LES ENFANTS DU SOLEIL d’après Maxim Gorki adaptation et mise en scène Mikaël Serre avec Nabih Amaraoui Servane Ducorps Cédric Eeckhout Marijke Pinoy Thierry Raynaud Bruno Roubicek Claire Vivianne Sobottke spectacle créé du 22 mai au 2 juin 2013 au Théâtre Vidy-Lausanne Photo Mario del Curto CONTACTS Jean-Michel Hossenlopp | directeur adjoint + 33 (0)6 16 74 57 80 - [email protected] Solenn Réto | responsable des productions et de la diffusion + 33 (0)7 81 14 08 41 - [email protected] Les Enfants du soleil d’après Maxim Gorki adaptation et mise en scène Mikaël Serre dramaturgie Jens Hillje scénographie et costumes Nina Wetzel collaboration à la scénographie Florence Emery collaboration aux costumes Miriam Marto vidéo Sébastien Dupouey musique Nils Ostendorf lumières Sébastien Michaud assistante à la mise en scène Céline Gaudier avec Nabih Amaraoui Legor Servane Ducorps Elena Cédric Eeckhout Protassov Marijke Pinoy Melania Thierry Raynaud Boris Bruno Roubicek Vaguine Claire Vivianne Sobottke Liza coproduction La Comédie de Reims–CDN, Théâtre Vidy Lausanne durée 1H35 Tournée Spectacle créé le 22 mai 2013 au Théâtre Vidy-Lausanne 22 mai au 2 juin 2013 I Théâtre Vidy-Lausanne, Suisse 23 au 24 novembre 2013 I Ferme du Buisson, Scène nationale de Marnela-Vallée 4 au 7 février 2014 I la Rose des vents, Scène nationale de Villeneuve d’Ascq 11 au 19 février 2014 I la Comédie de Reims–CDN 3 au 14 février 2015 I Le Monfort Théâtre, Paris Maxim Gorki Enfant pauvre et autodidacte, formé par les errances de sa jeunesse, journaliste à ses débuts, ses écrits littéraires le rendent très vite célèbre. Auteur de nouvelles mettant en scène les misérables de la Russie profonde, de pièces de théâtre comme Les Bas-fonds ou de romans socialement engagés comme La Mère, publié en 1907, il racontera aussi sa vie dans une trilogie autobiographique. Dès ses débuts littéraires, Gorki partage l’idéal des partis progressistes. Plusieurs fois emprisonné pour ses prises de position, en particulier lors de la révolution de 1905, qui lui inspira Les Enfants du soleil, il quitte la Russie et voyage aux États-Unis. À son retour en 1906, il doit s’exiler à Capri pour des raisons à la fois médicales et politiques. Amnistié en 1913, il rentre en Russie et reste proche de Lénine et des révolutionnaires, mais formule des critiques dès novembre 1917. Il reçoit à nouveau des menaces du pouvoir en place : inquiet et atteint de la tuberculose, il quitte la Russie en octobre 1921 et se fixe de nouveau dans le sud de l’Italie en 1924. Encouragé par Staline, il revient plusieurs fois en URSS après 1929 et s’y réinstalle définitivement en 1932 : il devient un membre éminent de la nomenklatura soviétique et participe à la propagande du régime qui l’honore, mais le surveille en même temps. Il meurt en juin 1936 dans des circonstances encore troubles pour certains… Photo Mikaël Serre Quelle révolution à venir ? Après ma mise en scène de La Mouette, je me suis tourné vers Gorki. Sa langue plus brute et directe traduit l’engagement politique de Gorki en comparaison de son ainé Tchekhov. Son art à lui de poser un diagnostic de révolutionnaire plus que de médecin des âmes force à un questionnement à la fois riche et troublant pour le spectateur du 21e siècle. À sa manière, et sans didactisme il cimente les tourments de l’intime et du social. Ses choix politiques et son histoire sont troubles, et, du même coup, symptomatiques de notre siècle et des personnalités (y compris nous-mêmes) qui le composent. Gorki nous offre à travers son écriture abrupte un implacable et rugueux regard sur son siècle. Sous le soleil de nos révoltes, il semble que la même léthargie qu’il décrivait opère inlassablement, et la question de la responsabilité d’une certaine élite envers l’avenir du monde, est toujours présente. Nos élites, à l’inverse de celles de 1905, sont beaucoup plus nombreuses, diffuses, et complexes. Beaucoup plus influentes aussi, elles peuvent même être à la source d’une sorte de suicide civilisationnel (la crise de 2008 en est un bon exemple). Dans son livre Effondrement le biologiste Jared Diamond mentionne, parmi les raisons pour lesquelles des civilisations anciennes sont mortes, « l’incapacité de leurs élites et de leurs gouvernements à se représenter clairement le processus d’effondrement en cours, ou, si elles ont pris conscience, leur incapacité à le prévenir en raison d’une attitude de défense “court-termiste” de leurs privilèges ». De son côté le philosophe Arnold J. Toynbee nous a prévenus : « Les civilisations ne meurent pas assassinées, elles se suicident ». Souhaitons que ce ne soit pas à cela que nous assistions. C’est-à-dire au suicide d’une société pourtant assez clairvoyante, mais désespérément incapable de comprendre profondément ce qui se passe en elle, autour d’elle, et d’agir. Gorki, en 1905, à travers le socialisme, espérait avoir trouvé un antidote. La révolution de 1917 n’aura pas été à la hauteur de ses espérances… C’est avec cet échafaudage de pensée, ce socle, que je vais débuter le processus des répétitions. Et comme tout échafaudage il disparaîtra à la fin des travaux, tout comme, peut-être, ce sentiment trouble d’être un enfant d’après « les révolutions » conscient, témoin, complice et victime à la fois. Et pour nous, quelle révolution est à venir ? La question fait sourire. Nous voilà 110 ans plus tard avec une pièce incroyablement riche, car l’histoire de notre siècle l’a chargée de nouveaux sens et de nouveaux contenus. Photo Mario del Curto Les « Enfants » de Gorki sont en récession, en faillite, ceux sur qui l’on pouvait compter pour relever le niveau s’écroulent, prennent parti, se trompent, se démobilisent, puis se détournent dans un monde qui s’effondre. Ils pensent que la science, l’art, l’amour peuvent nous sauver et former une sorte de politique poétique. Imaginons un monde sens dessus dessous où le cours des bourses s’effondre, où la récession menace, où les agences de notations réduisent à néant les efforts de nations entières, démantèlent des gouvernements, et mettons en parallèle des intellectuels, des artistes, des scientifiques qui tentent de vivre. Ils sont devant nous, parlent d’argent, des sciences, des bienfaits de l’art, se préoccupent surtout (comme dit l’un des personnage de la pièce) « d’approcher les merveilles et profondes énigmes de l’existence en déployant toute l’énergie intellectuelle dont ils sont capables dans le but de les résoudre ». Elena : « Voilà la vraie vie humaine (…) voilà l’inépuisable source de bonheur ». Alors imaginons ce monde-là, avec des révolutions lointaines dans les déserts, non pas le choléra en décor de fond comme chez Gorki, il n’existe plus, mais l’argent, un argent malade qu’il faut guérir. Ces gens, ne les condamnons pas, ce n’est pas qu’ils ne s’en occupent pas de tout ça, mais ils sont trop préoccupés par eux-mêmes et leur recherche de chaleur, de vie. Et quand cette maladie, cette réalité pénètre chez eux et les met en danger, ils sortent les armes, frappent, s’entretuent, ou s’échappent dans la folie pour ne pas mourir complètement. Car le choléra qui frappe en 1890 à la porte de nos Enfants du soleil pourrait bien s’apparenter à la détresse en 2012, car l’argent comme disent les spécialistes est en train de mourir et il faut soigner le mourant. Et ce désert jaune taché de rouge, que citent Vaguine et Liza à la fin de la pièce pourrait être cet endroit où l’homme se bat pour la vie, il pourrait être notre désert, le désert de ceux qui se battent actuellement pour être des hommes libres, peut être les futurs enfants du soleil. En 1905, Gorki, dans une sorte d’étrange prémonition, voyait la liberté avant tout dans un désert taché de rouge. La pièce acquiert dès lors de nouveaux contenus, de nouveaux sens, qui nous parlent directement et c’est là que la mise en scène trouvera son accroche thématique. Mikaël Serre Les Enfants du soleil brûlent Maxim Gorki écrit Les Enfants du soleil en 1905 dans la forteresse Pierre et Paul, où il a été incarcéré pour sa participation à des manifestations, suite à l’intervention sanglante de l’armée contre un cortège d’ouvriers qui manifestait. Les tirs sur cette manifestation des travailleurs sont à l’origine de la première révolution russe plus connue sous le nom de « Dimanche Sanglant ». Dans Les Enfants du soleil Gorki reprend les émeutes dues au choléra de 1890 comme prétexte, pour raconter une catastrophe politique et sociale à la lumière du socialisme naissant en Russie. Il dépeint le tableau sombre et grotesque d’une société déchirée par des conflits sociaux et culturels, et incapable de créer un monde meilleur. Dans la maison du scientifique Protassov et de son épouse Elena vit l’artiste Vaguine qui est amoureux d’Elena, la riche veuve Mélania qui à son tour aime Protassov, et le vétérinaire, Tchepournoï qui aime depuis longtemps Lisa la sœur de Protassov. Enfin, le gardien Iegor bat sa femme et se soûle… Tous sont à la recherche d’un accomplissement, d’une vie meilleure, pour ça ils écrivent des poèmes, des chansons, peignent, font de la musique... se battent. Névrotiques, malheureux, egoists, ils vivent dans un étrange paradigme. Dehors la véritable révolution n’a pas encore éclaté. L’utopie n’est pas en vue, et il semble que le statu quo va encore perdurer... Le suicide de Tchepournoï à lui seul s’apparente à une sorte de manifeste qui condamne et met en échec toute cette société. Ce sont des privilégiés, et ne sont réels que les murs et l’imaginaire qu’ils ont construits autour d’eux-mêmes. Presque inconscients du monde qui les entoure, leurs yeux sont fermés à la fatalité, à la trivialité et à l’imperfection d’une réalité tout ou trop humaine. Depuis leur environnement surinformé à l’image de la bourgeoisie occidentale, ils cherchent un abri contre la violence, la détresse et la misère qui s’est emparée du « dehors » du monde. Cependant, le mur imaginaire qu’ils ont construit autour d’eux est sur le point de s’écrouler, une crise cataclysmique se profile à l’horizon. Dans ce jeu, Maxim Gorki évoque l’échec de l’intelligentsia, élite impuissante à développer une voie alternative, une vision qui embrasse les besoins de tous. Photo Mario del Curto Mais pas de morale, ces gens sont là devant nous et c’est entre échanges d’idées sur l’art et l’amour qu’ils se débattent, meurent ou fuient dans la folie. Gorki reprochait-il à l’intelligentsia de vivre en vase clos, de tout ignorer des problèmes politiques et sociaux et de la condition populaire ou bien en avait-il contre les gens du peuple, frustres et ignorants, incapables de maîtriser leurs instincts sauvages ? Il y apportait plus tard une réponse, qu’il nous reste à interpréter dans son contexte historique et à la lumière de notre siècle : « La misère et l’ignorance du peuple sont la source de tous nos malheurs (…) Un homme raisonnable ne peut être heureux que tant que notre peuple demeure asservi (…) La vie ne peut être belle tant qu’il y a des foules d’indigents autour de nous. Il n’y a pas d’autre pays au monde où les hommes d’honneur et d’esprit soient aussi isolés (…) Il faut lutter pour le triomphe de la liberté et de la justice. » Photo Mario del Curto