C’est donc bien d’un rapprochement, voire d’une fusion, dont il est ici question, et
les causes d’un tel phénomène sont multiples. D’une part, ainsi que le signale Houelle-
becq, la crise de la métaphysique a affaibli la prétention de la philosophie à se présen-
ter comme un discours de (et sur) la vérité. On pourrait ajouter, en élargissant son pro-
pos, que la prise de conscience, depuis un demi-siècle au moins, de l’épaisseur
langagière propre à tout discours, a conduit les sciences humaines et sociales à se
poser des questions ordinairement réservées à la poétique, la rhétorique, la stylistique,
l’herméneutique ou, plus récemment, la théorie littéraire et la linguistique.
Un tel glissement n’est certes pas récent, mais ses conséquences se trouvent exacer-
bées à une époque où un nouveau réalisme en littérature semble retrouver sa légiti-
mité, succédant à une période où le roman se rêvait idéalement sans objet. À l’instar de
la philosophie, la fiction littéraire telle que la conçoit Houellebecq prétend ainsi
atteindre une réalité qui se situe au-delà de «l’illusion référentielle» dénoncée autrefois
par la critique structuraliste (Riffaterre 1982: 91-118). Aussi, le romancier multiplie-t-il
les références aux discours non seulement philosophiques, mais également religieux,
économiques, sociologiques, anthropologiques, psychologiques, scientifiques et tech-
niques (Baroni 2009 : 167-199), et l’on n’est guère surpris de le voir signer, à l’occasion,
la préface de la réédition d’une œuvre d’Auguste Comte (2005: 5-13).
Il faut ajouter que ce qui s’observe au niveau de la scénographie romanesque et de la
posture de certains auteurs (Meizoz 2007) peut également être rapproché de transfor-
mations qui concernent les études littéraires. À cet égard, le récent succès des appro-
ches sociologique, politique ou éthique et le développement d’une nouvelle histoire
littéraire, enfin le retour à une rhétorique des œuvres et à l’analyse des expériences de
lecture réelles, ne font que confirmer un regain d’intérêt général pour une fiction
recouplée avec le monde, réinsérée dans ses espaces de pratiques (d’écriture ou de
lecture) singulières ou collectives1.
Il devient dès lors possible de reconnaître que la fiction peut suppléer aux lacunes
des discours «sérieux» quand ces derniers se heurtent à des questions difficiles por-
tant sur la nature humaine, la réalité sociale ou l’histoire. Pour résumer ce mouvement
de convergence, dont les échanges entre Bernard-Henri Lévy et Houellebecq ne sont
qu’un symptôme que l’on pourrait juger dérisoire, on pourrait dire que la philosophie
assume enfin sa dimension littéraire, alors que la littérature et, par extension, la
critique littéraire, redécouvrent qu’elles ne sont pas condamnées au repli textuel. La
fiction, et le discours sur la fiction, peuvent ainsi occuper
les mêmes terrains, mais selon une modalité différente,
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a contrario No14, 2010
{Éditorial Historiographie, littérature et philosophie: une longue et difficile conversation triangulaire
1Voir à ce sujet Grall
et Macé (2010).
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