Polytraumatisé : nouveautés en phase pré-hospitalière

POLYTRAUMATISE 477
POLYTRAUMATISE: NOUVEAUTES EN PHASE
PRE-HOSPITALIERE
Ph. Dabadie*, F. Sztark**, M. Thicoïpé*, M-E. Petitjean*. *Département des Urgences,
**Département d’Anesthésie Réanimation Pr. Erny, Groupe Hospitalier Pellegrin, 33076
Bordeaux, France.
INTRODUCTION
Un polytraumatisé est un patient atteint d’une ou de plusieurs lésions traumatiques
dont une, au moins, met en jeu le pronostic vital. La qualité du polytraumatisme relève
avant tout de l’association lésionnelle et la complexité de la prise en charge médicale
naît d’avantage de l’interférence des lésions que de la simple sommation des traumatis-
mes. Le blessé nécessite une prise en charge médicale précoce par une équipe formée,
entraînée, spécialisée pour le réanimer sans perte de temps. Le système de soins pré-
hospitaliers permet aussi d’orienter le patient vers une structure hospitalière recevant
régulièrement ce type de malade par l’intermédiaire de la régulation centre 15 et de sa
coordination des différents intervenants (SMUR, sapeurs pompiers).
Comme l’avenir se joue dans les premiers instants, la compréhension du mécanis-
me de l’accident est essentielle face à des lésions internes et à un tableau clinique
rassurant.
Le traitement définitif, particulièrement chirurgical, est l’objectif à tenir sans délai.
Cependant, l’évaluation initiale, le dépistage et le traitement immédiat des détresses, la
recherche des lésions traumatiques sont autant de séquences qui s’intriquent et gagnent
à être protocolées pour être exécutées simultanément à la recherche de l’économie de
temps. Comme l’ensemble des lésions ne peut être diagnostiqué et traité dans le même
temps, il faut définir des priorités, les hiérarchiser et les organiser en une stratégie
logique. Il s’agit d’un véritable dilemme qui oppose artificiellement la réanimation des
détresses vitales au bilan lésionnel complet.
1. POST-IMPACT ET SEVERITE DES ATTEINTES
1.1. MECANISME LESIONNEL
L’analyse des circonstances et mécanismes de l’accident, représente une étape in-
contournable pour apprécier la sévérité des lésions et en suspecter d’autres inapparentes.
Selon la position dans un véhicule accidenté, conducteur ou passager avant, on peut
prédéterminer certaines lésions.
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Dans le cadre d’un choc frontal, les lésions rachidiennes seront recherchées.
Dans celui d’un choc latéral, les fractures de côtes basses, une rupture de rate seront
à rechercher.
S’il y a eu une décélération brutale,une rupture aortique possible sera évoquée.
Des mécanismes divers peuvent être le fait de la libération des cinq formes d’énergie
possibles : cinétique ou mécanique, chimique, thermique, électrique ou radiations.
La collecte de ces données est essentielle pour l’équipe hospitalière.
1.2. CONCEPT DE MORT EVITABLE
Peut-on espérer réduire le nombre de décès et de séquelles physiques par les inter-
ventions à la phase post-impact ? L’analyse de l’évolution de l’état de santé des victimes
durant les premières heures suivant l’accident permet de répondre affirmativement.
Les décès de la route peuvent être regroupés en trois catégories :
1-Mort immédiate, en deçà d’une heure, représente environ 50 % des décès.
2-Mort précoce, entre 1 et 5 heures environ : 30 % des décès.
3-Mort tardive, entre 1 et 5 semaines environ : 20 % des décès.
Pour la première catégorie, les interventions possibles sont très limitées, car les
blessures sont trop sévères pour être traitées. Par contre, pour les morts précoces ou
tardives, un nombre substantiel pourrait être évité [1].
L’analyse des causes curables permet de relever les trois principales :
1-Chirurgie tardive.
2-Indications opératoires mal posées.
3-Erreurs de réanimation dominées par la sous estimation des pertes hémorragiques.
Ces causes sont deux fois moins fréquentes si le centre d’accueil du polytraumatisé
est un centre de référence en traumatologie.
En France, cette appréciation se heurte à l’absence de registre de traumatologie et
d’autopsies des personnes décédées de causes traumatiques.
Le registre des traumatismes des centres tertiaires de traumatologie est essentielle-
ment une base de données informatisées comprenant des informations socio-
démographiques, cliniques et administratives, concernant les cas de traumatismes gra-
ves admis dans les centres de traumatologie tertiaire.
Il existe depuis plusieurs années, en particulier aux Etats-Unis et dans certaines
provinces canadiennes, des registres de traumatismes qui permettent d’obtenir une in-
formation pertinente tant au niveau quantitatif que qualitatif.
Il est également important de comprendre que le registre permet une rétro-action
assez rapide car il permet de comparer non seulement les victimes d’un même centre
hospitalier entre elles quant à leur devenir par rapport aux soins reçus, mais également
les victimes ayant les mêmes diagnostics à travers un ensemble de centres hospitaliers
de même niveau.
1.3. GOLDEN HOUR
Le concept de Golden Hour, mit en avant pour la prise en charge du polytraumatisé
par A. Cowley se traduit par une filière spécifique de prise en charge de ces patients au
Trauma Center de Baltimore. Cette idée de course contre la montre se vérifie par une
augmentation de la mortalité si la réanimation débute après la première heure en post-
impact.
Ce concept se traduit par une pratique des habiletés éprouvée et régulièrement véri-
fiée pour tous les intervenants, par un développement de protocoles standardisés afin
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de garder intacte la possibilité de réflexion stratégique pour la réanimation et l’orienta-
tion du malade.
Le premier but à atteindre est une stabilisation temporaire des grandes fonctions
puis une recherche de toutes les lésions.
Chaque phase est intriquée avec les autres, d’où la nécessité de rendre réflexe tout
ce qui peut l’être.
1.4. SCORES DE GRAVITE
L’Abbreviated Injury Scale (AIS) et l’Injury Severity Score (ISS) permettent d’éta-
blir un score de gravité générale (ISS) ou par région (AIS). Ces scores, outre la valeur
prédictive sur le pronostic vital du patient traumatisé, donnent une évaluation objective
et quantitative de gravité, autorisant les comparaisons de populations de traumatisés et
l’appréciation de la qualité des systèmes de soins.
Dans l’idéal, l’utilisation de score de triage préhospitalier comme le Trauma Index
(TI) ou de score de pronostic comme le Revised Trauma Score (RTS) devrait compléter
le bilan initial.
La prise en charge par des structures hospitalières entraînées bénéficie aux blessés
dont l’indice de sévérité du traumatisme, l’ISS est supérieur ou égal à 16 ou 25 selon
les auteurs, à condition qu’elles reçoivent plusieurs dizaines de polytraumatisés par an.
2. ALERTE ET ENGAGEMENT DES PREMIERS SECOURS
En France, 65 % des accidents mortels et graves se produisent en zone rurale, ce qui
pour la majorité des polytraumatisés représente une difficulté d’accès supplémentaire.
Associée à une alerte imprécise, c’est toute la mise en œuvre de moyens de secours en
qualité (désincarcération) et en nombre de sauveteurs qui peut être inappropriée. Par
ailleurs, l’engagement d’une équipe de SMUR est souvent retardé jusqu’à l’évaluation
du premier intervenant secouriste professionnel. La médicalisation peut ainsi être retar-
dée de 10 à 20 minutes. Dans ce contexte, seulement 2 % des Français sont formés à
l’alerte et aux gestes de premiers secours, ce qui allonge les délais de prise en charge.
Seule une alerte précise sur les circonstances, le mécanisme, le nombre et l’état des
victimes permettraient un engagement rapide d’équipes qualifiées [2].
A l’arrivée sur les lieux, les premiers intervenants protègent le site de l’accident,
font une première évaluation car en traumatologie routière la complexité d’un poly-
traumatisé n’a d’égale que la situation avec plusieurs polytraumatisés ou blessés. Ces
secouristes assurent le ramassage, l’immobilisation des foyers fracturaires et la mise en
place d’un collier cervical de principe.
Ils ont réchauffé ou protégé par une couverture de métalline et conditionné le pa-
tient dans un matelas à dépression. Un certain nombre de gestes simples doivent être
pratiqués dès cette phase : désobstruction des voies aériennes supérieures, aspiration
buccale, retrait d’un corps étranger, associés à une mise en position latérale de sécurité
prudente en raison des lésions potentielles rachidiennes et fracturaires des membres.
L’oxygénothérapie au masque avec réservoir permet d’obtenir une FiO2 élevée chez le
patient en respiration spontanée.
La prise en charge préhospitalière comporte alors deux axes : une estimation initia-
le et une phase de réanimation. Ensuite, on peut procéder à une estimation secondaire,
pour suivre l’évolution et envisager le traitement chirurgical définitif d’hémostase.
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3. MECANISMES DES DETRESSES
3.1. DETRESSE VENTILATOIRE
Elle se manifeste par une insuffisance respiratoire aiguë. Elle peut traduire un obs-
tacle à la filière aérienne dont les causes peuvent être intriquées : coma par lésion
cérébrale et hypertension intracrânienne s’associant à une hypertonie ou une hypoto-
nie, crises convulsives, causes mécaniques (inhalation de corps étrangers, de liquide
gastrique ou de sang), délabrement facial important.
L’origine de la détresse respiratoire peut être liée à une hypoventilation alvéolaire
dont les causes sont aussi multiples. L’origine centrale peut être liée à la profondeur du
coma et à la répétition des crises convulsives ou à une atteinte médullaire haute par
traumatisme du rachis cervical.
L’origine périphérique traduit une altération de la mécanique ventilatoire lors des
traumatismes thoraciques (volets), lors des pneumothorax ou hémothorax abondants.
Il peut s’agir d’un trouble de la diffusion alvéolo-capillaire dans le cadre d’une
contusion pulmonaire ou d’une pneumopathie d’inhalation.
3.2. DETRESSE CIRCULATOIRE
3.2.1. HYPOVOLEMIE ABSOLUE
L’hémorragie doit être cliniquement objectivée car une surcharge vasculaire pour-
rait être délétère pour un traumatisé crânien par exemple.
3.2.2. HYPOVOLEMIE RELATIVE
Une paraplégie mais surtout une tétraplégie entraînent une hypovolémie par vaso-
plégie. Celle-ci peut être liée à l’anesthésie générale dans le cadre d’une induction en
séquence rapide, par arrêt des sécrétions des catécholamines réactionnelles à l’hypovo-
lémie et à la douleur.
3.2.3. DEFAILLANCE CARDIAQUE
Une pathologie cardiaque peut préexister. L’insuffisance coronarienne ne supporte
pas la tachycardie réactionnelle à l’hypovolémie et à la dette en oxygène. L’insuf-
fisance cardiaque gauche est facilement majorée par un remplissage vasculaire intem-
pestif.
3.2.4. DETRESSE NEUROLOGIQUE
Le traumatisme crânien sévère est l’association la plus fréquente, il modifie beau-
coup le pronostic. Les causes les plus curables et qui nécessitent une prise en charge par
une équipe pluridisciplinaire sont représentées par les hématomes extraduraux et l’hy-
pertension intracrânienne.
4. PRISE EN CHARGE DES DETRESSES
4.1. DETRESSE RESPIRATOIRE
L’objectif est d’assurer l’oxygénation cellulaire optimale de l’ensemble des orga-
nes dans les délais les plus brefs en rétablissant une hématose correcte et une pression
de perfusion tissulaire satisfaisante, cérébrale notamment. Le rôle délétère de l’hyper-
capnie, l’hypoxie et de l’hypotension artérielle sur l’homéostasie intracérébrale doit
être combattu dès les premiers instants.
Le diagnostic est le plus souvent facile devant une anomalie de la fréquence, du
rythme ou de l’amplitude respiratoire. Des signes de lutte, de tirage au niveau du thorax
et du cou, la palpation d’un emphysème sous-cutané sont plus faciles à retrouver qu’une
anomalie de l’auscultation dans le contexte bruyant de l’accident. La cyanose peut être
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masquée par des signes d’anémie aiguë. Une tachycardie ou une bradycardie peuvent
être associés, comme une anxiété ou une agitation si le malade est conscient.
Le premier geste est de contrôler la liberté des voies aériennes supérieures. La ven-
tilation au ballon auto-remplisseur avec l’aide de l’insertion d’une canule de Guédel
n’affranchit pas de l’estomac plein et des risques d’inhalation. En fonction des objec-
tifs initiaux, les indications de l’intubation trachéale et de la ventilation assistée sont
très larges. Il faut intuber un polytraumatisé lorsqu’il présente une détresse respiratoire,
un état de choc hypovolémique, un traumatisme associé sévère, des convulsions, une
agitation importante, une aggravation neurologique avec perte de deux points de Glas-
gow.
Dans le contexte de l’urgence, l’incidence des complications est corrélée à la diffi-
culté d’intubation. Les conditions même de l’intubation rendent l’acte plus difficile
(par la faible réserve en oxygène du patient, l’estomac plein ou son incarcération dans
le véhicule accidenté). L’ensemble des études montre qu’en milieu préhospitalier les
difficultés de l’intubation sont significativement plus élevées qu’au bloc opératoire [3].
Les études anglo-saxonnes révèlent une incidence d’intubation plus difficile hors de
l’hôpital, particulièrement pour les polytraumatisés (53 %). L’incidence des complica-
tions est supérieure à la pratique de bloc opératoire, avec une fréquence d’inhalation
allant de 1 % à 70 % alors qu’en bloc, elle est inférieure à 0,05 % [4], sans compter les
pneumopathies d’inhalation précédant l’arrivée des équipes médicales.
Une sédation insuffisante est un facteur important d’échec ou de difficulté de l’intu-
bation. Cet élément est important au regard du nombre de sédations pratiquées pour
intubation en préhospitalier, soit 62 % à 86 % selon les études. Outre les difficultés
déjà évoquées, le geste se déroule dans un environnement défavorable (espace res-
treint, position du patient par rapport à l’opérateur).
Celui-ci n’est que rarement un Anesthésite-Réanimateur. Moins de 8 % des intuba-
tions préhospitalières sont réalisées en France par un Anesthésiste-Réanimateur [3, 5].
L’intubation permet la ventilation assistée, elle est justifiée par l’insuffisance respira-
toire aiguë, mais elle est aussi indiquée chaque fois qu’une intubation ou une sédation
sont nécessaires. Elle autorise aussi l’aspiration endotrachéale. La réalisation de l’intu-
bation endotrachéale précoce a fait la preuve de son efficacité dans la prévention de la
morbidité liée aux traumatismes crâniens [6, 7].
L’intubation est effectuée le plus fréquemment par voie orotrachéale. La voie naso-
trachéale est contre-indiquée en cas de traumatisme cranio-facial sévère (suspicion de
fracture de la base du crâne, de disjonction cranio-faciale, de lésion ORL).
Pour les patients agités, une intubation avec induction à séquence rapide [8] asso-
ciée à une manœuvre de Sellick a une efficacité démontrée. L’administration d’agents
anesthésiques facilite les conditions d’intubation, atténue les conséquences cardio-
respiratoires liées au geste et susceptibles d’aggraver une hypertension intracrânienne
(HTIC) et enfin facilite l’adaptation au respirateur.
Les agents anesthésiques choisis le sont pour leur délai d’action court, pour le peu
d’effet sur l’hémodynamique, pour leur effet bénéfique sur l’HTIC. Les plus utilisés
sont pour les hypnotiques : l’étomidate, l’hypnovel et le gamma OH, pour les morphi-
niques : le fentanyl, pour les curares : la celocurine.
Une fois intubé le patient est ventilé au ballon auto-remplisseur muni d’un réservoir
en oxygène, après aspiration endotrachéale, par un respirateur automatique de trans-
port. Les modalités de la ventilation mécanique sont classiques : fréquence entre 15 et
20 cycles par minutes, ventilation minute à 120 mL.kg-1.min-1, FiO2 = 1.
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