A Le microbiome

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Ra conté
a
Juli ette
Le microbiome
M.C. Béné*
A
ujourd’hui, Juliette, nous allons
nous intéresser à une population
quasi silencieuse mais très importante qui accompagne chacun de nous
après la naissance : le microbiome, ou
microbiote, constitué de plusieurs milliards de micro-organismes résidant
dans nos muqueuses et sur notre peau.
Pourquoi 2 mots pour désigner ce petit
monde ? En fait, le terme “microbiote”
désigne l’ensemble de la population de
micro-organismes d’une communauté,
alors que “microbiome” se réfère à son
génome. Si l’on veut parler à la fois des
caractéristiques génétiques d’un individu et de son microbiote, on parle
alors de “métagénome”. Mais depuis
quand savons-nous que nous sommes
ainsi accompagnés ? En fait, il n’y a pas
si longtemps que nous avons conscience
de cet autre monde, et nous devons
beaucoup à un personnage dont je t’ai
déjà parlé, Antoni van Leeuwenhoek.
Rappelle-toi, ce marchand de tissus du
XVIIe siècle voulait pouvoir examiner
dans les plus petits détails les fils de
ses étoffes. À l’époque, Robert Hooke
– qui faisait surtout de l’astronomie –
avait aussi fabriqué un microscope (et
inventé ce mot) qui grossissait environ
30 fois. Il l’avait utilisé pour regarder
des fossiles et divers objets ; découvrant alors l’organisation en “petites
boîtes” du liège, il avait proposé, par
allusion aux chambres des moines, de
les appeler “cellules”. Bref, revenons à
Leeuwenhoek, qui fabrique son propre
microscope, aux secrets jalousement
gardés, permettant un grossissement
jamais atteint, estimé par son inventeur
à une résolution d’environ 1 μm. Il est
le premier à voir un monde insoupçonné
que personne avant lui n’a eu l’idée
d’examiner. Il collige ses observations
dans un journal très candide, écrit en
Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. XII - n° 3 - mai-juin 2017
bas allemand, le hollandais courant
vernaculaire qui était sa langue. Ses
articles sont traduits en anglais (et
largement tronqués) pour être publiés
à Londres par Henry Oldenburg, premier
secrétaire de la Royal Society et éditeur
des Philosophical Transactions. C’est
là qu’on trouve, en 1674, le premier
récit de Leeuwenhoek concernant des
micro-organismes. Il avait remarqué
que l’eau d’un petit lac près de chez
lui était limpide en hiver mais plus
trouble en été et avait eu l’idée d’en
regarder une goutte avec son micro­
scope. Il y décrit des “animalcules”,
dont l’existence est vivement contestée
par ses pairs. Mais il poursuit, avec un
esprit suprêmement curieux et rigoureusement scientifique, et découvre en
fait la microbiologie. Pour ce qui nous
intéresse aujourd’hui, il faut se référer
à une lettre de 1684 dans laquelle
Leeuwenhoek décrit les animalcules
présents dans sa bouche et son nez. Plus
tard, il racontera avoir aussi plusieurs
fois examiné des selles en comparant les animalcules qu’il y observe.
À ce moment-là, il refuse toujours de
partager ses techniques microscopiques,
mais s’émerveille, avec un dessinateur
qu’il a embauché, des formes et des
mouvements de ces animalcules qu’il
continuera de décrire toute sa vie.
La communauté scientifique finit par
réussir à reproduire des instruments
permettant de confirmer l’existence de
ce monde étrange, mais les observations
de Leeuwenhoek tombent dans l’oubli.
L’existence d’“organismes” invisibles,
responsables, par exemple, des épidémies, avait déjà été évoquée par les
Romains ou les Chinois, mais ce n’est
qu’avec Leeuwenhoek que ce concept est
réellement entré, pour quelque temps,
dans la réalité. On continue de parler
* Laboratoire
d’hématologie,
CHU de Nantes.
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de “génération spontanée” pour expliquer les moisissures, par exemple, et il
faut attendre 1765 pour que Lazzaro
Spallanzani découvre qu’il pouvait
supprimer les micro-organismes d’un
bouillon en le faisant bouillir suffisamment longtemps, et que seule son
exposition à l’air permettait ensuite une
nouvelle contamination. Plus tard, Louis
Pasteur tordit définitivement le cou à
la théorie de la génération spontanée.
Deux autres noms sont ensuite célèbres,
Juliette, celui de Julius Cohn, qui établit
la première classification des bactéries,
fondée sur leur morphologie, et celui
de Robert Koch, qui, en 1876, 200 ans
après Leeuwenhoek, montre que certains
microbes peuvent être responsables de
maladies, en découvrant la cause du
charbon.
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genres et espèces. Les OTU sont basées
sur la séquence de l’ARN ribosomal
16S des micro-organismes, et un OTU
regroupe les structures présentant plus
de 96 % d’homologie. L’utilisation de
ce système a permis de montrer que,
au sein de la diversité du microbiome,
il y a plus d’homologie à l’intérieur
des espèces animales qu’entre espèces.
Ainsi, le microbiome humain présente
des caractéristiques qui lui sont propres.
Un monde énorme et infiniment varié
émerge, jusqu’alors méconnu, et les
progrès de la microbiologie accompagnent ceux de la médecine. Qu’en
est-il pourtant de ce microbiome que
j’évoquais au début de ce récit ? On
en retrouve une piste à la fin du
XIXe siècle quand Theodor Escherich
réalise sa thèse de médecine, à Munich,
sur les bactéries intestinales des enfants
et leurs relations avec la digestion.
À cette occasion, il découvre une
nouvelle bactérie, qui portera son nom,
Escherichia coli. On commence alors
à essayer de cultiver les germes de
cette “flore”, mais c’est réellement au
début du XXIe siècle que ce concept
se développe, avec l’avènement des
techniques de séquençage des acides
nucléiques et la diminution de leur
coût, qui permettent notamment d’identifier des germes impossibles à cultiver.
Les éléments qui guident la variété
du microbiote sont nombreux, mais le
plus important est sans doute l’alimentation. Au cours de l’évolution, les
vertébrés ont, d’une part, adapté leur
tube digestif à leur type d’alimentation
et, d’autre part, sélectionné les espèces
bactériennes susceptibles de les aider
à digérer. Pour abriter ces bactéries, le
tube digestif a modifié sa longueur et
sa surface. Parmi les herbivores, certains
ont favorisé une digestion/fermentation dans la première partie de ce tube
digestif, comme les kangourous ou les
moutons, alors que les chevaux et les
éléphants utilisent la partie terminale
de l’intestin. À ces différences anatomiques s’associent des flores différentes, adaptées à la digestion des
fibres végétales. Une autre curiosité,
Juliette, est le tube digestif du grand
panda, qui ressemble à celui des carnivores, moins sophistiqué que celui des
herbivores. Pourtant le grand panda est
un herbivore, vas-tu me dire ! Certes,
mais, si on regarde bien, on voit qu’il
se nourrit du contenu des plantes,
ne digère pas les fibres et, en conséquence… ne produit pas de méthane, car
il n’a pas besoin de bactéries méthano­
gènes !
Actuellement, les recherches sur le
microbiome sont donc en plein essor.
Un élément important pour mieux
comprendre et classer les observations
est la notion d’Operational Taxonomic
Unit (OTU). C’est un système différent
de celui que tu connais bien, Juliette,
qui classe les êtres vivants en phyla,
Les résultats d’analyses de microbiomes
divers s’accumulent, et un travail très
intéressant a colligé en 2008 les informations récoltées en séquençant les
ARN ribosomaux 16S de toutes sortes
d’environnements : flores intestinale,
cutanée, vaginale et ORL d’humains,
flores de vertébrés et d’invertébrés, de
Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. XII - n° 3 - mai-juin 2017
Le microbiome
mammifères et de poissons, de sols,
d’eaux, etc. L’analyse en composantes
principales de ces caractéristiques
(utilisant les distances phylogénétiques
du système UniFrac) pouvait laisser
supposer une influence du pH, de la
salinité, de la présence d’oxygène…
Effectivement, les flores des milieux
salins et non salins se distinguent,
mais la distance les séparant est bien
moindre que celle séparant les flores
animales des flores non animales. De
plus, la flore des invertébrés ressemble
plus aux flores non animales qu’à celle
des vertébrés. Une autre observation
intéressante est le regroupement statistique d’espèces microbiennes associées
à des organismes complexes comme les
bactéries issues de racines de plantes,
de peau ou d’oreille humaine et de
coraux ! Ces auteurs ont ensuite répété
leurs analyses en se fondant cette
fois sur la classification phylogénétique, confirmant la prédominance des
Firmicutes et des Bacteroidetes dans la
flore intestinale des vertébrés.
Q ue p e nser de cette o r ig inal i té
conservée de la flore intestinale des
vertébrés, Juliette ? Il est tentant de
croire que la coévolution des vertébrés
et de leur flore sur des centaines de
millions d’années a sélectionné une
communauté de micro-organismes
particulièrement bien adaptés à l’environnement stable, chaud et eutrophique
de l’intestin. Ces micro-organismes sont
essentiellement des bactéries, mais il
y a aussi des archées, des eucaryotes
comme des champignons et des virus.
La flore intestinale d’un humain se
développe à partir d’un environnement vierge, car le fœtus se développe
dans un milieu stérile. À la suite d’un
accouchement par voie basse, la flore
intestinale d’un nouveau-né est identique à celle de sa mère, alors qu’après
une césarienne, elle ressemble plus au
microbiote de la peau humaine. Vers
1 an de vie, le microbiome intestinal
commence à ressembler à celui d’un
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adulte, mais son évolution dépend
fortement de l’alimentation reçue et
varie à chaque changement de régime.
Ces variations sont liées à un enrichissement en gènes microbiens impliqués dans la synthèse des vitamines
ou la digestion des polysaccharides,
par exemple, lorsqu’une alimentation
plus complète est administrée. Quelques
études commencent à nous donner une
idée plus précise de ce qui se passe. En
2011, J.G. Caporaso et al. [Genome Biol
2011;12(5):R50] ont publié les résultats
de 396 prélèvements effectués sur une
période de 15 mois chez un individu,
concernant l’intestin, la cavité buccale
et les paumes des mains. Leurs résultats, et d’autres depuis, montrent que
le microbiote d’un individu est un
écosystème dynamique et compartimenté, la bouche et l’intestin contenant
les communautés microbiennes les plus
diverses.
Nous vivons donc entourés de bactéries,
Juliette, le plus souvent sous forme
planctonique, se déplaçant librement sur
les surfaces, et plus rarement sous forme
de biofilms organisés (le biofilm que tu
connais le mieux, Juliette, est la plaque
dentaire que tu élimines soigneusement
à chaque brossage). La flore de chacun
est ainsi quasi spécifique et pourrait
être utilisée en crimino­logie. Un travail
étonnant a montré qu’en analysant un
clavier d’ordinateur, il était possible
d’identifier quel doigt de quel individu
était utilisé sur chaque touche, et que
l’analyse des souris d’ordinateurs identifiait leur utilisateur avec une précision de 95 % en utilisant des bases de
données de flores cutanées de la main.
Il y a donc un certain paradoxe entre
une cohabitation évoluée ayant sélectionné les espèces les mieux adaptées à
la cohabitation dans certaines zones et
cet échange permanent de germes. Une
autre notion, difficile aussi à réconcilier avec cette stabilité apparente, est le
fait que ces bactéries ont parfois une
courte durée de vie. C’est en partie ce
qui a contribué à l’identification tardive
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du microbiote. La majorité des germes
des selles, par exemple, sont morts, et
ce n’est qu’avec l’avènement des techniques de séquençage mentionnées plus
haut que l‘ampleur de ce monde nous
est apparue.
M.C. Béné déclare ne pas
avoir de liens d’intérêts.
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M a i s p o u r q u o i c e tt e s y m b i o s e ?
Indiscutablement pour la digestion et
le métabolisme. Je t’ai déjà expliqué
plus haut, Juliette, que la flore est
très différente entre les carnivores,
les herbivores et les omnivores. Les
changements de régime alimentaire
peuvent s’accompagner de modifications très rapides de la flore et de
son métabolisme. L’étroitesse de cette
cohabitation se traduit par exemple par
l’élimination urinaire de métabolites
provenant de notre microbiote comme
l’hippurate, la phénylacétylglutamine et
les méthylamines. L’idée est que ce petit
monde comporte des voies métaboliques
absentes du génome des mammifères
et augmente considérablement notre
capacité à extraire de l’énergie à partir
de ce que nous mangeons. Par exemple,
une souris germ-free (élevée dans un
milieu parfaitement stérile, y compris
pour son alimentation et son eau de
boisson) fabrique plus de tissu adipeux,
avec le même régime, après avoir reçu
une transplantation de microbiote
intestinal, elle devient capable d’extraire plus d’énergie de son régime
inchangé ! Tout aussi fascinant, le mécanisme, globalement utilisé par les bactéries tout au long de l’évolution, de
transfert de gènes peut conduire les
bactéries de l’alimentation à transférer
certains gènes aux bactéries de la flore
intestinale. Cela a été montré chez des
Japonais, dont la flore contient un gène
spécifique d’espèces marines utile pour
digérer certains polysaccharides des
algues. Aucun échantillon américain
testé dans cette étude ne contenait
ce gène !
Un autre degré de complexité se fait
ainsi jour, en revenant sur les notions
de microbiome et de microbiote. Il
semblerait que le microbiome soit plus
stable que le microbiote. En d’autres
termes, la stabilité, chez un individu
ou entre individus, viendrait plus de
la sélection de certains gènes, pouvant
être présents dans des espèces microbiennes différentes. Cela a en particulier été montré en comparant des
paires de jumeaux obèses ou minces.
Nous sélectionnerions plus une activité
métabolique qu’une espèce particulière…
Tout se complique, n’est-ce-pas, et
nul doute que les vastes travaux en
cours – notamment ceux du programme
du National Institutes of Healh sur le
microbiome – vont nous faire mieux
comprendre les tenants et aboutissants
de cette symbiose harmonieuse. Déjà,
au-delà de ce que je t’ai raconté, le
microbiome apparaît impliqué dans le
développement neurologique et immunitaire… Mais c’est une autre histoire,
■
Juliette !
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