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HISTORIOGRAPHIE, LITTÉRATURE ET PHILOSOPHIE : UNE LONGUE
ET DIFFICILE CONVERSATION TRIANGULAIRE
Raphaël Baroni et al.
BSN Press | A contrario
2010/2 - n° 14
pages 3 à 9
ISSN 1660-7880
Article disponible en ligne à l'adresse:
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-a-contrario-2010-2-page-3.htm
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Baroni Raphaël et al., « Historiographie, littérature et philosophie : une longue et difficile conversation triangulaire » ,
A contrario, 2010/2 n° 14, p. 3-9.
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Éditorial }
Historiographie, littérature
et philosophie: une longue et difficile
conversation triangulaire
Raphaël Baroni, Jean Kaempfer, Jérôme Meizoz et Françoise Revaz
I
l est des dialogues interdisciplinaires qui prennent parfois un tour aussi imprévu
3
que spectaculaire. Ainsi, à la fin de l’année 2008, paraissait à grand fracas publici-
taire un recueil d’échanges épistolaires entre un philosophe et un écrivain français
dont le seul point commun semble être qu’on doive les considérer comme les représentants les plus célèbres et les plus détestés de leur profession respective. Malgré sa
Houellebecq met en lumière certains aspects des dialogues interdisciplinaires susceptibles de se nouer dans le contexte contemporain.
On pourrait arguer que les échanges sur de grands sujets de société entre intellectuels venant d’horizons différents ne sont pas rares dans le paysage médiatique, et certainement qu’ils ne sont pas récents non plus. Mais n’est-il pas surprenant de voir un
philosophe et un écrivain s’exprimer alternativement sur des questions relatives à la
nature humaine, à l’éthique, aux rapports entre la biographie de l’auteur et son œuvre,
ou à la réception critique et publique de cette dernière? Certes, à l’époque de Rousseau
et de Voltaire, un tel dialogue n’aurait nullement surpris, mais c’était le temps de
l’intellectuel touche-à-tout, de l’honnête homme artiste et philosophe. Aujourd’hui,
alors que les disciplines du savoir se sont à la fois professionnalisées et spécialisées à
un niveau jamais atteint auparavant, un tel dialogue n’est redevenu possible que dans
la mesure où ces disciplines connaissent un mouvement de convergence inédit. Ainsi
que l’affirme Houellebecq:
«J’ai accepté […] la philosophie comme genre littéraire, et me suis fait à l’idée que je
l’aimais comme telle; j’ai renoncé sans le dire à la ranger du côté de la certitude rationnelle, pour la placer du côté des interprétations et des récits. Le signe mathématique a
son domaine, le signe textuel a le sien, j’en conviens. Après tout je suis content, à présent, de voir Schopenhauer et Platon, non plus comme des maîtres, mais comme des
collègues.» (Houellebecq 2008: 299)
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nature de coup médiatique, la correspondance entre Bernard-Henri Lévy et Michel
{ Éditorial
Historiographie, littérature et philosophie: une longue et difficile conversation triangulaire
C’est donc bien d’un rapprochement, voire d’une fusion, dont il est ici question, et
les causes d’un tel phénomène sont multiples. D’une part, ainsi que le signale Houellebecq, la crise de la métaphysique a affaibli la prétention de la philosophie à se présenter comme un discours de (et sur) la vérité. On pourrait ajouter, en élargissant son propos, que la prise de conscience, depuis un demi-siècle au moins, de l’épaisseur
langagière propre à tout discours, a conduit les sciences humaines et sociales à se
poser des questions ordinairement réservées à la poétique, la rhétorique, la stylistique,
l’herméneutique ou, plus récemment, la théorie littéraire et la linguistique.
Un tel glissement n’est certes pas récent, mais ses conséquences se trouvent exacer-
4
bées à une époque où un nouveau réalisme en littérature semble retrouver sa légitimité, succédant à une période où le roman se rêvait idéalement sans objet. À l’instar de
la philosophie, la fiction littéraire telle que la conçoit Houellebecq prétend ainsi
atteindre une réalité qui se situe au-delà de «l’illusion référentielle» dénoncée autrefois
par la critique structuraliste (Riffaterre 1982: 91-118). Aussi, le romancier multiplie-t-il
économiques, sociologiques, anthropologiques, psychologiques, scientifiques et techniques (Baroni 2009 : 167-199), et l’on n’est guère surpris de le voir signer, à l’occasion,
la préface de la réédition d’une œuvre d’Auguste Comte (2005: 5-13).
Il faut ajouter que ce qui s’observe au niveau de la scénographie romanesque et de la
posture de certains auteurs (Meizoz 2007) peut également être rapproché de transformations qui concernent les études littéraires. À cet égard, le récent succès des approches sociologique, politique ou éthique et le développement d’une nouvelle histoire
littéraire, enfin le retour à une rhétorique des œuvres et à l’analyse des expériences de
lecture réelles, ne font que confirmer un regain d’intérêt général pour une fiction
recouplée avec le monde, réinsérée dans ses espaces de pratiques (d’écriture ou de
lecture) singulières ou collectives 1.
Il devient dès lors possible de reconnaître que la fiction peut suppléer aux lacunes
des discours «sérieux» quand ces derniers se heurtent à des questions difficiles portant sur la nature humaine, la réalité sociale ou l’histoire. Pour résumer ce mouvement
de convergence, dont les échanges entre Bernard-Henri Lévy et Houellebecq ne sont
qu’un symptôme que l’on pourrait juger dérisoire, on pourrait dire que la philosophie
assume enfin sa dimension littéraire, alors que la littérature et, par extension, la
critique littéraire, redécouvrent qu’elles ne sont pas condamnées au repli textuel. La
1
Voir à ce sujet Grall
et Macé (2010).
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fiction, et le discours sur la fiction, peuvent ainsi occuper
les mêmes terrains, mais selon une modalité différente,
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les références aux discours non seulement philosophiques, mais également religieux,
Éditorial }
Historiographie, littérature et philosophie: une longue et difficile conversation triangulaire
que d’autres discours visant directement la réalité sociale ou humaine. Il y aurait donc
convergence réciproque: si les discours sérieux reconnaissent leur part de fictionnalité, à l’inverse, la fiction revendique à nouveau sa part de sérieux, et peut-être la
«guerre des sciences et des lettres» (Compagnon 2007: 35-36) est-elle entrée dans une
nouvelle phase, plus pacifiée et plus ouverte au dialogue.
Encore faut-il ajouter que la brèche dans la frontière séparant le discours scientifique du discours fictionnel s’est ouverte de manière particulièrement dramatique et
précoce dans le champ de l’historiographie, probablement parce que l’historien pouvait difficilement (bien qu’il ait tenté de le faire) se passer de structures narratives qui
forment aussi l’armature des œuvres littéraires. Dans une conférence récente portant
5
sur l’héritage littéraire de Paul Ricœur, le philosophe David Carr a retracé le mouvement par lequel la pratique historienne s’est sensiblement (voire dangereusement)
rapprochée de la littérature à partir des années 1960 et de ce que l’on a appelé le «linguistic turn». Ce mouvement de transformation du statut épistémologique de l’histoconjonction des approches de la philosophie analytique et de la théorie littéraire appliquées au problème de l’écriture de l’histoire:
«Ces philosophes affirmaient que pour comprendre l’histoire, il fallait abandonner la
comparaison avec la science empirique, que voulaient les positivistes, et regarder
l’histoire plutôt comme un genre littéraire. ‹ Telling stories › était maintenant le
modèle préféré pour comprendre l’œuvre de l’historien.» (Carr 2010)
Ce point de jonction entre les discours du philosophe, de l’historien et du littéraire a été occupé pendant près de trente ans 2 par Paul Ricœur, et l’on mesure aujourd’hui l’impact de son œuvre, sur les études littéraires et au-delà. Dans cette œuvre
tentaculaire et complexe, Ricœur est venu rappeler la nécessité d’entamer une
«longue et difficile conversation triangulaire entre l’historiographie, la critique littéraire et la philosophie phénoménologique» (Ricœur 1983: 125), de façon à éclairer des
problèmes essentiels engageant l’être du temps, l’identité
ou l’éthique. En dépit de la fécondité d’un tel dialogue, on
peut faire l’hypothèse que cet échange interdisciplinaire
génère inévitablement des angles morts et que les perspectives demeurent très différentes suivant l’horizon dans
lequel se placent les interlocuteurs (Baroni 2010: 377-379).
2
On peut considérer que la
réflexion de Paul Ricœur sur
l’entrecroisement de la philosophie, de l’historiographie et de la
critique littéraire trouve sa
source dans La Métaphore vive
(1975) et se prolonge jusqu’à
Parcours de la reconnaissance
(2004), même si le cœur de son
modèle est exposé dans la trilogie
Temps et récit (1983-1985).
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riographie – que l’on doit notamment à Hayden White (1978) – est parti d’une
{ Éditorial
Historiographie, littérature et philosophie: une longue et difficile conversation triangulaire
Ce numéro d’A Contrario accueille un dossier thématique qui vise précisément à
interroger les problèmes engendrés par un tel dialogue, mais également ses enjeux, les
profits que l’on peut espérer en tirer ou les métissages stylistiques ou épistémologiques
qui en découlent. Ce dossier est issu d’un colloque proposé par Raphaël Baroni, Jean
Kaempfer et Françoise Revaz, qui s’est tenu le 6 novembre 2009 à l’Université de
Lausanne, dans le cadre de la Formation doctorale interdisciplinaire (FDi) de la Faculté
des Lettres, dirigée par Jérôme Meizoz 3.
Le premier texte, que l’on doit à l’historienne des religions Claire Clivaz, porte sur la
confrontation entre Ricœur et White autour de la question de l’écriture du réel. Clivaz
6
esquisse une histoire des liens entre l’histoire et les genres littéraires, pour envisager
l’écriture d’une histoire «indisciplinée», qui permette de retrouver le registre des émotions qui lui est ordinairement refusé. Elle souligne qu’un tel registre vient brouiller la
ligne de démarcation entre littérature fictionnelle et factuelle, et elle évoque ensuite
les contacts actuels de la théorie littéraire avec l’histoire, via le New Historicism et le
mondes textuels dans l’ère digitale annonçant de nouveaux modes d’écriture du réel et
du fictionnel.
Sur le front de l’épistémologie, l’article de Lorenzo Bonoli propose une analyse des
relations qu’entretiennent l’histoire, la littérature et la philosophie au niveau des
modalités de constitution de leurs connaissances respectives. Dans un premier temps,
grâce à un survol historique des rapports existant entre ces trois disciplines, l’article
souligne l’importance des positions constructivistes dans la révision des frontières
disciplinaires et dans l’ouverture d’un dialogue interdisciplinaire. Dans un deuxième
temps, l’article se concentre sur un élément où semble poindre une analogie entre ces
trois disciplines et leurs modalités de construction des connaissances. En effet, ainsi
que le soulignait Ricœur, dans chacune d’elle, on constate la présence d’un travail
d’innovation langagière visant à porter au langage quelque chose qui n’avait encore
jamais été dit.
Christian Indermuhle souligne quant à lui que l’his3
Les éditeurs du volume tiennent
à remercier chaleureusement les
collaborateurs de la FDi qui ont
grandement contribué à l’organisation de la journée et à l’édition
des textes, notamment, outre
Jérôme Meizoz, Panayota Badinou Zysiadis, Patricia Saugeon
Schmid et Marta Caraion.
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toire selon Michel de Certeau est d’abord une opération de
rupture et de deuil. À la manière d’un médecin-légiste,
«l’historien opère les cadavres du passé» de manière à
rendre étrange un présent autrement réduit aux préoccupations de la vie quotidienne. L’écriture de l’histoire s’intéresse dès lors aux événements du passé qui nous libèrent
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projet d’une corporeal narratology. La conclusion considère l’émergence de nouveaux
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Historiographie, littérature et philosophie: une longue et difficile conversation triangulaire
de la fausse naturalité du quotidien, mais elle se penche également sur les «mesures de
recouvrement» qui ne cessent de les neutraliser. Ce faisant, on notera que l’écriture
historienne se met au diapason de ce que le formaliste russe, Viktor Chklovski (2008),
considérait comme la fonction de l’art (notamment romanesque), à savoir la mise en
œuvre d’un processus d’étrangéisation, thématisé dans la critique littéraire par le
concept d’ostranenie.
La contribution d’Antonin Wiser croise la problématique de l’innovation langagière, évoquée par Bonoli, et la question de l’étrangéisation, abordée par Indermuhle,
en traitant la question de l’utopie chez Adorno, c’est-à-dire ce qu’il désigne comme un
«geste d’élection de la littérature comme réponse aux aspirations philosophiques lais-
7
sées en souffrance par la philosophie elle-même.» Pour Adorno, la littérature apparaît
comme le lieu par excellence où le sujet peut entrer en relation avec sa propre altérité,
à travers l’usage d’un langage dans lequel la maîtrise ordinaire est suspendue. L’article
se penche notamment sur la forme poétique en commentant deux textes d’Adorno
comme la transformation du langage «en seconde nature», tandis que la relation aux
œuvres littéraires y est décrite comme une «expérience».
En se situant dans la perspective de l’histoire culturelle, l’article d’Aurélien Métroz
analyse quant à lui l’influence de la philosophie nietzschéenne sur l’œuvre de Victor
Segalen, ce qui lui permet de dégager le fonctionnement d’espaces post-romantiques
tels qu’ils se déploient au sein des descriptions de paysages contenus dans les récits de
voyage de la première partie du XXe siècle en France. Dans cette étude, la perspective
historique se nourrit également des approches épistémologiques propres à la phénoménologie et à l’analyse littéraire, de manière à traiter le problème complexe du statut
de l’imagination dans la perception de l’espace.
Le texte de Joanne Chassot, qui clôt le dossier, propose l’étude parallèle de deux
personnages, l’un historique et l’autre fictionnel, qui s’inscrivent «dans, et surtout
hors du récit historique et littéraire américain». Il s’agit en l’occurrence de deux femmes noires: Sally Hemings, esclave et maîtresse supposée de Thomas Jefferson, et
Sapphira Wade, qui apparaît dans un roman de Gloria Naylor sous la forme d’un être
fantomatique appartenant au passé obscur d’une communauté et hantant cette
dernière. En croisant le destin de ces deux personnages, Chassot souligne que le roman
possède la vertu de mettre en lumière les «processus discursifs, épistémologiques et
idéologiques d’effacement de la figure de l’esclave dans l’historiographie traditionnelle
américaine». Cette analyse souligne par conséquent la valeur de la littérature pour la
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consacrés à Hölderlin et à Eichendorff. L’enjeu central de la poésie y est considéré
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critique du discours historique, et elle n’est pas sans rappeler la réflexion de Michel de
Certeau évoquée plus haut.
On constatera que ces différentes études ne se contentent pas de souligner, dans un
mouvement relativiste ou sceptique, la nature poreuse des frontières qui séparent la
philosophie, l’histoire et la fiction, comme s’il ne s’agissait que de différents genres
littéraires. Elles éclairent en outre la manière dont chaque perspective permet de
féconder les autres ou de mettre au jour ses faiblesses cachées ou ses angles morts.
Le discours historique, entrevu sous l’angle littéraire ou philosophique, révèle sa
dépendance envers une créativité langagière qui n’est pas étrangère aux tropes de la
8
poésie. Il se manifeste par ailleurs comme un récit du passé qui, tel un roman, possède
la virtualité de véhiculer des émotions et de permettre au lecteur de s’aliéner de son
quotidien. Les points de vue de la littérature et de la philosophie permettent par
ailleurs de fonder une réflexion critique sur les oublis de l’histoire ou sur sa banalisation. En retour, l’œuvre littéraire et le discours philosophique peuvent être pris comme
un tel cadre, la philosophie apparaît aussi soumise aux aléas de l’histoire et aux limites
du langage que l’historiographie 4, mais elle est également, à l’instar de la littérature,
un agent historique et une source incontournable d’information. Enfin, l’œuvre littéraire entrevue par un regard historien ou philosophique, apparaît comme le point
focal des réflexions sur les rapports entre le langage et le monde: en tant que fiction,
elle est une «seconde nature» ou se forgent de nouveaux mots et de nouvelles intrigues
pour «porter au langage des expériences inédites», mais en tant qu’événement ou
«expérience», elle contribue à donner forme ou à transformer la réalité.
Le dossier thématique est complété par trois articles dans la section Varia. Le texte
de Bermal Karli et Hardy Mède porte sur les stratégies de reconversion des notables
kurdes dans le Kurdistan d’Irak. À travers leurs analyses, les auteurs mettent en évidence une palette de stratégies déployées par les acteurs en vue de maintenir leur position sociale. L’article de Yannick Rumpala porte sur le développement durable et
éclaire la manière dont une médiation narrative, malgré la
4
Jean Kaempfer note, dans un
commentaire sur les Désarrois
de l’élève Törless de Musil, que
«la philosophie, vue de la littérature, manque de vagues», mais il
ajoute que l’on peut admettre que
«la littérature, ailée par la
musique, soit la continuation
de la philosophie par d’autres
moyens» (2009: 80).
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polyphonie constitutive des discours dont elle est tissée,
permet de construire un projet commun pour les différents acteurs en présence. Enfin le texte d’Hadrien Buclin
revient sur le parcours de Maurice Blanchot dans le champ
de la Libération, ce qui lui permet de remettre en question
sa revendication d’une autonomie radicale de la littérature
face aux contingences biographiques, sociales et
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objets d’étude par l’historien, qui les intègre ainsi à une vaste histoire culturelle. Dans
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historiques, puisque cette autonomie suppose «l’élaboration, au moins partiellement
consciente, d’une image de soi à l’intention du public et de l’ensemble des acteurs du
champ littéraire.» Cette étude sur une posture littéraire «en négatif» souligne, à l’instar des textes réunis dans le dossier thématique, la fécondité d’une approche du fait littéraire quand elle se place dans des angles disciplinaires originaux, en l’occurrence les
perspectives croisées de l’histoire et d’une réflexion sociologique sur les «postures
d’auteurs» (Meizoz 2007: 15-32).
a
Références
9
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BARONI, Raphaël (2009), «Regarder le monde en face?», in L’œuvre du temps, Paris,
Seuil.
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