Historiales 2015 Pierre Raboud!
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La notion de jeunesse pose également problème2. Elle reste une catégorie aux
frontières vagues et mouvantes. La jeunesse est d’abord conçue socialement comme un âge
problématique : celui du passage difficile à l’âge adulte avec ses révoltes et ses hésitations3.
La jeunesse représente également un groupe fortement hétérogène sous différents points de
vues (social, genre, race, etc.). L’historien John R. Gillis désigne les années 50 et 60 comme
celles où advient la jeunesse4. La singularité de cette jeunesse des années 50-70 s’explique
d’abord par de nombreux changements sociaux. Parmi les principaux processus avancés, on
peut tout d’abord noter le poids démographique de la jeunesse qui devient beaucoup plus
élevé du fait du baby-boom et des pertes humaines liées aux deux Guerres mondiales5.
L’éducation et notamment le nombre d’inscrit à l’université connaissent également une forte
croissance6.
De plus, le pouvoir d’achat de cette catégorie augmente avec la généralisation de la
pratique de l’argent de poche7. Enfin, la Seconde Guerre mondiale va amener les jeunes à
chercher à se distancier des adultes discrédités par leurs associations avec la guerre. Cette
constitution de la jeunesse comme un groupe indépendant aura pour conséquence de faire
émerger une culture spécifiquement dédiée à la jeunesse, que ce soit autour de vêtements, de
disques ou d’autres formes de loisirs8. Des notions comme celle de « contre-culture », mise en
place par Theodore Roszak9, ou celle de « hipster » chez Norman Mailer10, cherchent à
nommer l’apparition d’une nouvelle culture jeune dont la portée politique tient à la
distanciation avec la culture des anciennes générations et la mise en avant de nouvelles façons
de vivre, individuellement comme collectivement. En plus du discrédit de la société et de la
culture des adultes déjà mentionné, cette culture jeune se construit également contre la
consommation de masse11, perçue comme responsable de l’uniformisation de la société12, ce
qui renforce la recherche d’une culture propre. Au sein de cette culture, la musique occupe le
premier rôle. En 1976, écouter de la musique était classé comme première activité de loisir
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2 Peter Berger, Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, A. Colin, 2006 (1967)
3 Raphaël Logier, « La jeunesse n’est pas une classe sociale », Sociétés, n°90, 2005/4, p.26
4 John R. Gillis, Youth and History. Tradition and Change in European Age Relations, 1770-Present, New York,
Academic Press, 1981, p. 185-209
5 Detlef Siegfried « Understanding 1968 : Youth Rebellion, Generational Change and Postindustrial Society », in
Between Marx and Coca-cola. Youth Subcultures in Changing European Societies, 1960-1980, New York,
Berghahn Books, 2006, p.64
6 Idem
7 Ibid., p.56
8 John R. Gillis, Youth and History, op.cit., p.204
9 Theodore Roszak, Vers une contre-culture, réflexion sur la société technocratique et l’opposition de la
jeunesse, Paris, Stock, 1980
10 Norman Mailer, The White Negro, San Francisco, City Lights Books, 1967
11 John Clarke, Stuart Hall, Tony Jefferson et Brian Robert, « Subcultures, Cultures and Class », op.cit, p.18
12 Mike Brake, The Sociology of youth culture and youth subculture, Londres, Routledge, 1980, p.155