du 28 février au 29 mars 2003
Les Barbares de MAXIME GORKI
mise en scène PATRICK PINEAU / traduction ANDRÉ MARKOWICZ
décor : Sylvie Orcier / costumes : Brigitte Tribouilloy / lumières : Marie Nicolas / son : Jean-Philippe François / maquillage et coiffures : Sylvie Cailler
avec Gilles Arbona, Frédéric Borie, Hervé Briaux, David Bursztein, Jean-Michel Cannone, Irina Dalle, Eugène Durif, Eric Elmosnino, Pascal Elso,
Leïla Ferault, Jérôme Kircher, Laurent Manzoni, Christelle Martin, Mathias Mégard, Philippe Morier-Genoud, Cendrine Orcier, Fabien Orcier,
Annie Perret, Patrick Pineau, Julie Pouillon, Marie-Paule Trystram, Nathalie Villeneuve
production : Odéon-Théâtre de l’Europe
BELLE ANNÉE 2003 !
Cet inévitable automne sans spectacle nous a paru à tous bien long. Heureusement, la compétence et la ténacité de toute l’équipe, et plus particulièrement
de nos services techniques, sous la direction d’Alain Wendling, nous ont permis de tenir le calendrier prévu et d’achever l’équipement d’une salle dont les
proportions équilibrées et la sobre décoration ont séduit tous ses premiers visiteurs. Malgré les imprévus et les difficultés, le Grand Berthier entre en
activité le 15 janvier avec la
Phèdre
interprétée par Dominique Blanc et mise en scène par Patrice Chéreau. On ne pouvait espérer plus belle ouverture
pour notre saison, ni rêver meilleur signal pour faire savoir à tous nos amis, aux spectateurs d’un soir comme aux abonnés de toujours, que l’Odéon a jeté
l’ancre au nord de Paris pour les deux prochaines années. Le pari est tenu, la véritable aventure de notre théâtre hors les murs peut enfin commencer :
il n’y manque plus que vous. En attendant, donc, de vous souhaiter la bienvenue à Berthier, le personnel et la troupe de l’Odéon-Théâtre de l’Europe vous
présentent leurs meilleurs voeux pour une bonne, belle et heureuse année 2003 !
Trois questions à Patrick Pineau
Comment comprenez-vous ce titre,
Les Barbares
?
Le titre de cette pièce, c’est déjà un de ses mystères ! Et pourtant elle n’en manque pas. Je me souviens qu’en terminant ma première lecture, je me disais que je ne la
comprenais pas. Et l’une des raisons était justement ce titre : qui sont les Barbares ? Historiquement, le terme désignait tous les locuteurs non helléniques, tous ces peu-
ples des marges dont la langue, pour des oreilles grecques, sonnait comme une sorte de bredouillement incompréhensible. Il y a, dans la pièce, des personnages qui ont
du mal à s’exprimer, dont la parole trébuche et bégaie. Et de façon plus générale, toute l’action prend place dans une petite ville de province, très loin du cœur de l’Empire
russe, très loin, donc, des avant-postes de la culture et de l’histoire. Verkhopolié est comme le bras mort d’un fleuve, où l’eau stagne, où il n’y a plus qu’à pourrir. Dans
cette hypothèse, les Barbares en seraient donc les habitants, tels qu’ils apparaissent aux yeux de ces messieurs les ingénieurs, mandatés par le pouvoir central pour dés-
enclaver la ville. Sous leurs yeux, dès leur arrivée, c’est comme une médiocre comédie humaine qui se déroule, un cortège de flagornerie, de bassesse, de prétention -
comme si chacun y allait de son petit travers pour justifier la sévérité du regard de ces messieurs les experts, hommes de culture et de progrès, comme chacun sait. Mais
très vite, les perspectives se compliquent. Une certaine dureté, un certain cynisme dont ils font preuve suffit déjà à provoquer le soupçon : les Barbares, cela pourrait
aussi bien être les ingénieurs. Après tout, c’est l’autre sens du terme : le Barbare, c’est également l’étranger, celui qui vient d’ailleurs, celui qui vous menace d’une inva-
sion destructrice, l’annonciateur de la fin d’un monde. Entre les deux lectures, peut-être qu’il ne faut pas choisir : dans ce cas, les Barbares que nous montre Gorki sont
dans les deux camps, ce qui revient à dire que nous n’assistons pas à un combat entre culture et barbarie, mais entre des tribus différentes et aussi barbares l’une que
l’autre, et que la culture, quoi qu’il faille entendre par là, est illusoire, menacée, perdue – jamais là, en tout cas, où l’on prétend la détenir ou la situer.
On serait donc loin de l’image d’un Gorki militant ?
De ce point de vue, en effet, les choses ne seraient pas aussi simples – c’est d’ailleurs étonnant, puisqu’il
a écrit
Les Barbares
juste avant la première tentative révolutionnaire de 1905 : à l’époque, Gorki était déjà
un militant engagé qui subissait l’épreuve de la prison, et c’est à peu près en ce temps-là qu’il doit choi-
sir l’exil. A ma connaissance,
Les Barbares,
de son vivant, n’a été joué qu’en terre étrangère, lors de sa
création à Berlin. Et puis plus rien. C’est un autre de ces mystères dont je parlais. Lui-même n’en parle
nulle part. Comme s’il avait lui-même oublié cette oeuvre, ou qu’il avait voulu la laisser oublier. Est-ce
qu’à ses yeux elle n’était plus assez clairement déchiffrable, est-ce qu’elle lui semblait après coup trop
marquée par des incertitudes ? Est-ce qu’elle appartenait à une période de sa vie qu’il estimait révolue,
ou à moment de l’histoire de la Russie qu’il considérait comme irrévocablement dépassé ? Peut-être aussi
que cette disparition des
Barbares
à l’intérieur même de l’oeuvre de Gorki s’explique par une relative
renonciation au théâtre, un genre dont il se détourne pendant plusieurs années – une fois qu’il a achevé,
en quelque sorte, de s’expliquer ou de se mesurer avec Tchekhov.
Comment cette confrontation avec Tchekhov se joue-t-elle ?
Gorki avait une admiration immense pour Tchekhov. Et pour comprendre cette admiration, il me semble
qu’il ne faut jamais oublier d’où vient Gorki : des bas-fonds, vraiment. Quand il écrit cette pièce, il est au
milieu de sa vie. Il n’est pas encore l’écrivain officiel, le favori de Staline, plus ou moins complice du
régime, celui qui verra de son vivant une ville baptisée de son nom, ou plutôt de son pseudonyme, puisque
Gorki, en russe, signifie “L’amer”. A ce moment-là, on est encore sous le règne du tsar Nicolas II. Depuis
les toutes premières années de son enfance, Gorki a connu la violence, l’errance, le travail qui asservit et
démolit. Et il s’est battu. Il a vécu une vie de vagabond, il aurait pu devenir clochard et finir dans la rue.
Un jour qu’il n’en pouvait plus, il s’est tiré une balle dans la poitrine - et il a survécu. C’est quelqu’un qui
a été sauvé – et même quand on lit ses textes autobiographiques, on continue à se demander comment,
tellement il venait de loin – sauvé par un besoin instinctif de beauté, de forme, de culture, de savoir : c’est
quelque chose qu’il avait au plus haut point, cette ardeur, cette force de résistance et cette rage des auto-
didactes ou plus généralement des survivants, que Boris Cyrulnik appelle la " résilience ". Je suppose que
Tchekhov, qui est devenu son ami, a dû lui confier un jour que lui aussi venait de loin, qu’il avait dû, lui
aussi, s’arracher à la pauvreté la plus sordide. Mais Tchekhov était doué d’une élégance, d’une grâce
impossibles à méconnaître, tout en étant au plus haut point réaliste. Ce réalisme tchékhovien, Gorki lui
BARBARE
, adj. : 1. Etranger pour les Grecs et les Romains et, plus tard, pour la chrétienté.
2. Qui n'est pas civilisé. 3. Qui choque, qui est contraire aux règles, au goût, à l'usage. 4. Qui a la cruauté du Barbare.
Définition du Petit Robert