d'un subside aux
salaires ruraux.
2°) L'initiative de Berne et la coriférence Euro-A.fri.caine de
Rabat
.
L'Initiative de BERNE lancée les 14 et 15 Juin 2001 lors du
symposium international sur la migration a L>0ur objectif d'instituer
un processus de consultation propre aux Etats, afin de stimuler
l'échange de vues et de promouvoir la compréhension des diverses
réalités et des divers intérêts dans ce domaine. Le symposium
international a conclu qu'il pourrait être utile de mettre sur pied un
cadre international informel de principes directeurs afin de faciliter la
gestion de la migration. Ces principes seraient une compréhension
des pratiques réelles dont les gouvernements pourraient s'inspirer
pour gérer plus efficacement la migration aux niveaux national et
international. À la conférence ministérielle Europe-Afrique tenue à
RABAT en Juillet 2006, sur la migration et le développement, les
Ministres se sont engagés à: «créer et à développer un partenariat
étroit entre nos pays respectifs pour travailler de façon conjointe,
suivant une approche globale, équilibrée, pragmatique et
opérationnelle dans le respect des droits fondamentaux et de la
dignité des migrants et des réfugiés, sur le phénomène des routes
migratoires quitouchent nos peuples ».
144 Thierry Baudasse (2003), « Les théories économiques des migrations
Laboratoire d'économie d'Orléans, document N° 2003-01
328
»,
Encadré 16 . La communauté internationale face à l'immigration
À l'aub'é du XXl ème siècle, la communauté mondiale comprend désormais
beaucoup mieux comment gérer de telles tensions - et c'est par la
collaboration internationale et par le respect et la promotion des droits
ème
siècle a été
humains. L'une des plus grandes conquêtes du XX
l'élaboration d'un système international des droits humains qui défend la
dignité humaine et la satisfaction des besoins fondamentaux à laquelle tout
être humain a le droit de prétendre - quelles que soient ses origines
nationales. Ce legs tire son origine de la fondation même de l'Organisation
des Nations Unies, qui comprend aujourd'hui une communauté de 191
nations chargées de trouver des solutions humainement acceptables aux
difficultés que comporte le fait de vivre dans un univers mondialisé.
Une gëstion efficace de la migration internationale suppose une coopération
mondiale, . régionale èt bilatérale. Ces dernières années, le dialogue
intergôuvernémental s'est intensifié. Grâce à liélan communiqué par les
récents enga~emènts de haut niveàu, l'année 2à06 est importante pour la
migration internationale et la définition de politiques mondiales, qui atteindra
son point fort aveé le dialogue de haut niveau. sur la migration internationale
et le développement. C'est là où réside le défi. Les gouvernements, les
parlementaires, les employeurs et la société civile tiendront-ils la promèsse
des droits humains faite à près de 200 millions de migrants internationaux?
Le monde aura les yeux fixés sur eux.
Source: UNFPA, (2006), " État de la population en 2006, les femmes et la
migration internationale, chapitre 5 ". http//www.unfpa.org
Ces mouvements migratoires ont pris de l'importance pendant ces
dernières années à cause de nombreux facteurs dont la mondialisation qui a accentué la pauvreté des uns et la richesse des autres.
Au niveau international, les efforts doivent être orientés vers
l'insertion des pays d'origine des migrants dans le commerce international. Mais èela soulève une autre question, celle de savoir si les
investissements réalisés dans les pays d'originé des migrants sont
capables de réduite ou d'arrêter les flux migratoires ehtre les villes et
entre les pays.
329
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Chapitre 12
Introduction générale aux objectifs, stratégies
et instruments de gestion du développement
Jamais dans l'histoire, la planète n'a accumulé autant de
richesses matérielles, financières et techniques. Jamais les hommes et
les femmes n'ont été aussi conscients des perspectives réelles pour la
satisfaction de leurs besoins, non seulement au sens strictement
économique mais encore au sens social et humain plus large. Et
pourtant, jamais les disparités n'ont été aussi fortes entre le Nord et le
Sud. Jamais la pauvreté n'a été aussi massive. La mondialisation
caractéristique dans la production, les finances et les échanges
apparaît ainsi comme un phénomène fortement asymétrique et clivé.
Les stratégies suivies par les pays riches comme pauvres semblent
toutes conduire l'humanité à des impasses, du point de vue des
perspectives nationales comme de celui de l'ordre mondial. 145
Les stratégies de développement telles qu'elles se sont
déployées durant le dernier quart de siècle ont multiplié les
problèmes des nations et des individus qui les peuplent.
Paradoxalement, rabondance n'a pas apporté de manière
subs-tantielle l'amélioration du niveau ou de la qualité de vie aux
popu-Iations. Elle a plutôt pollué l'environnement, gaspillé de
gigantesques ressources, engendré la peur et le doute relativement
. aux relations intergénérationnelles.
L'incapacité à maîtriser les turbulences des systèmes
économiques et financiers, à gérer les risques et les incertitudes et à
gouverner l'ordre mondial sont quelques manifestations évidentes du
fait que des changements fondamentaux sont, aujourd'hui, indispensables et urgents, dans toutes les sphères des sociétés. Concernant
les PSD, non sculement la pauvreté est grandissante, mais les
populations sont de plus en plus insatisfaites et impatientes et les
jeunesses frustrées de leur pénurie quant aux nécessités les plus
élémentaires de la vie: éducation, emploi, nourriture, soins
médicaux, logemcnt, eau potable. Or, il est bien connu qu'un monde
qui désespère est un monde qui va exploser.
Que faire? À quoi servent toutes les théories et les modèles?
Sont-ils capables de transformer pareille situation par la force des
idées?
La question de la scientificité de l'économie est à nouveau
posée. En vérité cc n'est pas une question désincarnée: l'économie
145 Moustapha K.\SSÉ: Consultation du BIT sur « La mondialisation et ses conséquences
sociales », Dakar, et Arusha, 2004
331
n'est une science que si elle aide à comprendre le monde (théorie
positive) et à dégager des instruments pour le transformer (théorie
normative). En conséquence, la communauté des économistes,
surtout africains, devrait partager un système de référence et des
informations suffisantes, relatives au cadre conceptuel qui a influencé
le processus du développement et qui a abouti à l'élaboration du
Consensus de Washington, fondement doctrinal des Programmes
d'Ajustement Structurel. Toutefois, les résultats mitigés et les
multiples contestations de cette épure imposent aujourd'hui, un
nouveau questionnement sur les stratégies du développement qui,
tenant compte des enseignements du «grand miracle» des pays
d'Asie, devraient déboucher sur de nouvelles formulations du
développement africain.
Section 1 : Les objectifs en matière de développement
Ces objectifs sont ceux que les techniciens du développement
posent à l'appréciation des décideurs et autres acteurs chargés de
conduire les politiques économiques et de choisir, en dernière
instance, les instruments et moyens de leur mise en œuvre. Ces
objectifs sont reliés aux facteurs ou structures de nature économique,
politique ou sociale qui facilitent ou au contraire brident les politiques
économiques. Ils peuvent être classés en deux catégories ceux qui
sont relatifs à l'économie interne et ceux concernant les relations avec
l'extérieur dans une économie ouverte.
Il Les objectifs internes
L'analyse des caractéristiques économiques et même extraéconomique des PSD a montré à souhait que les structures
économiques, politiques et sociales des PSD sont traversées par des
distorsions structurelles et des dysfonctionnements qui constituent
autant de handicaps ou de freins pour le succès des politiques
économique et soei.. !e. Ces éléments sont bien connus et fonctionnent
comme des contraintes qu'il faut préalablement lever. Il s'agit de la
croissance, de l'int{'~~ration de l'économie et sa diversification, de la
mise en place d'institutions démocratiques et de la formation des
ressources humaines.
1°) La croissance comme la priorité des priorités
Quelle que suit la société dans laquelle les citoyens désirent
vivre, seule la croissance permet de sortir des manques issus du sousdéveloppement ct de donner des mi, ~~es de manœuvres aux
politiques. Aujourd'hui et dans le cadre ae.; PSD, ,:lIe n'est plus le
résultat d'un syslèl:. C économique (libéral, socii:1lish: ou tout autre)
332
mais un objectif que vise tout pays lancé sur les sentiers du
développement pour accroître le niveau des forces· productives
matérielles et humaines et le bien-être des populations. Étant le
produit de la combinaison de plusieurs facteurs, il revient aux
économistes et aux techniciens du développement d'élaborer les
politiques possibles de croissance, de fixer le taux que durablement le
pays peut soutenir, compte tenu des ressources dont il peut disposer.
11 leur revient également de sélectionner les moyens cohérents pour
atteindre les objectifs retenus. Tous ces schémas et leur réalisation
sont alors soumis à l'arbitrage des décideurs qui les transforment en
volonté politique.
2°) Le deuxième objectif interne est l'Intégration et la
diversification de l'Économie
La plupart des pays africains présente un ensemble de
désarticulation structurelle de l'espace qu'il faut corriger pour créer
une plus grande cohérence permettant une libre circulation des
Hommes et des biens préalable au fonctionnement d'un marché. On
observe une véritable fracture territoriale qui procède à une
distribution très inégale de la population par suite d'une urbanisation
rapide et chaotique avec plus de 50% se concentrant sur un espace
bien réduit du territoire. Cet effet de polarisation' sera aggravé par le
gigantisme des mégalopoles africaines: de grosses têtes sur de petits
corps. Ce mouvement s'accompagne avec son corollaire: le déclin
continu des régions. De plus, la mégalopole exerce des effets
d'attraction sur les hommes, les capitaux, les marchandises, les
services, la vie intellectuelle et sociale. Alors, il s'opère un double jeu:
d'un côté des effets d'attraction (spread effects) et de l'autre des effets
d'appauvrissement (backwash effects) pour les régions de l'intérieur.
Ces derniers effets se manifestent sous des formes diverses:
émigration des éléments les plus jeunes et les plus actifs vers la
mégalopole, émigration des capitaux, faibles opportunités
d'investissements et d'industrialisation, régression de l'agriculture et
insuffisance des services publics.
Pour corriger ces déséquilibres, il faut alors développer conséquemment les infrastructures de base, les moyens de communication
et de transport qui brisent les petites économies fermées et
autarciques et les rattachent au réseau des échanges internes,
promouvoir la décentralisation des infrastructures et institutions de
modernisation de la vie économique et sociale: école, santé, réseau
d'institutions de crédit spécialisées et adaptées aux conditions
existantes. Ce point est important pour la formation d'une économie
monétaire et d'une bonne propagation des flux mo~ét::i~~s.
Un sous-objectif décisif est la recherche de la diversification de
l'économie. La forte spécialisation des économies sous-développées
333
est régressive et renforce la dépendance et l'instabilité de la
croissance économique. Il importe alors d'y remédier par
l'organisation d'une économie diversifiée, avec le développement
d'activités économiques qui se soutiennent mutuellement et suscitent
une demande suffisante. Cela appelle un développement équilibré et
articulé des divers secteurs économiques: agriculture, industrie et
tertiaire. Comme l'observe J.K. Galbraith, «un pays purement agricole
a toutes les chances d'être non progressif, même dans son
agriculture»14 6
3°) Le troisième objectif est la construction d'un
cadre démocratique
Il y eut une époque, où dans la pensée économique la
conviction la plus forte était que la gestion de l'économie ne relevait
pas d'un processus de négociation politique, mais au contraire, c'était
l'immixtion des questions politiques dans la sphère économique qui
perturbait cette dernière. Il était alors exclu d'évoquer toute question
qui n'était pas strictement économique, et notamment les questions
politiques et sociales. Progressivement pourtant, il est apparu qu'il
était extrêmement difficile de mener des réformes économiques sans
considération de leur environnement normatif et institutionnel,'ni de
leur légitimité politique et sociale. 147 Beaucoup de pays africains ont
parcouru un long chemin sur la voie de l'achèvement d'une
démocratie ouverte, libérale, pluraliste, favorable au développement
de l'initiative privée et à la bonne marche des affaires. Dans la bonne
moyenne des pays africains, la construction d'un État de Droit appuyé
sur des institutions administratives et judiciaires indépendantes est
une condition sine qua non du développement. Dans ce cadre comme
le note Eric Weil, «l'administration doit être l'organe de la rationalité
technique dans la société particulière»148
Le pluralisme politique, le contrôle de la légalité, ainsi que,
désormais, la décentralisation, ont fini par former un cadre juridique
au sein duquel les "prérogatives exorbitantes du droit commun", le
"fait du prince" et autres privilèges dont la puissance publique pouvait
se prévaloir, ont été progressivement limités. Il doit être loisible aux
citoyens d'aller et venir, de participer à la gestion des affaires
publiques comme d'entreprendre, sans que ces libertés puissent être
obstruées ni remises en cause par la puissance publique: Cette
dernière tentera au contraire d'accompagner leurs efforts en les
146 J.K. GALBRAITH: Conditions for Economie Ch~.nge in Under- developed
countnes. Journal of Fam Economies, p. 690, !J(, 19.1:;1
147 Pro Moustapha KASSÉ: Démocratie et développe.fLent, Co)'::ction « Le
Point Sur» NEA, 1991
148 1) Philosophie politique, (Éd. Vrin).
334
gênant le moins possible. La meilleure preuve en est la souplesse avec
laquelle l'administration contrôle le développement des activités
économiques, que ces dernières relèvent ou non du secteur formel. Au
lieu d'adresser des commandements tatillons, et suivant en cela des
choix politiques, elle tente plutôt d'accompagner les initiatives privées
dans la voie de leur croissance et de leur modernisation. Également, le
transfert à l'échelon local de compétences auparavant détenues par le
pouvoir central témoigne de la volonté de gérer les affaires publiques
au plus près des besoins des populations, dans le respect de l'intérêt
général.
Le fonctionnement régulier d'un cadre démocratique doit se
généraliser en Afrique et se mesurer à l'aune de lois et règlements qui
assurent et facilitent:
• D'abord, la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et
judiciaire;
• Ensuite, l'existence et le fonctionnement de contrepouvoirs
comme une société civile forte et active, un organe anticorruption indépendant, une commission indépendante des
droits de l'homme et des structures d'harmonisation et
d'exécution des activités liées aux femmes;
• En outre, la mise en place d'un système électoral transparent
capable d'organiser des élections libres et disputées pour que
la sanction démocratique puisse effectivement s'exercer;
• Enfin, le fonctionnement sans entrave d'une administration
publique à la fois compétente, efficace, souple et transparente.
Bien souvent, si les politiques tardent à produire des résultats,
ce serait essentiellement à cause d'une administration
inefficiente dont il faut limiter l'inclinaison à la corruption.
4°) Le quatrième objectifest la formation des ressources
humaines de qualité pour le développement économique
et social
Dans un monde où les produits, les capitaux et les
technologies circulent et s'échangent librement, ce sont les ressources
humaines qui font la différence. Comme l'observe Samuel PISAR c'est
la ressource humaine qui différenciera les performances des divers
pays. Dans ces conditions, il devient nécessaire d'opérer des investissements massifs dans la formation des hommes.
335
III Les objectifs externes
Ils se réduisent à la recherche de voies et moyens pour tirer
grand profit de la mondialisation. Il est complètement douteux que
les PSD puissent se déconnecter du système mondial d'échanges et de
paiements: ils le sont déjà de fait. Le problème est plutôt de s'ouvrir
par des exportations en vue de trouver les recettes nécessaires au
financement des importations d'équipement. Également, ils doivent
aménager leur environnement pour le rendre plus incitatif pour
attirer les IDE surtout dans le contexte actuel de baisse drastique de
l'aide publique au développement.
Dans le cas de l'Afrique il faudra développer le L~:mmerce intra
africain par des processus d'intégration dont l'analyse sera
approfondie ultérieurement.
Section 2: Les stratégies de développement économique: le
débat entre anciens et nouveaux économistes, entre orthodoxes
et hétérodoxes.
Il Les anciennes approches des stratégies de développement
Le cadre intellectuel qui a influencé les différentes approches
des processus de développement économique du dernier quart de
siècle gravitait autour de la croissance économique considérée comme
voie unique de sortie du sous-développement. Les pays qui
s'engageaient dans ce processus devaient réaliser une croissance
accélérée, au taux le plus élevé possible compte tenu des ressources
disponibles. De plus, il était souhaité que cette croissance fût
harmonieuse, équilibrée et débarrassée de toute fluctuation trop forte
en baisse comme en hausse.
L'adaptation du modèle aux pays en développement allait
inclure d'autres facteurs comme la quantité et la qualité «réelles» de
l'aide étrangère et des transferts de technologie destinés à compléter
le capital local insuffisant. Les faibles efforts de mobilisation internes
des ressources, rendaient les estimations concernant les possibilités
de croissance rapide sans grande valeur pratique dans le modèle.
Les études de la Banque Mondiale (BM) et du Programme des
Nations-Unies pour le Développement (PNUD) ont largement montré
que les aides et les transferts de technologie ont principalement servi
à créer des sociétés «molles» et à augmenter l'endettement extérieur
qui devient aujourd'hui insoutenable. C'est pourquoi, le Président
Abdoulaye WADE, dans «Le Plan Oméga pour l'Afrique» montre
justement que le binôme aide-endettement était entré dans une
impasse totale, ce qui impose de nouvelles formules pour le
financement du développement.
336
En ce qui concerne la fameuse question du transfert de
technologie, les firmes multinationales qui furent les principaux
vecteurs de cette politique ont tiré de leur «know-how» et de leurs
équipements un prix excessif. En conséquence, la technologie
«empruntée» pour la substitution aux importations et qui est à haute
intensité de capital, n'avait que de très faibles liens avec la
valorisation des ressources naturelles et la main-d'œuvre, ou avec le
reste de l'équipement technologique existant dans les pays récepteurs.
C'est pour enquêter sur la réalité et les résultats des efforts
d'aide et de développement international des années 50 à 60 et pour
les ajuster aux besoins de modernisation des pays pauvres que la
Commission PEARSON fut créée en 1968 par la Banque Mondiale. Le
Rapport Pearson jugea que l'écart grandissant entre pays développés
et pays en développement était devenu l'un des principaux problèmes
de notre temps. Comme solution, il recommandait pour ces derniers
pays un taux de croissance de 6% par an, une réduction des barrières
douanières des pays développés, l'augmentation de l'aide étrangère
privée et un transfert de 1% du PNB des pays développés aux pays en
développement.
Il fut dès le départ évident que la Commission avait sousestimé l'importance de la crise mondiale menaçante et minimisé les
extraordinaires privilèges des pays riches dans une tentative de
restaurer l'ancien mythe d'«un monde unique». Ses vues sur le
développement se situaient dans le vieux cadre intellectuel décrit cidessus et ne cherchaient nullement à aller au-delà.
11/ Le Consensus de Washington: l'instauration d'un
modèle d'économie de marché.
La crise économique des années 70 et 80 réactive le débat de
fond sur «le sous-développement et ses solutions», en particulier
entre groupes de spécialistes des sciences sociales désireux d'une part,
d'aller au-delà du Rapport Pearson et de son référentiel normatif
d'analyse économique et d'autre part, d'examiner toutes les réalités
économiques, mais aussi sociales et historiques dissimulées par
l'ancien schéma analytique du développement. Tandis que le débat se
développait, deux Écoles pouvaient clairement être identifiées.
0
) L'École orthodoxe et les réformes pour une économie de
marché.
1
La première École, celle des tenants de l'orthodoxie de
l'économie libérale, estime qu'il faut redéfinir la philosophie et les
objectifs du développement qui se réduisent pour l'essentiel à la
croissance économique. Dans les années 80, suite à la crise de la
dette, l'intervention des Institutions de Bretton Woods dans le débat
337
sur le développement va s'accompagner de profondes transformations, tant dans la pratique que dans la réflexion. Une nouvelle ère
en matière de développement est ouverte, que les spécialistes vont
assimiler au "Consensus de Washington" qui remettait en cause la
théorie du développement et la / spécificité des sociétés sousdéveloppées. Il constitue en somme une sorte de revanche de la
théorie néo-classique qui, sur la base d~ l'échec des stratégies de
développement et des théories qui les portent, va étendre le champ
d'application de son cadre d'analyse aux sociétés sous-développées.
Encadré 17. Le Consensus de Washington.
L'expression consensus de Washington est née sous la plume de John
WILLIAMSON (1990). Elle constitue le couronnement de la doctrine néolibérale cc recommandée" par la communauté financière internationale aux
pays en voie de développement pour les amener à s'ouvrir au processus de
mondialisation. Elle est fondée sur une série de principes dont le plus
importants sont:
• la discipline fiscale c'est-à-dire des équilibres budgétaires et la
baisse des prélèvements fiscaux;
• la libéralisation financière avec la fixation des taux d'intérêt
administrés en faveur des investissements prioritaires;
• la libéralisation commerciale avec la suppression des
protections douanières ;
• l'ouverture totale des économies aux mouvements des capitaux
et, en particulier à l'investissement direct;
• la privatisation de l'ensemble des entreprises;
• la déréglementation c'est-à-dire l'élimination de tous les
obstacles à la concurrence;
• la protection légale des droits de propriété intellectuelle des
multinationales.
Le consensus de Washington a constitué le fondement des politiques
menées par la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI)
basé sur le triptyque stabilisation, libéralisation, privatisation. Mais cette
doctrine a fait l'objet de vives critiques par suite des dégâts qu'elle a causés.
Au début des années 2000, à la suite de leurs échecs, la Banque mondiale
et le FMI ont infléchi leur doctrine reconnaissant qu'il faut également
s'inquiéter de la démocratie, des inégalités et du fonctionnement de l'État.
Dominique PLI HON : Le nouveau capitalisme, Collection Repères,
La Découverte, Paris 2003. p 24
Du point de vue théorique, le Consensus de Washington remet
en cause toute forme d'interventionnisme étatique et proclame la
suprématie du marché dans l'allocation des ressources. Ce discours se
338
rattache à la doctrine de l'équilibre général qui conçoit la possibilité
d'une économie décentralisée suite, à l'émergence des prix d'équilibre
résultant de la confrontation sur le marché de l'offre et de la demande
des agents économiques. D'autre part, le consensus de Washington
remet à l'ordre du jour les théories de l'avantage comparatif pour
critiquer les choix d'import-substitution ou d'industrialisation liée au
marché interne, et pour justifier une insertion internationale basée
sur les dotations en facteurs des pays sous-développés. Ainsi,
désengagement de l'État, régul~tion marchande et avantages
comparatifs seront les maîtres-mots des années 80, mais aussi les
piliers de l'ajustement structurel.
Confrontés aux déséquilibres financiers, à la montée de
l'endettement et à la stagnation de la production pendant la décennie
des années 80, les pays d'Afrique ont été contraints de privilégier les
politiques d'ajustement et de stabilisation par rapport aux politiques
de développement et aux plans à moyen et long terme. L'approche en
termes d'ajustement structurel est largement justifiée par le gaspillage
des ressources, l'inefficacité de l'économie administrée et le poids des
distorsions introduites dans le système de formation des prix et des
revenus sur les marchés des biens et services, du travail, des capitaux
et des changes.
Les PAS cherchaient à mettre en place un volet stabilisation
afin de réduire les déficits et de promouvoir une série de réformes
structurelles pour assurer une plus grande régulation privée de
l'économie et accroître l'insertion des économies nationales dans une
mondialisation jugée incontournable et irréversible. Pour cette École
orthodoxe les PAS constituent une solution appropriée à la crise
économique africaine des années 80 et de celle provenant en grande
partie des politiques économiques erronées des années 60 et 70.
Après plus d'une décennie de réforme introduite par les PAS dans les
pays subsahariens, la Banque Mondiale (World Bank, 1994) conclut,
en se basant sur les éléments d'appréciation recueillis dans 29 pays
engagés dans la voie de l'ajustement, que les réformes ont été
payantes et que les pays qui ont fait un effort particulier ont bénéficié
d'un retournement tant au plan de la croissance que de la situation
socio-économique, bien que ce retournement soit encore fragile.
Les contre-performances (ou l'absence de développement)
observées dans les années 90 seraient alors en grande partie
attribuées au fait que les politiques «rationnelles» que comportaient
les PAS n'ont pas été correctement appliquées. Les facteurs qui
paraissent avoir empêché le bon déroulement des réformes sont
nombreux. Diverses études de la Banque Mondiale notent des
contraintes telles que :
339
•
•
•
•
•
les difficultés à faire passer des réformes institutionnelles
politiquement délicates (en raison de la puissance des groupes
de pression) ;
le fait que les gouvernements concernés n'ont pas assumé la
paternité des réformes ;
l'insuffisance des financements extérieurs ou de crédits pour la
mise en œuvre des programmes ;
pour les pays subsahariens, la faiblesse des moyens
administratifs et institutionnels disponibles pour la mise en
œuvre des réformes ;
et, dans certains cas, le manque de réalisme des concepteurs
des divers programmes quant à la rapidité et la chronologie
des réformes à mettre en œuvre.
Au demeurant, si les PAS ont permis à certaines économies
.
d'améliorer et de rétablir leurs déséquilibres macroéconomiques, ils
n'ont pas réussi à initier de nouvelles dynamiques de croissance
durable, suite à l'essoufflement des stratégies d'import-substitution.
Par ailleurs, ces réformes se sont traduites par une détérioration des
conditions de vie des populations et par un accroissement de la
pauvreté. Également, les programmes n'ont pas favorisé la
construction de nouvelles normes économiques et sociales pour
succéder aux normes en crise. Au contraire, ils ont accéléré la
décomposition des normes en crise et approfondi ainsi la régression
économique et sociale. Cette crise économique et sociale a eu des
conséquences politiques importantes à travers la contestation de la
légitimité de l'État. Par ailleurs, le désengagement de l'État et la
libéralisation économique se sont traduits par l'émergence, dans la
plupart des pays, de nouveaux acteurs politico-financiers qui ont
cherché à contrôler l'économie. L'affaiblissement de l'État et son
extinction programmée dans certaines régions ont conduit parfois au
développement de la corruption et à la constitution de fortunes sur la
base de situation de rente.
2°) L'École hétérodoxe et la réhabilitation de l'État
Ces médiocres résultats ont été à l'origine de la remise en
cause des fondements théoriques et des choix de développement du
consensus de Washington par l'École dite hétérodoxe. En effet, une
ère nouvelle est ouverte dans le champ de l'économie du
développement depuis le milieu des années 90 qu'on qualifiera de
période de post-ajustement qui est caractérisée par des interrogations
sur la pertinence et les performances des PAS et la recherche
dynamique et plurielle de nouvelles stratégies de développement. À ce
niveau, les derniers Rapports de la Banque Mondiale sur le
Développement offrent une illustration de cette évolution. Désormais,
340
l'État et les institutions sont réintégrés dans le champ de l'analyse et
de la praxis.
Un Rapport d'un groupe d'experts de l'Université des NationsUnies sur le Développement Humain et Social avait contesté cette
approche des fondamentalistes en déclarant catégoriquement que « le
développement n'a fondamentalement rien à voir avec les chiffres de
revenu national et sa croissance; il n'a rien à voir avec seulement les
taux d'épargne et les coefficients de capital; il a à voir avec les êtres
humains, par eux et pour eux. Le développement doit, par conséquent, commencer par ndentification des besoins humains. Son but
est de relever le niveau de vie des masses et de donner à tous les
hommes une chance de développer leurs potentialités. Cela implique
que l'on réponde à des besoins comme ceux d'un travail permanent,
de salaires réguliers et convenables, d'écoles plus nombreuses et de
meilleure qualité, d'un meilleur service médical, de transports bon
marché, d'un niveau général de revenu plus élevé. Cela implique aussi
que l'on satisfasse les besoins et désirs non matériels: autodétermination, autonomie, liberté politique et sécurité, participation à
la prise des décisions affectant travailleurs et citoyens, identité
nationale et culturelle, et désir de sentir que la vie et le travail ont un
sens ».
L'École hétérodoxe composée pour l'essentiel des différents
courants marxistes et néo-marxistes ainsi que des institutionnalistes
et des «tiers-mondistes », reprend à son compte certaines de ces
critiques de l'Université des Nations-Unies mais avec des
formulations techniques nettement améliorées. Malgré son caractère
idéologiquement hétérogène, les auteurs s'éloignent du modèle
walrassien en reconnaissant les imperfections du marché et
l'incapacité des politiques de stabilisation et d'ajustement orthodoxe à
opérer les transformations nécessaires à une reprise durable de la
croissance dans le Tiers-Monde.
Dans ce sens, J. STIGLITZ, ancien économiste principal de la
Banque mondiale estime que «si les politiques économiques issues du
consensus de Washington se sont avérées aussi peu performantes
dans ce qui était leur objectif principal à savoir l'instauration d'un
processus vertueux de croissance économique harmonieuse; c'est
parce qu'elles ont confondu les moyens avec les fins». En effet, même
«un taux de croissance élevé n'a· constitué et ne constitue pas une
garantie contre une aggravation de la pauvreté» (MAHBUB UL
HACQ: Banque mondiale). La libéralisation, la recherche des grands
équilibres, les privatisations sont prises comme des fins plutôt que
comme des moyens d'une croissance durable et équitable. De plus, ces
politiques se sont beaucoup trop focalisées sur la stabilité des prix
plutôt que sur celle de la croissance et de la production. Elles n'ont
pas su reconnaître que le renforcement des institutions financières est
341
aussi important pour la stabilité économique que la maîtrise des
déficits budgétaires et de la masse monétaire. Elles se sont
concentrées sur les privatisations, mais elles n'ont guère attaché assez
d'importance à l'infrastructure institutionnelle nécessaire au bon
fonctionnement des marchés, et particulièrement à la concurrence et
à la compétitivité.
Depuis les années 90, la médiocrité persistante des
performances économiques et financières a continué de se manifester
à travers la détérioration généralisée des indicateurs macroéconomiques, la désintégration des structures de production et des
infrastructures et la détérioration rapide du bien-être social
notamment l'éducation, la santé publique et le logement, a appelé le
nécessaire ajustement de l'ajustement. En effet, pour beaucoup
d'économistes partisans de cette approche hétérodoxe, l'échec du
développement dans les pays subsahariens est avant tout le produit:
de l'échec des politiques économiques adoptées après l'indépendance,
dans les années 60 et 70 ; de l'échec des PAS mis en œuvre dans les
années 80 pour remédier aux faiblesses structurelles des économies et
des institutions des pays subsahariens.
Ces faiblesses tiennent pour l'essentiel à la distorsion de la
structure des échanges (à cause de la place excessive des produits
primaires), au manque de modernisation de l'agriculture, à
l'étroitesse et à la faiblesse de la base industrielle, et avant tout au
niveau extrêmement faible de développement des ressources
humaines ainsi qu'à l'insuffisance du réseau des transports et des
équipements d'infrastructure dans les régions rurales (CORNIA,
1991). Pour ces économistes, l'analyse de la stratégie de
développement à long terme montre qu'il est vital de trouver des
solutions pour remédier à l'insuffisance des ressources humaines et
des infrastructures.
D'ailleurs, si les analystes ne semblent pas imputer totalement
la stagnation économique des pays subsahariens aux seuls
programmes d'ajustement en tant que tels, ils soulignent cependant
qu'en accordant une prépondérance quasi absolue aux mesures de
stabilisation à court terme, au lieu de s'attaquer aux problèmes
structurels fondamentaux, ces programmes ont en fait amené les
économies africaines à s'écarter de la voie d'une croissance durable
(CORNIA, 1991; STEWART, 1992). Certains estiment même avec
force arguments tirés de l'analyse économique qu'un cadre de
développement modifié peut encore fonctionner « efficacement» :
• si' la justice sociale ou distributive est intégrée dans les
modèles;
• s'il existe des institutions fiables,· démocratiques et
transparentes de coordination des transactions des acteurs, et
qui soient capables de faire fonctionner un système de
342
•
•
planification techniquement rénové essentiellement du haut
vers le bas («top down») ;
si la participation populaire dans la gestion du développement
est assurée ;
et si les Institutions Financières Internationales et le système
économique des Nations Unies assurent un processus continu
de transfert pour une part raisonnable des ressources des pays
riches aux pays pauvres.
En définitive le continent africain est à la recherche d'une
nouvelle vision, d'un paradigme et d'un programme alternatif de
développement considéré comme une transformation de la société. La
question centrale est alors: comment mettre en place un système
économique et financier performant et jeter les bases de
fonctionnement d'une société démocratique? Dans ce contexte, il faut
tirer, pour le continent africain, toutes les leçons du miracle asiatique.
La croissance rapide des pays d'Asie de l'Est a montré que le
développement était possible et qu'il pouvait s'accompagner d'une
réduction de la pauvreté, d'une amélioration largement partagée du
niveau de vie et même d'un processus de démocratisation.
Évidemment, dans la phase ascendante des PAS les
expériences du miracle Est-asiatique étaient considérablement
dérangeantes pour les défenseurs des solutions orthodoxes, car ces
pays ne se sont pas conformés aux prescriptions habituelles des
Institutions Financières Internationales. Dans la plupart des cas,
l'État a joué un rôle efficace de création et d'orientation des
ressources vers des projets à long terme. Cet État a été qualifié
d'État «pro» c'est-à-dire promoteur, producteur, prospecteur et
programmeur. Les gouvernements ont suivi certaines des
.prescriptions techniques habituelles, comme la politique
macroéconomique stable, mais ils ont ignoré les autres. Par exemple,
au lieu de privatiser, ils ont crée des entreprises hautement
productives et plus généralement ils ont mené une politique
industrielle pour développer certains secteurs. Les pouvoirs publics
intervenaient dans le commerée, même si c'était plus pour favoriser
les exportations que pour limiter les' importations. Également, ils se
sont engagés dans un timide encadrement du secteur financier, en
abaissant les taux d'intérêt et en augmentant la rentabilité des
banques et des entreprises.
111/ La nouvelle stratégie de l'émergence dans le contexte
africain.
Théoriciens et praticiens sont de plus en plus d'accord sur le
fait qu'un nouveau cadre de concepts tels que celui évoqué ci-dessus
343
est nécessaire pour la remise en cause des phénomènes critiques (et
interdépendants) qui affectent partout le développement et pour nous
aider à comprendre la nature des nouvelles forces qui apparaissent
partout dans le monde et qui poussent au changement.
Cette remise en cause ne doit pas seulement refléter une
réforme de l'ancien cadre du développement économique, rendu un
peu plus efficace par l'incorporation d'un peu plus de justice sociale et
distributive. Elle doit également redéfinir les orientations (approche
positive) et les politiques à mettre en œuvre (approche normative).
Cette redéfinition doit être tentée en étudiant l'expérience
historique des pays développés ou en développement, et non plus à
partir de théories a priori totalement détachées des réalités. Des sousmodèles spécifiques à un pays pourraient être élaborés pour chercher
à opérationnaliser le nouveau cadre. Un cadre de concepts différents,
constitué par un nouvel ensemble d'objectifs et par un nouveau
processus, reste cependant une condition préliminaire et nécessaire
pour que les sous-modèles puissent être applicables et politiquement
valables. Un cadre international de soutien devrait également être
élaboré. Mais avant que ce nouveau cadre international puisse
apparaître, il faudra peut-être le détacher d'abord des relations
globales existantes pour le faire rentrer, à de nouvelles conditions,
dans de nouvelles institutions.
La tâche des économistes, toutes options idéologiques
confondues, est d'appréhender la situation d'ensemble des pays
africains, d'identifier les éléments sur lesquels il y a accord afin de
définir le nouveau cadre général de concepts en phase parfaite avec
l'axiomatique de la rationalité économique.
Les éléments à inclure dans ce cadre de concepts peuvent être
jugés en fonction des critères ci-après:
• la définition d'objectifs strictement économiques qui
permettent de s'engager dans la voie d'un développement
durable et d'échapper au piège de la pauvreté;
• la restructuration des institutions de gouvernance et la
reconstruction de l'État en vue de la création d'un
environnement institutionnel plus incitatif pour les politiques
de. développement ;
• la mise en œuvre de politiques sectorielles pertinentes dans le
cadre d'une estimation réaliste de la dotation en ressources
naturelles, et qui accordent à l'agriculture et aux technologies
un rôle moteur dans la réalisation de la croissance;
• l'élaboration de politiques publiques efficaces d'allocation
optimale des ressources en faveur des activités productives;
• le choix d'une politique de redistribution des revenus qui
maximise les potentialités endogènes de développement;
344
•
•
la mobilisation de la communauté internationale dans le cadre
d'un nouveau;
partenariat qui accroisse les ressources financières à long
terme et les investissements privés directs étrangers.
1°) Approche positive de l'émergence économique
Dans la littérature, il n'existe pas de définition universelle du
concept d'économie émergente. Les conceptions diffèrent d'un auteur
à un autre et surtout d'une institution à une autre. L'émergence n'est
pas seulement un concept dynamique, elle est un concept plus global
qui ne se polarise pas seulement sur un marché, une bourse, une
place financière, elle concerne le pays tout entier.
Dès lors, un pays peut être considéré comme émergent pour
deux raisons bien distinctes. D'une part, il connaît un taux de
croissance relativement élevé sur une période longue, parce qu'il a
réussi à développer son commerce extérieur et à accroître
sensiblement ses exportations; notamment de produits manufacturés
dans lesquels il s'est spécialisé: il s'est alors intégré au marché
mondial. D'autre part, il a institué ou réactivé un marché financier sur
lequel les transactions peuvent se développer parce qu'il a incité les
entreprises à se financer de cette façon à partir de l'épargne aussi bien
nationale qu'étrangère; il a probablement rendu sa monnaie
convertible et libéré les flux de capitaux: il s'est intégré à la finance
internationale.
Le maintien de ce double mouvement devrait déclencher un
processus de rattrapage économique des pays développés. Vu sous cet
angle, quatorze pays sont retenus comme pays émergents; Hong
Kong, Singapour, Malaisie, Taïwan, Thaïlande, Indonésie,
Philippines, Corée du Sud, Colombie, Chili, Mexique, Brésil,
Argentine et Venezuela (Banque Mondiale dans sa revue «Working
Papen». Pour couper court à toute confusion entre pays émergents et
nouveaux pays industrialisés, la Banque Mondiale retient seulement
les pays émergents d'Asie de l'Est comme les nouveaux pays
industrialisés. La célèbre revue«The Economist» dans sa section
«Emerging Market Indicator» publie des informations statistiques
sur un ensemble de pays comprenant en plus des pays retenus par la
Banque Mondiale, la Grèce, Israël, le Portugal, la Pologne, la Turquie,
la Hongrie, la Russie, la République Tchèque et l'Mrique du Sud.
D'autres auteurs, tout en acceptant le point de vue de la
Banque Mondiale, se dema,ndent si la Tunisie, le Botswana, et l'Île
Maurice ne peuvent pas être considérés comme des pays émergents
du Contient africain. Au regard des deux critères avancés, ils ne le
sont pas, ce qui permet alors d'introduire le concept médian de pays
345
sub~émerg~nts c'est-à..dire des pays qui mettent toutes
en place pour devenir des pays émergents.
le~ conditions
2°) Approche normative\efpré':requis de l'émergence.
Lorsqu'qn, ,analyS:e l~perforro~nee ,supé~ieure' de, l'Asie,
pendant ces 30 dernières' années, elle est' attribuable selon
LINDAUER, ET ROMER (1993) "à trois: éléments, interdépendants
comme le mode 'de gouvernance,' et la'qualité" des institutions de
l'économie, ,l'utilisation optimale "des, facteurs de production
disponibles et ' le 'contenu 'de la,' stratégie de développement. La
conjugaison de ces éléments a générfl'ouverture sur,lesmarché.s
extérieurs, le dynamisme, du ," secteur, privé, l'efficience" de
l'administration, des systèmes'fmanciers, de la main d'œuvre, les
infrastructures et leS institutio~s d'encadrelllerii.ll faut chercher à
quantifier tous ces élé~ntspotlr miel,lX comprendre ,le process~, ,de
génération de cette croissance 'd\.j.rab~,en Asie., , "
'
Dans leur essence, les, réîàrm~entreprises ont dot{ ces
économies des caractéristiques suivantes: " " '
a) L'ouverture sur le trt'archê iitternational
•
La théorie économique depuis 'ses pères fondateurs' Adams
Smith e( David 'Ricardo a toujôurs mis l'accent, sur le
commèrce international ; les 'av'ciritages rattachés' à 'une
ouverture se résument à :
.' u~e plus torte spéèialisation basé~' sur la théorie ricardienne
d~s avantages comparatifs ; "
"
, ,"
" •
• ~n plus gnmd accès auxinri'ovatjon~ te~hnologiques ; , '
• une pression plus forte pour l'amélioration,de la compétitivité
des entreprises locales;"
,'
'. "
,
• une réductioJ?des activit~ improd1-1ctives.
b ) Le; développe~ent du~y~tènwfinancier
Atrav~J.;s la théo~iedu ~u.ltiplkat~~, l'analyse keynésienne a
montré que l~inve~tissement est uq., élém,ent clé de là croissance, or
l'investissement n'èst' optimal, que' si ,le sysÙ~~e .b~ncaire a'ccorde des
crédits. Pour ledévelopp~JP.ent ,du systême financier, les pays
d'Amérique Latine ont :procédé dansupepremière étape à une
libéralisation tous azinmts avant' de mettre en, œuvre des mesures
d'accompagnement à la libérali.sation initialè.
'
Le dynamisme du secteur financier sera mesuré par le ratio de
crédits alloués au privé sur le PIE.
346
c) La libéralisation du marché du travail
Le cadre de concurrence accru liée à la mondialisation rend
indispensable que les entreprises aient le moins de contraintes
possibles. Ces contraintes allant de la rigidité des salaires à cause de
puissantes organisations syndicales et de normes institutionnelles
(salaire minimum) à des conditions d'embauche et de licenciement
très onéreuses. En fait, l'objectif de plein emploi n'est réalisable
qu'avec un marché du travail flexible qui permet l'ajustement entre
l'offre et la demande de travail. Les réformes qui ont eu lieu dans ce
domaine visaient à lever l'ensemble des distorsions, y compris celles
relatives aux effectifs pléthoriques de l'administration. Pour tenir
compte de cet aspect, on retiendra comme indicateur le ratio
constitué de l'emploi dans le secteur public sur l'emploi total dans le
secteur non agricole.
d) La réduction de la taille du secteur public
L'objectif visé est d'une part, le remplacement du grand
nombre d'entreprises publiques extrêmement protégées et
inefficientes par des entreprises privées plus compétitives et, d'autre
part, la suppression des monopoles pour que la fonction allocative du
marché puisse être optimale.
Au début des années 80, les pays émergents ont réduit
significativement leurs emprunts publics, ce qui a attiré un tiers (1/3)
des fonds privés destinés aux infrastructures en Amérique Latine et la
moitié (1/2) en Asie de l'Est.
e) L'utilisation efficiente et optimale des ressources
publiques
La littérature économique atteste qu'une bureaucratie lourde
ne rime pas avec des performances économiques car en fait, une large
part des ressources devant servir à l'investissement est utilisée pour
entretenir cette bureaucratie à des fins de consommation somptuaire.
En vue de mesurer les progrès obtenus dans ce domaine par
les pays émergents, le ratio des salaires de l'administration sur les
dépenses primaires est utilisé.
f) La répartition équitable des fruits de la croissance
Pour ce faire, les gouvernements ont dû convaincre les élites
économiques de la nécessité de partager les fruits de la croissance
avec les couches pauvres. C'est ainsi que le pourcentage des
populations vivant au dessous du seuil de pauvretÉ: Ù'cl ~êssé en effet
de baisser dans ces pays: il est passé de 59% en 1962 à 26% en 1986
en Thaïlande et de 58% en 1972 à 17% 10 ans plus tard en Indonésie.
347
Dans tous ces pays, la stratégie économique a été l'œuvre de
technocrates compétents, propres et à l'abri des ingérences publiques.
En plus, les gouvernements ont mis en place des cadres juridiques et
réglementaires favorables à l'initiative privée. Ils ont également
favorisé un dialogue permanent entre les milieux d'affaires et le
pouvoir public, ce qui a permis de rendre les règles du jeu claires et
transparentes et de susciter la confiance du privé.
Encadré 18. Les
«
Six É .. de la réussite de l'Asie orientale: Une originalité
usurpée
1
Malgré la crise financière d'août 1997 et les retombées récentes, les
performances de l'Asie Orientale restent remarquables ces dernières
décennies. Les origines de la forte croissance ont été répertoriées et
résumées par les" six E " de la réussite qui sont les suivantes:
1- État interventionniste et autoritaire dans le domaine social
2- Épargne prioritaire et frugalité des consommateurs
3- Éducation efficace largement financée par les ménages
4- Entrepreneurs choyés par le régime
5- Exportations évolutives et flexibles à la demande mondiale
6- Exploitation de la main d'œuvre.
En fait, ces conditions ont été déjà réunies ailleurs dans le passé.
Par exemple:
L'État guidait les entrepreneurs japonais au début de l'ère Meiji. Il
crée lui même des entreprises puis les cède aux Zaibatsu enrichies dans le
négoce.
Il reste fortement présent par la suite. Partout l'État contrôle de près
le mouvement ouvrier.
L'épargne est la vertu cardinale de la bourgeoisie entrepreneuriale
ème
siècle
dans l'Europe du XIX
L'éducation est considérée comme une composante du progrès dès
la fin du XVIIIe siècle. Danton affirmait qu' « Après le pain c'est de
l'instruction qu'à besoin le peuple ...
L'entrepreneur est dans tout l'Occident le héros schumpétérien de
l'industrialisation.
Les exportations sont devenues le moteur de la croissance
ème
industrielle en Allemagne et au Japon dès la fin du XIX
siècle.
Enfin aucun pays capitaliste dans le passé, n'a réalisé sa première
industrialisation sans favoriser l'épargne des entreprises au détriment des
salaires et de la consommation. D'où le slogan « affamer pour développer ...
Paul KRUGMAN, Professeur au Massachusetts Institut of
Technology (MIT) présentait dans une entrevue avec la presse en juillet
1998 la réussite du modèle asiatique, plutôt comme le fruit de la
transpiration que de l'inspiration et concluait certes, l'Asie finira par
représenter la majeure partie du produit mondiale mais pour la seule raison
qu'elle regroupe la plupart des hommes de la ~!.;.;-:èts (CINCEE international,
n0465,juillet1998).
.
--.J
348
Section 3 : Les préalables d'une politique de développement.
.
Il peut paraître assez facile de définir de manière volontariste
une politique de développement et de chercher les moyens de la
réaliser ; pareille démarche n'est ni réaliste ni efficace.
Le développement requiert des préalables économiques,
financiers, technologique et institutionnels qui doivent être
sérieusement analysés à la lumière des options idéologiques que les
décideurs politiques se sont librement données. La démarche la plus
rigoureuse consiste à réaliser un diagnostic complet et sans
complaisance:
• des options idéologiques adoptées par les décideurs
politiques: libéralisme, socialisme, voie intermédiaire en
relation avec les autorités politiques et les agents du
développement dont la collaboration est indispensable car,
comme l'indique F.PERRûUX, une politique de croissance
économique est impérativement une œuvre collective.
• des structures et du fonctionnement de l'économie pour
connaître avec exactitude ses potentialités réelles, les
institutions qui les gouvernent
• des options sectorielles consistant à la définition de la
politique agricole, industrielle, à l'élaboration des politiques
économiques de services, de technologie, de financement
interne et externe
• des cadres chargés de l'élaboration des politiques
économiques d'administration et de gestion
• de la définition des instruments et techniques de gestion du
développement
Ce diagnostic constitue le point de départ obligé de toute
politique de développement, surtout pour les PSD nouvellement
indépendants. C'est cette importance qui explique qu'elles ont suscité
de vives polémiques dans la pensée économique marxiste et
universitaire.
Ces réflexions théoriques de quelque côté idéologique que l'on
se situe, tournent autour d'une triple problématique:
•
•
•
les voies de l'industrialisation,
la stratégie de développement agricole et ses relations avec
l'industrie,
la place des relations économiques internationales dans le
processus interne de transformation.
Chaque problématique implique diverses options qui n'ont pas
les mêmes conséquences : les dilemmes qui en résultent ne peuvent
349
rester ouverts en permanence et sont autant de questions auxquelles
il faut apporter des réponses très précises. Il nous faut en
conséquence les analyser pour déceler les solutions adéquates sur
lesquelles peuvent se fonder des politiques économiques claires.
Il Quel modèle d'industrialisation G
La politique d'industrialisation est une composante essentielle
de toute stratégie de développement économique et social. Elle
consiste à mettre en place des capacités physiques de production
susceptibles non seulement de valoriser les matières premières afin
d'en tirer le maximum de plus-value mais aussi de garantir
l'autonomie économique nationale en biens industriels. L'objectif
primordial est de créer une capacité d'offre de substitution aux
importations et de valorisation à l'exportation, après transformations
industrielles des productions agricoles et minières.
Conformément aux théories économiques dominantes dans les
années 50, l'industrie avait pour fonction d'assurer la transformation
de la production agricole et minière, et de fournir aux agriculteurs les
intrants et le matériel dont ils avaient besoin pour élever la
productivité. En retour, le surplus dégagé par le secteur primaire
devait servir à financer l'industrie naissante, laquelle devait être en
mesure d'employer une main-d'œuvre excédentaire libérée par
l'accroissement de la productivité dans' le monde rural. L'exportation
des produits agricoles et miniers devait de leur côté servir à l'achat de
biens d'équipement importés nécessaires à l'industrie tandis que
celle-ci devait générer elle-même les devises indispensables.
Dans ce contexte, le modèle d'industrialisation par substitution aux importations et celui des industries industrialisantes
(développement de filières) appliqué depuis les années 30 en
Amérique Latine avaient séduit de nombreux pays en développement.
Dans ce modèle, les industries de produits finis ont été
vigoureusement protégées au moyen de barrières douanières
(tarifaires ou non) accompagnées de taux de change multiples et
surévalués (pénalisant pour les exportations), de subventions et de
monopoles. Incontestablement, cette politique a permis à certains
grands pays d'Amérique Latine (Brésil, Mexique, Venezuela) de se
doter d'un tissu industriel diversifié (sidérurgie, automobile, chimie,
agro-alimentaire, etc.) sans prendre en compte leurs avantages
comparatifs.
• Aujourd'hui, il apparaît nettement que cette stratégie
d'industrialisation s'est essoufflée en produisant un ensemble
de conséquences négatives dans I.e'- .~'~;)pamies notamment:
• des déséquilibres internes et externes :Jvec dt ;cit budgétaire,
hyperinflation et surendettement;
350
•
•
dépendance accrue Vls-a-vis de l'extérieur (biens
d'équipements et biens intermédiaires) ;
faible compétitivité et fragile positionnement commercial dans
le système international.
La crise de la dette, l'approfondissement des déséquilibres
internes et surtout, l'isolante expansion de l'Asie du Sud-est à partir
d'une stratégie d'industrialisation par promotion des exportations
(IPE) amènent à s'interroger sur les possibilités réelles de 1'ISI,
notamment pour des PVD.
Plus gravement on peut se demander si aujourd'hui
l'industrialisation est possible, particulièrement pour les PSD
africains? Théoriquement le modèle d'industrialisation dans la
pensée économique est une conséquence issue des schémas de la
reproduction élargie développés par K. MARX. Sans reprendre le
fonctionnement des schémas, on peut apporter quelques précisions
pour comprendre les formes industrielles qu'ils impliquent. En effet,
dans la reproduction élargie, la totalité de la plus-value qui se forme
n'est pas improductivement consommée, une part est utilisée pour
l'achat d'éléments additionnels du capital productif; ce qui suppose
que le montant du capital variable et de la plus-value de la section qui
produit les biens de production doit être supérieur au capital constant
de la section productrice des biens de consommation. C'est là la
condition de base de la reproduction élargie. La réalisation de cette
condition exige que le capital variable et la plus-value de la première
section augmentent plus rapidement que les mêmes éléments de la
section deuxième.
En clair, un modèle d'industrialisation est précisément rapide
parce que la production des moyens de production est plus rapide que
celle des biens de consommation, ce qui s'exprime dans l'élévation
permanente de la composition organique du capital. Cet aspect de la
question a été développé dans le «Capital» de Marx qui raisonnait à
partir d'une composition organique invariable. Dans le système
capitaliste, ce qui croît avec le plus de rapidité, c'est la production des
moyens de consommation et le plus lentement, la production des
moyens de production.
À partir de ces considérations, la loi de la priorité de
l'accroissement de la production des moyens de production a été mise
en œuvre - G. DESTANNE DE BERNIS l'appelle «les industries
industrialisantes ». En faisant un peu d'histoire, on constate que ce
schéma a permis l'industrialisation accélérée des pays du socialisme
réel. Les théoriciens post-Marxistes ont surtout développé cette idée
selon laquelle le socialisme ne peut être édifié que sur la base de la
grosse industrie mécanisée qui est seule capable de réorganiser
351
l'agriculture149 • Cela se comprenait parfaitement car l'expérience
socialiste se déroulait dans des pays agraires donc industriellement
arriérés. C'est surtout STALINE qui a élevé cette conception au rang
d'une option rigide selon laquelle une prépondérance absolue doit
être accordée «à l'accroissement de la production des moyens de
production» car cette production a le devoir d'assurer l'équipement
de ses propres entreprises et des entreprises de toutes les autres
branches économiques; mais aussi parce que sans elle, il est
absolument impossible de réaliser la reproduction élargie150 •
Désormais, le centre de l'industrialisation aura sa base dans le
développement de l'industrie lourde151 • L'avènement de ce dogme
s'est fait sur la liquidation successive de deux conceptions qui se
dessinaient depuis la NEP: celle de N. BOUKHARINE et celle de
l'opposition de la gauche représentée par 1. TROTSKY et E.
PREOBRAJENSKY. Le premier soutenait que la priorité dans le
développement devait être accordée à l'agriculture qui peut créer un
surplus disponible pour l'exportation et l'expansion du secteur
industriel. Ce développement de l'agriculture permettrait une
nourriture correcte des villes et de plus, fournirait les matières
premières nécessaires pour l'industrie. Cette dernière disposerait de
débouchés pour ses produits. Ces positions théoriques ont été
vivement prises à partie par l'opposition de gauche qui défendait
l'idée qu'il fallait développer l'industrie par une mobilisation des
ressources disponibles. Celles-ci doivent nourrir de nouveaux
investissements productifs. Elles proviendraient d'une restriction des
consommations au niveau d'une agriculture intégralement socialisée.
Une synthèse de ces deux positions théoriques est réalisée avec
l »imposition d'une collectivisation forcée de l'agriculture permettant
une mobilisation obligatoire des surplus pour le financement de
l'industrialisation.
C'est donc sur cette base que se développe la croissance
prioritaire de l'industrie lourde qui doit permettre de rattraper et de
dépasser le pays capitaliste le plus avancé: les États-Unis. Les
théoriciens soviétiques de l'époque remarquaient que l'Union
Soviétique était en retard d'une cinquantaine d'années sur les pays
avancés et qu'elle devait parcourir cette distance en dix ans. Sur cette
base va se consolider la thèse selon laquelle l'industrialisation
véritable a pour fondement la loi de la croissance prioritaire du
secteur 1 que Marie LAVIGNE formule de la manière suivante «dans
les conditions de la grande production moderne, la croissance plus
Idem. : Thèse développée lors du 17IIe Congrès de 17nternationale Communiste.
J. STAUNE : Les problèmes économiques du Socialisme.
151 Idem. : La situation économique de lUnion Soviétique et la Politique du parti.
149
150
352
rapide de la production du secteur 1 par rapport à celle du secteur II
est une nécessité»15 2 •
11/ Les relations entre l'industrie et l'agriculture
Ces relations sont apparentes à partir de l'élucidation du rôle
de l'agriculture dans la stratégie de développement économique et
social. En fait, dans les PSD, les activités agricoles occupent une place
décisive et accomplissent les fonctions économiques et sociales
exorbitantes.
L'agriculture est l'activité dominante de la majorité de la
population active. Elle fournit l'essentiel des recettes d'exportation
qui assurent les finances publiques. Pourtant, le rang de l'agriculture
dans la hiérarchie sociale est bien en-deçà de cette place dans le
procès de production. Toutes les statistiques établissent que dans les
formations sous-développées, le niveau de vie des paysans est
extrêmement faible par suite d'une distribution tro]> inégalitaire des
revenus et des diverses ponctions opérées par l'Etat et les autres
couches sociales intervenant dans le secteur agricole. Plus grave, le
capitalisme périphérique accentue cette situation au lieu de
l'améliorer. Il en résulte que la participation effective des masses
rurales au développement est faible car l'agriculture ne remplit pas sa
triple fonction de centralisation des surplus pour le secteur.
L'accomplissement normal de ces fonctions permet l'amorce d'un
développement autocentré et d'autres avantages, dont l'amélioration
des conditions d'existence et de travail du monde rural. Dès lors, la
transition appelle une stratégie impliquant une politique économique
claire dans le secteur agricole.
Cette stratégie passe par une remise en question des
structures, de l'orientation de la production et des conditions de
travail. En effet, on a déjà vu que la distorsion en faveur des activités
exportatrices était à la base de la spécialisation dans la dépendance.
La production s'effectue dans des conditions de très faible
productivité préjudiciable aux producteurs immédiats et à l'économie
nationale. L'extension de telles activités se fait au détriment des
cultures vivrières et il en résulte une accentuation du déficit
alimentaire. L'agriculture est placée dans une situation de crise. On l'a
réellement condamné à ne plus accomplir les autres fonctions vitales,
notamment les investissements productifs pour l'élargissement de la
production. Il est d'ailleurs arrivé à un seuil limite de pression où les
agriculteurs se sont révoltés en refusant systématiquement d'assurer
l'approvisionnement des villes. C'est dire toute la délicatesse du
Marie LAVIGNE: Les économies socialistes soviétiques et européennes,
P·190.
'5 2
353
problème qui est un élément fondamental d~ la répartition des
revenus dans la transition. L'État doit veiller au respect d'un certain
équilibre qui assure une reproduction normale dans tous les secteurs
économiques.
L'État a pour autre tâche de trouver une place aux relations
économiques internationales pour que celles-ci ne reproduisent les
mécanismes de l'échange inégal qui entraînerait un transfert de
ressources des formations sous-développées vers le système
capitaliste mondial. Il importe alors d'avoir une orientation précise en
matière de relations commerciales avec l'extérieur.
111/ Les relations économiques intemationales dans la
stratégie de développement
Ce problème analysé sous plusieurs angles montre chaque fois,
que les relations extérieures dans les PSD occupent une place centrale
en matière d'exportations des matières premières, d'importations des
biens d'équipement et de consommation' mais aussi de recherche de
transferts financiers et technologiques. La politique des échanges
extérieurs a pour objectifs principaux de corriger les conséquences
d'une spécialisation fâcheuse- et de préparer l'adaptation de
l'économie au commerce international en facilitant sa diversification
et la formation du capital. C'est ainsi que J. VINER affirme que la
théorie de la division internationale du travail et du commerce
international de Smith et de Ricardo avait mieux résisté à l'épreuve
du temps que les autres aspects de leur doctrine. G. HABERLER,
autre auteur contemporain, faisant autorité en la matière, considère
lui aussi qu'en comparaison des autres éléments de la doctrine
classique. Cette théorie « a conservé sa valeur d'une manière
étonnante. Elle a survécu à la révolution marginaliste et keynésienne
sans grand dommage pour ses thèses essentielles ». Selon G. MEIER,
« la théorie classique du commerce international a fait preuve qu'elle
était capable d'assimiler les modifications apportées par le progrès de
la théorie économique générale ».
La principale conclusion à tirer de la théorie d'HECKSCHEROHLIN, est que chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la
fabrication et l'exportation de marchandises exigeant des facteurs de
production qui y sont relativement abondants et, de ce fait,
relativement bon marché. Ces deux auteurs ont déduit leur analyse de
l'expérience de la Suède qui était parmi les pays les plus
« commerçants» du monde. Le contingent d'exportation de
l'industrie suédoise était très élevé, environ 55 à 60% de la production
du pays sont vendus à l'étranger. Cette dépendance du pays à l'égard
du marché extérieur explique le grand intérêt que les économistes
suédois avaient porté aux problèmes du commerce extérieur.
354
Les théories néo-classiques estiment que les relations
extérieures doivent compenser les infériorités relatives dans les
dotations comparées en facteurs à partir d'un commerce sans
entraves. Cependant, il reste et, ce sera démontré plus loin, que les
chances de développement sont inégales et se répartissent en fonction
de la taille des nations. Les relations commerciales ont-elles permis
de réduire les écarts technologiques et de développement, le déficit
extérieur et l'endettement des formations sous-développées?
Les théories de l'échange inégal, affirment que les relations
économiques internationales opèrent diverses formes de transferts de
ressources des PSD vers les pays développés. La détérioration des
termes de l'échange est présentée comme une manifestation de tels
transferts. Pourtant, elle ne représente que la partie visible de
l'iceberg, il y a bien d'autres formes cachées et parfois occultes de
transferts. C'est dire que l'économie mondiale ne régule pas
harmonieusement et égalitairement les ressources financières comme
l'affirme la théorie de la croissance transmise.
Dans ces conditions, les PSD doivent trouver une stratégie du
commerce avec l'extérieur qui n'annule point les effets positifs de la
politique économique interne par le transfert de ressources rares au
système mondial. Les éléments d'une telle stratégie sont d'une
conceptualisation facile et consistent en une double action
dialectiquement liée à l'accroissement de l'offre des biens
d'exportation et d'autre part, à une diminution des importations. Si
en l'apparence, les actions sont simples, elles suscitent dans leur
concrétisation d'énormes difficultés que seule une planification
adéquate peut résoudre.
Pour que cette planification ne soit point une coquille creuse,
elle doit être portée par des politiques claires d'exportation et
d'importation. Au niveau des exportations, le problème est d'abord de
connaître les biens exportables qui fournissent pour un pays des
avantages comparatifs importants. Sur cette base, on pourra
développer une industrie et des activités agricoles travaillant
exclusivement pour l'extérieur. Une fois le choix opéré sur les biens, le
plan pourra fixer un seuil d'efficience des exportations. Ensuite, il
s'agira de dégager les allocations d'investissements destinées au
secteur exportateur.
Pour les importations, le problème n'est point de les
minimiser dans l'absolu, mais plutôt d'opérer une sélection sur les
biens importés en fonction de deux (02) critères de nécessité dans le
processus d'expansion et d'opportunité alternative. Le premier pose
que certains biens indispensables dans la structure nationale doivent
être nécessairement importés. C'est donc un choix impératif car
l'expansion dans ce cas ne peut se poursuivre que par un accroissement des importations, il n'existe pas d'autre choix. Le second
355
suppose que l'importation soit réalisée lorsqu'elle présente des
avantages plus grands que si les biens concernés étaient localement
produits. Dans un cas comme dans un autre, le planificateur procède
à des arbitrages tenant compte des avantages économiques réels que
l'économie nationale peut tirer des importations. Globalement
d'ailleurs, les formations sous-développées qui sont pour la plupart de
petits pays « ne peuvent développer la production de toute la gamme
de machines nécessaires à une économie moderne et fabriquer tous
les produits intermédiaires, étant donné le coût du capital requis et
les déséconomies d'échelle».
Le planificateur doit avoir en matière de commerce extérieur
des objectifs précis à réaliser. Bien que ceux-ci soient multiples et
multiformes, un au moins nous semble essentiel: la couverture des
importations ou la diminution de leur niveau réel. En effet, dans des
formations sociales où existe un déficit systématique et chronique de
la balance commerciale, une politique de couverture des importations
est une impérieuse nécessité, mais elle passe par un développement
des activités exportatrices. Dans cette optique, la problématique des
relations avec l'extérieur pose l'allocation des ressources aux secteurs
d'exportation. L'objectif visé peut être également une diminution des
importations
obtenue
par
des
mesures
administratives,
protectionnistes ou monétaires. Dans un cas comme dans l'autre, une
planification efficiente exige un contrôle, une maîtrise des opérateurs
économiques établissant le joint avec l'extérieur. En plus, la
planification appelle une rigoureuse politique monétaire
d'accompagnement, laquelle doit être assise sur l'état effectif des
réserves disponibles au moment où le pays amorce la transition. À
titre illustratif, Serge KOLM estime que différentes actions sont
possibles selon les réserves héritées de la société antérieure.
Dans une situation, par exemple, de liquidités excessives, on
peut envisager une politique d'achat de biens utiles; ce qui aurait
pour conséquence immédiate un alourdissement du déficit de la
balance commerciale, mais qui n'entraîne pas en réalité une baisse de
la valeur internationale de la monnaie. La dévaluation peut également
sc présenter comme une autre formule d'utilisation des excédents de
liquidités surtout lorsque la situation de sous-emploi est
caractéristique. Elle contrihue alors à augmenter les prix extérieurs et
partant à décourager les importations. Ces considérations, sans doute
très vagues, ne peuvent refléter toutes les situations particulières des
formations sociales en transition et les diverses attitudes que prend
l'environnement international. Disons simplement que toute
planification efficiente du commerce extérieur s'accompagne
nécessairement d'une politique monétaire, car comme l'observe S.c.
356
KüLM, «ce problème monétaire extérieur peut être anodin ou mortel
selon qu'on en tient compte à temps ou trop tard»153.
Nous avons passé en revue les divers domaines où des options
très claires doivent être prises. Ces options éclairent et conditionnent
les actions conjoncturelles à court terme que les autorités (qui ont en
charge la politique économique) doivent comprendre. Ces diverses
actions sont réalisées avec des instruments techniques au premier
rang desquels on a la planification et ceux liées au marché.
Section 4 : Fonctions et techniques de la planification, de la
prévision et de la prospective au niveau des PSD.
Il est difficile de trouver une définition consensuelle de la
planification bien qu'elle occupe dans plusieurs pays une place
centrale et joue un rôle déterminant pour les pouvoirs publics qui,
parfois, en font un instrument technique d'éclairage de leur processus
décisionnel, de la cohérence et de la pertinence de leurs choix
économiques et sociaux. Approximativement, la planification est un
interventionnisme de l'État visant à organiser l'économie nationale en
s'assurant de l'atteinte des objectifs poursuivis dans une période de
temps. Dans un système socialiste caractérisé par une appropriation
collective des moyens de production, elle doit rendre possible ce que
le marché ne permet pas, à savoir la définition d'une vision à long
terme et la recherche de l'intérêt général. À cette planification
impérative s'oppose une planification indicative qui a eu ses lettres de
noblesse avec Pierre MASSE et tente de concilier Plan et marché c'està-dire que le Plan est impératif pour l'État mais indicatif pour tous les
autres acteurs de l'économie nationale. Ses objectifs sont de trois
ordres: réduire les incertitudes, servir de cadre à moyen terme à la
politique économique et servir à l'État de budget pluriannuel.
Socialistes comme libéraux en ont une compréhension et une
utilisation au service de la réalisation de leurs objectifs: planification
centralisée et ripoureuse au service d'une écopomie largement
appropriée par l'Etat et planification indicative, directive et incitative
en complémentarité avec les mécanismes du marché dans la pure
tradition libérale. La mixture des deux conceptions est utile aux pays
qui ne sont ni dans l'une, ni dans l'autre des deux situations
idéologiques et qui rejettent le manichéisme et tentent une synthèse
utilisable..
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la planification
connut une diffusion et une application de plus en plus importantes,
sous des formes diverses, à travers le monde et plus particulièrement
l~:l Serge Christophe KüLM : La transition socialiste, la politique économique
de gauche, p. 137. Édit. Ceri, Paris, 1977.
357
dans les pays sous-développés dont certains venaient d'accéder à
l'indépendance nationale. Cette évolution tient essentiellement à
l'influence conjuguée de trois principaux facteurs:
• d'abord, la planification soviétique commencée depuis 1928 et
dont les résultats spectaculaires vont influencer largement la
théorie du développement naissante;
• ensuite, la planification européenne d'après-guerre mise en
place pour l'accélération de la reconstruction notamment en
France et Hollande:
• enfin, la· théorie keynésienne et néo-keynésienne dont les
mécanismes cumulatifs d'investissement, de création de
richesse et de distribution de revenus permettent de relancer
et de dynamiser à fond les économies.
C'est ainsi que de 1950 à nos jours, il a été recensé quelques
300 plans nationaux de développement à travers l'ensemble des PVD.
En 1983, 80 pays du Tiers-monde avaient un plan. Le Mali (de 1960 à
1967) et l'Algérie représentent en Afrique les plus grandes expériences
en matière de planification.
Globaldment, les objectifs visés par les plans, bien que très
divers, peuvent être regroupés en quatre catégories:
La promotion de l'accumulation primitive interne en vue de
l'investissement: pour cela, les plans devaient s'employer à mobiliser
toutes les ressources nationales en vue du financement du
développement. De la sorte, on espérait accélérer l'élévation des
forces productives sur des bases endogènes.
La valorisation maximale des effets d'entraînement des
investissements sur l'économie nationale: à ce titre, cette priorité
devait être accordée aux projets ayant d'importants effets
multiplicateurs et suffisamment intégrés en vue du renforcement des
relations inter-sectorielles. Elle devait également l'être à l'utilisation
de technologies appropriées qui évite de désarticuler l'économie à
travers des effets pervers indésirables.
L'édification d'une économie nationale mieux articulée, à forte
capacité de résistance vis-à-vis des chocs exogènes et à redistribution
plus équitable des richesses produites: pour ce faire, l'investissement
se devait d'être prioritairement orienté vers des productions (de biens
et services) destinées à satisfaire les besoins de base des populations
(alimentation. habitat social, éducation. santé entre autres...). De
même, il revenait au plan d'explorer ct d'expliquer utilement
['ensemble des voies et moyens susceptibles de réduire le plus
possible la dépendance extérieure du pays.
La mise en place de dispositifs complémentaires d'ordre
administratif pour lutter contre les tendances à l'inégalité
économique et sociale dans le cadre de la croissance économique.
358
Il Considérations générales sur le processus de planification
La généralisation de l'utilisation du concept et de la pratique
de la planification dans les pays sous-développés est un trait
dominant de la vie sociale. Au double point de vue pratique et
théorique, la planification est d'origine soviétique, même si les idées
qu'elle recouvre peuvent remonter très loin dans l'histoire. La
pratique démarre avec le premier plan de 1928 qui était établi selon
une prévision des rythmes et des proportions de développement
économique. Dans la nouvelle République des Soviets en pleines
mutations structurelles et totalement coupées de la division
internationale capitaliste du travail, il fallait trouver une technique de
mise en œuvre consciente et rationnelle des ressources nationales en
vue de leur utilisation optimale au service des objectifs socioéconomiques nettement spécifiés.
La planification se perfectionnera pour devenir en dernière
instance l'instrument qui définit les tâches et objectifs du
développement ainsi que les méthodes et moyens de les réaliser.
Enfin, il fixe les ressources à mobiliser et détermine les délais de
réalisation. Le plan est alors un instrument de régulation et de
direction de la vie économique et sociale.
Pourtant, les fondements théoriques de départ de la
planification étaient extrêmement réduits. C'est une discipline dans
laquelle la pratique a devancé la théorie.
On ne trouve pas dans les travaux scientifiques des
économistes une solide, complète et cohérente formulation du
processus planifié d'une économie nationale. Tout au plus, dans tel ou
tel ouvrage théorique, on peut découvrir quelques allusions, quelques
approximations totalement incapables de fonder une praxis
consistante. Autant la position implicite de MARX au sujet du
principe de la planification est claire, autant il est difficile de trouver
dans ses ouvrages des références explicites, mêmes indirectes, tandis
que fait défaut toute prise de position directe et générale.
En clair, les planificateurs sont partis uniquement armés des
instruments qu'ils se sont forgés eux-mêmes 154 • Ce sont toutes ces
raisons qui ont naguère fait apparaître la planification comme un
attribut des économies socialistes.
Après leur accession à l'indépendance, les PSD ayant opté
pour des politiques de croissance accélérée en vue de combler leur
retard économique, moderniser leur système productif dans tous ses
secteurs et résoudre les problèmes d'emploi de la main-d'œuvre, ont
154 BOBROWSKY souligne avec pertinence que ni la théorie soviétique, ni à
plus forte raison la théorie bourgeoise ne leur ont fourni des instruments
valables et utilisables. Ils ont donc été leurs propres maîtres.
359
eu recours à la planification mais à la suite de vives polémiques et
controverses.
L'adhésion à l'idée de planification n'est pas tombée sous le
sens et a été accueillie au départ avec méfiance. Deux tendances aux
visions très différenciées se sont vivement opposées sur l'opportunité
et la nécessité d'amorcer un processus planifié des économies 155 •
La première tendance était parfaitement hostile, estimant que
la planification est une technique impossible à appliquer dans les
formations sahéliennes caractérisées par le sous-développement
économique et social. Une série d'arguments est avancée pour
appuyer cette thèse.
D'abord, la planification est un instrum~nt de réduction des
incertitudes et s'appuie sur un appareil statistique et des modèles
scientifiques de prévisions. Or, ces éléments déterminants sont
encore très loin d'être réunis. Ensuite, elle est une technique de
maîtrise du développement. Là encore, la dépendance qui est un trait
dominant au niveau des économies subsahariennes fait que celles-ci
fonctionnent par et pour l'économie mondiale qui est le centre de
décision ultime. Enfin, la lecture des expériences de planification
centralisée établit que la planification est souvent synonyme de
lourdes bureaucraties inefficientes et coûteuses. Également, elle
apparaît comme liée à la démultiplication de procédures stérilisantes
qui annihilent toute initiative. À tout cela s'ajoutent aussi les
déficiences quantitatives et qualitatives des cadres susceptibles
d'actionner le plan. Pour toutes ces raisons, les tenants de cette
conception recommandent l'observation d'une démarche prudente et
la prise en considération de préalables sans lesquels le processus de
planification est irrémédiablement voué à l'échec, à savoir: la
disposition d'une base statistique large et de cadres compétents, le
contrôle de l'économie et l'existence d'une structure institutionnelle,
fonctionnelle.
La seconde tendance développe des arguments inverses. Elle
part de l'idée que l'action de· l'homme dans un environnement
instable et hostile ne saurait être abandonnée à la turbulence des
forces de la nature et du marché. La technique de la planification doit
permettre l'organisation de cette nécessaire maîtrise du
développement dans cet environnement incertain et à risque. En plus,
elle est la seule alternative à l'anarchie héritée des mécanismes et
rouages de l'économie coloniale de traite. Elle seule permet d'indiquer
les voies et moyens pour discipliner les efforts collectifs et atteindre
les objectifs de croissance économique et sociale préalablement fixés.
En conséquence, non seulement le plan indique les actions à
1:;:; Voir le point réalisé par Michel GAUD: Les premières expériences de la
planification en Afrique Noire.
360
entreprendre, mais également désigne explicitement ou implicitement·
«une éthique des valeurs sociales et une philosophie de la condition
humaine».
Comme on le voit, ces controverses théoriques passionnées
sont empreintes d'arrière-pensées et préjugés idéologiques et
politiques. Cependant, elles seront déterminantes quant à la fixation
des cadres mêmes de la planification et des conditions de mise en
œuvre d'un processus planifié des économies sous-développées. Le
débat établira, en dernière analyse, que si la planification est une
nécessité pour une accélération et un contrôle du développement,
pour une utilisation optimale et efficiente des ressources et la
promotion au niveau global du principe de non gaspillage. Son
instauration dans les PSD appelle l'adaptation de ses méthodes et
techniques aux réalités socio-économiques qu'elle doit servir, et la
progressivité quant à l'instauration des mécanismes et structures
institutionnelles caractéristiques du processus planifié.
Sur le premier point, tout le monde s'accorde pour reconnaître
qu'il n'existe pas de planification en soi, autrement dit, il ne saurait
exister un modèle universel de planification car cette technique est
«appliquée pour résoudre des problèmes socio-économiques bien
déterminés» ... Ainsi, le pessimisme relatif à l'utilisation éventuelle,
par les pays d'Afrique, de la planificatiop occidentale ne signifie en
aucune manière le recours à l'autre l'extrémité: copier aveuglément la
planification socialiste. En effet, il semble que la transplantation
automatique dans les pays d'Afrique des formes et des méthodes de la
planification contemporaine socialiste relève de l'aventurisme
économique I5 ('.
Les méthodes et techniques de la planification doivent, en
toute conséquence, s'adapter aux particularités historiques, sociales et
économiques du pays. Même en s'inspirant des expériences
entreprises d'ailleurs qui peuvent conduire au succès, le planificateur
africain est condamné à trouver la juste mesure entre les traits
universels de sa science et les traits particuliers.
La seconde condition concerne la progressivité du processus
planifié des économies. Elle prend appui sur les déficiences des
statistiques, permettant d'éclairer les décisions, la méconnaissance
des mécanismes économiques et l'insuffisance de cadres techniques
compétents et de structures institutionnelles effectivement
appropriées. Ces éléments constituent des obstacles, des goulots
d'étranglements qui imposent l'observation d'un étatisme dans
l'installation des mécanismes et techniques de la planification.
156 Youri POPOV: Aspects méthodologiques de la planification. Revue
algérienne, nl> 1, mars 1967.
361
Les débats théoriques qui ont induit certaines conditions pour
l'accession à la planification ont, en définitive, imposé partout dans
les PSD, des systèmes hybrides tenant à la fois de la planification
souple appliquée dans les pays à économie de marché et de la
planification centralisée des pays socialistes.
La méthodologie dans un tel cadre est forcément à mi-chemin
entre le pragmatisme et l'économétrie.
Le pragmatisme découle du fait que:
•
•
•
le marché est libre et détermine le système des prix qui restent
ainsi des indicateurs de rareté,
les moyens de production et les unités économiques ne
relèvent pas de la propriété sociale même s'il existe un secteur
public,
les économies sont articulées à la division internationale du
travail, ce qui leur interdit d'avoir une conjoncture autonome.
Les moyens d'action dont disposent les planificateurs sont
extrêmement réduits. Le plan se présente alors comme un
conglomérat de projets publics et privés et ne lie que très peu les
divers agents économiques. Il mémorise les actions à entreprendre.
Quant à l'aspect économétrique, il réside dans l'utilisation de modèles
simples établissant les liens entre les variables décisives de l'économie
et le recours à la prévision normative.
Ainsi, si l'on retient un taux de croissance estimé
suffisamment performant, le planificateur procède à des déductions
lui permettant de fixer le volume désiré d'investissement, d'épargne,
le besoin de financement complémentaire, le volume de l'emploi, etc.
L'économétrie permet d'établir le niveau de toutes les
grandeurs macro-économiques. Si toutes les choses restent comme
voulues par les hypothèses retenues de croissance économique, ce
niveau ainsi calculé des grandeurs indique les actions à entrèprendre
en matière de politique fiscale et· budgétaire, de relations
économiques internationales.
En définitive, tout aussi bien en matière de fixation des
objectifs et des indices à atteindre, de prévision macroéconomique
qu'en matière d'élaboration et d'application de mesures destinées à
atteindre les objectifs, la planification sahélienne reste très empirique.
C'est cela qui explique que les plans de cette région sont considérés,
par certains auteurs, comme des coquilles creuses, élaborées par les
techniciens du développement, sans aucune participation populaire.
Ces dernières années. il y a eu de sérieuses amélioration portant sur :
•
362
les méthodes d'élaboration. d'exécution et de contrôle,
•
les cadres institutionnels et organes de gestion de la
planification.
Au niveau des méthodes, les planificateurs de la "deuxième
génération" appréhendent avec plus de clarté les problèmes qu'ils
doivent résoudre à savoir:
11/ Synopsis des étapes d'élaboration d'un Plan
L'élaboration du Plan de l'économie nationale pourrait suivre
les 6 étapes qui sont:
1. Evaluation du cadre socio-économique du pays, évaluation des
ressources, analyse de l'état de l'économie au début du plan et
des tendances du développement économique qui se sont faits
jour dans la période précédente;
.
2. Prévision des options fondamentales du développement, du
niveau des besoins sociaux et des ressources pour l'avenir,
prévision du progrès scientifique et technique;
3. Définition des objectifs et des tâches du développement
économique pour la période du plan, coordination de ceux-ci
avec les objectifs du développement à long terme, définition
des options fondamentales du développement de l'économie
nationale et des méthodes de la politique économique.
4. Définition des taux et des coefficients de proportionnalité du
développement, projection des grands agrégats retenus de
l'économie sur la période considérée;
5. Rédaction détaillée du plan de l'économie nationale et ses
démembrements au niveau local, régional;
6. Définition des tâches des organes de suivi et d'évaluation des
tâches du plan à tous les échelons de concrétisation.
Si des efforts remarquables ont été réalisés au niveau
méthodologique en Afrique, ils le sont beaucoup moins dans la
définition de cadres institutionnels de gestion du processus planifié.
Au plan politique, on peut observer la création du Ministère du Plan
dans tous les pays. Cela constitue incontestablement un important
pas en avant par rapport à la situation antérieure où la planification
était confiée souvent à une simple direction rattachée au Ministère de
l'Économie et des Finances.
Le plus important dans cette nouvelle gestion devrait être le
renforcement des tendances nettes à la décentralisation du plan. Ce
sera peut être la conception la plus positive des plans de la deuxième
génération. Les objectifs proclamés se résument à :
•
la répartition
productives,
spatiale
plus
rationnelle
des
activités
363
•
•
la promotion de l'initiative locale en matière d'élaboration,
d'exécution et de contrôle du plan; cela permet alors une
meilleure prise en considération des conditions et
potentialités économiques des régions,
une meilleure répartition des secteurs et de l'infrastructure.
Dans cette optique, la planification peut désormais aider à la
promotion économique de chaque collectivité locale, de chaque région
en exploitant toutes les potentialités, ce qui permettrait de résoudre
progressivement le dualisme structurel et les distorsions de
l'économie sous-développée. En effet, l'héritage économique et
structurel se caractérisait par les traits suivants: grands écarts de
revenus entre les différentes régions 157 , répartition inégale des
infrastructures économiques et sociales, répartition inégale des
activités productives, faibles liens économiques entre les diverses
régions. Ces déséquilibres sont à la base de l'exode rural, de l'inégalité
des niveaux de vie et de revenu, des tendances et velléités
sécessionnistes, etc. Une décentralisation bien menée devrait
permettre à terme d'apporter quelques corrections 1511 aux multiples
distorsions et lourdes conséquences socio-politiques.
Cela exige au moins trois tâches importantes:
•
•
•
•
L'étude et d'analyse: la réalisation des recherches et des
études sur les structures sociales du Sahel, les systèmes de
production, les modes de consommation et les visions
philosophiques du monde;
L'élaboration de programmes économiques à long terme. Ces
Programmes donnent aux planificateurs non seulement une
marge de certitude, mais facilitent la recherche de la
cohérence intertemporelle du Plan;
L'établissement d'instruments expressifs de quantification,
comme les paramètres de la production de la consommation,
de la répartition du revenu, les taux d'accroissement des
divers secteurs et le taux de croissance de l'économie, les
indices et paramètres d'évaluation du commerce extérieur et
la fixation des indicateurs sociaux et de mesure du bien-être et
de la qualité de la -vie;
La définition des domaines, normes et formes d'intervention
de l'État.
157 On se souvient de la boutade célèbre du Professeur René DUMONT:
Dakar, une grosse tête sur un petit corps, enteT'~ie7 les sept autres régions du
Sénégal.
1511 La régionalisation a tout logiquement entraîné unf: ~ùllaboration de
plusieurs services: forme pratique d'une organisation interdiSCIplinaire.
364
Ces tâches ne se posent pas de façon identique dans tous les
pays. Elles ressortent au titre des préoccupations spécifiques, des
questions auxquelles les planificateurs doivent trouver réponse s'ils
veulent avancer. C'est pour cette raison que tous les plans en Afrique
comportent des volets de financement de recherches sociales, de
perfectionnement des appareils de collecte et de traitement de la
statistique, d'évaluation des indicateurs socio-économiques.
Les études prospectives ont eu un regain d'intérêt dans tous
les PSD. Les décideurs et planificateurs comprennent que la
complexité des problèmes que soulève la dynamique de développement économique et social nécessite une analyse prospective; cela
d'autant plus que l'environnement est très instable. Elles permettent
en effet d'envisager tous les scénarios possibles de développement et
en conséquence éclaire les choix, les domaines d'action, les mesures
qualitatives et quantitatives et les moyens à mobiliser. Elle est alors
un auxiliaire indispensable et irremplaçable de la planification159 •
Il y a là un travail extrêmement difficile qui exige d'abord une
assez solide organisation, et ensuite la définition des liens entre plan
nationale et plan régional; cela pour éviter toute velléité d'autonomie
préjudiciable à l'économie dans son ensemble. D'autres nécessités
s'imposent: des méthodes et formes de répartition de moyens de
développement, des facteurs de production, des infrastructures, des
critères de rationalité et d'efficacité du développement régional, des
rapports entre les gestionnaires nationaux et régionaux de la
planification.
Ce sont des éléments de structuration du plan régional qui
entraînent des modifications profondes. La planification telle qu'elle
est conçue et organisée dans les pays africains peut-elle assumer de
tels changements? Pour y répondre, il s'avère nécessaire d'en dégager
les limites.
159 Moustapha KASSÉ : Les stratégies alternatives au Sahel. Institut du Sahel,
Bamako.
Il est indiqué dans ce projet les problèmes auxquels la prospective
doit s'attaquer dans le Sahel à savoir:
1°) Les zones géographiques et leurs potentialités agricoles,
pastorales et hydrauliques.
2°) L'évolution démo-économique et démo-alimentaire.
3°) Les stratégies des équilibres globaux.
Les réflexions sont faites en direction de la réalisation de l'autosuffisance
alimentaire.
365
1111 Les limites du processus planifié des économies sousdéveloppées
Il s'agit de s'interroger sur les obstacles véritables au processus
planifié avant d'apprécier plus loin les résultats obtenus par vingt
(20) années de planification des économies. À réfléchir sur la
planification, trois (03) éléments méritent de retenir l'attention:
•
•
•
d'abord, la construction théorique qui fixe les bases profondes
de la praxis,
ensuite, les méthodologies et instruments employés,
enfin, les cadres institutionnels et administratifs de gestion de
la planification.
1°) Les faibles constructions théoriques en matière de
planification
La planific~tion au Sahel et dans la plupart des pays sousdéveloppés est au service des politiques de croissance que l'on veut
régulière, équilibrée, harmonieuse et rapide.
Ces politiques elles-mêmes sont portées par des modèles
d'inspiration néo-classique et keynésienne l6o , c'est-à-dire qui
reposent sur les hypothèses conjuguées:
• de complémentarité et de la substitualité des facteurs dans la
fonction de production;
• de la concurrence pure et parfaite;
• de la rationalité des entreprises fondées sur la recherche du
profit maximal ;
• du comportement de consommation motivé par la recherche
de la satisfaction optimale;
• de la répartition optimale du revenu national;
160 Il existe une tendance extrêmement malheureuse à réduire et à assimiler
toutes les théories non marxistes à la théorie néo-classique. Cela procède
d'une lecture et d'une réflexion peu profonde sur les divers courants de la
pensée économique contemporaine où tous les grands courants se diluent en
nuances et variantes. C'est également être complaisant de la récupération
théorique opérée notamment par P. SAMUELSON. Dans tous les cas, les
paradigmes néo-classiques son trop éloignés. Le fait que les formulations
théoriques de la croissance soient néo-classiques et les politiques
économiques d'inspiration keynésienne, ne doit nullement mener à des
dissimulations abusives et théoriquement fausses. KEYNES est plus près de
MARX que celui-ci est éloigné des conception~ riPo-classiques. Il faudra voir
sur ce point les critiques faites par les keYll"ïen s (J ROBINSON, L.
PASSIREETH) de l'édifice théorique néo-classique !l'lai:· aussi des points
établis entre KEYNES et MARX par P. BARAN et Maurice DOBB.
366
•
•
du libre jeu absolu de tous les mécanismes et rouages
économiques;
de la non intervention systématique de l'État.
Dans une telle approche, l'État est présenté comme une espèce
d'interprète de l'intérêt général et comme un agent de synthétisation
des références individuelles, et la planification devient le substitut de
main invisible. En effet, si toutes les conditions d'une économie
concurrencée sont réunies, les prix' du marché se présentent comme
les instruments d'allocation des ressources « les signaux en fonction
desquels sont prises et coordonnées les décisions individuelles des
agents économiques ».
En définitive, «le système des prix par des ajustements
incessants assure la coordination des décisions individuelles»161.
L'univers hypothétique n'étant pas effectif, notamment dans les pays
sous-développés du Sahel, les fonctions de coordination des marchés
seront assumées par le plan. On voit que ce qui limite particulièrement la planification, c'est son soubassement théorique qui fait du
plan une cellule plus ou moins complexe d'enregistrement des projets
décidés en toute autonomie par des agents privés ou l'État. Cela va
s'en dire que les critères échappent totalement au planificateur dont
le rôle se réduit à vérifier si le projet contribue ou pas à la réalisation
des grands équilibres.
Le système de planification ne pouvait alors qu'être indicatif
donc absolument pas à mesure de réaliser et de gérer les
transformations structurelles indispensables pour l'amorce d'un
processus irréversible et soutenu de développement économique et
social. La planification ne possède ni les orientations, ni les
techniques, ni les structures pour opérer de telles transformations.
Il s'avère donc nécessaire d'intléchir les orientations et options
de politique économique et les théories qui les portent. La
planification suivra automatiquement car quelles que soient ses
qualités intrinsèques, elle ne saurait être le substitut d'une politique
économique adéquate, cohérente et intégrale, c'est-à-dire qui prend
en ligne de compte toutes les dimensions de la vie socio-économique
trace des objectifs et spécifie les moyens matériels et financiers de
leur réalisation. Elle n'est qu'un moyen, certes puissant, mais n'est
pas la fin qui est le développement.
Si on abandonne alors dans les PSD d'Afrique les théories et
les pratiques limitées menées en termes de croissance économique, la
seule alternative d'une stratégie du développement s'articulerait
autour:
161
J.C. BERTHOLON: Méthode ONUDI et théorie économique,
Méthodologie de la Planification.
In
367
•
•
•
du développement prioritaire de l'agriculture pour la rendre
apte à satisfaire les besoins fondamentaux des populations;
d'un modèle d'industrialisation fondé principalement sur des
filières de valorisation des produits agricoles et de mise à la
disposition de l'agriculture des facteurs modernes de
production;
d'une ouverture maîtrisée sur l'économie mondiale.
La réalisation d'une telle stratégie sera incorporée dans un
profond processus de planification. Bien sûr, même s'il faut s'inspirer
des expériences des pays socialistes 162 , il faut bien admettre que les
pays africains caractérisés par une pluralité structuraic ne possèdent
ni les moyens, ni l'homogénéité structurelle nécessaire pour
l'application d'une planification centralisée. L'existence nécessaire
d'un secteur privé comme centre autonome d'initiative de production
et de consommation impose la prise en compte dans la planification
du caractère mixte de l'économie. L'État, à partir du plan, déterminera les orientations générales du développement économique en
s'appuyant sur un secteur public important. On ne soulignera jamais
assez que plus le domaine d'action directe de l'État est restreint, plus
il est difficile de mettre sur pied et de réussir une politique
économique cohérente et intégrale. La planification devra organiser la
coexistence de l'ensemble de ces structures et secteurs diversement
impliqués dans le développement.
Théoriquement se trouve ainsi formulée la nécessité d'une
option qui pourrait concilier l'orientation et la détermination des
objectifs généraux par l'État et le secteur privé. Cette voie moyenne de
partenariat public/ privé comme toute formule hybride, est forcément
complexe et difficile à mettre en œuvre. Toutefois, c'est l'alternative la
plus crédible pour longtemps dans les pays africains. Les objectifs
économiques et sociaux à atteindre se réduisent à l'accroissement
soutenu des forces productives, matérielles et humaines. la mise en
yaleur des ressources pour une satisfaction des besoins de base des
populations. Pour les atteindre, de profondes transformations
structurelles sont indispensables.
Cela va se traduire par la fixation d'objectifs quantitatifs
sectoriels et d'objectifs qualitatifs structurels. De fait, la planification
devra embrasser les indices essentiels de la production agricole et
industrielle des transports et des services, des sources d'accumulation
et leur utilisation dans les différentes branches économiques, des
Ih~ Dans ce sens, BOROWSKY a certainement raison de considérer que «les
pays, hier sous-développés, aujourd'hui socialistes dont l'économie se
caractérise par une croissance rapide et une transformation profonde des
structures peuvent servir de référence».
368
équilibres, des relations avec l'extérieur, des besoins en main d'œuvre
et en cadres, de la santé, de l'enseignement et du pouvoir d'achat. Elle
devra également insister sur les mesures, les réformes et les moyens à
mettre en œuvre pour atteindre les objectifs fixés.
Encore une fois, tout cela est la conséquence rémanente de
l'abandon des hypothèses de raisonnement fondées sur la croissance
économique 1ô3 •
2°) Les limites méthodologiques et instrumentales de
la planification
G
Dans la quasi-totalité des pays africains, la planification est
indicative et s'inspire du modèle français de planification indicative
selon lequel les organes de planification indiquent une série
d'objectifs estimés désirables au double plan micro et macroéconomique. À partir de cette base, les planificateurs tentent, par
divers moyens et instruments mis à leur disposition, de diriger
l'ensemble des forces économiques et sociales vers ces objectifs. S'il y
a des efforts certains d'adaptation de la méthodologie, des
instruments et des formes d'intervention aux conditions spécifiques
des pays africains, les limites d'un tel type de planification sont
lourdes. Les systèmes planifiés n'atteignent jamais leurs objectifs et
finissent par être un catalogue de vœux pieux destinés plus à
convaincre les bailleurs de fonds qu'à servir le développement. Par
ailleurs P. JACQUEMOT résume les critiques les plus fréquemment
adressées à la planification du développement:
• Les plans sont trop formalistes et prétendent vainement
embrasser l'ensemble des activités;
•
Les plans sont un catalogue de projets mal évalués au niveau
des coûts et des charges récurrentes non hiérarchisés;
• Absence de mécanismes institutionnels qui leur permettraient
de coordonner les activités liées à la gestion financière à court .
terme avec l'analyse des politiques d'investissement à long
terme;
• Le plan mobilise très peu d'acteurs sociaux;
• Liens non définis avec le Budget de l'État;
11l:1 Il faut réaffirmer que ce qui est en cause dans les théori~s de la croissance,
c'est d'une part cette glorification des objectifs quantitatifs, cette volonté de
rattraper les pays capitalistes en imitant leurs propres formes de
développement et surtout d'une industrialisation qui sacrifie
systématiquement les intérêts de larges souches sociales. Si les théories de la
croissance sont rejetées, c'est d'abord à cause de leurs fragiles bases
méthodologiques et c'est ensuite parce que les préoccupations qu'elles
soulignent ne sont pas celles des pays sous-développés et enfin parce qu'elles
se trompent de domaine et d'instruments d'action.
369
•
•
•
•
Ces critiques renvoient à la trop grande faiblesse de la base
méthodologique et instrumentale de la planification indicative
et cela, particulièrement pour trois (03) séries de raisons:
d'abord, cette planification n'a pas rompu avec la logique et les
structures de l'économie de marché;
ensuite, la méthode de détermination des variables et indices
essentiels se fonde principalement sur l'itération;
enfin, les instruments d'action sont inefficients.
Il nous faut considérer de plus près ces raisons qui sont
révélatrices des limites, des techniques mais aussi de l'inefficacité de
la planification qui n'a su ni pu endiguer les catastrophes socioéconomiques du Sahel. Pourtant, si on mobilise tant de ressources
humaines, matérielles et financières dans la planification, c'est bien
pour mieux lutter contre les aléas et incertitudes et infléchir dans la
bonne direction les évènements économiques par une action
volontaire à moyen ou long terme l ('4. Nous devons donc savoir situer
les raisons de cette inefficience au plan méthodologique et
instrumental.
a) La premlere serIe de raisons tient au fait que la
planification indicative en cours n'a rompu ni avec la logique, ni avec
les structures de l'économie de marché. Dans les formations sousdéveloppées du Sahel, le marché est en pleine formation et en
conséquence, il se trouve dans l'incapacité de remplir normalement
toutes ses fonctions. Dès lors, on a fini par penser que le plan pouvait
parfaitement combler ces lacunes et fixer les bases sur lesquelles les
mécanismes du marché pourront fonctionner. Cette importance
accordée au marché est sans rapport avec son effectivité et ses
possibilités. On finit par ne plus savoir qui du marché ou du plan doit
réduire les incertitudes et rationaliser les anticipations. Le marché a
été incidemment retenu, il a fourni des réponses à la fois mauvaises et
assez partielles.
Même si l'on s'accorde, comme le fait Ota SIK à reconnaître
qu'il existe une corrélation dialectique entre le plan et le marché, il
faut affirmer la primauté du plan comme instrument de cohérence
éclairant la rationalité collective et préparant les grandes décisions
Michel DUMAS: dans «Où en est la planification en Afrique Noire».
(Présence Africaine n° spécial 1971) a raison de ne point sous-estimer les
difficultés auxquelles on se heurte mais les meilleurs gouvernements et plans
doivent pouvoir faire quelque chose contre l'effondrement brutal des cours
mondiaux. S'il n'en était pas ainsi, la planification du commerce extérieur
n'aurait absolument aucun sens. Si les contraintes extérieures sont
considérables. il faut en tenir compte.
164
370
pour contrer les aléas et les incertitudes 1 ('5. Ce problème devra être
clairement résolu dans les plans de la troisième génération qui
doivent alors opérer cette espèce de répartition des tâches décisives
pour la prise de certaines décisions.
b) La deuxième série de raisons de l'échec des plans
africains provient de la fragilité de leur base méthodologique
Sur ce point, trois observations peuvent être faites:
• d'abord, le plan est confectionné à partir de techniques
itératives;
• ensuite, le choix des investissements n'est pas déterminé par
les organes centraux de la planification;
• enfin, la prévision du développement économique et social
n'est pas envisagée objectivement.
Sur le premier point, on peut dire que tous les plans des pays
du Sahel, notamment ceux de la première génération ont été élaborés
sur la base d'une méthode itérative procédant donc par
approximations successives pour aboutir à la version finale. C'est
ainsi que l'on a déterminé les variables essentielles comme le taux de
croissance globale de l'économie et de la démographie. Une fois les
indices retentis, on procède à des tests macroéconomiques
d'acceptabilité et de faisabilité des taux. Donc, on recherche les
cohérences:
•
•
•
•
des équilibres fondamentaux des agrégats caractéristiques;
des équilibres entre ressources et emplois;
des implications pour les divers sous-systèmes de production;
des procédures.
En définitive, les choix fondamentaux et les objectifs
déterminants ne sont pas établis sur la base d'études exhaustives des
économies nationales et de leurs potentialités, mais déduits de
simples hypothèses. Le plan confectionné sur cette base est une série
de vœux pieux, « un art de cultiver des illusions dans le jardin des
105 Si nous partons de la nécessité de l'organisation d'une économie mixte, la
planification ne peut fonctionner sans un fonctionnement du marché, c'està-dire qu'il sera difficile d'aboutir à l'équilibre économique sans une mise en
jeu, le mécanisme du marché qui est la meilleure régulation dans certains
domaines. Bien entendu, il ne faut pas attendre que le marché résolve des
problèmes qui le dépassent comme la réalisation de la nationalité collective,
la prise de décision pour réduire les aléas et l'incertitude, etc. Il faut donc
que marché et plan procèdent ensemble et parallèlement.
371
hypothèses» 166. Il est alors un document à usage externe et non un
instrument désignant les changements de structures et de
comportements et les prenant en charge.
Le second point concerne la détermination du volume et de la
répartition des investissements. Cette variable-clé dans les politiques
de croissance n'est pas contrôlée par le planificateur qui ne dispose
que des moyens d'action indirecte souvent totalement inefficaces pour
la susciter ou l'orienter. Dès lors, les choix d'investissement, donc des
techniques de production échappent au plan. Dans d'assez rares cas,
le planificateur peut proposer des critères de choix cadrant avec les
objectifs et contraintes du développement. D'une manière générale,
les organes de planification ne disposent que de très faibles bases de
manœuvres pour stimuler, dissuader, répartir les investissements. La
conséquence sera que le plan ne pourra point opérer une intraversion
véritable des activités économiques, notamment celles des firmes
étrangères. Celles-ci décident en toute autonomie de leur domaine
d'action, de leur forme d'intervention et de la répartition de leurs
surplus. Les mesures de rétorsion n'existent pas. En effet, les
instruments sont principalement d'action indirecte.
Le troisième point de la faiblesse méthodologique est l'absence
de leviers dont pourrait disposer le Plan pour réaliser les objectifs
impartis. La planification indicative, se proposant de préserver un
fonctionnement sans entrave des mécanismes du marché, se dote de
trois moyens à savoir:
•
•
•
les finances publiques,
les interventions monétaires,
le contrôle sur les prix et le commerce extérieur.
L'utilisation de la fiscalité s'est faite principalement dans le
sens positif d'encouragement à l'investissement. Au niveau mondial,
le mouvement de flux et de reflux des capitaux obéit à des lois très
complexes, dés conditions qui ne relèvent pas toujours d'une logique
économique pure. Pour promouvoir les investissements privés directs
étrangers (IDE), les décideurs prennent des mesures juridiques
dérogatoires au droit des soci~tés, accordant de larges concessions
fiscales qui s'accompagnent de clanses de garantie contre toute forme
de nationalisation. Le code des investissements se présente ainsi
comme une sorte d'appel d'offres, un contrat de désarmement fiscal
166 Dans cette direction, le groupe AMIRA observe que le doute s'accentue si
la planification utilise non plus seulement des techniques d'optimisation car,
il apparaît illusoire de rechercher à maximiser une fonction objective à un
niveau très agrégé comme le niveau national. Une solution optimale est
presque toujours sensible aux contraintes et aux aléas de l'environnement.
372
qui va avoir pour conséquence une perte de recettes. En effet, pour
apprécier si le désarmement fiscal et douanier était justifié, il aurait
fallu savoir au préalable si l'investissement n'aurait pas eu lieu même
en l'absence de code, et si par ailleurs d'autres moyens de stimulation
n'étaient pas disponibles. Quoi qu'il en soit, les codes des investis_
sements n'ont pas produit les effets attendus 167 •
Quant aux interventions monétaires, elles ne peuvent se faire
que dans les limites extrêmement étroites des engagements souscrits
dans le cadre des Zones Monétaires auxquelles les monnaies
africaines sont rattachées. Cependant, il n'est pas évident, qu'en
l'absence des accords, les responsables des politiques économiques
auraient des initiatives hardies, tellement ils sont obnubilés par
l'orthodoxie monétaire selon laquelle la stabilité monétaire est une fin
en soi. La preuve est apportée par le fait que les faibles possibilités
d'action monétaire qui leur sont offertes ne sont nullement exploitées.
Par contre, les plans mentionnent la nécessité d'une lutte contre
l'inflation, comme si elle était forcément la priorité des priorités dans
le domaine monétaire et financier (stérilisante et perturbatrice).
Au total, dans les politiques économiques, la monnaie est
considérée comme un élément passif. Les axes de la politique
monétaire et financière se réduisent à encourager l'accroissement de
l'épargne et à définir une politique de crédit qui ne pérennise pas les
fondements de l'économie de traite car ne s'exerce véritablement que
pour les grands produits agricoles et les facteurs de productions
nécessaires à ce secteur. Dans un cas, l'objectif visé est d'assurer une
stabilité des revenus des producteurs directs et dans l'autre, de
diminuer les prix par des subventions pour généraliser l'utilisation
des facteurs. La méthode administrative de contrôle des prix ne
fonctionne que partiellement. Pourtant, la structure des prix dans les
pays du Sahel est très loin de refléter les conditions de production et
d'échange. Par ce contrôle, il devrait être possible de maintenir une
certaine correspondance entre cette structure des prix et les
conditions économiques d'ensemble.
Il en va de même pour le commerce extérieur, qui bien qu'il
occupe une place importante, n'est nullement l'objet d'une
planification rigoureuse qui n'existe d'ailleurs que pour les grands
produits agricoles et les facteurs de production agricole.
En repassant en revue ces instruments utilisés, on se rend
compte qu'ils sont liés, peu efficaces pour opérer les mutations et
modifications structurelles. Ils ne permettent même pas de bien
orienter toutes les décisions des agents économiques vers la
. réalisation des objectifs.
167 Moustapha KASSÉ : Tourisme international: évaluation de l'impact sur le
développement. Tome 2, pp. 220-237.
373
Manifestement, ni la méthodologie, ni les instruments ne
confèrent à la planification une utilité et une efficacité. Dès lors, on
.comprend les réajustements incessants dont les plans sont
constamment l'objet et qui sont autant de réadaptations par suite de
défaillances des partenaires privés ou de l'État.
c) La troisième série de raisons qui limitent la base
méthodologique et instrumentale tient aussi à l'absence
d'une prévision scientifique du développement économique
et social
Tout effort sérieux de planification est une exploration qualitative
du futur pour projeter l'ima~e globale de la société à édifier. Cette
vision à long terme permet, comme l'affirme Mouhamed DOWIDAR,
de donner au planificateur une marge de certitude et, en même
temps, de lui faciliter le travail de la cohérence intertemporelle lt1H •
Cette nécessité de la prévision n'est pas reconnue particulièrement
par les défenseurs de la planification indicative. Ils estiment que dans
les pays comme ceux qui composent le Sahel, qui se caractérisent par
l'existence de plusieurs structures, des rapports de production
transitoires et plusieurs centres de décisions autonomes, la prévision
est totalement impossible même si on établit sa nécessité objective. Il
s'agit là d'une grave erreur qui constitue une entrave grave au
processus planifie des économies. Dans cette optique comme
l'observe S. KOUZMINE), tout phénomène de quelque importance
dans l'évolution de la Société a son germe ou son prototype dans les
réalités et l'expérience du passé et du présent. Par conséquent, la
connaissance des lois du développement actuel définit déjà en soi les
limites plus ou moins nettes des changements possibles, établissant
ainsi des « repères» ou des points d'appui» pour ces jugements,
arguments sur l'avenir » 169. C'est donc la recherche de ces points
d'appui qui constitue la prévision et qui doit indiquer les actions à
entreprendre. Bien entendu, la qualité de la prévision « dépendra des
travaux ou de l'analyse structurale du système socioéconomique, du
degré de précision et de profondeur de la détermination des liens de
cause à effet, du dégagement des paramètres fondamentaux qui
agissent sur le sens et la rapidité des transformations qualitatives de
ce système ». Dès lors, pour atteindre ces buts, il faut opérer:
16H Mouhamed DOWIDAR : Les schémas de reproduction et la méthodologie
de la planification socialiste, Éd. Tiers-Monde, Alger.
16l) Stanislas KOUZMINE: La méthodologie de la prévision du développement
du Tiers-Monde. Revue Sciences Sociales, n° 1, 1975, de l'Académie des Sciences
de l'URSS.
374
•
•
•
•
l'étude des structures soclOeconomiques, des systèmes
productifs, des formes et structures économiques qui
coexistent,
la détermination des principaux indices macroéconomiques et
leur dynamique,
l'analyse des facteurs externes du développement, c'est-à-dire
du 'rôle et de la place des rapports réels et monétaires avec
l'extérieur,
l'étude des aspects territoriaux du développement, c'est-à-dire
la répartition des forces productives, de l'infrastructure de
base, l'urbanisation et ses tendances, les marchés effectifs et
potentiels.
De telles études permettront une parfaite connaissance des
sociétés sahéliennes, des structures et systèmes de production, des
habitudes et modes de consommation, elles permettront non
seulement de savoir les décisions à prendre dans l'espace et dans le
temps, mais aussi les obstacles à lever et les contraintes.
C'est seulement maintenant, c'est-à-dire après les catastrophes
que l'on s'aperçoit que le Sahel est sous étudié, sous analysé et que
l'on ne sait que très peu de choses sur les écosystèmes, le milieu agroclimatique, le bilan hydrique. Cette méconnaissance ne permettrait
pas une effective planification du développement rural, c'est-à-dire de
l'activité qui concerne plus de 80% de la population et fournit plus de
la moitié des ressources.
Voilà une faiblesse caractéristique du processus planifié des
économies sahéliennes qu'il faut redresser.
Il importe après ces considérations, d'analyser la dernière
limite liée au cadre administratif et institutionnel.
IV/Les limites liées au cadre administratif de gestion du
processus planifié
On a souvent assimilé le système planifié à la création d'une
lourde machine bureaucratique qui écrase toute initiative individuelle
et à la multiplication des normes nécessitant des appareils coûteux de
transmission et de contrôle. Un tel système d'administration, pensaiton, serait inefficient et risquerait d'absorber les surplus déjà maigres
et d'immobiliser les rares compétences techniques. Un tel excès se
manifeste dans le système centralisé. Pour le Sahel, c'est le
phénomène contraire qui prédomine.
Ils ont hérité de l'ancien régime colonial un appareil d'État peu
maniable dont les vocations étaient principalement une gestion
administrative et politique. Les nouveaux dirigeants ont pensé que la
375
tâche essentielle était de réaménager l'appareil et d'installer les
nouveaux cadres aux anciennes fonctions.
.
On était donc convaincu qu'ainsi s'amorcerait un nouveau
style de modernisation et d'africanisation de l'administration qui la
rendrait apte à gérer la nouvelle situation politique et économique. Il
a fallu, cependant très vite désenchanter car les processus de
transformations et les nouvelles tâches économiques exorbitantes ne
pouvaient nullement être assumées par le vieil appareil d'État
colonial. Le problème des structures administratives adaptées était
ouvert et l'est encore dans une très grande mesure.
La planification devrait nécessiter des changements assez
profonds dans le sens de la création:
•
•
•
•
d'organismes administratifs spécialisés chargés de préparer le
plan, de tracer les domaines et les directions des modifications
des conditions de fonctionnement et de développement de
l'économie;
d'organismes locaux, maillons décisifs du plan ayant vocation
de promouvoir l'économie régionale;
de cadres institutionnels rendant possible une concertation de
tous les services et techniques du développement;
d'organismes de participation et de mobilisation des
populations car la planification doit susciter et discipliner les
efforts productifs de toutes les couches de la nation.
En clair, il s'imposait de créer un tout autre appareil
administratif capable cie garantir de meilleures conditions de
fonctionnement et de gestion de la planification de l'économie
nationale. Cette tâche n'a jamais été clairement perçue par les
responsables des politiques économiques. Ils se sont réduits à créer
des bureaux centraux de planification qui étaient des excroissances
des ministères chargés de l'économie et des services de la statistique.
Ces bureaux avaient des responsabilités extrêmement limitées dans la
conduite de l'économie et se présentaient plutôt comme des cellules
d'enregistrement des projets privés et publics.
L'absence d'un appareil d'administration économique avec
l'existence d'organes compétents pour exécuter des tâches et opérer
une gestion des ressources est une limite essentielle des plans de la
première génération. Des corrections s'amorcent mais peuvent-elles
être efficaces tant que la forme indicative de la planification est
maintenue? En effet, cette forme ne s'~commode pas de l'existence
de leviers économiques et administratifs fonctionnels et impératifs.
En conclusion, cette analyse nous aura particulièrement révélé
les faibles bases méthodologiques et techniques de la planification.
dans le Sahel qui font qu'elle s'est totalement avérée incapable
d'indiquer et d'amener les transformations structurelles. Comme elle
a été incapable de prévoir les calamités, de gérer l'imprévisible ou
d'en déduire les effets. Seulement, il ne pouvait en être autrement car
depuis vingt (20) ans, la planification est au service de stratégies de
développement fondamentalement erronées.
Section fi : Vindispensable réhabilitation de la planification
et des études de prospective stratégique
« Il n'y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il
va ».
Sénèque
« L'Avenir appartient à ceux qui ont la mémoire la plus
longue» .
Nietchze
« Préparer l'avenir ce n'est pas y rêver. C'est choisir, dans
le présent, ce qui est capable d'avenir ».
G. Berger
Il La planification t instrument de management des crises et
des risques
La mondialisation que vivent les économies en développement
est marquée du sceau des incertitudes et de la montée des risques
d'une rare gravité. L'économie mondiale est marquée de turbulences
quotidiennes au triple niveau économique, financier et technologique.
.Les éléments de fragilité du système mondial sont à la fois multiples
et complexes et ont le pouvoir de déstabiliser tous les pays et
particulièrement les plus faibles d'entre eux. Ils· conduisent
inexorablement au crash, à la catastrophe économique et financière
aux conséquences sociales incalculables. Observons qu'en 40 ans
l'économie mondiale a connu 4 crises majeures:
• La crise des années 1970-1975 qui fait suite aux « Trente
glorieuses années ». Elle est celle du premier choc pétrolier et
désordre monétaire
• La crise des années 80 qui correspond au second choc
pétrolier, au resserrement de la politique monétaire
américaine (1979) et au déclenchement de la crise dela dette.
• La crise du début des Années 90 subséquente à la politique
monétaire indûment expansionniste et aux excès
d'investissements, avec la multiplication des créances
douteuses
• La crise issue d'un dysfonctionnement du Système financier
international
Cette situation d'instabilité avait conduit Robert FOGEL (prix
Nobel d'économie) à se demander s'il y avait un pilote dans l'avion
mondial. Paradoxalement, les marchés financiers sont à la base de
377
dysfonctionnements aux conséquences incalculables (crise financière
mexicaine et asiatique). Elle appelle dans le fond trois interrogations
majeures:
•
•
•
Les Institutions Internationales de Régulation (FMI, BM,
OMC, BRI, OCDE, Groupe des 7) peuvent-elles et ont-elles les
moyens de gérer les risques et toutes incertitudes nées de la
libéralisation internationale? Peuvent-elles encore veiller sur
la santé de l'économie mondiale?
Quel modèle de· gouvernance de l'ordre économique et
financier international faudra-t-il instaurer?
Comment prendre en charge les préotcupations de l'Afrique
prise dans le tourbillon de la mondialisation, de l'instabilité
monétaire, des crises financières à répétition. des fluctuations
incessantes des cours des matières?
Dès lors, la crise de la gouvernance mondiale (que devraient
exercer les institutions internationales) n'assure point la protection
des plus faibles par des mécanismes non marchands et· n'apporte
guère de correction aux déséquilibres qui naissent des rapports de
force inégaux.
Les PSD doivent gérer toutes ces incertitudes et risques. Cela
requiert une planification plus rigoureuse appuyée sur des études de
prospective pour prévenir les crises et tirer le plus grand profit des
opportunités qu'offre le système mondial pour la solution de
problèmes comme le transfert de ressources et de technologie,
l'endettement etc. Dans ce cadre. la planification se présente comme
un instrument essentiel de réduction des incertitudes et de maîtrise
du Futur. Elle aide à explorer des avenirs économiques possibles, à
construire un nombre limité d'images du futur et de cheminements
possibles et à élaborer des scénarios contrastés qui reposent sur une
hiérarchisation des variables significatives traitées comme pouvant
être certaines, ou incertaines, probables ou aléatoires, possibles ou
plausibles.
L'ampleur du travail de planification impose une
reconstruction technique des schémas adossés sur des études
prospectives complètes et bien menées.
11/ Impérative nécessité d'opérer des études prospectives au
niveau national, régional et continental
Les études prospectives sur le futur doivent retrouver un
nouvel élan grandissant en Afrique. Dans le passé, plusieurs travaux
de prospective ont été effectivement entrepris depuis la fin des années
378
70 : Études présentées au Colloque de Monrovia en 1979 17°, le Plan
d'action de Lagos de 1980 171 , le Rapport Berg172 et l'étude ILTN73.,
l'Étude du Club de Rome 174 . Aujourd'hui, plus que jamais, avec la
montée des instabilités et des incertitudes, la multiplication des crises
et des risques, (ainsi que leur relatif rapprochement), les
changements multiples dans les règles·dujeu économique et financier
mondial, l'élargissement de la sphère de la spéculation dans les
domaines réels et monétaires de l'économie mondiale et la
progression fulgurante des Technologies de l'Information et de la
Communication, tous ces facteurs rendent l'exercice de prospective
indispensable. 17!i Le PNUD a parfaitement compris les enjeux de la
Prospective avec le financement du Projet d'étude du Futur
Africain l70 . Il s'agira principalement de penser différents cheminements évitant « la myopie du marché et la dictature de l'instant ».
La réduction ou l'élimination des dépenses clairement improductives,
et notamment des subventions d'activités
1711 OUA, 1979. Quelle Afrique pour l'an 2000 ? Rapport final sur les
perspectives du Développement de l'Afrique à l'horizon 2000. Monrovia 1216 février 1979 - Genève, Institut International d'études sociales
171 OUA, 1981. Lagos Plan of Action for the Economic Development of Africa
1980-2000. OUA
172 Banque Mondiale, 1981. Le développement accéléré de l'Afrique au Sud du
Sahara. World Bank, Washington D.C.
ln SCET International, SCET Agri, SEDES, 1984. Une image à long terme de
l'Afrique au Sud du
Sahara. Commission des Communautés européennes, Caisse des Dépôts et
Consignation, Paris.
174 Club de Rome:l'Afrique face à ses priorités, Éditions Économica, 1987
175 Giri J. (1989), Le Sahel au XXIèmc siècle. Un essai de réflexion prospective
sur les sociétés sahéliennes. Paris, Karthala.
Godet, Michel, 1997. Manuel de prospective stratégique. 2 tomes. Dunod,
Paris.
176 Il est très important, sous les angles théorique et pratique de définir les
grandes tendances de l'évolution d'un système économique, quand on veut
donner une valeur scientifique à la stratégie du développement économiques.
379
Chapitre 13
Le retour de l'État et des questions de
gouvernance pour la bonne gestion du
développement
« Aujourd'hui, ce sont les fanatiques du marché
qui dominent le FMI. Ils sont persuadés que le marché,
très généralement, ça marche et que l'État, très
généralement, ça ne marche pas... Dans les cinquante
dernières années, la science économique a expliqué
quand et pourquoi les marchés fonctionnent bien, et
quand ils ne le font pas. Elle a montré pour quelles
raisons ils peuvent aboutir à sous-produire certains
facteurs - comme la recherche fondamentale - et à en
surproduire d'autres - comme la pollution. Leurs
échecs les plus dramatiques sont les crises périodiques,
les récessions et les dépressions qui ternissent le
blason du capitalisme depuis deux cents ans : elles
laissent un grand nombre de travailleurs sans emploi
et une grosse partie du stock de capital sous-utilisé...
L'État peut jouer un rôle essentiel - et il l'a fait-, non
seulement pour tempérer ces échecs du marché, mais
pour assurer la justice sociale... Dans les pays qui ont
le mieux réussi - les États-Unis, l'Asie Orientale l'État a pris en charge ces tâches et, dans l'ensemble,
s'en est relativement bien acquitté. Il a assuré à tous
une éducation de qualité, et a mis en place une grande
partie des infrastructures Adam Smith était bien plus
conscient des limites du marché - notamment des
menaces de la concurrence imparfaite - que ceux qui
s'en disent aujourd'hui les disciples. Il était aussi
beaucoup plus conscient du contexte social et politique
dans lequel toute économie doit opérer. Pour qu'une
économie fonctionne, la cohésion sociale compte. »
Joseph STIGLITZ177
Que recouvre exactement ce terme « institutions» ? De quelle
manière peut-on créer de bonnes institutions favorables à la
croissance et au développement? Depuis les économistes classiques
177
J. STIGLlTZ
I
77 :
La Grande Désillusion. 2002
381
du 17èmc siècle, les facteurs et les structures institutionnels sont
considérés comme déterminants dans le processus de la croissance
économique. Ainsi, A. SMITH, dès 1776, estimait que l'État était
indispensable car il doit protéger la société de la violence et de
l'invasion d'autres sociétés. protéger chaque membre de la société de
l'injustice et de l'oppresseur et enfin entretenir certaines
constructions et institutions publiques. Plus explicitement encore,
Stuart MILL (1848) dans ses «Principes d'Économie Politique»
observe que les moyens de réaliser l'accumulation du capital sont: un
bon gouvernement, l'amélioration de l'information du public, le
déclin des usages ou des superstitions qui empêchent l'efficacité de
l'industrie, la croissance de l'activité mentale qui éveille les esprits à
de nouveaux objets de désir et l'introduction des arts étrangers et
l'importation du capital étranger.
L'État est le lieu de fortes controverses autour de ses sens, de
sa nature et de ses fonctions. La première controverse oppose la
conception marxiste de l'État comme l'instrument de domination de
classe et les autres conceptions, l'État mou, l'État surchargé, l'État
patrimonial et l'État prédateur. Il est intéressant de mettre en
évidence. d'une part les théories de l'État développées par les grands
courants de pensée qui ont traversé ou qui traversent encore les
études économiques et d'autre part, l'intérêt des réflexions en termes
de propriété. La théorie néoclassique analyse l'État comme la somme
des individus agissant collectivement. (L'intérêt collectif étant
considéré comme un intérêt individuel commun à plusieurs
personnes). En principe, le marché détermine un équilibre unique et
stable et dans ce cas, l'État n'intervient que pour réduire les obstacles
techniques qui empêchent la réalisation de l'allocation optimale des
ressources (monopoles, effets externes, biens collectifs purs). L'action
de l'État dans la politique économique est donc subsidiaire en tout cas
déterminée par les contraintes du marché et la prééminence des
actions décentralisées. La théorie keynésienne accorde à l'État un rôle
essentiel dans l'activité économique. La théorie marxiste souligne le
comportement déséquilibré et conflictuel du fonctionnement du
capitalisme qui conduit à l'accroissement des dépenses de l'État qui
n'est en fait que l'émanation de la classe dirigeante. En ce qui
concerne J.M.KEYNES, il théorise l'interventionnisme de l'État en
dégageant une politique économique menée par l'État avec ses deux
instruments traditionnels: la monnaie et le budget. Il propose tout à
la fois une méthode: la macroanalyse, un but: le plein emploi et un
moyen: l'investissement. Cette conception procède d'une volonté
«d'économie concertée et «d'économie contractuelle» car pour
KEYNES. «l'État devra faire ce que le~ " .:.-e:-rises ne peuvent pas
faire» en leur créant, par exemple, des exterr.qIités l" ·<;itives qui les
382
rendent plus compétitives et en favorisant leurs fusions et
concentrations.
Figure 18 : L'État dans la pensée économique
État neutre
Au service de l'intérêt général
Régulation Économique
Keynes
Économie néo-classique
Économie du bien être:
Pigou. Arrow,
Debreu
École de Cambridge: Robinson
développement: Rostow. Chenery
Économie publique:
Musgrave, Samuelson
Économie Libéralisme:
Supériorité de l'État
Marx
École française de la Régulatio
Friedman. Hayek
Supériorité marché
Nouvelle Économie Politique
Boyer
Recherche de rente: Krueger, Bhagwati
Théorie de groupes: Oison
Choix publics: Buchanan, Tullock
Théorie de la bureaucratie
État cc politisé "
Au service de groupes particuliers
Source: SophieThoyer, Courier de la planète n 041, juillet-Aout1997,
Au plan strictement technique et schématiquement, toute
croissance économique est le produit des politiques publiques qui
doivent réaliser une combinaison optimale des déterminants que sont
le travail, le capital, la technologie et les ressources naturelles. De
l'École classique anglaise (A. Smith, Ricardo) jusqu'aux théoriciens
contemporains de la croissance endogène (ROMER, LUCAS, BARRO)
en passant par les keynésiens (KEYNES, HARROO-OOMAR,
KALECKI. HICKS) et les néo-classiques (SOLOW, VON MISES ET
HAYEK). les différentes formulations théoriques enseignent que
croissance et développement dépendent fondamentalement de
l'accumulation de capital physique, humain, technique et social. Si les
déterminants quantitatifs sont bien connus puisque assez bien
analysés, il n'en va pas de même pour le capital social compris comme
un ensemble de valeurs, normes comportementales, d'obligations et
de canaux d'informations visant à instaurer la confiance, à garantir
383
l'application des contrats, à instituer des mécanismes d'assurance et à
favoriser l'apprentissage social (PUTNAM, 1993) et les institutions. Si
ces variables quantitatives et mêmes qualitatives sont bien connues,
ce qui l'est moins, c'est la compréhension de leurs enchaînements, de
leur mise en œuvre dans les politiques économiques appropriées.
La combinaison de ces déterminants qui fixent le niveau de la
croissance économique et social dépend de la qualité des institutions
publiques qui devient en conséquence le facteur essentiel du
développement. Suite au triomphe mondial du néo-libéralisme, le
débat des années 1980 tournait autour du démantèlement de l'État et
de ses institutions au profit d'une libéralisation de tous les secteurs
par privatisation. Les nouvelles exigences du modèle mUl1dialo-libéral
se résument à imposer le marché comme instrument exclusif de
régulation.
Cette vision est fortement contestée par le Président brésilien
Fernando H. CARDOSSO qui estime tout au contraire que la
mondialisation impose de nouvelles tâches à l'État qui « au lieu de
s'affaiblir devrait plutôt se renforcer pour être à même de promouvoir
le développement. En réalité, le rôle de l'État est bien complexe. Outre
les fonctions de sécurité, de santé, d'éducation, il doit accueillir dans
un cadre démocratique les demandes croissantes pour plus d'équité,
pour plus de justice, pour un environnement sain, pour le respect des
droits de l'homme. Une citoyenneté plus exigeante doit correspondre
aussi un raffinement plus grand des actions de l'État. Un État uni et
organisé donc fort, aura de meilleures conditions de faire face aux
besoins de la mondialisation»
Dans le cas de l'Afrique, au moment des indépendances des
années 60, la stratégie de développement appliquée par la plupart des
pays visait notamment à transformer profondément le système
productif et l'appareil administratif. Les politiques publiques avaient
alors réalisé de lourds investissements dans l'équipement et
l'infrastructure sociale mais également dans les secteurs d'activités
économiques. Ces investissements se sont révélés, par la suite,
massifs, peu réalistes, coûteux et d'une faible efficacité. Dans le même
temps, la grave rupture survenue entre les structures de production alimentaires en l'occurrence - et les structures de consommation, a
fondamentalement contribué à opérer une double extraversion: celle
de la production et celle de la consommation. Il en est résulté un
approfondissement du déséquilibre entre la production intérieure et
la demande globale au sein de laquelle prédominait une
consomIJ1ation finale excessive, entraînant un accroissement du
déficit en ressources. Celui-ci sera artificiellement entretenu et
financé par l'endettement extérieur et l'aide publique. Le boom
pétrolier avait favorisé des emprunts publics à des taux relativement
faibles. À la faveur de l'augmentation de la dette publique dans les
384
années 70/80, les marchés financiers sont arrivés aux commandes.
Cela s'est traduit par une augmentation des taux d'intérêt dont le
niveau avait dépassé non seulement l'inflation, mais la croissance.
Les États qui avaient un fort niveau d'endettement sans être
producteurs de pétrole ont alors eu de plus en plus de mal à clore
leurs exercices budgétaires. Il a fallu emprunter pour rembourser les
emprunts passés, à des taux qui promettaient d'engendrer de
nouvelles difficultés. Faute de remèdes radicaux, cette situation
vouait irrémédiablement les pays africains à la faillite. S'y ajoutait
dans la plupart des cas, une énorme distorsion entre l'affectation
théorique et l'utilisation effective de la dette extérieure, qui n'a pas
favorisé la création de conditions adéquates d'extorsion de surplus
nécessaires à l'amortissement régulier du service de la dette (principal
et intérêts échus). Cette situation risquait de constituer assurément le
fondement d'une crise de paiements dont la perpétuation, si rien
n'était entrepris, pouvait déboucher sur une crise sérieuse de
solvabilité. La cessation de paiements se traduirait alors par un retrait
des financements extérieurs et un effondrement des importations qui
aurait des incidences sur la production par le biais des nombreux
secteurs qui recourent à des biens d'équipement importés. Ces
difficultés ont été le propre de la majorité des États qui avaient
financé leur croissance sur l'endettement. Elles ont naturellement été
plus aiguës au Sud, mais les problèmes n'ont pas épargné le Nord, où
l'État Providence a subi de nombreuses attaques, tandis que les
politiques d'offre se sont partout substituées à la régulation par la
demande.
Cette montée des déséquilibres, de l'endettement et la
stagnation de la production ont rendu inéluctable les politiques de
stabilisation et l'ajustement structurel. Aussi a-t-elle fait durement
ressentir ses conséquences, du fait de la compression drastique des
dépenses en vue d'une réduction des créances futures. Le choix, à
l'époque, n'était pas entre le refus d'une telle politique et son
acceptation passive, mais entre la possibilité d'entrevoir, au prix de
sacrifices, un avenir meilleur. et la certitude de s'enfoncer dans la voie
du déclin. La conjugaison de toutes ces situations avait conduit
progressivement tous les États africains à adopter des programmes de
stabilisation et d'ajustement et les mécanismes de gestion qui les
accompagnent, avec l'appui de la Banque mondiale et du FMI au
détriment des stratégies planifiées de développement. À une politique
volontariste orientée vers la modernisation des bases du
développement a ainsi succédé un ensemble de programmes de
gestion des déséquilibres macroéconomiques qui ont conduit à la
remise en cause de la capacité de régulation macroéconomique, de
l'efficacité des politiques redistributives et du niveau de dépenses
publiques et parfois même de la capacité réglementaire des États.
385
La régulation macroéconomique menée par les États passait
jadis par la maîtrise de leur politique budgétaire et du taux d'intérêt;
or la globalisation financière semble exiger l'abandon de cette
intervention. En ce qui concerne la redistribution, la remise en cause
procède de la mondialisation de haute compétition qui impose aux
entreprises une exigence de rentabilité au niveau de l'embauche, ce
qui entraîne les exclusions permanentes du marché du travail. Enfin
pour les dépenses publiques, elles doivent être maintenues tant
qu'elles concernent les infrastructures publiques, les services publics
et l'administration efficaces, le niveau d'éducation et de santé des
ressources humaines qui sont des facteurs-clés de compétitivité.
Cette yision qui a dominé pendant les années 80 et 90 a été
ébranlé par l'échec des PAS appuyée par les IFI et l'avènement des
nouvelles théories de la croissance endogène qui remettent fortement
en question les politiques inspirées de l'analyse néo-classique
dominante inscrite dans un monde virtuel où la concurrence est pure
et parfaite. l'environnement stable, le chômage uniquement volontaire et où l'individu responsable et organisé peut se mettre à l'abri de
l'incertitude. Les nouvelles recherches ont alors rétabli le rôle de
l'État et des institutions dans la croissance économique. Les
institutions sont ces ensembles complexes de normes, de règles, et de
comportements conçus pour une fin collective et qui permettent de
réduire les coûts des transactions. Elles sont de trois ordres: la mise
en place d'arrangements institutionnels compatibles avec les objectifs
fixés; les investissements importants dans le capital humain
(éducation et santé) et un bon État géré par un bon gouvernement.
386
Tableau 21' Fonctions de l'État
Ul
CIl
ëü
E
Pour remédier lU dysfonctionnement
des m'H:~'
'2
"Ë
Ul
l:
.2
Ü
l:
0
u.
Ul
CIl
...
:~
'C
'CIl
...E
Fournir des biens publics purs:
Défense
Protection de la propreté
Stabilité macroéconomique
Santé publique
Se soucier
des
externalités
Réglementer ...
monopoles
Éducation de
base
Protection de
l'environnement
Réglementation
des services
d'intérêt public
Politique antitrust
CIl
'E
Ul
l:
.2
Ü
l:
0
u.
Fonction
de type
interventi
onniste
Combler les
lacunes de
l'Information
Assurance
(santé, vie,
retraites)
Règlementations
financières
Protection du
consommateur
Coordonner les activitM du ..cteur privé
Promotion du marché
Renforcement d.es filières
Pour
assurer
l'équité
sociale
Protéger les
pauvres:
Programme
delulle
contre la
pauvreté
Secours aux
sinistrés
Fournir une
assurance
sociale:
Retraites par
redistribution
Allocation
familiale
Assurance
chômage
1
Assurer une
redistribution:
Redistribution
des actifs
Source: Banque Mondiale, Rapport sur le developpement dans le monde, 1997 :
L'État dans un monde en mutation.
Ces institutions sont accompagnées par des règles et
comportements éthiques compatibles avec les objectifs de
développement. Elles doivent être socialement acceptés et appliqués
par les principaux acteurs de la vie économique et sociale. Les règles
appliquées dans la pratique sont au nombre de quatre: s'appuyer sur
ses propres forces, concentrer ses ressources là où on a un avantage
concurrentiel, choisir le domaine le plus étroit possible et avoir la
détermination. Quant aux acteurs, ·ils se subdivisent en trois
catégories: les entrepreneurs qui soot des hommes de talents
exceptionnels caractérisés par leur souplesse et leur agilité; les élites
intellectuelles et techniques issues des politiques de valorisation des
ressources humaines permettant d'élever le niveau de qualification de
la main-d'œuvre et l'État qui est le principal architecte du
développement et des transformations.
387
Du point de vue du rôle de l'État dans le développement, trois
questions méritent examen (SADOULET, 1991, J.P. LAFFONT 1998). :
•
•
•
Comment faire participer les acteurs au développement?
Beaucoup de travaux récents -en particulier à la suite de
recherches d'histoire comparative menées par EVANS,
RUESCHMEYER et SKOCPOL (1985) et WADE (1990)- ont
porté sur les mesures que peut prendre un État pour favoriser le
développement, notamment l'affectation de fonctionnaires et de
responsables élus ayant pour objectifs la croissance et la
satisfaction des besoins fondamentaux. Ce sont les États
asiatiques qui ont surtout retenu l'attention.
Comment préserver la primauté de l'État sur les groupes de
pression ?_S'il est vrai que l'action des groupes de pression a un
coût en termes de gaspillage des ressources, elle est inévitable en
ce sens que les incitations de ces groupes et de l'État sont
compatibles entre elles (c'est-à-dire cohérentes avec un
optimum individuel contraint).
Comment 'assurer l'efficacité de la politique? Pour un État, le
pouvoir est la capacité de mener à bien ses décisions: il doit
polir cela maintenir sa primauté face aux demandes des groupes
de pression et mener une politique qui assoit sa crédibilité. La
non-crédibilité peut avoir son origine dans une information
imparfaite du secteur privé sur l'engagement réel de l'État, ou
dans la facilité miec laquelle l'État change d'orientation, ce qui
condamne la continuité dans le temps.
La mondialisation dont aucun pays ne peut s'exclure sans'se
priver des bénéfices des progrès technologiques et des échanges,
impose aux acteurs engagés dans le processus à produire de façon
compétitive, à attirer les investissements directs et les capitaux. Cela
appelle la présence d'un État qui devient l'élément crucial des
réussites économiques.
388
Section 1 : Les aspects institutionnels de la croissance et le
retour de l'État dans le jeu économique.
« Le développement est le fait de changement
dans les institutions. Les décisions qui déterminent les
grandes lignes directrices du développement
concernent aussi les cadres qui régissent les activités
de l'homme. Il faudrait insister sur la nécessité
d'adapter ces cadres et de ne point se limiter à une
copie servile des pays industrialisés. Se contenter de
transplanter des appareils de production, sans tenir
compte des comportements, des attitudes et des
valeurs traditionnelles, c'est probablement susciter
des entraves supplémentaires préjudiciables au
développement ».
F. PERROUX
Quand on tente de formuler une politique de développement
on se heurte à une série de problèmes auxquels les autorités
responsables n'ont pas toujours accordé l'attention nécessaire.
Préoccupés par les aspects économiques du développement, les
dirigeants orientent leurs efforts sur les options à prendre en matière
d'industrialisation ou de modernisation de l'agriculture, de pratique
d'une économie ouverte ou repliée sur elle-même. Ils se penchent
aussi sur les questions monétaires et fiscales, sur les problèmes
stratégiques de financement. Toutefois écrit E. GANANGE, les
éléments d'une telle politique économique restent de faible efficacité,
s'ils ne s'accompagnent pas de transformations dans les structures de
base. Le développement ne se limite pas à l'économie; il plonge ses
racines aussi dans les institutions. 17H
Les recherches contemporaines sont revenues sur les
questions institutionnelles avec D. NORTH ET WILLIAMSONS si
bien que nous avons maintenant une meilleure connaissance des
structures institutionnelles et organisationnelles qui permettent
d'obtenir le rythme et les caractéristiques voulues du changement
économique. Ainsi, D. NORTH (1994, 1997) souligne que les
institutions représentent « les règles du jeu dans la société ou les
contraintes humainement disponibles pour former les interactions
humaines. Il ne s'agit pas seulement des règles formelles
(constitution, lois et règlements) mais aussi des contrairites
informelles (normes de comportement, conventions, codes de
conduite auto-imposés). C'est de l'ensemble de ces règles, normes et
17-'
1'.(;.\:\;:'-.:.\(;1':: Insmurions et dé\·c1oppemenr. Revue du Tiers-monde. 1')(,(,
389
conditions de mise en pratique que dépend la performance
économique ». À partir d'un objectif d'économie de coûts de
transaction, les entreprises et les marchés mettent en place des
. institutions pour la gestion des contrats, de l'investissement et des
affaires privées (O. WILLIAMSON, 1995). Plusieurs modes
d'organisation sont possibles: organisation de marché, organisation
mixte, organisation hiérarchique, action publique. Chacun de ces
modes déterminent des incitations et des contrôles différents qui
entraînent différents degrés de coopération ou de concurrence,
différentes conditions crédibles d'investissement et de contrats. Ces
institutions améliorent l'efficacité de l'allocation des ressources
Les années 80 vont voir le triomphe théorique de l'analyse
néo-classique et conséquemment l'acceptation du marché comme
mode quasi exclusif de régulation de la vie économique. Au-delà de sa
fonction allocative analysée par N. KALDOR, il est souligné que le
marché s'adapte plus facilement aux changements qu'un système
d'autorité et de plus il favorise les innovations, le progrès technique,
la mobilité. Dans cette fonction créative, il contribue à la croissance
en déplaçant vers le haut la courbe des possibilités de produCtion.
Enfin, l'économie de marché entraîne l'habitude de la décentralisation
et de l'individualisme liés à terme à la montée des institutions
pluralistes et démocratiques. Dans ce contexte, le marché se présente
alors comme un instrument d'efficacité et d'allocation optimale.
Cependant, il va révéler des imperfections, des défaillances et des
insuffisances qui vont justifier le retour de l'État à une période ou les
économistes institutionnalistes commencent à souligner que
l'économie de marché a besoin d'institutions et d'un pouvoir pour les
faire respecter. Les imperfections du marché communément
soulignées sont de trois ordres:
•
•
•
Les imperfections liées aux marchés financiers et d'assurance
qui peuvent empêcher de réaliser certains projets socialement
rentables mais trop risqués par rapport aux possibilités de
couverture privée,
Les imperfections tenant à la présence d'externalités positives,
c'est-à-dire de situation où l'action de l'entreprise a un impact
positif sur le reste de l'économie, sans que l'entreprise soit
capable de récupérer la totalité des bénéfices,
Les imperfections issues de l'existence des rendements
croissants et d'économies d'échelle.
Dans ce cadre, les théoriciens de la croissance endogène et
ceux des institutionnalistes vont alors réhabiliter l'intervention
publique pour favoriser certaines formes d'accumulation du capital,
des infrastructures. de la recherche et de la formation. La pratique des
390
politiques économiques a fait le reste en conférant dans des pays à
fortes performances économiques (Asie) un rôle prépondérant à
l'État. La question de l'État dans le développement de l'Asie est, selon
E.BOUTEILLER et M. FOUQUIN, l'occasion d'une grande confusion.
En bien comme en mal, l'Etat a joué et joue toujours un rôle essentiel
dans le développement. Il demeure le grand ordonnateur sans lequel
les différents éléments du puzzle ne se mettraient pas en place
spontanément. Rien n'est plus étranger aux conceptions libérales que
l'expérience japonaise ou celle de la Corée du Sud, de Taiwan ou
même de Singapour avec son système d'épargne forcée et sa
planification omniprésente. L'État en Asie est un État développeur ...
L'industrie lourde, l'industrie de haute technologie, les infrastructures
ne sauraient apparaître spontanément. Dans ces domaines, l'État est
moteur, les entreprises publiques omniprésentes... L'État décide, le
marché sanctionne, l'un ne va pas sans l'autre. Toutefois pour
l'Afrique, le problème réside plutôt dans la mauvaise qualité de l'État
précarisé en amont par la mondialisation et informalisé à l'intérieur
par le volume de ses déficits et un secteur ·informel qui lui échappe
totalement, alors même qu'il est écrasé par l'ampleur des surcharges
sociales. Dans ce contexte, sa réforme est indispensable.
Il reste que l'État doit agir avec le marché et non contre lui.
Par rapport aux autres agents selon le mot de J. M. KEYNES :
« l'important pour l'État n'est pas de faire ce que les individus font
déjà et de le faire un peu mieux ou un peu moins mal, mais de faire ce
que personne d'autre ne fait pour le moment». L'État en tant
qu'institution doit être organisé officiellement pour protéger les
contrats entre privés et instaurer ainsi une bonne efficacité contractuelle, condition sine qua non pour retrouver la confiance des
investisseurs tant étrangers que nationaux. Il s'agit ici d'un ensemble
de règles permettant d'instaurer un climat sain, susceptible d'attirer
et de stimuler les investissements, qui à leur tour déterminent la
crOIssance.
Ces mesures sont maintenant connues sous le vocable de
« bonne gouvernance» qui signifie selon la Banque Mondiale "l'usage
de l'autorité politique, la pratique du contrôle sur une société et la
gestion de ses ressources pour le développement économique et
social". L'État doit aussi s'atteler à faciliter et à contribuer à la mise en
place d'un système financier nécessaire à la collecte et à l'affectation
de l'épargne à des investissements privés. Le système financier,
particulièrement le système bancaire, est très déterminant dans le
financement des investissements et des entreprises privées qui sont
au centre du processus de production; par conséquent, ils constituent
les moteurs de la croissance. Toutefois, il faut éviter que le système
financier ne subisse les pesanteurs de l'État car cela aboutirait à des
effets d'éviction sur l'investissement productif. La crise bancaire des
391
années 80 en apporte la meilleure preuve. Enfin, la mondialisation
selon le Président Henrico CARDOSO impose de meilleures tâches à
l'État. Outre les fonctions classiques, il doit accueillir dans un cadre
démocratique des dépendances sociales pour plus d'équité.
Au demeurant, l'intervention de l'État soulève toujours
plusieurs interrogations. L'État devra alors être rénové, maîtriser ses
coûts d'intervention et se montrer convaincant par la qualité de ses
politiques.
Section
2 :
L'État dans le développement
Selon le professeur J. LAFFONT, un bon État est un
Gouvernement bienveillant et informé. Ce Gouvernement se compose
alors des hommes politiques qui contrôlent l'appareil d'État, utilisent
les fonctionnaires des administrations centrales et des collectivités
locales, ainsi que les agents des entreprises publiques pour mener à
bien leurs politiques. Celles-ci devraient tourner, pour l'essentiel,
autour de la mise en oeuvre des moyens pour réaliser les promesses
d'amélioration du bien-être faites lors des campagnes électorales..
Quoi qu'il en soit, dans une démocratie, la bienveillance doit être
avérée sinon, les hommes politiques risquent de perdre leur emploi. Il
faut alors savoir quelles politiques mettre en place pour maximiser le
bien-être social compte tenu des moyens disponibles et de la
nécessaire préservation des équilibres fondamentaux de l'économie.
Les questions sont bien connues en ce qui concerne l'économie:
Comment réaliser les arbitrages entre le souhaitable et le possible?
Comment ordonner et planifier les priorités retenues? Comment
allouer les ressources entre préférences individuelles et biens
collectifs'? Comment organiser le processus décisionnel pour arbitrer
entre les erreurs du premier type (prendre une mauvaise décision) et
les erreurs du second type (rejeter une bonne décision).
Paradoxalement, les réformes institutionnelles sont beaucoup
plus compliquées à définir et à résoudre que les problèmes
économiques. Quel est le modèle institutionnel qui apporte aux
populations une autre organisation sociale et un niveau de bien-être
supérieur à l'ancien?
L'émergence des marchés libres, en l'absence de toute évolution
institutionnelle, n'a pas résolu les problèmes économiques et sociaux
auxquels les pays d'Afrique se trouvent confrontés. Paradoxalement,
l'approfondissement de la crise économique et sociale ainsi que la
mondialisation ont relancé le débat sur le rôle de l'État. En effet, le
modèle libéral induit par l'ajustement structurel en Afrique, montre quO
« Instituer la libre concurrence, la propriété privée et le contrat ne suffit
ni pour imposer une modification spontanée des comportements, ni
surtout, pour réussir une évolution naturelle vers un régime de crois392
sance stable et de concurrence raisonnablement équitable. La transition
n'est donc pas portée par une loi naturelle ou par un attractetlr, mais
demande au contraire l'intervention d'un agent ou d'un sujet historique,
qui est assez aisément identifiable: ce n'est ni un horloger universel ni
une force sociale mobilisée mais l'État pour autant que ses institutions
soient restées ou redevenues suffisamment fortes ou légitimes »
Les Institutions Financières Internationales semblent préconiser
désormais un rôle plus accru à l'État, ce qui apparaît clairement dans les
recommandations sur la bonne gouvernance. Quelles sont les raisons
profondes qui ont motivé ces changements d'orientation et quelles sont
les nouvelles fonctions attendues de l'État? Il semble que les déficiences
des marchés ainsi que les nouvelles théories de la croissance endogène
ont réintroduit l'État au cœur des mécanismes économiques.
Il Les imperfections du marché et l'affaiblissement du
fondamentalisme de marché
Sur le plan théorique comme sur le plan empmque, les
recherches révèlent de graves défaillances des marchés qui se traduisent
selon Lall (1994) dans les faits qu'ils ne donnent pas les signaux corrects
dans l'allocation des ressources entre activités simples et complexes et
entre l'investissement physique, la technologie achetée et les efforts
technologiques internes.
Le marché, a priori reconnu efficace, est considéré aujourd'hui
comme pouvant se révéler myope laissant apparaître des déficiences
trop évidentes. Ces défaillances ont été analysées depuis longtemps PAR
N. KALDüR qui soulignait son double échec dans sa fonction allocative
ct dans sa fonction créative. En effet, soulignait-il, en ce qui concerne la
fonction allocative, « premièrement, les prix peuvent donner de
mauvais signaux car ils subissent des distorsions de la part de
monopoles ou d'autres influences. Ensuite, le travail et d'autres facteurs
de production peuvent répondre, de façon inadéquate ou même
perverse aux incitations du marché. Enfin, bien que pouvant répondre
de manière appropriée aux signaux de prix corrects, les facteurs de
production peuvent être immobiles, incapables de se déplacer ou se
déplacent trop lentement ». Il importe alors, comme l'observe A.
TüURRAINE. de cesser de voir dans le triomphe de l'économie de
marché le fondement d'un nouveau type de société car « l'économie de
marché n'entraîne pas elle-même la formation d'entrepreneurs et d'un
large marché national; de la même manière, politiquement, elle peut se
combiner avec un régime autoritaire comme avec une démocratie
limitée à des élections formellement pluralistes ou, au contraire, avec
une démocratie modifiant en profondeur la répartition des droits, des
revenus et du pouvoir ».
393
Toutes ces défaillances et imperfections conduisent à des
interventions justifiées des pouvoirs publics qui vont devenir des agents
capables de transformer à leur avantage les règles du jeu et les
conditions de leurs interventions. À cela s'ajoute que les marchés, par
essence, ignorent les besoins non solvables et négligent gravement toute
vision à long terme. Ensuite des lacunes apparaissent souvent lorsque
les conditions de la concurrence sont imp~rfaites (et donc accompagnées d'une asymétrie d'informations) et génèrent des externalités
négatives. Dans le cas de l'Afrique, les dualités structurelles et divers
facteurs, obstacles naturels ou sociologiques empêchent la formation et
le fonctionnement de marchés libres. Ce sont ces défaillances qui
réhabilitent aujourd'hui l'État comme un outil parfaitement
indispensable.
Toutes ces imperfections soulignées peuvent être groupées en
cinq catégories:
• les imperfections des marchés internationaux en termes d'offre
comme de demande qui conduisent les pouvoirs publics à
contrôler par divers biais (barrières douanières, normalisation,
etc.) la concurrence ;
• les imperfections des marchés financiers et d'assurances qui
empêchent la réalisation de certains projets socialement
rentables mais trop risqués ou trop peu rentables pour le secteur
privé;
• la restructuration industrielle qui fait appel au concept
d' « avantage construit» : l'absence d'une concurrence
internationale, suite à l'existence d'oligopoles mondiaux
créateurs de rente, amène l'État à subventionner ses entreprises
pour les aider à entrer ou à rester dans l'oligopole mondial afin
de pouvoir capter pour la collectivité nationale une partie des
profits de la rente;
• les externalités positives qui contribuent à l'amélioration de la
productivité et de la compétitivité de l'entreprise sans que celleci ne puisse en supporter les coûts car n'étant pas assurée d'en
récupérer la totalité des bénéfices avec le seul jeu du marché, de
telles externalités se rencontrent dans l'éducation et la
formation, dans la recherche pour le développement, dans la
diffusion de l'information et dans la mise en place d'un
environnement stable et incitatif;
• l'existence de rendements croissants et d'économies d'échelle
pouvant conduire à une situation de monopole qui prive
l'économie des bienfaits d'une saine croissance.
Les théories de la croissance endogène gui s'appuient sur ces
externalités ont remis en piste l'intervention de l'Etat. Les recherches de
P. ROMER ont particulièrement exploré les zones où peuvent exister ces
394
1 -
externalités: dans le capital privé lui-même, par la technologie et
l'information qu'il incorpore, dans le capital public de type
infrastructurel qui vient compléter le capital privé, dans la recherche du
développement où la production de chaque agent bénéficie de
l'ensemble de la connaissance, dans la santé et dans le capital humain
(théorie de G. BECKER). La théorie de la croissance endogène réhabilite
donc l'intervention publique pour favoriser certaines formes
d'accumulation du capital en général, des infrastructures, de la
recherche, de la formation.
D'autres facteurs motivent encore davantage l'intervention de
l'État, particulièrement quand il s'agit des économies en voie de
développement. À ce niveau, trois situations supplémentaires peuvent
être soulignées où l'État est le seul instrument de régulation: d'abord,
la réalisation de la stabilité monétaire dans un cadre macroéconomique et macro-financier assaini; la lutte contre toute les formes
d'exclusion et la production de services sociaux et de biens collectifs
que les utilisateurs ne peuvent pas payer, et l'insertion dans le
système mondial de très haute compétition. Sur ce dernier point, le
Président H. CAROOSO note que « la mondialisation impose de
nouvelles tâches à l'État qui, au lieu de s'affaiblir, doit plutôt se
renforcer pour être à même de promouvoir le développement. En
réalité, le rôle de l'État est bien plus complexe. Outre les fonctions
classiques comme la sécurité, la santé et l'éducation, il doit accueillir
dans un cadre démocratique, les demandes sociales croissantes pour
plus d'équité, plus de justice, pour un environnement sain, pour le
respect des droits de l'homme. À une citoyenneté plus exigeante, doit
correspondre aussi un raffinement plus grand des actions de l'État.
Un État uni et organisé, donc fort, aura de meilleures conditions de
faire face aux besoins de la mondialisation» .
À l'appui de cette idée on avance généralement deux
arguments, d'une part, la constitution d'oligopoles mondiaux
créateurs de rentes pour ses membres et d'autre part, le nouveau rôle
de l'avantage comparatif qui est un élément d'un enjeu plus général:
l'avantage compétitif. Les théoriciens de l'avantage construit
(BRANDER et SPENCER, 1986) ont montré qu'en l'absence d'une
concurrence parfaite sur le marché mondial, avec l'apparition
d'oligopoles, l'État est parfaitement fondé « à subventionner ses
entreprises pour les aider à entrer (ou à rester) dans l'oligopole
mondial afin qu'elles puissent capter à leur profit (et à celui de la
collectivité) une partie de la rente prélevée sur les consommateurs
étrangers, c'est-à-dire que, si l'avantage compétitif est construit, l'État
sera désormais placé au cœur d'une vaste stratégie de promotion et
d'insertion de ses entreprises et autres acteurs économiques dans le
système mondialisé. Il lui revient la mission d'aider à la mise en place
des conditions d'une compétitivité structurelle permettant, au-delà
395
des prix, de positionner les entreprises nationales sur les marchés
porteurs. Le temps de l'État est loin d'être fini. Non seulement le
nombre des institutions étatiques augmente passant de 50 en 1945 à
225 en 1996 mais les de ses structures se renforcent. En somme, si les
« économies nationales se sont transformées, elles n'ont pas disparu
même si leur marge d'autonomie s'est réduite et si leurs instruments
d'intervention ne sont plus nécessairement adaptées aux impératifs
de la période.
L'ensemble de ces raisons explique le retour de l'État comme
gestionnaire de l'économie ou créateur de règles. La Banque Mondiale, à
travers son approche de la gouvernance, adhère de plus en plus aux
théories institutionnelles car elle considère que l'État peut fournir des
biens et services qui remplissent des fonctions économiques centrales.
De même, la gouvernance désigne les aspects institutionnels et
politiques qui permettent à un gouvernement de créer un cadre d'ordre
et de stabilité, de formuler et d'exécuter une stratégie. Sous ce rapport,
l'État et ses structures organisationnelles, ainsi que les modes de gestion
des ressources publiques sont concernés au premier chef.
Appliquée à l'ajustement, la bonne gouvernance retrouve toute
son importance en sens que dans la nouvelle mouvance, l'efficacité
économique et sociale ne peut être atteinte que si on réforme tous les
lieux de concentration des pouvoirs : pouvoirs économiques, pouvoirs
politiques, pouvoirs judiciaires, etc. Dès lors qu'il est admis une
nécessaire redéfinition des rôles et des missions publiques, il faut
s'interroger sur l'ampleur des réformes de l'État qu'il importe
d'introduire.
11/ La réhabilitation et la redéfinition du rôle de l'État
«Il est impossible de mener une action durable de
modernisation de l'appareil de production, de procéder à de larges
réformes sociales, de modifier la culture des entreprises et d'accomplir
un véritable effort pour accr9ître la compétitivjté du pays à l'éch~lle
internationale, sans l'aide et le soutien de l'Etat - mais d'un Etat
complètement rénové»
1 0)
Les réformes indispensables de l'État
Il est connu aujourd'hui que la réforme de l'État ne saurait se
limiter au paradigme simple du mieux d'État qui prendrait sa
signification dans la déflation des effectifs de la fonction publique, à la
privatisation des entreprises publiques déficitaires ou mal gérées. Bien
que de telles mesures soient importantes, ln r~forme devrait aller bien
au-delà de ces quelques a~tions ponctuelbs . : :-:'i'ï.sérer dans une vision
globale d'édification d'une organisation sociale de type fI"weau:
396
En partant de l'idée que le développement économique requiert
plusieurs conditions préalableS :
•
•
•
l'existence d'un projet national cohérent qui puisse mobiliser les
acteurs autour de politiques économiques et financières
pertinentes et gérer l'insertion au système mondial en exploitant
toutes les opportunités que celui-ci offre en termes de capitaux,
de technologie et de marché;
la mise en place d'un système politique décentralisé et la
création d'un appareil judiciaire fonctionnel et efficace ;
l'existence d'une politique sociale qui garantisse l'égalité des
chances, la justice sociale et la solidarité vis-à-vis des plus
faibles.
L'État s'avère comme un instrument indispensable de mise en
cohérence de ces préalables. Cependant, au-delà de cette nécessité bien
évidente, des questions se posent et que P. JACQUEMOT énumère
oom~mh:
.
•
•
•
•
•
•
•
•
Quelle est la taille optimale de l'État ?
Quelles taches doivent lui être confiées et lesquelles est-il
préférable de les laisser au secteur privé?
Doit-il produire lui-même les prestations qu'il fournit ou peut-il
en confier la production à des entreprises privées?
Dans quelles conditions faut-il étatiser des entreprises privées
ou au contraire privatiser des entreprises publiques?
Faut-il accroître ou réduire la réglementation régissant la
plupart des activités privées?
Faut-il vendre les prestations publiques?
Par quels moyens doit-il être mis au service des équilibres
macroéconomiques ?
Quelles sont les limites de l'endettement public?
À cette série de questions, on peut ajouter celles-ci : s'il faut
réformer l'État, pourquoi le faire? Avec C)ui ? Pour qui? Et Comment?
Encore une fois comme le souligne JUDET (1994) la recherche de
« l'État minimum» préconisé par la Banque Mondiale est moins à
l'ordre du jour que celle de « l'État optimum », allégé sans doute, mais
toujours efficace.
La crise des économies africaines des années 80 ainsi que les
expériences d'ajustement structurel montrent que les stratégies de
développement durable et de croissance dépendent à la fois de la
transformation des appareils de production par des politiques
sectorielles pertinentes et par l'utilisation des acquis de la révolution
technologique, de la libéralisation des échanges par des avantages
397
construits à partir des dotations factorielles et du renforcement de la
compétitivité, de l'organisation d'une nouvelle approche de la
productivité des secteurs public et privé, de la création d'un
environnement institutionnel incitatif, de l'élaboration et de la gestion
d'une politique sociale. Ces problèmes économiques et sociaux d'une
telle ampleur et d'une telle complexité ne peuvent être résolus par la
simple émergence des marchés libres. L'État africain doit
impérativement s'engager, mais sur de nouvelles bases et après avoir
réglé sa double crise financière et fonctionnelle qui l'empêche de
disposer de capacités d'analyse et des systèmes d'information
permettant l'élaboration de stratégies de modernisation à long terme.
En conséquence, l'État devrait se réformer et réadapter ses
orientations et structures aux nouveaux processus de développement.
Le consensus dégagé par la Banque Mondiale visant à imposer des
limites à l'intervention de l'État, à alléger les administrations
pléthoriques, à atténuer l'ouverture économique et à accorder une
priorité accrue aux ressources humaines est notoirement insuffisant.
2°) L'État « PRO» en Asie exemple désigné par la Banque Mondiale
La Banque Mondiale offre quelques signes bien évidents de
changement de vision allant dans le sens d'une réhabilitation de l'État.
Dans son Rapport « The Asian Miracle» (1993), elle montre que le
succès des économies asiatiques de haut rendement sont dus avant tout
à la fixation correcte des fondamentaux macroéconomiques (épargne et
investissements élevés, exportations croissantes, stabilité macroéconomique, régime concurrentiel, fortes dépenses d'éducation) et à une
intervention de l'État en harmonie avec le marché (market friendly).
Toutefois, il faut aller bien au-delà de ce qu'il est convenu
d'appeler le gouvernement du marché par l'État rendu nécessaire pour
garantir les conditions de fonctionnement du marché en imposant des
normes, des règles. C'est vers un État mobilisateur qu'il faut s'orienter:
un État qui soit capable d'assumer des missions de transformation de
l'économie, de régulation, de mobilisation des acteurs et de gestion de la
cohésion sociale. Ce type d'État devrait réussir l'intégration de la vie
politique, de la vie économique et celle des acteurs sociaux.
Au regard des expériences asiatiques, cette conception n'est pas
loin de celle de l'État «PRO» (promoteur, producteur, prospecteur,
programmateur) qui a joué un rôle central dans le développement
économique et social.
La question fondamentale est alors de savoir quelles sont les
réformes à introduire pour opérer une transition d'un Etat faiblement
interventionniste ou en voie de déseng~g"" ::cot à un État ayant pour
missions essentielles de créer les cOI!ditions ravorables au
développement et à la croissance et qui soit c<1p<iûl~ àe corriger
398
positivement toutes les imperfections des marchés. Dans cette période
d'ajustement structurel, ces réformes doivent conduire à doter l'État
d'une capacité endogène de formulation et de gestion des politiques
macroéconomiques d'une part, et de régulation sociale d'autre part.
Toute politique économique dépourvue de contenu social va manquer
de légitimité, de durabilité et d'efficacité. Partant de l'expérience de
l'Afrique V. K. ,JAYCOX (1992) note qu'elle n'a pas bénéficié du même
traitement que les autres régions. En Afrique, on s'est borné à « gérer la
crise» et à quelques exceptions près, les bailleurs de fonds n'ont fait que
« répondre à la crise» par des projets d'assistance technique ponctuels
et à court terme. Peut-on vraiment se féliciter que l'assistance technique
à l'Afrique ait augmenté de 50% depuis le milieu des années 80 et
qu'elle atteigne aujourd'hui 4 milliards de dollars par an ? Peut-on'
accepter la présence de 100.000 conseillers techniques expatriés dans la
région, c'est-à-dire plus qu'à l'indépendance» En effet, la capacité
d'analyse de la politique économique et la gestion du développement
sont ies lacunes les plus criantes de l'État. Or, ces capacités sont
essentielles au processus d'ajustement. Elles sont au coeur de la
dynamique du développement puisqu'elles identifient les changements,
les analysent, y réagissent et lès gèrent. Dotés de telles capacités, les
pays assumeraient mieux leurs politiques de développement et seraient
beaucoup plus motivés pour les faire aboutir.
À partir de ces missions diverses et des fonctions managériales
de l'État, les réformes à entreprendre peuvent se résumer pour
l'essentiel à :
•
•
•
•
la mise en place d'un véritable programme de réforme de l'État
pour en faire un instrument efficace capable de gérer un système
économique performant et un régime démocratique de liberté;
l'instauration d'une administration de développement à même
de créer un environnement favorable au développement et à la
croissance;
l'élaboration d'une politique sociale suffisamment expressive de
l'idée que toute réforme économique et démocratique qui
n'induit pas de changement social ne sera pas viable ; en
d'autres termes, l'État doit inclure la gestion du social dans sa
stratégie de réforme et mettre en place des mécanismes de
solidarité;
la décentralisation ou le transfert du pouvoir réel à la base qui
permet la mobilisation de cette myriade d'acteurs et
d'organisations de la société civile pour un développement
participatif. La décentralisation va alors devenir l'école du
citoyen réellement actif.
399
111/ De quelques formes d'État acteur principale de la
politique économique.
Jadis, l'État avait fortement enflé à la fois au niveau
économique (constitution d'un secteur public hypertrophié) et au
ni\'eau social (en tentant de protéger tous les citoyens contre tous les
dangers). Ce dernier aspect a entraîné une surcharge des finances
publiques de manière parfaitement inefficaces: on ponctionne les
citoyens par de multiples prélèvements obligatoires sans pouvoir
améliorer ni la pauvreté, ni le chômage, ni les infrastructures sociales.
11 s'agit de choix national qui a conduit à deux types d'État: l'État
justicier et protecteur et l'État partenaire, chaque type idéal pouvant
comporter différentes variantes.
1°) L'État justicier ct protecteur
L'interventionnisme social a pour soubassement théorique le
réformisme qui a pris aujourd'hui plusieurs significations selon les
écoles philosophiques, politiques et religieuses qui l'inspirent. C'est la
justice sociale surtout l'équité au niveau de la redistribution des
'richesses qui est le justificatif. le ciment de toutes les Écoles de pensée.
La première forme de l'interventionnisme a concerné la
protection des travailleurs contre les graves abus de la révolution
industrielle du capitalisme naissant en matière de droits des
travailleurs, de volume de travail, de niveau de salaire et de la
protection du travail. Cette protection passait d'une part par
l'élaboration d'un droit du travail protecteur du travailleur et de son
outil de travail ct d'autre part par le recours à des allocations
correctrices de toutes les distorsions qui naissent de l'organisation
économique et soeiale.
Aujourd'hui, une bonne partie des risques sociaux sont
couverts par la Sécurité sociale qui partant brasse des Fonds
substantiels qui en font un acteur financier de premier ordre dans le
système financier international.
La seconde forme concerne la fiscalité qui est devenue au fil du
temps l'instrument privilégié de l'État: la justice par l'impôt. Il s'agit
de réduire les inégalités sociales par une taxation spéciale des grandes
fortunes. La social-démocratie suédoise est basée sur cette
philosophie. Il faut écrivait Olaf PALM « un État plus doux pour les
paU'Tes et plus exigeant pour les riches ». D'autres États ont élaboré
des politiqu~s de redistribution du revenu car selon le mot de Jacques
DELORS « Le gâteau social ne sort pas bien découpé du four de la
production. Or, mieux découpé plus il sera grand ».
.
La troisième forme est celle de l'État protecteur de J'économie
nationale au niveau interne par les nationalisations des secteurs clefs
400
et à même exercé un monopole sur certains d'entre eux comme l'eau,
l'électricité et le transport et à l'échelle externe par l'application de
politiques protectionnistes vis-à-vis de l'extérieur: protection des
industries naissantes et des avantages relatifs.
Dans la mondialisation, le protectionnisme est loin d'être
éteint, il a changé de forme et se déroule entre les blocs de haute
compétition qui configure la mondialisation multipolaire: ALENA,
UE, ASEAN. MERCOSSUR.
J. M. KEYNES théorise l'interventionnisme de l'État en
dégageant une politique économique menée par l'Étàt avec ses deux
instruments traditionnels: la monnaie et le budget. L'auteur offre
tout à la fois une méthode: la macroanalyse, un but: le plein emploi
et un moyen: l'investissement à un niveau de vie. L'interventionnisme va alors devenir monétaire et financier et s'exprime par les
actions exercées par les organismes publics sur le marché financier ou
le crédit à moyen terme. Les émissions d'emprunts publics ou semi
publics permettent de mobiliser une bonne partie de l'épargne en vue
de financer l'investissenient.
Progressivement l'Etat a cherché à protéger tout le monde
contre tous les risques qui pourtant ne cessent de s'élargir. Ce sera le
début de sa dégénérescence: les citoyens de plus en plus nombreux
demandent de plus en plus de prestations sociales et veulent payer de
moins en moins d'impôts. Ces deux aspirations sont contradictoires.
2°) L'État partenaire: vers un partage de rôle entre l'État et le Privé
Cette nouvelle forme d'intervention s'est manifestée d'abord
par une volonté « d'économie concertée »et « d'économie
contractuelle ». La planification française en a été l'occasion. Il s'agit
profondément d'une sorte de partage de rôle entre Secteur public et
Secteur privé. Keynes dira que « l'État devra faire ce que les
entreprises ne peuvent pas faire ». Le secteur public de la recherchedu développement et de la Défense nationale crée des externalités
positives. En plus pour rendre les entreprises plus compétitives, l'État
favorise les fusions et les concentrations de celles-ci
L'interventionnisme va profondément changer de nature et de
fonction. L'État n'impose plus mais propose et régule pour le bon.
fonctionnement de l'économie.
Au niveau des structures formelles les choses ne vont pas
mieux suite à la crise profonde du système public de sécurité sociale,
symbole de «l'État-providence» qui accuse une triple crise
d'efficacité (effets pervers de prélèvements excessifs) ; une crise de
légitimité avec côté recettes une redistribution à rebours et côté
dépenses la solidarité déviée avec des difficultés d'évaluation et une
crise d'adaptation. Pris en tenaille entre l'accroissement soutenu des
401
dépenses et le tarissement des sources de financement du fait de
l'assainissement économique et financier, le fonctionnement du
système de redistribution et de protection sociale est de plus en plus
bloqué.
Section 3 : La décentralisation ou la connexion avec le local
Il La décentralisation
La décentralisation apparaît comme une réponse à la crise de
gouvernabilité observée au niveau de l'État central. La
décentralisation est en effet considérée comme une de.,.; modalités les
plus sûres de modernisation des États, et une des voies possibles pour
accélérer le développement, notamment en Afrique. La
décentralisation correspond à la reconnaissance aux collectivités
territoriales locales d'un certain niveau de responsabilité sur la
gestion de leurs affaires. Cette responsabilité peut prendre la forme
d'un transfert de certaines compétences exercées auparavant par
l'État central, ou se traduire par la reconnaissance à la collectivité
territoriale d'une compétence générale, à l'exclusion d'un nombre
limité de domaines gérés exclusivement par l'État central (affaires
étrangères, sécurité publique, gestion macro-économique ...). Cette
vision de la décentralisation est ~n fait avant tout un système de
partage de pouvoirs entre l'État et ses démembrements. Elle est donc
essentiellement reliée à la sphère institutionnelle publique. Mais il
existe une autre conception de la décentralisation.
Dans la littérature anglo-saxonne, la décentralisation est
décrite comme un processus graduel de transfert de pouvoirs aux
populations, qui va de la déconcentration à la privatisation, en
passant par la délégation et la dévolution des pouvoirs. Vue de cette
manière la décentralisation n'est donc plus réservée à la sphère
publique, elle concerne de fait tous les acteurs, y compris les
organisations et associations de base, les ONG, les intervenants du
secteur privé... Dans un cas comme dans l'autre, la décentralisation
inscrit le niveau local au cœur de toute stratégie de développement
durable. C'est en effet à ce niveau que le développement est expérimenté au quotidien, d'où l'engouement actuel pour les questions de
développement économique local. Pratiquement tous les pays de la
région ont adopté et mettent en œuvre des politiques de décentralisation par lesquelles les collectivités locales deviennent des
acteurs importants du développement. Tous attendent des collectivités locales un second souffle dans la mobilisation des populations
pour la bataille du développement, en même temps qu'une meilleure
redistribution des fruits de la croissance. C'est la raison pour laquelle
la plupart des lois de décentralisation demandent aux collectivités de
402
définir un plan de développement local qui fixe le cadre et la stratégie
de l'organisation territoriale du développement local.
Le besoin d'une mobilisation politique des acteurs à tous les
niveaux autour de la problématique territoriale de la Nation implique
un effort important de production d'une information de base
localisant les principaux enjeux du développement et les espaces de
projets, dans l'objectif d'identifier les collectifs d'acteurs capables de
porter les différents projets. Ces espaces-projets sont différents des
espaces administratifs et doivent inclure des dimensions supra et
intra territoriales. On remet de la sorte les thèmes de l'aménagement
du territoire au cœur du débat démocratique.
11/ L'aménagement du territoire, un impératif du développement
africain
Un territoire, au sens économique, est le siège géographique
des activités humaines. La population qui occupe cet espace procède
spontanément à son organisation, en fonction de données naturelles,
culturelles, militaires et économiques. Aujourd'hui, l'état de
développement, les progrès technologiques de même que la nécessité
de la décentralisation ont rendu nécessaires un aménagement programmé et créatif du territoire, pour au moins trois sortes de raisons:
des raisons économiques, des raisons sociales et des raisons
politiques.
D'abord le modèle d'aménagement obéit à une nécessité
économique dans des pays en voie de développement comme les
nôtres. Les activités économiques et financières tendent spontanément à la concentration géographique. C'est cela qui explique la
bipolarité Dakar - reste du Sénégal. Il en est de même pour les autres
capitales. Les producteurs comme les commerçants ont intérêt à se
rapprocher de l'espace polarisant. L'industrie appelant l'industrie de
même que les services et l'administration, tout finit par se concentrer
spontanément dans les grandes villes; ce qui soulève beaucoup de
problèmes.
Ensuite, le schéma d'aménagement du territoire est une
nécessité sociale. En effet, la concentration des activités crée une
inégalité géographique devant l'accès à l'emploi. Elle entraîne des
migrations qui vident certaines régions et conduisent au surpeuplement d'autres régions. Pour trouver un emploi ou pour en changer,
les travailleurs doivent de plus en plus quitter leur lieu de naissance,
cela devient une mobilité forcée avec tout ce que cela comporte
comme conséquences sociales.
.
Enfin, l'aménagement du territoire procède d'une nécessité
politique. Sur ce plan, il faut redéfinir le rôle que l'État doit jouer dans
le fonctionnement de l'économie. En effet, l'État moderne est à la fois
403
l'élément stabilisateur, l'instrument de création des externalités
positives et le garant de la cohésion sociale et de l'unité nationale.
C'est pour ces raisons que l'État doit intervenir dans la localisation
des activités en cherchant à les orienter par des incitations et par le
financement d'infrastructures de base ou bien en cherchant à les
planifier par des moyens « autoritaires»
Dans ce cadre, pour éviter les disparités régionales trop fortes
et le développement des inégalités, il ne suffit pas de protéger des
régions pauvres en leur distribuant par des moyens artificiels des
ressources financières ou autres. Il faut plutôt concevoir autrement
l'aménagement du territoire pour non seulement changer d'échelle
mais également mettre en réseau acteurs et territoire. Une politique
de redistribution des revenus en faveur des populations rurales
opérée par les autorités ne semble pas indiquée pour une économie
aux ressources limitées, du moins elle n'est pas une solution de long
terme.
Il revient à l'État de définir une stratégie novatrice pour
amener les ruraux à participer à la croissance de manière en en
recueillir les fruits. J.LAFFüNT ne dit-il pas « qu'un bon État est un
Gouvernement bienveillant eJ informé, se composant d'hommes
politiques qui contrôlent l'appareil d'État, utilisent les fonctionnaires
des administrations centrales et des collectivités locales ainsi que les
agents des entreprises publiques pour mener à bien leurs politiques ».
Celles-ci devraient tourner, pour l'essentiel autour de la mise en
œuvre des moyens pour réaliser les promesses d'amélioration du
bien-être faites lors des campagnes électorales.
Section 4: L'instauration de la bonne Gouvernance politique,
économique et sociale
Dans la vision keynésienne, l'État est un agent économique
très spécifique, dont l'intervention est légitimée par l'exercice de trois
fonctions majeures (selon la typologie de MUSGRAVE): la
production (ou allocation) de biens et services, la redistribution des
revenus, la stabilisation ou régulation de l'activité économique. Il doit
définir et mettre en œuvre les programmes d'action que sont les
politiques publiques indispensables pour assurer les ajustements de
structures et les cohérences entre secteurs d'activité. De plus, il doit
développer, outre l'infrastructure publique, les règles qui assurent la
libre concurrence, la démocratie et une répartition plus égalitaire des
actifs dans le secteur privé, témoignant ainsi la confiance reconnue au
jeu du marché et à ses fonctions régulatrices. En tant qu'institution, il
doit protéger les contrats entre privés et instaurer ainsi une bonne
efficacité contractuelle, condition sine qua non pour retrouver la
confiance des investisseurs tant étrangers que nationaux. Il établit un
404
ensemble de règles permettant d'instaurer un climat sain, susceptible
d'attirer et de stimuler les investissements qui, à leur tour,
déterminent la croissance.
Ces mesures sont maintenant connues sous le vocable de
« bonne gouvernance ». Celle-ci doit particulièrement veiller à
légitimer l'action de l'État par une strictc observance des règles
d'équité et l'instauration d'institutions judiciaires indépendantes
intervenant après échec des médiations préalables et des organes de
prévention des conflits. Le volet économique consiste à construire des
systèmes, des procédures et des organisations socialement
acceptables et capables de réguler dans la transparence et l'équité, la
production et la redistribution des richesses économiques, ainsi que
les ressources nécessaires au développement de l'ensemble de la
société à long terme. Dès lors, la gouvernance économique se décline
en quatre grands domaines, reliés entre eux mais distincts dans leurs
champs respectifs, leurs méthodes et leurs principes généraux de
fonctionnement:
Le premier domaine est relatif à la gestion macroéconomique, la bonne gouvcrnancc est souvent mesurée à l'une dcs
simples indicateurs de performance économique, à savoir:
.•
•
•
•
la gestion des déficits publics interncs et externes,
la politique de maîtrise de l'inflation,
la politique monétaire et politique de change,
les politiques sectorielles incitatives aux activités productives,
Le second domaine concerne la création et le
développement d'un environnement favorable aux producteurs. Dans
ce sens, les aspects les plus couramment évoqués par les opérateurs
concernent:
•
•
•
le système financier et de crédit,
le régime fiscal applicable aux entreprises,
la législation du travail,
Le troisième domaine intéresse la régulation économique
pour laquelle trois éléments semblent devoir être privilégiés pour
améliorer la gouvernance économique globale:
•
•
•
le système financier,
la concurrence,
les moyens comptables et d'audit.
Le quatrième domaine se rapporte à l'édification et au
développement d'une société civile forte, dynamique et capable de
405
demander des comptes aux gouvernements. Elle doit être encouragée
par la mise en place d'un cadre institutionnel ouvert sur le pluralisme,
la promotion de la dimension genre, l'indépendance de la Magistrature et d'autres entités telles que les commissions électorales, les
organes chargés des droits de l'homme et les dispositifs anticorruption.
Au demeurant, l'intervention de l'État soulève toujours la
question de son efficacité ce qui fait penser aux coûts directs de
fonctionnement de l'administration. aux coûts imposés au secteur
privé, aux distorsions causées dans l'économie. À ce niveau, on peut
transposer la formule de la subsidiarité dans la définition des
missi,)ns de l'État africain: lorsque les ménages et les entreprises ont
plus de capacité à .exercer une activité, l'État doit s'abstenir
d'intervenir. Cette position était déjà défendue par J. M. KEYNES
lorsqu'il observait que « l'important pour l'État n'est pas de faire ce
que les individus font déjà et de le faire un peu mieux ou un peu
moins mal, mais de faire ce que personne d'autre ne fait pour le
moment ». À cela, M. Chatelus ajoute que pour être efficace, l'État
doit, intégrer les enseignements de la théorie des organisations, les
concepts de système et de stratégie. Il lui faut moderniser sa gestion
(approche management public), en partant d'une définition claire des
objectifs et non des moyens. Cela suppose la réhabilitation des
travaux de planification et de prospective.
Il La notion de bonne gouvernance
Cela fait une bonne dizaine d'années que le concept de
Bonne Gouvernance» a fait irruption dans le domaine du
développement. La notion est apparue en 1989, dans une étude de la
Banque mondiale. Elle n'a cessé, depuis, d'être évoquée dans les
publications des chercheurs. les injonctions des bailleurs de fonds ou
les discours des gouvernements. Comment expliquer pareil succès
aussi rapide? Pour qu'un concept soit aussi rapidement popularisé
par des milieux aussi divers. il faut qu'il réponde précisément à des
préoccupations centrales du système dont il est issu. On serait donc
tenté de croire que l'apparition de la gouvernance correspond à un
changement de paradigme dans la problématique du développement.
Il s'agissait à l'époque, pour les promoteurs des programmes
d'ajustement structurel (PAS), de corriger l'approche « économiciste» de ces programmes et de mettre davantage l'accent sur
l'importance de leur environnement normatif et institutionnel.
Dans les années 90, la dislocation de certains États - tant en
Afrique qu'en Europe de l'Est - ainsi que les difficultés rencontrées
dans la mise en œuvre des PAS, ont conduit la Banque mondiale à
redécouvrir la dimension institutionnelle du marché, déjà très
présente chez Adam SMITH On s'est alors enthousiasmé pour les
«
406
questions touchant au bon fonctionnement des institutions. L'enjeu
consistait à trouver les moyens de faire fonctionner efficacement les
mécanismes de marché, donc d'éliminer les dernières rigidités qui
auraient pu gêner l'ajustement de l'offre et de la demande par les prix.
C'est dans un tel contexte, caractérisé par le regain de vigueur de la
théorie institutionnelle du marché et la défiance persistante vis-à-vis
d'une gestion gouvernementale jugée responsable de la crise, que la
Banque mondiale a recouru pour la première fois au concept de
bonne gouvernance. Les distorsions qui caractérisent le
fonctionnement des marchés ne pouvaient avoir qu'une origine, à
savoir: les décisions arbitraires et imprévisibles des États.
Responsabilité, transparence, décentralisation et participation, autant
de concepts dont l'application n'a concerné qu'un seul acteur: l'État.
Le concept a été par la suite affiné par de nombreuses
institutions internationales et partenaires au développement (PNUD,
Banque Mondiale, OCDE,) comme cela apparaît dans l'encadré qui
suit:
Encadré 19 : Différentes définitions du concept de gouvernance
Agence Canadienne de Développement International (ACDI) :
L'ACDI utilise les termes « bon gouvernement .. ou " saine gestion
des affaires publiques .. pour désigner la façon dont un gouvernement gère
les ressources sociales et économiques d'un pays. Le bon gouvernement
(ou la saine gestion des affaires publiques) désigne un exercice du pouvoir,
à divers échelons du gouvernement, qui soit efficace, intègre, équitable,
transparent et comptable de l'action menée.
Banque Asiatique de Développement: Pour la Banque Asiatique
de Développement, la gouvernance se réfère à l'environnement
institutionnel dans lequel les citoyens interagissent entre eux et avec les
agences gouvernementales. Même si les aspects reliés aux politiques sont
importants pour le développement, le concept de bonne gouvernance tel
1 que définie par la Banque aborde essentiellement les ingrédients reliés à
1 une gestion efficace. La Banque perçoit la gouvernance comme un
synonyme de gestion du développement efficace.
Banque Inter-américaine de Développement: La Banque Interaméricaine de développement est concernée par les aspects économiques
de la gouvernance et la capacité de mise en œuvre de l'appareil
gouvernemental. Ceci implique la modernisation du gouvernement et le
renforcement de la société civile, la transparence, l'équité sociale, la
participation et l'égalité des sexes.
Banque Mondiale: La Banque Mondiale définit la gouvernance
comme la manière dont le pouvoir est exercé dans la gestion des ressources
économiques et sociales d'un pays, et dans un but de développement. Cette
définition fait ressortir les trois axes de la gouvernance à savoir: la forme du
régime politique, la manière dont l'autorité est exercée dans la gestion d'un
407
pays, et la capacité du gouvernement à déterminer et appliquer les
politiques.
Comité d'aide au développement de l'Organisation de
Coopération et de Développement Économiques (OCDE - CAO). Le
CAD utilise une définition de la gouvernance qui rejoint celle de la Banque
mondiale, et qui désigne « l'exercice du pouvoir politique, ainsi que d'un
contrôle dans le cadre de l'administration des ressources de la société aux
fins du développement économique et social ».
Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD).
1 Pour le PNUD, il faut entendre par gouvernance. l'exercice d'une autorité
'\ politique (la formulation de politiques), économique (la prise de décisions à
. caractère économique) et administrative (la mise en œuvre de politiques)
aux fins de gérer les affaires d'un pays. Suivant cette définition, la
gouvernance repose sur des mécanismes, des processus et des institutions
qui permettent aux citoyens et aux groupes d'exprimer des intérêts de régler
des litiges et d'avoir des droits et obligations. Le PNUD a de plus cerné les
trois paliers de gouvernance, à savoir l'Etat qui créée un environnement
politique et légal propice; le secteur privé qui crée emplois et revenus, et la
société civile qui facilite l'interaction politique et sociale.
Il apparaît alors que la gouvernance renvoie pour certains à
une amélioration de la gestion du secteur public; une responsabilité
économique; la prédictibilité et l'autorité de la loi et la transparence
dans la gestion des affaires publiques. Pour d'autres, elle signifie
« bon gouvernement» caractérisé par les vertus de responsabilité, de
légitimité et de compétence (Banque Mondiale, 1989; ODA, 1993).
Également, la gouvernance rattachée de façon explicite à la
démocratie (USAID, 1991). Cependant, une autre tentative visant à
synthétiser la définition renvoie à la gouvernance en tant qu'exercice
de l'autorité politique, économique et administrative dans la gestion
des affaires nationales à tous les niveaux (PNUD, 1997). Appuyée sur
trois concepts clefs: la responsabilité, la décentralisation et la
transparence, la bonne gouvernance a donc consisté en une sorte de
« juridicisation » de l'action publique.
Depuis son apparition, la notion de bonne gouvernance est
étroitement liée à la recherche de solutions à la crise de l'État avec,
cependant, des variantes selon les priorités des organisations
intervenant dans l'octroi et la gestion de l'aide internationale. Or,
aujourd'hui, deux principales conceptions de l'État émergent : la
vision jacobine, inspirée de ROUSSEAU, qui repose sur une
conception utopique du pouvoir politique et de la vie démocratique,
autrement dit sur un postulat général de bienveillance des hommes
politiques et de l'administration. Cette conception est caractérisée par
l'absence d'incitations monétaires et de sanction; la conception
inspirée de MONTESQUIEU, qui consacre l'absence de bienveillance
des gouvernements et prend compte, à cet effet, de l'influence des
408
groupes d'intérêt. L'organisation de l'État est repensée en termes de
contre pouvoirs.
La plus ou moins bonne ~ouvernance étant indéniablement
liée à la forme d'organisation de l'Etat, force est de reconnaître que le
modèle jacobin, utile à une certaine époque, est devenu inadapté voire
inefficace à cause essentiellement de la complexité de la société et de
l'économie. Or, les pays africains semblent prisonniers de la vision
jacobine qu'ils ont héritée de colonisation française et qui devient un
véritable vecteur de corruption
Les institutions internationales sont elles aussi prisonnières de
cette vision jacobine. Les politiques d'ajustement dont elles
préconisent l'application prônent une réduction des salaires réels déjà très bas - dans la fonction publique, mettent en place des
incitations au départ volontaire des fonctionnaires, incitations dont
profitent les employés de l'État les plus dynamiques qui peuvent saisir
les opportunités des conditions de travail plus favorables qui leur sont
offertes hors de la fonction publique (le secteur privé).
La théorie du choix public, outre la nouvelle économie
publique dont elle fournit une marque, postule que les décideurs
politiques ne sont guidés que par la poursuite de l'intérêt général. En
lieu et place de cette vision platonique, la théorie du choix public
insiste sur le fait que ces décideurs, comme on le suppose dans la
théorie économique standard, se comportent comme «l'homoéconomicus » : ils maximisent leur bien-être économique personnel.
Sans doute, il serait excessif d'aller jusqu'au bout de la logique
de la nouvelle économie politique qui déboucherait sur ce que
JAGDISH BHAGWATI 1989 a appelé « le paradoxe du
déterminisme» (paradox determinacy). Si les politiciens et les
bureaucrates déterminent leurs actions dans le but de maximiser leur
bien être personnel, alors l'analyse normative n'a aucune chance
d'influencer la politique.
Il faut s'interroger sur les conditions préalables à la mise en
place des politiques de bonne gouvernance qui sont dans une large
mesure liées à l'application des politiques économiques profondes
dont l'Afrique a besoin. En effet, le schéma de la bonne gouvernance
est appliqué aux pays en développement en général et à l'Afrique en
particulier sous l'instigation des partenaires au développement et des
institutions internationales. Des efforts louables sont entrepris en
Afrique pour mettre en œuvre la bonne gouvernance; ils sont orientés
vers plus de participation, de responsabilité, de décentralisation et de
transparence. De nombreux programmes visant à étendre le champ
de la responsabilité publique (politique ou administrative) ont été mis
en œuvre ces dernières années. Les donateurs ont voulu tout à la fois
rapprocher les décisions du lieu de leur mise en œuvre et accroître la
soumission au droit des autorités publiques et ce, tant au niveau local
409
que national, à travers la décentralisation et le contrôle de légalité qui
l'accompagne, comme par le truchement de mesures tendant à
renforcer l'indépendance de la justice. Ils ont cherché à obtenir une
plus grande transparence, via l'appui aux médias indépendants, la
publication des procédures de passation des marchés publics, ou
l'appui à la création de structures d'observation des élections.
L'ensemble de ces stratégies a contribué à promouvoir et à renforcer
l'État de droît, support essentiel de la bonne gouvernance.
11/ Les différents volets de la gouvernance
1°) Le volet institutionnel
Il constitue aqjourd'hui un enjeu important de la recherche et
un volet déterminant de la bonne gouvernance. Comprises comme des
ensembles complexes de normes, de règles et de comportements, les
institutions sont conçues pour des fins collectives. C'est pourquoi,
elles sont souvent assimilées à dt;" organisations c'est-à-dire
des unités de coordination ayant des frontières identifiables et
fonctionnant de façon relativement continue en vue d'atteindre des
objectifs partagés par les divers acteurs de la vie économique,
po'litique et sociale. L'État et son administration, les marchés et les
ONG sont au cœur même du dispositif institutionnel. Quelles sont
leur composition et leurs principales missions, particulièrement dans
les réformes économiques et politiques? Le volet institutionnel
comprend les éléments suivants: la création d'une commission
électorale indépendante; l'existence d'un médiateur; l'auditeur
général; la direction des crimes économiques et de la corruption; la
commission des droits humains; une autorité indépendante pour les
médias; l'existence d'une société civile active, etc. Cependant, le
simple fait de créer ces institutions ne suffit pas. Leur fonctionnement
réel est essentiel. La raison en est qu'en dépit de la diversité qui
caractérise leurs passés et leurs expériences, les pays africains dans
leur ensemble commencent à accepter l'idée qu'il y a urgence à créer
et à renforcer un cadre institutionnel pour une bonne gouvernance.
Les progrès déjà réalisés sous le multipartisme doivent maintenant
être sauvegardés par un tel cadre institutionnel. Au nombre des
éléments clés de ce cadre figurent:
•
•
•
•
•
•
410
un système électoral transparent;
un pouvoir judiciaire indépendant;
un organe anti-corruption indépendant;
une commission indépendante des droits de l'homme;
des structures d'harmonisation et d'exécution des activités
liées aux femmes;
une société civile forte et active.
2°) Le volet économique,
La prise en charge des problèmes de gouvernance économique
requiert, de l'État et de tous les acteurs politiques, économiques et
sociaux, de la volonté, de l'énergie, du temps et une stabilité
institutionnelle minimale. Ces conditions sont nécessaires pour créer
progressivement un environnement de gestion économique et sociale
cohérente, adapté, diversifié et prévisible. Cela implique le développement rapide de capacités d'élaboration de politiques et de stratél$ies
cohérentes à court, moyen et long termes, combinant l'action de l'Etat
au marché et visant à mobiliser sans conflits sociaux majeurs toutes
les ressources internes et externes en vue du développement.
Par-delà les carences en tous genres dont souffre structurellement le continent africain, sur lesquelles il n'est pas nécessaire de
revenir, l'un des déficits les plus graves réside dans les capacités
d'organisation de la société en général et de l'activité économique en
particulier. Il appartient aux États, chacun pour ce qui le concerne et
en considération de ses conditions spécifiques, d'évoluer, de combler
ce déficit et de créer pour ce faire, les conditions internes et externes
d'émergence de capacités propres d'ingénieries économique, sociale
et institutionnelle à mettre au service des objectifs de l'État, des
Entreprises et de la société civile. Cette tâche est certes complexe et de
longue haleine, mais elle constitue un objectif incontournable à
moyen terme pour introduire et pérenniser les processus de
développement de la gouvernance économique.
Sur le fond, celle-ci consiste à construire des systèmes, des
procédures et des organisations socialement acceptables et capables
de régulariser dans la transparence et l'équité, la production et la
redistribution des richesses économiques, ainsi que les ressources
nécessaires au développement de l'ensemble de la société à long
terme. La gouvernance économique peut notamment se décliner
autour de quatre grands domaines, reliés entre eux mais distincts
dans leurs champs respectifs, leurs méthodes et leurs principes
généraux de fonctionnement:
•
La gestion macro-économique.
•
La création et le développement d'un environnement favorable
•
•
aux producteur~.
La régulation économique.
L'édification et le développement de la société civile
411
a) La gestion·macro-économique
Pour l'État, en matière de gestion macro-économique, au
moins quatre domaines requièrent une attention particulière pour
une bonne gouvernance. Il s'agit respectivement de la gestion des
dépenses publiques, de la collecte des ressources publiques
notamment les ressources fiscales et assimilées, des régimes de taux
de change et des arrangements monétaires.
Dans le domaine des dépenses publiques une bonne
gouvernance peut s'organiser autour de règles, de dispositions
législatives et réglementaires, de mécanismes de contrôle qui puissent
assurer:
• Des processus transparents, démocratiques et largement
décentralisés d'expression des besoins dans les différents
secteurs et régions de la société;
• Des processus administratifs et politiques d'arbitrage entre les
priorités, qui soient clairement affichés et respectés pour leur
conférer toute la légitimité souhaitable;
• Des processus décisionnels permettant le contrôle de leur
effectivité par les différents échelons centraux et décentralisés
, de l'État, en volume de dépenses et en destination, en
conformité avec les arbitrages arrêtés;
• L'équilibre global des dépenses- publiques au niveau, si
possible, des ressources budgétaires collectées ou sinon, à de
faibles niveaux de déficits compatibles avec des objectifs
clairement visés de croissance économique ultérieure
génératrice de futurs rééquilibrages;
• L'équité en faveur des régions et des populations les plus
démunies;
_
• L'orientation préférentielle des dépenses publiques vers la
création et/ou la consolidation d'externalités profitables aux
producteurs et aux entreprises, avec l'appui des représentants
de la société civile;
• La réduction ou l'élimination des dépenses clairement
improductives, et notamment des subventions d'activités
notoirement contre-productives et assurées de déficits
chroniques;
• L'amélioration de la cohésion sociale par la promotion de la
solidarité, de la prévention, de la santé, de l'éducation et de la
communication;
• La rentabilisation et/ou la création d'infrastructures de base et
des moyens humains et logistiques nécessaires au
développement local ou national;
• L'amélioration de la sécurité publique.
412
L'ensemble de ces objectifs appelle la mise en place d'organisations adéquates de concertation politique et sociale, d'autant plus
efficaces qu'elles sont ancrées dans des expressions de la légitimité
populaire et des règles de droit. Faute de cela, les processus
budgétaires et les réalisations peuvent être frappés de contestations et
de soupçons d'arbitraire nuisibles à la bonne gouvernance et à
l'atteinte des objectifs fixés.
Il reste cependant que l'insertion inéluctable des pays africains
dans les processus de globalisation économique (et notamment
financière) doit inciter à la mise en place de mécanismes et structures
assurant, à terme, la libre circulation des capitaux, des garanties
suffisantes et attractives pour les investissements directs étrangers, et
une autonomie affichée des autorités monétaires, même fondée sur
des mécanismes de surveillance en usage à l'échelle internationale.
b) La création ct le développement d'un environnement
favorable aux producteurs
La création d'un environnement favorahle aux entreprises est
un élément essentiel d'unp honne gouvernance économique et, dans
ce cadre, les domames les plus couramment évoqués par les
opérateurs sont ceux du système de crédit, du régime fiscal applicable
aux entreprises et la législation du Travail.
Structure et politique des crédits
La plupart des pays africains disposent de systèmes de crédit
insuffisamment développés et insuffisamment incitatifs au regard des
objectifs traditionnels de mobilisation de l'épargne intérieure, de
financement dynamique et adapté de l'investissement et de
monétarisation des économies. À ces objectifs s'ajoutent aujourd'hui
des exigences de stabilité, de fiabilité, de transparence et
d'observation de règles prudentielles généralement admises.
Et à l'heure de la globalisation financière, une bonne
gouvernance dans cc domaine nécessite d'abord l'existence de cadres
juridiques et de normes de gestions bancaires connues des opérateurs
économiques, ainsi que de systèmes de supervision bancaire sur les
transactions nationales ct internationales. Cette instrumentation est
nécessaire pour pallier les risques systématiques devenus aujourd'hui
plus graves et pour accroître la compétitivité ou l'attractivité des
économies africaines.
Le régime fiscal
L'environnement fiscal de l'entreprise est déterminant pour
une bonne gouvernance économique dans les pays en développement
en général et l'Afrique en particulier. Cette sensibilité particulière est
liée à la faiblesse et l'extrême fragilité des ressources financières des
413
entreprises sur lesquelles des prélèvements inconsidérés agissent
négativement. C'est pourquoi l'ensemble des pays africains ont mis en
place des dispositifs fiscaux particulièrement incitatifs, exonérant les
nouvelles entreprises du paiement de l'impôt sur des périodes plus ou
moins longues. Cela constitue déjà un cadre de gouvernance positive,
qui doit cependant s'élargir dans des conditions compatibles avec les
équilibres budgétaires souhaitables.
Une bonne gouvernance dans le domaine du régime fiscal
applicable aux producteurs, qu'ils soient personnes physiques ou
morales. doit notamment veiller à ce que:
Les dispositions fiscales arrêtées dans un domaine à des fins
incitatives ne soient pas annihilées par d'autres dispositions dans des
domaines connexes. Une nécessaire cohérence globale dans les
objectifs, les moyens ct les dispositifs opérationnels de prélèvement
doit être constamment recherchée et mise en œuvre. Une attention
particulière doit être prêtée à ce titre aux interfaces entre régimes
fiscal et régime douanier, notamment pour ce qui concerne les inputs
importés;
Les activités productives effectives bénéficient d'avantages
fiscaux significativement plus marqués que les activités purement
commerciales et/ou spéculatives;
• Une écoute permanente soit accordée aux doléances des·
organisations et corporations de producteurs, à l'effet
d'identifier notamment les effets éventuellement pervers de
dispositions fiscales incitatives;
• Les marges d'interprétation des services fiscaux soient aussi
minces que possible, à l'effet d'éviter des iniquités, des
incompréhensions et des arbitraires administratifs toujours
préjudiciables au développement des initiatives. À ce titre, une
bonne gouvernance doit veiller à organiser des processus
d'audits, de contrôle et d'évaluation permanents et
professionnels pour corriger les effets pervers des dispositions
pnses;
• La plus grande simplicité possible des textes et de
l'architecture des prélèvements fiscaux soit visée. L'adhésion
des opérateurs est incompatible avec l'opacité et/ou la trop
grande complexité des règles de droit fiscal;
• Les voies claires de recours soient juridiquement établies et
mises en œuvre scion des conditions de célérité et d'équité
devant
l'administration,
qui
puissent
conforter
l'entrepreneuriat tout en sauvegardant les attrihutions
régaliennes de l'État. En particulier, l'instauration et/ou lu
d~11umisation de trilmnaux udministratifs ou encore d'orgunes
ouycrts de conciliation et de médiation peuvent constituer des
414
•
•
axes de travail sur une bonne gouvernance dans le domaine du
régime fiscal;
Créer des structures de conseil, d'aide professionnelle et
d'expertise fiscale en faveur des opérations économiques dans
le domaine fiscal. Ces structures d'appui sont d'autant plus
nécessaires que la culture économique moderne est carante
dans de nombreux pays africains, et que l'analphabétisme est
encore trop répandu;
Vulgariser (par les moyens adéquats à chaque pays et chaque
culture) les dispositions essentielles des lois fiscales encadrant
les actes d'investissement, de production et de
commercialisation. En particulier, il doh être veillé à la
contribution des médias lourds à cette vulgarisation, en sus
des mobilisations de vul~arisateurs professionnels.
La législation du travail
Une bonne gouvernance dans le domaine des relations
professionnelles doit d'abord veiller à la création et la préservation de
l'équilibre des droits entre employeurs et salariés. Cet équilibre est
variable selon les conditions historiques et sociales de chaque pays,
mais des règles universelles minimales ont été édictées à l'échelle
internationale et ratifiées par la plupart des pays africains. Ces règles
couvrent des domaines très larges et diversifiés, allant de la
reconnaissance des syndicats et du droit de grève à l'instauration de
minimum salarial. en passant par les droits à la protection sociale en
matière de vieillesse, de maladie et d'accidents du travail.
Une bonne gouvernance dans ces différents domaines consiste
d'abord en l'organisation de cadres de concertation et de dialogue
entre partenaires sociaux. où l'État arbitre en dernier ressort sur la
base de règles de droit clairement affichées et d'institutions de
médiations préalables. La gouvernance économique doit
particulièrement veiller à légitimer l'action de l'Etat par une stricte
observation des règles d'équité et l'instauration d'institutions
judiciaires indépendantes intervenant après l'échec des médiations
préalables et des organes de prévention des conflits.
La régulation économique
Au niveau de' la régulation économique, trois domaines
semblent devoir être privilégiés pour améliorer la gouvernance
économique globale: le système financier, la concurrence et les
normes comptables et d'audit.
S'agissant du système financier qui a déjà été évoqué
partiellement à propos des institutions de crédit, un premier axe de
bonne gouvernance consiste à institutionnaliser de façon irréversible
l'autonomie des instituts d'émission il l'égard des gouvernements, et
415
affecter à ces instances financières la plénitude des attributions de
régulation des contrôles des établissements financiers, de contrôle de
la masse monétaire en circulation, de gestion des réserves de change
et de fixation des règles prudentielles. Il appartient aux instituts
d'émission de veiller. en coordination avec les exécutions, à la stabilité
des prix et à la mise en place des dispositifs de régulation et la
minimisation des déficits budgétaires. Ces attributions tendent à
s'universaliser avec les contraintes de globalisation financière et les
exigences légitimes des organisations financières multilatérales.
Le captage de ressources longues dans un cadre réglementaire
robuste et transparent peut s'effectuer à travers des mesures visant à
faire émerger un marché des capitaux telles que la démonopolisation
des systèmes de pension et de retraite, la recapitalisation restructuration des banques de développement de manière à attirer
les prises de participation privées et les soustraire à l'ingérence
politique, la création de fonds de garanties pour amortir les risques
bancaires, la mise en place des stimulations pour le retour des
capitaux fugitifs.
Normes comptables et audit
Le renforcement systématique de la transparence financière et
des pratiques comptables des secteurs public et privé est un atout
important de gouvernance des pays africains et une condition pour
l'instauration de relations saines et rapides avec les institutions
financières internationales.
Concurrence et compétitivité
Il est aujourd'hui universellement admis que l'instauration
d'économies de marché saines et dynamiques est indissociable du
développement de règles de concurrence loyale entre opérateurs
économiques. Ces règles visent, notamment, à rendre transparentes et
équitables les conditions d'entrée et de fonctionnement de tous les
acteurs dans les marchés nationaux, et à éliminer les obstacles
générateurs de rentes indues et d'abus de position dominante. Mais
de nombreuses contraintes pèsent sur les économies et sociétés
africaines pour l'instauration et la mise en œuvre effective de règles
de concurrence économique, aux niveaux interne et externe.
Au niveau interne, les économies africaines sont marquées par
l'existence de secteurs informels extrêmement importants, la
persistance d'activités de subsistance pure, de très faibles niveaux de
productivité des facteurs, la prédominance de micro-entreprises et
d'activités modernes naissantes et peu compétitives, une faible
monétarisation des échanges et enfin la persistance ou le
déYeloppement de la corruption. Ces handicaps sont autant de défis
pour une bonne gouvernance économique.
416
La gouvernance de la concurrence dans les pays africains
nécessite, par conséquent, des efforts considérables d'insertion des
économies informelles dans les circuits légaux, l'identification et
l'élimination progressive des situation de rentes et de prélèvements
indus, le développement de l'information économique et des
dispositions particulières permettant d'asseoir l'attractivité des
capitaux internationaux tout en préservant, par les voies appropriées,
le développement des capitaux locaux de production de biens et de
services. Le libre jeu de la concurrence doit donc être analysé au cas
par cas et adapté aux objectifs de croissance et de développement.
3°) Le volet social.
Ce volet intègre le développement de la santé, de l'éducation et
de l'habitat; en somme trois facteurs constituent les éléments
pertinents d'appréciation du développement humain et surtout de la
nouvelle dimension de la pauvreté.
Tous ces développements ont permis de mesurer toute la
complexité de la gouvernance qui devrait permettre de mobiliser
toutes les ressources matérielles et humaines de façon efficiente et
appropriée afin de libérer toutes les énergies et les forces vives, les
compétences, les talents, l'entreprise et l'esprit d'entreprise des
populations. Ainsi la bonne gouvernance devient alors l'utilisation
efficiente et démocratique de l'État pour la gestion de la société dans
ses différents aspects politiques, économiques et sociaux. Quel est
l'état de la bonne gouvernance et du développement humain au
Sénégal qui vient de connaître une alternance politique remarquable à
l'issue d'élections démocratiques?
4°) L'encouragement et le soutien à l'établissement
d'une société civile
Une société civile forte et active appelle un cadre institutionnel
ouvert sur le pluralisme, la promotion de la dimension Genre,
l'indépendance du pouvoir judiciaire et d'autres entités telles que les
commissions électorales, les organes chargés des Droits de l'Homme
et les dispositions anti-corruption.
,
Parmi les indicateurs qui peuvent mesurer la performance de
la gestion et de la participation figurent le contenu et l'impact des
politiques ainsi que les programmes de valorisation des nationaux. La
promotion d'organisations professionnelles et de syndicats est à
même de sceller une étroite corrélation entre la croissance
économique et la bonne gouvernance qui la sous-tend.
Cet enjeu recèle une dimension et un enjeu où l'État lui-même
se trouve interpellé dans ses responsabilités historiques. Dans les
pays africains, l'État post-colonial est en effet mis au défi de continuer
417
à assurer plus efficacement que par le passé la mission essentielle
d'agent de développement et de réaliser cette entreprise en favorisant
un rôle croissant du secteur privé comme vecteur de croissance.
Cette présentation permet de se prononcer sur l'efficacité des
réformes économiques entreprises ainsi que leur impact social. En
résumé, on tente de mesurer, à travers ces dévelàppements,
l'incidence des institutions, surtout publiques, sur le développement.
418
Chapitre 14
Libéralisation des économies africaines par les
programmes d'ajustement structurel
La crise des économies africaines dont la manifestation la plus
intangible réside dans la montée et la persistance de multiples
déséquilibres internes et externes, trouve son origine dans les
bouleversements des structures économiques intervenus durant la
période coloniale et qui ont imposé partout des modes spécifiques de
valorisation conforme à la logique de la division internationale du
travail. Cette situation, du fait d'un ensemble d'incertitudes
optionnelles, sera entretenue et même amplifiée au lendemain des
indépendances en 1960. Ainsi, dans la période 1960/1980, es les
économies primaires devenues fortement aléatoires et stagnantes
avec une chute de la production, une détérioration en termes réels des
prix entraînant un appauvrissement des producteurs.
La baisse de la rente agricole qui a résulté de cette situation n'a
pas été relayée par de nouveaux secteurs productifs, dynamiques et
générateurs de surplus et d'emplois. En dehors du secteur pétrolier,
les secteurs miniers n'ont produit qu'une rente épisodique (1973) et
les secteurs industriel et tertiaire sont restés encore marginaux. Le
secteur industriel n'a pas atteint non plus de grandes performances,
ni un dynamisme lui permettant d'aller à la conquête des marchés
extérieurs et de contribuer positivement à l'amélioration de la balance
commerciale179 •
Ces différentes évolutions avaient abouti à un ralentissement
de la croissance du PIB et une accentuation des déficits chroniques et
cumulatifs des Finances Publiques et de la Balance des Paiements.
Avec un croît démographique proche de 3 % par an de 1960 à 1980, la
croissance du PIB par tête devint négative dans la période de 1970-85.
L'excès de demande sur les ressources produites fut accentué par un
accroissement continu de la part des dépenses de consommation dans
le PIB. La part de l'épargne intérieure dans le PIB est restée partout
assez faible. Le déficit du compte courant s'est fortement élevé
pendant que celui des finances publiques continue de s'approfondir
dans la même période. La perte de compétitivité de l'économie a
tendu à faire des capitaux extérieurs une source indispensable de
financement des déficits commerciaux. Le service de la dette a pris
des proportions considérables alors que la dette extérieure devenait
insoutenable.
17<) r-.lousrapha K\SSÉ : Sé"~gal rie la Clire à l'aJilstement structurel, Nouvelles du Sud, Paris
1991
419
Ce constat laisse apparaître que l'éclatement de la crise
économique mondiale des années 70, en déréglant le système
économico-financier international, yiendra extérioriser toutes les
faiblesses structurelles des économies africaines quasi déliquescentes
et parfaitement incapables de s'ajuster à la conjoncture.
Ainsi, au moment d'aborder le début des années 80, les pays
vont connaître une grave et insoutenable crise de paiement.
L'ajustement économique et financier devenait presque un impératif
indiscutable. C'est dans ce contexte qu'en 1979, les gouvernements
démarrent partout des processus ininterrompus d'ajustement devant
permettre la stabilisation des déficits par assainissement des
structures d'intervention coûteuses et peu productives, et poser les
bases d'un développement censé être soutenu à long terme. L'enjeu
est décisif et sa contrainte est de minimiser les risques sociaux liés au
rétablissement des grands équilibres.
Les déséquilibres à caractère macroéconomique ont des causes
plurielles et profondes qui, à y regarder de près, se rapportent
principalement à l'inefficience des investissements réalisés pour la
plupart sur concours extérieurs publics et privés, aux distorsions
entre structures de production et structures de consommatioi). ainsi
qu'aux dérapages de la demande de consommation publique et privée.
Des investissements impertinents et non rentables: le
temps des éléphants blancs
La rationalité économique et financière voudrait que toute
décision d'investissement - surtout lorsque celle-ci est fondée sur un
emprunt extérieur - soit .subordonnée à un nécessaire calcul
coûts/avantages. Plus précisément la viabilité - surtout financière d'un projet implique que le taux de rentabilité de l'investissement
dépasse le coût de l'emprunt. Or, dans le cas des pays africains, ce
principe de base semble avoir été peu ou très mal appliqué et cela en
pleine période de flambée des taux d'intérêt internationaux, de
dégradation et d'instabilité chronique de l'environnement extérieur,
toutes choses qui rendent aléatoires la rentabilisation des projets
économiques internes.
La multiplication des chocs exogènes, en renchérissant
notamment les coûts internes de production, a contribué à amoindrir,
voire annuler la rentabilité des investissements. C'est la période des
« éléphants blancs» c'est-à-dire des investissements massifs sur des
projets de rentabilité douteuse. En fait cette baisse de rendement des
investissements reste essentiellement due, à partir de 1974, à
l'extension du secteur public et à la création d'un vaste secteur
parapublic, dont le mode de gestion n'était pas des plus orthodoxes.
Ce secteur public et parapublic absorbait annuellement la plupart des
crédits bancaires internes et des emprunts extérieurs.
420
En outre, il convient de noter que l'accroissement, dans la
production interne, des biens non commercialisables internationalement (comme la construction d'édifices publics sur emprunts
extérieurs) a également été déterminant dans la chute de rendement
des investissements. En effet, la diminution des produits nationaux
échangeables (comme corollaire de ce qui précède) implique une
baisse conséquente des recettes d'exportation et donc des difficultés à
honorer les échéances du service de la dette, le renouvellement des
investissements sur fonds propres et la poursuite de la croissance.
Les distorsions entre structures productives et structures
de consommation
Liée principalement à des contingences historiques, à des
traditions productives technologiquement attardées, ainsi qu'à des
comportements de consommation largement conditionnés par
l'extérieur, la liaison sphère de production/structure de
consommation présente partout en Afrique une double distorsion.
Celle-ci demeure liée d'une part à la nature des produits et d'autre
part au coût de production des biens considérés. C'est ainsi que dans
le domaine agricole, la perpétuation après 1960 des agricultures de
rente au détriment de l'agriculture vivrière a inexorablement conduit
les pays à une crise agro-alimentaire. Cette rupture a engendré une
explosion des importations de produits alimentaires.
Dans le secteur des activités industrielles, la distorsion
s'exprime en termes de coûts pour les produits de l'industrie légère de
transformation et en termes de nature du produit pour les biens
manufacturés livrés par l'industrie lourde des pays développés. En
effet, la politique de promotion d'industries légères substitutives
d'importations a généré dans la plupart des cas des coûts de
production non compétitifs; cela a engendré des importations
massives de biens manufacturés pourtant localement fabriqués. Par
ailleurs, l'inexistence d'industries lourdes intégrées implique la
nécessaire importation des biens de consommation de luxe comme les
voitures etc. En somme, la distorsion industrielle se traduit d'une part
par la production locale de biens manufacturés «légers»
difficilement écoulables tant à l'intérieur qu'à l'extérieur parce que
non compétitifs, et d'autre part par l'importation massive de biens
industriels "lourds" que le tissu industriel national ne produit pas.
Cette double distorsion à pour inévitable corollaire
l'accentuation du déficit commercial du pays et du solde de la balance
des paiements lorsque les mouvements compensatoires de flux de
capitaux demeurent insuffisants.
421
L'Expansion non maîtrisée de la demande publique et privée
Le déficit en ressources, lorsqu'il y en avait, se maintenait en
deçà de 5% du PIB. Toutefois, après l'éclatement de la crise en 1973 et
plus particulièrement à partir de 1975, une série de déséquilibres vont
s'enclencher, entraînant la rupture brutale de l'équilibre économicofinancier. Il s'agit notamment de:
•
•
•
l'effondrement brutal de la croissance lié aux fluctuations
spectaculaires de la production agricole et au ralentissement
survenu dans l'industrie;
"l'envolée" du tertiaire (notamment le gonflement des effectifs
de l'administration publique par essence fortement
improductive) qui enregistre un taux de croissance plus rapide
qu'avant 1975 ;
le maintien des niveaux de consommation individuels et
l'exploitation de la consommation publique alors même que la
production par tête était en très net recul.
La conséquence ne se fit pas attendre: l'épargne intérieure
devint négative impliquant un recours massif à l'endettement
extérieur pour financer les investissements et une part importante des
dépenses de consommation publique et privée. Par ailleurs, outre
l'augmentation rapide de la masse salariale de la fonction publique,
on assiste à une extension des subventions d'exploitation accordées
aux entreprises publiques. Ces subventions ont eu pour effet de
réduire le coût unitaire réel du produit ou service fourni aux
consommateurs privés. C'est dire que l'État, en accroissant son déficit
budgétaire sur la base d'emprunts extérieurs, a favorisé l'expansion
du secteur public et le maintien du niveau de la demande privée de
consommation.
.
En réalité, l'aide et les emprunts extérieurs vont de fait jouer le
rôle de fonction d'investissement avec, en conséquence, un impact
extrêmement limité faute de pouvoir se greffer sur des projets
productifs rentables et capables d'engendrer des effets
d'entraînement sur les activités économiques tournées vers le marché
intérieur et l'emploi.
Cette politique d'emprunt et d'aide ne peut se poursuivre que
moyennant des réformes dont le pacquage constitue le Programme
d'Ajustement Structurel. C'est dire alors que la crise de la dette est à
l'origine de la vague d'ajustement structurel qui, à partir des années
1980, a submergé dans tous les PSD en général, et à l'Afrique en
particulier. Ces Pays en Voie de Développement (PVD) et les
Institutions Financières Multilatérales (IFM) vont implicitement
passer le contrat suivant: maintien des financements et réduction du
montant des échéances contre politiques de stabilisation macro422
économique (privatisations, dérégulation, réduction des dépenses
publiques etc.).
L'objectif ultime restait principalement le rétablissement de
l'équilibre des comptes extérieurs alors que les objectifs
intermédiaires se ramenaient à la réduction du déficit budgétaire et
au renforcement de la compétitivité externe du pays.
Section 1 : Les fondements théoriques des politiques d'ajustement
strncturel : la recette libérale
L'intervention des institutions de BRETION WOODS dans le
débat sur le développement va s'accompagner de profondes
transformations, tant dans la réflexion que dans la pratique. Une
nouvelle ère en matière de développement par le fameux « consensus.
de Washington» qui est de fait une remise en cause de la théorie du
développement et la spécificité des sociétés sous-développées. II
constitue en somme une sorte de revanche de la théorie néo- classique
qui va étendre le champ d'application de son cadre d'analyse aux
sociétés sous- développées.
Il
Le référentiel théorique et les recommandations du
consensus de Washington: une épure séduisantet80
Les programmes d'ajustement s'inspirent de la théorie néoclassique et de la doctrine libérale: théorie quantitative de la monnaie,
théorie des parités· de pouvoir d'achat et théorie des coûts
comparatifs 181 •
1°) La théorie quantitative de la monnaie
Elle est invoquée pour expliquer et justifier que tout processus
d'inflation est ruineux et entraîne de multiples distorsions qui auront
une incidence négative à la fois sur la balance des paiements et sur
l'allocation des ressources pour la croissance. Or, la demande
excessive de monnaie est la source principale de l'inflation et des
difficultés de paiements. Dès lors, les experts. du Fonds s'efforcent
d'évaluer un agrégat monétaire déterminant dont le niveau dépend à
la fois du volume du crédit intérieur, de la dette extérieure et du
déficit budgétaire. Ces trois éléments vont alors constituer des
variables macro-économiques sur lesquelles il faut agir pour enrayer
ou amoindrir l'inflation. Ainsi la limitation du crédit devra avoir une
incidence sur les décisions du secteur privé et public. Elle pourra
1"11 Confère annexe 1 pour un exposé détaillé du référentiel théorique. Voir également
Hakim Ben Hammouda : L'économie politique du post-ajustement, Karthala, 1999.
1". Moustapha ~\SSÉ : L'Afiiqllc Cfldclléc. NK\S-CRE"\, 1992, chapitre1 de la Partie 2
pp72-73
423
contraindre le secteur public à réduire de ce fait ses déséquilibres.
Quant à la restriction de l'endettement, elle doit se traduire par une
compression de crédit et un contrôle de ses effets sur l'accumulation
interne car en fait, il faut veiller à ce qu'une dette excessive ne vienne
compromettre la réalisation des investissements productifs. Le déficit
budgétaire constitue le dernier élément de la demande excessive de
monnaie. Ce déséquilibre, pour le Fonds, procède de l'entretien d'une
fonction publique pléthorique et surtout, de subventions au secteur
public et parapublic.
Ces trois variables macro-économiques seront surveillées
strictement et maintenues à des niveaux relativement bas pour
empêcher une élévation de la masse monétaire qui serait génératrice
d'inflation.
2°) La théorie de la parité des pouvoirs d'achat.
Elle montre que l'évolution du change doit refléter le
différentiel d'inflation existant entre deux pays. Alors, la PPA permet
d'analyser comment le niveau des prix agit sur les taux de change. Elle
constitue la référence dans l'élaboration des politiques des taux de
change et de l'intérêt. Les taux d'intérêt selon le FMI sont souvent
maintenus dans les pays en voie de développement à des niveaux bas.
Il en résulte alors une érosion et une mauvaise affectation de
l'épargne intérieure. La PPA permet d'expliquer le taux de change de
long terme. Il s'agit du taux de change réel qui est défini comme étant
le taux auquel on peut échanger un bien ou un panier de biens d'un
pays contre le même bien ou le même panier de biens dans un autre
pays. Par exemple si 1 kg d'arachides coûte 5 euros en France et 3000
FCFA au Sénégal, alors le taux de change réel doit être égal à 600
FCFAjeuros pour que le pouvoir d'achat des monnaies soit la même
dans les deux pays.
La PPA est utilisée dans l'étude de la surévaluation ou de la
sous-évaluation d'une monnaie dans une économie en développement. Dans ce cadre, BALASSA et SAMUELSON ont analysé les
mécanismes d'appréciation du taux de change réel dans le cas d'une
économie protégée si bien que l'effet BALASSA-SAMUELSON désigne
la distorsion dans la PPA due aux différences internationales de
productivité relatives entre les secteurs des biens échangeables et des
biens non échangeables. Elle montre que l'évolution du change doit
refléter le différentiel d'inflation existant entre deux pays.
L'inconvénient majeur des taux de PPA est qu'ils sont plus
difficiles à mesurer que les taux de marché. Les taux PPA font l'objet
d'estimation avec le risque d'incertitude que cela comporte. D'ailleurs
la qualité des biens peut changer d'un pays à l'autre. De plus les
424
structures de consommation ne sont pas les mêmes pour tous les
pays. Ainsi, il semble difficile de définir un panier de biens standàrd.
3°) La théorie des coûts comparatifs
Elle est évoquée pour justifier la nécessité d'un commerce sans
entrave sur la base d'une spécialisation des pays dans les productions
où elles ont les meilleures dotations factorielles naturelles, car le
commerce extérieur élève la rémunération des facteurs. Il est alors
avantageux pour tous les partenaires à l'échange. En conséquence. les
pays doivent s'ouvrir aux relations économiques internationales car
l'ouverture des frontières confère les mêmes chances de
développement aux partenaires. Les techniciens du Fonds évoquent la
théorie des coûts comparatifs pour recommander la promotion des
échanges internationaux qui sont un moyen pour réaliser le bien-être
mondial.
c'est sur ce fond doctrinal d'apparence très cohérente, que le
FMI élabore une politique générale d'ajustement qui a la prétention
d'être valable pour tous les pays confrontés à des déséquilibres
macroéconomiques. Le caractère universel de ces solutions procède
du fait que pour le FMI, le diagnostic permet d'établir pour tous les
pays du Tiers-Monde un mal identique: les difficultés de balance des
paiements. Ainsi, les économies sont considérées comme des « boîtes
noires» qui réagissent de façon uniforme aux mêmes stimulants:
prix, taux d'intérêt, taux de change. À partir de tels diagnostics les
PAS doivent permettre de parvenir dans un délai raisonnable à une
situation de paiements extérieurs équilibrés.
Dés lors, le rétablissement de l'équilibre passe par des
modifications structurelles renforçant le rôle du marché dans la
régulation de l'économie. Le consensus de Washington va remettre
alors en cause toute forme d'interventionnisme étatique et proclamer
la suprématie du marché dans l'allocation des ressources.
4°) Les trois approches des Institutions Fïnancières Internationales
L'approche monétaire de la balance des paiements
Dans cette approche, les déséquilibres de la balance des
paiements sont mis en relation avec l'excès de création monétaire: le
modèle, au demeurant très simple, permet de calculer le montant de
crédit compatible avec un objectif fixé a priori de niveau des réserves
extérieures. Il repose sur deux hypothèses: la constance de la demande
de monnaie par rapport au revenu et le caractère exogène de l'offre de
monnaie· résultant d'une décision autonome des .autorités monétaires
qui fixent le niveau de la composante interne de la base monétaire.
Un déséquilibre extérieur ne serait donc que le symptôme d'un
mal plus profond, d'origine monétaire. Le rétablissement de l'équilibre
425
de la balance des paiements passe donc, soit par la réduction du crédit
intérieur (crédit à l'État et crédit à l'Économie), soit par l'ajustement du
taux de change. Dans un premier temps, il sera donc préconisé de
réduire le financement monétaire de l'État (ce qui élimine aussi un
éventuel effet d'éviction du secteur privé de l'accès aux financements) et,
si cela s'avère insuffisant, de réduire aussi le crédit à l'économie~ Ce
dernier objectif peut s'atteindre de diverses manières, soit par un
plafonnement de la progression des crédits, soit par le jeu du taux
d'intérêt: le FMI préconise ainsi fréquemment le rétablissement de taux
d'intérêt positifs, dans le double but de réduire le crédit et de stimuler
l'épargne, supposée sensible au taux d'intérêt.
L'approche en termes d'absorption
Cette deuxième approche, d'origine keynésienne, correspond à
la situation d'une économie en situation de plein-emploi où le
déséquilibre résulte d'un excès de revenus distribués. En simplifiant à
l'extrême, on peut écrire que le solde de la balance courante (assimilée à
la balance des biens et services) est égal à la différence entre le PIE et
l'absorption A, définie comme la somme de l'investissement et de la
consommation. Soit
Y+M=A+X
B=X-M=Y-A
Avec Y: PIE; M: importations; X: exportations et B: solde de
la balance des biens et services.
La première équation présente le déficit extérieur comme le
simple reflet du déséquilibre intérieur, caractérisé par un excès
d'absorption par rapport à la production: la fixation d'un niveau trop
élevé de consommation privée ou publique ou de l'investissement (du
fait, par exemple, de taux d'intérêt réels trop bas) conduira à un niveau
de PIE élevé, et donc (en admettant une proportionnalité au moins
approximative entre Y et M) à un niveau d'importations trop élevé par
rapport aux exportations, considérées comme exogènes et fixes à court
terme. Les racines du déséquilibre devront donc être recherchées au
niveau de la demande interne« effective », et renvoient à des niveaux de
revenu trop élevés (nécessité d'une réduction des salaires réels) ou de
l'épargne trop faible (nécessité de relever les taux d'intérêt).
Bien que d'origine différente, les deux analyses précédentes se
rejoignent pour désigner comme cause principale du déséquilibre
externe le financement monétaire du déficit budgétaire.
426
L'approche centrée sur l'offre- et les prix relatifs
L'approche de l'offre est la référence des programmes de la
Banque Mondiale. Elle distingue deux types de biens produits par
l'économie considérée: les biens échangeables (bien d'exportation,
d'importations et d'import-substitution) et les biens non directement
échangeables -ou domestiques-, c'est-à-dire les biens n'entrant pas
dans le commerce international: autoconsommation, petite production
marchande, logement, certains commerces, ...
Deux conclusions fondamentales peuvent être tirées de ce
modèle simple:
1. Par rapport aux modèles monétaristes, cette approche accorde
une très grande importance aux conditions micro-économiques de
l'activité et s'intéresse aux mouvements de substitution, tant au niveau
de la production que la consommation.
2. Dans cette optique, le non-respect du système des prix
intérieurs tel qu'il résulterait des mécanismes de marché est la source
des déséquilibres constatés. C'est le système administratif de formation
des prix qui, en Afrique, génère les disfonctionnements dans l'évolution
respective des secteurs et entrave la croissance de l'offre sur des bases
saines. Trop d'administration des prix et des échanges (subventions,
protections aux frontières, contrôle de la commercialisation), instaurée
pour protéger les producteurs ou les consommateurs, introduit des biais
dans le fonctionnement des marchés, conforte-les secteurs protégés
dans une structure de coûts non concurrentielle, et enfin entrave
l'expansion des secteurs ouverts vers l'extérieur trop mal rémunérés. En
vertu de cette approche, la libéralisation des prix et des échanges est
donc une condition absolue pour le retour à la croissance équilibrée.
III Les axes de l'ajustement structurel: les enchaînem~ntsde
l'épure libérale
Les PAS sont formulés en trois étapes par les experts des
Institutions Financières Internationales :
• la première consiste pour les experts à établir un bilan
diagnostic de l'économie et à identifier toutes les causes de la
montée des déséquilibres ;
• la deuxième concerne l'élaboration des objectifs économiques et
financiers ainsi que la fixation de la durée de réalisation des
programmes arrêtés ;
• la troisième est celle de la formulation des ajustements
. nécessaires des politiques économiques.
Les PAS s'articulent souvent en cinq mesures qui agissent et se
renforcent mutuellement pour permettre de restaurer les grands
équilibres internes et externes et surtout d'améliorer la solvabilité
extérieure de l'État:
427
La premlere mesure porte sur la croissance économique : le taux doit être le plus élevé possible, elle doit être régulière et
harmonieuse. Elle est une fonction du taux d'accumulation du capital
donc du volume d'investissement qui lui- même dépend de l'épargne. Il
faut réallouer les ressources au profit des projets productifs au
détriment des projets sociaux ;
La deuxième mesure concerne la monnaie et le crédit:
ils doivent être manipulés pour aboutir d'une part au maintien de la
demande intérieure à un niveau compatible avec l'équilibre et d'autre
part à la réduction des pressions inflationnistes. Cela nécessite alors le
contrôle du crédit de JA J)anque Centrale au Trésor, la réduction du
volume du crédit banéâire aux secteurs de l'économie et l'élévation des
taux d'intérêt souvent artificiellement maintenus à de bas niveaux ;
La troisième mesure est relative aux distorsions des
marchés et la vérité des prix. Il faut sur tous les marchés des
mécanismes de libre détermination des prix afin qu'ils reflètent les
raretés relatives qui s'y expriment;
La quatrième mesure concerne la politique budgétaire
qui devrait s'organiser autour d'une régénération des recettes par
amélioration de l'administration fiscale, de la réalisation d'économies
budgétaires par compression des dépenses et de la masse salariale
La cinquième mesure est relative à l'ajustement
monétaire et la dévaluation, moyen privilégié, face à la surévaluation des monnaies, pour relancer la croissance par les
exportations.
Ces cinq volets forment le Programme d'Ajustement proposé
comme une taille unique aux pays qui recourent aux services du FMI.
Mais, à y regarder de prés, ils constituent un ensemble de mesures qui
affectent de façon irréversible les orientations et les structures d'un
pays. Il s'agit en fait de la mise en place, parfois jusque dans les
moindres détails, de politiques économiques d'un modèle de
développement qui repose sur l'idéologie et les principes du
libéralisme dont le fonctionnement est lié à la Division Internationale
du Travail. C'est la référence à cette philosophie économique et à ses
présupposés théoriques qui explique la cohérence apparente des PAS.
Les causalités privilégiées ont abouti à ces certitudes combinant les
enseignements de la Théorie Quantitative de la Monnaie et ceux de la
Parité du Pouvoir d'Achat. Elles peuvent être schématisées comme
suit l82 :
182
Moustapha KASSÉ : L'Afrique endettée NEAS-CREA P77
428
Figure lq: Tableau des enchaînements du référentiel
théorique
Politiques
de crédit
laxiste
Déficit
budgétaire
Hausse de la
masse
salariale
Endettement
el/ou
Dévaluation
de la
monnaie
nationale
Source: Moustapha Kassé : L'Afrique endettée p.77
À partir de cette épure, on saisit mieux les divers
enchaînements des réformes préconisées par le FMI pour le
rétablissement des grands équilibres t83 •
C'est alors à la Banque mondiale que revient la responsabilité
de la création préalable d'un cadre institutionnel incitatif et la
réforme de tous les centres de pouvoir pour accompagner la mise en
œuvre des politiques sectorielles et de la bonne gouvernance. Cette
dernière est considérée comme la capacité institutionnelle de gestion
des affaires de l'État fondée sur une logique entrepreneuriale et
reposant essentiellement sur des principes de transparence, de
participation, de responsabilité, d'équité et de probité. Elle est alors
une sorte de catalyseur qui doit réconcilier l'efficacité économique et
l'équité, l'État et les citoyens et ériger la démocratie comme noyau dur
de la participation des individus à la vie de la cité.
Globalement, différentes mesures ont ainsi été décidées, visant à
rendre opératoire cette stratégie de conquête des marchés mondiaux :
183 Il existe entre les deux institutions une division des tâches et une
collaboration fixées par une directive de 1986. Les attributions ne se
chevauchent pas: le FMI a pour responsabilité première l'examen de la
politique macroéconomique, alors que la Banque mondiale intervient dans le
domaine des réformes structurelles et institutionnelles et dans l'appui aux
secteurs privés et publics (voir R.SERüUSSI, Les nouveaux gendarmes du
monde, Dunod, 1994)
429
•
•
•
•
l'élimination des distorsions dans le libre jeu de tous les
marchés;
la promotion du secteur privé dans toutes les activités
productives;
l'ouverture de l'économie sur le système des relations
économiques et financières internationales ;
la réduction du rôle de l'État dans les choix de production et
d'allocation des ressources ce qui implique la réduction du
secteur public, le démantèlement des monopoles publics
naturels et la privatisation.
On a donc opté en faveur d'un scénario de croissance externe,
où l'augmentation du volume des exportations était censée stimuler la
demande de travail et de biens d'équipement de la part des
entreprises tournées vers le marché mondial. En principe, le
processus de déversement industriel aurait dû agir comme courroie
de transmission, et diffuser l'impulsion initiale vers l'ensemble de
l'économie.
.Pratiquement, l'ensemble de ce qui caractérisait le « compromis keynésien », processus de négociation politique qui déterminait la
gestion de l'économie dans le giron de l'État-Providence, a
brutalement été remis en cause comme dans les pays développés,
mais dans une plus grande mesure.
430
Section 2 : Synoptique des politiques sectorielles
Figure 20
VOLETS DE POLITIQUE ÉCONOMIQUE
Objectifs
généraux
Court terme
Rétablir les
grands équilibres
de la balance des
paiements et des
finances
publiques
Vérité des prix:
aller vers la vérité
des prix
Fluctuation des prix:
Permettre une certaine
fluctuation des prix
Libéralisation de l'économie:
vers moins d'État
Stabilisation
m
Efficience de l'État: vers
un meilleur État
assainissement
Rétablissement des
finances publiques:
baisse des dépenses
Augmentation des
recettes
Long terme:
efficacité et
croissance
Rétablissement de la
balance des paiements:
Balance commerciale:
Diminution des importations
Augmentation des
exportations
Balance des capitaux:
Augmentation de l'entrée
de capitaux
Diminution de la fuite de
capitaux
431
Il Dette et ~ustement
Trois aspects importants du lien dette et ajustement seront
analysés :
• analyse des facteurs de massification de la dette et qui ont rendu
l'ajustement inévitable dans de nombreux pays. L'apparition des
crises d'endettement (insolvabilité et non pas illiquidité) va
conduire à l'ajustement;
• les objectifs des PAS en relation avec l'endettement. Les
politiques et programmes d'ajustement abordent le problème
des crises d'endettement selon trois (03) axes complémentaires :
D'abord la réduction des déséquilibres macroéconomiques
majeurs
Ensuite, la réorientation des structures économiques dans un
sens plus favorable à la croissance et aux exportations ;
•
•
•
contrôle de l'évolution de l'encours, de la structure et des
conditions;
définition des conùitions de rééchelonnements,
les stratégies en matière de dette. L'évolution de la crise de
l'endettement depuis 1982 a conduit les acteurs économiques
internationaux à adopter différentes stratégies au fur et à
mesure qu'évoluaient la crise de la dette et la perception qu'en
avaient les principaux acteurs.
III La politique commerciale
Le premier axe de la politique commerciale consiste à faire le
bilan des politiques de protection qui ont été menées jusque dans les
années 80. Les traits caractéristiques sont de trois (03) ordres :
• Son niveau est élevé et elle incite à la production d'un bien alors
que le pays peut souffrir d'un désavantage absolu pour cette
production;
• La politique commerciale multiplie les exonérations qui finissent
par constituer lin régime dérogatoire au régime de droit
commun;
• Elle recourt de manière abusive aux restrictions quantitatives
destinées à compenser les désavantages relatifs.
Le deuxième axe est relatif aux réformes recommandées pour
une libéralisation intégral~ du secteur commercial. Ces réformes sont de
trois ordres :
432
•
•
•
Réformer tous les dispositifs afin d'avoir un système de
protection uniquement tarifaire;
La réforme du tarif lui-même, en vue d'une suppression
progressive de tous les régimes dérogatoires ainsi que les
restrictions quantitatives ;
La réforme de la réglementation du commerce extérieur.
Ces changements essentiels en faveur de la mise en œuvre d'une
libéralisation intégrale appellent des mesures d'accompagnement
particulièrement en faveur des acteurs du secteur. C'est tout un
dispositif transitoire qui doit se mettre en place pour un apprentissage
de la nouvelle réglementation surtout par les entreprises qui
bénéficiaient de la protection et qui, désormais, doivent faire face à la
compétition extérieure. Cela soulève de fait deux questions majeures:
en combien de temps et comment les faire appliquer?
IIIf Les problèmes budgétaires
Le budget est, et a toujours été, un souci permanent des
pouvoirs publics. À cause de sa complexité, il soulève de nombreux
problèmes ainsi bien en pays développés qu'en pays sous développés,
même si au niveau de ces derniers les problèmes se posent de façon
quelque peu différente suivant les niveaux de développement
économique, financier, social, juridique. L'analyse doit être menée
avec une extrême prudence et de nombreuses précautions pour au
moins une série de trois raisons: la fragilité des concepts utilisés, les
ambiguïtés des indicateurs disponibles et les incertitudes propres aux
sources d'information, Tout cela confère aux finances publiques
africaines une évidente spécificité renforcée par deux éléments
additifs: d'une part le déficit budgétaire constant ne peut être résorbé
que par recours à l'emprunt et fou réaménagement de la dette ou par
financement extérieur (banques et fou institutions non bancaires) et
d'autre part la soutenabilité de ce déficit (solvabilité, inflation) est
entachée par des investissements publics très peu productifs, et la
mobilisation des ressources, notamment l'épargne en faveur du
secteur privé.
En analysant les grandes masses budgétaires les recettes
comme les dépenses, on s'aperçoit de l'impérative nécessité d'entreprendre des réformes budgétaires. Jugée excessive et nocive, la part
des impôts directs doit selon les réformateurs des années 80 baisser.
La compensation de l'allègement des impôts directs (sur les revenus)
est recherchée à travers l'accroissement de la charge fiscale indirecte.
Ainsi avec l'introduction de la TVA, les impôts et taxes de la
consommation (impôts directs) ont été alourdis. Une étude réalisée
par le FMI portant sur 94 programmes financés par le FMI entre 1980
433
et 1984 révèle que 79 programmes (soit 84 %) ont comporté des
mesures concernant la fiscalité. Parmi celles-ci les plus nombreuses
sont de loin celles qui génèrent des recettes supplémentaires de
manière rapide et commode tout en contribuant à limiter la
consommation privée ce qui concorde parfaitement avec les objectifs
immédiats poursuivis alors (contraction de la demande, réduction du
déficit budgétaire).
C'est le cas des droits et taxes à la consommation qui ont
augmenté dans la quasi-totalité des programmes évoqués (77 sur 79).
Les taux des taxes spécifiques (tabac, alcool, bière ...), des taxes
pétroliers, des taxes générales sur les ventes. et des droits de douane à
l'importation ont été relevés dans respectivement 61% .43% ,46% et
51% des programmes comportant des mesures fiscales (26). Encore
plus d'autres mesures sans toucher au taux, vont dans le même sens
telles celles relatives à l'administration de l'impôt qui ont consacré 52
programmes (soit les deux tiers) et œuvrent à améliorer les conditions
de son recouvrement, renforcer les moyens d'identifications et de
contrôle des contribuables, rénover des procédures légales de
traitement des litiges (27).
On constate donc que le levier fiscal a tout de même été
actionné de manière appréciable et conséquente dans le cadre de la
phase de stabilisation. Il reste que la reforme fiscale a surtout un
caractère stratégique. Elle s'inscrit dans la perspective du projet à
long terme de restructuration des économies et des finances des PVD.
Un modèle de reforme fiscale a été élaboré à cette fin. Ces pays ont été
acculés à mettre en œuvre des politiques d'ajustement car confrontés
à une crise de leurs finances publiques.
Les reformes fiscales recommandées aux PVD dans le cadre
des Programmes d'Ajustement Structurels ne puisent pas seulement
leur inspiration des théories élaborés dans les PD, mais en pratique
aussi se déploient selon un modèle conçu par ces derniers puis
exportés sans une véritable réflexion préalable quand à sa pertinence
dans les pays d'accueil .De prime abord, il nous faut citer Alan A.
TAIT, Directeur Adjoint au FMI qui situe parfaitement le problème
par cet aveu édifiant: « traditionnellement, fonds a semblé admettre
tacitement que tout système d'imposition nationale se développe à
partir de taxes commerciales primitives et finit par comporter des
impôts sophistiqués sur l'ensemble des revenus. Plus récemment les
services du Fonds, reflétant les préoccupations expérimentées en
Amérique du Nord et en Europe, ont manifesté d'avantage d'intérêt
sur les questions axées sur l'offre. Les résultats de l'évaluation
empirique des effets positifs sur l'offre d'une baisse des impôts ont été
peu concluants; le fond a néanmoins conseillé de réduire les taux des
personnes physiques, de supprimer les exonérations spéciales et de
434
cesser de recourir au régime fiscal pour atteindre un trop grand
nombre d'objectifs ».
La reforme fiscale qui leur est proposée, soulève au préalable
un problème ardu: comment réduire la pression fiscale sans courir le
risque d'aggraver le crédit budgétaire? Peut être en transférant une
partie des charges du contribuable sur l'usager, on espère dans ce cas
outre l'extension de la logique du marché, desserrer les contraintes
qui pèsent sur l'ajustement des finances publiques, notamment en
conciliant entre la réduction du déficit budgétaire et celle de la
pression fiscale. Ceci étant, la sphère de la fiscalité demeure soumise à
son tour à des impératifs contradictoires qui n'en rendent la reforme
que plus difficile. Comment atteindre les objectifs que sont: le
rendement financier, efficacité économique et équité sociale. Que vise
toute reforme fiscale?
1°) le rendement fiscal
Elle peut l'illustrer par la courbe de LAFFER: l'objectif « de
rendement financier peut être atteint en accroissant les recettes
fiscales sans alourdir la pression fiscale. L'objectif à cet égard des PAS
est de dégager un 'surplus fiscal permettant de rembourser la dette
extérieure principalement publique. Cependant le problème est que
force est de constater à quelques exceptions près, la Pression Fiscale a
déjà atteint ou dépassé ses limites. De sorte qu'on affirme qu'une
nouvelle évaluation des taux peut rapporter un montant inférieur de
recettes fiscales, si le niveaux d'imposition et les taux marginaux sont
élevés». C'est dire que la référence de « l'impôt qui tue» est
omniprésente. Par ailleurs, on affirme que le coût de l'impôt
augmente dans une plus forte proportion que le taux d'imposition
débouchant sur le risque de voir l'épargne intérieure diminuer,
l'ardeur au travail baisser, la croissance ralentir ....
Aménager les conditions de l'efficacité en choisissant des
bases d'imposition qui augmentent parallèlement aux dépenses et
non au PIB semble être une bonne stratégie .Les dépenses pouvant
augmenter les recettes devraient alors provenir d'un petit nombre
d'instruments assis Sl:lf une large base « il suffira alors de modifier
quelques taux d'imposition pour ramener le total des recherches au
niveau voulu». Toujours du point de vue de l'efficacité il est
préférable de recruter une structure fiscale relativement neutre c'està-dire qui procure des recettes nécessaires tout en influençant le
moins possible l'affectation des ressources. À cet effet Vito TANZI
énonce 5 conditions qui assurent l'efficacité d'un système fiscal.
435
•
•
•
•
•
1ère
condition: Présenter un indice de concentration élevé
(collecter une grande part des recettes à partir d'un petit
nombre d'impôt) ;
2 ème condition: Présenter des indices d'érosion faible, de sorte
que l'assiette ponctionnée approche le plus possible son
niveau potentiel;
3ème condition: De brefs retards dans le recouvrement de
l'impôt;
.
.
ème
4
condition: Prévoir des pénalités sérieuses pour les
fraudeurs;
sème condition: Éviter des prélèvements spécifiques.
3°) L'équité
Les experts de la BM et du FMI mettent l'accent sur le
financement des dépenses distributives car estiment que la justice
peut être davantage une question de réduction des différences entre
dépenses des ménages, qu'entre des revenus personnels et ils
précisent dans la pratique que les impôts ne semblent guère être un
moyen de modifier la répartition générale des revenus " leur rôle
important du point de vue d'équité et qu'ils fournissent les recettes
nécessaires pour payer les dépenses distributives en particulier , en
vue d'améliorer les conditions des pauvres. En d'autres termes il
revient à la politique d'ajustement structurel de faire évoluer les
systèmes fiscaux pour les moderniser les rendre plus simples, plus
cohérentes et surtout les permettre de favoriser l'extraversion des
économies d'une part et la promotion d'un capital privé d'autre part.
Cependant, la réalité est tout autre les ajustements réalisés se sont
révélés· souvent inadéquats ou inefficaces, et presque toujours
régressifs.
Mais la reforme réalisée durant les années 80 n'a pas que des
défauts, elle est à l'origine de progrès notables dont le plus important
est le fait qu'elle ait enfanté de nouveaux outils qui bien que
sensiblement amandés, pourraient constituer de bons instruments.
En somme tous les États africains avaient une caractéristique
commune: des déficits budgétaires qui ont tendance à s'amplifier ce qui
précarise totalement les finances publiques. Par ailleurs, l~ Finances
Publiques partagent toutes d'une part une grande spécificité des
finances publiques avec des recettes budgétaires différentes en Afrique
relativement aux autres PVD. Les dépenses budgétaires également sont
spécifiques avec la particularité de la .soutenabilité du déficit et les
modes particuliers de la réalisation de l'équilibre.
L'État est le principal facteur de déséquilibre. Dans les périodes
d'instabilité, le comportement de l'État aboutit souvent à une baisse des
recettes budgétaires et à une hausse des dépenses ce qui contribue au
436
.
/
creusement du fait et le recours à l'endettement extérieur avec par
moment des conditions de prêts défavorables.
C'est dire que les finances publiques souvent stabilisées mais
rarement ajustées: conséquences économiques et sociales ce qui va
entrainer deux conséquences: la première se situe au niveau des
dépenses courantes qui imposent la réduction de la masse salariale et
l'arbitrage sévère des dépenses de matériel et d'entretien ce qui va
entraîner la baisse d'efficacité de l'administration et le gâchis de certains
investissements, contrôle des dépenses sociales. La seconde conséquence se situe au niveau des investissements qui ont besoin d'une
allocation prioritaire.
IV/La politique de change
Elle comporte au préalable la restructuration des services
publics et des services financiers avec la mise en place de
mesures d'assainissement et de diversification des systèmes financiers.
La politique de change, instrument de politique économique,
comporte deux (02) volets: la définition du régime du taux de change et
les réglementations des opérations de change.
•
•
•
•
•
•
•
•
Les objectifs de la politique du taux de change:
le taux de change d'équilibre à long terme
la stabilité du taux de change
Les options en matière de régime de change
change fixe et change flottant
rattachement des monnaies
Les choix et leurs conséquences
l'intégration économique et la coordination des politiques
économiques
437
Figure 21: Ajustement structurel du volet de la politique
institutionnelle
/
Désengagement de l'État des secteurs économiques:
• Production agricole
• Institutions de support
• Commercialisation et
• transformation agricole
Libéralisation
de
l'économie
'\
./
"-
"1
Désengagement de l'État dans le reste de l'économie:
• Infrastructures et biens publics (routes, ports,
éducation, santé) ;
• Réduction des effectifs de la fonction
publique
Vers le
moins d'État
~
"-
Amélioration du contrôle financier
Efficience
de l'État
Amélioration du recouvrement des recettes fiscales
«
Vers un
meilleur
» État
Amélioration de la gestion financière,
personnel, du matériel et des équipements
Section 3 : Les coûts sociaux de l'ajustement.
En fait, les programmes d'ajustement structurel, partout où ils
sont appliqués, et quel que soit le résultat a induit des conséquences
négatives sur les dépenses sociales. Aussi bien en matière de revenus,
d'emploi, de logement, de santé et d'éducation, les coûts unitaires ont
été fortement augmentés. Selon les analystes du développement, les
pays en développement qui ont le mieux réussi à réduire la pauvreté,
notamment les pays de l'Asie, ont dû engager très tôt leur transition
démographique mais surtout sont parvenus à fournir des services
essentiels de santé et d'éducation à la majorité de la population aussi
bien en milieu urbain qu'en milieu rural et ont lourdement investi
dans les services sociaux.
438
Or, dans les années 80, les politiques de stabilisation
appliquées en Afrique se sont avérées très coûteuses du point de vue
social et eUes se sont conjuguées aux facteurs d'environnement
défavorables pour réduire la qualité de vie des populations des PSD.
La pauvreté est devenue la réalité dominante du monde contemporain.
Toujours présentes dans l'histoire économique et sociale du monde, les
inégalités entre le Nord et le Sud, entre les pays, les villes et les
campagnes, entre les individus ont pris des dimensions extrêmement
graves.
Une question qui vient iinmédiatement à l'esprit quand on parle
de pauvreté est celle de savoir comment identifier les pauvres. Pour
répondre à cette interrogation, différentes études sur la pauvreté ont été
proposées et elles permettent de répondre à cette question et à certaines
autres comme:
•
•
•
•
•
•
•
Qui sont les pauvres ?
Combien y a t-il de pauvres et quelle proportion représentent-ils
dans la population?
Quel est leur degré de pauvreté?
Où vivent-ils?
Quels groupes socio-économiques sont les plus pauvres ?
Quels groupes sont exposés à la pauvreté?
La pauvreté augmente-t-elle ou diminue- t-elle dans le temps?
Répondre à la première question à savoir qui sont les pauvres,
revient généralement à déterminer le seuil de pauvreté. Le seuil de
pauvreté peut être déterminé à partir des revenus ou de dépenses de
consommation alimentaire ou totale.
La première méthode consiste à classer les ménages par fractile
de revenu (quintile, décile, ...) et à déterminer pour chaque fractile le
niveau de revenu en deçà duquel le ménage ou l'individu est considéré
comme pauvre, c'est-à-dire incapable d'assurer le minimum vital.
La deuxième méthode basée sur les dépenses de consommation
consiste à déterminer le niveau de dépenses minimum qui permet à
l'individu d'assurer le minimum vital, c'est-à-dire les 2-400 calories par
équivalent adulte.
Il est important de souligner que chaque méthode de
détermination du seuil de pauvreté comporte des avantages et des
limites. La méthode de détermination du seuil de pauvreté basée sur les
revenus n'est pas adaptée aux pays africains.
D'abord, les pays africains ont une importante population
agricole. Les revenus des ruraux sont fortement dépendants des aléas
climatiques et des cours du marché international. L'autoconsommation
est un élément important qui contribue à la survie des populations,
439
notamment à travers les systèmes de solidarité familiale, de culture
vivrière d'autosubsistance, etc.
Le niveau du revenu monétaire n'est pas suffisamment
accoutumé pour savoir si un ménage est dans une situation de pauvreté
ou non. La détermination du seuil de pauvreté à partir des dépenses de
consommation des ménages présente l'avantage de refléter mieux le
niveau de vie des populations. Cette méthode permet d'évaluer les
dépenses effectives des ménages qu'il s'agisse de dépenses alimentaires
ou non alimentaires, quelque soit la source de financement de ces
dépenses.
Il ne faudrait pas perdre de vue que même les indicateurs
calculés à partir de la consommation sont des mesures moyennes qui
portent généralement sur des données annuelles. Ainsi, n'appréhendent-ils pas le caractère saisonnier de la pauvreté?
Certains ont été donc amenés à distinguer entre la pauvreté
chronique et la pauvreté transitoire. La première renvoie au caractère
structurel de la pauvreté alors que la seconde en saisit le caractère
saisonnier. Le phénomène de la disette, bien connu dans les pays du
Sahel, relève de la pauvreté transitoire.
Les sources de données utilisées dans ce genre d'exercice sont
les enquêtes budget-consommation qui commencent à être disponibles
dans beaucoup de pays en développement. Ces enquêtes ont l'avantage
de fournir beaucoup d'informations sur les dépenses et revenus des
ménages, l'accès aux infrastructures de base (santé, éducation). Mais ils
ne présentent pas tous la même robustesse.
Mais on a pendant longtemps pensé qu'une forte croissance
économique était suffisante pour l'éliminer. L'après deuxième guerre
mondiale a montré la coexistence de la montée des inégalités, de la
pauvreté et de l'augmentation continue du produit par tête. Le regain
d'intérêt de la littérature économique pour la problématique de la
pauvreté est un reflet de la préoccupation grandissante des opinions
publiques, nationales et internationales, à l'égard de la montée de ce
phénomène.
Section 4 : Limites des politiques d'ajustement et l'amorce du
post-ajustement
L'ajustement structurel a généralement été assez bien admis
puisque tous les États africains se sont dotés de PAS largement inspirés
des thèses néo-libérales en vogue dans les années 80. Ces PAS, aux·
résultats très médiocres, ont fait l'objet de critiques sévères concernant
leur mise en œuvre concrète: réformes imposées de l'extérieur sans
mobilisation des acteurs et des ressources internes, prescriptions
standards ignorant l'histoire et les réalités socio-économiques locales,
ignorance ou impasse complète des structures institutionnelles indis440
pensables à la mise en œuvre des PAS. Mais au-delà de ces critiques
empiriques, émerge dans les années 90, une remise en cause plus
fondamentale du néo-libéralisme monétariste et de l'ensemble de
l'analyse néo-classique. Les critiques formulées peuvent être présentées
sous les 04 axes qui suivent:
1°) L'aggravation de la pauvreté et l'absence d'un modèle de
répartition des revenus
La mise en œuvre des politiques d'ajustement structurel a
conduit les Institutions Financières Internationales à oublier la lutte
contre la pauvreté qui constituait pourtant l'objectif essentiel
revendiqué dans les années 1970. En pratique, ces politiques, du fait de
leur priorité macro-économique, n'ont comporté aucun filet de sécurité,
aucune mesure spécifique de correction, visant à endiguer l'aggravation
de la pauvreté et la dégradation des conditions de vie des couches les
plus démunies, directement et fortement touchées par les économies
budgétaires (voir A.H. SARRIS). Le constat de la montée de la pauvreté,
comme constaté au chapitre précédent, débouche sur une question
théorique nouvelle: l'objet de l'économie peut-il se résumer à la
recherche de l'efficience maximale dans l'allocation des facteurs de
production par le marché, indépendamment de toute préoccupation
quant à la répartition des richesses ainsi créées? Ce postulat ne sousentend-il pas que la distribution sociale s'opère selon des critères sociopolitiques, exogène donc à la rationalité économique? Ne faut-il pas
partir du postulat opposé et considérer au contraire que la répartition
des richesses est un facteur économique endogène déterminant, qui
contribue à définir l'efficience des facteurs de production? Comment
ignorer, par exemple, que l'accès à l'éducation ou à la santé, largement
façonné par les politiques de répartition, modèle de manière
fondamentale la productivité du travail et des ressources humaines?
Comment ignorer également l'impact qu'à la répartition des richesses
sur l'orientation sectorielle des investissements et de la production, du
fait de la diversité des comportements d'épargne et consommation des
différentes couches sociales? Ces questions font apparaître que le
paradigme sur lequel se sont fondées les politiques d'ajustement ignore
des pans essentiels du champ de l'analyse économique.
2°) Le marché possède un pouvoir d'incitation limité
La foi exclusive dans les vertus du marché a souvent conduit à
surestimer les capacités de réponse des agents économiques, et
notamment des agriculteurs, aux incitations par les prix. Force est de
constater que, dans bien des cas, l'offre agricole n'augmente pas
toujours de manière aussi importante ou aussi rapide que prévu. Non
441
parce que les agriculteurs seraient insensibles aux prix mais parce que
l'incitation par les prix, si elle est une condition nécessaire, n'est pas
toujours une condition suffisante au développement de la production.
Interviennent d'abord les comportements anti-risque de producteurs,
avant tout soucieux de se protéger contre l'instabilité des prix inhérente
aux marchés des produits agricoles (voir notamment les travaux de
BOUSSARD). Interviennent aussi les contraintes structurelles
extérieurs au marché final (accès aux intrants, à la technologie, au
financement surtout) qui limitent la capacité d'augmentation de la
production de chaque agriculteur. Le coût du crédit, et surtout la
couverture du risque (garantie exigée par les organismes prêteurs), sont
ici des freins puissants à l'accumulation des moyens de production par
les producteurs les plus démunis, les moins à même précisément de
fournir les garanties de crédit exigées. Peut-on espérer que le seul jeu du
marché du crédit, qui tend à renchérir le coût des prêts lorsque les
risques augmentent, puisse répondre à ce besoin essentiel de couverture
du risque des producteurs les moins nantis (souvent la grande masse de
la paysannerie) en dehors de toute institution publique ou coopérative
d'assurance et de péréquation des risques?
3°) L'impératif de la mondialisation: discours libéral et
pratiques protectionnistes
L'ouverture à la concurrence internationale par la réduction des
taxes à l'exportation et des subventions à l'importation constitue un
levier essentiel des politiques d'ajustement structurel. En effet, la
recherche de l'efficience maximum dans la valorisation des facteurs
dont chaque pays est doté suppose une spécialisation internationale
dans les productions pour lesquelles le pays est comparativement le
mieux placé. Cette doctrine, théorisée par Ricardo, il y a plus d'un siècle,
est essentiellement statique. Elle suppose une immobilité internationale
complète du capital et du travail et une rémunération homogène des
facteurs dans les différents pays échangeurs (qui est loin d'être réalisées
aujourd'hui). Elle implique encore une réciprocité complète et une
symétrie parfaite dans la manière de traiter les échanges internationaux
dans les différents pays partenaires.
Or, en matière d'échanges agricoles en tout cas, les pays
développés, conduits par les États-Unis et l'Union européenne,
continuent de protéger activement leurs marchés. De ce point de vue, le
nouvel accord de l'OMe, bien qu'induisant les changements importants
dans la distribution des soutiens agricoles, ne modifie pas de manière
déterminante l'avantage considérable que confère aux agriculteurs des
pays industriels le maintien d'importants transferts publics à leur profit
(voir K. ANDERSON).
442
Comment dans ces conditions, avec une productivité du travail
initiale bien inférieure, les pays soumis à l'ajustement structurel
peuvent-il espérer être compétitifs sinon par une sous-rémunération
accrue de leur main- d'œuvre, qui ne pourra que renforcer la
paupérisation et la crise d'accumulation dans leur agriculture et, au plan
macro-économique, la récession par la demande que la pression sur le
revenu agricole induit? Cette libéralisation inégale, par delà la question
de morale politique qu'elle pose, soulève des questions de théorie
économique. À partir du moment où les marchés ne sont plus des
marchés de libre concurrence mais des marchés oligopolistiques, la
théorie ricardienne perd sa validité. Comme le montrent certaines
formulations théoriques nouvelles (théorie du protectionnisme
stratégique développée par P. KRUGMAN), dans ce cas l'optimisation
de l'emploi des facteurs de production passe par une certaine dose de
protectionnisme ou, en tout cas, par une intervention active des
pouvoirs publics et économiques pour créer les structures favorables à
l'avantage concurrentiel Oes travaux de PORTER).
Ces quelques considérations appellent, par-delà le doute sur le
bien-fondé d'une ouverture systématique sur les marchés
internationaux, à revoir le lien indissoluble qu'établissent les politiques
d'ajustement structurel entre le rétablissement des équilibres macroéconomiques internes et l'ouverture externe. Cet aggiornamento
théorique ne ferait d'ailleurs que retrouver la pratique: de l'aveu même
des bailleurs de fonds internationaux, la libéralisation se réduit le plus
souvent à une réduction des protections à un niveau « raisonnable».
4°) L'économie politique oubliée
La plupart des experts et des chercheurs reconnaissent
aujourd'hui que l'économisme étroit des analyses, justifiant les
politiques d'ajustement structurel, bute sur une réalité économique,
sociale et politique beaucoup plus complexe que ne le laissent entrevoir
les schémas mécanistes de l'ajustement macro-économique. Conçu au
départ pour favoriser les couches sociales productives les plu~
nombreuses, à commencer par la paysannerie, l'ajustement structurel se
heurte à des rapports sociaux bien vivaces. Dans bien des cas, les
couches sociales dominantes, bien représentées dans l'appareil d'État,
détournent les mesures d'ajustement susceptibles de les pénaliser et
reportent sur les couches les moins organisées et souvent les plus
démunies (dont la paysannerie), le poids de la contrainte d'ajustement.
De ce fait, l'analyse économique ne peut continuer à ignorer
l'économie politique (voir J. BEGHIN et M. FAFCHAMPS). Dès lors, on
peut manquer de noter le contraste entre l'ambition des ajustements
économiques proposés et la modestie, voire l'inexisteIJ.ce, des
recommandations concernant les ajustements politiques nécessaires.
443
Peut-on alors concevoir une libéralisation économique sans une
libéralisation politique parallèle, qui rende aux citoyens, aux
collectivités territoriales et aux groupes socio-professionnels la capacité
de s'organiser librement pour avancer dans la construction d'une
économie de marché régulée de manière socialement plus équitable et
politiquement plus conforme au schéma pluraliste? Certes, la
dimension politique, pour essentielle qu'elle soit, échappe au domaine
d'intervention des organismes financiers internationaux. Ce sont ces
critiques qui ont poussé à la recherche de nouvelles voies alternatives à
la politique d'ajustement structurel; ce que BEN HAMMOUDA appelle
le post-ajustement dont il faut analyser les quelques idées fondatrices.
444
Propos d'étape de la Deuxième Partie
L'analyse du sous-développement reste toujours d'une grande
importance du simple fait que ce phénomène est divers dans le temps
comme dans l'espace. Relevant d'un domaine d'évolution
extrêmement rapide des faits, son appréciation (évaluation) exige de
disposer d'outils d'investigation pertinents pour en connaître l'état à
la fois économique et social. La variété des définitions, en l'absence
d'un type idéal au sens de M.WEBER, nous a conduit à qualifier le
sous-développement d'abord par sa structure économique qui est
primaire et dualiste, ensuite par son fonctionnement instable et
dépendant de paramètres surtout externes et enfin son incapacité à
rompre le « cercle vicieux de la pauvreté ». Cette démarche a permis
d'établir la morphologie du sous-développement et de dégager ses
caractéristiques à la fois économiques et sociales. Et surtout d'étudier
la question démographique souvent considérée comme un handicap
au développement. Cette analyse d'ensemble permet alors de mieux
cerner ce qu'il faut faire pour sortir de cette situation. Quels sont les
objectifs, les stratégies et les instruments ?
La théorie économique comme les expériences pratiques
semblent indiquer que la croissance est un des objectifs cruciaux
puisqu'elle donne les moyens d'élever le niveau des forces productives
matérielles et humaines, de valoriser les dotations en facteurs et
d'améliorer le bien-être. Toutefois, pour les PSD, la question centrale
n'est pas souvent que faire pour assurer une croissance rapide et
harmonieuse; mais que faire pour commencer à croître? Cet objectif
peut être évalué de façon optimiste ou de façon pessimiste selon le
critère que l'on a choisi. Par exemple, on pourrait constater une
accélération du taux de croissance des PSD par rapport à leur passé,
et être optimiste, ou constater que le taux est inférieur à celui des pays
développés, et donc que l'écart entre pays pauvres et pays riches
s'élargit et être pessimiste.
Théoriquement et pratiquement la croissance se distingue du
développement pour lequel, la théorie économique présente trois
définitions: d'abord il est souvent assimilé à la croissance soutenue
du revenu (ou de la production) par habitant, ensuite, il est considéré
comme l'ensemble des changements structurels qui rendent la
croissance économique pérenne et enfin, il est décrit par la reèherche
de l'indépendance pour des pays pauvres qui ont souvent peu
d'autorité sur des aspects importants de leur économie soumise à des
facteurs externes qui ne sont pas sous leur contrôle. Chacune de ces
définitions représentent un aspect du développement qui pourrait
signifier l'ensemble des transformations économiques, technologiques, politiques et sociales qui rendent la croissance durable.
445
•
•
•
•
•
•
•
Que faire alors pour lancer le processus ou l'auto entretenir?
Cela renvoie à la définition de stratégies et de politiques
claires, pertinentes et planifiées. Ce qui suppose la définition
des orientations générales précises et la mobilisation
d'instruments adéquats de gestion comme la planification qu'il
importe de réhabiliter. Il reste alors à soulever les bonnes
questions sur les choix à faire pour amorcer le
développement à savoir:
Le développement doit-il être orienté vers la croissance
accélérée du PŒ? Peut-il s'accommoder de la satisfaction des
besoins sociaux ?
Doit-il reposer sur l'industrie, sur l'agriculture, sur les
services ou sur le commerce extérieur?
Quelle est la place de la technologie de pointe et des savoirs
traditionnels et locaux ?
Peùt-on se dispenser de la constitution d'un État fort pour
amorcer le développement ou l'accompagner d'institutions
robustes et efficaces?
Quelle est la place faite à l'initiative privée à l'initiative
publique?
En l'absence, de « modèle prêt-à-porter », ne faut-il pas tenir
compte d'autres expériences pouvant constituer des points de
référence riches d'enseignement tant sur les actions à
entreprendre que sur les écueils à éviter?
Les réponses à chacune font apparaître des clivages
fondamentaux que ce soit dans les stratégies globales de développement mises en œuvre ou dans les types de réponse apportés à
certains problèmes cruciaux pour les PSD. À la recherche de nouvelles
stratégies et politiques de développement, il est apparu nécessaire
d'analyser celles des économies émergentes d'Asie et d'Amérique
Latine qui paraissent exemplaires à plus d'un titre: ils constituent
aujourd'hui des références pour nombre de PSD.
Dans ce contexte, il faut tirer, pour le continent africain, toutes
les leçons du miracle asiatique. En effet, la croissance rapide des pays
d'Asie de l'Est a montré que le développement était possible et qu'il
pouvait s'accompagner d'une réduction de la pauvreté, d'une
amélioration largement partaqée du niveau de vie et même d'un
processus de démocratisation. Evidemment, dans la phase ascendante
des PAS, les expériences du miracle est-asiatique étaient considérablement dérangeantes pour les défenseurs des solutions orthodoxes,
car ces pays ne se sont pas conformés aux prescriptions habituelles.
des Institutions Financières Internationales. Dans la plupart des cas,
l'État et ses institutions ont joué un rôle efficace de création et
d'orientation des ressources vers des projets à long terme.
446
Cet État a été qualifié d'Etat « PRO», c'est-à-dire promoteur,
producteur, prospecteur et programmeur. Les gouvernements ont
suivi certaines des prescriptions techniques habituelles, comme par la
politique macroéconomique stable, mais ils ont ignoré les autres. Par
exemple, au lieu de privatiser, ils ont crée des entreprises hautement
productives et plus généralement ils ont mené une politique industrielle pour développer certains· secteurs. Les pouvoirs publics
intervenaient dans le commerce, même si c'était plus pour favoriser
les exportations que pour limiter les importations. Également, ils se
sont engagés dans un encadrement du secteur financier, en abaissant
les taux d'intérêt et en augmentant la rentabilité des banques et des
entreprises.
.
En définitive le continent africain est à la recherche d'une
nouvelle vision, d'un paradigme et d'un programme alternatif de
développement considéré comme une transformation de la société. La
question centrale est alors comment mettre en place un système
économique et financier performant et jeter les bases de fonctionnement d'une société démocratique. La tâche des économistes, toutes
options idéologiques confondues, est d'appréhender la situation
d'ensemble des pays africains, d'identifier les éléments permettant de
définir le nouveau cadre général de concepts en phase parfaite avec
l'axiomatique de la rationalité économique. Les éléments à inclure
dans ce cadre de concepts peuvent être jugés en fonction des critères
ci-après:
•
•
•
•
•
•
La définition d'objectifs strictement économiques qui
permettent de s'engager dans la voie d'un développement
durable et d'échapper au piège de la pauvreté;
La restructuration des institutions de gouvernance et la
reconstruction de l'État en vue de la création d'un
environnement institutionnel plus incitatif pour les politiques
de développement;
La mise en œuvre de politiques sectorielles pertinentes dans le
cadre d'une estimation réaliste de la dotation en ressources
naturelles et qui accordent à l'agriculture et aux technologies
un rôle moteur dans la réalisation de la croissance;
L'élaboration de politiques publiques efficaces d'allocation
optimale des ressources en faveur des activités productives;
Le choix d'une politique de redistribution des revenus qui
maximise les potentialités endogènes de développement;
La mobilisation de la communauté internationale dans le
cadre d'un véritable partenariat qui accroisse les ressources
financières à long terme et les investissements privés directs
étraJ.1gers.
447
Acronymes et abréviations
ACDI:
ACP:
ACR:
AFL:
AGOA:
AID:
AIE:
ALENA:
AOC:
APD:
APE:
ASEAN:
ATIAC:
BAD:
BCE:
BCEAO:
BEI:
BIRD:
BM:
BRI:
BRVM:
BVA:
CAD:
CADTM :
CAPC:
Agence Canadienne de Développement International
Afrique, Caraïbes et Pacifique
Accords de Coopération Régionale
Acte final de Lagos
African Growth and Opportunity Act.
Association Internationale de Développement
Agence Internationale de l'Énergie
Accord de Libre Échange Nord-Américain
Afrique de l'Ouest et du Centre
Aide Publique au Développement
Accords de Partenariat Économique
Association des Pays du Sud-Est Asiatique
Association pour la Taxation des Transactions
financières et pour l'Aide aux Citoyens
Banque Africaine de Développement
Banque Centrale Européenne
Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest
Banque Européenne d'Investissement
Banque Internationale pour la Reconstruction et le
Développement
Banque Mondiale
Banque des Règlements Internationaux
Bourse des Valeurs Mobilières d'Afrique de l'Ouest
Bourse des Valeurs d'Abidjan
Comité d'Aide au Développement
Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde
Centre Africain de Politique Commerciale, Projet de la
CEA
CARPAS: Cadre de Référence pour les Politiques d'Ajustement
Structurel
CCCI:
Conseil Consultatif International sur le Coton
Communauté Économique pour l'Afrique de l'Est
CEA:
CEDEAO: Communauté Économique des États de l'Afrique de
l'Ouest
CEEAC: Communauté Économique des États de l'Afrique
Centrale
CEPAL : Commission Économique pour l'Amérique Latine et les
Caraïbes
CEMAC: Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique
Centrale
CEPGL: Communauté Économique des Pays des Grands Lacs
Communautés Économiques Régionales
CER:
449
Comptabilité Nationale
Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le
Développement
CODESRIA: Conseil pour le Développement de la Recherche en
Sciences sociales en Afrique
COMESA: Marché Commun des États de l'Afrique de l'Est et de
l'Afrique Australe
Comité Consultatif Permanent du Maghreb
CPCM:
Division Internationale du Travail
DIT:
Division Régionale du Travail
DRT:
Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté
DSRP:
Droits de Tirage Spéciaux
DTS:
Excédent Brut d'Exploitation
EBE:
ECOMOG: Economie Community of West African States CeaseFire Monitoring
Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et
FAO:
l'agriculture
Facilité d'Ajustement Structurel Renforcé
FASR:
Formation Brute de Capital Fixe
FBCF:
Initialement Franc des Colonies Françaises d'Afrique
FCFA:
actuellement Franc de la Communauté FrancoAfricaine.
Fonds Européen de Développement
FED:
Fonds Monétaire International
FMI:
Firmes
Transnationales
FTN:
General Agreement on Tariffs and Trade
GATT:
Groupe Économique d'Asie Orientale
GEAO:
Initiative d'Allègement de la Dette Multilatérale
IADM:
Investissement Direct Étranger
IDE:
Institut Africain de Développement Économique et de
IDEP:
Planification
Indice du Développement Humain
IDH:
Infrastructures Économiques et Sociales
lES:
Institut Fondamental d'Afrique Noire
IFAN:
Institutions Financières Internationales
IFI:
Industrialisation par Promotion des Exportations
IPE:
Industrialisation par Substitution aux Importations
ISI:
Millennium Partnership for the African Recovery
MAP:
Programme
Mécanisme Africain d'Évaluation par les Pairs
MAEP:
Millennium Challenge Account
MCA:
CN:
CNUCED:
450
MERCOSUR:
NEP:
NEPAD :
NPI:
NOEl :
OCDE:
OIT:
OMC:
OMD:
OGM:
ONG:
ONU:
ONUDI:
OPEP:
OUA:
PAB:
PAC:
PANPP:
PAL:
PAS:
PAZF:
PDB:
PDN:
PED:
PIB:
PIN:
PL:
PLOM:
PMA:
PME:
PMI:
PNB:
PNUD:
PPA:
PPTE:
PSD:
PST:
PVD:
RN:
SACU:
Marché Commun Sud-américain
Nouvelle Politique Économique
Nouveau Partenariat pour le Développement de
l'Afrique
Nouveaux Pays Industrialisés
Nouvel Ordre Économique International
Organisation
de
Coopération
pour
le
Développement Économique
Organisation Internationale du Travail
Organisation Mondiale pour le Commerce
Objectifs du Millénaire pour le Développement
Organismes Génétiques Modifiés
Organisation Non Gouvernementale
Organisation des Nations Unies
Organisation des Nations Unies· pour le
Développement Industriel
Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole
Organisation de l'Unité Africaine
Plan d'Action de Beijing
Politique Agricole Commune
Pays Africains Non Producteurs de Pétrole
Plan d'Action de Lagos
Politiques d'Ajustements Structurels
Pays Africains de la Zone Franc
Produit Domestique Brut
Produit Domestique Net
Pays en Développement
Produit Intérieur Brut
Produit Intérieur Net
Plus Value
Plan Omega
Pays les Moins Avancés
Petites et Moyennes Entreprises
Petites et Moyennes Industries
Produit National Brut
Programme des Nations Unies pour le
Développement
Parité de Pouvoir d'achat
Pays Pauvres Très Endettés
Pays Sous-développés
Politique Scientifique et Technique
Pays en Voie de Développement
Revenu National
Union douanière d'Afrique Australe
451
SADC:
SEBC:
SFD:
SME:
SMI:
SMR:
SGP:
TCEN:
TCER:
TEE:
TEP:
TIC:
TPE:
TSA:
UA:
UDAA:
UE:
UEM:
UEMOA:
UFM:
UMA:
UNFPA:
USAID:
VAR:
VAN:
ZEP:
ZMO:
452
Communauté pour· le Développement de
l'Afrique Australe
Système Européen de Banques Centrales
Systèmes Financiers Décentralisés
Système Monétaire Européen
Système Monétaire International
Système Monétaire Régional
Système Généralisé de Préférences
Taux de Change Effectif Nominal
Taux de Change Effectif Réel
Tableau Économique d'Ensemble
Tonne Équivalent Pétrole
Technologies de l1nformation et de la
Communication
Taux de Protection Effective
Tous Saufles Armes
Union Africaine
Union Douanière de l'Afrique
Union Européenne
Union Économique et Monétaire
Union Économique et Monétaire Ouest-Africain
Union du Fleuve Mano
Union du Maghreb Arabe
Fonds des Nations Unis pour la Population
United States Aïd International Development
Valeur Ajoutée Brute
Valeur Actualisée Nette
Zone d'Échanges Préférentiels
Zone Monétaire Optimale
T able des matières
A vant Propos
9
Introduction générale
15
1. Naissance de l'Économie du Développement
15
II. La difficulté de trouver un statut à l'économie du
développement dans la science économique qui est devenue
une entreprise gigantesque.
1. Le premier courant considère l'économie du développement
comme un simple prolongement de l'analyse macroéconomique
2. La deuxième attitude théorique considère l'économie du
développement comme un chapitre récent de la science
économique
3. La troisième thèse considère que l'économie du
développement doit se constituer en discipline autonome en
s'assignant un double objectif: offrir une représentation
théorique cohérente du sous-développement et indiquer les
voies et moyens pour en sortir
III. Que recouvre l'Économie du Développement?
1.
À première approximation qu'est que le développement?
2. Le développement peut aussi se définir à partir de facteurs
plus quantitatifs que qualitatifs
IV. De la crise du développement à l'avènement du
développement durable
V. Les courants de pensée en économie du développement
VI. P.HUGON a tenté d'établir une périodisation de
l'évolution de la pensée du développement depuis les
indépendances africaines (1960) à la crise des années 80
1. Les années 70: le moment de la radicalisation avec les
succès politiques et économiques de la tricontinentale qui
revendique un Nouvel Ordre Économique mondial.
2. Le moment de la crise des années 80 et l'avènement de la
libéralisation et de la gestion capitaliste
VII. Quelle est la structure de cet ùuvrage ?
17
20
22
23
23
24
27
28
29
29
31
34
453
Partie introductive. Afrique, contexte de
Mondialisation et de sous-développement
41
Chapitre 1. Configuration multipolaire de la
Mondialisation
45
Section 1. L'interdépendance relative à la production dans un
système productif dominé par les firmes multinationales
Section 2. L'interdépendance des échanges
Section 3. Interdépendance et globalisation des marchés
financiers
Section 4. L'interdépendance relative au facteur déterminant
des Technologies de l'Information et de la Communication
Section 5. Mondialisation multipolaire par formation de vastes
blocs régionaux véritables pôles de compétition
50
Section 6. Des conséquences non économiques de la mondialisation
1. Mondialisation et déstructuration des identités et valeurs
culturelles par l'échange inégal des cultures
II. Mondialisation libérale: système économique libéral doit
rimer avec société démocratique
Section7. La société civile mondiale en gestation et la
revendication d'une mondialisation maîtrisée et équitable
Section 8 : La question sécuritaire suite aux évènements du 11
Septembre: La gestion des nouveaux risques
52
54
56
56
58
59
61
Chapitre 2: l'Afrique Paria de la Mondialisation entre
marginalisation, pauvreté et précarité
Sectiom. Les inégalités et leur portée: la difficulté de réduire la
fracture sociale
Section2. L'Afrique paria de la mondialisation
1. Pauvreté de masse aggravée par la défaillance des systèmes
traditionnels et modernes de protection sociale
hypothèque du développement par
II. Étranglement et
l'endettement
III. Synoptique des défaillances et des risques de l'Afrique dans
la mondialisation
IV. Face au déclin de l'Aide Publique au Développement CAPO)
à la fois insuffisante et mal orientée, la recherche de systèmes et
de politiques monétaires flexibles
Section 3 : Les perspectives africaines d'insertion dans la mondialisation
454
65
68
69
71
73
75
1. Exigence de construction d'économies libérales
compétitives
II. Exigence d'une régionalisation de gré ou de force
et
80
Chapitre 3 : Maîtrise du pétrole et de l'énergie dans la
géostratégie de régulation de la Mondialisation
Section! : Le pétrole, une variable- clé dans la géostratégie et la
compétitivité de l'économie mondiale avec des accroissements
des prix sans fin
Section2 : Les choix énergétiques à moyen et long terme
Section3 : Les États africains et le pétrole: handicap majeur au
développement à la fois pour les producteurs et les déficitaires
Section 4 : Résorption de la fracture énergétique et valorisation
des potentialités par la coopération et l'intégration
Section 5 : Quelle solution pour les questions énergétiques?
Propos d'étape sur la partie introductive
Première partie. Théories économiques du
développement et du sous-développement:
les grilles d'analyse
Chapitre 4 : L'école classique: précurseurs du modèle
libéral et théoriciens de la richesse des nations, des
marchés libres et de la spécialisation internationale
Section 1 : Les analyses du développement et de la croissance
chez les classiques
1. Problématique théorique du développement ramenée à
l'accumulation productive
II. La question de l'état stationnaire: les risques de crise et de
stagnation
Section 2 : A. Smith fondateur de l'Économie politique et père
spirituel du libéralisme contemporain
1. Sur quoi repose la richesse d'une nation?
86
88
91
93
94
97
103
104
105
106
106
107
II. Le rôle primordial du marché libre
Sectïon3: D.RICARDO: la « grosse tête» de l'École Classique, la
référence de la théorie de la rente et du commerce international
1. La Théorie de la rente
109
II. Les perspectives à long terme
113
111
112
455
III. RICARDO découvre le commerce international et formule la
loi de l'avantage comparatif
114
Chapitre 5 : analyse marxiste: accumulation
productive, baisse tendancielle du taux de profit et
survie du capitalisme
123
Section 1: Bref rappel des principales thèses de l'analyse
approfondie du stade capitaliste
1. Les quatre conditions de base pour atteindre l'étape
capitaliste: l' «aliénation» des moyens de production
II. La réévaluation critique de la théorie de la valeur
Section 2: Le marxisme comme première pensée critique de
l'économie politique de l'École Classique
Section 3 : Les modèles marxistes de développement
1. Le concept d'accumulation primitive: transition vers le
capitalisme
II. L'alternative socialisme ou voie non capitaliste du
développement
Section 4. Deux limites du marxisme originel: la baisse
tendancielle et la chute inéluctable du capitalisme
1. Les implications de la deuxième version de la détermination
des prix sur la loi de la baisse tendancielle du taux de profit
II. Pourquoi les sociétés capitalistes ne se sont elles pas
effondrées? Pourquoi'« le capitalisme moribond se porte-t-il
toujours bien ? »
Section 5. La contribution positive du marxisme à la pensée du
développement
1. Le premier aspect positif de la théorie marxiste est la
concentration sur le «surplus» économique: les analyses de P.
BARAN et P. SWEEZY
II. Un deuxième aspect positif de l'approche marxiste est sa
concentration sur les liens entre politique et économique
III. Un troisième aspect positif de la théorie marxiste est la
constatation que les «lois» économiques changent avec la
société.
IV. La théorie économique marxiste répond à différentes
questions que les théories économiques non marxistes
n'envisagent pas
456
124
125
126
134
137
137
139
150
153
154
154
155
Chapitre 6 : La révolution Keynésienne et néokeynésienne de la croissance et du développement
Section 1: L'analyse keynésienne
1. La politique d'investissement
159
160
161
II. La politique monétaire de stimulation de l'investissement
162
III. La politique budgétaire de stimulation de l'investissement
Section 2: L'approche post-keynésienne du développement
et de la croissance
1. Le modèle HARROD-DOMAR
II. Les autres modèles de croissance des autres néokeynésiens
III. Mise à mort et réhabilitation de la pensée keynésienne
16 4
Chapitre 7 : L'analyse néo-classique: les nouveaux
fondements théoriques du libéralisme
et du libre échange
Section 1 : Les fondements théoriques de l'analyse néo-classique
Section 2: Synthèse néo-classique et développemeut:
pourquoi et comment faire une croissance durable
16 5
166
171
173
179
Chapitre 8 : Théories structuralistes et institutionnalistes du sous-développement et du développement: 185
approches Tiers-Mondistes et néo-marxistes
Section 1 : La première véritable École de pensée économique
latino-américaine autour de l'approche structurale: l'organe
des Nations-Unies, la CEPAL
Section 2: La riposte libérale de l'analyse du sousdéveloppement: les thèses de C. CLARK à W.W. ROSTOW
Section 3: Les néo-marxistes et les formulations d'une
approche du développement à la lumière de l'œuvre de Marx
1. Le capitalisme à la périphérie ou la définition du sousdéveloppement comme une structure plutôt que comme. un
niveau du revenu par habitant
Il. L'accumulation à l'échelle mondiale permet d'éviter la
chute du capitalisme au Centre
1111 La question des relations (spécialisation et échange
inégal) entre le centre et la périphérie
188
191
194
199
204
457
Section 4 : Structuralisme et Institutionnalisme
1. Vers un renouveau de l'approche structuraliste et
institutionnaliste du développement
II. Le rôle des institutions
III. L'évolution des thèses structuralistes: le néo- structuralisme
205
205
208
211
Chapitre 9 : Entremêlement des théories et
modèles de la croissance
21 3
Section 1: Rappel des théories de la croissance et des
schémas d'accumulation productive
1. Les théories de la croissance après KEYNES
215
222
II. Les modèles de croissance endogène
Section 2: Les facteurs déterminants et mesure de la
croissance
1. Les déterminants de la croissance
223
II. Comment mesurer la croissance
Section 3. Le débat sur la croissance au niveau des PSD
croissance déséquilibrée et croissance équilibrée
1. La thèse de NURSKSE et ROSENSTEIN-RODAN
230
II. La thèse d'HIRSCHMAN et PERROUX
III. Des critiques de la croissance aux interrogations sur le
développement
Section 4. Une nouvelle approche de l'économie politique du
développement: les théories et modèles de la croissance
endogène
1. Le facteur le plus déterminant de la croissance est le capital
physique qui se compose de l'infrastructure de base
II. Le capital humain variable principale de la croissance: Les
modèles de ROMER, LUCAS et BARR
232
Section 5. Les issues de la croissance
Propos d'étape sur la première partie
458
225
225
23 1
231
233
233
237
243
Deuxième partie: morphologie du sousdéveloppement et introduction aux objectifs,
stratégies et instruments de gestion
Chapitre 10 : les caractéristiques économiques et
non économiques du sous-développement
Section 1 : Les Caractéristiques d'une économie sous-développée
1. La première caractéristique est la structure primaire et dualiste
II. La deuxième caractéristique est relative au
fonctionnement d'une économie sous-développée
III. La troisième caractéristique: le sous-développement
comme incapacité à briser le « Cercle Vicieux de la Pauvreté»
IV. L'Approche marxiste du sous-développement à travers
l'analyse de S. AMIN
Section 2. Les caractéristiques extra-économiques du développement
249
255
255
257
259
267
268
1. Les attitudes à l'égard du travail
274
II. L'attitude à l'égard du progrès matériel
~74
III. L'attitude à l'égard du temps
276
IV. L'attitude à l'égard de la corruption
276
V. L'attitude à l'égard de l'État et du service public
277
Section 3. Techniques de quantification du sous-développement
280·
1. La critériologie
II. Les critères de la cùmptabilité nationale
III. Les critères du développement humain
Chapitre 11 : démographie et urbanisation accélérée 295
frein ou chance du développement
297
Section 1. Les théories et la pratique démographiques
1. Les analyses théoriques
300
II. Les analyses natalistes
302
Section2. La démographie au niveau mondiale
3°5
1. Historique de la population humaine
3°5
459
II. La transition démographique depuis 1950
306
Section 3. Les tendances démographiques globales en Afrique
1. Le recul de la mortalité et l'amélioration de l'espérance de
vie
II. La transition démographique, conséquence du processus
de modernisation économique et sociale
Section 4. Urbanisation et développement: la ville est-elle
encore un facteur de croissance et de développement
1. Urbanisation accélérée et chaotique en Afrique
II. Corrélation entre défis démographiques et crise
économique
III. La jeunesse de la population africaine est-ce vraiment un
atout?
Section 5. La problématique de la migration internationale
307
308
309
311
312
315
317
319
1. Le phénomène migratoire
32 0
II. Les mutations et tendances de la migration internationale
322
III. Les effets des mouvements migratoires
IV. Les flux migratoires africains
V. La migration interne: cas de l'Afrique de l'Ouest
VI. Gestion efficace de la migration
Chapitre 12 : Introduction gênérale aux objectifs,
33 1
stratêgies et instruments de gestion du développement
Section 1. Les objectifs en matière de développement
332
1. Les objectifs internes
332
II. Les objectifs externes
Section 2. Les stratégies de développement économique: le
débat entre anciens et nouveaux économistes, entre
orthodoxes et hétérodoxes
.
1. Les anciennes approches des stratégies de développement
II. Le Consensus de Washington: l'instauration d'un modèle
d'économie de marché
III. La nouvelle stratégie
l'émergence dans le contexte
africain
Section 3. Les préalables d'une politique de développement
336
de
460
336
336
337
343
349
1. Quel modèle d'industrialisation?
II. Les relations entre l'industrie et l'agriculture
III. Les relations économiques internationales dans la
stratégie de développement
Section 4. Fonctions et techniques de la planification, de la
prévision et de la prospective au niveau des PSD
1. Considérations générales sur le processus de planification
350
353
354
357
359
Il. Synopsis des étapes d'élaboration d'un Plan
363
III. Les limites du processus planifié des économies sousdéveloppées
IV. Les limites liées au cadre administratif de gestion du
processus planifié
Section 5. L'indispensable réhabilitation de la planification et
des études de prospective stratégique
1. La planification, instrument de management des crises et
des risques
Il. Impérative nécessité d'opérer des études prospectives au
niveau national, régional et continental
366
375
377
377
378
Chapitre 13 : Le retour de l'État et des questions de
gouvernance pour la bonne gestion du développement
Section 1. Les aspects institutionnels de la croissance et le
retour de l'État dans le jeu économique
Section 2. L'État dans le développement
1. Les imperfections du marché et l'affaiblissement du
fondamentalisme de marché
II. La réhabilitation et la redéfinition du rôle de l'État
III. De quelques formes d'État acteur principale de la
politique économique
Section 3. La décentralisation ou la connexion avec le local
1. La décentralisation
39 2
393
396
400
402
402
Il. L'aménagement du territoire, un impératif du développement
africain
Section 4. L instauration de la Bonne Gouvernance politique,
économique et sociale
1. La notion de bonne gouvernance
406
Il. Les différents volets de la gouvernance
410
403
404
461
Chapitre 14 : Libéralisation des économies africaines
par les programmes d'ajustement stnIcturel
Section 1: Les fondements théoriques des politiques
d'ajustement structurel: la recette libérale
1. Le référentiel théorique et les recommandations du
consensus de Washington: une épure séduisante
II. Les axes de l'ajustement structurel: les enchaînements de
l'épure libérale
Section 2 : Synoptique des politiques sectorielles
419
423
423
42 7
43 1
1. Dette et ajustement
431
II. La politique commerciale
432
III. Les problèmes budgétaires
433
IV. La politique de change
437
Section 3. Les coûts sociaux de l'ajustement
Section 4. Limites des politiques d'ajustement et l'amorce du
post-ajustement
Propos d'étape de la deuxième partie
438
445
Liste des acronymes
449
462
44°
Achevé d'imprimer sous les presses
de la Sénégalaise de l'Imprimerie
51, Rue St Michel ex Dr Thèze
Tél. 33 823 01 77 - Dakar
Février 2009
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