Journée psychiatrie Pourquoi les hospitalisations sans consentement

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Professions Santé Infirmier Infirmière - No23 - janvier-février 2001
Journée psychiatrie
Journée psychiatrie
Pourquoi
les hospitalisations
sans consentement
augmentent-elles ?
La loi de 1990 visait à réduire le nombre
des hospitalisations sans consentement
en psychiatrie. C’est le contraire
qui se produit. Réflexion sur le sens
de cette augmentation.
La loi du 30 juin 1990, en psychiatrie, pose le
principe de l’hospitalisation libre, dit Alexan-
dra Véluire, juriste (Ifross) à l’université Lyon-
III. Elle stipule en effet : le statut des personnes
hospitalisées en psychiatrie a longtemps relevé
d’une législation ne laissant aucune place au
libre consentement du patient. « La loi de 1990
fait en effet suite à la loi de 1838, qui est donc
restée en vigueur 152 ans, rappelle Alexandra
Véluire. Cette nouvelle loi sur l’hospitalisation
sans consentement vise à concilier les libertés des
personnes et les devoirs de l’État. » Son application
devait entraîner une réduction du nombre des
hospitalisations forcées en psychiatrie, désor-
mais baptisées HDT (hospitalisation à la de-
mande d’un tiers) et HO (hospitalisation d’of-
fice). Celles-ci devaient devenir des exceptions.
C’est le contraire qui se produit. On constate
une augmentation des hospitalisations sous
contrainte entre 1980 et 1997.
« Existe-t-il, pour autant, une augmentation des
pathologies psychiatriques ? se demande Michelle
Livet, cadre infirmier en psychiatrie. Dans ce
cas, le dispositif de soins en santé mentale habituel,
c’est-à-dire sans contrainte, aurait dû en assurer la
prise en charge ». Or, ce n’est pas le cas.
Divers facteurs peuvent expliquer cette hausse des
«
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hospitalisations sous contrainte. Michelle
Livet cite la production et la gestion de la violence
dans la société, un déficit de compétence clinique
chez les soignants, y compris les médecins, des
oppositions fortes entre la “culture” des infirmiers
de secteur psychiatrique et les nouvelles IDE de
soins généraux.
« La société produit peut-être davantage de souf-
france et de violence, dit-elle. Beaucoup croient que
le médecin peut tout guérir. » Il suffirait alors d’une
prise en charge médicale forcée, en psychiatrie,
des personnes dont les attitudes semblent bi-
zarres ou dérangeantes pour régler le problème.
Les équipes de secteur psychiatrique peuvent
travailler dans des domaines plus larges que
celui des pathologies psychiatriques de leurs
malades habituels. Mais cela revient à recevoir
davantage de personnes, avec des moyens, no-
tamment des effectifs, qui diminuent souvent.
« Si l’équipe d’un secteur n’est pas assez dévelop-
pée, elle devra, paradoxalement, faire appel à la
contrainte pour améliorer sa relation avec le pa-
tient», poursuit Michelle Livet. Or, il ne doit pas
s’agir de gérer un éventail de difficultés plus
large avec une palette clinique plus limitée.
« L’actuelle réorganisation de la psychiatrie conduit
pourtant les équipes au repli sur soi, dit-elle. Ses
effets négatifs se traduisent par l’essor de la pra-
tique de la mise en chambre d’isolement des pa-
tients, dont on ne sait pas toujours si elle vise à les
soigner ou à protéger le soignant. »
Diagnostic, aiguillages et “voies de garage”
« Par ailleurs, chez une nouvelle population de psy-
chiatres, aux urgences psychiatriques notamment,
l’indication d’hospitalisation à la demande d’un
tiers est posée très tôt, ajoute Michelle Livet. Cette
orientation est prise d’emblée, avant même que le
patient ne parvienne à l’hôpital concerné. Le pa-
tient arrive aux urgences psychiatriques. Très vite,
l’urgentiste décrète qu’il sera difficile de travailler
avec lui. Il recommande alors l’hospitalisation sous
contrainte. Or, trop utiliser ce procédé conduit à
une perte de l’efficacité clinique. »
On observe la même chose aux urgences des
hôpitaux généraux : si le patient se conduit de
manière un peu différente, il est vite étiqueté
psychotique suicidaire.
« Ce qui est de plus en plus terrible, c’est l’insuffi-
sance des services “porte”, permettant de garder en
observation 24 heures, au sein des services d’accueil
d’urgence ou SAU, explique Dominique Friard,
infirmier de secteur psychiatrique. Ils fonction-
nent comme des filtres. Or, celui qui accueille n’est
pas celui qui soignera. La tentation est d’autant plus
grande, pour le soignant ayant cette seule fonction
d’aiguillage, de ne traiter qu’une urgence et non le
patient. C’est d’autant plus préjudiciable qu’il n’est
pas rare qu’un patient, quinze ans après sa pre-
mière crise ayant entraîné une hospitalisation, ra-
conte de façon très précise l’entretien ayant consti-
tué l’acte fondateur du suivi. Ce que le soignant dit
au moment d’une forte crise et des décisions qui
sont prises reste crucial pour l’avenir du patient. »
Dérives
« Ce qui est tout de même étonnant, en cette ère
d’évaluation, c’est qu’il soit impossible de connaître
les chiffres annuels récents des hospitalisations sous
contrainte », s’étonne Dominique Friard. On ne
connaît que les chiffres de leur essor, de 1980
à 1997. On ne sait rien ensuite, bien que leur
nombre soit recensé par les Comités départe-
mentaux de l’hospitalisation psychiatrique
(CDHP). « En psychiatrie, nous constatons toute-
fois que l’on procède davantage à des hospitalisa-
tions à la demande d’un tiers, dit Michelle Livet.
Ces demandes émanent en particulier des hôpitaux
généraux et de leurs services d’urgences. » L’appli-
cation de la loi de 1990 subit une dérive : la per-
sonnalité du “tiers” dans l’hospitalisation à la
demande d’un tiers. Ce devait être un proche
“susceptible d’agir dans l’intérêt du malade”.
« Or, c’est souvent une assistante sociale qui va
rédiger la lettre du tiers », constate Alexandra
Véluire. C’est une interprétation un peu cava-
lière du texte. « De même, un deuxième certificat
était prévu pour invalider le premier en cas d’abus.
Or, il est très rare qu’un médecin en contredise
un autre. »
Malheureusement, une hospitalisation trop
rapide et forcée semble aboutir à trop isoler
le patient. On connaît pourtant d’autres ap-
proches. « Il est possible de travailler avec le pa-
tient de psychiatrie sur sa capacité de reconnaître
ses propres symptômes et sur l’apprentissage de
ce qu’il doit faire alors, dit Michelle Livet. C’est
justement ce type d’approche qui permet de réduire
le nombre des hospitalisations, aussi bien libres
que sous contrainte. » M.B.
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Spécial RSTI
Professions Santé Infirmier Infirmière - No23 - janvier-février 2001
Les conférences des RSTI
ont été suivies par
Ludmila Couturier,
Andrée-Lucie Pissondes,
Marc Blin,
Stéphane Henri.
Reportage photo :
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