Cas clinique Détection d’une mutation ­incidente du gène PALB2 à ­l’occasion d’une recherche de mutations ­constitutionnelles des gènes BRCA par séquençage de nouvelle génération Next generation sequencing for BRCA germline mutation screening with incidental finding of PALB2 mutation D. Lafon1, F. Bonnet1,2, M. Longy1,2, N. Sévenet 1,2* Contexte clinique et diagnostic moléculaire des gènes BRCA1 et BRCA2 1. Laboratoire de génétique moléculaire, unité d’oncogénétique, institut Bergonié, Bordeaux. 2. Inserm U916, université Bordeaux-Ségalen, institut Bergonié, Bordeaux. * Rédacteur et correspondance : N. Sévenet (n.sevenet@bordeaux. unicancer.fr) ; observation clinique et relecteur : M. Longy. Hodgkin 60 ans Histoire de la maladie, arbre généalogique Nous rapportons le cas d’une patiente âgée de 52 ans, adressée à la consultation d’oncogénétique de l’institut Bergonié par sa radiothérapeute, pour un avis sur une récurrence familiale de tumeurs malignes. La patiente a récemment développé une tumeur du sein correspondant à un carcinome canalaire infiltrant moyennement différencié de grade II, RH−, diagnostiqué lors d’une mammographie systématique. Le traitement, conservateur, a associé une tumorectomie, un prélèvement Hodgkin 50 ans COv 64 ans 3 CS 51 ans ? P Cas index CS CS 52 ans 55 ans CP 51 ans P : première consultation ; CS : cancer du sein ; CP : cancer du poumon ; COv : cancer de l’ovaire ; Hodgkin : maladie de Hodgkin. Figure 1. Arbre généalogique de la famille de la patiente. L’âge au diagnostic est indiqué en rouge. 144 des ganglions sentinelles, une chimiothérapie et une radiothérapie. À l’interrogatoire, aucun antécédent personnel n’a été noté. Sur le plan généalogique, la patiente a un fils en bonne santé et fait partie d’une fratrie de 5 au sein de laquelle 1 de ses frères est décédé durant l’adolescence de cause autre que tumorale, et 2 de ses sœurs, âgées de 52 et 56 ans, qui ont chacune développé un cancer du sein (figure 1). En ce qui concerne la lignée paternelle, 3 personnes ont présenté une pathologie tumorale maligne, à savoir le père de la patiente, décédé à 75 ans d’une rechute de maladie de Hodgkin diagnostiquée 25 ans plus tôt, un oncle paternel, également décédé d’une maladie de Hodgkin, et enfin un cousin germain de la patiente, décédé à 53 ans d’un cancer bronchopulmonaire diagnostiqué 2 ans auparavant. En ce qui concerne la lignée maternelle, 2 personnes ont présenté une pathologie tumorale maligne, à savoir la mère de la patiente, décédée à 65 ans de l’évolution d’une tumeur ovarienne correspondant à un adénocarcinome à cellules claires, diagnostiqué 1 an plus tôt, et le même cousin germain que précédemment. Il est donc possible d’individualiser 2 lignées familiales caractérisées par une importante récurrence de tumeurs malignes ; c’est à la branche maternelle qu’il faut s’intéresser en priorité dans l’hypothèse diagnostique d’un syndrome seinovaire, la plupart de ces syndromes étant en rapport avec la transmission d’une mutation des gènes BRCA1 ou BRCA2. Le conseil génétique est effectué auprès de la patiente, qui confirme sa décision de s’engager dans une démarche de recherche de mutation. Recherche première La recherche première de mutation constitutionnelle des gènes BRCA est effectuée par une technique de Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 Détection d’une mutation i­ ncidente du gène PALB2 à ­l’occasion d’une recherche de mutations ­constitutionnelles des gènes BRCA par séquençage de nouvelle génération criblage des mutations ponctuelles appelée “EMMA” (Enhanced Mismatch Mutation Analysis), dont le principe et la mise en œuvre sont proches de ceux de la technique HRM (High-Resolution Melting), à savoir la détection automatisée d’espèces multiples en PCR, et donc de variants nucléotidiques, confirmés en séquençage par la méthode de Sanger (1). Aucune mutation ponctuelle constitutionnelle délétère n’est caractérisée. Seul un variant faux-sens situé dans l’exon 10 du gène BRCA2 et nomenclaturé c.1460C>A ; p.Ala487Glu est caractérisé. Ce variant, rapporté 6 fois au niveau national (base UMD BRCA2 : www.umd.be/BRCA2) et 12 fois au niveau international (base BIC : research.nhgri.nih.gov/projects/bic/Member/index.shtml) est considéré comme un variant de signification inconnue. Il est décrit dans la base dbSNP (rs56390402), mais aucune fréquence allélique ne lui est associée. Les logiciels de prédiction de pathogénicité (Align GVGD, SIFT, Mutation Taster, PolyPhen-2) prédisent qu’il serait dénué d’implication pathogénique. Le résultat est présenté à la patiente ; le variant de BRCA2 caractérisé n’est pas impliqué dans la récurrence familiale de tumeurs malignes de cette famille. Le maintien d’une surveillance annuelle systématique par mammographie et échographie mammaire est indiqué. La poursuite des investigations moléculaires est recommandée par l’analyse des gènes BRCA chez une des 2 sœurs atteintes. Exploration du cas de la sœur atteinte d’un cancer du sein Cette femme âgée de 52 ans a présenté, à l’âge de 51 ans, une tumeur du sein droit correspondant histologiquement à un carcinome canalaire infiltrant peu différencié de grade III, RH+. Un traitement conservateur par tumorectomie et prélèvement du ganglion sentinelle a été effectué, suivi d’une chimiothérapie puis d’une radiothérapie. La recherche première de mutation constitutionnelle des gènes BRCA entreprise chez la sœur du cas index ne détecte aucune mutation délétère des gènes BRCA. Seul le variant faux-sens de l’exon 10 du gène BRCA2 identifié précédemment chez la sœur est retrouvé. Malgré l’absence de mutation délétère prouvant un syndrome de prédisposition héréditaire, l’implication d’autres gènes que BRCA1 et BRCA2 est suspectée, et la recommandation d’une prise en charge des risques tumoraux mammaire et ovarien est proposée à la patiente du fait du contexte généalogique. Pour prévenir le risque ovarien, une annexectomie bilatérale prophylactique postménopausique est indiquée. Concernant le risque mammaire, une surveillance annuelle par mammographie et échographie mam- maire est indiquée, qui pourra être complétée d’une IRM mammaire 1 an sur 2 (2). Séquençage de nouvelle génération en phase diagnostique. Analyse du cas index L’implantation en mai 2012 au laboratoire de génétique moléculaire de l’institut Bergonié du séquençage de nouvelle génération (Next-Generation Sequencing [NGS]) à visée diagnostique en oncogénétique a nécessité une phase expérimentale de validation, pendant laquelle 202 échantillons d’ADN constitutionnel des patient(e)s pris(es) en charge en consultation d’oncogénétique ont fait l’objet d’une recherche de mutation constitutionnelle des gènes BRCA par une technique de criblage EMMA et par NGS en parallèle (3). Dans ce cadre, l’échantillon d’ADN constitutionnel du cas index a été étudié par NGS (cf. Fiche technique, p. 139). La banque de capture génomique couvre les 451 exons et régions juxta-exoniques de 25 gènes. Ces gènes ont été groupés en 2 catégories selon les syndromes de prédisposition héréditaire dans lesquels ils sont le plus impliqués (cf. Fiche technique, p. 139) : 14 gènes pour les syndromes de prédisposition héréditaire au cancer du sein et/ou des ovaires (groupe HBOC) et 11 gènes pour les prédispositions héréditaires aux cancers colorectaux (polyposiques et non polyposiques), le syndrome de Gorlin et d’autres gènes de la cascade de transduction du signal (groupe OTHER) [4]. L’alignement et l’analyse des données brutes de séquençage de l’ADN constitutionnel du cas index ont permis de détecter un total de 24 270 variants nucléotidiques sur les 25 gènes étudiés. Les étapes de filtrage de ces variants ont porté tout d’abord sur la qualité et la quantité des séquences obtenues, puis sur la restriction aux régions génomiques cibles avec exclusion des variants intergéniques et des séquences profondes en amont et en aval des séquences codantes, et, enfin, sur leur fréquence allélique et la sélection des transcrits de référence. Ces étapes ont permis de restreindre le nombre de variants d’intérêt interprétables biologiquement au nombre de 45 pour les gènes du groupe HBOC et de 43 pour les gènes du groupe OTHER. Ainsi, pour BRCA1, 7 variants sont caractérisés, correspondant tous à des polymorphismes en déséquilibre de liaison et, pour BRCA2, 6 variants, correspondant tous à des polymorphismes connus, à l’exception du variant faux-sens de l’exon 10 de BRCA2 précédemment caractérisé. Ces résultats confirment donc les variants détectés en EMMA. Parmi les variants détectés sur les autres gènes, il est noté une substitution nucléotidique sous forme de transversion G>T, Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 Références 1. Caux-Moncoutier V, Castera L, Tirapo C et al. EMMA, a costand time-effective diagnostic method for simultaneous detection of point mutations and large-scale genomic rearrangements: application to BRCA1 and BRCA2 in 1,525 patients. Hum Mutat 2011;32:325-34. 2. Chirurgie prophylactique des cancers avec prédisposition génétique. Coll. Recommandations & référentiels. Boulogne-Billancourt : INCa, décembre 2009. 3. Walsh T, Lee MK, Casadei S et al. Detection of inherited mutations for breast and ovarian cancer using genomic capture and massively parallel sequencing. PNAS 2010;107:12629-33. 4. Sevenet N, Lafon D, Dupiot- Chiron J et al. Targeted resequencing in oncogenetics: developing a new approach for molecular diagnostics. San Antonio Breast Cancer Symposium 2012, Cancer Res 2012;72(24, Suppl. 3):abstr. PD05-04. 5. Houdayer C, CauxMoncoutier V, Krieger S et al. Guidelines for splicing analysis in molecular diagnosis derived from a set of 327 combined in silico/in vitro studies on BRCA1 and BRCA2 variants. Hum Mutat 2012;33:1228-38. 6. S outhe y MC, Teo ZL, Winship I. PALB2 and breast cancer: ready for clinical translation! Appl Clin Genet 2013;6:43-52. 145 Cas Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. clinique située en +1 de l’intron 7 du gène PALB2, au niveau du site donneur d’épissage (figure 2). Cette mutation abolit le site donneur d’épissage de l’intron 7, conformément à ce que prédit, notamment, le logiciel MaxEntScan. Cette mutation d’épissage peut donc être considérée comme délétère (5). Dans le cadre d’un séquençage exploratoire à visée informative, cette mutation incidente de PALB2 a été recherchée chez la sœur atteinte du cas index qui avait fait l’objet d’une recherche première de mutation des gènes BRCA et a été retrouvée. La co-ségrégation de cette mutation chez 2 sœurs atteintes est compatible avec son implication dans la pathologie tumorale présentée par ces 2 patientes. A B C Figure 2. Visualisation de la mutation d’épissage de l’intron 7 du gène PALB2 au niveau de l’ADN génomique du cas index et de sa sœur. A. Visualisation des séquences alignées sur la jonction exon 7-intron 7 de PALB2 sous Alamut version 2.3 (Interactive Biosoftware, Rouen). Les séquences alignées sont situées en dessous de la représentation du gène. Les taux de couverture sont symbolisés par des colonnes grises et situés entre les séquences alignées et le gène. La flèche rouge montre la substitution G>T en +1 de l’intron 7. B. Modélisation du retentissement sur le site donneur d’épissage de cette mutation de PALB2. Les scores des différents logiciels de prédiction de retentissement sur le site donneur (5’) sont présentés pour la séquence sauvage (au-dessus) et la séquence mutée (en dessous). Le score du site MaxEntScan est de 11,1 pour le site donneur sauvage et de 0 pour le site donneur muté. C . Confirmation par séquençage selon la méthode de Sanger de la substitution sur le site donneur d’épissage de l’intron 7 de PALB2 détectée en NGS. D. Détection par séquençage selon la méthode de Sanger de la mutation d’épissage familiale chez la sœur du cas index. 146 Pathogénicité de la mutation du gène PALB2 Le gène PALB2 (Partner and Localizer of BRCA2), qui a été identifié lors des expérimentations liées à la recherche de partenaires impliqués dans les complexes protéiques contenant BRCA2, code pour une protéine impliquée dans la réparation de l’ADN par recombinaison homologue, dont la fonction consiste essentiellement en la localisation à la chromatine et le recrutement au niveau des cassures double-brin de BRCA2 (6). Cette protéine, qui peut également être recrutée par BRCA1 lors des dommages causés à l’ADN, assure alors une fonction de lien entre BRCA1 et BRCA2 lors des étapes de la réparation proprement dite de l’ADN. Rapidement après sa caractérisation, des mutations de type perte de fonction ont été décrites, associées à un risque accru de cancer du sein, et des mutations bialléliques ont été détectées chez des patients atteints d’anémie de Fanconi, identifiant un nouveau groupe de complémentation (FANCN), dans lequel le risque de cancer de l’enfant est très élevé. Le risque tumoral de cancer du sein induit par une mutation constitutionnelle à l’état hétérozygote de PALB2 est difficile à estimer au regard du faible nombre de cas porteurs et des histoires familiales documentées de façon hétérogène (6). Les études de risque fondées sur les histoires familiales de cancer du sein mettent en évidence un risque cumulé de cancer du sein de l’ordre de 45 % chez les femmes porteuses d’une mutation de PALB2, ce qui est similaire aux mutations délétères de BRCA2. Suffisamment d’arguments semblent exister désormais pour considérer que le risque tumoral associé à une mutation hétérozygote de PALB2 justifie une prise en charge clinique à type de dépistage mammaire rapproché et, donc, l’inclusion de l’analyse de ce gène dans les éléments du conseil génétique concernant la prédisposition héréditaire au cancer du sein. La description de mutations délétères dans des gènes autres que BRCA pour les formes familiales de cancer du sein ou les syndromes sein-ovaire nécessite désormais la création de bases de données nationales collectant les résultats des analyses par NGS des situations de prédisposition héréditaire au cancer. Elle requiert également la mise en place de groupes nationaux pluridisciplinaires à même de conduire des études épidémiologiques permettant d’appréhender les risques tumoraux liés à la présence d’une mutation touchant les nouveaux gènes de prédisposition au cancer du sein. Une démarche concertée pourra alors être définie et des recommandations nationales de prise en charge pourront alors être rédigées. ■ Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 107745