Quelle révolution à venir ?
Après ma mise en scène de La Mouette, je me suis tourné vers Gorki. Sa langue
plus brute et directe traduit l’engagement politique de Gorki en comparaison de
son ainé Tchekhov. Son art à lui de poser un diagnostic de révolutionnaire plus
que de médecin des âmes force à un questionnement à la fois riche et troublant
pour le spectateur du 21e siècle. À sa manière, et sans didactisme il cimente
les tourments de l’intime et du social. Ses choix politiques et son histoire sont
troubles, et, du même coup, symptomatiques de notre siècle et des personnalités
(y compris nous-mêmes) qui le composent.
Gorki nous offre à travers son écriture abrupte un implacable et rugueux
regard sur son siècle. Sous le soleil de nos révoltes, il semble que la même
léthargie qu’il décrivait opère inlassablement, et la question de la responsabilité
d’une certaine élite envers l’avenir du monde, est toujours présente. Nos élites, à
l’inverse de celles de 1905, sont beaucoup plus nombreuses, diffuses, et complexes.
Beaucoup plus infl uentes aussi, elles peuvent même être à la source d’une sorte
de suicide civilisationnel (la crise de 2008 en est un bon exemple). Dans son livre
Effondrement le biologiste Jared Diamond mentionne, parmi les raisons pour
lesquelles des civilisations anciennes sont mortes, « l’incapacité de leurs élites et
de leurs gouvernements à se représenter clairement le processus d’effondrement
en cours, ou, si elles ont pris conscience, leur incapacité à le prévenir en raison
d’une attitude de défense “court-termiste” de leurs privilèges ».
De son côté le philosophe Arnold J. Toynbee nous a prévenus : « Les civilisations
ne meurent pas assassinées, elles se suicident ». Souhaitons que ce ne soit pas
à cela que nous assistions. C’est-à-dire au suicide d’une société pourtant assez
clairvoyante, mais désespérément incapable de comprendre profondément ce qui
se passe en elle, autour d’elle, et d’agir. Gorki, en 1905, à travers le socialisme,
espérait avoir trouvé un antidote. La révolution de 1917 n’aura pas été à la
hauteur de ses espérances… C’est avec cet échafaudage de pensée, ce socle,
que je vais débuter le processus des répétitions. Et comme tout échafaudage
il disparaîtra à la fi n des travaux, tout comme, peut-être, ce sentiment trouble
d’être un enfant d’après « les révolutions » conscient, témoin, complice et victime
à la fois. Et pour nous, quelle révolution est à venir ? La question fait sourire.
Nous voilà 110 ans plus tard avec une pièce incroyablement riche, car l’histoire
de notre siècle l’a chargée de nouveaux sens et de nouveaux contenus.
Photo Mario del Curto