que, première puissance mondiale de son temps, était abyssal. « Je n’aurais
jamais pu imaginer que la différence entre le sauvage et l’homme civilisé était
si immense: elle est plus grande qu’entre un animal sauvage et un animal
domestiqué, vu qu’il y a une plus grande capacité de développement en
l’homme
5
. » Pourtant, les Fuégiens étaient capables d’adaptation à une autre
société, comme le montre l’apprentissage de l’anglais par trois d’entre eux
ramenés à Londres lors d’un précédent voyage par le capitaine FitzRoy. Mais
rapatriés à bord du Beagle, York Minster, Jemmy Button et Fuegia Basket
reprirent rapidement leurs anciennes mœurs et oublièrent tout ce qu’ils
avaient reçu en Angleterre
6
. Cette diversité de mœurs ne fit jamais douter
Darwin de l’unité du genre humain et il ne fera jamais des différences racia-
les une différence d’espèce. Comme l’écrit Robert Richards: «… même dans
la diversité, Darwin détectait des attitudes communes sur la conduite juste
(right) et mauvaise (wrong)
7
.»
Ason retour en Angleterre, Charles Darwin établit un programme de lec-
tures assez large dont témoignent les listes d’ouvrages à lire dans le Carnet de
notes C
8
et étudie David Hume, Adam Smith et Thomas Reid. Par ailleurs,
il fréquente les milieux érudits de Londres, tout spécialement à l’Athenaeum
Club où il entre le 21 juin 1838 – en même temps que Charles Dickens –
grâce au parrainage de son ami géologue Charles Lyell (1797-1875)
9
. Ce club
fondé en 1824 avait pour but de favoriser le développement des sciences, de
la littérature et des arts. Une impressionnante bibliothèque de 30 000 volu-
mes était mise à disposition des membres,dont le nombre était limité à 1200.
Darwin s’y rendait habituellement tous les jours. Ces années 1837-1839 mar-
quent le désir fortde Darwin tout à la fois de progresser dans sa réflexion
sur la transmutation des espèces avec des lectures spécialisées, mais aussi de
se cultiver. Il discute aussi souvent de ses lectures avec son frère Erasmus, et
fait par son intermédiaire la rencontre de Harriet Martineau, une femme
5. Charles D
ARWIN
,ANaturalist’s Voyage: Journal of Researches into the Natural
History and Geology of the Countries Visited During the Voyage of H.M.S. Beagle Round
the World,10
th
ed (final), London, John Murray, 1860, p. 205 (chapter X, December 17
th
,1832).
6. Ibid., p. 207-230.
7. Robert J. R
ICHARDS
,Darwin and the Emergence of Evolutionary Theories of Mind
and Behavior, Chicago, University of Chicago Press, 1987, p. 111.
8. Les pages C265 à C276 mentionnent plusieurs dizaines de livres, seulement quelques-
uns en philosophie, notamment An Account of the Life and Writings of David Hume (1807)
de Thomas Edward Richtie, The Works vol.7: Account of the Life and Writings of Adam
Smith, Account of the Life and Writings of Thomas Reid de Dugald Steward. Darwin fait peu
de lectures directes des philosophes à partPhilosophical Essays Concerning Human
Understanding et An Inquiry Concerning Human Understanding de David Hume.
9. Cf. Adrian D
ESMOND
et James M
OORE
,Darwin (1
st
ed. 1991), London, Norton & com-
pany, 1994, p. 253-254.
Darwin et l’éthique 95
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