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Gestion, volume 32, numéro 3, automne 2007 100 ANS DE GESTION
Est-ce une indication de ce qui nous
attend? Enn, nous allons voir plus loin
que l’avenir est porteur d’autres chan-
gements majeurs pour la publicité : tout
un programme en perspective!
Événement historique no 5 :
la prolifération des offres et des
demandes
Les structures concurrentielles en
place sur les marchés sont touchées
par deux phénomènes majeurs et inter-
dépendants. Du côté de l’ore, il s’agit
de la mondialisation et de la multipli-
cation des ores commerciales (Webb,
2006). Vos concurrents étrangers
atterrissent dans votre arrière-cour.
L’isolationnisme et le protectionnisme
ne sont pas la bonne solution pour se
protéger. La mondialisation des mar-
chés ainsi que des aaires en tant que
processus avancé de gestion des entre-
prises, dans un milieu totalement ouvert
et sans frontière, semble maintenant
irréversible. Du côté de la demande, il
s’agit du numérique et de la montée en
puissance des consommateurs et des
acheteurs. Le résultat est un phéno-
mène mondial de banalisation des ores
de produits et de services. Trop rapide-
ment, les nouveaux produits basculent
dans des marchés seulement de prix. Il
faut apprendre à vendre des produits
et des services banalisés (et donc pra-
tiquement de base) tout en dégageant
des prots. L’économie de masse, celle
des succès (hits), est remplacée par une
économie de niches à l’inni. La loi de
Pareto, le fameux principe du 80/20 qui
voulait que 80 % des ventes viennent de
20 % des références, évolue fortement.
Dans de nombreux secteurs industriels,
le principe de la pente douce (long tail),
se manifeste de plus en plus dans les
chiffres (Anderson, 2006). Plutôt que
d’avoir une distribution des ventes en
pic, se limitant à quelques références à
succès, la courbe s’étend à l’inni et se
rend jusqu’à des références plus rares,
mais en demande. Grâce aux moteurs
de recherche sur Internet, les consom-
mateurs vont chercher ces ores plus
rares. Et s’ils ne les trouvent pas, ou à
l’extrême ne les connaissent pas, ces
mêmes moteurs les aident à les décou-
vrir. Les distributeurs virtuels sont ainsi
capables de les leur orir et d’en tirer
prot : «Si vous aimez ceci, vous aime-
rez aussi cela, et cela…» Le cas de réfé-
rence par excellence est, bien entendu,
Amazon. Mais il fait école et s’étend à
bien d’autres domaines. Il faut appren-
dre à vendre de plus grandes quanti-
tés de moins de produits. Les niches
deviennent riches, disent certains, et ils
ont raison. C’est le principe même des
ruisseaux qui forment les rivières. Ce
qu’un grand distributeur traditionnel
ne peut orir, un distributeur virtuel le
peut, ses coûts de stockage et de livrai-
son n’étant rien par rapport à ceux du
premier.
Dans ce contexte, le débat porte
entre deux grands types d’ores. Il y a,
d’un côté, les ores commerciales dites
globales, c’est-à-dire standardisées, pro-
tant d’économies d’échelle, et donc à
moindre coût et à plus gros prots, et,
de l’autre, les ores adaptées au marché
local, pour une plus grande ecacité de
marketing par une meilleure rencontre
entre les besoins spéciques locaux et
une configuration plus ou moins sur
mesure. Alors que l’inventeur princi-
pal de la mondialisation des proces-
sus de gestion, eodore Levitt, avait
tablé (en 1983) sur une standardisation
à outrance, il semble bien que le local
relègue au second plan le global. Plutôt
que de tomber dans des politiques de
marketing extrêmes, la raison se situe
dans le juste milieu et elle se traduit par
le mot d’ordre actuel : «Pensez mondia-
lement, agissez localement» (citation
d’Akio Morita, cofondateur de Sony).
Événement historique no 6 :
le repositionnement vers le haut de
la fonction «marketing»
Le marketing est passé durant les
années 1980-1990 à travers une période
sombre de son histoire. Qualifié de
science molle de la gestion, associé faus-
sement à la vente, à la seule publicité
ou aux relations publiques, ou encore
à une approche par air plutôt qu’à une
approche méthodique et rigoureuse, il
a été l’objet de nombreuses attaques et
de sarcasmes à répétition. Et pourtant,
s’il est un chire important en aaires,
c’est bien celui qui se situe tout en haut
du compte des pertes et des prots, et
qui est celui des ventes. Mais bon…
Il aura fallu attendre plusieurs
années avant que le marketing remonte
dans l’entreprise et retrouve ses lettres
de noblesse. Mais, pour ce faire, il aura
aussi fallu qu’il se repositionne et donc
qu’il resitue son contenu, dans le cadre
de l’entreprise et de sa stratégie, en
en restant plus collé à de sacro-saints
concepts internes tels que les 4 P du
mix marketing. Assez paradoxalement,
le plus gros coup de pouce qui a été
donné au statut du marketing comme
fonction d’entreprise l’a été par nul
autre que Peter Drucker (1909-2005),
l’un des plus grands experts en mana-
gement, sinon le plus grand de tous :
«Le marketing et l’innovation sont les
deux fonctions clés de l’entreprise»
(traduction libre).
Très vite, on s’est rendu compte que
la discipline du marketing ne se cen-
trait pas assez sur les dés du marché
auxquels font face les dirigeants d’en-
treprise aujourd’hui. Il fallait transfor-
mer les experts en marketing, y com-
pris les professeurs, en des experts en
aaires mais spécialisés en marketing,
ce qui est tout à fait diérent. Il fallait
faire passer le marketing d’une simple
fonction à une machine à transforma-
tion des offres commerciales et, du
coup, des entreprises (Kumar, 2004).
Si le marketing a décliné pendant
une certaine période, c’est parce que
ses experts ont manqué de conance en
eux et n’ont pas vu que la préoccupation
première et exprimée des chefs d’entre-
prise était la délité à la marque et donc
la rétention de la clientèle, avant même
la réduction des coûts (Reichheld,
1996). Une marge, c’est un espace vital
entre deux plans. Pour respirer, il faut
que ces deux plans ne se rejoignent pas.
Pour maintenir les marges, on a exercé
une pression presque exclusivement sur
le plan inférieur et vers le bas, et donc
sur les coûts, ce qui n’est pas à propre-
ment parler une aaire de marketing,
tout au moins pas directement. Mais
il est aussi possible de pousser le plan
supérieur, le couvercle, vers le haut, en
créant de la valeur au client. Et là, c’est
l’aaire du marketing! L’entreprise doit
être vue comme un ensemble de pro-
cessus visant (et obsédés par) la créa-
tion de valeur ajoutée pour les clients,
pour ensuite la leur communiquer et la
leur livrer avec prot. Dans ce sens, et
seulement alors, le marketing devient
une fonction stratégique prioritaire
de l’entreprise. C’est là que se situe le
renouveau actuel, et pleinement justi-
é, du marketing en tant que stratégie,
et non pas seulement en tant que fonc-
tion de base.