Les Défis de la Gestion des Connaissances en Contexte Interculturel

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Université LAVAL
Faculté des Sciences de l’Administration
Essai de Maîtrise en Administration des Affaires (MBA)
Les Défis de la
Gestion des Connaissances
en Contexte Interculturel
Sous la supervision de
Monsieur Gérard VERNA
Par Romain Tursi (03 262 201)
Québec, le 31 juillet 2006
Résumé
Dans l’élan de la mondialisation, les organisations sont plus fréquemment conduites à
opérer dans des contextes multiculturels. Cela conduit nécessairement à mettre en relation
des individus qui ont des valeurs distinctes et qui s’expriment différemment tant à travers
leurs langues que par leurs comportements. Parallèlement, les pratiques de gestion des
connaissances sont en constante diffusion dans les organisations, une présence croissante
qui s’inscrit dans une évolution vers l’économie de la connaissance.
La gestion des connaissances pose un certain nombre de défis qui se trouvent renforcés par
le contexte interculturel qui lui-même vient ajouter ses propres défis. C’est du jumelage de
ces défis que naît la complexité du tout ainsi formé : la gestion des connaissances en
milieu interculturel. Deux principaux types d’obstacles liés aux contextes interculturels et
influençant la gestion des connaissances ont été identifiés : les barrières linguistiques, et
les différences de comportement et de conception des relations humaines.
Chez Ernst & Young, nous avons vu que la standardisation des procédés, des qualifications
et savoirs et des normes, ainsi qu’une approche de codification des connaissances semblent
être deux des pratiques qui permettent à cette firme de faire face aux défis de
l’interculturalité en gestion des connaissances. Il semble que l’on puisse dire qu’elles
permettent de limiter les effets des barrières interculturelles en créant un contexte commun
à tous les collaborateurs. Ainsi, loin d’annihiler les obstacles de l’interculturalité, le but
d’Ernst & Young semble être de les contourner afin de tirer certains profits de sa diversité
culturelle et de la taille de son réseau sans pour autant pâtir des barrières qu’elles
occasionnent en termes de dialogue interculturel.
Mots-clés :
Gestion des connaissances, interculturalité
1
Préface
Pourquoi aborderons-nous la question de la gestion des connaissances en contexte
interculturel ? Ce choix résulte d’une succession d’expériences personnelles qui m’ont
conduit à m’intéresser tour à tour à la gestion des connaissances, puis aux questions du
partage des connaissances en contexte interculturel.
Mon intérêt pour la gestion des connaissances est né en 2002 lorsque je dirigeais Junior
Conseil Provence, entreprise étudiante de conseil en gestion de la Maîtrise en Sciences de
Gestion de l’Université de la Méditerranée (France). Une des particularités de Junior
Conseil Provence en tant qu’organisation est de connaître une rotation permanente de ses
participants et de sa direction. En effet, au rythme des sorties de promotions de la Maîtrise,
elle voit ses membres se renouveler perpétuellement. Ainsi, à chaque vague de départs, ce
sont de nombreuses connaissances qui s’en vont. C’est sur la base de ce constat, et dans
l’amertume de n’avoir pas pu lors de ma prise de fonction m’appuyer sur les deux
précédentes années d’expérience de l’association que, je me suis intéressé à la gestion des
connaissances.
Ce sont ensuite mes expériences personnelles en tant qu’étudiant étranger au Canada, et
plus particulièrement à l’Université Laval (Québec) et à McMaster University (Ontario)
qui ont éveillé ma curiosité sur la dimension interculturelle de la gestion des
connaissances. Outre la très ostensible barrière de la langue lors des cours dispensés en
anglais, une barrière bien plus perturbante et pourtant bien moins visible s’est présentée à
moi : l’absence de référents pour saisir l’intégralité des connaissances enseignées. En effet,
fréquemment le recours aux exemples utilisés par les professeurs pour illustrer leurs
propos ne m’était d’aucun secours. Et pour cause, il s’agissait fréquemment d’exemples
issus d’organisations, ou encore de produits qui m’étaient plus ou moins inconnus, car
propres à l’environnement canadien, voire nord américain.
Ainsi, dans le cadre du programme de MBA Gestion Internationale mon intérêt pour la
gestion des connaissances en contexte interculturel en a fait un sujet d’étude tout désigné
pour cet essai.
2
Remerciements
En préambule à cet essai je tiens à exprimer ma profonde gratitude envers mon Directeur
d’essai, Monsieur le Professeur Gérard Verna pour son encadrement et ses précieux
conseils.
Je remercie aussi Monsieur le Professeur Nabil Amara pour l’aide et les recommandations
méthodologiques qu’il m’a apportés.
Je souhaite saluer la qualité des commentaires de Mademoiselle Julie Ghez tant sur le fond
que sur la forme de cet essai.
Enfin, j’adresse également mes remerciements à Mademoiselle Anne-Aurélie Sappin pour
la minutie de son travail de correction.
3
Table des matières
1.
Introduction...................................................................................................................6
2.
Les défis inhérents à la gestion des connaissances........................................................9
2.1. Terminologie et définitions ....................................................................................10
2.1.1.
Terminologie..................................................................................................11
2.1.2.
Définitions .....................................................................................................13
2.2. Les caractéristiques des connaissances organisationnelles ....................................19
2.2.1.
Les formes des connaissances organisationnelles ...........................................20
2.2.2.
Le processus de création des connaissances organisationnelles.......................22
2.3. La gestion des connaissances.................................................................................26
2.3.1.
Raisons d’être de la gestion des connaissances ...............................................27
2.3.2.
Le climat collaboratif, condition nécessaire au partage des connaissances ......32
2.3.3.
L’arbitrage création / conservation .................................................................35
3.
Des défis renforcés par les difficultés intrinsèques à l’interculturel..........................39
3.1. Les a priori de l’interculturalité.............................................................................40
3.1.1.
Le choc des cultures.......................................................................................40
3.1.2.
La barrière des langues...................................................................................46
3.2. Les dimensions cachées de l’interculturalité ..........................................................57
3.2.1.
Les cinq dimensions d’Hofstede.....................................................................57
3.2.2.
La communication non-verbale selon Hall et Hall ..........................................63
4.
Étude de cas : Ernst & Young.....................................................................................69
4.1. Méthodologie.........................................................................................................69
4.1.1.
Observer quoi ?..............................................................................................69
4.1.2.
Observer qui : pourquoi Ernst & Young ? ......................................................70
4.1.3.
Observer comment : le choix de l’étude de cas ...............................................72
4.2. Analyse et interprétations ......................................................................................74
4.2.1.
Introduction à Ernst & Young ........................................................................74
4.2.2.
Gestion des connaissances et interculturalité chez Ernst & Young..................84
5.
Conclusions ..................................................................................................................89
5.1.
5.2.
5.3.
Synthèse.................................................................................................................89
Limites de l’étude...................................................................................................91
Ouvertures.............................................................................................................92
6.
Bibliographie ...............................................................................................................93
7.
Médiagraphie...............................................................................................................99
8.
Annexes ......................................................................................................................101
4
Table des Figures
Figure 1 : La spirale de création des connaissances selon Nonaka et Takeuchi (1997) ...........24
Figure 2 : Le processus de gestion des connaissances selon Demarest (1997) ........................27
Figure 3 : Évolution de la stratégie d’entreprise selon Saïas et Métais (2001) ........................29
Figure 4 : L’économie de la connaissance (Foray 2000) ........................................................30
Figure 5 : Questionnaire du « Collaborative climate index » Sveiby et Simons (2002)...........34
Figure 6 : L’arbitrage entre conservation et création de connaissances...................................36
Figure 7 : Carte mondiale des civilisations selon Huntington (1993)......................................42
Figure 8 : La langue, élément du langage. D’après Saussure (1995).......................................51
Figure 9 : Le signe linguistique dyiadique selon Saussure (1995) ..........................................52
Figure 10 : Le signe triadique selon Ogden et Richards (1936) ..............................................53
Figure 11 : Facteurs affectant la mise en phase de deux cultures d'après Hall et Hall (1990) ..64
Figure 12 : Les rôles du Center for Business Knowledge.......................................................78
Figure 13 : L’intranet KnowledgeWeb d’Ernst & Young.......................................................79
Figure 14 : Exemple d’interface d’un PowerPack ..................................................................80
Figure 15 : Exemple du contenu d’un PowerPack..................................................................81
Figure 16 : Exemple d’interface d’un Site Collectif dédié au commerce électronique ............82
Table des Tableaux
Tableau 1 : Les expressions pour désigner la gestion des connaissances ................................12
Tableau 2 : Le stock de capital réel aux États-unis (milliards de $, 1987) ..............................31
Tableau 3 : Recensement des langues parlées dans le monde.................................................47
Tableau 4 : Les 20 principales langues parlées dans le monde ...............................................48
Table des Graphiques
Graphique 1 : Nombre d'articles reliés à la gestion des connaissances parus dans des revues
avec comité de lecture de 1990 à 2005.............................................................................9
5
1. Introduction
Dans l’élan de la mondialisation, les organisations sont plus fréquemment conduites à
opérer dans des contextes multiculturels. Ce qui se traduit par des interactions avec des
partenaires de cultures différentes, en étant directement présentes sur des terrains
culturellement dissemblables à travers l’implantation et le développement d’activités, de
filiales, de co-entreprises ou encore par le biais de fusions ou d’acquisitions. Cela conduit
nécessairement à mettre en relation des individus qui ont des valeurs distinctes et qui
s’expriment différemment tant à travers leurs langues que par leurs comportements.
Parallèlement, l’économie poursuit sa transformation pour devenir une économie de la
connaissance où les avantages compétitifs sont plus majoritairement les fruits du capital
intellectuel selon Foray (2000). Cette évolution implique de porter une plus grande
attention à la création et au partage des connaissances. Un partage et un échange qui
peuvent ou doivent de plus en plus intervenir entre des individus de cultures différentes
lorsque l’organisation mobilise des ressources humaines culturellement hétérogènes. Ce
qui est, par exemple, le cas d’une firme de conseil comme Ernst & Young (INT ; Ernst &
Young France, 2006a) qui annonce sa volonté de mobiliser son réseau de collaborateurs à
l’échelle mondiale :
Le partage des connaissances et des sources d'information du réseau
Ernst & Young fournit à chacun de nos professionnels un réel avantage
dans la conduite de ses missions.
Quel que soit le secteur d'activité de nos clients, le lieu où ils
l'exercent, nous pouvons leur apporter le savoir et l'expérience des
100 000 collaborateurs Ernst & Young dans le monde.
[…]
Le Knowledge Management d'Ernst & Young, c'est la force d'un
réseau de 100 000 collaborateurs au service de votre entreprise
Les processus de gestion des connaissances impliquant la construction de connaissances,
leur capture, leur dissémination et leur utilisation (Demarest, 1997), de facto la gestion des
connaissances est concernée en tant que cadre disciplinaire par ce paradoxe du deuxième
monde (au sens de Karl Popper, le deuxième monde est celui de la réalité sociale à partir
duquel le chercheur extrait la problématique du troisième monde, soit celui du savoir
scientifique). Une réalité sociale où se croisent tendance à la mondialisation et orientation
vers une économie de la connaissance.
6
La question se pose donc de savoir, dans le cadre de la gestion des connaissances, quels
sont les défis inhérents à ce contexte multiculturel qui permet l’interaction d’individus de
cultures distinctes.
En toute hypothèse, les différences culturelles entre individus travaillant ensemble
influencent leurs interactions. On peut envisager que les différences de langues peuvent en
limiter la qualité, voire en réduire la quantité par un effet dissuasif. De même on peut
penser que les différences d’attitudes ne seront pas sans effet sur ces interactions du fait
des incompréhensions qu’elles peuvent faire naître. Or, si l’on postule que la qualité et la
quantité de ces interactions influencent la performance des organisations, il est donc
possible de dire que la prise en compte de ces différences culturelles influencera les
relations entre individus et in fine, la performance de leur travail commun.
Selon la loi de Metcalfe, « la valeur d’un réseau est égale au carré du nombre de ses
utilisateurs ». Or, comme le notent Hall et Hall (1990) les différences culturelles peuvent
constituer des difficultés de mise en phase des individus et leur compréhension mutuelle.
Ce qui peut nuire au nombre de connexions effectives au sein de l’organisation. On peut
donc considérer que les différences culturelles, en ce qu’elles peuvent représenter des
obstacles aux interactions nécessaires en gestion des connaissances, peuvent nuire à la
performance de l’organisation.
On peut identifier, notamment dans les travaux de Hofstede et Hall et Hall, un certain
nombre de manifestations des différences culturelles. Celles-ci devront être encadrées afin
de ne pas nuire à l’interaction des individus et par ricochet à la performance. Parmi ces
nombreuses manifestations, certaines présentent une réelle pertinence dans le cadre de la
gestion des connaissances, soit :
⊇ Les différences de langues
⊇ Les différences de comportements issues du degré de référence au contexte, de la
perception du temps, du degré d’individualisme, du niveau de distance hiérarchique, du
degré d’aversion au risque, du degré de masculinité, ou du degré d’orientation à long
terme
Ces variables seront étudiées à travers des sources secondaires dans le cadre d’une
réflexion générale sur la problématique de l’interculturalité en gestion des connaissances.
Puis nous appuierons notre recherche à l’aide d’une étude de cas en complétant notre
approche à la lumière de l’expérience de la firme Ernst & Young. Nous verrons comment
ces variables peuvent affecter les interactions entre individus de cultures distinctes et avoir
un impact sur la gestion des connaissances d’une organisation œuvrant en contexte
interculturel.
La gestion des connaissances doit aujourd’hui relever le défi de la réalité multiculturelle.
Face à cet enjeu, la discipline souffre pourtant d’un flou quant à la délimitation de son
objet. Quand elle n’est pas assimilée à la gestion de l’information comme le constate
Wilson (2002), son objet même, les connaissances, n’est parfois tout simplement pas
7
défini (Fahey et Prusak, 1999). Nous tenterons donc dans un premier temps de préciser le
champ disciplinaire de la gestion des connaissances (§ 2. Les défis inhérents à la gestion
des connaissances). Cette définition mettra en évidence les défis inhérents à l’exercice
même de la gestion des connaissances. Ces défis de fond se jumèleront de fait aux
difficultés intrinsèques du contexte interculturel quand la gestion des connaissances
s’effectue lors de la rencontre des cultures.
C’est pourquoi, dans un second temps il conviendra d’identifier un second groupe de défis,
ceux-ci étant liés à l’interculturel (§ 3. Des défis renforcés par les difficultés intrinsèques à
l’interculturel). Certains d’entre eux resteront spécifiques à l’interculturalité, d’autres
feront écho à ceux de la gestion des connaissances, et leur ensemble formera la difficulté
de la rencontre des cultures. De cette conjugaison entre les difficultés de gérer des
connaissances, et de vivre l’interculturalité naît un défi d’avenir : la gestion des
connaissances en milieu interculturel.
Enfin, nous complèterons cette analyse en nous intéressant au cas de la firme Ernst &
Young (§ 4. Étude de cas : Ernst & Young) qui, de par son secteur d’activité et sa présence
mondiale, est directement concernée par la question du partage des connaissances à
l’échelle globale. Nous verrons comment cette dernière appréhende ce défi de la gestion
des connaissances en contexte interculturel.
8
2. Les défis inhérents à la gestion des
connaissances
Si la problématique retenue pour cet essai est la perspective relative à l’interculturalité,
l’objet n’en demeure pas moins les connaissances et la gestion des connaissances.
Selon une enquête d’Earl (2002), publiée par Statistiques Canada et couvrant cinq soussecteurs de l’économie canadienne (foresterie et exploitation forestière; fabrication de
produits chimiques; fabrication de matériel de transport; grossistes-distributeurs de
machines, de matériel et de fournitures; et services de conseils en gestion et de conseils
scientifiques et techniques), neuf entreprises sur dix utilisaient au moins une des vingttrois pratiques de gestion des connaissances étudiées (selon la définition suivante de la
gestion des connaissances : « La gestion des connaissances a trait à toute activité
systématique de l'organisation liée à la saisie et au partage des connaissances »).
Par ailleurs une recherche a été effectuée sur la base de données Proquest (INT; Proquest,
2006). La recherche a été faite sur l’expression exacte « knowledge management » dans la
section « notice et résumé », en restreignant la recherche aux articles publiés dans des
revues avec comité de lecture le 08 mars 2006. Elle indique qu’un nombre croissant
d’articles reliés à la gestion des connaissances parait chaque année depuis le début de la
dernière décennie comme en atteste les résultats suivant (Graphique 1 : Nombre d'articles
reliés à la gestion des connaissances parus dans des revues avec comité de lecture de 1990
à 2005) :
Graphique 1 : Nombre d'articles reliés à la gestion des connaissances parus dans des
revues avec comité de lecture de 1990 à 2005
700
600
500
400
300
200
100
2005
2004
2003
2002
2001
2000
1999
1998
1997
1996
1995
1994
1993
1992
1991
1990
0
Articles repertoriés sur Proquest
100
La gestion des connaissances est donc un thème à la présence croissante dans la littérature
80
managériale et dont on observe que les pratiques sont en constante diffusion dans les
60
Est
40
Ouest
20
Nord
0
1er
2e
3e
4e
trim . trim . trim . trim .
9
organisations. Cette présence croissante des pratiques de gestion des connaissances dans
les organisations n’est pas sans raison. Elle s’inscrit dans une évolution économique où,
comme le note Foray (2000), les ressources les plus importantes ne sont plus la terre, le
capital ou le travail. En effet, ce dernier conclut que ce qui différencie désormais les
entreprises et leur procure des avantages concurrentiels durables est la maîtrise d’un
nouvel actif stratégique : les connaissances.
Cependant, Fahey et Prusak (1999) soulignent les problèmes liés à la définition des
connaissances en mangement, considérant même qu’une mauvaise définition de ces
dernières est une des causes les plus fréquentes d’échec dans la mise en œuvre de la
gestion des connaissances. C’est pourquoi nous veillerons à établir les termes et
définitions que nous retiendrons pour cet essai dans la section Terminologie et définitions
(§ 2.1). Une fois ces définitions posées, l’intérêt sera porté sur les caractéristiques des
connaissances organisationnelles (§ 2.2) en abordant leurs différentes formes et leur
processus de création. Enfin, nous nous intéresserons à la gestion des connaissances
(§ 2.3) à travers sa raison d’être dans le nouveau contexte économique, les conditions de
culture organisationnelle favorables à la mise en œuvre d’un programme de gestion des
connaissances, ainsi qu’à travers l’arbitrage qui doit être effectué entre création et
conservation des connaissances.
2.1. Terminologie et définitions
Selon Fahey et Prusak (1999), la mauvaise définition, voire l’absence totale de définition
de la notion de connaissances est une des principales causes d’échec des démarches de
gestion des connaissances.
Ainsi, et comme le souligne Wilson (2002) dans sa critique de la gestion des
connaissances, il règne une certaine confusion sur les notions de base que sont les
données, l’information et les connaissances. En témoigne le cas d’une entreprise de taille
comme Hewlett-Packard à propos de laquelle Davenport (1996 : 5) relaie les interrogations
de Chuck Sieloff (Manager of Information Systems Services and Technology chez
Hewlett-Packard) concernant la différence entre gérer des connaissances et gérer de
l’information :
Schneider and Sieloff also wonder just how different managing
"knowledge" is from managing information. Many of the HP
initiatives are arguably a mixture of knowledge and information, and
drawing the line between the two is difficult. Sieloff feels that the
same fact could be either data, information, or knowledge for different
people.
10
Et le flou est probablement encore plus important chez les francophones. En effet, là où les
anglophones parlent de « knowledge management », les francophones ont à disposition un
panel d’expressions bien plus large. Des expressions composées de termes portant chacun
leurs propres nuances. Nous reviendrons plus tard sur ces problèmes de traductions à
l’aide de l’éclairage de la linguistique, car déjà les obstacles à une gestion des
connaissances, lorsque le contexte est multiculturel et multilingue, commencent à émerger.
Ainsi, avant de clarifier la question des définitions (§ 2.1.2), nous essaierons d’exposer les
différents termes français retenus pour désigner la gestion des connaissances (§ 2.1.1).
2.1.1.
Terminologie
Différentes expressions sont utilisées en français pour désigner ce que les anglophones
nomment « knowledge management ». En effet, d’un auteur francophone à l’autre, voire
chez un même auteur, on retrouve l’usage de différentes expressions. Nous commencerons
donc par un bref examen qualitatif avec le recensement de la terminologie (§ 2.1.1.1) et
poursuivrons avec un volet quantitatif (§ 2.1.1.2).
2.1.1.1.
Recensement de la terminologie
Si l’on se réfère aux dictionnaires de traduction les plus classiques, on n’obtient pas moins
de huit expressions françaises qui peuvent être considérées comme équivalentes à
« knowledge management ». En effet :
⊇ Knowledge : Connaissance, Connaissances, Savoir, Savoirs
⊇ Management : Gestion, Management
Ainsi on obtient en français les combinaisons suivantes :
⊇ Gestion des connaissances
⊇ Management des connaissances
⊇ Gestion de la connaissance
⊇ Management de la connaissance
⊇ Gestion des savoirs
⊇ Management des savoirs
⊇ Gestion du savoir
⊇ Management du savoir
Toutefois, ces huit expressions ne suffisent pas à rassembler l’ensemble des termes
employés par les francophones pour désigner ce que nous nommons depuis le début de cet
essai « gestion des connaissances ». En effet, il est possible de constater empiriquement
11
que de nombreux francophones ont recours à l’expression anglophone « knowledge
management ».
Nous allons essayer de passer sommairement en revue ces expressions en les associant à
un panel d’auteurs ou d’organisations francophones qui les utilisent (Tableau 1 : Les
expressions pour désigner la gestion des connaissances). Cette recherche est basée sur les
papiers, les articles, les thèses et les ouvrages lus dans le cadre de cet essai et a été
complétée par une recherche sur la banque de données Proquest :
Tableau 1 : Les expressions pour désigner la gestion des connaissances
Expressions
Auteurs
Gestion des connaissances
Paraponaris (2002) ; Bayad & Simen (2003) ; AbecassisMoedas, Ben Mahmoud-Jouini, & Paris (2004)
Gestion de la connaissance
Baumard (2002) ; Boiral & Dostaler (2000)
Gestion des savoirs
Mansour & Gaha (2004)
Gestion du savoir
Camus & Cova (2002) ; Maltais & Mazouz (2004) ;
CEFRIO (Colloque « La gestion du savoir » les 18 et 19
novembre 2003) ; Santé Canada (INT; 1998)
Management des connaissances
Prax (1997) ; Paraponaris (2002) ; Bayad & Simen (2003) ;
Boiral & Dostaler (2000)
Management de la connaissance
Farastier & Ballaz (2004) ; Abecassis-Moedas, Ben
Mahmoud-Jouini, & Paris (2004)
Management des savoirs
Tarondeau (2002) ; Boiral & Kabongo (2004) ; Mbengue
(2004) ; Mansour & Gaha (2004)
Management du savoir
Camus & Cova (2002)
Knowledge Management
Prax (2000) ; Bayad & Simen (2003) ; Mbengue (2004) ;
Abecassis-Moedas, Ben Mahmoud-Jouini, & Paris (2004) ;
Boiral & Kabongo (2004)
Notons que nombre d’auteurs emploient souvent indifféremment ces expressions. Ainsi,
Paraponaris (2002) emploie indistinctement « Gestion des Connaissances » et
« Management des Connaissances ». Prax emploie les expressions « Management des
Connaissances » (1997) et « Knowledge Management » (2000) tout en parlant de
« manager la connaissance » (1997) sans que se dégage de réelle nuance. Baumard (2002)
parle de « Gestion de la Connaissance ». Enfin, Bayad et Simen (2003) emploient sans
distinction « Gestion des Connaissances », « Management des Connaissances » et
« Knowledge Management ».
Il ressort donc de cet aperçu non exhaustif de la littérature que les expressions semblent
fréquemment être considérées comme interchangeables. Pourtant, et nous le verrons
12
ultérieurement, les nuances entre les différents termes devraient permettre une utilisation
plus à propos et qui serait valorisée par la richesse qu’offrent ces nuances.
2.1.1.2.
Fréquence d’occurrence des expressions
Après un premier examen qualitatif des expressions désignant la gestion des
connaissances, nous abordons un aperçu plus quantitatif. L’objectif est d’évaluer quelles
sont les expressions les plus fréquemment utilisées. Pour avoir un aperçu rapide, nous nous
sommes basés sur le nombre d’occurrences de chacune des neuf expressions exactes
préalablement exposées sur le populaire moteur de recherche Google (INT; Google, 2005)
en restreignant aux pages francophones (recherche d’occurrences effectuée le 28 novembre
2005). Cette recherche nous a permis de constater que près de 90 % des occurrences vont
aux trois expressions suivantes : « gestion des connaissances » (32%), « knowledge
management » (31%) et « gestion du savoir » (24%). Pourtant des auteurs francophones
reconnus dans leur domaine n’utilisent pas ces termes. Par exemple, Jean-Claude
Tarondeau (2002) emploie l’expression « management des savoirs » pour titrer son
ouvrage, tandis que Philippe Baumard (2002) parle de « gestion de la connaissance ».
Ainsi, cette rapide analyse de la terminologie montre que pour désigner ce que les
anglophones nomment relativement unanimement « knowledge management », il n’y a pas
une expression standard qui émerge chez les francophones. Cette absence de standard sur
le nom même de la discipline laisse envisager une certaine disparité dans la conception de
cette activité.
2.1.2.
Définitions
Après avoir identifié les termes utilisés pour nommer la gestion des connaissances, nous
pouvons envisager de définir ce que nous entendons par la « gestion des connaissances ».
Mais auparavant, nous caractériserons les notions de données (§ 2.1.2.1.1), informations
(§ 2.1.2.1.2) et connaissances (§ 2.1.2.1.3) afin de clarifier l’objet de la gestion des
connaissances (§ 2.1.2.2).
2.1.2.1.
Définitions des termes de base
Wilson (2002) note que la confusion principale en matière de gestion des connaissances
réside dans une utilisation synonymique des termes « knowledge » et « information ». Soit,
connaissance(s) (ou savoir(s)) et informations en français. Il sera donc important de
montrer en quoi les connaissances sont différentes de l’information en détaillant la prise de
valeur progressive depuis les simples données jusqu’aux connaissances.
En effet, une connaissance n'est ni une donnée, ni une information. Nous verrons
différentes définitions de ces dernières et identifierons ce qui les différencie les unes des
autres afin de déterminer celle que nous retiendrons dans le cadre de cette étude.
13
2.1.2.1.1.
Donnée
⊇ Le Dictionnaire Larousse de la Langue Française définit une donnée comme un :
Élément fondamental servant de base à un raisonnement, une
discussion, un bilan, une recherche.
⊇ Le Dictionnaire Terminologique de l’Office Québécois de la langue française,
quant à lui, précise tout en ajoutant à la confusion avec le terme information :
Élément (fait, chiffre, etc.) qui est une information de base sur laquelle
peuvent s'appuyer des décisions, des raisonnements, des recherches et
qui est traité par l'humain avec ou sans l'aide de l'informatique.
⊇ Selon Santé Canada (INT ; 1998) les données sont des :
Faits, observations ou mesures qui ont été consignés mais qui n’ont
pas été intégrés à un contexte significatif. Une unique note de musique
est une donnée.
⊇ Enfin, Prax (2000) nous propose la définition suivante en affirmant :
Une donnée est un fait discret et objectif qui ne fait appel à aucune
intention ce qui lui confère son objectivité. Objectivité toutefois
relative, eu égard au biais de subjectivité qu’intègre l’instrument de
perception de la donnée.
Des données sont donc des éléments primaires, bruts, et relativement objectifs. Ce sont les
« briques » avec lesquelles nous bâtissons nos raisonnements.
2.1.2.1.2.
Information
⊇ Le Dictionnaire Larousse de la Langue Française nous donne la définition suivante
d’une information :
Renseignement obtenu de quelqu’un ou sur quelqu’un ou quelque
chose, en particulier une nouvelle communiquée au public par la
presse, la radio, etc.
⊇ Le Dictionnaire Terminologique de l’Office Québécois de la langue française nous
permet d’entrevoir le lien entre information et connaissance :
Renseignements consignés sur un support quelconque dans un but de
transmission des connaissances.
⊇ Santé Canada (INT ; 1998) poursuit dans sa métaphore avec la musique :
14
Données qui ont été organisées systématiquement de façon à établir un
ordre et une signification. Une série de notes organisées de manière à
former une mélodie constitue de l’information.
⊇ Enfin, Prax (2000 : 34) rejoint la définition de Santé Canada en établissant qu’une
information est une :
Collection de données organisées pour donner forme à un message.
Ainsi, une information résulte de l’organisation et de la contextualisation d’une ou de
plusieurs données. L’organisation résultant d’un choix, l’information est donc de fait
subjective. Ce caractère organisé confère donc à l’information une valeur ajoutée
supérieure à la donnée. On note aussi le lien qui s’opère entre information et connaissances
puisque cette première représente un vecteur qui permet de transmettre des connaissances.
2.1.2.1.3.
Connaissance(s)
⊇ Le Dictionnaire Larousse de la Langue française fait une distinction entre LA
connaissance et LES connaissances :
[La connaissance est une] Activité intellectuelle de celui qui vise à
avoir la compétence de quelque chose, qui étudie afin d’acquérir la
pratique ; cette compétence elle-même.
[Les connaissances sont] Ce que l’on sait pour l’avoir appris.
⊇ Le Dictionnaire Terminologique de l’Office Québécois de la langue française
établit la définition suivante :
Ensemble des notions et des principes qu'une personne acquiert par
l'étude, l'observation ou l'expérience et qu'elle peut intégrer à des
habiletés.
⊇ La définition offerte par le Dictionnaire de l’Académie Française (INT ; Académie
Française, 2005) renforce la distinction, mais aussi le lien, entre information et
connaissance :
Exercice de la faculté par laquelle on connaît et distingue les objets,
ainsi que les actes ou états du sujet. […] Ce que l'on connaît par
l'étude, l'expérience ou par tout autre moyen d'information.
⊇ Dominique Foray (2000 : 9) introduit la valeur supérieure des connaissances par
rapport aux informations en introduisant la notion de capacité cognitive :
La connaissance est d’abord fondamentalement une capacité
d’apprentissage et une capacité cognitive, tandis que l’information
reste un ensemble de données formatées et structurées, d’une certaine
15
façon inertes ou inactives, ne pouvant par elles-mêmes engendrer de
nouvelles informations.
⊇ Enfin, Prax (2000) soutient lui aussi cette supériorité de la connaissance en
affirmant :
Une capacité humaine acquise avec le temps, qui permet de relier des
informations en leur donnant du sens.
Ainsi, on retiendra qu’en management la connaissance est une faculté qui peut se nourrir
de l’information ou de l’expérience, une faculté capable de donner du sens aux
observations et aux informations, et de générer de nouvelles connaissances. Il importe de
bien distinguer la connaissance en tant que capacité cognitive et une ou les connaissances.
Distinction que l’on voit souvent s’opérer à travers l’usage des termes « savoir » ou
« savoirs » pour désigner une ou les connaissances. Les connaissances étant des éléments
actionnables dans la prise d’une décision, et dans la réalisation d’une opération. Comme le
confirme Mbengue (2004 : 2), « les savoirs sont de l’information et de la connaissance ».
Aussi, afin d’éviter les ambiguïtés, dans cet essai nous utiliserons l’expression « la
connaissance » uniquement pour parler de la faculté, tandis que les autres expressions (une
connaissance, un savoir, des/les connaissances, des/les savoirs) feront références à la
définition retenue pour « une » ou « les connaissances ».
Les données sont donc des éléments primaires et relativement objectifs qui, une fois
contextualisées et organisées, permettent de générer des informations. Des informations
qui, après structuration et interprétation, laisseront émerger des connaissances. Il y a donc
bien une valorisation progressive, un enrichissement de sens, depuis les données jusqu’aux
connaissances. Et données et informations n’ont finalement, en elles-mêmes, qu’un intérêt
réduit hors de ce processus de valorisation qui aboutit à la création de connaissances ayant
une utilité directe dans l’action et la prise de décision.
Toutefois, le processus d’enrichissement précédemment décrit dépend d’une capacité
humaine à organiser, structurer, et interpréter par l’individu qui reçoit ou collecte les
données ou informations. De la capacité de ce dernier et des connaissances dont il dispose
préalablement dépendra la qualification d’un même objet en donnée, information ou
connaissances. L’exemple proposé par Santé Canada (INT; 1998 : 10-11) dans le
document « Vision et stratégie pour la gestion du savoir et la GI/TI à Santé Canada » a
retenu notre attention pour expliciter cela :
Si, par exemple, un chirurgien cardiaque consigne la marche à suivre
pour une nouvelle technique de greffe, le contenu du document (c.-à-d.
l’information) deviendra du savoir s’il est lu par un autre chirurgien
cardiaque qui comprend le contexte et l’application de la méthode. Il
demeurera de l’information s’il est lu par un non-chirurgien, qui ne
comprend que la notion générale de greffe cardiaque; il deviendra «
données » s’il est mis sous les yeux d’une personne qui ne comprend
pas la langue dans laquelle il est rédigé.
16
L’analyse de cet exemple nous permet de penser que la capacité à tirer des connaissances
depuis des informations dépend des connaissances préalables que le récepteur a en
commun avec l’émetteur. Ces connaissances communes constituent un contexte partagé. Et
plus large sera ce contexte partagé, plus grande sera la capacité à accéder au degré des
connaissances. Deux chirurgiens partagent un large savoir sur les pratiques chirurgicales,
et cette base commune permet à chacun d’accéder aux connaissances spécifiques (mais
reliées à la base commune) de l’autre à travers des informations consignées sur un
document. En revanche si le récepteur ne partage que la langue et une certaine culture
générale avec l’émetteur, il ne retirera que de l’information qu’il ne saura pas mettre en
œuvre. Enfin, celui qui ne partage aucune connaissance avec l’émetteur n’accédera qu’au
niveau des données.
La notion de contexte partagé entre l’émetteur et le récepteur prend donc toute sa
dimension et son importance quand on sait à quel point la culture définit un contexte de
compréhension commun à des individus qui la partagent. En effet, notre culture nous
fournit tout un ensemble de référents que nous utilisons, même inconsciemment, pour
analyser, interpréter et comprendre. On entrevoit donc que le défi d’établir un contexte
commun sera probablement rendu plus complexe du fait des différences culturelles.
2.1.2.2.
Définition de la gestion des connaissances
Ayant posé les définitions que nous retenons pour les termes de base, nous pouvons
désormais aborder la définition de la gestion des connaissances. Pour cela, nous allons
dans un premier temps présenter des définitions retenues par des auteurs ou des
organisations francophones. Dans un second temps, nous présenterons la définition que
nous retiendrons.
⊇ Selon Mbengue (2004 : 15) :
Le management des savoirs est un processus à travers lequel les
organisations tentent de faire fructifier leurs ressources immatérielles.
La plupart du temps cela nécessite de partager des savoirs entres
employés, services, filiales et même différentes organisations
(concurrents, fournisseurs, clients, institutions,…) dans le but d’établir
les meilleures pratiques.
D’où les deux activités clés de la gestion des connaissances (Mbengue, 2004 : 15) :
La codification (des savoirs explicites) et l’interaction (pour
l’acquisition des savoirs tacites à travers le transfert d’expérience et la
pratique)
⊇ Au sens de Prax (2000 : 17), la gestion des connaissances est un :
17
Processus de création, d’enrichissement, de capitalisation et de
diffusion de savoirs qui implique tous les acteurs de l’organisation, en
tant que consommateurs et producteurs
⊇ Pour Statistiques Canada (2001 : 29) :
La gestion des connaissances a trait à toute activité systématique de
l’organisation liée à la saisie et au partage des connaissances
⊇ Enfin, Santé Canada (INT ; 1998 : 11) définit son management des savoirs comme
une :
Stratégie ministérielle qui vise à veiller à l’identification, à la saisie, à
la création, au partage, à l’analyse, à l’utilisation et à la diffusion du
savoir en matière de santé, de façon à maintenir et à améliorer la santé
des Canadiens et des Canadiennes.
Les idées clés qui découlent de ces définitions sont que la gestion des connaissances est un
processus multidisciplinaire qui vise à exploiter au mieux les ressources immatérielles que
sont les connaissances en gérant leur acquisition, leur identification, leur diffusion et leur
utilisation.
Toutefois si nous retenons la définition précédemment énoncée comme postulat dans cet
essai, dans l’absolu la gestion des connaissances ne saurait être définie de façon très stricte
et tranchée. D’une part, comme le note Jimenez-Candia (2005), les termes « gestion » et
« connaissance » sont deux notions abstraites qui ne peuvent donner naissance qu'à un
concept lui-même abstrait. D’autre part, De Vos, Lobet-Maris et Rousseau (2005)
rappellent qu’elle implique une grande diversité de champs disciplinaires. En effet, la
gestion des connaissances engage une grande variété d’actions (tant du point de vue
technologique qu’humain) et est généralement définie par l’organisation qui la met en
œuvre. Ainsi la gestion des connaissances peut être considérée comme une démarche
stratégique pluridisciplinaire qui vise l’accomplissement des objectifs de l’organisation en
faisant une utilisation optimale de la ressource connaissances.
En définitive, la gestion des connaissances, en tant que champ disciplinaire relativement
récent, est caractérisée par une terminologie disparate et une certaine diversité dans la
définition d’un même concept. Toutefois des tentatives de standardisation de la matière
sont en œuvre. C’est notamment le cas au niveau européen où des propositions d’un cadre
de travail commun sont en cours d’élaboration comme celui proposé par Weber, Wunram,
Kemp, Pudlatz et Bredehorst. (2002). Selon ces derniers, les principaux avantages que
pourrait offrir une standardisation sont une amélioration de la compréhension partagée
(grâce à plus de transparence dans les concepts), une accessibilité accrue pour un plus
grand nombre d’usagers, une plus grande aisance de communication et enfin cela
permettrait de supporter de futures recherches en leur permettant de démarrer à un pallier
plus élevé. Cependant les auteurs précisent que cette démarche pourrait aussi avoir des
18
répercussions négatives (perte en créativité et flexibilité ; risque d’être dépassé avant
même d’être défini) inhérentes à toute approche de standardisation.
Toujours selon Weber et al. (2002), jusqu’à présent les principaux standards de gestion des
connaissances ont été développés au sein de la branche orientée technologie de la
discipline alors que leur démarche vise à proposer une standardisation dans la branche
orientée humain (celle basée sur le constructivisme, les principes cognitifs, et les notions
d’interaction). Toutefois, les auteurs s’accordent à reconnaître que la compatibilité entre
constructivisme et standardisation reste à évaluer. Par ailleurs, ils précisent que cette
standardisation pourrait s’effectuer à différents degrés, par exemple : meilleures pratiques,
approche commune, directives, cadre de référence, ou réels standards. En définitive, la
finalité de ces démarches serait de parvenir à une standardisation de la terminologie, de
l’application et de l’implantation de la gestion des connaissances en Europe en nommant
les éléments essentiels de la gestion des connaissances et en définissant leurs relations
entre eux pour servir de référence pour les implantations et applications.
Ainsi, comme nous l’avons vu dans cette première section, un des premiers défis de la
gestion des connaissances est celui de sa définition, à travers notamment son objet. Si l’on
peut supposer qu’un contexte interculturel rendra plus complexe l’exercice de la gestion
des connaissances, de la même manière qu’il rend plus complexe toute activité de
management, alors il importait de bien définir le concept de gestion des connaissances
avant d’envisager en quoi et comment elle est complexifiée par l’interculturalité. C’est sur
l’assise de ces définitions préliminaires que nous discuterons dans la prochaine section des
caractéristiques des connaissances organisationnelles (§ 2.2).
2.2. Les caractéristiques des connaissances organisationnelles
Sur la base des définitions des connaissances et de la connaissance proposées
précédemment, on pourra en déduire que la connaissance organisationnelle est une
capacité à donner un sens organisationnel aux informations reliées, un sens pertinent dans
l’atteinte des buts de l’organisation. Robert Reix (1995 : 17), pour sa part, conçoit les
connaissances organisationnelles comme un « ensemble de connaissances individuelles,
spécifiques ou partagées ». À travers cette définition, il insiste sur le fait que les
connaissances sont avant tout un attribut de l’individu ce qui le conduit à préférer
l’expression « connaissances dans l’organisation » à l’expression « connaissances de
l’organisation ».
Nous allons dans un premier temps aborder les formes des connaissances
organisationnelles, puis leur processus de création en s’appuyant sur les travaux de
Nonaka et Takeuchi (1997).
19
2.2.1.
Les formes des connaissances organisationnelles
Les connaissances se manifestent sous différentes formes. Par exemple, les philosophes
grecs distinguaient quatre formes comme le rapporte Baumard (1996) :
⊇ L'Episteme
l’entreprise),
(connaissance
universelle,
partagée,
préservée,
patrimoine
de
⊇ La Techne (capacité à accomplir une tâche),
⊇ La Phronesis (sagesse pratique et sociale, singulière, l’expérience vécue),
⊇ La métis (connaissance conjecturale et oblique).
Toutefois, la segmentation dichotomique la plus utilisée en sciences de l’administration,
repose sur la distinction entre formes « explicite » et « tacite » (Polanyi, 1966 in Prax
(2000) ; Nonaka et Takeuchi, 1997 ; Reix, 1995). Les connaissances explicites sont des
connaissances formalisées (par exemple un manuel) tandis que les connaissances tacites
sont intangibles (par exemple un savoir-faire). Cependant quel que soit le paradigme
retenu (sociologique, psychologique, managérial,…), le découpage dichotomique sur la
nature des connaissances repose invariablement sur la même logique. Nous aborderons
donc cette première segmentation que Nonaka et Takeuchi (1997) qualifient de dimension
épistémologique pour en évaluer les défis concernant la gestion des connaissances, et
comment ceux-ci pourraient s’avérer plus complexes en contexte interculturel, tant pour
les connaissances explicites (§ 2.2.1.1) que tacites (§ 2.1.2.2).
2.2.1.1.
Les connaissances explicites
S’appuyant sur les travaux de Polanyi, Nonaka et Takeuchi (1997) affirment que les
connaissances explicites sont des connaissances formalisées, codifiées. Par ce biais, elles
peuvent être conservées ou communiquées sans altération de sens entre un émetteur et un
récepteur disposant d’un langage systématique commun comme les mots, les nombres,… Il
s’agit d’un type de connaissances que Prax (2000 : 55) décrit comme étant « à propos des
évènements passés ou d’objets situés quelque part et à un certain moment, et sous-tend la
formulation d’une théorie générique, libre de tout contexte ». Les connaissances explicites
sont de natures conceptuelles et abstraites, ce qui leur permet ainsi d’avoir un large champ
d’exploitation, avec toutefois une nécessaire adaptation au contexte.
2.2.1.2.
Les connaissances tacites
Toujours selon Nonaka et Takeuchi (1997), les connaissances tacites ne sont pas
formalisées et sont difficilement transmissibles. Ce sont les compétences, les expériences,
l'intuition, les secrets de métier, les tours de main qu'un individu a acquis et échangés lors
20
de relations à l'intérieur et à l'extérieur de son organisation. Les connaissances tacites sont
cognitives et techniques, personnelles, dépendantes du contexte, difficiles à formaliser
(voire non formalisables) et à transmettre, plutôt subjectives. Elles correspondent à des
modes de travail qui expriment des perspectives, des croyances, des définitions du monde.
Ce sont les images de la réalité d'une personne inscrites dans la vie et l'expérience de
chacun. Elles concernent les éléments techniques et pratiques: le savoir-faire, les habitudes
professionnelles, l'habileté, l'expertise sont mobilisés simultanément pour la réalisation
d'une tâche ou d’une routine.
Au sein des connaissances tacites, telles qu’elles sont envisagées par Nonaka et Takeuchi
(1997), on peut encore distinguer deux sous-catégories comme le font Kakabadse,
Kouzmin et Kakabadse (2001) : les connaissances tacites non formalisées mais
formalisables et les connaissances tacites non formalisables. Toutefois, Wilson (2002)
conteste cette interprétation et affirme que les connaissances tacites dont parle Polanyi
sont par essence non formalisables, et qu’il convient de clairement distinguer une
troisième catégorie de connaissances dites implicites qui sont des connaissances
codifiables mais non encore codifiées. En effet, les connaissances tacites (au sens retenu
par Wilson (2002)) ne sont pas formalisables, soit qu’elles relèvent d’expériences
sensorielles non accessibles au vocabulaire, comme faire du vélo et savoir nager, ou
qu’elles relèvent d’une connaissance inconsciente (Vinck, 1997).
Cette différence entre connaissances tacites et implicites (Reix, 1995 ; Vinck, 1997) est
celle dont parle Polanyi (1967 in Reix (1995)) lorsqu’il affirme que « nous savons plus que
ce que nous pouvons exprimer ». La transmission de ce type de connaissances fortement
imprégnées de leur contexte ne pourra donc s’opérer que par imitation et imprégnation du
contexte et de la culture organisationnelle dans lesquels elles ont un sens. Nonaka et
Takeuchi (1997) les considèrent comme centrales dans le processus de conversion et donc
de création des connaissances que nous aborderons plus tard (§ 2.2.2).
Toutefois, il faut quand même noter que la distinction entre connaissances explicites et
tacites ne saurait être caractérisée par une frontière stricte. En effet, Polanyi (1958 in
Kakabadse et al. (2001)) reconnaît que cette distinction tacite/explicite ne constitue pas un
découpage franc, tant la forme tacite constitue une part indispensable de tout savoir. En
effet, « all knowledge is either tacit or rooted in tacit knowledge » (Polanyi, 1966 :7 in
Kakabadse et al. (2001)). Vinck (1997 : 60) va dans le même sens en considérant que le
savoir scientifique est, paradoxalement, essentiellement tacite, et que les thèses et
publications ne sont que la « pointe de l’iceberg ».
Ainsi une large part des connaissances des organisations est de nature tacite (Reix, 1995)
ou s’appuie sur des connaissances tacites, et est donc difficilement transférable. En effet,
comme le note Levitt (1991 in Nonaka et Takeuchi (1997)), « la connaissance la plus
précieuse ne peut être ni enseignée, ni transmise » [NDLA : comprendre dans ce cas « la
connaissance » au sens de « les connaissances »], ce qui peut s’avérer problématique dans
notre approche.
21
Les organisations disposent donc de connaissances tacites et explicites. La gestion de ces
dernières appelle, de fait, la prise en compte de la différence entre ces connaissances
puisque ces formes distinctes renvoient à des activités et des défis différents.
En effet, la gestion des connaissances explicites de l’organisation implique de diffuser ou
de rendre accessible les supports de ces savoirs. Ce qui peut se traduire, par exemple, dans
le cadre d’une démarche de documentation comme la méthode MEREX, par la mise à
disposition des fiches de retour d’expérience. Le défi consiste donc d’une part à
rassembler et recenser ces connaissances explicites, et à les rendre accessibles. Or les
rendre accessibles n’est pas qu’une question physique, il s’agit aussi de s’assurer que ces
connaissances codifiées le seront dans un code commun à ses destinataires potentiels, ou
compréhensible pour ces derniers. On entrevoit déjà ici que la tâche sera plus complexe
dès lors qu’il y aura hétérogénéité culturelle chez les destinataires potentiels, notamment
lorsque ceux-ci ne parlent pas la même langue. Nous reviendrons sur ce point dans la
partie 3 de cet essai (§ 3), car on peut d’ores et déjà penser que nous tenons bien là un défi
de la gestion des connaissances qui sera rendu plus complexe en contexte interculturel.
Quant aux connaissances tacites, nous avons vu que ces dernières semblent être à la base
de tout savoir (Polanyi, 1966 Kakabadse et al. (2001)). Si une partie d’entre elles sont
codifiables, et répondent aux défis inhérents aux connaissances explicites dans le cadre de
leur possible codification et de leur diffusion, une autre partie n’est tout simplement pas
codifiable. Et son partage ne saurait s’opérer qu’à travers la mise en relation des individus.
Les défis qui naissent de cette nécessaire mise en relation sont de multiple nature, il s’agit
par exemple de savoir qui sait quoi, ce à quoi répondent les « répertoires d’experts », ou
toute autre pratique de type « pages jaunes » ou « cartographie des connaissances ». Mais
au-delà de savoir qui sait quoi, il s’agit ensuite de mettre en relation et en interaction des
individus. Là encore, c’est un défi de la gestion des connaissances que l’on peut imaginer
complexifié dans un cadre interculturel. Une fois de plus revient la question de la langue,
mais plus largement encore la question de la rencontre des cultures.
2.2.2. Le processus de création des connaissances
organisationnelles
La distinction entre connaissances tacites et explicites a mis en évidence des défis pour la
gestion des connaissances dans l’optique du partage et de l’échange de connaissances.
Mais nous avions postulé que la gestion des connaissances est un processus
multidisciplinaire qui vise à exploiter au mieux les ressources immatérielles que sont les
connaissances en gérant leur acquisition, leur identification, leur diffusion et leur
utilisation. Donc, gérer les connaissances d’une organisation c’est aussi gérer et stimuler la
création de connaissances (acquisition).
De plus, la théorie de la création des connaissances développée par Nonaka et Takeuchi
(1997) considère que la fonction première de l'entreprise est de créer un avantage
22
concurrentiel basé sur le savoir collectif et que le rôle des managers est d'orienter les
activités de création de connaissances. C’est pourquoi nous allons désormais aborder le
processus de création des connaissances organisationnelles. Pour cette description, nous
nous appuierons essentiellement sur la théorie élaborée par Nonaka et Takeuchi, et dont ils
rendent compte dans « La connaissance créatrice, la dynamique de l’entreprise
apprenante » (1997). Nous commencerons par présenter les conditions nécessaires à ce
processus (§ 2.2.2.1), puis le processus lui-même (§ 2.2.2.2).
2.2.2.1.
Les conditions nécessaires au processus
Les connaissances naissent, selon Nonaka et Takeuchi (1997), d’une interaction entre deux
types de connaissances. D’une part les connaissances explicites, qui sont des
connaissances clairement articulées et qui peuvent être conservées sur un support écrit, et
les connaissances tacites qui sont non-codifiées voire non-codifiables. Le degré de création
est cependant dépendant de certaines conditions. Nonaka et Takeuchi (1997) en identifient
cinq nécessaires à la mise en place de ce qu’ils nomment la « spirale de création de
connaissances » : « l’intention », « l’autonomie », la « fluctuation » (ou « chaos créatif »),
la « redondance », la « variété requise ».
« L’intention » prend forme dans la stratégie de l’organisation, c’est un cap donné en
matière de connaissances à créer auquel doivent adhérer les membres de l’organisation.
C’est cette intention qui permet de juger la valeur des connaissances créées, « c’est une
échelle de valeur nécessaire » (Nonaka et Takeuchi, 1997 : 98) ;
« L’autonomie », par le biais d’un principe de spécification critique minimum (Morgan,
1986 in Nonaka et Takeuchi (1997)), offre une large latitude pour la création de
connaissances et la recherche de réponses nouvelles par un champ d’évocation plus large
pouvant faire appel à un plus grand nombre de programmes (March et Simon, 1964) ;
La « fluctuation » ou « chaos créatif » est une technique qui permet d’opérer une rupture
périodique des routines et des habitudes. Dans le management japonais décrit par Nonaka
et Takeuchi (1997), cet état de fluctuation s’obtient par le biais de « l’ambiguïté
stratégique » qui conduit à une « ambiguïté interprétative » (1997 : 103) cette dernière
étant source d’interprétations différentes par les membres de l’organisation qui, par le
dialogue et la communication de leurs interprétations, enrichiront les réponses potentielles.
La « redondance » et la « variété requise » ont pour objet de permettre aux membres de
l’organisation une meilleure compréhension de cette dernière dans sa globalité. Ces
corollaires de l’organisation plate et flexible que prônent Nonaka et Takeuchi (1997) se
traduisent par un accès à un ensemble d’informations plus varié que celui jugé nécessaire
ou encore par des rotations de personnels.
Les cinq conditions que nous venons d’énoncer (intention; autonomie; fluctuation ;
redondance; variété requise) vont donc être favorables à la réalisation du cycle de création
de connaissances dans l’organisation que nous abordons ci-après (§ 2.2.2.2).
23
2.2.2.2.
Le cycle de création : la spirale
Le processus de création des connaissances par le biais de conversions successives est un
processus cyclique et itératif, que Nonaka et Takeuchi (1997) appellent « la spirale de
création des connaissances ». La spirale de création de connaissances organisationnelles
est un processus qui amplifie de manière organisationnelle les connaissances des individus
qui font partie du réseau de l'organisation. La création de connaissances organisationnelles
y est le fruit des cycles de conversions des connaissances, de tacite en explicite et
inversement.
Ainsi, selon Nonaka et Takeuchi (1997), il y a création de connaissances quand deux types
de connaissances se rencontrent. C’est un processus cyclique de création (Figure 1 : La
spirale de création des connaissances selon Nonaka et Takeuchi (1997)) qui repose sur les
interactions entre connaissances tacites et explicites donnant lieu à quatre modes de
conversions des connaissances mis en lumière par Nonaka et Takeuchi (1997) :
Figure 1 : La spirale de création des connaissances selon Nonaka et Takeuchi (1997)
⊇ La « socialisation » (tacite vers tacite) est un « processus de partage d’expérience »
(1997 : 83). La socialisation représente le processus de transmission de connaissances
tacites. Il s'agit donc de transmettre des modèles mentaux ou des compétences
techniques. Cette transmission peut très bien se faire sans échanges verbaux. En effet,
la transmission d'un tour de main s'effectue généralement par l'observation, l'imitation
et surtout la pratique. Comme le soulignent Nonaka et Takeuchi, la clé pour acquérir
une connaissance tacite, c'est l'expérience ;
⊇ « L’extériorisation » (tacite vers explicite) est un processus qui permet le passage
de connaissances tacites en connaissances explicites, sous la forme de concepts, de
modèles ou d’hypothèses. La modélisation d'un concept est très souvent déclenchée par
le dialogue et l'échange avec d'autres individus par le biais d’analogies ou de
métaphores ;
⊇ La « combinaison » (explicite vers explicite) consiste en l’articulation de
différentes connaissances explicites. C’est un processus de création de connaissances
24
explicites à partir de la restructuration d'un ensemble de connaissances explicites
acquises par différents canaux de communication ;
⊇ « L’intériorisation » (explicite vers tacite) est une notion liée à « l’apprentissage en
faisant », c’est le passage du savoir au savoir-faire. Cette conversion est celle que l’on
retrouve dans les processus d'apprentissage avec des supports, des documents, des
manuels, etc.
Ce processus de conversion repose sur le postulat suivant : « La connaissance humaine est
créée et étendue au travers de l’interaction sociale entre connaissances tacites et
explicites » (Nonaka et Takeuchi, 1997 : 82) [NDLA : comprendre dans ce cas « la
connaissance » au sens de « les connaissances »].
À partir des éléments évoqués précédemment, Nonaka et Takeuchi (1997) proposent un
modèle de processus de création de connaissances organisationnelles en cinq phases
chronologiques et cycliques. Dans un premier temps intervient le « partage des
connaissances tacites » entre les individus d’une équipe afin de créer des connaissances
par socialisation, puis intervient la « création des concepts » qui consiste à extérioriser les
connaissances tacites partagées en les verbalisant pour finalement les cristalliser en
concepts explicites. S’en suit la « justification de ces concepts » qui vise à établir dans
quelle mesure ces concepts sont pertinents pour l’organisation. Le cas échéant, cette étape
est suivie de la « construction d’un archétype » soit quelque chose de concret et tangible
pour l’organisation (par exemple un prototype dans le cas du processus de développement
d’un nouveau produit). Enfin intervient « l’extension des connaissances » à un niveau
ontologique supérieur (d’une équipe à une unité par exemple), puis, à nouveau, un
« partage des connaissances »…. À travers ces phases on retrouve les dimensions
épistémologique (du partage des connaissances tacites à la construction de l’archétype) et
ontologique (lors de l’extension à un autre niveau organisationnel).
Ainsi le processus de création de connaissances de Nonaka et Takeuchi (1997) suppose,
d’une part, la présence de conditions adéquates à son déroulement optimal, et d’autre part,
des interactions entre les connaissances. Ce qui n’est pas sans nous laisser envisager
d’éventuelles difficultés supplémentaires dès lors que l’on y superpose les complexités de
l’environnement interculturel.
En effet, concernant les conditions contextuelles, Glisby et Holden (2003) et Wilson
(2002) contestent la validité du modèle hors des frontières nipponnes en considérant que
ces conditions ne sont propres qu’au modèle culturel japonais. Weir et Hutchings (2005)
tempèrent toutefois en affirmant que même si la théorie de Nonaka et Takeuchi (1997) est
à prendre avec des précautions hors du contexte japonais, elle n’en demeure pas moins
pertinente dans son application dans d’autres cultures comme les cultures arabes ou
chinoises dans lesquelles les deux auteurs ont testé le modèle. En notant, cependant, que
les conditions nécessaires peuvent varier. Par exemple, Weir et Hutchings (2005) mettent
en avant que la notion de confiance entre les individus sera une condition supplémentaire
de grande importance dans la culture arabe.
25
Par ailleurs, les productions de savoirs au cours des différentes interactions prévues par
Nonaka et Takeuchi (1997) laissent entrevoir de possibles complexités supplémentaires
liées à l’interculturalité. La socialisation, mettant en relation des connaissances tacites,
suppose donc la mise en relation d’individus, on peut ainsi suggérer que cette interaction
peut être rendue plus complexe lorsqu’elle concerne des individus de cultures différentes.
L’explicitation (du tacite vers l’explicite) quant à elle conduira à produire des savoirs
explicites dont l’usage par d’autres peut conduire aux difficultés que nous avions
envisagées plus tôt concernant les savoirs explicites et leur diffusion (la question d’un
code commun, notamment à travers la langue). Ce problème d’accessibilité se retrouvant
aussi de facto dans le chemin inverse de l’explicite vers le tacite (intériorisation). Enfin, la
combinaison (explicite vers explicite) est nécessairement aussi affectée par la question des
langues puisqu’il s’agit de combiner des connaissances codifiées dans une langue
spécifique, un code spécifique. Ce sont ainsi toutes les phases du processus qui se trouvent
concernées par les défis de l’interculturalité.
Ainsi, tant le partage des connaissances sous les formes explicites et tacites, que la
création de connaissances dans le processus d’interactions créatives de Nonaka et
Takeuchi (1997) sont des défis pour la gestion des connaissances. Des défis qui semblent
être rendus plus complexes dès lors qu’ils doivent être relevés dans un contexte
interculturel.
2.3. La gestion des connaissances
Nous avions défini précédemment que la gestion des connaissances est un processus
multidisciplinaire qui vise à exploiter au mieux les ressources immatérielles de
l’organisation (§ 2.1.2.2). Ce processus engage donc différents acteurs de l’entreprise.
Sans être exhaustif, on peut considérer qu’il implique depuis la Direction pour donner
l’impulsion et le cap, jusqu’au département des Technologies de l’Information pour mettre
en œuvre les infrastructures, en passant par le département de ressources humaines pour la
gestion du capital humain. De plus, la gestion des connaissances peut s’opérationnaliser à
travers un large éventail d’actions qu’Earl (2003) regroupe sous six thèmes : Politiques et
stratégies; Leadership; Incitations; Saisie et acquisitions des connaissances; Formation et
mentorat; Communications. On retrouvera par exemple des actions aussi diverses que la
gestion des compétences, la veille stratégique ou la gestion de contenus.
Demarest (1997) définit le processus de gestion des connaissances comme un processus
impliquant la construction de connaissances, leur capture, leur dissémination et leur
utilisation (Figure 2 : Le processus de gestion des connaissances selon Demarest (1997)).
La construction de connaissances consiste en la découverte ou la structuration d’un savoir.
La capture des connaissances se réfère au choix d’un support pour véhiculer le savoir
construit. La dissémination est le fait de diffuser au sein de l’organisation les
connaissances capturées. Enfin l’utilisation réfère à la mise en œuvre des-dites
26
connaissances dans l’organisation. De prime abord cette définition semble ne s’adresser
qu’à la gestion des connaissances explicites. On peut néanmoins admettre qu’elle reste
pertinente en matière de connaissances tacites si on considère, d’une part, que la capture
consiste dans ce cas en l’identification et le fait de répertorier des porteurs de
connaissances tacites, et que, d’autre part, la dissémination suppose la diffusion et
l’accessibilité de ces répertoires, mais concerne aussi l’interaction qui s’établira entre le
demandeur et le porteur de connaissances.
Figure 2 : Le processus de gestion des connaissances selon Demarest (1997)
Source: Demarest (1997 : 376)
Sur le postulat de cette définition de Demarest (1997) pour caractériser en quoi consiste le
processus de gestion des connaissances, nous aborderons dans la section qui suit la raison
d’être de la gestion des connaissances dans le nouvel environnement économique (§ 2.3.1).
Puis nous présenterons les conditions nécessaires à une gestion des connaissances efficace
(§ 2.3.2), et nous compléterons en abordant la question de l’arbitrage entre création et
conservation des connaissances (§ 2.3.3).
2.3.1.
Raisons d’être de la gestion des connaissances
Selon Foray (2000), les connaissances sont devenues la base du fonctionnement de
l’activité économique. Deux phénomènes y concourent : la tendance historique à
l’accroissement de l’intensité des emplois intellectuels dans la production et, plus
récemment, le développement de technologies affectant la transmission, l’acquisition et la
codification des connaissances.
27
Les connaissances sont un enjeu à la fois microscopique, à l’échelle de l’organisation
(Nonaka et Takeuchi, 1997), et macroscopique, à l’échelle d’une économie (Foray, 2000).
Un enjeu qui influe donc sur les stratégies individuelles des organisations mais aussi sur
leur environnement. C’est pourquoi nous aborderons ce sujet en deux sections. Une
consacrée à l’aspect microscopique à travers l’évolution des stratégies d’entreprise
(§ 2.3.1.1), l’autre dédiée à ce nouvel environnement économique qu’est l’économie
fondée sur les connaissances (§ 2.3.1.2).
2.3.1.1.
L’évolution de la pensée stratégique
Selon Saïas et Métais (2001), la stratégie d’entreprise s’est développée jusqu’à une période
récente par rapport au concept de « positionnement concurrentiel ». Il en résulte que
l’adéquation stratégique était considérée comme une philosophie de base. D’après Saïas et
Métais (2001 : 185), deux principes fondamentaux soutenaient l’adéquation stratégique :
⊇ « pour assurer sa pérennité, l'entreprise doit s'adapter à son environnement;
⊇ pour réussir, l'entreprise doit acquérir un avantage concurrentiel puis le
défendre. »
Cette école de pensée se structure par rapport à deux notions clés : la matrice SWOT
(Strengths / Weaknesses ; Opportunities / Threats) du Boston Consulting Group d’une
part, et l’avantage concurrentiel d’autre part. Et le principe d'adéquation provient du fait
que l'analyse externe est prévalente, puisqu'elle oriente ensuite les décisions de
l’organisation.
Selon Saïas et Métais (2001), alors que les travaux sur le profil concurrentiel prenaient un
caractère systématique, il devenait logique de rechercher un avantage concurrentiel solide
et durable. Le second courant du développement de l’adéquation stratégique prenait ainsi
sa pleine dimension. Une fois mises à jour les caractéristiques de l'environnement, la
problématique se centrait sur la manière dont l’organisation pouvait prendre un avantage
durable sur ses concurrents.
Mais cette vision déterministe de stratégie subie est désormais remplacée, selon Saïas et
Métais (2001) par les stratégies d’intention qui se donnent pour objectif de transformer les
règles du jeu de l’environnement et de créer de nouveaux espaces concurrentiels. Cette
philosophie repose sur deux présupposés : d’une part, la poursuite d’une vision très
ambitieuse à long terme ; d’autre part, un développement fondé sur un portefeuille de
compétences centrales.
Le concept d’intention, dans le paradigme stratégique précédemment cité, s’appuie sur
l’idée que le jeu concurrentiel n’est pas une donnée absolue et permanente, mais un
construit sur lequel les entreprises peuvent exercer une influence. Cette notion d’intention
est apparue au milieu des années 1980, en réaction au déterminisme de l’industrie propre à
28
l’approche classique. Une conception de la stratégie radicalement opposée à l’adéquation
est alors proposée selon Saïas et Métais (2001) : à partir de ses propres ressources et
compétences centrales, une entreprise peut transformer les conditions de l’environnement
(Figure 3 : Évolution de la stratégie d’entreprise selon Saïas et Métais (2001)). C’est ainsi
que l’on est passé d’une stratégie de position favorable aux « mastodontes » à une stratégie
de mouvement dont la conséquence directe est le « small is beautiful ».
Figure 3 : Évolution de la stratégie d’entreprise selon Saïas et Métais (2001)
Source : Saïas et Métais (2001 :184)
De plus, selon Saïas et Métais (2001), les compétences centrales représentent, en théorie,
des points de repère clairs et relativement stables, par opposition aux domaines d’activités
et aux produits, dont la variété s’est accrue sensiblement, et dont le cycle de vie s’est
raccourci. Ainsi, les auteurs poursuivent en affirmant que tout produit ou service n’est que
la matérialisation à un moment donné des compétences centrales, qui seules permettent de
comprendre le positionnement concurrentiel de l’entreprise.
Cette nouvelle approche est à la base des entreprises en tant qu’organisations dites
« apprenantes ». En effet, dès lors que le mouvement et la transformation ont été érigés en
priorité, dès lors que la stratégie s’est focalisée sur les compétences centrales, c’est-à-dire
sur le savoir et la connaissance, l’apprentissage organisationnel auquel se sont intéressés
Argyris et Schön (2002) est devenu un thème majeur de la stratégie d’entreprise.
Ainsi, les stratégies individuelles et les paradigmes stratégiques changent et donnent
désormais une grande importance aux connaissances. Des connaissances que les
organisations ont pour défi de mobiliser. Or pour les entreprises opérant à l’international,
il s’agit de connaissances dispersées dans diverses cultures.
29
Parallèlement à cette évolution des stratégies, l’environnement économique lui aussi
évolue vers ce que Foray (2000) nomme une économie de la connaissance. Nous verrons
ci-après (§ 2.3.1.2) ce qui caractérise cette économie.
2.3.1.2.
L’avènement de l’économie de la connaissance
Nous aborderons dans les prochains paragraphes les caractéristiques de l’économie de la
connaissance et les facteurs de son avènement. Précisons tout d’abord que l’économie de
la connaissance est une économie fondée sur les connaissances. Elle érige le savoir, non
plus comme un simple facteur de production, mais comme une production à part entière
qui fait de l’innovation, non pas une étape de l’accumulation d’un stock de valeurs, mais
un processus continu déterminant le développement concurrentiel. Selon Foray (2000), elle
est un « bien économique » et le Prix Nobel d’économie Kenneth Arrow (1962) la
caractérisait comme tel dès les années 1960.
Foray (2000) propose une définition de l’économie de la connaissance à deux niveaux.
Une conception étroite et centrée sur les savoirs qu’il nomme « économie du savoir ». Et
une conception étendue qui inclut « économie de l’information » et « économie du savoir »
(Figure 4 : L’économie de la connaissance (Foray 2000)).
Figure 4 : L’économie de la connaissance (Foray 2000)
Économie du savoir
Économie de l’information
Recherche, éducation, lien avec la
croissance, apprentissage et
compétence
Conception étroite
Chance, ignorance, incertitude, risque,
rôle des anticipations, rôles des prix,
théorie de la décision
Conception étendue
Économie de la connaissance
Toujours selon Foray (2000), l’avènement de l’économie fondée sur les connaissances
trouve son origine dans deux grandes tendances au sein des pays développés.
Premièrement l’augmentation continue de la part du capital intangible, et deuxièmement la
diffusion croissante des nouvelles technologies de l’information et de la communication
(NTIC).
30
L’augmentation de la part du capital tangible se reflète principalement à travers la
croissance du poids de la recherche & développement et des investissements dans le
capital humain, notamment à travers l’éducation et la formation (Tableau 2 : Le stock de
capital réel aux États-unis (milliards de $, 1987)).
Tableau 2 : Le stock de capital réel aux États-unis (milliards de $, 1987)
Années
1929
1948
1973
1990
Composantes du stock réel
Total du capital tangible
6 075
8 120
17 490
28 524
Structure et équipements
4 585
6 181
13 935
23 144
268
471
1 000
1 537
Ressources naturelles
1 222
1 468
2 555
3 843
Total du capital intangible
3 251
5 940
17 370
32 819
Éducation et formation
2 647
4 879
13 564
25 359
567
892
2 527
5 133
37
169
1 279
2 327
Stocks
Santé, sécurité, mobilité
Recherche & développement
Source : D. Foray (2000)
Une des manifestations de la montée en puissance de la R & D est le volume des dépôts de
brevet. Comme en témoignent les statistiques de l’Organisation Mondiale de la Propriété
Intellectuelle (INT; 2005), le brevetage est en forte et constante augmentation sur le
dernier quart de siècle et pourrait exploser selon l’issue de débats sur l’éthique comme
celui sur le brevetage du vivant.
Outre le renforcement du poids de la R & D, c’est aussi le capital humain qui prend une
dimension considérable sous l’impact de l’éducation et de la formation. L’importance
donnée au capital humain se traduit très clairement par la part croissante du travail qualifié
et hautement qualifié par rapport au travail faiblement qualifié sur les marchés du travail
des économies des pays développés (Foray, 2000).
Ainsi, l'économie du savoir se caractérise par une demande accrue de travailleurs qualifiés.
Cette forte progression du travail qualifié est intimement liée à la diffusion des NTIC. Et
plus rapide et forte est l'introduction de moyens de production à forte intensité de savoir,
comme ceux qui reposent sur les technologies de l'information, plus forte est la demande
de travailleurs qualifiés.
La diffusion des NTIC a, en effet, connu un essor spectaculaire, et il existe de toute
évidence des liens de causalité entre l’apparition des technologies de l’information et de la
31
communication et le développement des économies fondées sur la connaissance. Si
l’évolution de ces technologies n’est plus un fait nouveau, en revanche son accélération est
récente (Cette et Noual, 2003) et date de la fin des années 1990, avec la convergence du
secteur des médias, de l’informatique et des télécommunications.
Ainsi dans ce nouvel environnement où prédominent les stratégies de transformation
permanente basées sur les savoirs et où les connaissances sont désormais un bien
économique à part entière, gérer ses connaissances devient un défi déterminant pour la
performance de l’organisation. De plus, dès lors que l’organisation œuvre dans un contexte
interculturel, ce sont des connaissances générées au sein de différentes cultures qu’elle
doit gérer.
Or, selon Rodan (2002) l’accès à des connaissances hétérogènes influe positivement sur la
capacité à innover. Un contexte interculturel est donc, en toute hypothèse, hautement
propice à cette hétérogénéité créatrice. On peut donc envisager que le défi de la gestion
des connaissances en contexte interculturel va au-delà de la simple protection contre les
obstacles liés aux différences culturelles. Il s’agit effectivement de tirer profit d’un tel
environnement. En effet, si les différences culturelles peuvent, d’une part, apparaître
comme une menace, ou un facteur nuisant au partage des connaissances à l’échelle de
l’organisation, ces dissemblances culturelles pourraient, d’autre part, être mises à profit
dans le sens où elles offrent des opportunités de création de nouvelles connaissances.
2.3.2. Le climat collaboratif, condition nécessaire au partage des
connaissances
À l’aide des travaux de Nonaka et Takeuchi (1997), nous avions évoqué les conditions
requises (intention, autonomie, fluctuation, redondance et variété requise) par le processus
de création de connaissances dans la théorie des auteurs nippons (§ 2.2.2.1). Nous
compléterons en abordant plus largement les conditions de culture organisationnelle
favorables au partage des savoirs nécessaire à la gestion des connaissances. Ce qui nous
permettra d’identifier les points qui pourraient être rendus plus complexes en contexte
interculturel.
La gestion des connaissances implique le partage des savoirs entre les acteurs de
l’organisation. Or, comme l’avancent Sveiby et Simons (2002), bien que les bénéfices du
partage de connaissances semblent démontrés (Stewart, 2001 in Sveiby et Simons (2002)),
l’efficacité de ce dernier diffère considérablement d’une organisation à l’autre (Argote et
Ingrame, 2000 in Sveiby et Simons (2002)). Selon Sveiby et Simons (2002), cette
efficacité peut être favorisée par une culture organisationnelle de collaboration et de
confiance.
Nous avions vu que les connaissances sont des éléments actionnables dans la prise d’une
décision, dans la réalisation d’une opération (§ 2.1.2.2). Par cette capacité de prise de
32
décision qu’elles confèrent, elles permettent d’être le « point de réduction de
l’incertitude » de l’organisation, ce qui constitue un facteur de pouvoir (March et Simon,
1964). De ce fait, les acteurs de l’organisation peuvent être peu enclins à partager ces
connaissances et le pouvoir qu’elles leur confèrent. Selon Hackett (2000 in Sveiby et
Simons (2002)), cette « culture de la thésaurisation des connaissances » serait le second
plus important obstacle à la mise en œuvre d’un programme de gestion des connaissances
– après la perception de la nécessité de gérer les connaissances. Von Krogh & Roos (1996)
considèrent que le facteur le plus important affectant le partage des connaissances est le
niveau de confiance. Une gestion des connaissances efficace nécessite donc un climat
collaboratif au sein de l’organisation (INT; Sveiby, 2001).
Pour déterminer ce qui caractérise un environnement collaboratif, on peut se référer à
l’Indice de climat collaboratif (« The collaborative climate index ») conçu par Sveiby et
Simons (2002). Cet indice évalue le niveau de collaboration à partir d’un questionnaire
détaillé en quatre catégories de questions, auxquelles doivent répondre les employés d’une
organisation, concernant : la culture organisationnelle, l’attitude de son supérieur
hiérarchique, son attitude pour partager les connaissances et celle de ses collègues de
travail (Figure 5 : Questionnaire du « Collaborative climate index » Sveiby et Simons
(2002)). Chacune des 20 questions est assortie d’une échelle de Likert de 1 à 5, 1
exprimant « pas du tout d’accord » et 5 « complètement d’accord ». Les questions font
essentiellement référence à l’intensité, la qualité, la motivation et l’incitation à partager les
connaissances horizontalement (au sein des équipes de travail et entre équipes) et
verticalement (entre les niveaux hiérarchiques) mais aussi à créer ou introduire de
nouvelles connaissances. Un climat très collaboratif, donc propice au partage des
connaissances, sera caractérisé par la présence des conditions énoncées ci-avant.
Ainsi, l’établissement d’un climat de confiance et de collaboration apparaît comme un défi
de la gestion des connaissances. Or, on peut penser que cette confiance peut être plus
difficile à installer entre des individus de cultures différentes. Le défi serait donc rendu
plus complexe en contexte interculturel.
33
Figure 5 : Questionnaire du « Collaborative climate index » Sveiby et Simons (2002)
34
2.3.3.
L’arbitrage création / conservation
Si une des raisons d’être de la gestion des connaissances se situe au niveau de la maîtrise
de la ressource stratégique « connaissances », alors un des défis auxquels doit répondre la
gestion des connaissances est l’arbitrage se situant au niveau de l’équilibre entre
conservation et création de connaissances.
Selon Prax (2000 : 17), la gestion des connaissances est un « processus de création,
d’enrichissement, de capitalisation et de diffusion de savoirs qui implique tous les acteurs
de l’organisation, en tant que consommateurs et producteurs ». Cette définition laisse
apparaître deux pôles que nous nommerons pôle de création (création et enrichissement) et
pôle de conservation (capitalisation et diffusion). Ces deux pôles peuvent être interprétés
comme les deux extrémités d’un axe de gestion des connaissances entre « tout
conservation » et « tout création ».
Ainsi la gestion des connaissances fait face à une problématique de recherche du subtil
équilibre entre création et conservation, identité et recherche d’altérité. En effet, la sécurité
sous l’angle de la stabilité et du maintien des connaissances qui ont fait la force de
l’organisation ne doit pas se traduire par une dangereuse ossification de ces connaissances,
c’est-à-dire une cristallisation qui ne permettrait plus d’évolution. Il s’agit selon Reix
(1995) de ne pas tomber dans le piège d’un conformisme risqué à long terme en croyant
que la recette des succès d’hier peut suffire à conquérir l’avenir. Ce risque est exprimé par
Nonaka et Takeuchi (1997 :187) sous l’expression « suradaptation aux succès passés »
qu’ils utilisent pour comprendre la lourde défaite de l’Armée Impériale Japonaise contre
l’Armée des États-Unis lors de la seconde guerre mondiale. Enfermées dans la certitude
des paradigmes militaires qui avaient fonctionné lors de précédentes guerres, les troupes
japonaises ont ainsi payé un lourd tribut pour avoir privilégié l’adaptation à l’adaptabilité.
Ainsi si les stratégies de conservation présentent un intérêt en termes d’efficience à court
terme comme le note Reix (1995), elles ne contribuent pas à une dynamique de long terme.
En effet, que l’on considère l’environnement comme une donnée ou un paramètre, celui-ci
est nécessairement conduit à changer et l’organisation devra donc être au moins capable de
s’y adapter à défaut d’avoir initié cette évolution. À une échelle internationale, et a fortiori
interculturelle, le défi est donc de concilier économie d’échelle globale et renouvellement
nécessaire des connaissances.
Nonobstant, il semble que nombre d’entreprises intègrent cette problématique d’équilibre
entre conservation et création en fonction du dynamisme de l’environnement. C’est du
moins ce que laisse présumer une étude menée sur des PME italiennes par Corso, Martini,
Paolucci, et Pellegrini (2000) qui montre que lorsque les productions sont « sur
catalogue » (environnement plutôt stable) les entreprises s’orientent en priorité vers des
démarches de capitalisation des connaissances, alors que les entreprises produisant « sur
commande » (option plus adaptée à un environnement dynamique) ont plus tendance à
préférer des approches basées sur une communication des connaissances plus apte à créer
des connaissances.
35
Toutefois, nous noterons que ces deux types de démarches correspondent au pôle
conservation que nous avons défini auparavant, ce qui pourrait donc paraître contradictoire
avec notre dernier propos concernant les démarches de communication (diffusion). Mais,
au même titre que le pôle création, le pôle conservation n’est pas monolithique. Ses deux
constituants ont des positions distinctes sur ce que nous nommons l’axe de gestion des
connaissances entre « tout conservation » et « tout création ». L’essentiel étant d’équilibrer
sa balance en fonction de son environnement (Figure 6 : L’arbitrage entre conservation et
création de connaissances) et de sa capacité à influencer son environnement.
Figure 6 : L’arbitrage entre conservation et création de connaissances
Par ailleurs, dans le cadre de la problématique des démarches de gestion des
connaissances, il ne faut pas perdre de vue un élément essentiel qui caractérise les
organisations commerciales : l’objectif est le profit, et ce dernier est dégagé lorsque la
valeur des outputs est supérieure au coût des inputs. Malgré son évidence, ce principe n’est
pas forcément toujours au cœur des réflexions dans les démarches de gestion des
connaissances. En effet, conserver, acquérir ou créer des connaissances représente un coût
et devra donc être à l’origine d’une création de valeur supérieure à ce coût. C’est ce
qu’expriment Kakabadse et al. (2001: 149) lorsqu’ils affirment : « It is important to focus
on knowledge that is critical – knowledge relevant to business – and not lose energy to
manage all knowledge ».
C’est donc un défi pour la gestion des connaissances que d’identifier les connaissances à
gérer et à partager au sein de l’organisation. Reconnaître ce qui doit être partagé et entre
qui. Car toutes les connaissances n’auront pas nécessairement d’apport pertinent dans tous
les domaines de l’organisation. Il ne s’agit pas de tenter de tout partager, mais de repérer
36
ce qui présente un réel intérêt. Dans le cas d’une présence internationale, il s’agit par
exemple de définir ce qui peut et doit être partagé d’une zone géographique à une autre.
C’est ce que fait la firme Ernst & Young tel que le rapporte Davenport (1997): « The
Global Knowledge Committee was discussing what knowledge domains could be shared
geographically ». Le défi de la gestion des connaissances n’est donc pas seulement
d’envisager le « comment partager », mais aussi de délimiter le « quoi partager », soit de
concilier économie d’échelle globale et usages locaux des connaissances (Holden, 2001)
ce qui conduit in fine à identifier le « entre qui partager ».
Ainsi, la gestion des connaissances a pour défi d’optimiser la contribution des
connaissances dans le but d’atteindre les objectifs de l’organisation. Que ce soit en mettant
l’emphase sur la création ou la capitalisation des connaissances. Or dans cet arbitrage sur
la priorité entre conservation et création, la gestion des connaissances, dans sa dimension
interculturelle, devra prendre en compte les implications de la rencontre des cultures. En
effet, tel que nous l’avions déjà envisagé précédemment, l’interculturalité peut avoir une
influence sur le partage et la diffusion en les rendant plus complexes d’une culture à une
autre, mais représente aussi une opportunité de création.
Les pratiques de gestion des connaissances sont en constante diffusion dans les
organisations et cette présence croissante s’inscrit dans une évolution vers l’économie de
la connaissance. La connaissance est une faculté capable de donner du sens aux
observations et aux informations, et de générer de nouvelles connaissances qui sont ellesmêmes des éléments mobilisables dans l’action. Et la gestion des connaissances est un
processus multidisciplinaire qui vise à exploiter au mieux ces ressources immatérielles que
sont les connaissances en gérant leur acquisition, leur identification, leur diffusion et leur
utilisation.
Ces connaissances peuvent être explicites ou tacites. Les premières présenteront des défis
qui consisteront à les collecter et les rendre accessibles en s’assurant notamment que ces
connaissances codifiées le seront dans un code commun à ses destinataires potentiels, ou
compréhensible pour ces derniers. Les secondes impliqueront un partage qui ne saurait
s’opérer autrement qu’à travers la mise en relation des individus. Il s’agira donc de savoir
« qui sait quoi » et de permettre et faciliter une interaction entre les individus idoines. La
qualité de cette interaction constituera un défi pour la gestion des connaissances qui en
toute hypothèse sera plus difficile dans un cadre interculturel eu égard aux barrières de la
langue et plus largement encore à la question de la rencontre des cultures. En effet, un
climat de confiance et de collaboration pourra être plus difficile à instaurer entre des
individus de cultures différentes.
Le partage des connaissances, sous leur forme tacite ou explicite, semble donc plus
complexe en contexte interculturel, tout comme la création de connaissances lorsqu’on la
conçoit dans le cadre de la théorie de Nonaka et Takeuchi. En effet, les différents modes
37
de conversion des connaissances seront probablement affectés par les barrières de langues
ou encore lors des interactions humaines interculturelles.
De plus, outre les conditions dans lesquelles se déroulent partage et création des
connaissances, l’identification des connaissances à partager au sein de l’organisation
constitue aussi un défi pour la gestion des connaissances. Celui de reconnaître ce qui peut
et/ou doit être partagé et entre qui.
Par ailleurs, si l’on se repositionne dans le cadre de l’économie de la connaissance, et que
l’accès à des connaissances d’origines multiculturelles influe positivement sur la capacité
à innover alors le défi de la gestion des connaissances en contexte interculturel va au-delà
de la simple protection contre les obstacles au partage et à la création de connaissances liés
aux différences culturelles. Il s’agit dès lors de tirer profit d’un tel environnement propice
à la création de nouvelles connaissances.
Ainsi, la gestion des connaissances pose un certain nombre de défis que l’on peut penser
renforcés par le contexte interculturel qui lui même vient ajouter ses propres défis. C’est
du jumelage de ces derniers que naît la complexité du tout ainsi formé : la gestion des
connaissances en milieu interculturel. Nous aborderons donc subséquemment ces défis
propres au contexte interculturel et qui ont une influence plus ou moins directe sur la
gestion des connaissances (§ 3).
38
3. Des défis renforcés par les difficultés
intrinsèques à l’interculturel
Nous avons recensé précédemment un certain nombre de défis inhérents à la gestion des
connaissances (§ 2). Il s’agissait essentiellement de :
⊇ s’assurer d’un contexte partagé entre l’émetteur et le récepteur,
⊇ mettre en relation et en interaction les acteurs de l’organisation,
⊇ partager les connaissances tacites et explicites en prenant en compte leurs
particularités respectives,
⊇ mettre en œuvre des conditions propices au partage et à la création de
connaissances,
⊇ identifier les connaissances à partager,
⊇ concilier économie d’échelle globale, renouvellement nécessaire des connaissances,
et usages locaux des connaissances.
Pour chacun de ces défis, nous avons vu qu’un contexte interculturel rendrait
probablement ces derniers plus complexes en conjuguant défis de la gestion des
connaissances et défis de l’interculturalité.
Une interculturalité qui peut se concevoir comme un contexte qui met en contact et en
interaction des individus de cultures différentes. Selon le Réseau International sur la
Politique Culturelle (RIPC, 2004), même si la définition de l'interculturalité continue
d'évoluer, un consensus semble se dégager chez certains universitaires et spécialistes de la
culture qui définissent l’interculturalité comme « l'interaction, l'échange et la
communication entre les cultures où une personne reconnaît et accepte la réciprocité
d'autrui » (RIPC, 2004).
L’interculturalité est donc un concept englobant qui met en jeu les notions spécifiques de
cultures, d’altérité, de communication et d’interaction. Chacun de ces traits se manifeste à
travers des dimensions visibles a priori (§ 3.1), mais aussi des « dimensions cachées »
(§ 3.2).
39
3.1. Les a priori de l’interculturalité
Les questions sur les différences culturelles ont longuement été abordées par la littérature
sur le management interculturel, notamment devant la fréquence croissante d’entreprises
impliquées dans l’ouverture de filiales à l’étranger, de fusions et acquisitions à l’échelle
internationale, ou encore de co-entreprises avec des partenaires étrangers. Toutefois, la
question spécifique des différences culturelles en gestion des connaissances a encore
relativement peu été étudiée (Holden, 2001 ; Desouza et Evaristo, 2003 ; Glisby et Holden,
2003) alors que la gestion des connaissances devient de plus en plus la gestion de
connaissances générées par des équipes interculturelles (Bertels et Savage, 1999).
D’une part, la mobilité internationale des ressources humaines rend plus fréquente les
équipes multiculturelles. D’autre part, nombre des firmes qui s’engagent (ou sont déjà
engagées) dans des programmes de gestion des connaissances sont des acteurs qui opèrent
à l’échelle internationale et leurs activités de gestion des connaissances impliquent
nécessairement d’administrer des connaissances sur une base interculturelle (Holden,
2001). Ainsi, en pratique leur gestion des connaissances suppose des échanges
interculturels soumis à des complexités visibles et envisageables de prime abord liées à ce
contexte multiculturel.
L’une des dimensions de l’interculturalité est la notion de culture spécifique à un groupe
donné. La rencontre de ces cultures pose donc le problème de l’altérité, et peut provoquer
des heurts : un choc des cultures (§ 3.1.1). L’organisation devra donc gérer cette rencontre.
Par ailleurs, l’une des facettes les plus évidentes de la difficulté à rencontrer l’autre, et a
fortiori dans un contexte professionnel, est la langue utilisée (§ 3.1.2).
3.1.1.
Le choc des cultures
L’organisation qui agit sur un terrain interculturel et souhaite profiter d’un partage de tout
ou partie des connaissances entre certains de ses collaborateurs est de facto confrontée à
des interactions interculturelles puisqu’il s’agit de mettre en relation des individus de
cultures distinctes. Mais comme nous le verrons, le dialogue entre les cultures n’est pas
sans risque de heurts plus ou moins grands selon l’ampleur des différences culturelles qui
sépare les individus (§ 3.1.1.1). De plus, nonobstant la facilité d’accès à l’autre que
confèrent les nouvelles technologies, les différences culturelles demeurent. Les distances
physiques se réduisent donc entre des individus sans nécessairement que ces derniers se
connaissent et se comprennent (§ 3.1.1.2).
40
3.1.1.1.
Le choc des civilisations
L’encyclopédie Hachette définit la culture comme un « ensemble complexe englobant les
savoirs, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes ainsi que les autres
capacités et habitudes acquises par l'homme en tant que membre d'une société ». Ainsi,
l’une des dimensions de la culture est la connaissance. La gestion des connaissances lui
disputant cet objet, elle est donc de facto impliquée dans les questions de cultures. Des
cultures qui peuvent se définir à différentes échelles, et être plus ou moins proches les unes
des autres. On peut raisonnablement penser que le degré de différence culturelle ne sera
pas sans influence sur l’interaction entre les cultures. Or le partage des connaissances
nécessite cette interaction.
Pour appréhender les divers niveaux de dissemblances culturelles, nous nous réfèrerons à
Huntington (1993) et plus particulièrement à la notion d’entité culturelle telle qu’il l’utilise
dans sa théorie du « choc des civilisations ».
Selon Huntington (1993), avec la fin de la guerre froide et du monde bipolaire, il n’est plus
pertinent de regrouper les pays en fonction de leur système politico-économique ou de leur
degré de développement économique. Les nouvelles lignes de fractures seraient désormais
fonction des cultures et civilisations dans un monde devenu multipolaire. Huntington
(1993) identifie sept ou huit civilisations majeures : les civilisations occidentale,
confucéenne, japonaise, islamique, hindoue, slave-orthodoxe et latino-américaine, voire
une civilisation africaine (Figure 7 : Carte mondiale des civilisations selon Huntington
(1993)). Toutefois, Huntington (1993) précise que les frontières entre civilisations sont
quelques fois floues car les civilisations sont des objets dynamiques, elles grandissent et
périclitent, elles peuvent se diviser ou s’agréger.
41
Figure 7 : Carte mondiale des civilisations selon Huntington (1993)
Illustration issue de : http://www.reynier.com/Anthro/Culture/Choc.html)
D’après Huntington (1993), une civilisation est une entité culturelle et on peut parler
d’entité culturelle à différentes échelles (village, région, ethnie, nation, groupe religieux,
civilisation). La civilisation est le niveau d’identité culturelle le plus large qui soit dans la
terminologie d’Huntington (1993), celui qui n’a pas d’ensemble parent, si ce n’est
l’Humanité. Une civilisation se définit à la fois à travers des éléments objectifs communs
tels que la langue, l’Histoire, la religion, les traditions ou les institutions, mais aussi par
des biais plus subjectifs comme l’auto-identification des individus. Ainsi, un habitant de
Rome pourrait par exemple se définir comme un romain, un italien, un européen, un
occidental ou encore en fonction de sa religion.
Dans la conception d’Huntington (1993), de la plus petite entité vers la plus grande, le
niveau d’hétérogénéité culturelle, au sein de l’entité, va croissant. Mais deux entités
culturelles appartenant au même groupe parent seront plus proches entre elles qu’une
entité appartenant à un groupe tiers. Ainsi, la distance culturelle est caractérisée par le
42
degré de différence entre deux cultures. Dans la théorie d’Huntington (1993), cette
distance est fonction de l’échelle où se trouve l’entité englobante qui réunit ces deux
cultures. Plus haut il faut remonter dans cette échelle pour trouver une entité parente
commune, plus distante seront deux cultures.
Pour illustrer cela, Huntington (1993) prend l’exemple de deux villages italiens. Ces
derniers peuvent avoir deux cultures différentes, mais partageront une culture commune,
celle de l’entité englobante Italie. Ainsi, ils seront probablement beaucoup plus proches
culturellement entre eux, que d’un village allemand. De la même manière, chacun des
deux villages italiens partagera tout de même des traits culturels communs avec ce village
allemand dans le cadre de l’ensemble culturel européen, ou plus largement encore
occidental et qui les distinguera d’un village asiatique. Cet exemple à l’aide des villages
est le quotidien de nombreuses organisations qui opèrent à l’international ou sont en
coopération avec des acteurs de cultures différentes. Ainsi, au sein d’une alliance comme
Renault Nissan, lorsque le technocentre français interagit avec les ingénieurs des usines de
montage en Espagne ou avec ceux de Nissan au Japon, le degré de distance n’est
évidement pas le même. De fait les risques d’incompréhension liés aux différences
culturelles devraient en toute hypothèse être plus forts entre France et Japon qu’entre
France et Espagne qui partagent une culture européenne et, plus largement, occidentale.
Il y a donc un défi à faire interagir des individus culturellement distants, un défi dont la
difficulté peut s’avérer fonction de cette distance et qui intéressera tout particulièrement
les pratiques de gestion des connaissances qui reposent sur une mise en relation, en
interaction d’individus porteurs de connaissances. En effet, cette interaction peut être
parasitée par des malentendus liés à ces différences culturelles. Si l’on reprend le cas de
Renault Nissan, ces incompréhensions peuvent reposer par exemple sur une conception
différente du degré de politesse à employer dans une relation donnée. En effet, comme le
soulignent Jun et Muto (1995), la culture japonaise distingue divers niveaux de politesse
en fonction du statut de chacun des interlocuteurs, et un choix inapproprié peut aisément
miner la relation, en réduire les retombées et affecter l’effectivité du partage de
connaissances.
Par ailleurs, lorsqu’un individu est à la recherche de connaissances ou d’expertises
particulières au sein de l’organisation, ces divers degrés de différences culturelles peuvent
orienter sa recherche prioritairement auprès des cultures plus proches, et notamment au
sein de sa communauté linguistique. Ce qui irait dans un sens analogue à celui des modèles
de gravité qui expliquent les volumes d’échanges commerciaux entre deux pays. (Selon le
CEPII (2001), le modèle de gravité est une relation empirique reliant le volume de
commerce entre deux pays à la taille des deux pays et à la distance les séparant). On peut
donc envisager que le volume de partage de connaissances sera, en partie au moins,
déterminé par l’ampleur de la distance culturelle. Ainsi, ce sont tout autant la quantité que
la qualité des partages de connaissances qui seront affectées par cette distance.
Les antagonismes et point de raccrochements mis en évidence par Huntington (1993) nous
permettent d’envisager que, au-delà des connaissances issues de cultures différentes, la
gestion des connaissances doit encadrer des détenteurs de connaissances avec autant de
43
modes de vie différents que de groupes culturels. Ces différences prendront des formes
visibles, comme la langue, mais seront aussi implicites dans les comportements.
Dès lors la gestion des connaissances interculturelles n’est plus seulement la gestion de
connaissances culturellement dissemblables, mais aussi le management de détenteurs
formant des groupes interagissant ensemble mais avec autant de façons différentes de le
faire. Et plus les distances culturelles seront grandes, plus il faudra veiller à désamorcer les
incompréhensions qui peuvent être générées car ces dernières seront d’autant plus grandes
et problématiques. Concrètement cela peut se traduire par une sensibilisation des acteurs
de l’organisation à cette question, en les informant sur les principaux écueils qui peuvent
émailler les relations interculturelles. Donner les outils pour qu’un ingénieur occidental
échange des connaissances avec un confrère japonais ne saurait se limiter à offrir une
infrastructure technologique ou à payer des déplacements. Il s’agit aussi et tout autant
d’assurer le bon déroulement de la relation humaine.
Un des défis inhérents à la gestion des connaissances, soit la gestion du détenteur de
connaissances, évolue donc sous l’influence interculturelle de groupes différents plus ou
moins éloignés chez Huntington (1993), en un autre défi autonome : la gestion des
connaissances selon le degré de distance culturelle. Mais au-delà de l’identification de la
différence et de son ampleur, si l’interculturalité consiste en « l'interaction, l'échange et la
communication entre les cultures où une personne reconnaît et accepte la réciprocité
d'autrui » (RIPC, 2004), alors il s’agit aussi de reconnaître et d’accepter cette altérité.
3.1.1.2.
L’altérité
Le concept d’altérité se réfère « au caractère de ce qui est autre ». Il prend son intérêt dans
la relation de Soi à Autrui, dans la reconnaissance de « l’autre », tant dans sa différence
que dans son identité. L’encyclopédie Universalis met en évidence cette relation
caractérisée d’une part, par la conscience de soi (« se saisir comme un Je »), et d’autre
part, par l’existence d’autrui, « le différent, ce qui m'est étranger, un moi qui n'est pas moi
et qui se prétend toutefois mon semblable, mon alter ego, un autre soi en même temps
qu'un autre que soi ». De là, on peut saisir cette notion d’alter ego, l’alter ego étant à la
fois un moi même (ego), mais un autre que moi (alter).
Puisque la gestion de connaissances s’occupe de l’interaction entre individus, la gestion
des connaissances s’occupe donc de facto de la question de l’altérité et de l’alter ego. Cet
alter ego étant plus difficilement préhensible lorsqu’il est issu d’une autre culture, la
gestion des connaissances se doit donc de relever le défi de la gestion de connaissances
entre deux alter egos de cultures différentes. Ce qui donne un défi spécifique à la gestion
des connaissances en milieu interculturel : l’interaction de deux egos culturellement
différents.
Nous allons donc tenter d’appréhender ces concepts d’altérité à la lumière des réflexions
de Wolton (2003) dans sa conception de l’alter ego dans le cadre du choc de l’autre qui
s’impose à moi, de l’ego face à l’alter.
44
Avec une mondialisation croissante, et des technologies de l’information et de la
communication toujours plus poussées et ancrées dans nos modes de vie personnels et
professionnels, l’Autre n’a jamais été aussi présent dans notre univers selon Wolton
(2003). Toutefois, comme ce dernier l’affirme (Wolton, 2003 : 9), « l’Autre, hier, était
différent, mais éloigné. Aujourd’hui, il est tout aussi différent, mais omniprésent ». Ainsi,
les distances ne sont plus physiques mais culturelles. Or cette proximité qui s’impose ne
rendrait pas l’Autre plus compréhensible pour autant. Bien au contraire, la fin des
distances physiques obtenue grâce aux nouvelles technologies n'entraîne pas une
homogénéité culturelle mais « elle révèle les distances culturelles » d'après Wolton (2003 :
18) dans une analyse qui va à l’encontre du chemin vers la « monoculture » mondiale que
croyait entrevoir l’anthropologue Lévi-Strauss dans les années 1980 (INT; Matellart,
2005). En effet, le fait d'avoir accès à une grande quantité d'informations n'implique pas
une meilleure compréhension du monde. Par contre cela permet sans doute de prendre
conscience de la diversité culturelle, religieuse et politique qui sépare les individus les uns
des autres.
Dans le cadre d’une organisation, cette réduction des barrières physiques à la relation entre
les individus est venue répondre au défi technologique de la gestion des connaissances. En
effet, il est désormais presque aussi facile d’établir une communication (forum, courriel,
téléphone, vidéoconférence,…) avec un confrère situé un étage plus bas qu’avec celui d’un
site distant de milliers de kilomètres. Toutefois cette accessibilité technique ne facilite pas
nécessairement la dimension humaine de l’interaction qui intéresse la gestion des
connaissances. Ce sont toujours deux individus (ou plus), deux egos qui se rencontrent. Et
lorsque des différences culturelles préexistent, elles demeurent et sont rendues visibles. Le
dépassement de cette différence par la reconnaissance de l’Autre est donc nécessaire pour
accepter et comprendre la validité des savoirs de cet Autre, et in fine pour que cette
interaction conduise à échanger des connaissances.
De plus, entre l'information (le message) et la communication (la relation) il y a un point
crucial qui est la culture et qui correspond à différents points de vue sur le monde. Un
même message sera ainsi perçu d’autant plus différemment d’un récepteur à l’autre que ces
derniers seront de cultures différentes. Or, nous avions identifié que la notion de contexte
partagé entre l’émetteur et le récepteur est déterminante dans la possibilité de transmettre
des savoirs. En effet, Holden (2001) souligne que l’unicité du contexte et le lien avec les
connaissances tacites rendent les connaissances très difficiles à gérer dans un
environnement interculturel.
Selon Wolton (2003), la cohabitation culturelle nécessite la reconnaissance par tous de la
diversité des cultures c’est-à-dire l'ensemble des valeurs, des règles et des comportements
permettant de vivre dans la société actuelle. La cohabitation culturelle signifie qu'il n'y a
pas de culture mondiale et que la supériorité économique et technique n'entraîne pas de
supériorité culturelle. Ce concept implique une nécessaire tolérance car il est basé sur le
dialogue et les négociations. Il impose de réussir à gérer ce que Wolton (2003) appelle le
« triangle identité, culture, communication ». Cela est possible en valorisant la dimension
normative des trois pôles: une culture largement définie, une communication qui admet
l'autre et une identité relationnelle non agressive. Enfin, notons que si les propos de
Wolton (2003) s’adressent initialement au politique, ils n’en demeurent pas moins
45
pertinents pour les organisations puisqu’elles ont aussi intérêt à la réussite du dialogue
interculturel nécessaire au partage des connaissances. Un dialogue interculturel qui ne se
produit pas qu’entre sites géographiquement distants puisque la mobilité internationale des
ressources humaines peut se traduire par l’existence d’équipes multiculturelles sur un
même site.
Ce choc de l’Autre, de l’ego face à un alter plus différent que dans les relations habituelles
au sein de son groupe culturel et qui interprète l’information avec des valeurs et plus
largement une culture étrangère est un défi pour la gestion des connaissances en milieu
interculturel : faire interagir des egos qui doivent reconnaître leurs différences culturelles,
les accepter en dehors d’un rapport de supériorité, et les dépasser pour aboutir à un
échange de connaissances effectif. Cette proposition pourrait apparaître évidente, pourtant,
comme le relate Fulmer (1999), même chez une firme telle Buckman Laboratories
considérée comme une référence en termes de partage des connaissances (Sveiby et
Simons, 2002), cette question préoccupe. En témoigne ce commentaire à propos de
l’espace d’interaction et d’échange de connaissances K’Netix (Fulmer, 1999 : 6) :
Since there likely to be cultural differences and sensitivities, Sysops
also were to monitor the content of message. According to a former
Sysop, « we didn’t want people in Europe saying, ‘Oh this is an
American thing’ »
Ainsi, la gestion des connaissances devient de facto l’encadrement des egos issus d’alter
culture et de leur communication. Cela dans le cadre de l’interaction qui doit se produire
entre ces derniers dans les pratiques basées sur la mise en relation des individus.
Les nouvelles technologies et les migrations internationales conduisent de plus en plus
fréquemment à faire interagir des individus de cultures distinctes, que ce soit via les
réseaux ou en personne. Or ces relations, et in fine les échanges de connaissances, sont
sujets à être affectés dans leur quantité et leur qualité par le choc des cultures. Un choc des
cultures issu tout à la fois des points de ressemblances et des points de différences des
groupes culturels éloignés ou rapprochés par le degré de distance culturelle, et de l’altérité
culturelle des egos. Cela devrait donc conduire les organisations à prendre en compte ces
variables pour tirer pleinement partie de ses ressources multiculturelles en les
reconnaissant comme telles et dans leur diversité. Cela en sensibilisant les acteurs de
l’organisation à cette diversité, ses contraintes, ses risques, mais aussi ses opportunités.
Outre le choc des cultures, ces groupes et ces egos doivent également compter avec les
barrières des langues. C’est ce que nous verrons dans la section suivante (§ 3.1.2).
3.1.2.
La barrière des langues
Tel qu’énoncé précédemment, le Réseau International sur la Politique Culturelle définit
l’interculturalité comme « l'interaction, l'échange et la communication entre les cultures
où une personne reconnaît et accepte la réciprocité d'autrui » (RIPC, 2004). La
46
communication est donc l’une des dimensions de l’interculturalité. Si la communication
est souvent entendue comme un échange verbal ou visuel que le récepteur perçoit dans son
sens premier, elle est aussi un ensemble de signes non visibles.
La communication, en tant qu’échange immédiatement perceptible, utilise comme medium
principal les langues. Cependant cet échange n’a pas uniquement lieu à travers la
dénotation des mots : il se charge quelques fois de connotation(s). Ces connotations
permettent, lorsqu’utilisées au sein d’une communauté donnée, d’accéder à un second
degré de compréhension. En tant que cadre d’interaction, la gestion des connaissances
s’intéresse donc tout autant à la dénotation qu’à la connotation. En effet, la dénotation peut
s’assimiler à une information, un vecteur vers des connaissances associées au sens connoté
et liées à un contexte partagé (connaissances préalables et communes à l’émetteur et au
récepteur).
Selon les estimations, il existerait encore environ 7000 langues vivantes (Tableau 3 :
Recensement des langues parlées dans le monde). Toutefois, faute de pouvoir tracer des
frontières précises entre les langues, il n’est pas possible de déterminer avec précision le
nombre de langues parlées dans le monde.
Tableau 3 : Recensement des langues parlées dans le monde
Continent
Population en 2000
en millions
Asie
Langues vivantes
3 600
2 165
780
2 011
Pacifique
30
1 302
Amérique
828
1 000
Europe
728
225
5 966
6 703
Afrique
Total
e
Source : d'après Ethnologue, 13 édition, Barbara F. Grimes Editor, Summer
Institute of Linguistics Inc., 1996.
Parmi ces 7000 langues, tandis que nombre d’entre elles sont en voie de disparaître, une
vingtaine (soit moins de 0,3% des langues) ont une présence notable et dominante en étant
parlées par plus de la moitié de la population mondiale (Tableau 4 : Les 20 principales
langues parlées dans le monde). On constatera que, si l’anglais est souvent considéré
comme la « langue des affaires », il n’en demeure pas moins seulement la 3ème langue la
plus parlée très loin derrière le chinois mandarin, et juste derrière l’espagnol tandis que le
français se classe onzième. Toutefois, notons que ces données datent de 1996, et nous
offrent avant tout une idée des proportions et des ordres de grandeur plus qu’une parfaite
image de la réalité.
47
Tableau 4 : Les 20 principales langues parlées dans le monde
#
Langues
Population
#
Langues
Population
1
Chinois mandarin
885 000 000
11
Coréen
78 000 000
2
Espagnol
358 000 000
12
Français
77 000 000
3
Anglais
322 000 000
13
Chinois wu
71 000 000
4
Arabe classique (et
dialectes)
200 000 000
14
Vietnamien
67 662 000
5
Bengali
189 000 000
15
Telugu
66 350 000
6
Hindi
182 000 000
16
Chinois cantonais
66 000 000
7
Portugais
170 000 000
17
Marathi
64 783 000
8
Russe
170 000 000
18
Tamoul
63 075 000
9
Japonais
125 000 000
19
Javanais
60 000 000
10
Allemand
98 000 000
20
Turc
59 000 000
Total
3 371 870 000
Source : d’après Ethnologue, 13e édition, Barbara F. Grimes Editor, Summer Institute of
Linguistics Inc., 1996
Nous verrons donc d’abord comment la question de la disparité des langues se répercute
nécessairement dans les organisations, et affecte la qualité des interactions nécessaires
dans leur gestion des connaissances, qui plus est lorsque ces dernières emploient du
personnel aux origines linguistiques hétérogènes (§ 3.1.2.1). Nous verrons ensuite qu’audelà de la barrière linguistique de forme, il existe d’autres difficultés de fond attachées à la
langue en tant que reflet culturel de référents et de pensées (§ 3.1.2.2).
3.1.2.1.
Faire interagir des individus ne parlant pas la même langue
Faire interagir des individus qui n’ont pas la même langue maternelle est le quotidien de
nombre d’entreprises au sein même de l’organisation, mais aussi de ses réseaux. Comme le
note Holden (2001), de nombreuses connaissances sont tenues dans des langues autres que
l’anglais et ce fait est peu relaté par les chercheurs en gestion des connaissances. Or, la
barrière de langue est un obstacle à l’échange de connaissances de prime abord évident.
C’est notamment le cas qu’a rencontré la compagnie Buckman Laboratories
(développement et production de produits chimiques) avec le lancement de K’Netix, son
espace d’interaction et d’échange de connaissances. Consciente que les professionnels de
la firme à travers le monde parlaient plus de 15 langues différentes, la politique de
Buckman Laboratories établit dès 1994 que chacun devait se sentir à l’aise en utilisant la
langue de son choix pour poster un message sur K’Netix. Des traducteurs furent engagés
afin de traduire certains messages (sélectionnés par les « sysops », ou administrateurs) en
anglais et de retraduire les réponses dans la langue d’origine du message. Finalement,
48
devant le manque de succès de l’opération, notamment sur la consultation des messages
par les non anglophones, il fut décidé d’aller plus loin dans l’adaptation pour les non
anglophones en créant de nouveaux forums leur permettant de communiquer dans leur
propre langue. En effet, Buckman Laboratories considéra que les désagréments causés par
la multiplicité des forums (risques de cloisonnements) seraient largement compensés par la
facilité de communication (Fulmer, 1999).
Revenons sur la question de la politique de traductions initialement mise en place (où
l’anglais servait de langue pivot), car au-delà de la contrainte logistique qu’elle impose, on
peut s’interroger sur sa capacité à permettre une transmission fidèle de l’intégralité du sens
d’un message. En effet, on peut penser que plus ce dernier sera complexe et fera référence
à un contexte culturellement singulier, plus il sera difficile, voire impossible de rendre la
totalité de la richesse du message d’origine en le faisant transiter par une langue tierce.
Nous verrons plus en détail les limites d’une traduction dans la retranscription du sens
d’un message ci-après (§ 3.1.2.1.1).
3.1.2.1.1.
Les limites de la traduction (traduttore, traditore)
Selon Holden et Von Kortzfleisch (2004), la traduction est la plus vieille des pratiques de
conversion de connaissances d’un domaine (une langue) vers un autre. La traduction est
une sorte de conversion de connaissances qui vise à établir un champ cognitif partagé entre
des gens séparés par la barrière de la langue.
La traduction consiste en l'interprétation du sens d'un texte dans une langue (langue
source), et la production d’un texte ayant un sens et un effet équivalent sur un lecteur
ayant une langue et une culture différentes (langue cible). La finalité d’une traduction est
l’établissement d’une équivalence entre le texte de la langue source et celui de la langue
cible, c'est à dire faire en sorte que les deux textes signifient la même chose.
Pour parvenir à ce que deux textes dans des langues différentes signifient la même chose,
il faut prendre en compte certaines contraintes (contexte, grammaire, etc.), afin de le
rendre compréhensible pour des personnes n'ayant pas de connaissance de la langue source
et du contexte de cette dernière. Car, comme nous l’avons vu précédemment, rendre la
seule dénotation est insuffisant pour transmettre tout le sens d’un texte, il importe aussi
d’apporter les éléments de connotation. Or, souvent la traduction n’offre que la dénotation,
et peine à faire passer la connotation. Prenons l’exemple de la pomme aux USA. Si nous
traduisons Apple par Pomme, il ne reste qu’un fruit, avec à la limite une connotation
partagée (par certains) liée par exemple au péché originel, à Blanche-Neige ou à un
fabricant d’ordinateur, mais la traduction ne rendra pas la connotation « éducation » qui
est associée à la pomme aux USA. En effet, selon Guy Spielmag (INT ; Spielmag, 2005a),
aux U.S.A., l’image de la pomme est fréquemment utilisée pour signifier 'education'. Cela
tient à l'ancienne coutume de rémunérer les enseignants en nature (la pomme étant
assimilée à tout ce qu'on pouvait apporter au professeur, et le professeur étant assimilé à
l'éducation).
49
Les travaux d’Umberto Eco sur les théories sémiotiques vont aussi dans ce sens. Le thème
fondamental qui sous-tend les recherches d’Eco (2001) est que les théories sémiotiques en
forme de «dictionnaire» doivent être reconsidérées par une sémiotique en forme
d'«encyclopédie». L’encyclopédie enregistre des emplois sous forme de scénarios (ou
frames ou scripts) et les scénarios seraient des schémas d’action et de comportement
préétablis (des scénarios communs et des scénarios intertextuels, ou règles de genre). De
fait, il n’existe pas de pure équivalence mais une implication entre le terme linguistique et
ses interprétations possibles. Le même terme linguistique peut avoir une « valence
sémantique différente » pour chaque contexte. Or, ces scénarios sont socialement codés,
donc propre à un contexte culturel donné.
On se rend donc compte que la traduction peine à rendre ce qui relève des connaissances
tacites. Lorsque des connaissances sont codifiées, ces dernières continuent de véhiculer,
grâce à la connotation, une part de connaissances tacites nécessaires à la pleine
compréhension. En fonction de l’intensité du sens contenu dans la connotation, les
traductions seront de plus ou moins grandes précisions. Pinchuk (1977) détermine quatre
niveaux de précision : transfert de l’idée générale originale, transfert d’un niveau
d’information suffisant, transfert de quasiment toute l’information, et (virtuellement)
transfert de l’intégralité de l’information. Lorsque le contexte interculturel sera aussi
multilingue le partage des connaissances devra donc compter avec les limites de la
traduction. Plus le sens connoté aura une grande importance pour accéder aux
connaissances du texte d’origine, plus il sera nécessaire d’expliciter ces sens connotés et
de détailler le contexte auquel il est fait référence. Cela permettrait de maximiser le niveau
de précision de la traduction en palliant partiellement l’absence de contexte préalablement
partagé. Cette question intéressera tout particulièrement les pratiques de gestion des
connaissances s’appuyant sur des « bases de connaissances » dont les entrées sont traduites
dans plusieurs langues utilisées au sein de l’organisation. Nous avions vu dans la partie 2
de cet essai (§ 2) que s’assurer d’un contexte partagé entre émetteur et récepteur était un
défi inhérent à la gestion des connaissances. Il ressort des paragraphes précédents que ce
défi est rendu plus complexe lorsque s’y jumellent les barrières de langues.
Ainsi, la barrière linguistique apparaît comme un des obstacles les plus évidents à une
gestion des connaissances en milieu interculturel. Que l’on parle de connaissances
codifiées ou de mises en relation de porteurs de connaissances tacites, le problème de
communication, ou de transmission se pose. Et les réponses apportées par l’apprentissage
d’une langue commune ou par l’emploi de traducteurs ne semblent pas en mesure de
résoudre pleinement ce problème. Ce qui est probablement lié aussi au fait que « le
langage est loin d’être le premier véhicule d’un message » comme le notent Hall et Hall
(1990 : 10). En effet, au-delà du seul sens dénoté, il y a un sens connoté auquel l’accès,
depuis une culture étrangère, ne s’acquiert que difficilement et lentement. De fait, réussir
le partage de connaissances d’une langue à l’autre est un défi de taille pour une gestion des
connaissances multilingues.
50
3.1.2.2.
Au-delà de la barrière linguistique visible
Nous essaierons dans les prochains paragraphes, à l’aide de la linguistique, de saisir
pourquoi les traductions peinent à rendre le sens complet original. Nous aborderons ce qui,
dans la langue, est à l’origine de cette difficulté afin de pouvoir envisager comment
surmonter ou composer avec cet obstacle au partage des connaissances.
Une langue est un instrument de communication, un code constitué en un système de
règles communes à un même groupe. Il est important de préciser que le concept de langue
(système de signes) est distinct du concept de langage (faculté humaine mise en œuvre au
moyen d'un tel système), mais aussi du concept de parole (c'est-à-dire l'utilisation effective
du système de la langue par les locuteurs) (Figure 8 : La langue, élément du langage.
D’après Saussure (1995)). La langue n’est en fait qu’une partie du langage avec la parole
(Saussure, 1995), un fait social propre à un groupe donné.
Figure 8 : La langue, élément du langage. D’après Saussure (1995)
Selon le dictionnaire de l’Académie Française (INT; Académie Française, 2005), la langue
est un « système d'expression verbale qui est d'emploi conventionnel dans un groupe
humain et permet à ses membres de communiquer entre eux ». Elle permet l’expression et
la communication en s’appuyant sur des signes vocaux (langue orale), verbaux (langue
écrite) et/ou gestuels (langue des signes). Une langue est donc un système de signes
(§ 3.1.2.2.1) qui repose sur des conventions propres à un groupe humain (§ 3.1.2.2.2) et
qui permet la communication entre les individus de ce groupe (§ 3.1.2.2.3), mais aussi
contribue à l’articulation de la pensée (§ 3.1.2.2.4), cette dernière étant considérée par
Platon comme le « dialogue de l’âme avec elle-même ».
3.1.2.2.1.
La langue en tant que système
Du point de vue de la linguistique, la langue est définie comme un système de signes.
Deux principales théories du signe coexistent pour décrire ce système. Le dyiadisme au
51
sein des courants européens (Eco, Saussure,…), et le triadisme principalement au sein des
courants anglo-saxons (Ogden et Richards, Peirce,…).
Le signe dyiadique
Selon Saussure (1995), la langue consiste en l’association d’un concept à une image
auditive, c’est un système de signes unissant un sens à une image acoustique (Figure 9 : Le
signe linguistique dyiadique selon Saussure (1995)).
Figure 9 : Le signe linguistique dyiadique selon Saussure (1995)
Le signe est l’unité de la langue, depuis Saussure il est assimilé au morphème (INT;
Spielmag, 2005b) qui est la plus petite unité porteuse de sens. Un mot peut être composé
d’un seul morphème (« boite »), plusieurs morphèmes (« in-évit-able-ment »), et parfois
un seul morphème peut être composé de plusieurs mots (« cul-de-sac »). Le signe est
composé d’un concept (signifié) et d’une image acoustique (le signifiant).
Le signifiant, va au-delà du simple son matériel (le son en tant qu’onde), c’est une
« empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de
nos sens » (Saussure, 1995 : 98). Le signifié est, lui, plus abstrait, c’est le concept associé
au signifiant. Par exemple, le signifiant |table| aurait pour signifié « plateau reposant sur un
ou plusieurs pieds ».
L’implication mutuelle entre signifiant et signifié (la sémiosis) vue par Saussure (1995)
fait abstraction du « mot » et de la « chose ». Cela diffère radicalement de la vision où les
mots sont des étiquettes attachées aux objets.
De plus cette association entre signifiant et signifié, concept et image acoustique, est un
fait arbitraire. Cette association n’est pas naturelle ou innée, elle est un produit culturel,
« un fait social propre à une communauté » (Saussure, 1995 : 32). Cela implique donc que
d’une langue à une autre, il n’y a pas nécessairement d’équivalences pures, ce qui peut
52
s’avérer être un obstacle supplémentaire pour la gestion des connaissances lorsqu’il s’agit
de faire interagir et communiquer des individus d’origines différentes.
Toutefois, dans les théories postérieures, les divergences reposent sur l’inclusion ou non
du référent dans le système. En effet, Saussure (1995) l’assimile avec les objets du monde
et ne l’inclut pas dans son système contrairement à la conception triadique du signe que
nous allons voir ci-après.
Le signe triadique
Avec Ogden et Richards (1936), le référent se trouve inclus dans le système donnant ainsi
le système triadique (Figure 10 : Le signe triadique selon Ogden et Richards (1936)) qui
est le plus connu et est articulé autour des signifiant, signifié et référent. Le référent est un
objet du monde auquel un signe fait référence, en tant qu’il est déjà perçu à travers un
filtrage cognitif et culturel. Il se distingue de l’objet en soi.
Figure 10 : Le signe triadique selon Ogden et Richards (1936)
Ce modèle sera plus tard raffiné par Peirce (1978) en opérant la distinction entre objet
immédiat et objet dynamique. L’objet immédiat étant un référent fixé et limité, mais
complété par un référent dynamique que le récepteur interprète grâce à son expérience.
Peirce (1978) distinguera aussi les interprétants immédiat (sens susceptible de venir
spontanément à qui connaît le code), dynamique (sens propre à chaque récepteur formé de
manière unique dans le temps et l’espace.), et final (sens sur lequel tous les récepteurs
peuvent s’accorder).
Cette théorie permet de percevoir la différence entre dénotation (sens qui est dans le signe)
et connotation (sens hors signe). Prenons par exemple l’expression « souveraineté » dont
la dénotation est présente dans les dictionnaires en tant que « caractère indépendant d'un
État qui n'est soumis à aucune autorité extérieure » mais qui a, au Québec, une
connotation liée à la relation de la province avec le Canada, aux différents référendums sur
la question, ou encore à un projet politique propre au Québec. C’est cette connotation qui a
53
un caractère culturel (et donc implicite) qui se transmet difficilement d’une culture à
l’autre, et cela y compris lorsque deux individus sont supposés parler la même langue.
3.1.2.2.2.
La langue en tant que convention au sein d’un groupe
« Le signe linguistique est arbitraire » (Saussure, 1995 : 100) car l’association du
signifiant au signifié est arbitraire. En effet, l’association entre image acoustique et sens
résulte d’une convention propre à un groupe. Et le lien établi arbitrairement entre le
signifiant et le signifié est immotivé (il n’y a aucune raison qui conduise à les associer),
puisqu’un même concept peut être associé à des images acoustiques différentes selon les
langues. Il n’y a pas de lien naturel.
Parce qu’elle n’est pas innée, la langue et son articulation sont le résultat du choix d’un
groupe d’individus considéré pour répondre aux besoins de ce dit groupe qui sont
étroitement liés à la réalité vécue par ses membres. Ce n’est ainsi pas un hasard si les
Inuits ont bien plus de mots que d’autres groupes linguistiques pour parler de la neige et de
ses différents états. Ainsi, les mots des diverses langues ne sont pas simplement des signes
différents qui renvoient à une même réalité. Le découpage de la réalité varie d’une culture
à l’autre et la réalité d’un objet s’établit en fonction des expériences de chacun. Il y a de ce
fait un défi pour la gestion des connaissances à faire communiquer et interagir des
individus ayant différents découpages mentaux de la réalité.
Il ne s’agit donc pas uniquement de dire les choses différemment mais de dire des choses
différentes. Ce qui va dans le sens de Venzin (1998 in Holden (2001 : 159)) lorsqu’il
affirme que les connaissances sont « crées dans des systèmes linguistiques différents, des
cultures organisationnelles différentes, et des groupes de travail différents. Si le contexte
change (c’est-à-dire la culture), les connaissances aussi ». Cela sous-entend que toutes les
connaissances ne peuvent pas être partagées. Toutefois, les connaissances qui sont trop
intensément liées à un contexte particulier ne présentent pas nécessairement un intérêt à
être partagées faute d’être pertinentes hors de leur contexte d’origine. Ce qui nous renvoie
au défi de l’identification des connaissances à partager.
3.1.2.2.3. La langue en tant qu’instrument de communication et de
réflexion
La communication et l’expression de la pensée ne sont pas la finalité de la langue mais du
langage. Et le langage n’est pas simplement l’expression de la pensée, il en est aussi le
point de départ, et l’instrument. Toutefois, la langue contribue à cette finalité en offrant un
code partagé et donc compréhensible par un groupe donné. En tant qu’instrument du
langage, la langue permet de coder des concepts afin de les relier entre eux et/ou de les
communiquer. La pensée ne préexiste pas au langage et à la langue, mais elle est
développée grâce au langage dans une langue donnée.
54
Cette problématique de réflexion et de développement de la pensée grâce au langage et à
une langue donnée nous conduit ainsi à la question de la relation entre langue et
connaissances que nous abordons ci-après.
Nous avons postulé que la connaissance est la faculté qui permet de relier des informations
en leur donnant du sens, et que les connaissances ou savoirs sont des éléments
actionnables dans la prise d’une décision (§ 2.1.2.1.3). Nous allons voir ici plus en détail
le lien qui unit les connaissances à la langue, car comme le rappelle Julien Green (1993 :
46), « une langue n'est pas seulement un moyen de s'exprimer, c'est une façon de penser,
de voir le monde, laquelle ne peut pas toujours se rendre, sinon par des équivalences plus
ou moins acceptables. »
Nous poursuivrons donc dans le paragraphe suivant en envisageant comment la langue
influe sur la création et le support des connaissances.
3.1.2.2.4.
Relation entre langue et connaissances
Les langues sont caractérisées par des structures grammaticales qui leur sont propres et qui
organisent les idées et leur relation entre elles, telle que la conséquence, la dépendance,
l’implication, la simultanéité, l’antériorité… D’une langue à une autre, l’organisation de la
pensée et ce qui peut être pensé varient donc. L’hypothèse de Sapir-Whorf postule même
que certaines pensées d’un individu dans une langue, mêmes traduites, ne peuvent pas être
comprises par quelqu’un qui utilise une autre langue. Toutefois, la radicalité de ce
déterminisme linguistique est remise en cause et contestée. Mais cela ne nie en rien le lien
entre langue et connaissances. Selon Saussure (1995 : 155) « abstraction faite de son
expression par les mots, notre pensée n'est qu'une masse amorphe et indistincte », et il
ajoute que « sans le secours des signes, nous serions incapables de distinguer deux idées
d'une façon claire et constante ». Toujours d’après Saussure (1995), la compréhension du
message s’établit par l’opération de rapports syntagmatiques et associatifs qu’il définit
comme suit (1995 : 171) : « Le rapport syntagmatique est in praesentia; il repose sur deux
ou plusieurs termes également présents dans une série effective. Au contraire le rapport
associatif unit des termes in abstentia dans une série mnémonique virtuelle ».
C’est ce rapport associatif qui fait appel à des sens connotés et qui peut faire défaut en
passant d’une langue à une autre. En effet, le rapport associatif dépend de référents
culturels capables de générer une « comparaison mentale […] avec des éléments non
présent dans l’espace » (Saussure, 1995 : 171). Donc, une langue reflète et fait appel au
contexte et à l’environnement d’un groupe d’individus. Or la capacité à échanger des
connaissances est liée à l’existence d’un contexte partagé. On peut donc en déduire que la
diversité linguistique constitue une barrière de forme reflétant une différence de fond (le
contexte culturel). Cela doit donc conduire à considérer, pour la gestion des connaissances,
que la traduction seule n’est que le traitement d’un « symptôme » et qu’elle nécessitera
d’être accompagnée par des actions visant à faire partager le contexte nécessaire à la
compréhension. Faute de cela, l’échange se limitera au mieux à un transfert d’information.
55
Ainsi, à l’aide des théories du signe, on peut comprendre que lorsque deux interlocuteurs
de contextes culturels distincts communiquent, l’absence de référents communs coupe le
lien vers le sens connoté, un sens qui fait appel à des connaissances tacites, ce qui entraîne
des transmissions incomplètes du sens, voire erronées. En effet, le récepteur ne peut plus
exclusivement compter sur les référents qu’il a toujours eu l’habitude d’utiliser pour
interpréter s’il veut accéder à l’intégralité du sens. On peut donc dans ce cas faire un
parallèle avec l’environnement hostile défini par Gérard Verna (1989) comme « un
environnement ne pouvant pas fournir à une organisation tout ce qu'elle a été habituée à
recevoir pendant son évolution initiale » et parler de connaissances hostiles en ce qu’elles
n’offrent pas au récepteur la possibilité d’utiliser les référents qu’il a toujours eu
l’habitude d’utiliser.
L’obstacle linguistique affecte donc essentiellement deux dimensions de la gestion des
connaissances. D’une part la diffusion des connaissances est limitée lorsque la langue
d’origine n’est pas connue de tous dans l’organisation. D’autre part l’absorption des
connaissances peut aussi être affectée par l’imperfection des traductions (qu’elles soient
réalisées par un tiers ou par le récepteur), cela à cause de l’absence de certains référents.
Toutefois, si l’exposition d’un savoir codifié à un nouveau contexte culturel peut lui faire
perdre une partie de son sens original, on peut envisager, inversement, que son exposition
à un ensemble de référents nouveaux permettra de générer de nouvelles connaissances. En
effet, Rodan (2002) a démontré que chez un manager l’accès à des connaissances
hétérogènes était un facteur favorisant l’innovation (à condition que le manager évolue
dans un réseau à relativement faible densité). Selon ce dernier (Rodan, 2002 : 162) : « The
mechanism at work here seems to be one in which disparate knowledge is recombined
rather than one in which information is brokered between managers ».
L’exemple concret de la langue prouve empiriquement que l’interculturalité influe autant
sur un plan visible, par exemple « je ne parle pas la même langue », que sur un plan moins
immédiatement accessible, ou caché : « je ne comprends pas le sens de ce que tu me dis ».
À ces premier et second plans, soit ceux de la dénotation et de la connotation, se greffe un
plan autonome qui est celui du partage. À savoir que quand dénotation et connotation sont
en opposition, la compréhension résulte de la communauté de pensée, soit le degré le plus
éloigné de distance culturelle chez Huntington (1993). L’interculturalité comporte donc un
certain nombre de dimensions cachées qui pourront avoir des répercussions sur la gestion
des connaissances.
56
3.2. Les dimensions cachées de l’interculturalité
Nous abordons maintenant un chapitre relatif aux obstacles liés aux différences culturelles
qui ne paraissent pas au premier abord, souvent nommées « les dimensions cachées », et
notamment les différences de valeurs et comportements, ou ce qu’Hall et Hall (1990)
nomment les « dimensions implicites » des cultures. Pour cela, nous nous appuierons sur
les travaux de Hofstede (1983, 1991) et Hall et Hall (1990). Rappelons que lorsque nous
parlerons de culture d’un pays donné et des caractéristiques de cette culture, cela ne
prétend nullement s’appliquer mécaniquement à l’ensemble de la population du dit pays.
Nous parlons seulement de traits moyens.
Nous chercherons à évaluer en quoi les écarts culturels, sur la base des caractéristiques
fournies par ces derniers auteurs, peuvent complexifier l’organisation et la pratique de la
gestion des connaissances. Ainsi en considérant les conditions favorables à l’exercice de
la gestion des connaissances et du partage des connaissances, et à l’aide des cinq
dimensions caractérisant une culture nationale selon Hofstede, nous essaierons d’envisager
les obstacles qui peuvent se présenter (§ 3.2.1). Nous procéderons ensuite avec la même
démarche pour envisager les conséquences des différences culturelles relatives à la
communication non-verbale au sens de Hall et Hall (§ 3.2.2).
3.2.1.
Les cinq dimensions d’Hofstede
Hofstede (1983, 1991) s’est attaché à démontrer dans ses travaux l’importance des
différences de valeurs, propres à chaque culture nationale, et de leur influence sur les
modes de management. Jusqu’à ses travaux, la portée des différences culturelles était
relativement négligée au profit d’une vision d’un management universel et des hypothèses
de convergence. À travers ses études, Hofstede (1983) montre que les différences de
valeurs, et de facto de comportements, sont le résultat d’une « programmation mentale »,
c’est-à-dire un conditionnement psychologique dû à la culture et véhiculé par l’éducation
et l’expérience quotidienne avec ses pairs. Cette programmation mentale conditionne notre
manière de décrypter et d’interpréter la réalité à la façon des scénarios socialement codés
ou « frames » décrits par Eco (2001).
À partir de son enquête mondiale, Hofstede (1983, 1991) a retenu cinq dimensions
bipolaires pour caractériser une culture nationale, afin de réaliser des comparaisons
globales :
⊇ Individualisme / Collectivisme (§ 3.2.1.1)
⊇ Forte ou faible distance hiérarchique (§ 3.2.1.2)
⊇ Forte ou faible aversion au risque (§ 3.2.1.3)
⊇ Masculinité / Féminité (§ 3.2.1.4)
57
⊇ Orientation à court terme / Orientation à long terme (§ 3.2.1.5)
Hofstede (1983) précise que les positionnements de chaque pays sur les dimensions
reflètent la croyance moyenne dans le pays, et qu’en aucun cas cela ne signifie que tous les
individus d’une culture donnée partagent tout ou partie de cette croyance moyenne.
Nous allons aborder chacune de ces cinq dimensions en décrivant en quoi ces dernières
consistent. Sur cette base, nous envisagerons en quoi la cohabitation de cultures différentes
sur la dimension concernée peut influer sur la gestion des connaissances. Précisons qu’il
ne s’agit en aucun cas de définir un profil culturel plus favorable à la gestion des
connaissances ou de mettre en concurrence les cultures. Seules les conséquences de
l’hétérogénéité culturelle concernent notre propos.
3.2.1.1.
Individualisme / Collectivisme
Cette dimension caractérise la relation qu’un individu a avec les autres individus. Elle
manifeste le degré d’indépendance et de liberté des individus d’une société. Les cultures
orientées vers l’individualisme valorisent l’autonomie, la responsabilité personnelle et
l’initiative individuelle ce qui se reflète par une relative indépendance de l’individu par
rapport au groupe. Inversement, les cultures orientées vers le collectivisme valorisent
l’intérêt de la collectivité, la solidarité, le respect des obligations vis-à-vis du groupe, et la
loyauté envers ce dernier, ce qui se manifeste par une relative dépendance au groupe. Les
modes de communications sont aussi influencés par cette dimension dans le sens où les
cultures individualistes auront une tendance à être plus franches et directes tandis que les
cultures collectivistes privilégieront des relations plus policées pour ne heurter personne et
éviter de faire « perdre la face » à un membre.
Les pays typiquement orientés vers l’individualisme sont les États-Unis, la GrandeBretagne, les Pays-Bas, le Canada ou l’Australie alors que la Colombie, Taiwan, le
Venezuela ou le Pakistan sont particulièrement orientés vers le collectivisme. Situées à michemin entre les deux idéaux-types, on retrouve les cultures espagnole, israélienne,
japonaise ou indienne.
Comptes tenus des spécificités des cultures individualistes et collectivistes, on peut
raisonnablement s’attendre à ce que les sources de motivation à participer au partage des
connaissances soient différentes selon l’orientation culturelle. Or selon Sveiby et Simons
(2002), la présence de mesures concrètes incitant au partage des connaissances est une des
caractéristiques d’un environnement collaboratif et propice aux échanges de
connaissances. Il est donc pertinent de prendre en compte les différences dans le degré
d’individualisme dans le choix des approches opérationnelles en gestion des
connaissances. En effet, en toute hypothèse, on peut envisager que les individus issus de
cultures orientées « collectivisme » soient plus enclins à partager leurs connaissances avec
leurs pairs puisque cela sert l’intérêt du groupe et qu’ils privilégient cet intérêt.
Inversement, le partage des connaissances nécessitera plus d’incitations personnelles pour
58
les cultures individualistes qui abonderont plus facilement dans le sens d’un échange s’ils
y ont un intérêt propre.
Ainsi, les motivations étant probablement distinctes, cela nécessiterait des approches et
des systèmes incitatifs différenciés pour impliquer le plus grand nombre dans un processus
de partage interculturel des connaissances. Toutefois, la cohabitation de plusieurs systèmes
incitatifs distincts au sein de la même organisation pourrait aussi s’avérer source de
troubles si les protagonistes de l’échange tirent un gain (monétaire ou non) différent et
perçu comme inéquitable. Or, cela pourrait nuire à l’instauration d’un climat de confiance
favorable au partage des connaissances.
Nous avions identifié que la mise en œuvre de conditions propices au partage des
connaissances était un défi pour la gestion des connaissances (§ 2.3.2). On peut, en toute
hypothèse, considérer que ce défi sera renforcé et rendu plus complexe en milieu
interculturel lorsque le degré d’individualisme des pays impliqués dans l’échange est
disparate.
3.2.1.2.
Forte ou faible distance hiérarchique
Le niveau de distance hiérarchique reflète le degré d’inégalité et d’acceptation de cette
inégalité dans une société. Dans une organisation, une forte distance hiérarchique se
manifeste à travers la centralisation des décisions, un leadership autocratique et
paternaliste, et une grande formalisation qui s’apparentent au mécanisme de coordination
par supervision directe tel que décrit par Mintzberg (1990). De plus, l’apparat du pouvoir y
est très marqué du fait de l’importance de la notion de statut. Inversement, une faible
distance hiérarchique est reflétée par un management participatif, des relations plutôt
informelles et un plus grand pouvoir d’initiative des membres, là encore on reconnaît un
des mécanismes de coordination de Mintzberg (1990), soit l’ajustement mutuel.
Les pays marqués par une forte distance hiérarchique sont entres autres la Malaisie, le
Venezuela, l’Inde, et dans une certaine mesure, la France. La position de cette dernière est
par ailleurs reflétée dans la pensée managériale du français Henri Fayol (1999), qui prône
une vision pyramidale de l’entreprise très marquée par la notion de chaîne hiérarchique.
Inversement, on retrouve une très faible distance hiérarchique dans les cultures
autrichienne ou danoise, et une relativement faible distance hiérarchique dans des pays
comme les États-Unis ou le Canada.
En ce qui nous concerne, le degré de distance hiérarchique influera plus particulièrement
sur les échanges de connaissances verticaux, entre un supérieur et ses subordonnés. Selon
Sveiby et Simons (2002), la présence d’échanges de connaissances verticaux bilatéraux est
un indicateur de l’existence d’un climat collaboratif favorable à la gestion des
connaissances. Il est donc pertinent de prendre en compte les différences dans le degré de
distance hiérarchique dans le choix des approches opérationnelles en gestion des
connaissances. En effet, on peut raisonnablement envisager que les échanges de
connaissances verticaux seront probablement plus faibles dans le cadre d’une culture à
forte distance hiérarchique. D’une part, on peut s’attendre à une mainmise sur les
59
connaissances par le supérieur car elles sont en partie source de son pouvoir, de son statut
(Helfer, Kalika et Orsoni, 2002) et donc d’un déséquilibre à son avantage qu’il cherchera à
préserver. Mais, d’autre part, le coté paternaliste plaide aussi pour une diffusion unilatérale
et descendante de certaines connaissances, probablement les moins stratégiques. En effet,
les connaissances les plus stratégiques auront plutôt tendance à être conservées par le
supérieur afin de demeurer le point de « réduction de l’incertitude », lieu de pouvoir selon
March et Simon (1964). Inversement, le management participatif rencontré dans les
cultures à faible distance hiérarchique devrait rencontrer moins d’obstacles culturels au
partage vertical des connaissances puisque les échanges et les dialogues verticaux y sont
plus présents.
Ainsi, la propension à faire circuler les connaissances verticalement sera probablement
différente d’une culture à l’autre, et devrait être, en toute hypothèse, fonction inverse du
degré de distance hiérarchique. Du point de vue de la mise en œuvre de la gestion des
connaissances, un contexte rassemblant des cultures ayant une approche différente de la
distance hiérarchique devrait donc conduire à des mesures différenciées concernant
l’incitation au partage des connaissances vertical. Par ailleurs, au sein d’une équipe
interculturelle, des perceptions divergentes de la notion de distance hiérarchique
pourraient engendrer des tensions. En effet, l’absence de réciprocité dans le partage des
connaissances pourra frustrer les individus familiers avec une faible distance hiérarchique
tandis que la recherche d’échanges de connaissances pourra être interprétée comme une
remise en cause de son autorité et de son statut par un supérieur habitué à une forte
distance hiérarchique.
Tout comme la disparité sur le degré d’individualisme, des divergences sur la conception
de la distance hiérarchique devraient donc rendre plus complexe le défi de mettre en œuvre
des conditions propices au partage des connaissances. On peut aussi considérer que le défi
de mettre en relation et en interaction les acteurs de l’organisation sera affecté et
compliqué lorsqu’il s’agira d’échanges entre individus de statuts hiérarchiques différents.
3.2.1.3.
Forte ou faible aversion au risque
Le degré d’aversion au risque révèle le niveau de tolérance vis-à-vis de l’incertitude et la
volonté de se prémunir du risque. Les cultures à forte aversion au risque perçoivent
l’incertitude comme un danger et vont donc rechercher la sécurité à travers la technologie,
les règles et lois, ou encore via le dogme (religieux ou idéologique). Ce besoin de sécurité
par le formatage de son environnement se traduit nécessairement par un regard méfiant
envers ce qui déroge à la norme, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une idée. Inversement,
une société tolérante à l’incertitude sera plus encline à prendre des risques car les
changements qu’ils peuvent induire ne sont pas perçus a priori et par défaut comme
dangereux. Une culture à faible aversion au risque permettra aussi une plus grande
ouverture d’esprit sur la différence car elle ne la percevra pas comme une menace pour la
norme établie, cette dernière étant considérée flexible.
Parmi les pays typiquement à faible aversion au risque, on retrouve Singapour, ou la
Jamaïque; les pays scandinaves et anglo-saxons ont eux aussi une aversion au risque
60
modérée. Inversement, les cultures latines sont plus réticentes au risque, tout comme le
Japon ou la Turquie, la Grèce étant l’archétype de la culture à forte aversion au risque.
Concernant la gestion des connaissances, la notion d’aversion au risque devrait
essentiellement influer sur la priorité donnée entre création ou conservation de
connaissances. En effet la création représente le choix de la nouveauté et donc de
l’incertitude tandis que la conservation représente une sécurité, celle des « recettes qui
marchent ». On peut donc en théorie s’attendre à ce que les cultures à faible aversion au
risque soient plus tournées vers la création de connaissances, tandis que les cultures moins
tolérantes à l’incertitude éprouveraient le besoin prioritaire de conserver les connaissances
acquises via des systèmes de mémoire d’entreprise par exemple. Dans un contexte
multiculturel, et hétérogène sur l’aversion au risque, il faudra donc, probablement, compter
avec des attentes et des inclinaisons différentes vis-à-vis de la gestion des connaissances.
De fait, la donne sera complexifiée au niveau de l’organisation de la gestion des
connaissances puisqu’il faudra prendre en compte cette diversité d’attentes.
3.2.1.4.
Masculinité / Féminité
Hofstede (1983) définit la dimension Masculinité / Féminité comme le degré de
différenciation des rôles professionnels et sociaux entre les sexes. Ce niveau de
différenciation et d’attribution exclusive de rôles à un sexe est culturellement déterminé.
Les sociétés dites masculines prévoient une distinction claire des rôles alors que les
sociétés dites féminines s’orientent plus vers un maximum d’interchangeabilité des rôles.
Les valeurs véhiculées dans les sociétés masculines sont liées à l’affirmation de soi,
l’importance accordée à l’argent, l’apparat et à la réussite, l’ambition et la volonté de
réalisation personnelle. Inversement, les sociétés féminines privilégient la qualité de vie,
l’harmonie relationnelle, la modestie et le souci d’autrui au détriment du rôle du héros
paradant.
Le Japon est une société typiquement masculine, tout comme les pays germanophones et à
un degré moindre certains pays latins comme l’Italie ou le Venezuela. À l’inverse, les
cultures scandinaves sont nettement féminines.
On peut s’attendre à ce que cette dimension de Masculinité / Féminité concerne la gestion
des connaissances et plus particulièrement la motivation à participer au partage de
connaissances. Par exemple, dans les pratiques de partage de connaissances comme celles
via des forums, l’apport répété de contributions est source d’image pour celui qui diffuse
ses savoirs. On peut ainsi envisager que ce gain en termes d’image sera plus valorisé au
sein des cultures masculines plus attachées à l’apparat, et y favoriserait donc le concours à
la diffusion des connaissances tandis que les sociétés féminines seraient, en théorie, moins
réactives à ce type de motivation. Il est donc envisageable que l’incitation au partage des
connaissances ne puisse s’appuyer sur les mêmes ressorts pour les cultures masculines et
féminines. La mise en œuvre de programmes d’échanges de connaissances au sein d’une
organisation multiculturelle devrait donc prendre en compte cette différence dans les
sources de motivation afin d’inciter chacune des cultures à participer. Toutefois, comme
nous l’avions envisagé à propos de la dimension Individualisme / Collectivisme, la
61
cohabitation de plusieurs systèmes incitatifs distincts au sein de la même organisation
pourrait devenir un facteur de tension si la participation au partage des connaissances
procure des avantages différents et perçus comme inéquitables. Une telle tension irait à
l’encontre d’un climat de confiance nécessaire pour le partage des connaissances. Or,
comme nous l’avions vu dans la partie 2 (§ 2), mettre en œuvre des conditions propices au
partage des connaissances est un des défis inhérents à la gestion des connaissances. Et ce
défi semble bien rendu plus complexe en contexte interculturel lorsque les motivations
sont distinctes d’une culture à l’autre.
3.2.1.5.
Orientation à court terme / Orientation à long terme
Cette cinquième dimension, ajoutée une dizaine d’années plus tard (Hofstede, 1991),
repose sur l’orientation temporelle et a été identifiée au cours d’une enquête sur les valeurs
chinoises. Cette dernière a permis de mettre en évidence l’orientation à long terme qui
caractérise les pays d’Asie de l’est marqués par la « dynamique confucéenne ».
Les valeurs reliées à l’orientation à long terme sont étroitement liées à la philosophie de
Confucius qui préconise la persévérance, le respect du rang, le sens de l’économie et du
déshonneur. Inversement, les sociétés orientées sur le court terme valorisent la modernité
et le présent, et les résultats rapides. Les changements peuvent y intervenir beaucoup plus
rapidement puisque le respect de la tradition y est perçu comme moins primordial.
Les pays fortement orientés à long terme sont donc évidemment les pays d’Asie de l’est
comme la Chine, Hong-Kong ou encore le Japon. Parmi les cultures orientées vers le long
terme, on trouve aussi, à un degré moindre, l’Inde et le Brésil. En revanche, parmi les
sociétés fortement orientées à court terme on retrouve les pays occidentaux comme le
Canada, les États-Unis et la Grande-Bretagne, mais aussi particulièrement les pays
africains.
L’orientation temporelle se manifestant, entre autres, par le degré d’acceptation du
changement, on peut raisonnablement penser qu’elle aura une influence sur la priorité
choisie entre conservation et création de connaissances. En effet, les cultures orientées sur
le long terme véhiculent des notions de respect des traditions qui seront plus enclines à
accorder plus d’importance à la conservation des connaissances, alors qu’inversement les
cultures orientées à court terme devraient présenter une préférence pour la création de
connaissances. Ainsi, même si les ressorts sont distincts, la problématique est semblable à
celle des conséquences d’une aversion au risque différente. C’est-à-dire qu’il faudra tenir
compte d’attentes et d’inclinaisons différentes vis-à-vis de la gestion des connaissances
d’une culture à l’autre. La gestion des connaissances serait donc rendue plus complexe par
le fait de devoir prendre en compte cette diversité d’attentes en termes de priorité à donner
entre conservation et création.
62
Les différences culturelles mises en évidence à travers les cinq dimensions de Hofstede
nous ont permis d’envisager trois facteurs avec lesquels la gestion des connaissances en
contexte interculturel devrait compter :
⊇ Des différences de sources de motivation pour le partage des connaissances
⊇ Des différences dans les attentes vis-à-vis de la gestion des connaissances
⊇ Des conceptions différentes des relations humaines
Ces facteurs semblent principalement affecter et complexifier deux des défis inhérents à la
gestion des connaissances que nous avions considérés précédemment (§ 2). D’une part, des
sources de motivation différentes devraient rendre plus complexe l’instauration de
conditions propices au partage des connaissances (§ 2.3.2). Et d’autre part, des
conceptions différentes des relations humaines devraient compliquer la mise en relation et
en interaction des acteurs de l’organisation sensés communiquer afin de partager des
connaissances.
Les complexités interculturelles envisageables pour la gestion des connaissances semblent
donc être de deux ordres différents : premièrement, une complexité dans l’organisation de
la gestion des connaissances, et deuxièmement, une complexité dans les relations
humaines. D’une part, les motivations et les comportements étant différents d’une culture
à l’autre, la gestion d’ensembles hétérogènes sera plus complexe. D’autre part,
l’interaction entre des protagonistes de cultures différentes est plus complexe, eu égard
aux incompréhensions qu’il peut y avoir et aux conséquences qu’elles peuvent avoir sur le
nécessaire climat de confiance.
3.2.2.
La communication non-verbale selon Hall et Hall
Nous avons convenu que la gestion des connaissances est un processus multidisciplinaire
qui vise à exploiter au mieux les ressources immatérielles que sont les connaissances en
gérant leur acquisition, leur identification, leur diffusion et leur utilisation (§ 2.1.2.2).
Dans sa dimension de diffusion, la gestion des connaissances implique donc un processus
de communication des connaissances, une communication qui peut s’opérer de manière
intermédiée via des documents codifiés (people-to-documents) ou de manière directe
d’individu à individu (person-to-person) (Hansen, Nohria, et Tierney, 1999).
C’est dans cette optique relative à la diffusion des connaissances que nous nous
intéresserons aux travaux de Hall et Hall (1990) sur la question de la communication
transculturelle et de ses obstacles. D’après ces derniers, 50 à 90 % de l’information est
véhiculée par des moyens non verbaux. Forts de ce constat, ils mettent en avant le rôle de
la communication non verbale en tant que frein à la compréhension entre individus de
cultures différentes. Selon eux, l’usage d’un mode de communication non verbale par un
individu est déterminé par un « conditionnement culturel » suivant une logique proche de
63
ce que Hofstede (1981) appelle la « programmation mentale ». Toutefois, les auteurs
prennent garde de ne pas généraliser mécaniquement leur propos et précisent qu’ils se
référent à une population déterminée qui est constituée de « managers concernés par les
échanges internationaux » (1990 : 11).
Hall et Hall (1990) affirment que la facilité de compréhension entre deux individus de
cultures différentes dépendra du degré de mise en phase de leurs systèmes culturels
respectifs. Plus ceux-ci seront distants et différents, plus il sera difficile de les mettre en
phase et d’établir une « interface fonctionnelle » de communication. Dans le cas d’une
organisation agissant sur un terrain interculturel, Hall et Hall (1990) identifient différents
facteurs affectant la difficulté de mise en phase de deux systèmes culturels (Figure 11 :
Facteurs affectant la mise en phase de deux cultures d'après Hall et Hall (1990)).
Figure 11 : Facteurs affectant la mise en phase de deux cultures d'après Hall et Hall
(1990)
Facteurs accroissant la difficulté
de mise en phase
Facteurs réduisant la difficulté
de mise en phase
5a. Aptitude des
managers
1. Distance culturelle
entre deux marchés
2. Complexité des
éléments d'un ensemble
3. Nombre de niveaux
hiérarchiques
4. Degré de référence au
contexte par le système
culturel
+
+
+
+
DIFFICULTÉ
DE LA MISE
EN PHASE
-
5b. Congruence des
composantes des deux
organisations
6a. Degré de référence
au contexte pour une
activité
6b. Descriptibilité des
tâches et activités
6c. Simplicité de
l'organisation
La difficulté de base pour l’individu réside dans la prise de conscience du caractère acquis
(et non inné) des pratiques de communication, et de la part de ces pratiques intégrées de
manière inconsciente (et qui ont tendance à être considérées, à tort, comme universelles).
Pour caractériser cette part inconsciente, Hall et Hall (1990) opèrent une distinction entre
culture acquise et culture apprise. La première est reçue avant la scolarisation et est
64
transmise à l’individu sur un mode plutôt passif et inconscient contrairement à la seconde
qui est enseignée, véhiculée de manière plus active et consciente ce qui la rend plus
aisément identifiable. Selon les auteurs, il existe un rapport variant de 1 pour 7 à 1 pour 9
entre culture apprise et acquise.
Ces modes de communication non verbale intégrés par le « conditionnement culturel » se
manifestent sous différentes formes selon Hall et Hall (1990) : le niveau de « référence au
contexte », et la perception de l’espace et du temps. Parmi ces trois caractéristiques, nous
ne retiendrons que les deux qui nous semblent avoir les implications les plus pertinentes en
termes de gestion des connaissances : la différence dans le degré de référence au contexte
(§ 3.2.2.1), et la différence de perception du temps (3.2.2.2).
3.2.2.1.
Implications des différences de degré de référence au contexte
D’après Hall et Hall (1990), le mode de communication d’une culture se situe sur un axe
qui va d’une forte référence au contexte à une faible référence au contexte. Le contexte
représente toutes les informations, formulées ou non, qui ont trait à un événement et qui
sont indissociables de celui-ci. Hall et Hall (1990) parlent de forte référence au contexte
(C+) lorsque la référence à ce dernier est implicite (l’émetteur suppose que le récepteur
dispose des référents nécessaires à la compréhension du message et qu’il les utilisera).
Dans le cadre d’une forte référence au contexte, l’information est implicite et informelle et
les flux d’informations sont plus multidirectionnels et spontanés. La communication y est
à la fois, officielle et officieuse, avec une tendance d’aller aux faits directement. Cette
diffusion large de l’information permet aux individus d’être « imprégnés » du contexte, ce
qui explique la facilité à y faire référence. Inversement la référence au contexte sera
considérée comme faible (C-) lorsque cette dernière est explicite (l’émetteur donne tous
les détails nécessaires). La différence de référence au contexte d’une culture à l’autre
dépend de la fluidité de la circulation de l’information et de ses canaux de diffusion.
Lorsque l’information circule par des canaux formels et hiérarchiques, comme c’est le cas
chez les cultures à bas contexte, elle est explicite, formelle, et complète afin de distribuer
l’ensemble des informations nécessaires à la connaissance et à la décision.
Selon Hall et Hall (1990), les cultures anglo-saxonnes (Allemagne, États-Unis,…) et
scandinaves font peu référence au contexte, à l’inverse des cultures méditerranéennes ou
extrême-orientales. Par exemple les cultures française et japonaise sont considérées
comme faisant fortement référence au contexte.
L’instauration d’un contexte partagé entre les acteurs du partage des connaissances est un
défi de la gestion des connaissances comme nous l’avons vu précédemment (§ 2). En effet,
plus large est le contexte partagé entre deux individus, plus grande sera leur capacité à
accéder à leurs connaissances spécifiques réciproques. Ainsi, la notion de référence au
contexte devrait intéresser la gestion des connaissances, et a fortiori lorsque ce concept
peut s’apparenter à une référence à des connaissances implicites. Lesquelles sont
nécessaires à la compréhension du message, à l’accès à un sens complet. On peut donc
présager que l’interaction et le partage de connaissances entre individus qui n’ont pas
recours au contexte dans les mêmes proportions pourront pâtir de ce décalage culturel.
65
D’une part, les messages d’un individu (C+) paraîtront incomplets à un individu (C-)
puisque le contenu du message n’est pas autonome, qu’il nécessite des informations
externes au message et qui font partie d’un contexte dont l’individu C- est peu ou moins
imprégné. Ainsi, les messages d’un individu C+ à l’attention d’un autre de culture Cpourront paraître ambigus, approximatifs et donc difficilement interprétables dans des
conditions favorables. D’autre part, dans la situation inverse (d’un individu C- à un
individu C+), l’abondance d’informations peut conduire à « noyer » l’essentiel du message
parmi des détails. En conséquence, une utilisation différente de la référence au contexte
peut donc rendre plus complexe le partage des connaissances.
À plus long terme, on peut aussi envisager que cette complexité puisse s’accroître en y
ajoutant une détérioration des relations humaines du fait des incompréhensions liées à un
niveau de référence au contexte inattendu de la part du récepteur. En effet, comme le
relèvent Hall et Hall (1990 :53) : « être accablé d’informations que l’on détient déjà peut
être perçu comme une humiliation. En recevoir trop peu laisse facilement imaginer une
volonté d’exclusion ». Or ce genre de situation est de nature à desservir le climat de
confiance nécessaire au partage des connaissances. On peut donc considérer que le défi de
mettre en œuvre des conditions propices à la gestion des connaissances sera plus complexe
dès lors que les acteurs du partage n’ont pas la même relation au contexte dans leur
communication.
Ainsi, ces différences de mode de communication non verbale peuvent avoir un impact
direct sur la qualité de l’échange, mais aussi sur la relation humaine, ce qui, in fine, nuira
aussi au partage de connaissances.
3.2.2.2.
Implications des différences de perception du temps
Selon Hall et Hall (1990), la perception du temps varie d’une culture à l’autre. Ils
distinguent deux types de perception du temps : le temps monochrone et le temps
polychrone.
Chez les monochrones, le temps est perçu d’une manière linéaire et séquentielle. Les
activités sont réalisées une par une, les unes à la suite des autres en suivant un programme
rigoureux et méthodique, et en respectant le plus scrupuleusement possible des délais pour
terminer chaque tâche. À l’inverse, chez les polychrones, plusieurs activités peuvent être
menées simultanément, les séquences de travail sont sujettes à de fréquentes interruptions
car on accorde plus d’importance à la réactivité aux évènements extérieurs, à l’adaptabilité
et la flexibilité, ainsi qu’à la qualité des relations humaines.
Ces notions de perception du temps sont reliées au degré de référence au contexte. En
effet, de la monochronie ou de la polychronie dépendra en partie la manière dont circulera
l’information. Suivant Hall et Hall (1990), les informations circulent généralement de
façon plus fluide et informelle (et les individus y sont plus réceptifs) au sein de réseaux où
l’interaction est plus intense comme chez les polychrones, ce qui explique leur possibilité
de faire référence implicitement au contexte.
66
Lorsque les échanges de connaissances impliquent une interaction directe, ou un dialogue,
entre un monochrone et un polychrone, on peut envisager que la différence de perception
du temps rendra la relation interpersonnelle et la communication plus complexe. En effet,
la simultanéité des tâches effectuées par le polychrone peut engendrer des interférences
perturbantes pour un individu monochrone lorsque ces deux derniers sont engagés dans
une discussion. Alors que le monochrone se consacrera exclusivement au partage des
connaissances sur un sujet précis et donné, la multiplicité des tâches en cours du
polychrone et les interruptions fréquentes pourront lui paraître déroutantes. De fait, la
différence de perception du temps entre deux individus peut altérer la qualité d’un échange
de connaissances.
De plus, de la même manière que décrit précédemment, dans le cas d’une différence de
référence au contexte, cette différence culturelle peut être source de tensions dans le sens
où un monochrone pourrait, par exemple, interpréter l’attitude du polychrone comme une
marque d’irrespect. Or, de telles conditions peuvent limiter la confiance nécessaire au
partage des connaissances.
Ainsi, ces différences de perception du temps peuvent influer sur la qualité de l’échange et
sur la confiance interpersonnelle, ce qui n’ira pas dans le sens d’un climat favorable au
partage de connaissances.
À l’aide des travaux de Hall et Hall sur la communication transculturelle, et plus
particulièrement dans sa dimension non-verbale, nous avons pu envisager que les
différences culturelles rendent la gestion des connaissances plus complexe par l’ajout
d’obstacles. Des obstacles dans la communication, mais aussi dans la relation humaine.
En effet, les différences dans la référence au contexte peuvent nuire à la compréhension
réciproque des protagonistes du partage des connaissances en les confrontant à des
messages qu’ils percevront comme flous ou surchargés en informations. De plus, les
différences de perception du temps peuvent avoir un impact négatif sur la qualité de la
communication et de la relation interpersonnelle. De fait, outre le préjudice direct sur la
qualité de la communication des connaissances, les incompréhensions peuvent aussi
engendrer des tensions préjudiciables au climat de confiance que nécessite le partage des
connaissances.
Nous avons tenté d’appréhender les dimensions cachées de l’interculturalité et leur impact
sur l’organisation et la pratique de la gestion des connaissances dans ce chapitre (§ 3.2).
Nous avons donc recherché en quoi les différences culturelles, dans les approches de
Hofstede et Hall et Hall, peuvent complexifier l’exercice de la gestion des connaissances.
Sur la base des travaux de ces chercheurs reconnus sur la question de l’interculturalité,
nous avons pu envisager différents facteurs pouvant affecter la gestion des connaissances :
⊇ Des sources de motivation différentes pour le partage des connaissances
67
⊇ Des attentes différentes vis-à-vis de la gestion des connaissances (création /
conservation)
⊇ Des conceptions différentes des relations humaines (notamment sur les degrés
d’individualisme, de distance hiérarchique, ou encore de masculinité)
⊇ Des modes de communication non verbale différents (avec une référence contexte
plus ou moins forte)
Ajoutons que ces différences peuvent impliquer la nécessité de faire cohabiter des mesures
distinctes selon les cultures, ce qui rend de facto la gestion des connaissances plus
complexe. En effet, de ces différences, et des incompréhensions qu’elles engendrent,
peuvent aussi naître des tensions peu propices à un climat de confiance.
De plus, ces dimensions cachées s’additionnent aux dimensions envisagées sur Les a priori
de l’interculturalité (§ 3.1). D’une part, elles viennent préciser et spécifier le possible choc
des cultures évoqué précédemment (§ 3.1.1). D’autre part, nous avions aussi vu
l’importance de la question de la langue (§ 3.1.2). La diversité linguistique présentant une
barrière de prime abord, mais reflétant et intégrant la diversité des cultures, et des modes
de pensée.
Ainsi, la réflexion menée nous a conduit à penser que les contextes interculturels peuvent
être sources de complexités de diverses natures pour la gestion des connaissances au sein
des organisations. Et que les défis de la gestion des connaissances s’en trouvaient
probablement renforcés, tant par des facteurs visibles et directement préhensibles tels la
langue que par des éléments moins visibles de prime abord comme la communication nonverbale, ou la « programmation mentale ». Ces complexités sont le fruit de l’accumulation
de détails ou de barrières plus sérieuses (comme la langue), mais semblent pouvoir se
traduire tant par des obstacles (difficulté de communication, difficulté à transposer des
connaissances et pratiques dans une autre culture,…) que par des avantages (création et
accès à de nouvelles connaissances, …). Et pour tirer bénéfices des opportunités de ce
contexte, cela suppose d’admettre cette interculturalité en tant que telle et d’encourager
l'interaction entre les cultures, les échanges et la communication. L’organisation et ses
membres doivent pour cela reconnaître et accepter la réciprocité des cultures.
Qu’en est-il sur le terrain ? Comment les complexités liées à l’interculturalité se
manifestent-elles dans les pratiques de gestion des connaissances et qu’en est-il de leur
perception par les acteurs sur le terrain ? Comment ces obstacles et ces avantages se
traduisent-ils au sein des organisations ?
C’est ce que nous aborderons dans la prochaine partie (§ 4.Étude de cas : Ernst & Young)
à travers l’étude du cas d’Ernst & Young, firme de conseil présente dans plus de 140 pays.
Sans tenter un difficile exercice de généralisation, nous essaierons de faire ressortir une
expérience, celle vécue à cet égard par un acteur que l’on peut logiquement considérer
comme concerné par cette question de la gestion des connaissances en milieu interculturel
de par son secteur d’activité et sa présence mondiale.
68
4. Étude de cas : Ernst & Young
Le croisement entre la littérature sur la gestion des connaissances, le management
interculturel et d’autres disciplines d’intérêt pour la notion d’interculturalité nous a permis
d’envisager pourquoi et comment la gestion des connaissances pourrait être plus complexe
en contexte interculturel. Nous avons considéré qu’en gestion des connaissances,
l’interculturalité pourrait se traduire par des difficultés de communication tant du fait des
différences de langues, de l’absence de référents culturels communs, ou de conceptions
hétérogènes des relations humaines. À ces complexités de communication, nous avons
aussi envisagé que viennent s’ajouter des complications liées à des attentes divergentes
vis-à-vis de la gestion des connaissances, ou encore au fait que les sources de motivation à
partager les connaissances peuvent être distinctes.
Après une première analyse théorique (§ 2 et § 3), nous allons tenter de compléter notre
propos à l’aide d’un cas, celui d’une firme de dimension internationale et œuvrant dans un
secteur à forte intensité en connaissances. Nous commencerons cette partie en présentant
et justifiant la méthodologie retenue pour cette recherche (§ 4.1), puis nous appliquerons
notre méthodologie pour analyser et interpréter les données que nous avons collectées sur
la firme Ernst & Young (§ 4.2).
4.1. Méthodologie
Le présent chapitre a pour but de présenter la méthodologie que nous utiliserons
ultérieurement (§ 4.2) pour répondre à notre problématique. Selon Quivy et Van
Campenhoudt (1995), cette méthodologie se doit de répondre à trois questions : Observer
quoi (§ 4.1.1) ? Observer sur qui (§ 4.1.2) ? Observer comment (§ 4.1.3) ? Ce sera l’objet
de nos trois prochaines sections.
4.1.1.
Observer quoi ?
Selon Quivy et Van Campenhoudt (1995), la méthodologie de recherche doit définir les
données pertinentes en regard de l’objet étudié. Cette section vise donc à définir les
données qui seront collectées et analysées afin d’apporter des éléments de réponse à notre
question de recherche.
69
Dans notre cas il s’agit d’étudier en quoi un contexte interculturel peut rendre la gestion
des connaissances plus complexe, comment se traduit cette complexité et sur quoi
débouche-t-elle (quels avantages ? quels inconvénients ?) pour l’organisation, comment
ces obstacles et avantages sont-ils appréhendés au sein des firmes ? Il s’agit donc, d’une
part de recueillir les données révélant le caractère interculturel du cas étudié, et d’autre
part de collecter les données relatives à la complexification de la gestion des
connaissances par le fait de l’interculturalité.
Revenons tout d’abord sur le concept d’interculturalité. Elle peut se concevoir comme un
contexte qui met en contact et en interaction des individus de cultures différentes. Mais la
présence d’un contexte interculturel n’est pas directement observable puisque la notion de
culture n’est, elle-même, pas préhensible en tant que tel. Toutefois, pour caractériser un
contexte interculturel, on peut observer les indicateurs suivants : la présence de différents
pays (à l’instar de Hofstede) et de différentes langues au sein d’une relation à l’intérieur
d’une organisation. Cette approche présente évidemment une limite en ne prenant pas en
compte tous les cas de multiculturalisme, notamment au sein d’un même pays. Cependant,
elle présente l’avantage d’être plus préhensible.
Dès lors que le contexte interculturel sera caractérisé nous pourrons nous intéresser aux
complexités qu’il ferait naître pour la gestion des connaissances. Mais, comme pour la
présence d’un contexte interculturel, les conséquences de ce dernier sur la gestion des
connaissances ne sont pas directement observables. En revanche, au niveau de la firme, on
peut observer si cette dernière fait des efforts particuliers pour gérer les conséquences de
l’interculturalité dans la gestion des connaissances :
⊇ Que fait-elle pour dépasser les obstacles de l’interculturalité que sont les
différences de langues, de référents culturels, ou des conceptions des relations
humaines ?
⊇ Que fait-elle face à des individus ayant des attentes divergentes vis-à-vis de la
gestion des connaissances, ou encore au fait que les sources de motivation à partager
les connaissances peuvent être culturellement hétérogènes.
Après avoir défini les données que nous devrons observer, nous poursuivrons dans la
prochaine section en déterminant sur qui nous observerons ces données.
4.1.2.
Observer qui : pourquoi Ernst & Young ?
Afin d’étudier en quoi un contexte interculturel peut rendre la gestion des connaissances
plus complexe, nous avons décidé de faire porter nos observations sur une organisation
concernée par la gestion des connaissances et l’interculturalisme.
70
Pour cela, il s’agira d’étudier une organisation présente au sein de plusieurs pays et qui
porte une attention particulière aux connaissances et à la gestion des connaissances.
Le choix d’une firme internationale œuvrant dans l’industrie du conseil et de la
consultation nous est apparu pertinent puisqu’il s’agit d’un secteur d’activité où les
connaissances sont plus qu’ailleurs à la base du métier (secteur dit à « haute intensité de
connaissances ») et que la gestion des connaissances y est souvent plus développée qu’au
sein d’autres secteurs. À titre d’exemple, dans l’enquête menée en 2001 par Earl (2002)
sur les pratiques de gestion des connaissances au Canada, il ressort que les entreprises
spécialisées en services de conseils en gestion et de conseils scientifiques et techniques se
classaient premières dans l’utilisation de pratiques de gestion des connaissances (14
pratiques utilisées) tandis qu’en moyenne, les entreprises de chacun des cinq sous-secteurs
étudiés (foresterie et exploitation forestière; fabrication de produits chimiques; fabrication
de matériel de transport; grossistes-distributeurs de machines, de matériel et de
fournitures; et services de conseils en gestion et de conseils scientifiques et techniques) en
ont utilisées 11 (sur les 23 suggérées dans le questionnaire).
Parmi les différentes entreprises correspondant à ce profil de firme de l’industrie du
conseil opérant au sein de plusieurs pays, nous avons décidé de nous orienter sur Ernst &
Young. Cette firme nous semble un choix pertinent pour les raisons suivantes :
⊇ Ernst & Young est une firme d'un secteur dit à « haute intensité de connaissances »
⊇ Ernst & Young est une firme reconnue pour son habileté en gestion des
connaissances. Cette habileté a été récemment récompensée par une 6ème place au prix
MAKE (Most Admired Knowledge Enterprise) dont l’enquête est conduite par Teleos
en collaboration avec KNOW Network (INT ; Ernst & Young France, 2006b).
⊇ Ernst & Young dispose d'une présence dans plus de 140 pays (INT ; Ernst & Young
International, 2006) sur les cinq continents (voir Annexe 1 : Présence mondiale d’Ernst
& Young).
⊇ Ernst & Young se prévaut de sa capacité à offrir à ses clients les connaissances et
les compétences de son réseau de plus de 100 000 collaborateurs à travers le monde
(INT ; Ernst & Young France, 2006a).
⊇ Ernst & Young dispose d'une politique de gestion des connaissances à l'échelle
internationale avec notamment un chef global de la connaissance en la personne de
Tim Curry.
De par son profil, Ernst & Young apparaît donc comme une organisation intéressante afin
d’étudier en quoi un contexte interculturel peut rendre la gestion des connaissances plus
71
complexe. Nous verrons dans la section suivante comment nous observerons les données
sur la firme Ernst & Young.
4.1.3.
Observer comment : le choix de l’étude de cas
Nous décrirons dans cette section notre stratégie de recherche. Dans un premier temps
nous justifierons le recours à une étude de cas (§ 4.1.3.1), puis nous déterminerons
comment nous avons procédé pour mener cette étude de cas en déterminant le type de
recherche choisi (§ 4.1.3.2) et les modalités de recueil des données (§ 4.1.3.3).
4.1.3.1.
Pourquoi une étude de cas ?
Nous cherchons à déterminer pourquoi et comment un contexte interculturel rendrait-il
l’exercice de la gestion des connaissances plus complexe. Comment les complexités liées à
l’interculturalité se manifestent-elles dans les pratiques de gestion des connaissances ?
Comment ces obstacles et ces avantages sont-ils appréhendés au sein des organisations ?
Ces questions de recherche ne sont pas formulées de manière à évaluer des covariations de
niveaux entre des variables. De plus, les données recherchées sont d’ordre qualitatif
(« pourquoi », « comment »). Selon Mace et Pétry (2000), la nature de la question de
recherche et des données sur lesquelles nous travaillons justifie une recherche qualitative
et plus particulièrement le recours à une étude de cas. De plus, selon Hlady Rispal (2002),
l’étude de cas est une des méthodes de recherche qualitative les plus employées en gestion
car « elle s’adapte bien à l’étude d’une organisation ».
4.1.3.2.
Quel type de recherche ?
Dans le cadre de cet essai, nous ne cherchons pas à quantifier un phénomène mais à
comprendre un processus.
Étant donné que les travaux de recherche sur la gestion des connaissances en milieu
interculturel sont encore peu nombreux (Holden, 2001 ; Desouza et Evaristo, 2003 ; Glisby
et Holden, 2003), la logique de recherche laissera place à la découverte et à la construction
de sens.
Nous nous situerons dans le cadre d’une recherche qualitative inductive qui prendra appui
sur l'étude d’un cas unique. L’étude de cas unique sert à décrire en profondeur un
phénomène de façon à vérifier la vraisemblance des explications théoriques de ce
phénomène. Elle permet de confirmer, réfuter ou compléter une théorie. C’est ce que nous
tenterons de faire avec les propositions théoriques que nous avons construites dans les
deux premières parties de cet essai qui nous ont conduit à penser que la gestion des
connaissances serait plus complexe en contexte interculturel. Cette complexité ayant
théoriquement des origines culturelles diverses (langues, valeurs, comportements), mais
72
aussi des répercussions à différents niveaux (tant du point de vue de l’organisation de la
gestion des connaissances, que dans les relations interculturelles). Selon Yin (1990), notre
démarche fait partie de celles dans lesquelles le recours à un cas unique peut être
préconisé. Yin préconise le recours au cas unique dans trois cas : lorsque le chercheur
souhaite confirmer, réfuter ou compléter une théorie, lorsque le cas présente un caractère
unique, et lorsqu’il s’agit d’un phénomène qui n’était pas encore accessible à la
communauté scientifique.
4.1.3.3.
Documentation et sources d’informations utilisées
Nous avons procédé à une observation de documents de la firme et sur la firme. Nous
avons restreint notre collecte de données à cette méthode en raison des limites de nos
ressources (temps et argent).
L’observation documentaire présente l’avantage de mobiliser peu de ressources de temps
et d’argent, pour la collecte des données. Toutefois la limite de l’observation documentaire
dans notre cas tient au fait que les documents traitant précisément de notre sujet d’étude
sont rares et que la manipulation de données qui ne sont pas nécessairement en totale
adéquation avec nos objectifs de recherche peut altérer la fiabilité de ces dernières.
La période de consultation des données documentaires court de septembre 2005 à mars
2006 et concerne des documents faisant référence aux questions de l’interculturalité et/ou
de la gestion des connaissances chez Ernst & Young sans délimitation de la période
couverte.
Les publications observées ont été, en priorité, celles parues dans des revues avec comité
de lecture (sélectionnées depuis la base de données Proquest – INT; Proquest, 2006) et
celles issues des documentations produites par Ernst & Young. La sélection de la
littérature et des publications observées est définie plus en détail en annexe (voir l’Annexe
3 : Documentation sollicitée pour l’étude de cas).
Notre stratégie de recherche est donc basée sur l’étude d’un cas unique, celui de la firme
Ernst & Young, et se positionne dans une logique de recherche qualitative inductive dont
le but sera de confirmer, réfuter ou compléter les propositions théoriques que nous avons
émises concernant la complexité de la gestion des connaissances en milieu interculturel. À
l’aide d’observations documentaires, nous avons cherché des données afin de mieux
comprendre en quoi un contexte interculturel peut rendre la gestion des connaissances plus
complexe, comment se traduit cette complexité et sur quoi débouche-t-elle pour
l’organisation.
Le prochain chapitre présentera notre analyse et notre interprétation à l’égard des données
recueillies sur et auprès de la firme Ernst & Young.
73
4.2. Analyse et interprétations
Nous avions vu dans les parties 2 et 3 de cet essai (§ 2 et § 3) que l’on pouvait
raisonnablement envisager qu’un contexte interculturel rende la gestion des connaissances
plus complexe. Une interculturalité qui, en se manifestant à travers les différences de
langues, d’environnement ou de comportement, pourrait se traduire tant par des obstacles à
un partage des connaissances efficace, que par des opportunités de création de nouvelles
connaissances. En effet, les différences culturelles rendent la communication plus
complexe, mais offrent une hétérogénéité potentiellement créatrice.
Aussi, afin de compléter notre compréhension des complexités de la gestion des
connaissances en milieu interculturel, nous nous intéresserons dans ce chapitre à l’étude du
cas de la firme Ernst & Young qui est constituée d’un réseau de plus de 100 000
collaborateurs répartis dans 140 pays pour saisir comment la firme appréhende
l’interculturalité qui caractérise son réseau mondial.
Pour cela, nous commencerons par introduire la firme
Ernst & Young, en présentant dans un premier temps la
compagnie, ses caractéristiques et chiffres-clés ainsi que
sa gestion des connaissances (§ 4.2.1) pour pouvoir
appréhender par la suite comment elle aborde la
complexité de l’interculturalité dans cette activité
(§ 4.2.2).
4.2.1.
Introduction à Ernst & Young
“To deliver world-class
audit, risk advisory, tax, and
transaction services”
Ernst & Young se définit comme un des chefs de file
mondiaux des services professionnels (INT ; Ernst &
Young Canada, 2006a). Selon son Chef de la Direction,
James S. Turley,
James S. Turley (Ernst & Young, 2004), une des missions
Chef
de
la
Direction
d’Ernst & Young
centrales d’Ernst & Young est d’offrir à ses clients des
(Global
Review – 2004)
services en audit, en risques d’affaires, en fiscalité, et des
services consultatifs transactionnels de classes mondiales. Nous verrons ci-après les
grandes lignes qui caractérisent la compagnie (§ 4.2.1.1) et ses structures et programmes
reliés à la gestion des connaissances (§ 4.2.1.2)
4.2.1.1.
Organisation et chiffres-clés
Ernst & Young est le fruit du rapprochement de nombreux cabinets comptables et d’audit
de par le monde, et ce depuis plus d’un siècle. La structure internationale de la firme
reflète le fait que les réglementations qui régissent sa profession varient d'un pays à l'autre
et requièrent l'existence d'entités nationales agréées dans leur pays respectif. Toutefois ce
74
réseau mondial est intégré et coordonné par le
biais d'une structure de gouvernance globale
(Ernst & Young Global Limitée) pour appliquer
des méthodes, politiques, procédures et
systèmes cohérents et convergents (Voir
Annexe 2 : Organigramme d’Ernst & Young
Global).
Jusqu’en 2000, Ernst & Young opérait une
activité de conseil en management cédée depuis
à Cap Gemini. Aujourd’hui, la firme opère trois
lignes de services globales :
⊇ Certification et Services consultatifs
(audit, gestion du risque)
⊇ Fiscalité (taxes, services juridiques,…)
⊇ Services consultatifs transactionnels
(conseil en financement, soutien à
l’opération, restructuration,…)
Ernst & Young sert principalement sept
industries : Énergie, produits chimiques et
services publics; Services financiers; Services
de Santé; Produits industriels; Commerce de
détail et produits de consommation; Immobilier,
accueil
et
construction;
Technologies,
communications, et divertissements.
Les activités de la firme ont généré près de 17
milliards de dollars US de revenus en 2005. La
réalisation de ces activités a mobilisé près de
107 000 personnes dispersées dans 140 pays.
Ces pays sont répartis par Ernst & Young en
sept grandes zones qui ont en commun des
marchés,
des
proximités
culturelles,
géographiques, et/ou linguistiques : Europe
continentalo-occidentale (incluant l’Afrique
francophone), Europe centrale, Europe du nord
(incluant le Moyen-Orient et l’Afrique
anglophone), Océanie, Amériques, Japon, et
Extrême-Orient (Voir détail en Annexe 1 :
Revenus par lignes de services
(en millions USD)
Année Fiscale
2005
Lignes de services
Certification et Services
consultatifs
Services de Fiscalité
Services consultatifs
transactionnels
Autres
Sous total
Éliminations
11 131
4 489
1 667
180
17 467
-565
Total
16 902
Collaborateurs par lignes de service
Année Fiscale
2005
Lignes de services
Certification et Services
consultatifs
Services de Fiscalité
Services consultatifs
transactionnels
Autres services aux clients
Sous total - Services aux
clients
Soutiens aux cœurs de métier
Total
56 162
18 051
6 151
2 336
82 700
23 950
106 650
Collaborateurs pas zones
géographiques
Année Fiscale 2005
19%
35%
11%
15%
20%
Amériques
Extrême-Orient, Japon et Océanie
Europe Centrale
Europe continentalo-occidentale
Europe du Nord
Source : Global Review 2005
75
Présence mondiale d’Ernst & Young).
4.2.1.2.
La gestion des connaissances chez Ernst & Young
Ernst & Young est reconnue comme un des chefs de file
et précurseurs en gestion des connaissances. Les
initiatives en la matière y ont été formalisées dès le
début des années 1990 et notamment à travers les plans
« Future State ‘97 » (Davenport, 1997) et « Future State
‘2002 » (Pollard, 2000). Nous verrons ci-après quelles
approches ont été retenues chez Ernst & Young en
matière de gestion des connaissances, puis quelles
structures ont été mises en place pour soutenir cette
dernière.
4.2.1.2.1. Approches relatives à la
gestion des connaissances
“Knowledge is any
intangible resource of a
business that helps its people
do something better than
they could do without it”
Nous avions vu précédemment (§ 2.1) que la
définition des connaissances était un enjeu primordial.
Commençons donc par présenter la définition retenue
chez Ernst & Young à travers celle de Dave Pollard,
Dave Pollard,
Chef de la connaissance (Chief Knowledge Officer ou
Chef
de
la
connaissance
d’Ernst &
CKO) d'Ernst & Young Canada de 1994 à 2003 : « les
Young Canada de 1994 à 2003
connaissances sont toute ressource intangible d'une
(Anonyme, 2000)
entreprise qui permet à ses collaborateurs de faire
mieux que ce qu'ils pourraient faire sans cette
ressource » (Anonyme, 2000). Une définition assez large qui peut théoriquement recouvrir
les notions d’informations et de données, mais aussi des outils et méthodes, qu’ils soient
théoriques ou intégrés à des solutions logicielles.
Par ailleurs, selon Werr et Stjernberg (2003), Ernst & Young se situe dans une approche
où les connaissances sont considérées comme « théoriques », c’est-à-dire abstraites et
explicites, et les compétences de la compagnie reposent sur les méthodes
organisationnelles, les outils, et autres manuels. Cette perception de « connaissances
théoriques » se définit par rapport aux « connaissances pratiques » qui font référence à des
connaissances tacites et contextualisées. Toujours selon Werr et Stjernberg (2003), mais
aussi Hansen et al, (1999), cette vision correspond à un objectif d’efficacité et de
réutilisation des connaissances dans une approche de codification de ces dernières et de
production des services standardisée. Cette stratégie orientée sur l’efficacité et
l’accélération de la livraison des solutions auprès des clients était formalisée dès 1995 à
travers l’approche « Accelerated Solutions Environments » (Davenport, 1997).
76
Cette approche basée sur la codification et la réutilisation des connaissances suppose, a
priori, peu ou pas d’interaction directe entre le « producteur » et le « consommateur » de
connaissances, ce qui est confirmé par Ralph Poole, Directeur du Center for Business
Knowledge d’Ernst & Young :
After removing client-sensitive information, we develop 'knowledge
objects' by pulling key pieces of knowledge such as interview guides,
work schedules, benchmark data, and market segmentation analyses
out of documents and storing them in the electronic repository for
people to use. This approach allows many people to search for and
retrieve codified knowledge without having to contact the person who
originally developed it. (Hansen et al., 1999 : 108).
Toutefois, cette approche principale n’est pas exclusive chez Ernst & Young puisque cette
dernière mise aussi sur des relations interpersonnelles à travers les communautés
d’intérêts.
Nous verrons ci-après quelles sont les structures et les organisations mises en place pour
supporter le programme de gestion des connaissances de la firme.
4.2.1.2.2. Structures et organisation relatives à la gestion des
connaissances
Les programmes de gestion des connaissances ont initialement été introduits au niveau des
activités de conseil en management aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, puis ont
été progressivement étendus aux autres activités et aux autres pays (Pollard, 2000).
Les employés d’Ernst & Young se partagent et accèdent aux connaissances de la compagnie
via une organisation dédiée aux connaissances et animée par 650 personnes (le Center for
Business Knoweldge), et via son Intranet « KnowledgeWeb » (Pollard, 2000).
Le Center for Business Knowledge (CBK)
Le rôle du « Center for Business Knowledge » (CBK) est d’assurer que les processus de
gestion des connaissances offrent aux professionnels de la firme un accès permanent à des
informations et connaissances de haute qualité et de favoriser le partage des connaissances
(Figure 12 : Les rôles du Center for Business Knowledge). Il fournit aux collaborateurs des
services personnalisés de recherche primaire et secondaire, d’analyse, d’information
commerciale et de veille concurrentielle. Il leur assure aussi l’accès aux ressources
électroniques préalablement stockées et/ou fournies par des tiers. L’accès à ces ressources se
fait via l’intranet KnowledgeWeb incluant, entre autres, les meilleures pratiques (PowerPacks)
77
et les Sites Collectifs, espaces virtuels des communautés d’intérêt (Community of Interest
Network ou CoIN)(INT; Ernst & Young Canada, 2006b). Il existe une dizaine de CBK
régionaux, notamment à Toronto, Paris, Hong Kong ou Sydney et un CBK global qui
coordonne les architectures et les infrastructures pour les connaissances mises en place par ces
derniers (Pollard, 2000).
Figure 12 : Les rôles du Center for Business Knowledge
Source : Pollard (2000 :11)
78
L’intranet KnowledgeWeb (KWeb)
KnowledgeWeb (KWeb) est le portail intranet des connaissances à la disposition des employés
d’Ernst & Young. Cette application leur donne accès à l’ensemble des nombreuses bases de
données et de connaissances de la compagnie contenant les documents produits au cours de
précédentes missions, les meilleures pratiques, des analyses, ou encore des méthodologies
ainsi que des nouvelles et analyses sur les différentes industries fournies par des vendeurs
externes comme le Gartner Group; Forrester Research; Factiva.com; Credit Suisse First
Boston; AMR Research, Inc.; Standard & Poors, Market Insight, etc (INT; Ernst & Young
Middle-East, 2006). La navigation et l’accès sont aidés par l’indexation des documents et de
puissants moteurs de recherche (INT; Ernst & Young Canada, 2006b) (Figure 13 : L’intranet
KnowledgeWeb d’Ernst & Young). KWeb propose aussi la navigation via un recueil des
meilleures pratiques (les PowerPacks) et via les Sites Collectifs sélectionnant les ressources
les plus appropriées d’un domaine d’intérêt spécifique.
Figure 13 : L’intranet KnowledgeWeb d’Ernst & Young
Source : Wah (1999 : 18)
79
Les PowerPacks
Les PowerPacks sont des « conteneurs de connaissances » codifiées issues des apprentissages
les plus pertinents développés au cours de missions (Wah, 1999a) et contenant des
informations, des présentations, des outils et méthodes spécialement adaptés à certains
problèmes ou industries (Werr & Stjernberg, 2003). Ils sont structurés sur un modèle
standardisé suivant une même méthodologie de conception ce qui permet aux utilisateurs de
naviguer plus facilement dans un environnement familier et d’y retrouver plus rapidement les
ressources qui leur seront utiles (Figure 14 : Exemple d’interface d’un PowerPack et Figure
15 : Exemple du contenu d’un PowerPack).
Dave Pollard (2000) considère que le développement et le déploiement des PowerPacks font
partie des réussites majeures du programme de gestion des connaissances en ayant eu un
impact direct et concret pour les utilisateurs.
Figure 14 : Exemple d’interface d’un PowerPack
Source : Pollard (2000 : 10)
80
Figure 15 : Exemple du contenu d’un PowerPack
Source : Ezingeard & al.(2000 : 815)
81
Les Sites Collectifs et les Communautés d’intérêt
Les Communautés d’intérêt (Community of Interest Network ou CoINs) sont des réseaux de
connaissances ou groupes virtuels qui rassemblent les professionnels d’Ernst & Young
impliqués dans une même industrie, discipline, compte ou processus et visent à permettre les
échanges de connaissances entre professionnels sur une approche de personnalisation. De plus,
à l’aide des sites collectifs (Community Homespaces) ils ont accès à des espaces virtuels qui
réunissent toutes les ressources de connaissances du champ d’intérêt de leur communauté
sélectionnées par les membres (PowerPacks, Listes de discussion, Profil de membres de la
communauté,…), et seulement ces ressources (Pollard, 2000) (Figure 16 : Exemple d’interface
d’un Site Collectif dédié au commerce électronique). Les communautés d’intérêts contribuent
aussi à l’élaboration des PowerPacks en suggérant les ajouts pouvant les enrichir. Séan Ryan
d’Ernst & Young UK, résume ainsi le rôle et l’utilité de ces communautés (Ezingeard & al.,
2000 : 811)
This networking is necessary to identify hot topics, populate
PowerPacks with good ideas, assemble knowledge for ease of use,
filter knowledge and hopefully transfer tacit knowledge
Figure 16 : Exemple d’interface d’un Site Collectif dédié au commerce électronique
Source : Pollard (2000 : 14)
82
Les « Chefs de la connaissance »
Des postes de Chef de la connaissance (Chief Knowledge Officer ou CKO) ont été créés
dès 1994 aux Etats-Unis, puis dans les autres pays et/ou zones. Selon Dave Pollard
(Anonyme, 2000 : 61), le but ultime d’un CKO est d’instaurer et entretenir une culture du
partage des connaissances au sein de l’organisation, faire en sorte que le partage des
connaissances ne soit plus considéré comme « quelque chose de plus à faire, mais comme
la manière dont on fait les choses dans l’entreprise ».
La formation continue
Le programme de gestion des connaissances d’Ernst & Young inclut la dimension de
l’apprentissage organisationnel à travers les processus de formation continue mis en place
avec l’intranet mondial EYLeaDS, (Ernst & Young Learning and Development System).
EYLeaDS est un système en ligne et mondial de gestion et distribution de formations. Ce
système permet aux employés d’Ernst & Young de réserver et suivre des formations en
classes ou en ligne. Grâce à ce programme mondialement coordonné, la formation des
collaborateurs d'Ernst & Young se fait suivant des standards globaux afin d'assurer
l’homogénéité dans les approches au sein du réseau (Ernst & Young, 2005).
Selon le Rapport Global 2004 (Ernst & Young, 2004), 80 % des formations en audit seront
bientôt préparées sur une base globale, les 20% restants étant localement adaptés en
fonction des besoins. À titre d’exemple, les Services consultatifs transactionnels ont
commencé à mettre en œuvre leurs nouvelles méthodologies globales en étant supportés
par une formation mondialement homogène. A contrario, la grande majorité des
formations techniques en fiscalité est élaborée localement compte tenu du caractère
national et spécifique de chaque réglementation fiscale.
Le Comité global de la connaissance
Enfin un « Comité global de la connaissance » (Global Knowledge Committee ou GKC) a été
mis sur pied pour les questions concernant Ernst & Young à l’échelle globale et dont le rôle
est de définir quels domaines pourraient être partagés entre les différentes régions (Davenport,
1997).
Ainsi, Ernst & Young est une firme qui rassemble plus de 100 000 collaborateurs dans 140
pays dispersés dans différentes civilisations. En tant que firme à haute intensité en
connaissances, elle a très tôt pris conscience de la nécessité de mettre en place des approches,
des infrastructures et des programmes pour tirer le meilleur parti des savoirs dont elle dispose.
En résumé, Ernst & Young s’appuie sur une approche où les connaissances sont considérées
comme « théoriques », au sens de Werr et Stjernberg (2003), et privilégie la codification dans
83
le but d’améliorer l’efficacité et la rapidité de réponse de ses collaborateurs. Les PowerPacks
sont une des pièces centrales de l’opérationnalisation de cette approche.
Par ailleurs, du fait de la dispersion internationale de ses collaborateurs, les échanges de
connaissances peuvent s’opérer interculturellement, nous verrons donc dans la section
suivante comment Ernst & Young conjugue gestion des connaissances et interculturalité
(§ 4.2.2).
4.2.2. Gestion des connaissances et interculturalité chez Ernst &
Young
Ce sont des individus d’origines les plus diverses, vivant dans les environnements culturels
les plus disparates qui composent le capital humain d’Ernst & Young à travers 140 pays.
Et la firme se prévaut de cette large communauté mondiale comme un atout en matière
d’échange de connaissances permettant de soutenir ses professionnels (INT; Ernst &
Young Canada, 2006c). Toutefois les échanges de connaissances à l’échelle globale ne
sont pas sans présenter des défis comme le reconnaît Tim Curry, chef de la connaissance
d’Ernst & Young, (Ezingeard & al., 2000 : 813-814) :
with globalization we'll need to think really hard […] about how we
balance consistency with speed and the need to cater for the linguistic
and cultural differences that exist in an organization such as ours.
Dans le contexte d’Ernst & Young, le partage de connaissances peut impliquer divers
degrés de distance culturelle, d’un pays à l’autre, et/ou d’une zone à l’autre. Les zones,
définies par la firme, étant constituées en fonction d’une communauté de contexte
(marché, langues, culture), cela peut donc laisser envisager des degrés de complexité
différents selon que les échanges de connaissances sont, par exemple, intra-zones ou
interzones selon la même logique que nous avions évoquée avec l’application des concepts
d’Huntington (1993) à la gestion des connaissances en conditions interculturelles
(§ 3.1.1.1). En effet, en nous appuyant sur le concept de distance culturelle tel que définit
par le chercheur de Harvard nous avions considéré qu’en l’appliquant à la gestion des
connaissances on pourrait logiquement envisager que plus la distance culturelle serait
grande, plus la complexité à partager des connaissances serait importante. Or quelles sont
les réponses qu’Ernst & Young met en œuvre pour faire face à ce défi ?
Au sein d’Ernst & Young à l’échelle globale, nombre d’éléments diffèrent d’un pays à
l’autre du fait des multiples contextes nationaux dont font partie les langues et plus
largement les cultures au même titre que les réglementations et les pratiques d’affaires.
84
Cela n’empêche pas pour autant que d’un bureau à un autre, il existe des pratiques et des
standards partagés et nous verrons en quoi ces standards jouent un rôle afin de réduire les
obstacles à la gestion des connaissances liés à l’interculturalité (§ 4.2.2.1). De même, nous
verrons comment l’approche de codification des connaissances retenue par Ernst & Young
évite de recourir régulièrement à des relations humaines interculturelles nécessairement
plus complexes (§ 4.2.2.2).
4.2.2.1.
Des standards partagés
Partager des connaissances internationalement ou interculturellement, peut nécessiter
certains ajustements. Selon Ralph Poole, Directeur du Center for Business Knowledge
(CBK) pour les États-Unis, les affaires sont plus complexes en Europe qu'aux Etats-Unis,
ce qui nécessite un important travail d’adaptation pour rendre des connaissances exogènes
pertinentes et facilement assimilables dans un nouveau contexte (Wah, 1999a). Ernst &
Young est ainsi consciente de la difficulté à réutiliser des connaissances développées dans
un autre environnement culturel. Face à ce problème, la firme essaie d'isoler les éléments
de connaissances qui ont une pertinence « universelle » à travers des « objets de
connaissance » (ou « Knowledge Objects ») qui sont des modèles et des canevas des
principaux savoirs applicables dans n'importe quel environnement culturel (Wah, 1999a).
Le but étant de faciliter le partage entre ses différents bureaux de par le monde en
développant des standards mondialement réutilisables.
Par ailleurs, selon un consultant senior d'Ernst & Young Suède cité par Werr et Stjernberg
(2003 : 892), les méthodes sont « la colonne vertébrale du système de connaissances de
l'entreprise » dans le sens où elles fournissent un cadre partagé de références et de
terminologie facilitant le partage et la réutilisation de matériel issu de précédents cas. Werr
et Stjernberg (2003) considèrent que l'objet des méthodes dépasse le stade de la procédure
en créant un langage commun entre les consultants. Ainsi, on assiste à une standardisation
du langage et des méthodes. Ce qui est confirmé par la firme dans son Global Review 2005
(Ernst & Young, 2005 : 23), lorsqu’elle décrit son modèle global de service centré sur les
comptes :
Led by a partner in one country, team members may be based in five
countries, ten countries, or 100 countries – but they share global
methodologies, tools, [and] learning […].
Toujours selon le Global Review 2005 (Ernst & Young, 2005), la formation des
collaborateurs d'Ernst & Young se fait suivant des standards globaux afin d'assurer une
réponse homogène. Tel que nous l’avions vu (§ 4.2.1.2), à travers son système de gestion
de la formation en ligne EYLeaDS, Ernst & Young prévoyait en 2004 que 80 % des
formations en audit seraient bientôt préparées sur une base globale, et que les 20% restants
seraient localement adaptés en fonction des besoins (Ernst & Young, 2004). Une telle
85
orientation permettra de facto aux collaborateurs de la compagnie d’acquérir un socle de
connaissances communes indépendamment de leur culture et d’où ils opèrent. Il y a ainsi
une logique de standardisation des qualifications et des savoirs dispensés au travers des
formations.
Enfin, Ernst & Young insiste sur la culture du partage de connaissances comme un élément
fondamental à ancrer dans sa culture organisationnelle. C’est ce que nous avions vu à
propos du rôle des chefs de la connaissance (§ 4.2.1.2.2) lorsque Dave Pollard affirmait
que la mission fondamentale d’un CKO est d’instaurer et d’entretenir une culture du
partage des connaissances au sein de l’organisation, de faire en sorte que le partage des
connaissances ne soit plus considéré comme « quelque chose de plus à faire, mais comme
la manière dont on fait les choses dans l’entreprise » (Anonyme, 2000 : 61). Ernst &
Young veut inclure la notion de partage des connaissances dans sa culture d’entreprise,
une culture qui constitue une norme commune, un ciment de compréhension mutuelle à
travers l’organisation pour contrebalancer les différences culturelles comme le revendique
la firme dans son Global Review 2004 (Ernst & Young, 2004 : 7) :
Our 100,000 people in 140 countries encompass the diversity of local
cultures and business environments throughout the world, but we all
subscribe to values that are the foundation of Ernst & Young
En observant les pratiques développées par Ernst & Young pour gérer ses connaissances,
on constate que plusieurs formes de standardisation à l’échelle mondiale sont à l’œuvre.
Les outils et méthodes, les formations, mais aussi la culture du partage des connaissances
sont autant d’éléments qu’elle homogénéise ou tente d’homogénéiser pour tout ou partie à
travers son réseau.
Les formes de standardisation décrites précédemment semblent s’apparenter aux
mécanismes de coordination par standardisation décrits par Mintzberg (1990). Ce dernier
définit quatre types de mécanisme de coordination par standardisation :
⊇ La standardisation des procédés lorsque la coordination du travail est assurée par
l’imposition de normes et de standards qui en guident la réalisation ;
⊇ La standardisation des résultats qui se traduit par la mise en place de mesure
d’évaluation de la performance standardisée ou de spécifications précises de la
production;
⊇ La standardisation des qualifications et du savoir qui se manifeste par l’acquisition
pour les employés d’habiletés et de connaissances spécifiques, habituellement avant
qu’ils ne commencent le travail ;
86
⊇ La standardisation des normes. Rattachées à la notion de culture organisationnelle,
les normes s’imposent à la globalité de l’organisation pour dicter les comportements.
Parmi ces quatre mécanismes, au moins trois semblent à l’œuvre chez Ernst & Young :
⊇ La standardisation des procédés, à travers l’usage de méthodes, d’outils et de
canevas communs.
⊇ La standardisation des qualifications et du savoir, par l’intermédiaire d’un système
de formation globalisé.
⊇ La standardisation des normes, et notamment celles relatives à la gestion des
connaissances grâce au rôle des CKO, rôle qui consiste à faire rentrer le partage des
connaissances dans la culture Ernst & Young.
À la lumière des mécanismes décrits par Mintzberg (1990), une des réponses d’Ernst &
Young au défi de l’interculturalité en gestion des connaissances semble être, partiellement
tout au moins, l’usage à l’échelle globale de mécanismes de coordination par
standardisation. Ces derniers offrent aux collaborateurs d’Ernst & Young un socle
commun, un contexte partagé afin d’atténuer la portée des obstacles de l’interculturalité.
Toutefois, si ces mécanismes sont d’intérêts pour la problématique interculturelle en
gestion des connaissances, précisons qu’ils s’inscrivent dans une stratégie plus globale de
la firme.
Nous avions vu très tôt (§ 2.1.2.1.3) l’importance de cette notion de contexte partagé avec
l’exemple de Santé Canada (sur la compréhension d’une procédure chirurgicale). La
capacité à tirer des connaissances depuis des informations dépend des connaissances
préalables que le récepteur a en commun avec l’émetteur. Ces connaissances communes
constituent un contexte partagé. Et plus large sera ce contexte partagé, plus grande sera la
capacité à accéder au degré des connaissances.
4.2.2.2.
Des connaissances codifiées
La gestion des connaissances vise à exploiter au mieux les ressources immatérielles que
sont les connaissances en gérant leur acquisition, leur identification, leur diffusion et leur
utilisation. Dans sa dimension de diffusion, la gestion des connaissances implique donc un
processus de communication des connaissances qui peut s’effectuer de manière
intermédiée via des documents codifiés (people-to-documents) ou de manière directe
d’individu à individu (person-to-person) (Hansen et al., 1999). Le choix d’une stratégie de
gestion des connaissances orientée codification ou personnalisation aura donc un impact
sur les relations humaines nécessaires à la diffusion des connaissances dans l’organisation,
tant dans leur intensité que dans leur quantité.
87
Or, en contexte interculturel, outre la question des langues, la problématique de la
communication nous avait conduit à identifier des défis au niveau des relations humaines.
En effet, nous avons considéré (§ 3) qu’une des manifestations des différences culturelles
se situait dans des conceptions différentes des relations humaines, et des modes
d’interaction et de communication hétérogènes. Des différences culturelles qui peuvent
engendrer des heurts et des incompréhensions constituant des freins au partage des
connaissances. En effet, l’apport des travaux d’Hofstede (1983, 1991) nous a permis
d’envisager que l’interaction entre des individus n’ayant pas la même notion du rapport au
groupe (degré d’individualisme), de la distance hiérarchique, ou encore de la division des
rôles (degré de masculinité) serait plus complexe (§ 3.2.1). De même, à l’aide du concept
de communication non verbale (Hall et Hall, 1990) nous avions pu suggérer que des
différences dans les degrés de référence au contexte ou dans la perception du temps
rendraient la relation humaine plus ardue, affectant par ricochet le partage des
connaissances (§ 3.2.2).
Ernst & Young se positionne dans une stratégie de gestion des connaissances orientée
personnes-à-documents (people-to-documents) (Werr et Stjernberg, 2003) où les
PowerPacks, « conteneurs de connaissances » codifiées, occupent une place centrale. Cette
approche réduit considérablement les contacts directs nécessaires entre personnes comme
le reconnaît Ralph Poole : « This approach allows many people to search for and retrieve
codified knowledge without having to contact the person who originally developed it ».
(Hansen et al., 1999 : 108).
Ainsi, en privilégiant cette approche de diffusion de connaissances codifiées, Ernst &
Young s’épargne en partie les complexités liées aux relations humaines interculturelles et
peut tirer profit de la taille de son réseau de plus de 100 000 collaborateurs. Cependant, si
cette approche conduit à éviter et/ou limiter les interactions (interculturelles comprises) au
sein de la firme, cette dernière ne profite peut-être pas pleinement en termes de créativité
de sa richesse multiculturelle. Toutefois, ce choix est malgré tout cohérent avec sa
stratégie générale orientée sur l’efficacité et non la créativité (Werr et Stjernberg, 2003).
En résumé, standardisation et codification semblent être deux des pratiques qui permettent
à Ernst & Young de faire face aux défis de l’interculturalité en gestion des connaissances.
Ces deux approches ne sont pas mises en œuvre expressément pour répondre à ces défis,
elles s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie générale et globale de la firme et de son
positionnement concurrentiel. Toutefois, dans les faits, il semble que l’on puisse dire
qu’elles permettent de limiter les effets des barrières interculturelles.
Ainsi, loin d’annihiler les obstacles de l’interculturalité, le but d’Ernst & Young est de les
contourner afin de tirer profit de sa diversité culturelle et de la taille de son réseau sans
pour autant pâtir des barrières occasionnées en termes de compréhension mutuelle par
cette diversité.
88
5. Conclusions
Dans le cadre de cet essai, nous avons tenté de mettre en lumière les défis de la gestion des
connaissances en contexte interculturel. Nous avons cherché à comprendre en quoi les
défis inhérents à la gestion des connaissances (§ 2) seraient rendus plus complexes
conjugués aux défis de l’interculturalité (§ 3). À l’aide de la littérature sur la gestion des
connaissances, le management interculturel, et d’autres disciplines pertinentes telles la
linguistique, nous avons construit des propositions concernant les facteurs de cette
complexité. Puis nous avons essayé de compléter notre propos à l’aide du cas de la firme
Ernst & Young, firme de dimension internationale et œuvrant dans un secteur à forte
intensité en connaissances (§ 4).
5.1. Synthèse
Nous avons vu que les pratiques de gestion des connaissances sont en constante diffusion
dans les organisations et cette présence croissante s’inscrit dans une évolution vers
l’économie de la connaissance. La connaissance est une faculté capable de donner du sens
aux observations et aux informations, et de générer de nouvelles connaissances qui sont
elles-mêmes des éléments mobilisables dans la prise de décisions. Et la gestion des
connaissances est un processus multidisciplinaire qui vise à exploiter au mieux ces
ressources immatérielles que sont les connaissances en gérant leur acquisition, leur
identification, leur diffusion et leur utilisation.
Ces connaissances peuvent être explicites ou tacites. Les premières présentent des défis
quant à leur collecte et leur accessibilité en s’assurant notamment que ces connaissances
codifiées le soient dans un code commun à ses destinataires potentiels, ou compréhensible
pour ces derniers. Les secondes impliquent un partage qui ne saurait s’opérer qu’à travers
la mise en relation des individus. Il s’agit donc de savoir « qui sait quoi » et de permettre
et faciliter une interaction entre les individus idoines. Une interaction a priori plus ardue
dans un cadre interculturel eu égard aux barrières de la langue et plus largement encore à
la question de la rencontre des cultures. En effet, un climat de confiance et de
collaboration peut être plus difficile à instaurer entre des individus de cultures différentes.
Le partage des connaissances sous leur forme tacite ou explicite semble donc plus
complexe en contexte interculturel, tout comme la création de connaissances lorsqu’on la
conçoit dans le cadre de la théorie de Nonaka et Takeuchi (1997). En effet, les différents
modes de conversion des connaissances sont affectés par les barrières de langues ou
encore lors des interactions humaines interculturelles.
89
De plus, outre les conditions dans lesquelles se déroulent partage et création des
connaissances, l’identification des connaissances à partager au sein de l’organisation
constitue aussi un défi pour la gestion des connaissances. Celui de reconnaître ce qui peut
et/ou doit être partagé et entre qui.
Par ailleurs, si l’on se repositionne dans le cadre de l’économie de la connaissance, et que
l’accès à des connaissances d’origines multiculturelles influe positivement sur la capacité
à innover alors le défi de la gestion des connaissances en contexte interculturel va au-delà
de la simple protection contre les obstacles au partage et à la création de connaissances liés
aux différences culturelles. Il s’agit dès lors de tirer profit d’un tel environnement propice
à la création de nouvelles connaissances.
La gestion des connaissances pose ainsi un certain nombre de défis que l’on peut penser
renforcés par le contexte interculturel qui lui même vient ajouter ses propres défis. C’est
du jumelage de ces derniers que naît la complexité du tout ainsi formé : la gestion des
connaissances en milieu interculturel.
Deux principaux types d’obstacles liés aux contextes interculturels ont été identifiés : les
barrières linguistiques, et les différences de comportement et de conception des relations
humaines.
L’obstacle linguistique concerne essentiellement deux dimensions de la gestion des
connaissances. D’une part la diffusion des connaissances est affectée lorsque la langue
d’origine n’est pas connue de tous dans l’organisation. D’autre part l’absorption des
connaissances peut aussi être affectée par l’imperfection des traductions (qu’elles soient
réalisées par un tiers ou par le récepteur), cela à cause de l’absence de référents communs.
Toutefois, si l’exposition d’un savoir codifié à un nouveau contexte culturel peut lui faire
perdre une partie de son sens original, on peut envisager, inversement, que son exposition
à un contexte nouveau permette de générer de nouvelles connaissances.
Sur la base des travaux d’Hofstede (1983, 1991) et Hall et Hall (1990), nous avons pu
envisager plusieurs facteurs pouvant affecter la gestion des connaissances lorsqu’elle est
exercée en contexte interculturel. Nous avons vu que les sources de motivation et les
attentes vis-à-vis de la gestion des connaissances sont susceptibles d’être distinctes, voire
contradictoires d’une culture à l’autre. De plus, les divergences dans la conception des
relations humaines (notamment sur les degrés d’individualisme, de distance hiérarchique,
ou encore de masculinité) peuvent influencer la qualité des interactions en engendrant des
incompréhensions, voire des heurts nuisibles au nécessaire climat de confiance. Enfin,
l’utilisation de modes de communication non verbale différents (avec une référence au
contexte plus ou moins forte) est aussi un facteur affectant la qualité des échanges (à cause
de messages trop ou pas assez riches en détails) et des relations humaines.
Ainsi, la réflexion menée nous a conduit à penser que les contextes interculturels peuvent
être sources de complexités de diverses natures pour la gestion des connaissances au sein
des organisations. Et que les défis de la gestion des connaissances s’en trouvaient
probablement renforcés, tant par des facteurs visibles et directement préhensibles, tels la
90
langue, que par des éléments moins visibles de prime abord comme la communication nonverbale, ou la « programmation mentale ». Ces complexités sont le fruit de l’accumulation
de détails ou de barrières plus sérieuses (comme la langue), mais semblent pouvoir se
traduire tant par des obstacles (difficulté de communication, difficulté à transposer des
connaissances et des pratiques dans une autre culture,…) que par des avantages (création
et accès à de nouvelles connaissances, …). Et pour tirer profit des opportunités de ce
contexte, cela suppose admettre cette interculturalité en tant que telle et encourager
l'interaction entre les cultures, les échanges et la communication. L’organisation et ses
membres doivent pour cela reconnaître et accepter la réciprocité des cultures.
Enfin, après cette première analyse théorique où nous avons combiné les défis de la
gestion des connaissances (§ 2) et de l’interculturalité (§ 3), nous avons tenté de compléter
notre propos à l’aide d’un cas, celui d’une firme de dimension internationale et œuvrant
dans un secteur à forte intensité en connaissances, Ernst & Young. Nous y avons vu que
standardisation et codification semblent être deux des pratiques qui permettent à cette
firme de faire face aux défis de l’interculturalité en gestion des connaissances. Ces deux
approches n’y sont pas mises en œuvre expressément pour répondre à ces défis car elles
s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie générale et globale de la firme et de son
positionnement concurrentiel. Toutefois, dans les faits, il semble que l’on puisse dire
qu’elles permettent de limiter les effets des barrières interculturelles en créant un contexte
commun à tous les collaborateurs à travers des procédés, des normes et des qualifications
standardisés. Ainsi, loin d’annihiler les obstacles de l’interculturalité, le but d’Ernst &
Young est de les contourner afin de tirer certains profits de sa diversité culturelle et de la
taille de son réseau sans pour autant pâtir des barrières que cette diversité occasionne en
termes de dialogue interculturel.
5.2. Limites de l’étude
Notons que cette étude ne nous a pas conduits à tirer de conclusions généralisables. D’une
part, l’étude de cas à travers des sources secondaires n’a pas permis de vérifier directement
et de manière concrète la proposition selon laquelle la gestion des connaissances est plus
complexe en contexte interculturel, ni les facteurs de cette complexité que nous avions
avancés. D’autre part, l’étude d’un cas unique n’est pas suffisante. Seule l’étude d’autres
cas, d’autres organisations opérant dans des secteurs d’activités distincts, et au sein de
contextes interculturels différents permettra d’envisager des conclusions extensibles.
Enfin, le sujet a probablement été trop peu circonscrit pour permettre un examen
approfondi de chacune des dimensions de complexité envisagées, ou des conséquences des
différents degrés de distance culturelle.
91
5.3. Ouvertures
Ainsi, cet essai appelle à d’autres recherches qui apporteront des éclairages plus poussés
sur des phénomènes spécifiques de l’interculturalité en gestion des connaissances. Il
pourra être intéressant d’isoler d’une part des contextes interculturels spécifiques, et
d’autre part des dimensions particulières de l’interculturalité.
Il s’agirait de distinguer les contextes interculturels en fonction du nombre de cultures
impliquées et de leur distance relative. En effet, comme nous l’avions envisagé à l’aide des
travaux d’Huntington (§ 3.1.1.1), les complexités devraient être plus grandes lorsque les
interactions concernent des cultures très distantes. On peut en effet suggérer que la
complexité sera plus grande lorsque le contexte culturel croise, par exemple, les cultures
japonaise, polonaise et mexicaine plutôt que les cultures française, espagnole et italienne.
Aussi, parmi les différents facteurs de complexité envisagés, de nouvelles recherches
pourraient s’intéresser spécifiquement à chacun d’entre eux. Cela impliquerait par exemple
des recherches sur la gestion des connaissances multilingues. En effet, à ce jour (juillet
2006), la base de données ABI/Inform Global ne recense aucun article lorsqu’une
recherche est sollicitée sur l’expression « multilingual knowledge management » à l’aide
de Proquest (recherche limitée aux revues académiques et dans les champs « notice et
résumé »). Il s’agit pourtant d’un thème qui pourrait probablement représenter un intérêt
particulier pour des pays multilingues comme le Canada ou pour toute organisation
largement implantée à l’échelle mondiale, qu’il s’agisse de compagnies multinationales ou
d’institutions telles la Banque Mondiale ou l’O.N.U. et ses multiples organismes.
Dans un monde où les relations interculturelles vont croissantes, les
théories d'uniformisation culturelle de la fin des années 1980, quelle que
soit leur origine ou leur visée, semblent s’infirmer. Il en va ainsi des
théories de l’anthropologue Claude Levi-Strauss sur l’évolution vers la
monoculture mondiale ou de celles à caractère très politique de Francis
Fukuyama sur la fin de l’Histoire avec le consensus sur les valeurs
occidentales. À l’heure de l’économie de la connaissance il y a donc tout un
champ de nouvelles recherches à explorer sur les différentes dimensions
interculturelles de la gestion des connaissances si l’on veut relever le
défi d’une interculturalité fructueuse.
92
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consultée le 10/10/2005)
[En
ligne]
(page
100
8. Annexes
Annexe 1 : Présence mondiale d’Ernst & Young
Annexe 2 : Organigramme d’Ernst & Young Global
Annexe 3 : Documentation sollicitée pour l’étude de cas
101
Annexe 1 : Présence mondiale d’Ernst & Young
Extrait du rapport Ernst & Young Global Review 2004, page 24
102
Annexe 2 : Organigramme d’Ernst & Young Global
Extrait du rapport Ernst & Young Global Review 2004, page 11
103
Annexe 3 : Documentation sollicitée pour l’étude de cas
Les documents collectés pour l’étude de cas de cet essai proviennent de trois sources : la
base de données multidisciplinaire Proquest, la banque d’étude de cas de Monash
University, et le site web public d’Ernst & Young.
Recherche sur la base de données Proquest
http://proquest.umi.com/pqdweb
Recherche effectuée sur la base de données Proquest. Synthèse des résultats obtenus.
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"Ernst & Young" AND "Knowledge management"
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"Ernst & Young" AND "Knowledge sharing"
2
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104
Articles parus dans des journaux avec comité de lecture
Mots-clés recherchés sur
notice et résumé
"Ernst & Young" AND "Knowledge management"
Articles
Duane Sharp (2003). Knowledge management today:
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systems. Organization Studies, 24(6), 881
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of Computer Information Systems: Special
Issue, 42(5), 26-39
Anonyme (2000)The expert's opinion: Becoming
knowledge-powered: Planning the transformation.
Information Resources Management
Journal, 13(1), 54-61
"Ernst & Young" AND "Knowledge sharing"
Louisa Wah (1999). Making knowledge
stick. Management Review, 88(5), 24-25+
Louisa Wah (1999). Behind the buzz. Management
Review, 88(4), 16-19
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Afin de compléter ces résultats, nous avons étendu la recherche des mots-clés à
l’intégralité du texte des articles. Les occurrences trouvées ont fait l’objet d’une recherche
sur l’expression « Ernst & Young » dans le texte des documents et d’une lecture de leur
résumé pour vérifier leur pertinence dans le cadre de notre étude.
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Articles dans revues avec comité de lecture
"Ernst & Young" AND "Knowledge management"
259
"Ernst & Young" AND "Cross-cultural management"
7
"Ernst & Young" AND "intercultural management"
0
"Ernst & Young" AND "multilingual"
25
"Ernst & Young" AND "Knowledge sharing"
152
Recherche effectuée le 28 mars 2006
Deux articles ont retenus notre attention pour les informations qu’ils contiennent sur les
approches stratégiques d’Ernst & Young vis-à-vis de la gestion des connaissances :
Mots-clés recherchés sur
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"Ernst & Young" AND "Knowledge management"
Articles
Dutton, G, (1999). Building a global brain.
Management Review, 88(5), 34-38
Hansen, M.T., Nohria, N., Tierney, T., (1999). What's
your strategy for managing knowledge? Harvard
Business Review, 77(2), 106-126
Recherche sur la banque d’étude de cas de Monash University
http://www.monash.edu.au/casestudies
Recherche effectuée sur la banque d’étude de cas de Monash University. Synthèse des
résultats obtenus
Mots-clés recherchés
"Ernst & Young" "Knowledge management"
Document
Davenport, T.H. (1997). Knowledge Management at
Ernst & Young. Case Study
Recherche effectuée le 28 mars 2006
106
Site web de la firme Ernst & Young
Nous avons utilisé les rapports annuels (Global Review) 2004 et 2005 qui sont disponibles
au :
http://www.ey.com/GLOBAL/content.nsf/International/EY_Global_Review_2005-home
(Global Review 2005)
http://www.ey.com/global/content.nsf/International/Ernst_&_Young_Global_Review_200
4_Overview (Global Review 2004)
Nous avons complété notre recherche en consultant les pages de présentation de la firme et
celles dédiées à la gestion des connaissances sur le site web d’Ernst & Young et ses souscomposantes par pays et régions (Accessible au : http://www.ey.com).
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