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ÉDITORIAL
ASCO® 2016 : des avancées qui peuvent
changer la pratique médicale, jusqu’où ?
“
L
ors du congrès de l’Association américaine d’oncologie clinique cette année, les
principales avancées présentées qui peuvent changer la pratique nous auront
conduits à balayer tout le spectre de la cancérologie, allant de l’histoire naturelle
aux thérapies ciblées du cancer.
Commençons par l’histoire (presque) naturelle. L’étude coopérative CALGB/SWOG
sur le cancer du côlon, présentée par A.P. Venook, nous offre ainsi des observations
d’une telle simplicité qu’elles nous rappellent l’histoire de l’œuf de Colomb. Dans
les cancers du côlon, la localisation de la tumeur primitive apparaît avoir un impact
pronostique important puisque en situation avancée, la survie des patients atteints d’un
cancer du côlon gauche est significativement meilleure (33,3 mois) que celle des patients
atteints d’un cancer du côlon droit (19,4 mois). Il est intéressant de constater, de plus,
que l’effet du traitement est modulé par cette localisation primitive, l’anticorps ciblant
le récepteur de l’EGF, le cétuximab, semblant être ainsi un traitement suboptimal du
cancer du côlon droit. Comment n’y avions-nous jamais pensé ?
Jean-François
Morère
Service d’oncologie médicale,
hôpital Paul-Brousse, Villejuif.
L’étude suivante concerne la chirurgie du cancer du sein et a le mérite particulier de
répondre à une question débattue depuis de nombreuses années. Faut-il, en situation
métastatique, s’intéresser quand même au traitement chirurgical de la tumeur primitive
mammaire ? Dans cette étude, qui randomisait les patientes entre soit un traitement
systémique d’emblée, soit un traitement systémique après traitement local chirurgical,
l’impact de la chirurgie s’affirme. En effet, les patientes opérées d’emblée ont une médiane
de survie significativement supérieure, de 46 mois, pour une survie de seulement 37 mois
chez les patientes non opérées. La différence de survie à 5 ans est, elle aussi, impressionnante
puisqu’elle est de 41,6 % dans le bras chirurgie première versus 24,4 % dans le bras
traitement systémique seul. Ces données devraient apporter des arguments décisionnels
pour les prochaines réunions de concertation pluridisciplinaire médicochirurgicale.
En situation adjuvante, 2 études nous apportent de nouvelles informations qui
peuvent avoir un impact clinique. La première, organisée par le European Study
Group for Pancreatic Cancer, porte sur 732 patients opérés d’un cancer du pancréas.
Dans les 12 semaines suivant la chirurgie, les patients recevaient soit de la gemcitabine
seule, soit une combinaison de gemcitabine et de capécitabine pendant 24 semaines.
Les résultats sont en faveur de cette combinaison adjuvante avec une survie médiane
de 28 mois versus 25 mois, et des résultats en survie à 5 ans de presque 30 % versus
16 %. Selon S.S. Krishnamurthi (conférence de presse ASCO®) : “C’est un succès majeur
de découvrir qu’une chimiothérapie générique non seulement améliore la survie de
ces patients, mais aussi le fait avec peu d’effets (négatifs) sur la qualité de vie.” Cet
essai conforte les Français dans leur étude d’une chimiothérapie plus forte de type
FOLFIRINOX, qui est le standard en situation métastatique.
L’autre étude revient sur la durée de l’hormonothérapie adjuvante dans les cancers
du sein. Cette étude MA.17R, présentée par P.E. Gosse, posait la question, pour des
femmes traitées auparavant par tamoxifène et ayant reçu 4, 5 ou 6 ans d’un inhibiteur
de l’aromatase (létrozole : 2,5 mg), de l’intérêt de la poursuite de ce médicament pour les
5 années suivantes. La prolongation de cette thérapeutique ajoute un gain significatif,
avec un hazard-ratio de 0,66, correspondant à une réduction des rechutes de 34 %.
Cet effet est particulièrement marqué sur la prévention de l’apparition d’un cancer
controlatéral.
320 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXV - n° 7 - juillet 2016
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Les résultats sont malheureusement obtenus au prix d’une augmentation du risque
d’ostéoporose et de fractures osseuses. Selon H.J. Burstein (conférence de presse
ASCO®) : “Ces données sont importantes pour les millions de femmes dans le monde
atteintes de cancers du sein ER+… Heureusement, la plupart des femmes tolèrent ce
traitement allongé raisonnablement bien avec peu d’effets indésirables.”
Cet allongement à 10 ans de l’hormonothérapie, voire plus, ne peut cependant être
proposé de façon systématique, mais peut être discuté avec des patientes qui supportent
particulièrement bien ce type de traitement dans le cadre d’une décision partagée.
L’immunothérapie se taille encore cette année une place de choix dans les nouvelles
thérapeutiques. L’anti-PD-L1 atézolizumab démontre une efficacité significative dans
les cancers de la vessie avancés, avec un taux de réponse en deuxième ligne après sels de
platine de 24 % et seulement 10 à 15 % des patients souffrant d’effets indésirables sévères.
Ces résultats ont convaincu la Food and Drug Administration de donner l’agrément à ce
médicament dans cette indication.
Parmi les nouvelles “proies” de l’immunothérapie, le cancer épidermoïde du canal
anal mérite une mention particulière. Il n’existe en effet aucun traitement de référence
en deuxième ligne thérapeutique. L’immunothérapie pourrait s’imposer dans cette
indication, avec un taux de réponse de 27 %.
Enfin, les combinaisons à base d’immunothérapie semblent ouvrir de nouvelles voies,
que ce soit des combinaisons de plusieurs agents stimulant l’immunité comme dans les
mélanomes, ou une combinaison d’un agent d’immunothérapie associé à une thérapie
ciblée de type anti-PD-L1 et anti-MEK, comme dans les cancers du côlon métastasés.
Les thérapies ciblées ne sont cependant pas en reste. L’inhibiteur de cyclines
palbociclib associé à une hormonothérapie classique permet d’obtenir un taux de
réponse de 55 % dans l’étude PALOMA-2, associé à une survie sans progression presque
doublée : 24,8 versus 14,5 mois seulement avec l’hormonothérapie simple.
Citons encore l’intérêt du cabozantinib, qui trouve sa place en deuxième ligne du
cancer du rein en détrônant le traitement validé jusqu’alors, et l’avancée impressionnante
du daratumumab en traitement de rattrapage dans le myélome. Ce médicament,
associé aux 2 agents classiques bortézomib et dexaméthasone, permet de réduire
le risque de progression de la maladie de 70 % et double le taux de réponse à 59 % et
de réponse complète à 19 %. Selon A. Palumbo, de Turin, l’auteur principal de cette étude,
“ces résultats sont sans précédent… Il est clair maintenant que nous allons vers un régime
à 3 molécules contenant le daratumumab comme standard de traitement”.
Toutes ces avancées stimulent notre enthousiasme et aiguillonnent notre désir d’aller
plus loin. Jusqu’où ?
L’étude de R.C. Chen portant sur 5 tumeurs (poumon, côlon, sein, pancréas
et prostate) chez 28 731 patients âgés de moins de 65 ans est là pour nous le
rappeler durement. Une prise en charge qualifiée d’agressive (procédures invasives,
chimiothérapie, radiothérapie, soins intensifs) est observée chez 70 à 75 % des patients
dans les 30 derniers jours de leur vie. Un passage aux urgences ou une hospitalisation
se sont produits dans 65 % des cas.
Ces statistiques sont demeurées inchangées aux États-Unis dans les 32 mois qui ont
suivi les recommandations de la Société américaine d’oncologie clinique.
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Celles-ci préconisaient d’éviter les thérapeutiques spécifiques du cancer
chez les patients atteints de tumeurs solides pour lesquels un bénéfice de ces traitements
était improbable, et de recentrer le traitement sur les symptômes.
In medio stat virtus.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XXV - n° 7 - juillet 2016 | 321
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