ELLE ME PARLE COMME UNE MITRAILLETTE
L'INTERPRÉTATION DES ADVERBIAUX DE MANIÈRE QU- : LE CAS
DE PARLER ET DES VERBES DE « MANIÈRE DE PARLER »
Estelle Moline
Armand Colin | Langages
2009/3 - n° 175
pages 49 à 65
ISSN 0458-726X
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-langages-2009-3-page-49.htm
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Pour citer cet article :
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Moline Estelle, « Elle me parle comme une mitraillette L'interprétation des adverbiaux de manière qu- : le cas de
parler et des verbes de « manière de parler » »,
Langages, 2009/3 n° 175, p. 49-65. DOI : 10.3917/lang.175.0049
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Langages17549
Estelle Moline
Université duLittoral Côte d’Opale
HLLI-CERCLE, EA 4030
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1. INTRODUCTION
La présente étude se proposede contribueràladescription de larelation
sémantiqueentreunadverbialde manière etle prédicat verbal qu’il modifie.
Dans sestravaux consacrésaux adverbesde manièreen anglaiseten allemand,
Geuder(2000 ;2006)2soutientl’hypotseselon laquelle unadverbede
manièreactiveunargument sémantiquede lastructureconceptuelle dupré-
dicat verbal. Jem’intéresserai iciàuntype particulierd’adverbiaux de
manière,lescomparativesen comme modifiant un prédicat verbal, construc-
tionsanalyséesparde nombreux linguistescontemporainscomme relevant
d’un processus syntaxiquede relativation3,etj’avancerail’hypotse,quine
peut êtreveloppée ici,selon laquelle l’interprétation desautresadverbiaux
de manièrequ-(comme exclamatif etcommentinterrogatif) reposesur desca-
nismesanalogues4.
Aprèsavoirexposé lesprincipaux points communsetdifférencesentre les
constructionscomparativesetlesadverbesde manière en mentsur lesplans
syntaxique et sémantique,je m’attacheraiàladescription ducasparticulier
1. Violet& Desplechin,La vie sauve.La quasi-totalité desexemplesprovientde la basetextuelle
Frantext.
2.Cf. Geuder(2006 :121We have nowarrived atafairlyelaborateviewon howmannermodi-
fication maybe governed by the conceptualcomplexity of verbmeanings.Naturally, all that
could be done here is to lend thisclaim somme credibility ; there isno proof in the strict sense,
becausethe argumentation would becomplete onlyafterin-dephtanlyseshavebeen conducted
of eachsingle verbs type and its modifiers ».
3.NotammentLeGoffic1991, Desmets 2001 et 2008, Moline 2001 et 2008, Fuchs& LeGoffic2005,
Pierrard 1999, Pierrard etLéard2004.
4. Sur ce point, cf. Moline (àpar.aetb).
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De lamanière
danslequel une construction en comme est associée au verbeparler,en
m’appuyant sur uncorpus d’exemplesduXXescle issus de la basetextuelle
Frantext.L’étude sera complétée parl’examen de quelques verbesde « manière
de parler» (Eshkol & LePesant 2007)contenant unsème relatif au volume
(crierethurlerd’une part,chuchoteretmurmurerd’autre part).
2.ADVERBES DE MANIÈRE EN MENT
ET COMPARATIVES EN COMME
2.1. Pointde vuesyntaxique
Sur le plansyntaxique,lescomparativesen comme présententdesproprtés
analoguesaux adverbesde manière en ment,tellesqu’ellesontétéréperto-
riéesparNøjgaard 1995, Guimier1996ouMolinier& Levrier 2000.En particu-
lier,lesdeux typesd’adverbiaux permettentde répondreàune question en
comment:
(1) a.Iltravaille comment?
b.Comme son père/Admirablement
sont susceptiblesd’apparaître dans une construction clivée :
(2)a.C’est comme uncanard qu’il chante,pascomme unrossignol
b.C’est gentimentqu’il arépondu
sontinclus danslaportée de lanégation :
(3)a.S’il yavaitdesprincipesetdesloisfixes,lespeuplesn’en changeraient
pascomme nous changeonsde chemises. (Balzac, Le pèreGoriot),
b.Il n’apas répondugentiment.
peuventconstituerle foyerde l’interrogation :
(4) a.Est-ce qu’il travaille comme son père ?
b.Est-ce qu’il arépondugentiment?
sontcompatiblesavecles verbesquisous-catégorisent uncomplémentde
manière:
(5) a.Ils’est comportécomme un idiot
b.Ils’est comportébêtement.
Lesdeux typesd’adverbiaux peuventd’ailleurs êtrecoordonnés:
(6)Lesang l’étouffait ; il coulaitlentementetcomme une mousserouge.
(Mérimée,Colomba)
ce quisouligne lesparentés syntaxiqueset sémantiques5.
Lescomparativesen comme sontanalysablescomme des relativeslibres,
danslesquellescomme remplitlafonction d’adverbial de manière duprédicat
réalisé ouellipsé de Penchâssé. Plusieurs arguments permettentd’étayercette
5. Cf. Riegel etal. (1994 :524) :«[]la conjonction de constituants ne connaîtd’autrescontraintes
que l’identité de lafonction syntaxique des termesconjoints etl’homogénéité de leurs rôles
sémantiques».
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L’interprétation desadverbiaux de manièrequ-
hypotse,parmi lesquelslaportée de lanégation6.Quand Penchâssécontient
une négation, celle-ci ne porte pas sur le seul prédicat verbal,mais sur la
manière dontce prédicatest (aété/sera)réalisé,i. e. sur comme :
(7)Il parle comme jamaisil n’afait: [](Genevoix,La bteàche)
En (7),Penchâssénesignifie pasil n’avaitjamaispar,maisil n’avaitjamais
parainsi.
Enfin,lesadverbiaux de manièreremplissentle rôle syntaxique d’« épitte
du verbe » (Golay1959).
2.2.Pointde vuesémantique
Sur le plansémantique,lesadverbesde manière en – mentetlescompara-
tivesen comme présententàlafoisdespoints communsetdesdifférences.Dans
lesdeux cas,une certaine compatibilitésémantique entre le prédicat verbal et
l’adverbial de manière est cessaire pour que la construction soit sémantique-
mentacceptable :
(8) a. ?*Il dort (attentivement+ patiemment).
b. ?* Il dort comme (un éclair+unbouletde canon).
Lesdeux constructionsdiffèrentcependantparle mode d’interprétation de
lamanière. Dansle casdesadverbesde manière en -ment,lamanière est inter-
prétée àpartirde la base lexicale (le plus souventadjectivale) sur laquelle est
fondée larivation. Dansle casdescomparativesen comme,elle est interprétée
parle biaisd’une comparaison :l’interprétation de lamanière dont se déroule
le prédicatde Pmatricereposesur l’interprétation préalable de lamanière dont
s’est réalisé le prédicatde Penchâssé.
De plus,le mode d’interprétation de lamanièrevarie selon que la compara-
tivecorrespond ounon àune figurestylistique. Il faut en effetdistinguerles
comparatives« littérales» (Reboul 1991) oules«simplesexpressionscompara-
tives» (Tamba-Mecz1981) :
(9) Elle,elle parle comme vous. (Giraudoux,Cantiquedescantiques)
etlescomparatives« non littérales» (Reboul 1991) ou«tours comparatifs
figurés» (Tamba-Mecz1981) :
(10)Elle me parle comme une mitraillette. (Violet& Desplechin,La vie sauve)
Reboul (1991) amontré que dansle premiercasla construction est réver-
sible,tandisqu’elle ne l’est pasdansle second :
(11) a.Vous me parlezcomme elle.
b.* Une mitraillette me parle comme elle.
Lauteur indique en outre que lescomparativesnon littérales sontplus pro-
chesde lataphore que descomparativeslittérales.Tamba-Mecz(1981 :31-
32 ; 73)souligne quelesensfiguré ne résulte pasdu seul emploi d’unterme,
maisde l’engagementde ceterme dans une relation logico-sémantique,en
6.Pour d’autresarguments, cf. les travaux citésnote3.
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l’occurrenceune relation prédicative (comme une mitraillette parle). De plus,le
sensfiguré provientd’une distorsion entrelecontenulittéral de laprédication
etnosconnaissancesdumonde. En d’autres termes,s’il yafigure en (10), c’est
bien parce que d’un pointde vueréférentiel une mitraillette ne parle pas, au sens
de s’exprimeren utilisant un langage doublementarticulé. Danscetteaccep-
tion,le verbeparlerreçoitcessairement unsujethumain.
Lesconstructionsfiguréesetlittéralesdiffèrentparle mode d’interprétation
de lamanière. Lescomparativeslittérales sontdifficilementinterprétableshors
contexte. L’interprétation de lamanières’établitpar rapport àlasituation
d’énonciation,en relation avecdesconnaissancesextra-linguistiques relatives
aucomportementdu référentducomparantdansle domaine notionnel dupré-
dicat verbal,oubien encore grâceauco-texte:
(9’) Florencevavous parlerde moi. Jaime mieux êtreabsent.Etaussi je n’ai pas
votre genre de parole. Elle,elle parle comme vous.Vous m’avezdit trois
mots,maiscelam’asuffi pour voirqu’elle parle comme vous.Lesmêmes
liaisons.Le même accent.Elle avotre glotte, Florence,votre palais.
(Giraudoux,Cantiquedescantiques)
Dansles tours comparatifsfigurés,l’interprétation s’effectue par rapport
aux connotationsliéesàunterme employéfigurément.Dansl’exemple (10),
il peut sagir tout autantdubitquede lanaturemême despropos tenus
(lesparolespeuventêtreblessantes),interprétation corroborée parle co-
texte:
(10’) Je n’aime pas samanière de vouloirme soigner.Elle n’aime pasmamanière
d’être malade. MesIRM lui fontpeur.Pour se défendre,elle me parle
comme une mitraillette. Qu’importe,je ne comprendspaslesmots qu’elle
utilise. (Violet& Desplechin,La vie sauve)
Lescomparaisonsfiguréesetnon figuréesne doiventcependantpasêtre
conçuescomme deux classesdistinctes,mais relèventplutôtd’uncontinuum,
au sein duquel d’autresconstructionspeuventêtre dégagées.Outrecesdeux
types,il existe en effetdescomparaisonspartiellementlittéralesetdescompa-
raisonspartiellementfigurées.Lesconstructionsdonnéesen (11) :
(11) a.Monseigneur te parle comme un père[](Anouilh,Lalouette).
b.Jevous parle comme uncamarade ancien combattant. (Gary,Au-delàde
cette limitevotreticketn’est plus valable)
relèventde la comparaison littérale,danslamesure oùla« manière de parler»
d’uncamarade ancien combattantoucelle d’un pères’interprèteenrelation
avecnotre exrience dumonde. Cependant, cesconstructionsparaissentdiffi-
cilement réversibles:
(11’) a.?* Un pèrete parle comme Monseigneur.
b.?* Uncamarade ancien combattant vous parle comme moi.
ce quirésulte dufaitqu’en raison duterminantindéfini,le SN à droite de
comme ne désigne pas unréférentprécis,mais un modèle. L’emploi ducondi-
tionnel améliore l’acceptabilité:
(11’’) a.Un pèrete parleraitcomme Monseigneur.
b.Uncamarade ancien combattant vous parleraitcomme moi.
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