ONCO-PNEUMOLOGIE Le dépistage du cancer bronchopulmonaire : passé et futur Lung cancer screening: past and perspectives S. Couraud*, B. Milleron** L e cancer bronchopulmonaire est une maladie à la fois fréquente et grave. Son principal facteur de risque – le tabac – est bien connu, ce qui facilite la mise en évidence de sujets à haut risque. Par ailleurs, le pronostic de la maladie est étroitement lié à son stade lors du diagnostic. Le traitement des stades avancés est malheureusement essentiellement palliatif tandis que les stades I opérés de petit volume ont une survie à 5 ans supérieure à 80 % (1, 2). Pour toutes ces raisons, le cancer bronchopulmonaire est un candidat idéal au dépistage (c’est-à-dire sa détection précoce, avant qu’il ne devienne symptomatique) selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé. Depuis une quarantaine d’années, une recherche clinique très active a exploré plusieurs modalités pour ce dépistage : l’examen cytologique des expectorations, la recherche de biomarqueurs sériques ou dans les expectorations, la radiographie pulmonaire et, plus récemment, le scanner thoracique. Cette mise au point est toutefois limitée aux techniques radiologiques. Le dépistage du cancer bronchopulmonaire par radiographie pulmonaire Les études concernant la radiographie pulmonaire ont été d’abord des études de cohortes (simples et cas-témoins), puis des études randomisées. Les études de cohorte ont démontré que la radio­ graphie permettait de dépister des cancers de stades plus précoces comparativement aux données historiques ou aux témoins. Toutefois, l’efficacité d’un dépistage doit être jugée sur la diminution significative de la mortalité spécifique par cancer broncho­ pulmonaire dans la population étudiée, comparée à une population non soumise au dépistage. Pour faire cette démonstration, des études randomisées étaient donc nécessaires. Deux études ont alors été menées dans cette optique : le Mayo Lung Project d’une part (3, 4), une étude tchéco­slovaque (5) d’autre part. Toutes deux comportaient un bras comparatif “soins usuels” comprenant des sujets non soumis au dépistage. Les résultats montraient que, comme dans les études de cohortes, les cancers dépistés étaient plus fréquemment opérables et donc de meilleur pronostic que les cancers diagnostiqués dans la population témoin. Néanmoins, ces 2 études n’ont montré aucune diminution significative de la mortalité dans le bras dépisté. La principale raison était que l’incidence des cancers y était supérieure. Les cancers étaient moins graves, mais, comme ils étaient plus nombreux, la survie spécifique ne variait pas. En conséquence, les résultats de ces 2 études ont été considérés comme entachés d’un biais d’avance au diagnostic (“length-time bias” : il y a un excès de cancers peu évolutifs chez les patients dépistés), d’une part, et, dans une moindre mesure, d’un biais de surdiagnostic (des cancers ont été diagnostiqués grâce au dépistage alors qu’ils n’auraient pas entraîné de décès), d’autre part. L’autre écueil de ces 2 études – largement commentées dans la littérature – était leur manque de puissance statistique (elles portaient toutes 2 sur moins de 10 000 sujets). La question a été tranchée récemment par la publication d’une autre étude : l’étude PLCO (6). Cette étude randomisée – portant sur plus de 150 000 participants – avait pour objectif de tester l’impact d’une * Service de pneumologie, Hospices civils de Lyon, centre hospitalier Lyon Sud, Pierre-Bénite, et faculté de médecine et de maïeutique LyonSud - Charles-Mérieux, université Lyon-I, Oullins. ** Service de pneumologie, hôpital Tenon, AP-HP, Paris. La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 4 - juillet-août 2013 | 153 Mot-clés Cancer bronchopulmonaire Scanner basse dose Dépistage Fumeurs Summary Lung cancer patients may benefit from screening, according to the World Health Organization criteria. Although chest-radiography was demonstrated as ineffective in this indication, recent results from the National Lung Screening Trial (NLST) showed that annual low-dose CT scan decreased lung cancer-related mortality by 20% in high-risk individuals. Indeed, these results raised many questions. However, following the NLST trials, many academic groups published guidelines in which they consider lung cancer screening. In France, the French Intergroup IFCT, the Oncology branch of the French-Speaking Pulmo­ nology Society and the Thoracic Branch of the French Radiology Society published a common statement. Keywords Lung cancer Screening Low-dose CT scan Smoking Résumé Le cancer bronchopulmonaire est une maladie répondant aux critères de l’Organisation mondiale de la santé pour l’éligibilité à un dépistage. Si la radiographie pulmonaire a démontré son inutilité dans cette indication, ce n’est pas le cas du scanner basse dose. L’étude américaine NLST a en effet montré une réduction de 20 % de la mortalité par cancer du poumon chez des patients à haut risque soumis chaque année (pendant 3 ans) à un scanner de dépistage. Bien que ces résultats soulèvent aussi beaucoup de questions, de nombreuses sociétés savantes recommandent désormais d’envisager le scanner de dépistage. En France, l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique, le Groupe d’oncologie de langue française et la Société d’imagerie thoracique ont publié une position commune détaillée sur ce sujet. radiographie thoracique annuelle comparativement aux soins usuels (absence de radiographie). Les résultats montraient qu’il n’y avait pas de différence significative de mortalité entre ces 2 groupes, y compris dans le sous-groupe des patients à haut risque, du fait de leur comportement tabagique. L’inutilité de la radiographie pulmonaire pour le dépistage paraît donc définitivement démontrée. Le dépistage par scanner thoracique faiblement dosé Les premières études utilisant le scanner non injecté et moins irradiant qu’un scanner habituel ont montré que cet examen était beaucoup plus sensible que la radiographie pulmonaire pour détecter des cancers. Par exemple, la première publication de l’étude de cohorte ELCAP (7) rapporte que plus de 350 nodules non calcifiés ont été découverts par le scanner alors que moins de 100 étaient observés sur le cliché standard chez 1 000 volontaires ayant fumé au moins 10 paquets-année (PA). L’histoire s’est alors répétée, et le scanner a suivi les mêmes étapes que le dépistage radiologique standard, en 2 phases. Dans une première phase, des études ouvertes ont été menées. Toutes montraient que le scanner découvrait au moins 1 nodule thoracique chez 1 à 2 personnes sur 4. La plupart de ces nodules n’étaient pas des cancers et étaient donc des faux positifs du dépistage. Ainsi, si le scanner était capable de déceler beaucoup de stades précoces, il avait une très mauvaise spécificité. Cela laissait penser que le dépistage allait induire un taux de complications et un coût élevés en relation avec l’exploration de ces nombreuses lésions aspécifiques. En revanche, la découverte de cancers de stade précoce, en nombre bien plus élevé que ne le permettait la radiographie pulmonaire, représentait une importante raison d’espérer en l’efficacité du scanner. La deuxième phase qui a logiquement succédé à celle de ces études ouvertes est celle des études randomisées (tableau I). Les résultats de certains de ces essais sont connus. Le plus important d’entre eux est l’essai randomisé américain National Lung Screening Trial (NLST) [11], qui porte sur plus de Tableau I. Principales études randomisées sur le dépistage par scanner faible dose. Étude Bras contrôle N scanner N témoin État Puissance4 Réf. Résultat principal Négatif pour les données de survie à 5 ans (10 ans prévus) DLCST1 Observation 2 052 2 052 Terminée NON (8) DANTE1 Observation 1 276 1 196 Terminée OUI (9) Négatif pour la mortalité à 3 ans MILD1 Observation 2 3763 1 723 Terminée NON (10) Négatif pour la mortalité à 5 ans (10 ans prévus) NLST Radiographie 26 722 26 732 Terminée OUI (11) ITALUNG1 Observation 1 613 1 593 Terminée - (12) NELSON1 Observation 7 907 7 915 Terminée NON (13) UKLS2 Observation 2 000 2 000 En cours OUI (14) LUSI1 Observation 2 029 2 023 Terminée NON (15) DEPISCAN Observation 385 380 Terminée NON (16) Positif sur la mortalité globale et spécifique Résultats à 4 ans (7 ans prévus) publiés uniquement pour le bras scanner Résultats des scanners des 3 premiers tests publiés (sans comparaison) Données du premier test (bras scanner uniquement) publiées Négatif 1. Études appartenant au consortium européen prévoyant une publication groupée des résultats. 2. Concerne l’étude pilote ; l’étude complète prévoit d’inclure 28 000 participants. 3. La moitié des patients du groupe scanner ont eu 2 examens par an, l’autre moitié, un seul. 4. Puissance suffisante pour mettre en évidence une différence de mortalité. 154 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 4 - juillet-août 2013 ONCO-PNEUMOLOGIE 53 000 patients. D’autres essais européens sont en cours – ou en cours de publication – mais leurs effectifs sont plus limités, et ils n’auront donc pas la puissance nécessaire, pris individuellement, pour observer des différences en termes de mortalité. Toutefois, la plupart de ces études se sont regroupées au sein d’un consortium européen, dont l’effectif total devrait atteindre plus de 20 000 participants environ, et qui a d’ores et déjà prévu une analyse groupée de leurs résultats. La preuve de l’effet significatif du scanner faiblement dosé sur la mortalité spécifique par cancer bronchopulmonaire a été apportée par le NLST. Cet essai prospectif randomisé qui comparait scanner faiblement dosé et radiographie pulmonaire annuels avait comme objectif principal de démontrer une diminution de 20 % de la mortalité spécifique par cancer bronchopulmonaire. Plus de 53 000 participants âgés de 55 à 74 ans ont été inclus. Ils étaient fumeurs ou anciens fumeurs (ils devaient dans ce cas avoir arrêté leur consommation de tabac depuis moins de 15 ans). Dans tous les cas, ils devaient avoir fumé au moins 30 PA. Un scanner a été réalisé chaque année pendant 3 ans. Le dépistage était considéré comme “positif” lorsqu’il mettait en évidence des nodules non calcifiés de plus de 4 mm ­et/­ou des masses. Les résultats de cette étude ont montré, comme dans les études précédemment publiées, que le scanner décelait beaucoup d’anomalies (25 % des scanners étaient “positifs”, c’est-à-dire présentaient un nodule de taille ≥ 4 mm), mais la plupart de ­celles-ci n’étaient pas des cancers. Ainsi, 96,4 % et 94,5 % des résultats positifs étaient en réalité des faux positifs dans les bras scanner et radiographie pulmonaire respectivement. Toutefois, les participants présentant des anomalies étaient, dans la plupart des cas, simplement investigués par des scanners additionnels, et peu d’examens invasifs ont finalement été réalisés avec, y compris pour les cas opérés, peu de complications. Très récemment, les résultats détaillés du premier round de NLST ont été publiés (17). On peut y lire que seuls 0,8 % (57/6 779) des faux positifs ont eu un abord par ponction sous scanner, et 1,3 % ont subi un geste chirurgical par médiastinoscopie, thoracoscopie ou thoracotomie (90/6 779). Cet essai s’est avéré positif, puisque la mortalité par cancer bronchopulmonaire était réduite de 20 % (p = 0,004) dans le bras scanner comparativement au bras radiographie. De plus, la mortalité globale (toutes causes) était également significativement réduite de 6,7 % (p = 0,02). Cette étude prospective multicentrique de bonne puissance démontre donc pour la première fois, et avec un niveau de preuve élevé, que l’utilisation du scanner thoracique pour le dépistage du cancer bronchopulmonaire diminue de façon très importante la mortalité spécifique de la maladie, et même la mortalité globale, ce qui est particulièrement remarquable pour un test de dépistage. Compte tenu des effectifs des essais en cours, il est prévisible qu’aucune étude ne pourra dans les prochaines années, avec la même puissance statistique, confirmer ou infirmer ces résultats. À la suite de la parution des résultats de l’essai NLST, plusieurs sociétés savantes américaines s’en sont rapidement fait l’écho en publiant des recommandations de pratique. Ainsi, l’American College of Chest Physicians (ACCP) et l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) ont publié une revue conjointe dans laquelle elles reconnaissent l’efficacité d’un tel dépistage et proposent de l’appliquer de manière individuelle aux individus éligibles selon les mêmes critères que ceux de l’étude NLST (18). Le National Cancer Center Network (NCCN), associé à l’American Association for Thoracic Surgery (AATS), suit le mouvement et propose même – de manière un peu étonnante – d’étendre les critères d’éligibilité aux sujets âgés de 50 à 55 ans et/ou avec un tabagisme à 20 PA sous réserve d’être exposés à au moins un facteur de risque additionnel parmi lesquels le radon environnemental, le tabagisme passif, les cancérogènes professionnels, un antécédent familial de cancer bronchopulmonaire, un antécédent personnel de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), de fibrose inter­stitielle diffuse ou de cancer (19). Bien que la discussion sur la nécessité de dépister des patients présentant un risque intermédiaire de cancer bronchopulmonaire reste ouverte, il n’existe à ce jour aucune preuve tangible pour étendre les critères d’éligibilité au-delà de ceux du NLST (d’autant plus qu’il n’existe pas de moyen validé d’évaluer de manière reproductible et fiable les autres facteurs de risque, comme l’exposition professionnelle ou le radon domestique) [20]. Pour terminer, plus récemment, l’American Cancer Society a publié ses recommandations en faveur du dépistage et selon les critères du NLST (21). Les propositions françaises sur le dépistage En France, des experts se sont réunis à l’initiative de l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique (IFCT), du Groupe d’oncologie de langue française (GOLF) et de la Société d’imagerie thoracique La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 4 - juillet-août 2013 | 155 ONCO-PNEUMOLOGIE Le dépistage du cancer bronchopulmonaire : passé et futur (SIT). Ce groupe multidisciplinaire réunissait des pneumologues, des oncologues, des radiologues, des chirurgiens thoraciques, des méthodologistes et des médecins généralistes. Après analyse de la littérature, les experts ont élaboré des propositions pratiques (22). En premier lieu, le groupe a jugé que les preuves étaient suffisantes pour proposer un dépistage à l’échelon individuel, sur la proposition du médecin ou à la demande du sujet, sous réserve de respecter certaines conditions. Population éligible Les sujets éligibles au test sont ceux qui répondent aux mêmes critères que ceux de l’étude NLST : ➤➤ être âgé de 55 à 74 ans au moment du premier scanner ; ➤➤ présenter un tabagisme à plus de 30 PA ; ➤➤ être fumeur actif ou être sevré depuis moins de 15 ans ; ➤➤ ne pas présenter de comorbidité compromettant une chirurgie thoracique ni de signes évocateurs d’un cancer bronchopulmonaire ; ➤➤ s’inscrire volontairement dans la démarche, après information sur les risques et les bénéfices ; ➤➤ accepter, si le patient est fumeur actif, de considérer une démarche d’aide au sevrage tabagique, que le prescripteur se doit de proposer systématiquement. En effet, tout programme de dépistage ne peut être efficace que s’il est associé à une lutte contre le tabagisme, tant sur le plan individuel que collectif. Bien entendu, cette personne doit être parfaitement asymptomatique (état général et respiratoire). Un sujet rapportant une plainte fonctionnelle et/ou ayant un examen clinique anormal doit bénéficier des investigations diagnostiques dédiées. Une information détaillée doit être délivrée. Le groupe d’experts français a d’ailleurs récemment publié des fiches de synthèse et d’information destinées aux prescripteurs et aux patients (23). Ces informations doivent notamment comprendre : ➤➤ le risque de découverte d’une anomalie, quelle qu’en soit la nature (7,8 à 20,8 % de scanners positifs ou indéterminés ; 1,8 à 2,6 % de tests positifs au final) ; ➤➤ la probabilité de devoir subir des investigations complémentaires, parfois invasives (85 à 88 % des cas), voire des interventions chirurgicales, aboutissant à un diagnostic de malignité dans 35 % des cas ou, le plus souvent, à un diagnostic de lésion bénigne ; 156 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 4 - juillet-août 2013 ➤➤ le risque de voir diagnostiquer des tumeurs qui n’auraient probablement jamais eu de traduction clinique (risque de surdiagnostic), voire d’impact sur la survie (formes indolentes), même si ces formes sont probablement peu fréquentes ; ➤➤ le risque lié à l’irradiation induite par la répétition des scanners, même s’il s’agit de faibles doses (équivalant à 6 mois d’irradiation naturelle en France). Le risque de développer des cancers radio-induits ne doit pas être minimisé. Une modélisation prenant en compte ce risque montre que le dépistage reste malgré tout bénéfique en termes de réduction de la mortalité (24). Néanmoins, une publication récente montre que des scanners passés dans l’enfance augmentent le risque de cancer à l’âge adulte, ce qui incite à la prudence (25) ; ➤➤ l’intérêt porté au sevrage tabagique, quels que soient l’âge et le niveau d’exposition, et au fait que le dépistage n’a de sens que s’il s’accompagne d’un arrêt de l’intoxication tabagique ; ➤➤ l’intérêt du dépistage pour le diagnostic et/ou le dépistage d’autres pathologies, liées ou non au tabac, même si leur impact et leur fréquence ne sont pas chiffrés à ce jour. Modalités du test et durée Il n’y a pas de définition consensuelle pour un scanner basse dose. Dans ces conditions, les experts ont retenu une limite en termes de produit dose × longueur (PDL), avec une limite supérieure admissible de 150 mGy.cm pour un adulte de poids moyen (70 kg), à adapter à la corpulence du sujet (26). Dans tous les cas, il s’agit d’un scanner réalisé sans injection de produit de contraste iodé. Peu de données sont disponibles dans la littérature pour conclure quant à la durée optimale de suivi à proposer aux patients. Il apparaît néanmoins que le minimum à recommander est la réalisation de 3 scanners à 1 an d’intervalle, conformément au protocole de l’étude NLST. Cependant, par analogie avec les programmes de dépistage des cancers d’autres organes, et considérant qu’un programme (collectif) de dépistage ne se conçoit que s’il est continu dans la recherche des cas, il semble approprié de poursuivre la réalisation des scanners faible dose à un rythme a priori annuel, sans qu’il soit là encore possible de déterminer la rythmicité optimale. Cela semble d’autant plus pertinent que, dans l’étude du NLST, des cancers étaient découverts lors de chaque dépistage annuel : 3,8 % au scanner initial, puis 2,4 % et 5,2 % aux scanners à 1 an et 2 ans, respectivement. ONCO-PNEUMOLOGIE Modalités d’interprétation du scanner L’essai MILD, dont l’un des objectifs était d’évaluer la fréquence idéale (entre un examen annuel et un tous les 2 ans), a retrouvé une incidence plus élevée dans le bras annuel, sans effet sur la mortalité ou sur la distribution des stades. Ces résultats n’incitent donc pas à augmenter la fréquence (10). De même, l’étude de cohorte COSMOS – qui a poursuivi les scanners annuels pour une période de 10 ans – montre que de nouveaux cancers sont bien diagnostiqués chaque année (0,8 % de la population en moyenne). Le bénéfice lié à la poursuite du dépistage chez les patients de plus de 75 ans (ayant effectué au moins les 3 scanners initiaux) et chez les sujets ayant dépassé les 15 ans d’abstinence tabagique n’est pas établi, et cette attitude n’est donc pas indiquée. Enfin, la survenue d’une pathologie évolutive mettant en jeu le pronostic vital chez un patient devra faire reconsidérer l’opportunité de poursuivre le dépistage, le patient entrant alors dans une phase de diagnostic et de suivi (tableau II). On peut schématiquement retrouver 5 types de lésions nodulaires sur un scanner de dépistage : les nodules solides, les nodules en verre dépoli, les nodules mixtes (en verre dépoli et solides), les nodules calcifiés et les autres nodules bénins (figure). Les nodules entièrement calcifiés ou présentant une calcification centrale sur 2 plans de coupe orthogonaux, quelle que soit sa taille, sont considérés comme bénins. De même, la présence d’un foyer de densité graisseuse (­40 à ­120 unités Hounsfield) au sein du nodule ou des caractéristiques évocatrices d’un ganglion intrapulmonaire (nodule de moins de 10 mm, distant de moins de 10 mm de la plèvre, situé au-dessous du niveau de la carène et présentant une forme angulaire) constituent des critères de bénignité et ne sont donc pas considérées comme des tests positifs. Tableau II. Critères de sélection de la population éligible au dépistage (22). Critères d’inclusion Critères d’exclusion Critères de “sortie” 55 à 74 ans > 30 PA Antécédent de cancer > 75 ans après les 3 scanners initiaux Fumeur actif ou sevré < 15 ans Comorbidité sévère, dont état respiratoire contre-indiquant une exploration thoracique invasive > 15 ans de sevrage tabagique Être volontaire après information Accepter de considérer une démarche d’aide au sevrage tabagique Survenue d’une comorbidité sévère Antécédent d’hémoptysie Amaigrissement inexpliqué Antécédent d’infection pulmonaire < 1 an A B C D E Figure. Anomalies typiquement retrouvées sur des scanners de dépistage : nodule solide (A) ; nodule en verre dépoli pur (B) ; nodule mixte (C) ; nodule calcifié (D) et ganglion intrapulmonaire juxta-scissural (E). (Collection personnelle S. Couraud) La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 4 - juillet-août 2013 | 157 ONCO-PNEUMOLOGIE Le dépistage du cancer bronchopulmonaire : passé et futur La découverte d’un nodule solide est la situation la plus fréquente. L’interprétation du scanner proposée par le groupe de travail français est largement inspirée du protocole de l’étude NELSON. Il convient cependant de rappeler que l’analyse des données de survie de cette étude n’est pas encore disponible. Néanmoins, le protocole utilisé – dont les données actualisées ont été rapportées au congrès 2013 de l’American Thoracic Society – montre que 2 % des tests sont positifs et que 59 % d’entre eux sont de faux positifs, ce qui est très largement inférieur au nombre de positifs du NLST. Enfin, près de 78 % des cancers détectés par ce biais sont des stades I et II (27, 28). La taille (mesure du plus grand diamètre) ou le volume du nodule permettent de classer le résultat de l’examen en 3 catégories : “positif” (anomalie justifiant la poursuite des explorations), “indéterminé” (anomalie justifiant un contrôle scanographique rapproché) et “négatif” (absence d’anomalie ou anomalie ne justifiant pas de contrôle spécifique en dehors des scanners annuels tels qu’ils sont proposés dans le dépistage). Pour les nodules solides, l’examen est considéré comme “négatif” lorsque la taille du nodule est inférieure à 5 mm ou le volume inférieur à 50 mm3. L’examen est considéré comme “indéterminé” lorsque le plus grand diamètre du nodule est compris entre 5 et 10 mm (correspondant approximativement à un volume de 50 à 500 mm3). Ces examens justifient un contrôle par un nouveau scanner faible dose à 3 mois. Ensuite, l’interprétation du scanner est fondée sur le temps de doublement à partir des mesures volumétriques : si le temps de doublement est d’au moins 400 jours, le test sera considéré comme négatif. Un scanner systématique sera réalisé 1 an après le scanner initial ; si le temps de doublement est de moins de 400 jours (correspondant approximativement à une augmentation du volume de 25 %), le test sera considéré comme positif et le sujet sera adressé au spécialiste pour exploration. Enfin, l’examen est directement considéré comme “positif” s’il existe au moins un nodule solide de plus de 10 mm (correspondant approximativement à un volume de 500 mm3) dans son plus grand diamètre (tableau III). Cette procédure, qui introduit une mesure volumétrique à 3 mois, permet de réduire largement le nombre de scanners de surveillance et le nombre de positifs, et par conséquent de faux positifs. Concernant les nodules en verre dépoli (purs ou mixtes), la mesure volumétrique est mal adaptée. On utilisera donc la taille du plus grand diamètre, exprimée en millimètres. Les nodules en verre dépoli purs de moins de 5 mm de diamètre ne nécessitent pas de suivi particulier (dépistage négatif). Les nodules en verre dépoli avec une composante solide (mixtes), et les nodules en verre dépoli purs de taille supérieure ou égale à 5 mm justifient un traitement antibiotique probabiliste et un nouveau scanner à 3 mois. Après 3 mois, la prise en charge peut schématiquement être résumée ainsi : en cas de disparition de l’opacité, le test est considéré comme négatif ; en cas d’augmentation de taille d’au moins 2 mm ou d’apparition d’une composante solide, le test est considéré comme positif et le sujet est adressé au spécialiste pour l’exploration ; en cas de stabilité d’un nodule en verre dépoli pur, le test est considéré comme indéterminé. Le dossier doit alors faire l’objet d’une discussion multidisciplinaire. La probabilité qu’il s’agisse d’un adénocarcinome in situ ou minimalement invasif est forte (plus de 75 %), ce qui peut donc conduire à proposer une exérèse chirurgicale. Toutefois, le temps de doublement de ces tumeurs étant habituellement très long, il peut être opportun de discuter un suivi scanographique annuel, qui sera alors d’au moins 5 ans. Conclusion L’essai NLST a indéniablement ouvert une nouvelle porte dans la prise en charge des cancers bronchopulmonaires, et il n’est désormais plus possible d’ignorer ces résultats. Toutefois, cette porte s’ouvre sur de nombreuses questions, qui restent entières. Tableau III. Critères d’interprétation d’un scanner de dépistage pour un nodule solide et conduite à tenir (22). Résultat du scanner Scanner négatif Scanner indéterminé Scanner positif Critères Nodule calcifié Nodule < 5 mm Critères de “bénignité probable” : présence d’un foyer de densité ; caractéristiques évocatrices d’un ganglion intrapulmonaire Nodule ≥ 5 mm et < 10 mm (50 à 500 mm3) Nodule ≥ 10 mm Nodule indéterminé avec temps de doublement à 3 mois < 400 j Prochain scanner de dépistage dans 12 mois (sauf critères de sortie) Prochain scanner dans 3 mois Adresser le patient au spécialiste Conduite à tenir 158 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVI - n° 4 - juillet-août 2013 Directeur de la publication : Claudie Damour-Terrasson Rédacteur en chef : Pr Marc Humbert Le choix des critères de sélection de la population éligible est l’une des premières venant à l’esprit, ­d’autant plus que ce paramètre influence considérablement l’aspect médico-économique du dépistage. Le nombre important de faux positifs dans le NLST (24 % des scanners sont positifs et 97 % le sont faussement) est également une question rémanente, et le protocole de NELSON semble plus performant. De plus, de nombreux biomarqueurs semblent prometteurs – en association avec le scanner – pour mieux discriminer les faux et les vrais positifs du scanner. Enfin, il ne faut en aucun cas oublier que le cancer bronchopulmonaire est avant tout une maladie largement évitable par la lutte contre le tabac – tant au niveau individuel que collectif. Ces questions – parmi d’autres – sont au cœur de nombreux projets d’études cliniques en France et ailleurs, qui visent à mieux documenter et reproduire les bons résultats du NLST avant de s’engager sur la voie d’un dépistage organisé. D’ailleurs, une étude récente menée en Rhône-Alpes montre que le dépistage individuel est déjà une réalité quotidienne, y compris en médecine générale. Malheureusement, dans cette étude, la plupart de ces dépistages sont réalisés de manière incorrecte, ce qui témoigne de l’intérêt d’une information rigoureuse auprès des professionnels de santé sur ce sujet (29). ■ S . Couraud déclare avoir des liens d’intérêts avec Roche, AstraZeneca, Pfizer, Lilly, Boehringer Ingelheim, Pierre Fabre, Chugai, Laidet Médical, Chiesi. Conseil de rédaction F. Blanchon - P. Devillier - O. Jonquet - F.X. Lebas T. Perez - P. Petitpretz - C. Rahérison J. Regnard - S. Salmeron - P. Villanueva Comité scientifique et pédagogique M. Aubier - F. Bonnaud - Ch. Brambilla - B. Charlin J.F. Cordier - A. Depierre - P. Duroux - M. Fournier J.P. Grignet - B. Housset - G. Huchon P. Léophonte - Ch. Mayaud - F.B. Michel J.F. Muir - G. Pauli - P. Scheinmann - A. Taytard - D. Vervloët Comité de lecture J. de Blic - G. Capellier - A. Cartier - Ph. Carré - E. Chailleux P. Chanez - D. Charpin - B. Crestani - J.Ch. Dalphin Ch. Delacourt - L. Delaunois - J.C. Dubus - N. Dufeu G. Durand - D. Hubert - D. Israël-Biet - E. Lemarié P. L’Her - Ph. Leuenberger - H. Mal - Y. Maria M. Molimard - D. Moro-Sibilot - J.P. Orlando - Y. Pachéco F. Paganin - I. Pin - J. Piquet - Ch. Pison - A. Prud’homme J.C. Pujet - M. Stern - L. Thiberville - D. Valeyre A. Vergnenègre - J.M. Vergnon - B. Wallaërt Fondateur scientifique : Pr Philippe Godard Société éditrice : EDIMARK SAS Président-directeur général Claudie Damour-Terrasson Tél. : 01 46 67 63 00 – Fax : 01 46 67 63 10 Références bibliographiques 1. Raz DJ, Zell JA, Ou SH, Gandara DR, AntonCulver H, Jablons DM. Natural history of stage I non-small cell lung cancer: implications for early detection. Chest 2007;132(1):193-9. 2. Henschke CI, Yankelevitz DF, Libby DM, Pasmantier MW, Smith JP, Miettinen OS. Survival of patients with stage I lung cancer detected on CT screening. N Engl J Med 2006;355(17):1763-71. 3. Fontana RS, Sanderson DR, Taylor WF et al. 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Rédaction Secrétaire générale de la rédaction : Magali Pelleau Première secrétaire de rédaction : Laurence Ménardais Rédacteurs-réviseurs : Cécile Clerc, Sylvie Duverger, Philippe-André Lorin, Isabelle Mora Infographie et multimédia Premier rédacteur graphiste : Didier Arnoult Dessinateurs de création : Romain Meynier, Dino Perrone Rédacteurs graphistes : Mathilde Aimée, Christine Brianchon, Virginie Malicot Dessinatrice d’exécution : Stéphanie Dairain Infographiste multimédia : Christelle Ochin Rédacteur graphiste multimédia : Philippe Berbesque Responsable numérique : Rémi Godard Chef de projet multimédia : Stéphanie Sauvage Commercial Directeur du développement commercial Sophia Huleux-Netchevitch Directeur des ventes : Chantal Géribi Directeur d’unité : Jennifer Lévy Régie publicitaire et annonces professionnelles Valérie Glatin Tél. : 01 46 67 62 77 – Fax : 01 46 67 63 10 Responsable du service abonnements Badia Mansouri (Tél. : 01 46 67 62 74 – Fax : 01 46 67 63 09) 2, rue Sainte-Marie - 92418 Courbevoie Cedex Tél. : 01 46 67 63 00 – Fax : 01 46 67 63 10 E-mail : [email protected] Site Internet : www.edimark.fr Adhérent au SPEPS Revue indexée dans la base PASCAL (INIST-CNRS) Couverture : © Lonely MISE AU POINT Le dépistage du cancer bronchopulmonaire : passé et futur Lung cancer screening: past and perspectives S. Couraud, B. Milleron Références bibliographiques 20. Couraud S, Zalcman G, Milleron B, Morin F, Souquet PJ. Lung cancer in never smokers-a review. Eur J Cancer 2012;48(9):1299-311. 21. Wender R, Fontham ETH, Barrera E Jr et al. American Cancer Society lung cancer screening guidelines. CA Cancer J Clin 2013;63(2):107-17. 22. Couraud S, Cortot AB, Greillier L et al. From randomized trials to the clinic: is it time to implement individual lungcancer screening in clinical practice? A multidisciplinary statement from French experts on behalf of the French Intergroup (IFCT) and the Groupe d’oncologie de langue francaise (GOLF). Ann Oncol 2013;24(3):586-97. 23. Girard N, Gounant V, Mennecier B et al. Le dépistage individuel du cancer bronchopulmonaire en pratique. Perspectives sur les propositions du groupe de travail pluridis- ciplinaire de l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique et du Groupe d’oncologie de langue française. Rev Mal Respir 2013 (sous presse). 24. Huda W. 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