L'environnement terrestre vu d'en haut
Pierre HALLER'
NDLR :L'auteur porte sur l'environnement et ses rapports sur le veloppement technologique, un regard ori-
ginal avec des références aux mythes et aux croyances, qui aboutit àdes conditions d'action inspirées d'une
«éthique sociale » .
Nous avons pensé que cette vision originale était susceptible d'intéresser nos lecteurs.
«L'homme ne représente qu'un clin dil
dans l'histoire de l'univers. Si toute cette histoire
était comprimée en une seule journée, le soleil et
la terre ne seraient apparus que vers 5heures du
soir. L'essentiel de l'ascension vers l'homme
se
ferait àla dernière heure. L'homme ne ferait son
entrée que 11,5 secondes avant minuit. Quant à
l'homme civilisé et technologique des quatre der-
niers millénaires, il n'aurait occupé que les deux
derniers centièmes de seconde de la journée, à
peine la durée d'un flash photographique ".
Trinh Xuan Thuan, astrophysicien
(
<<
La mélodie secrète "J
Lap
lan
ète
bl
eue
Depuis cinq milliards d'années sur la terre, de
multiples mécanismes se sont mis progressive-
ment en place pour former la planète bleue d'au-
jourd'hui. La terre est la seule planète du systè-
me solaire, et probablement de ses environs,
les conditions de pression, de température et
d'hygrométrie permettent l'émergence de la vie à
une large échelle. Sur les autres planètes, l'eau
est àl'état soit de vapeur, soit de glace ; l'atmos-
phère soit n'existe pas, soit est composée de gaz
impropres aux métabolismes du vivant. La gravi-
tation peut y être tellement intense ou les vents
peuvent y souffler àdes vitesses telles qu'aucune
charpente biologique ne peut se construire. La
Terre, la planète bleue, a eu la chance de tourner
à
une
bonne
distance
autour
du
soleil.
L'inclinaison de son axe de rotation par rapport à
la verticale àson plan orbital autour du soleil, qui
est de 23,5 degrés, est telle que des cycles circa-
diens et annuels créent des alternances de jours
et de nuits ainsi que des saisons nécessaires au
fonctionnement d'une extraordinaire machine cli-
matique. Ces cycles cosmiques rythment égaIe-
ment les horloges biologiques des êtres vivants.
(Des inclinaisons de zéro degrés ou de 90 degrés
empêcheraient l'alternance des saisons, respecti-
*EDF. Pôle Industrie. Service Environnement.
Site Cap Ampère.
1, place Pley
el-
93282 Saint-Denis Cedex.
E-mail : pierre.hal/er@edfgdf.fr
vement
des jours et des nuits). Cette machine,
qu'on peut appeler la climatosphère, est une
macrostructure auto-organisée et autorégulée qui
met àcontribution l'atmosphère, les océans et
l'ensemble de la biosphère. Elle a
évolué
au
cours des cinq milliards d'années avec l'aide du
vivant. L'atmosphère terrestre pourrait être liAs
semblable àcelle de la planète Vénus d'aujour-
d'hui : 95 %de CO2,des températures 500 "C,
des vents soufflant à600 km/h en surface. Sur
terre, les algues ont progressivement transformé
en oxygène le carbone présent dans l'atmosphè-
re. Les végétaux et les animaux àcoquillage ont
piégé l'excédent de carbone de l'atmosphère
dans les couches géologiques sous forme de cal-
caire, de charbon ou de pétrole. La biosphère, un
élément de l'autorégulation de la climatosphère,
a servi àréduire la concentration d'oxyde de car-
bone
,
responsable
de l'effet de
serr
e dans
l'atmosphère, autour de 500 parties par million.
Une très grande connivenceexiste ainsi entre la
climatosphère et la biosphère qui coévoluent len-
tement
depu
is
des
milliards
d
'ann
ées. De
grandes catastrophes se sont certes produites de
temps en temps, se traduisant par des phases
d'extinction massive, parfois de la quasi-totalité,
des espèces vivantes ;les paléontologues en ont
identifiées cinq. Des apparitions explosives de
nouvelles espèces ont eu lieu comme au précam-
brien supérieur, il y a 600 millions d'années.
Vues de Sirius, la biosphère et la climatosphè-
re se sont développées sur une mince couche
coincée entre la spre terrestre rocheuse et le
vide sidéral. Les structures émergent aux fron-
tières. La machine climatique, qui se déploie sur
une épaisseur de quelques milliers de mètres du
fond des océans àla stratosphère, représente
une pellicule en proportion aussi mince que celle
qui délimite une bulle de savon. L'écosystème
vivant descend àquelques centaines de mètres
dans les océans, àquelques dizaines de centi-
mètres dans les sols et, àpart quelques oiseaux,
sa pénétration dans l'atmosphère ne dépasse pas
quelques dizaines de mètres. Le bleu de la planè-
te n'est peut-être qu'un hâle fragile.
JANVIER-MARS 1999 - 77 - POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE
La
technologie,
le
nouvel
acteur
de
l'évolution
Les mammifères et l'homme sont issus d'une
rupture
du
cours
de l
'histoire
des
espèces.
L'homme est un phénomène relativement nou-
veau. Il est devenu un acteur à part entière de
l'évolution de la planète de par son intelligence,
de par sa prolifération et de par la technosphère
qu'il a fait émerger dans la création. Cette techno-
sphère
est une
nouvelle
composante
auto
-
organisée sur la planète à côté de la climato-
sphère et de la biosphère. La vision de la terre à
travers le hublot d'un avion montre combien cette
technosphère issue de l'espèce humaine a trans-
formé presque tous les paysages naturels.
L'émergence de la technologie est toute récen-
te au cœur de la création. Il s'agit d'un phénomène
qui a commencé par la pierre taillée et la maîtrise
du feu .
Évoluant
au gré des
inventions
et de multiples améliorations, la technologie
a connu une grande révolution industrielle au
Xlx
e siècle. Puis, dans la deuxième moitié du
xx
e siècle, les sociétés les plus avancées sont
entrées dans la phase post-industrielle. Celle-ci est
caractérisée par une part de moins en moins
importante de l'industrie et de l'agricultureau profit
des services et de l'échange de biens immatériels.
Lescaractéristiques principalesde cettetechno-
logie sont sa grande capacité de croissance, son
immense besoin en énerg ie et le fait que les
déchets qu'elle produit ne sont pas recyclés ni
éliminés pour la plupart actuellement. Ainsi la
biosphère est progressivement empoisonnée par
d'énormes quantités de déchets.
Pour fixer les idées, l'homme primitif avant la
maîtrise du feu, consommait chaque année pour
subvenir à ses besoins biologiques une quantité
d'énergie de l'ordre de grandeur de son propre
poids en équivalent-pétrole, soit moins de 100 kg.
Ses déchets, qui étaient pratiquement tous recy-
clés , étaient du même ordre de grandeur en
poids.
L'habitant de pays développé,quant à lui,
consomme de 3, en France, à 10 tonnes , aux
États-Unis, d'équivalent-pétrole par an (moyenne
mondiale 1,5 tian). Il produit des déchets de
l'ordre de 100 fois son propre poids. Dans les
30 prochaines années, l'humanité va consommer
autant d'énergie et par conséquent va produire
autant de déchets que dans toute son histoire
passée. Ces déchets ne sont de loin pas tous
recyclables ou éliminés. Même ses activités agri-
coles, outre leur demande importante en énergie
(une tonne d'engrais nécessite une tonne d'équi-
valent-pétrole), représentent une charge impor-
tante en produits toxiques pour la nature.
Cet habitant de pays développé produit de
l'ordre de 10 tonnes de déchets par an, dont
40 kg sont hautement toxiques. Ces déchets
toxiques, qui ne sont de loin pas tous collectés et
POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE - 7
8-
traités, et qui ont des durées de vie infinies, se
retrouveront tôt ou tard en contact de la biosphè-
re s'ils ne subissent pas des traitements appro-
priés. Compte tenu des quantités en croissance
exponentielle et des caractéristiques physico-chi-
miques, le simple bon sens permet de com -
prendre que la technosphère ne peut pas indéfi-
niment prendre la biosphère, donc essentielle-
ment l'air et l'eau, comme lieu de stockage et de
dispersion de ses déchets. Le recyc lage des
déchets, à l'instar des processus biologiques
naturels, ou l'enfouissement dans des couches
géologiques profondes semblent aujourd'hui les
seules solutions qui puissent mettre durablement
la biosphère à l'abri des impacts délétères de la
technosphère.
Inversement la technosphère ne pourra pro-
bablement jamais atteindre un degré de perfec-
tion tel que son impact sur la biosphère soit nul.
Pour passer d'un niveau de rejets acceptable à
un niveau de rejets nul, il faudrait mettre en
œuvre des moyens considérables sans profit
véritable pour l'état sanitaire de la biosphère ou
de la
climatosphère
. Le
grand
Pa
racelse
(Theophrastus
Bombastus
von H
ohenh
eim ,
1493-1541) disait déjà :
" Tout
est
poison
, rien n
'est
poison
,
tout
dépend de la dose
» ,
Mais quelles sont les doses acceptables pour
le milieu naturel ?
L'homme technologique n'est pas le premier
organisme vivant à modifier de manière significa-
tive le cours de l'évolution biologique et écolo-
gique
sur
la p
lanète
.
Les
végétaux
et
les
coquillages l'ont fait avant lui, mais lentement.
Les systèmes technologiques, en revanche, intro-
duisent une nouvelle dimension qualitative et
quantitative de l'impact sur l'environnement. Ils
sont caractérisés par une certaine voracité et par
leur croissance exponentielle.Tout se passe
comme si les processus antagonistes de régula-
tion à court terme, comme
il
en existe pour les
systèmes
biologiques
, n
'étaient
pas
encore
adaptés à cette nouvelle réalité. Les paléonto-
logues ont observé que la nature est capable de
faire face à des catastrophes naturelles de gran-·
de envergure. La question est de savoir si la
technologie entre dans la catégorie des cata-
strophes supportables.
L'homme doit s'appuyer sur la techn ologie
pour assurer sa survie dans une nature qui lui est
hostile. La survie de l'homme n'est plus conce-
vable sans la technologie. Il a évolué dans le
sens d'une dépendance quasi complète vis-à-vis
de celle-ci.
La régulation des processus technologiques
repose essentiellement sur l'intelligence et la
conscience humaines. Elles seules peuvent pré-
venir d'éventuelles instabilités irversibles de
l'écosystème. Or il semble que la technosphère
JANVIER-MARS 1999
ait largement pris son indépendance par rapport
àl'homme. Elle s'auto-organise. Les hommes
peuvent apparaître comme des agents collectifs
qui œuvrent, chacun àson niveau local, au servi-
ce d'une macrostructure, àl'instar d'une fourmi
dans une fourmilière.
L'impact de la technosphère sur l'environne-
ment engage la responsabilité humaine àun
double titre : ne pas déstabiliser les grands équi-
libres de la climatosphère et de la biosphère et
garantir
pour
la propre espèce humaine des
conditions de vie acceptables et pérennes.
Les
bienfaits
et
les
défis
du
progrès
Le développement technique induit un certain
nombre de bénéfices auxquels aspirent toutes les
cultures. Il s'agit de : l'augmentation de l'espéran-
ce de vie, l'accès aux soins, la diminution de la
souffrance due aux maladies, la diminution de la
mortalité infantile, la sécurité publique, l'alphabé-
tisation, la culture et la démocratie. La mécanisa-
tion a limité le
reco
urs àl'esclavage des
hommes, les conquêtes et les razzias pour se
procurer ces esclaves ainsi que le mauvais traite-
ments des animaux de peine.
«Notre société est la plus confortable et la
plus pacifiée.àavoir jamais e
xisté;
elle est aussi
la plusjuste " (Karl Popper).
Ce progrès est encore mal partagé. L'absence
de ressources et d'organisation suffisantes est la
cause du sous-développement qui est respon-
sable de la mort de faim de 40 millions de per-
sonnes chaque année. Les nuisances environne-
mentales, pollution de l'eau, de l'air, bruit, pay-
sages détériorés, même si elles sont largement
répandues , touchent souvent d'abord les plus
démunis. Les changements climatiques, caracté-
risés par des tornades, des inondations de terri-
toires, un renforcement de l'aridité, s'ils ont lieu,
commenceront par affecter les populations les
plus pauvres qui habitent aujourd'hui dans les
régions les plus exposées.
Ce même développement engendre simul-
tanément de nouveaux défis liés àcette croissan-
ce exponentielle de certains facteurs comme la
populat
ion, l'urbanisation, la production des
déchets, la pollution. Dans le village global qu'est
la planète, les hommes, les idées et les biens cir-
culent de plus en plus intensément. Ces liens
transplanétaires fondent de nouveaux espoirs
pour la paix et le développement. Mais ils don-
nent aussi une nouvelle dimension àd'anciens
problèmes comme les migrations de populations
poussées par la pauvreté ou les systèmes poli-
tiques totalitaires, les nouvelles épidémies, l'omni-
présence du marc, mafieux ou légal, ou l'ex-
tinction de certaines civilisations ou d'espèces
vivantes.
L'humani est ainsi confrontée àdes défis
antagonistes intimement liés : le risque de manque
de ressources, le risque de déstabilisation lié aux
inégalités renforcées par le développement et le
risque de détérioration de l'espace naturel consti-
tué de la
c1imatosphère
et de la biosphère.
Gérer
la
complexité
Le progrès c'est remplacer un inconvénient
par un autre, dit-on parfois. On voit que les
réponses aux questions posées par le dévelop-
pement ne sont pas simples. Le sociologue
français Edgar Morin
dit:
«Pour gérer la complexité du monde, il faut
non seulement des modèles de compréhension,
mais également des modèles d'intervention.
1/
s'agit de dépasser le refus de la complexité qui est
souvent générateur de désordre et de confusion » .
Ce paradigme de la complexité est au cœur
des réflexions des scientifiques et des philo-
sophes. Chaque avancée de la science révèle
une nouvelle dimension de notre ignorance et
remet parfois en cause les certitudes et le sens
donné aux choses. Une part de hasard est pro-
fondément et
fondamenta
lement
assoc
iée à
l'évolution.
Prendre conscience de la complexité, c'est en
me temps se rendre compte que nous ne
pourrons jamais échapper à l'incertitude et l'in-
complétude tant dans nos modèles de compré-
hension que dans ceux de notre action. Le chan-
gement induit par notre technologie, aucun de
nos modèles ne pourra prédire son évolution au-
delà d'un certain horizon temporel. Nos actes
d'aujourd'hui déterminent le futur sans que nous
soyons capables de prévoir dans quel sens.
Gérer la complexité c'est gérer l'incertain.
Pour faciliter le pilotage, pour lever au maxi-
mum les incertitudes du présent et du futur, il
importe de se doter ici et maintenant de modèles
de comphension et d'action qui intègrent la
comp lexi. Ces modèles relèvent du
savoir
scientifique, de la démocratie et de l'éthique. Ce
sont trois piliers complémentaires. Ils évoluent en
symbiose avec chaque société. Mais au fur et à
mesure
que le
monde
se
trans
fo rme ,
ces
modèles évoluent également.
Les d
émocrat
ies
modernes
sont arrivées
aujourd'hui à un stade où la complexité a conduit
les hommes à partager le deve nir du monde
entre experts, politiciens et l'opinion publique.
Chaquepartie fonctionne selon sa logique propre :
l'expert et sa science, le politicien et son pouvoir,
l'opinion publique et la mise en spectacle média-
tique. Dans cette logique des jeux d'acteurs, les
experts scientifiques , les politiciens, les idéo-
logues produisent toujours des discours vertueux,
parfois antinomiques prouvant que la définition
de la vertu n'est pas universelle.
JANVIER-MARS 1999 - 7
9-
POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE
Comment accéder à ces vérités nécessaires à
la gestion de la technosphère ?La réponse est
dans la pluralité des réponses. Tous les acteurs
sociaux doivent pouvoir s'exprimer : les experts,
les industriels, les politiques, les citoyens de
base. Tous ces acteurs doivent se confronter aux
opinions et aux raisons des autres. Leurs intérêts
individuels ou corporatistes doivent se moduler
mutuellement. Aucun pouvoir ne doit rester sans
contre-pouvoir.
On peut évidemment craindre pour l'efficacité
de l'action, s'il faut pour tout choix scientifique,
technologique ou d'aménagement, prendre en
compte tous les avis. Surtout s'ils ne sont pas
tous de bonne foi. Mais:
cc De la seule intelligence, il n'est jamais rien
sort
i d
'intelligent
, de la seule raison, il n'est
jamais rien sorti de raisonnable ".
«Là où
est
le
danger
,
croît
auss
ice qui
sauve ". (Friederich
Hë>lderlin
, 1770-1843)
En définitive l'intégration de la technosphère
dans la biosphère est une affaire de lent mûrisse-
ment de la culture, cette chose diffuse et intem-
porelle qui catalyse le fonctionnement d'une
société humaine. Certes les lois, les règlements,
les taxes, le marché de l'environnement et autres
instruments environnementaux issus d'instances
nationales ou internationales contribueront à
cette intégration. Mais c'est en définitive la cour-
toisie et l'améni individuelles et collectives vis-
à-vis du milieu naturel qui feront évoluer les com-
portements des motards en infraction dans les
sentiers forestiers ou des bétonneurs qui sévis-
sent en toute légalité sur la planète.
C'est aussi dans les profondeurs de l'âme
humaine que sont à puiser les ressources néces-
saires pour faire face à ces défis. Cette âme est
habitée et se nourrit de mythes, de transcendan-
ce et de poésie.
La
technologie
et
ses
boucs
émissaires
mythiques
Le péché du nucléaire est de s'être incon-
sidérémentapproprcertains mythes. Il en a
peut-être été puni en devenant le bouc émissaire
de la société.
Toutes les époques, dans la plupart des civili-
sations, ont eu besoin de leurs chasses aux sor-
cières et de leurs boucs émissaires. Le monde
moderne malgré son rationalisme n'y échappe
pas. Aujourd'hui le nucléaire est diabolisé en
dépit de ses avantages objectifs en termes d'effi-
cacité technique et de protection de la biosphère.
Il souffre de ses liens avec une technocratie toute
puissante. Le «Oui, mais il y a les déchets radio-
actifs " et «le nuage de Tchernobyl s'est arrêté à
la frontière française ", font partie du catalogue
des idées reçues en usage aujourd'hui.
POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE - 8
0-
Le nucléaire est chargé d'un fort symbolisme:
symbole de l'apprenti sorcier, du feu dérobé aux
dieux, de la force gigantesque plus ou moins
magique. Il déclenche des peurs profondément
ancrées dans l'inconscient collectif. Le choix
d'uranium et de plutonium pour désigner les élé-
ments qui sont à la base de l'énergie nucléaire a
été réalisé à des époques la foi dans la scien-
ce était illimitée ; aujourd 'hui il en accentue la
perception maléfique. Pluton et Uranus sont les
noms des divinités donnés aux astres les plus
lointains, les plus froids et les plus ténébreux du
système solaire.Uranus, qui veut dire ciel en
grec, est aussi le père du dieu Chronos, le temps
qui dévore ses propres enfants. Pluton, qui au
sens propre signifie «le riche " par allusion au
fait que toutes richesses proviennent du sol,
quant à lui symbolise aussi les puissances chtho-
niennes. En choisissant ces noms, on a jeté un
défi aux mythes, défi qui ne reste pas impuni. On
a déclenché «un ricanement lacanien du destin ".
Apollonium et Venusium eussent sans doute été
plus heureux. Mais le nom d'urane a été donné
au minerai d'oxyde d'uranium dès 1789, alors
qu'on ne connaissait pas encore ses propriétés,
par le chimiste Klaproth, en hommage à Herschel
qui avait découvert la planète Uranus en 1781.
Le nom de plutonium a été introduit en 1948, à
une époque où l'on connaissait déjà bien son
usage. Le nucléaire en est devenu le bouc émis-
saire de la société technologique. Cette niche
devait nécessairement être occupée.
Toutefois si l'on veut bien croire à une corréla-
tion entre le mythe grec et le destin de l'énergie
nucléaire, il apparaît que tous les espoirs ne sont
pas perdus. Car déjà à l'époque, Pluton, le dieu
des enfers, était en conflit avec Déméter, la dées-
se des moissons. L'objet du contentieux était la
belle Perséphone, la fille de Déméter, dite la vier-
ge du printemps, que Pluton avait enlevée et
emmenée aux enfers pour l'épouser. Le déses-
poir de Déméter empêcha toute germination de
graine sur terre cette année-là. Devant les lamen-
ta
tions
des
hommes
,
Zeus
envoya
Hermès
auprès de Pluton pour arranger les affaires. Il fut
convenu
que la
jeune
fille
passerait
chaque
année quatre mois avec son ravisseur et le reste
avec sa mère.
Ce mythe
illust
re la
complémentarité
des
phases souterraines et aériennes de la vie. La
terre profonde est le lieu d'enfouissement de ce
qui
empêche
la vie (l'excès de carbone, les
déchets nucléaires ?). C'est aussi de son royau-
me que remontent les éléments chimiques qui
permettent à cette vie de s'épanouir (les oligo-
éléments pour la biosphère, les minerais pour la
technosphère). Ce mythe souligne également le
rôle important du compromis conclu par Hermès.
Celui-ci fut en quelque sorte le premier médiateur ;
il réussit à concilier des mondes de natures diffé-
rentes. Le philosophe Michel Serres dit de lui :
JANVIER-MARS 1999
cc Hermès, dieu des carrefours et des che-
mins, des marchands et des messages porte des
ailes aux chevilles, le caducée àla main .il vole
il passe vite, sait les secrets, invente, 'met
e~
communication
.
Voici
un
quart
de
siècle
...
Prométhée régnait dans les corps et les mains, il
occupait les têtes et les langues :la production
était au centre et non la communication. Ce fut
donc un pari d'annoncer la fin du dieu des forges
et le commencement du dieu des transmissions.
En vingt-cinq ans les sciences comme les tech-
niques, l'économie et la vie quotidienne se sont
rangées sous le caducée d'Hermès. Ceux qui
l'ont compris le plus tôt et le mieux se sont le
mieux tirés de la crise. "
Il est
également
intéressant
de
noter
qu
Pripiat, ville logeait le personnel de la centrale
de Tchernobyl, aujourd'hui évacuée et fantoma-
tique, le seul restaurant de la ville avait été bap-
tisé Prométhée, probablement dans un élan de
défi de la science aux superstitions. Au cours des
années
passées
depuis
l
'accident
(1986), les
caractères cyrilliques de Prométhée se sont déta-
chés un à un de la façade.
La
nature,
l'homme,
les
dieux
L
'éthique
est
un
ensemble
de
règles
de
conduite. Certaines d'entre elles sont plus univer-
selles dans le temps et dans l'espace que le droit
législateur. Chaque acteur individuel ou collectif
se contraint lui-même à respecter ces règles. Le
fondement et la justification de ces règles peu-
vent être laïques ou religieux. Toutes les sociétés
se sont dotées d'un arsenal de règles éthiques,
qui
sont
en fait les principes organisateurs se
référant souvent à un ordre supérieur.
Si l
'homme
agissait uniquement comme un
automate en fonction de règles prédéterminées, il
n'y aurait aucun problème d'éthique. Il réalise son
destin humain individuel et collectif en mettant en
jeu sa liberté et sa responsabilité. Et c'est dans
ce
conte
xte qu
'interv
ient l'éth ique , qui doit lui
fournir
les
princ
ipes
pour
guider
son
action
actuelle et future.
La
quest
ion qui se pose aujourd'hui est de
savoir sur quelles règles éthiques on peut s'ap-
puyer pour évaluer les choix posés par le déve-
loppement technologique. Kant, en 1788, expri-
mait le principe fondamental des règles morales
dans la " Critique de la raison pratique " par la
formule
célèbre:
cc
Agis
de telle sorte que la maxime de ta
volonté puisse être érigée en loi universelle "
L'homme doit s'affranchir de la dure loi de la
nature.Toute l'évolution de l'humanité et de sa
science, ainsi que l'approfondissement de ses
convictions religieuses, consistent à l'éloigner de
cette nature. Ne plus la subir mais la maîtriser,
c'est cela la culture. L'avènement du monothéisme
JANVIER-MARS 1999 - 81 -
correspond à une vision de la divinité qui n'est
plus seulement celle des forces naturelles. Pour
les religions judéo-chrétiennes, voir dans la terre
ou
dans
la
nature
le seul siège de la
divinité
représente un retour au paganisme.
Les idéologies, qui ont pris les lois de la natu-
re, celles du
triomphe
du
plus
fort et du
plus
adapté, ont sombré dans la barbarie et sont res-
ponsables de la mort violente de millions de per-
sonnes
au cours de ce siècle. Elles n
'ont
pas
compris que la sélection naturelle a sélectionné
la civilisation, qui s'oppose à la sélection naturel-
le. L'éthique ce n'est pas la nature.
De la même manière, les idéologies qui ont
pris l'activité humaine comme finalité de l'évolu-
tion, ont aussi tué des millions de
personnes
dans les camps et détruit de manière irréversible
de grands territoires naturels. L'éthique ce n'est
pas uniquement la raison humaine.
L
'éthique
est-elle
alors
du
ressort
de la
volonté
divine ? La
référence
au divin et à la
transcendance a de tout temps accompagné la
justification de ses lois. Des conflits sont parfois
nés entre les lois qui règlent la cité et celles qui
sont
considérées
comme
émanant
de
Dieu.
Ant
igone
,
condamnée
à
mourir
car
elle
avait
enterré son frère Polynice contre la volonté du roi
Créon, parle ainsi de ces lois div
ines:
cc Elles ne datent ni d'aujourd'hui ni d'hier
Elles vivent depuis toujours, personne ne sait
depuis quand.
Je ne voulais pas me rendre coupable aux
yeux des dieux
En les transgressant
par
peur de l'autorité
d'un homme ".
Au cours de l'histoire, ces lois se réclamant de
la divinité se
sont
également
avérées
dange-
reuses lorsqu'elles ont été appliquées avec fana-
tisme.
Ainsi l'éthique se situe au confluent de trois
types de lois qu'elle doit prendre en compte et
parfois en gérer les contradictions : les lois de la
nature, celles des hommes et celles des dieux.
Les premières imposent une certaine soumission
aux règles de fonctionnement de l'écosystème
constitué de la
c1
imatosphère et de la biosphère .
Les deu
xièmes
sont
celles
qui
régissent
les
systèmes technologiques et sociaux élaborés par
l'homme pour assurer sa survie et son dévelop-
pement. Les troisièmes représentent
pour
cer-
taines
person
nes une
quête
de
sens
dans
la
transcendance
et
dans
le
dépassement
de
l'immédiat. Ces trois
types
de lois
doivent
se
moduler mutuellement, car chacun est individuel-
lement incomplet.
POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE
1 / 6 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !