faut-il isoler un patient porteur de bmr ? pour

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FAUT-IL ISOLER UN PATIENT PORTEUR DE BMR ?
POUR
J-C. Lucet, Unité d’Hygiène et de Lutte contre l’Infection Nosocomiale, Groupe Hospitalier Bichat - Claude Bernard, 75877 Paris cedex 18.
INTRODUCTION
L’objet de cette controverse est celui du choix des mesures de prévention pour limiter la diffusion manuportée des bactéries multirésistantes (BMR). Les recommandations
émanant de différents pays et sociétés savantes proposent deux niveaux de précautions [1-3] :
• Les précautions «standard», à respecter lors des soins à tout patient, qui comprennent l’hygiène des mains (après retrait des gants, entre deux patients ou deux activités
chez un même patient), le port de gants chaque fois qu’un contact avec le sang ou un
liquide biologique est attendu, et d’autres mesures visant à protéger le personnel des
accidents d’exposition au sang,
• Des précautions «contact» destinées à limiter la transmission manuportée de
certains micro-organismes, dont les BMR : en particulier la chambre individuelle,
le lavage antiseptique des mains, le port de gants dès l’entrée dans la chambre, le
port de surblouse en cas de contact étendu avec le patient.
Les infections à BMR ont un impact supplémentaire à celui des infections à bactéries sensibles [4] : prolongation de la durée de séjour - sinon de la mortalité - des patients
infectés à BMR, pression de sélection des antibiotiques à large spectre utilisés en antibiothérapie empirique et curative sur ces infections, avec en corollaire une nouvelle
augmentation de la résistance, impact sur les taux globaux d’infections nosocomiales,
les infections à BMR s’ajoutant aux autres infections plutôt qu’elle ne s’y substituent.
Pour ces raisons, des précautions renforcées, dites «contact», sont recommandées
pour la prise en charge des patients infectés par des BMR à diffusion essentiellement
manuportée : en premier lieu S. aureus résistant à la méticilline (SARM), les entérobactéries productrices de bêtalactamase à spectre étendu (EBLSE), et les entérocoque
résistant à la vancomycine (ERV) aux Etats-Unis.
1. LES PRECAUTIONS-CONTACT SONT ELLE EFFICACES?
1.1. PROBLEME DE L’OBSERVANCE DE L’HYGIENE DES MAINS
Force est de constater que l’hygiène des mains (lavage ou antisepsie par friction
avec une solution hydro-alcoolique [SHA]) n’est respectée que dans moins de 50 %
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des cas où elle est indiquée [5]. Les actions de sensibilisation n’ont habituellement
qu’un impact modeste et transitoire, et seules des campagnes actives, utilisant l’introduction des SHA, ont permis d’obtenir des taux plus élevés [6]. On reste cependant loin
de l’objectif qu’il faudrait atteindre pour limiter la transmission croisée [7] !
En miroir de cette observance insuffisante, la majorité des épidémies d’infections à
BMR manuportées n’a pu être contrôlée que par des précautions d’hygiène renforcées,
correspondant aux précautions contact. Certains diront que ces épidémies ne seraient
pas survenues si les précautions standard avaient été respectées. La situation actuelle
des SARM en France est préoccupante : presque 1% des patients hospitalisés en sont
trouvés porteurs dans des prélèvements à visée clinique au cours d’enquêtes de prévalence, 58 % des S. aureus responsables d’infection nosocomiale étaient résistant à la
méticilline en 1996 [8], et ce taux était de 78 % dans les services de réanimation
français en 1992 [9]. Cette situation, évoluant depuis plus de 30 ans, s’est installée
alors que seules de précautions standard étaient recommandées, et manifestement non
observées. L’utilisation des SHA permettra d’améliorer l’observance de l’hygiène des
mains, mais sans doute pas au point de contrôler la diffusion des SARM. L’exemple des
EBLSE est aussi démonstratif : l’épidémie apparue durant la seconde moitié des années 1980, principalement à partir des services de réanimation, alors que seules des
précautions standard étaient utilisées. L’épidémie n’a été contrôlée que grâce à l’identification des patients porteurs (dépistage et signalisation) et aux précautions contact.
1.2. MESURES COMPLEMENTAIRES DE L’HYGIENE DES MAINS
Les arguments pour la mise en œuvre de précautions renforcées sont nombreux. Le
port de gants limite la contamination des mains lors des soins, réduisant d’autant l’inoculum à éliminer par l’hygiène des mains après retrait des gants [10]. Le port d’un
tablier, en complément des gants, ne réduisait pas, dans une étude contrôlée en réanimation, les taux d’acquisition d’ERV, mais améliorait l’observance du port de gants et
du lavage des mains [11]. Plusieurs études ont évalué le risque de transmission de BMR
à partir d’un patient non isolé par rapport à un patient isolé. Ce risque relatif a été
mesuré à 16 pour le SARM dans une unité de réanimation néonatale [12], à 1,81 au
cours d’une épidémie à ERV dans un hôpital [13], à 4 dans une modélisation de la
transmission d’ERV [7]. Si l’augmentation des taux de SARM est préoccupante dans
de nombreux pays (malgré l’existence des recommandations citées ci-dessus), quelques données issues de services français de réanimation, où des précautions contact ont
été mises en place, sont plus rassurantes. La surveillance des SARM dans les services
de réanimation des hôpitaux publics parisiens montre une réduction des SARM dans
l’espèce, de 55 % en 1993 à 34 % en 1999, rejoignant ainsi les taux de prévalence dans
les autres unités de court séjour [14].
2. DANS QUELLES CONDITIONS LES PRECAUTIONS CONTACT SONTELLES EFFICACES ?
2.1. IDENTIFICATION DES RESERVOIRS
Pour mettre en place des précautions-contact, il est nécessaire d’identifier les réservoirs de BMR. Il ne serait en effet pas logique de prendre des précautions pour certains
patients connus porteurs, alors que d’autres porteurs méconnus sont aussi des réservoirs pour la dissémination. Il est donc nécessaire de coupler les précautions contact à
la recherche active des porteurs par des prélèvements de dépistage.
Le taux de patients porteurs de SARM à l’admission dans des services de réanimation d’hôpitaux en situation d’épidémie installée est d’environ 5 %. Le dépistage du
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SARM à l’admission permet de doubler le nombre de cas identifiés, par rapport à une
stratégie n’utilisant que les prélèvements à visée clinique [15]. Une autre étude multicentrique montre que seulement 18 % des patients porteurs de SARM à l’admission en
réanimation ont des prélèvements cliniques positifs, et que la connaissance complémentaire d’un portage préalable de SARM augmente ce taux à seulement 46 % des
porteurs. Toujours en réanimation, le risque d’infection à SARM chez les porteurs est
de l’ordre de 40 à 50 % : le dépistage régulier permet ainsi de doubler le nombre de cas
acquis identifiés, et ceci plus rapidement que par les seuls prélèvements cliniques [16].
Dans les unités de court séjour hors réanimation et dans les unités de moyen ou long
séjour, la prévalence du portage de SARM à l’admission, le risque d’acquisition et le
risque d’infection à SARM chez les porteurs sont plus faibles. Des stratégies ciblées de
dépistage sur les patients les plus à risque devraient permettre d’identifier la majorité
des porteurs, tout en limitant les coûts des dépistages.
2.2. SIGNALISATION DES PORTEURS
Une fois les patients porteurs de SARM identifiés, il est important qu’une signalisation informe les équipes soignantes de la nécessité d’observer des précautions
renforcées, grâce à un pictogramme spécifique, apposé à l’entrée de la chambre et sur
le dossier du patient. La signalisation permet d’augmenter l’observance du lavage de
mains : au cours de deux audits successifs en réanimation en 1993 et 1994 dans le cadre
d’un programme de contrôle des EBLSE, l’observance était de 46 % et 79 % après
contact avec un patient non porteur de BMR, et augmentait à 79 et 94 % après contact
avec un patient porteur de BMR [17].
2.3. AUTRES MOYENS
L’efficacité des précautions renforcées suppose aussi la disponibilité de moyens en
matériels. Les services de réanimation disposent généralement de chambres individuelles pour permettre l’isolement géographique. Il n’en est pas toujours de même dans
les autres unités, où les chambres individuelles manquent parfois. Le nombre parfois
insuffisant de lavabos est facilement pallié par l’utilisation des SHA, utilisées en remplacement des lavages des mains simple et antiseptique. Les études récentes accumulent
des données montrant la supériorité des SHA sur les savons : meilleure efficacité que
les savons doux, efficacité au moins égale à celle des savons antiseptiques, gain de
temps, meilleure tolérance cutanée [5, 18, 19].
La charge de travail induite par les précautions-contact doit aussi être prise en compte.
Elle a été mesurée de façon variable d’une étude à l’autre, allant de 20 minutes à plus de
deux heures par jour [20, 21]. Cette durée dépend en partie de l’intégration des mesures
d’isolement dans l’organisation générale des soins. En corollaire de la charge de travail
induite par les BMR, plusieurs études ont évalué le rapport coût-efficacité de ces stratégies. Ces études sont complexes, basées sur la comparaison des coûts induits par la
transmission, puis l’infection à SARM, avec les coûts de la stratégie de dépistage et
d’isolement. Elles nécessitent des hypothèses sur le nombre de transmission et d’infections à SARM évitées par la stratégie. Cependant, les trois études disponibles sont
cohérentes entre elles, et concluent à la rentabilité de la stratégie des précautions contact [20, 22, 23].
3. EVOLUTION DES RECOMMANDATIONS
Les recommandations nationales [1], et la conférence de consensus de la SRLF de
1996 [16] proposaient des mesures «maximales» pour le contrôle de la diffusion manuportée des BMR, qui ne prenaient pas toujours en compte la variété des situations
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épidémiques locales. Cependant, deux enquêtes par questionnaire en 2001 auprès d’environ 250 services français de réanimation indiquaient que 60 à 70 % des services
pratiquent un dépistage du SARM à l’admission et en cours de séjour, et que 85 à 90 %
signalisent les porteurs de BMR.
La prévention de la diffusion des BMR mise en place les dix dernières années a
probablement permis à de nombreux services de réanimation d’acquérir une culture de
la transmission croisée et souvent d’initier une politique de prévention de l’infection
nosocomiale. Mais elle a aussi pu avoir des effets négatifs, notamment de négliger les
précautions d’hygiène standard pour les autres patients, et le risque d’auto-infection à
partir de la propre flore du patient.
Les recommandations d’experts de la SRLF sur la prévention de la transmission
croisée en réanimation de janvier 2002 ont fortement promu les solutions hydro-alcooliques pour les précautions standard et les précautions contact. Les mesures complémentaires pour la stratégie BMR (indications du port de gants et de tablier, dépistage,
signalisation, éradication du portage) n’ont en revanche pas fait consensus entre les
experts, hormis le dépistage des SARM.
Il est probable que la «bonne» politique se trouve entre les deux extrêmes (le «tout
ciblé» ou le «tout standard» pour les porteurs de BMR). Elle doit être définie dans
chaque hôpital en fonction de la situation épidémique locale, et à la lumière des études
qui apporteront des réponses sur les mesures complémentaires à la désinfection des
mains par friction. Nous pensons cependant qu’une politique BMR doit comporter un
dépistage et une signalisation des porteurs. Celle-ci aura un objectif d’intervention,
pour appliquer des précautions complémentaires à la désinfection des mains, et alerter
les soignants prenant en charge ces patients. Elle aura aussi un objectif d’évaluation, en
permettant de mesurer simplement la fréquence de la transmission croisée, qui constitue un des indicateurs en hygiène pour les services de réanimation.
CONCLUSION
Les précautions contact semblent efficaces, à la condition d’y associer une politique d’identification active et de signalisation des porteurs de BMR, et de disposer des
moyens nécessaires à leur application. Elles le seront d’autant plus si le nombre de
patients à isoler est faible, expliquant sans doute le meilleur contrôle des épidémies à
BMR d’installation récente, par exemple les EBLSE en France. En situation d’épidémie installée (SARM), les moyens à mettre en œuvre sont plus importants, et ne sont
souvent disponibles qu’en réanimation.
C’est parce que les précautions standard sont insuffisamment appliquées que des
précautions renforcées sont recommandées. Quel que soit le niveau de précautions,
c’est l’observance des mesures qui détermine leur efficacité. Il ne s’agit plus là de controverse, mais de déterminer les meilleurs moyens d’améliorer les comportements des
soignants en hygiène [5, 24]. En prenant l’exemple de l’hygiène des mains, trois éléments combinés permettent cette mobilisation : une disposition à l’observance
(connaissances des risques de contamination des mains et des techniques appropriées),
des facteurs de facilitation (équipements, respect de la technique) et de soutien (audits
des pratiques, information sur les résultats des audits et l’évolution des données de
surveillance, soutien et participation de l’encadrement). Seule la combinaison des
actions peut amener à des modifications durables des comportements [5].
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