Comment accéder à ces vérités nécessaires à
la gestion de la technosphère ?La réponse est
dans la pluralité des réponses. Tous les acteurs
sociaux doivent pouvoir s'exprimer : les experts,
les industriels, les politiques, les citoyens de
base. Tous ces acteurs doivent se confronter aux
opinions et aux raisons des autres. Leurs intérêts
individuels ou corporatistes doivent se moduler
mutuellement. Aucun pouvoir ne doit rester sans
contre-pouvoir.
On peut évidemment craindre pour l'efficacité
de l'action, s'il faut pour tout choix scientifique,
technologique ou d'aménagement, prendre en
compte tous les avis. Surtout s'ils ne sont pas
tous de bonne foi. Mais:
cc De la seule intelligence, il n'est jamais rien
sort
i d
'intelligent
, de la seule raison, il n'est
jamais rien sorti de raisonnable ".
«Là où
est
le
danger
,
croît
auss
ice qui
sauve ". (Friederich
Hë>lderlin
, 1770-1843)
En définitive l'intégration de la technosphère
dans la biosphère est une affaire de lent mûrisse-
ment de la culture, cette chose diffuse et intem-
porelle qui catalyse le fonctionnement d'une
société humaine. Certes les lois, les règlements,
les taxes, le marché de l'environnement et autres
instruments environnementaux issus d'instances
nationales ou internationales contribueront à
cette intégration. Mais c'est en définitive la cour-
toisie et l'aménité individuelles et collectives vis-
à-vis du milieu naturel qui feront évoluer les com-
portements des motards en infraction dans les
sentiers forestiers ou des bétonneurs qui sévis-
sent en toute légalité sur la planète.
C'est aussi dans les profondeurs de l'âme
humaine que sont à puiser les ressources néces-
saires pour faire face à ces défis. Cette âme est
habitée et se nourrit de mythes, de transcendan-
ce et de poésie.
La
technologie
et
ses
boucs
émissaires
mythiques
Le péché du nucléaire est de s'être incon-
sidérémentapproprié certains mythes. Il en a
peut-être été puni en devenant le bouc émissaire
de la société.
Toutes les époques, dans la plupart des civili-
sations, ont eu besoin de leurs chasses aux sor-
cières et de leurs boucs émissaires. Le monde
moderne malgré son rationalisme n'y échappe
pas. Aujourd'hui le nucléaire est diabolisé en
dépit de ses avantages objectifs en termes d'effi-
cacité technique et de protection de la biosphère.
Il souffre de ses liens avec une technocratie toute
puissante. Le «Oui, mais il y a les déchets radio-
actifs " et «le nuage de Tchernobyl s'est arrêté à
la frontière française ", font partie du catalogue
des idées reçues en usage aujourd'hui.
POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE - 8
0-
Le nucléaire est chargé d'un fort symbolisme:
symbole de l'apprenti sorcier, du feu dérobé aux
dieux, de la force gigantesque plus ou moins
magique. Il déclenche des peurs profondément
ancrées dans l'inconscient collectif. Le choix
d'uranium et de plutonium pour désigner les élé-
ments qui sont à la base de l'énergie nucléaire a
été réalisé à des époques où la foi dans la scien-
ce était illimitée ; aujourd 'hui il en accentue la
perception maléfique. Pluton et Uranus sont les
noms des divinités donnés aux astres les plus
lointains, les plus froids et les plus ténébreux du
système solaire.Uranus, qui veut dire ciel en
grec, est aussi le père du dieu Chronos, le temps
qui dévore ses propres enfants. Pluton, qui au
sens propre signifie «le riche " par allusion au
fait que toutes richesses proviennent du sol,
quant à lui symbolise aussi les puissances chtho-
niennes. En choisissant ces noms, on a jeté un
défi aux mythes, défi qui ne reste pas impuni. On
a déclenché «un ricanement lacanien du destin ".
Apollonium et Venusium eussent sans doute été
plus heureux. Mais le nom d'urane a été donné
au minerai d'oxyde d'uranium dès 1789, alors
qu'on ne connaissait pas encore ses propriétés,
par le chimiste Klaproth, en hommage à Herschel
qui avait découvert la planète Uranus en 1781.
Le nom de plutonium a été introduit en 1948, à
une époque où l'on connaissait déjà bien son
usage. Le nucléaire en est devenu le bouc émis-
saire de la société technologique. Cette niche
devait nécessairement être occupée.
Toutefois si l'on veut bien croire à une corréla-
tion entre le mythe grec et le destin de l'énergie
nucléaire, il apparaît que tous les espoirs ne sont
pas perdus. Car déjà à l'époque, Pluton, le dieu
des enfers, était en conflit avec Déméter, la dées-
se des moissons. L'objet du contentieux était la
belle Perséphone, la fille de Déméter, dite la vier-
ge du printemps, que Pluton avait enlevée et
emmenée aux enfers pour l'épouser. Le déses-
poir de Déméter empêcha toute germination de
graine sur terre cette année-là. Devant les lamen-
ta
tions
des
hommes
,
Zeus
envoya
Hermès
auprès de Pluton pour arranger les affaires. Il fut
convenu
que la
jeune
fille
passerait
chaque
année quatre mois avec son ravisseur et le reste
avec sa mère.
Ce mythe
illust
re la
complémentarité
des
phases souterraines et aériennes de la vie. La
terre profonde est le lieu d'enfouissement de ce
qui
empêche
la vie (l'excès de carbone, les
déchets nucléaires ?). C'est aussi de son royau-
me que remontent les éléments chimiques qui
permettent à cette vie de s'épanouir (les oligo-
éléments pour la biosphère, les minerais pour la
technosphère). Ce mythe souligne également le
rôle important du compromis conclu par Hermès.
Celui-ci fut en quelque sorte le premier médiateur ;
il réussit à concilier des mondes de natures diffé-
rentes. Le philosophe Michel Serres dit de lui :
JANVIER-MARS 1999