Un des aspects de la réflexion portant sur la prévention du crime et sur
les politiques publiques réside dans l’évaluation du niveau de
connaissances en matière de « dimensions sociales des politiques
publiques et leur impact sur le crime ». La prévention s’inscrit dans
diverses traditions et dans des contextes socio-légaux et socio-
économiques. Par conséquent, une évaluation préliminaire de la
dynamique du crime et des situations socio-économiques en Europe
s’avère nécessaire. Afin de dépeindre cette situation, tout en considérant
les états comme des unités, nous nous pencherons d’abord sur la
dynamique du crime au cours des dernières décennies. Ensuite, nous
procéderons à une étude comparée des pays en termes de niveau de
criminalité et de situations socio-économiques. Il aurait été préférable de
comparer la dynamique du crime et les évolutions socio-économiques
n°4bis
30 novembre 2007
Crimprev Info
Taux de criminalité en Europe,
contexte macro-social et
politiques sociales : un rapport
préliminaire
2
mais cela s’est avéré difficile en raison du manque de données
comparatives. De même, le niveau étatique n’est pas nécessairement
l’unité de prédilection mais nous tenterons d’y remédier dans une
prochaine étude comparative réalisée avec des unités infranationales, du
moins pour les pays les plus grands.
Sources
1 –Taux de criminalité
Les données sur le crime collectées par le groupe du « European
Sourcebook Project », initialement mis en place par le Conseil de
l’Europe, constituent un point de départ d’un intérêt notable. Trois
éditions du « Sourcebook » ont été publiées : une édition préliminaire
couvrant la période 1990-1995, une deuxième pour les années 1995-2000
et une troisième pour la période 2000-2003. Les proportions
d’infractions, d’auteurs d’infractions et de la population carcérale sont
disponibles pour des études comparatives1. En parallèle, nous avons
utilisé the « Home Office International Statistics » (statistiques
internationales du Ministère de l’Intérieur de Grande-Bretagne) (Barclay
and al. 2001). Nous pourrions ajouter à cela les enquêtes européennes sur
la victimisation (ICVS, cf. Van Dijk and al.)
En ce qui concerne la prévention, nous devons évaluer le niveau des
différentes catégories de crimes, la proportion d’auteurs d’infractions
parmi les populations jeune et adulte et le taux de personnes en
détention. Nous prendrons en compte le nombre d’infractions par
échantillons de 100 000 habitants et le nombre d’auteurs d’infractions
pour 100 000 habitants en fonction des catégories d’infractions.
2 – Situation socio-économique des pays européens
Différentes sources, telles que les données Eurostat sur la cohésion
sociale2, l’OCDE, l’OIT, le « Luxembourg Income Study » (LIS) –
fournissent des données standardisées du contexte socio-économique :
données sur le revenu per capita, pourcentage de la population vivant en-
dessous du seuil de pauvreté, inégalités, chômage, mais aussi des
indicateurs sociaux sur le pourcentage de la population vivant en-dessous
du seuil de pauvreté avant et après les transferts sociaux, sur le
décrochage scolaire, sur les familles au chômage et les enfants à charge.
Dynamique du crime dans sa globalité et niveau de criminalité des
pays européens
En Europe, les taux d’infractions enregistrés par la police (pour 100 000
habitants) a augmenté au cours des cinquante dernières années. A partir
de 1960, les taux d’infractions croissent au même rythme en Grande-
Bretagne, Allemagne, France, Suède, Finlande et Danemark jusqu’au
milieu des années 1980. Les Pays-Bas prennent un retard de deux ou
trois ans. En Italie, Espagne, Grèce et Portugal les taux de criminalité
ont stagné jusqu’au milieu des années 1970, et, dans ces pays, le taux de
1 L’objectif de WP6 pourrait être de produire des commentaires sur la fiabilité de ces
données par rapport à des indicateurs socio-économiques.
2 Disponible uniquement pour la période 1995-2006.
3
croissance est resté inférieur au niveau atteint par les pays d’Europe
occidentale et d’Europe du Nord. Le taux de criminalité du troisième
groupe de nations (la Pologne, la Hongrie et d’autres pays de l’Est)
n’augmente pas jusque dans les années 1990, et, si l’augmentation est
alors très brutale, les taux d’infractions de ces pays restent largement
inférieurs à ceux des premières nations mentionnées.
2000
4000
6000
8000
10000
12000
Infractions pour 100 000 hab., pays lectionnés po
u
Grande-Bretagne
France
Allemagne
Pologne (x2)
Itali e
Source : calculs de l’auteur effectués à partir de Barclay & al., Ministère
de l’Intérieur de Grande-Bretagne, 2001.
Il est évident que la croissance du crime dans chaque pays est liée au
développement d’une économie de marché et au degré d’intégration de
ces pays dans l’économie mondiale3. L’Espagne sous Franco, le Portugal
sous Salazar, la Grèce sous les « Colonels » ne sont pas complètement
intégrés dans l’économie mondiale moderne ; l’Italie, un pays
démocratique ouvert depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, est
une nation fragmentée où le sud accuse un retard par rapport au nord
industrialisé : tous ces pays ont un taux de criminalité plus bas que les
pays du nord. Dans les pays de l’Est, le taux de criminalité est resté à un
niveau bas jusqu’en 1990 ; les années 1990, période de revirement rapide
vers une économie de marché et de relâchement par rapport à l’ancien
contrôle social du régime communiste (les Komsomols, les Unions etc.),
ont connu une forte hausse du taux de criminalité. Dans chaque nation,
l’augmentation du taux global est étroitement lié à celle du nombre
d’atteintes aux biens (vols de véhicules motorisés, cambriolages, autres
types de vols simples et vol en général). A première vue, les courbes du
crime correspondant aux différentes nations européennes reflètent leur
rythme d’entrée dans l’économie de marché moderne.
Nous allons à présent procéder à la comparaison synchronisée des pays,
en prenant en compte les niveaux moyens des deux dernières décennies
ou en sectionnant les périodes, lorsque cela est approprié, en fonction
des « vagues » présentées dans l’« European Sourcebook ».
Le taux de criminalité reflète en grande partie l’importance des atteintes
aux biens. Si nous voulons interpréter les différences entre les différents
pays en termes de criminalité, nous devons alors faire la distinction de
façon au moins grossière, entre l’atteinte aux biens et le crime avec
3 Dont la part d’export plus import dans le PIB est une mesure possible.
4
violence. Ceci soulève des problèmes dans le cas d’infractions comme le
vol pour lequel le mobile est derober un bien mais où le modus operandi
dépend de l’accessibilité à des moyens de faire violence.
Examinons à présent une infraction emblématique du crime avec
violence : le taux moyen d’homicides consommés pour la période 1990-
2003. Il y a un clivage net entre les nations européennes : les pays de
l’Est (Albanie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Ukraine, Russie) ont tous des
taux d’homicides supérieurs à 8 pour 100 000, les taux les plus élevés
d’Europe. A l’inverse, les taux d’homicides des pays d’Europe du nord-
ouest sont les plus bas : entre 1 et 2 pour 100 000.
Du fait de la largeur de la définition de la catégorie « agressions » qui
semblent être enregistrées de façons très différentes selon les définitions
et les priorités politiques nationales, il est difficile de la considérer
comme un bon indicateur du crime avec violence. De surcroît, les
données sur les agressions présentées dans l’« European Sourcebook »
présentent des incohérences.
Le taux de vol semble être une donnée plus fiable : sa distribution est en
légère corrélation avec celle du taux d’homicides. Bien que l’homicide
soit en corrélation négative avec toutes les catégories d’atteintes aux
biens, l’association entre vol et atteintes aux biens est modérée mais
directe, ce qui met en évidence le double sens du terme « vol ».
Pendant la même période 1990-2003, le vol de véhicules motorisés, une
infraction caractéristique de l’atteinte aux biens, est enregistrée bien plus
souvent au Danemark, en Norvège, en Finlande, en Suède, en GB, en
Irlande et en Belgique mais aussi dans les pays d’Europe du sud-ouest
(France, Italie, Espagne) que dans les autres pays européens. Ceci
s’applique également en grande partie au cambriolage résidentiel.
Le vol de véhicules motorisés, le cambriolage et les autres types
d’atteintes aux biens sont en corrélation négative avec l’homicide en
Europe pour les deux dernières décennies.
À la fin du vingtième siècle en Europe, on distingue encore deux formes
de criminalité. D’une part, la structure du crime des pays les plus riches
de l’ouest et du nord se définit par un taux d’homicides bas, mais
souvent aussi par un taux de vols assez élevé et un taux d’atteintes aux
biens sans violence élevé. D’autre part, la structure du crime des pays de
l’Est se caractérise par des taux d’homicides élevés, un taux de vols de
véhicules motorisés bas et un taux de cambriolages moyen.
Les indices de criminalité des pays d’Europe du sud sont parmi les plus
bas. Cependant, en ce qui concerne le crime, un processus de
convergence s’opère, comme dans la plupart des domaines socio-
économiques, et les limites que nous avons établies entre les trois
groupes de pays sont bien plus floues en 2007 qu’elles ne l’étaient au
début des années 1990.
Le contexte social : richesses, inégalités et crime
La réduction de la pauvreté, du chômage, de l’échec scolaire et
l’apaisement de certaines conséquences de la rupture familiale pourraient
avoir un impact sur la propension de se livrer à des activités criminelles
5
et encourager la cohésion sociale. De manière implicite, cela repose sur
l’hypothèse que les inégalités, le chômage et le crime sont en corrélation.
Toutes les connaissances disponibles indiquent toutefois que cette
relation n’est pas simple et directe. Par exemple, dans le cas de séries
chronologiques, les économistes et les sociologues débattent du lien
complexe entre les revenus, les prix, les taux de chômage et les taux de
criminalité (se référer aux analyses de séries chronologiques réalisées par
Field en 1990 ; Hale en 1998 ; Deadman, Pyle en 1994 ; Lagrange en
2001). Les tensions socio-économiques font augmenter les taux de
criminalité mais il est difficile de distinguer le rôle de l’accroissement des
opportunités associé au nombre de biens en circulation de celui de la
motivation due à la baisse du revenu légal résultant de l’augmentation du
chômage. De plus, la nature du lien est traditionnellement contingente
(cf. Cantor, Land 1985 ; Carlson, Michalovski, 1993). Le crime n’est pas
motivé de la même manière pendant les périodes de forte augmentation
des taux, comme les années 1960 et 1970 en Europe, et les périodes de
faible augmentation des taux comme les années 1990.
Nous ne présenterons pas ici le résumé des résultats de ces études. Notre
objectif est plus précis. Il s’agit uniquement d’établir un cadre macro-
social descriptif dans lequel le débat sur les politiques de prévention peut
être élaboré de façon claire. Afin d’établir ce contexte macro-social, nous
fournirons quelques données de base sur les inégalités, y compris les
subsides visant à réduire ces inégalités, et présenterons les corrélations
élémentaires entre ces indicateurs de cohésion sociale, ou manque de
cohésion sociale, et les taux de criminalité.
Pour la période 1980-2003, les ratios des revenus salariaux enregistrés
entre le 1er et le 5e quintile indiquent que les inégalités de revenus ont
augmenté en Pologne et en Grande-Bretagne, ont légèrement augmenté
au Danemark et aux Pays-Bas, ont baissé en France et ont été stables en
Suède. Les données pour l’Espagne, l’Italie, et la Grèce ne sont pas
disponibles4. Toutefois, sauf pour la Pologne, l’évolution des ratios inter-
quintiles des revenus pour l’ensemble de la période 1980-2003 ne se
remarque pas. Par conséquent, la comparaison des niveaux du pouvoir
d’achat des 20 dernières années s’avère appropriée. Le coefficient de
Gini mesurant le degré d’inégalité des revenus disponibles ajusté à la
taille de la famille vers l’an 2000 est en forte corrélation avec les ratios
inter-quintiles des revenus pour la période 1995-2005 (0,91). La tendance
du chômage sur le long terme pour la même période 1995-2005 ne sont
liés de façon significative ni au PIB per capita ni aux inégalités.
On obtient peu de résultats en comparant les taux de criminalité avec les
indices d’inégalité socio-économiques ou de cohésion.
1/ les taux d’homicides sont en bonne corrélation avec les inégalités, le
coefficient est plus fort en utilisant le coefficient de Gini (0,59***)5
qu’avec le ratio inter-quintile des revenus. A l’inverse, le taux d’homicides
est en corrélation négative avec le revenu per capita (-0,61***).
2/ Le vol est également en corrélation directe avec les inégalités
mesurées avec les ratios inter-quintiles des revenus (0,44**), mais pas de
façon significative avec le revenu per capita.
4 Emploi en Europe, Commission Européenne, Septembre 2005.
5 * : significatif au niveau des 5 % ; ** : au niveau des 1 % ; *** : au niveau des 1 ‰.
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