Analyse des selles et translocations bactériennes chez les patients atteints d’hémopathies malignes

Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. XII - n° 3 - mai-juin 2017
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dossier
Tube digestif
et hématologie
RÉSUMÉ
Summary
Chez les patients atteints d’hémopathies malignes et présentant
une immunodépression sévère, l’analyse de la fl ore fécale permet
de détecter les bactéries susceptibles d’être responsables de
bactériémies. L’analyse est ainsi utile pour adapter l’antibiothérapie
probabiliste. En raison de sa valeur prédictive positive modérée et de
son coût, la coproculture quantitative nest désormais plus utilisée
dans ce but en France et peut être remplacée par une recherche
ciblée de bactéries d’intérêt incluant les bactéries multirésistantes.
La valeur des méthodes de biologie moléculaire, y compris celles
de séquençage de nouvelle génération, reste à déterminer.
Mots-clés : Coproculture quantitative − Neutropénie fébrile −
Antibiothérapie probabiliste − Bactéries multirésistantes.
In patients with hematological malignancies and severe
immunosuppression, analysis of the fecal fl ora can be used to
detect bacteria that may cause bacteremia and is useful for
adapting empiric antibiotic therapy. Because of its moderate
positive predictive value and its cost, quantitative stool
culture is no longer used for this purpose in France and may
be replaced by fecal screening methods for the detection of
bacteria of interest, including multidrug-resistant bacteria.
The value of molecular biology methods, among which new
generation sequencing, remains to be determined.
Keywords: Quantitative stool culture − Febrile neutropenia −
Empiric antibiotic therapy − Multidrug-resistant bacteria.
Analyse des selles et translocations
bactériennes chez les patients atteints
d’hémopathies malignes
Stool analysis and bacterial translocation in patients
with hematological malignancies
I. Bonnet*, A. Lozniewski*
* Service de bactériologie,
hôpital Central,
CHRU de Nancy.
L
es infections bactériennes survenant chez les
patients atteints d’hémopathies malignes et
présentant une immunodépression profonde
sont fréquemment dues à des micro-organismes com-
mensaux. Chez ces sujets, le microbiote intestinal, qui
représente la fl ore endogène la plus abondante, est
une source majeure de bactériémies. L’analyse de la
ore fécale est de ce fait préconisée afi n de détecter,
en amont de l’épisode bactériémique, les bactéries
potentiellement impliquées pour adapter, dès son ins-
tauration, l’antibiothérapie probabiliste mise en place
en cas d’épisode fébrile.
Bactéries dominantes et translocation
d’origine digestive
Chez les patients traités par chimiothérapie et immuno-
déprimés, les bactériémies sont le plus souvent la
conséquence d’une translocation bactérienne qui cor-
respond au passage de bactéries viables à travers une
muqueuse altérée vers les vaisseaux sanguins voisins.
Au niveau intestinal, ce phénomène est non seulement
favorisé par l’altération des défenses locales et systé-
miques de l’hôte, mais aussi par des modifi cations de
la composition du microbiote intestinal, élément clé
de l’homéo stasie intestinale (1-4) . Lexistence d’une
dysbiose intestinale, favorisée par diff érents facteurs
− incluant les antibiothérapies et la chimiothérapie −
concourt à altérer encore plus la barrière intestinale,
tout en favorisant la prolifération intraluminale de cer-
taines bactéries. Ces dernières, qui sont le plus souvent
des bactéries à Gram négatif (entérobactéries, bacilles
non fermentaires) ou à Gram positif (streptocoques,
entérocoques, staphylocoques) n’appartenant pas à
la fl ore anaérobie stricte, sont alors plus susceptibles
d’envahir les tissus environnants et d’être la cause de
bactériémies (4, 5) . Y. Taur et al. (4) ont ainsi montré, chez
des patients bénéfi ciant d’une greff e de cellules souches
hématopoïétiques, que le risque de bactériémie à enté-
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Valeur de l’analyse des selles pour prédire la sensibilité aux antibiotiques des isolats
responsables de bactériémies chez les patients atteints d’hémopathies malignes
rocoques était 9 fois plus élevé en cas de domination
intestinale par ce genre et que le risque de bactériémie
à bacilles à Gram négatif était 5 fois plus élevé en cas
de domination intestinale par des protéobactéries,
qui incluent en leur sein les entérobactéries et divers
bacilles à Gram négatif non fermentaires.
Colonisation par des bactéries
multirésistantes aux antibiotiques
etrisque de translocation
Lémergence des bactéries multirésistantes aux anti-
biotiques chez l’homme explique que leur présence
au sein des fl ores endogènes des patients présentant
une immunodépression profonde est de plus en plus
fréquente et que, de ce fait, leur implication poten-
tielle dans les bactériémies doit désormais être prise
en compte (6, 7) . Parmi les bactéries multirésistantes
qui posent un problème de santé publique fi gurent
les entérobactéries productrices de β-lactamases à
spectre étendu (BLSE), dont la prévalence de portage
a considérablement augmenté ces dernières années
à l’échelle mondiale, et notamment en France. Cette
augmentation est due à l’émergence d’entérobactéries
productrices de BLSE de type CTX-M aussi bien dans la
population générale que chez les patients hospitalisés.
Dans une méta-analyse récente, M. Alevizakos et al. (8)
ont montré que, chez des patients atteints d’hémopa-
thies malignes ou de tumeurs solides, la prévalence de
colonisation par des entérobactéries productrices de
BLSE était en moyenne de 15 % en Europe et que, en
cas de colonisation, le risque de bactériémie due à ces
micro-organismes était signifi cativement élevé. Cela a
également été observé par d’autres auteurs chez des
patients atteints d’hémopathies malignes (9, 10) . En
France, la prévalence des bactéries hautement résis-
tantes émergentes, à savoir les entérobactéries pro-
ductrices de carbapénémases (EPC) et les entérocoques
résistants aux glycopeptides (ERG), demeure faible. Ces
bactéries sont cependant responsables d’infections sou-
vent sévères et de mauvais pronostic chez les patients
immunodéprimés (4, 5, 11, 12) . Pour ce qui concerne les
EPC, il a été montré que la colonisation digestive ainsi
que la chimiothérapie étaient des facteurs de risque
signifi catif de bactériémie (13) . Chez les patients trai-
tés pour une hémopathie maligne, il a également été
observé que la colonisation du tube digestif par des ERG
était un facteur de risque de bactériémie (14, 15) . Y. Kang
et al. (16) nont cependant pas pu mettre en évidence,
dans une étude incluant 152 patients ayant bénéfi cié
d’une greff e de cellules souches hémato poïétiques, que
la colonisation préalable par un ERG était un facteur
de risque indépendant de survenue d’une bactériémie.
C.D. Ford et al. (11) ont récemment montré, dans une
étude incluant 161 patients bénéfi ciant d’une greff e
de cellules souches hémato poïétiques, que le risque
de bactériémie à ERG était signifi cativement plus élevé
chez ceux chez lesquels un ERG était détecté dans les
selles au moment de la greff e alors que ce risque était
relativement faible chez ceux chez lesquels un portage
avait été mis en évidence antérieurement mais pas au
moment de la greff e. Ces résultats sont en faveur de
l’hypothèse selon laquelle le risque de survenue d’une
bactériémie à ERG est surtout élevé en cas de domi-
nance associée à des conditions d’altération maximale
de l’homéostasie intestinale (4, 5, 11) .
Analyse de la fl ore fécale chez les patients
traités pour des hémopathies malignes
En dehors de celles à visée diagnostique, les ana-
lyses bactériologiques des selles des patients atteints
d’hémo pathies malignes et présentant une immuno-
dépression sévère a comme objectif principal de
détecter la présence de bactéries potentiellement
responsables d’infections systémiques. Cette analyse
permet également de réaliser une surveillance épi-
démiologique dans le cadre de la prévention de la
transmission croisée des bactéries multirésistantes et,
éventuellement, de suivre l’effi cacité d’une déconta-
mination digestive (17) .
Parmi les différents critères conduisant à modifier
l’anti bio thérapie probabiliste en cas de neutropénie
fébrile fi gure la connaissance d’une colonisation par
des bactéries qui, de manière naturelle et/ou acquise
(entéro bactéries productrices de BLSE et/ou de carbapé-
némases, Pseudomonas aeruginosa , Acinetobacter bau-
mannii , Stenotrophomonas maltophilia , Staphylococcus
aureus résistants à la méticilline, ERG), sont résistantes
aux antibiotiques utilisés en première intention (6, 7) .
Cela implique l’instauration d’une surveillance systéma-
tique et régulière des fl ores endogènes et, en particulier,
de la fl ore fécale afi n de pouvoir disposer des résultats
en amont de l’épisode fébrile, car tout retard d’instau-
ration d’une antibiothérapie adaptée est préjudiciable
en cas de neutropénie fébrile.
Méthodes fondées sur la culture des selles
L’analyse de la fl ore fécale après culture des selles peut
être eff ectuée par une approche globale, qui consiste à
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mettre en évidence et à quantifi er la fl ore fécale aéro-
bie majoritaire (coproculture quantitative), ou par une
approche ciblée qui consiste à ne détecter que les bac-
téries d’intérêt en termes d’antibiothérapie probabiliste.
La coproculture quantitative permet en théorie d’iden-
tifi er la ou les bactéries dominantes et d’en étudier la
sensibilité aux antibiotiques. Des études réalisées à
l’aide de cette technique dans les années 1980 avaient
montré que la plupart des bactéries responsables de
bactériémies pouvaient être préalablement détec-
tées au sein des fl ores endogènes et, en particulier,
au sein de la flore fécale (18, 19) . P. Frère et al. (20)
ont cependant montré dans une étude incluant
622 patients ayant bénéfi cié d’une greff e de cellules
souches hémato poïétiques que seuls environ 50 %
des micro-organismes responsables de bactériémie
avaient pu être détectés par culture au sein des fl ores
endogènes incluant la fl ore fécale. D’autres auteurs ont
rapporté que la coproculture ne permettait de détecter
les micro-organismes responsables de bactériémie
que dans 12 à 33 % des cas (17, 21, 22) . La variabilité
des résultats obtenus peut être expliquée par un grand
nombre de facteurs incluant celle des facteurs d’hôte,
l’hétérogénéité de la répartition des bactéries au sein
des selles, la présence possible chez un même individu,
et au sein d’une même espèce, d’isolats de sensibilités
diff érentes aux antibiotiques, ainsi que l’absence de
consensus quant à la nature et au nombre de colonies
à étudier. Quoi qu’il en soit, l’absence de données per-
mettant de justifi er de manière indubitable d’un point
de vue médicoéconomique l’utilisation des copro-
cultures quantitatives a, in fi ne, conduit la Direction
générale de l’off re de soin à considérer que cet examen
était un acte obsolète ne donnant plus lieu à aucune
compensation fi nancière.
La détection dans les selles de la plupart des bactéries
d’intérêt peut également être réalisée par des méthodes
similaires à celles utilisées pour le dépistage de bacté-
ries multirésistantes (9, 11) . Cette approche est fondée
sur l’ensemencement de milieux sélectifs permettant
d’isoler de manière plus ou moins spécifi que les diff é-
rentes bactéries d’intérêt en fonction de leur résistance,
tout en permettant, notamment en cas d’utilisation
de milieux chromogènes, une orientation d’espèce .
Ainsi, et à titre d’exemple, des milieux contenant des
céphalo sporines de troisième génération permettent
de détecter des entérobactéries résistantes à ces anti-
biotiques, dont les entérobactéries productrices de
BLSE. D’autres milieux sélectifs peuvent également
être associés afi n de détecter les bacilles à Gram néga-
tif non fermentaires qu’il est nécessaire de mettre en
évidence, quelle que soit leur résistance acquise aux
antibiotiques. En cas de résultat positif, il faut confi rmer
l’identifi cation d’espèce et réaliser un antibiogramme.
Cette approche peut également permettre d’apprécier
de manière semi-quantitative le niveau de colonisation
(faible, modérée ou importante) qui pourrait être corrélé
au risque de translocation, comme l’ont suggéré P.L.
Woerther et al. (9) pour ce qui concerne les entéro-
bactéries productrices de BLSE.
Méthodes de biologie moléculaire
L’amplifi cation de gènes de résistance éventuellement
couplée à une identifi cation d’espèces permet de détec-
ter la présence de bactéries multirésistantes dans les
selles, soit directement, soit après une étape d’en-
richissement en milieu liquide (4, 5, 23) . Ces méthodes
rapides sont plus sensibles que celles fondées sur la
culture. Leur utilisation est cependant limitée par leur
coût et le fait quelles ne détectent pas l’ensemble
des bactéries d’intérêt. Il a toutefois été récemment
montré quil était possible d’utiliser des techniques
de séquençage de nouvelle génération pour détecter
des bactéries multirésistantes dans les selles tout en
réalisant une étude du microbiote intestinal (24) . Dans
un futur plus ou moins proche, cette approche encore
onéreuse pourrait révolutionner l’analyse de selles des
patients à risque de translocation.
Conclusion
La valeur prédictive positive insuffi sante de la copro-
culture quantitative, eu égard aux coûts générés et/ou
à l’absence d’impact signifi catif en termes d’antibio-
thérapie probabiliste, a conduit à son abandon en
France. L’analyse de la fl ore fécale par culture ciblée
incluant le dépistage de bactéries multirésistantes est
de ce fait préconisée, afi n de détecter, en amont de
l’épisode bactériémique, les bactéries multirésistantes
potentiellement impliquées. La place des techniques de
biologie moléculaire et, en particulier, de celles fondées
sur les méthodes de séquençage de nouvelle génération
reste à défi nir.
Les auteurs déclarent
ne pas avoir de liens
d’intérêts.
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Références (suite de la page 144)
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