s’émerveille qu’elles ‹communiquent›entre elles après avoir décrété que les frontières
qui les séparaient n’étaient pas pertinentes)» (Debaene 2005: 224).
C’est dans ce contexte que la fiction s’est imposée dans les sciences humaines
comme une notion en mesure de souligner la nature construite du savoir, en opposition
notamment avec la conception représentative ou reproductive de la connaissance qui
découlait des positions positivistes; en particulier elle est parue en mesure de souli-
gner l’importance du travail d’écriture du chercheur, un travail de mise en forme – ou
mieux d’in-formation et de trans-formation – des connaissances.
Or, il est apparu qu’un tel travail d’écriture se retrouve au centre de pratiquement
toutes les disciplines des sciences humaines: de l’histoire, de l’anthropologie in primis,
mais évidemment aussi de la littérature et de la philosophie, pour autant qu’on accepte
de les inclure dans les sciences humaines. Ce constat a poussé certains discours
jusqu’à assumer, du moins implicitement, une sorte d’équation d’équivalence en
mesure de réorganiser les rapports entre les différentes disciplines évoquées:
fiction = construction = écriture = sciences humaines = littérature = philoso-
phie. Une telle équation est naturellement exagérément simpliste et généralisante,
mais elle reflète bien le mouvement de nivellement des catégories et des frontières
disciplinaires traditionnelles qui a eu lieu sous l’effet de la notion de fiction. C’est dans
un tel contexte théorique qu’un historien tel que Hayden White peut affirmer que les
textes historiques sont des «fictions verbales»1ou qu’un anthropologue comme
Clifford Geertz peut suggérer que les textes ethnogra-
phiques sont des «fictions, fictions au sens où ils sont
‹fabriqués›ou ‹façonnés»2.
Du côté de la littérature
Aussi du côté de la littérature, la notion de fiction, relue à
la lumière de la nouvelle épistémologie constructiviste,
s’est retrouvée au centre des débats disciplinaires. Mais,
paradoxalement, dans ce domaine traditionnellement
confiné à la non-connaissance, ces débats ont permis
d’évoquer et de défendre l’idée que la fiction (et la littéra-
ture en général) peut avoir une portée cognitive et donc
présenter un intérêt épistémologique. Si dans le cadre du
positivisme logique, la fiction était considérée comme un
discours sans référence, sans valeur de vérité ou carrément
mensonger (en tout cas sans aucun intérêt pour la
29
No14, 2010 a contrario
Histoire, littérature et philosophie: un travail d’innovation langagière Dossier }
1Cf.: «En général il y a eu une
certaine reluctance à considérer
les narrations historiques pour ce
qu’elles sont manifestement le
plus: des fictions verbales, dont le
contenu est autant inventé que
trouvé et dont la forme a plus en
commun avec leurs correspon-
dants en littérature qu’avec ceux
dans les sciences» (White 1978:
84, ma traduction).
2Cf.: «[les textes ethno-
graphiques] sont des fictions,
fictions au sens où ils sont ‹fabri-
qués› ou ‹façonnés› – le sens
initial de fictio – non parce qu’ils
seraient faux, qu’ils ne correspon-
draient pas à des faits, ou qu’ils
seraient de simples expériences
de pensée sur le mode du ‹comme
si» (Geertz 1998 (1973): 87).
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